La renaissance industrielle américaine – Trois questions à Clara Gaymard

Trois questions à Clara Gaymard

Comment interprétez-vous le rebond industriel que connaissent les Etats-Unis depuis la fin de la crise ?

Tout d’abord, comprenons qu’on ne doit pas parler de réindustrialisation pure et simple. En quarante ans, la part de l’emploi industriel aux Etats-Unis est passée du tiers à moins d’un cinquième de la population active. Et bien que l’emploi industriel se rétablisse aujourd’hui, il continue de croître moins vite que l’emploi total.
Ceci étant dit, comment expliquer la relance de l’activité industrielle américaine que l’on observe effectivement depuis la fin de la crise ?
L’exploitation du schiste a permis de réduire considérablement la facture énergétique des sites de production. Par ailleurs le coût du travail dans l’industrie a diminué de 5% entre 2009 et 2013 aux Etats-Unis, ce qui permet au pays de rester compétitif, d’autant qu’on observe en parallèle une hausse des salaires en Chine.
La conjoncture a également été favorable à l’industrie américaine : la baisse du prix du pétrole a par exemple permis aux industriels de recommencer à dégager des marges et a encouragé certains groupes à relocaliser. La relative faiblesse du dollar a par ailleurs favorisé les exportations.
Enfin, il ne faut pas oublier que les Etats-Unis restent en tête des dépenses intérieures brutes de R&D : près de 400 milliards en 2013, soit 30 % des dépenses de R&D mondiales. Ces investissements permettent aux groupes américains de rester leaders dans les secteurs à forte croissance.
Je crois par ailleurs que cette relance industrielle traduit aussi un certain recentrage stratégique de la part des groupes, qui constatent qu’en rapprochant leurs points de fabrication de leurs centres de conception, ils renouent sans doute avec un système plus favorable à l’innovation. D’où le renforcement ou le rapatriement d’une partie de leur cycle de production près de leurs centres de recherches aux Etats-Unis.

Quels facteurs menacent aujourd’hui la poursuite de ce rebond ?

La principale faiblesse de ce rebond, c’est qu’il dépend d’un certain nombre de facteurs conjoncturels, le fameux « alignement des planètes ». Une partie de la relance repose notamment sur le développement des énergies non conventionnelles, qui est un créneau très instable et sur lequel ne peut s’inscrire une relance industrielle de long terme. En l’occurrence, la chute récente du prix du baril de brut a entrainé un ralentissement de l’exploitation du schiste, devenu peu compétitif par rapport aux énergies conventionnelles. Cette diminution du rythme des forages se traduit par un  ralentissement de l’ensemble du cycle industriel associé.
Donc si la relance américaine ne correspond pas à une reprise solide de l’ensemble du tissu industriel, nous nous en rendrons vite compte : un choc négatif dans l’industrie du schiste pourrait suffire à ramener les Etats-Unis à la quasi-stagnation.

Quels sont les principaux atouts sur lesquels l’industrie américaine pourra s’appuyer à l’avenir ?

Les économies avancées, comme les Etats-Unis ou la France, doivent investir dans l’innovation, pour préserver leur avantage compétitif dans les industries à fort contenu technologique. Ils ont la main d’œuvre et les infrastructures pour. C’est ce que fait General Electric en investissant dans l’internet industriel : il faut utiliser l’intelligence du numérique pour améliorer la productivité de nos machines, rendre nos produits plus sûrs et plus performants.
En France, le ministre Emmanuel Macron a raison de tabler sur « l’industrie du futur », et d’affirmer que nos industries doivent « réussir la digitalisation ». Nous allons assister à une transformation de nombreux métiers, il faut que les entreprises anticipent cette transformation, y préparent leurs équipes, et investissent dans les formations qui permettront à chacun d’embrasser ces muta

Clara Gaymard

Ancienne élève de l’Ecole nationale d’administration (ENA, promotion 1986), diplômée de l’Institut d’Etudes Politiques de Paris et licenciée en droit et en histoire, Clara...

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