Le rôle des services déconcentrés de l’Etat dans l’application des règles

On trouve dans la note « Réglementation et normalisation : leviers de la compétitivité industrielle » une analyse très fine de la règle et de la norme qui insiste avec pertinence sur la différence fondamentale entre les deux : la règle est imposée par une autorité à tous (logique « top-down »), la norme émane des acteurs économiques et structure un marché (logique « bottom-up »).

On trouve dans la note « Réglementation et normalisation : leviers de la compétitivité industrielle » une analyse très fine de la règle et de la norme qui insiste avec pertinence sur la différence fondamentale entre les deux : la règle est imposée par une autorité à tous (logique « top-down »), la norme émane des acteurs économiques et structure un marché (logique « bottom-up »).

La question de la légitimité de la règle se pose donc fatalement : quelle entité pour créer la règle et l’imposer ? Comment l’Administration, qu’elle soit nationale ou européenne, peut-elle fixer le cadre qui convient ? La réponse à cette dernière question, qui porte souvent en elle les critiques les plus acerbes sur l’ineptie d’un certain nombre de coûteuses contraintes qui seraient profondément absurdes, doit prendre en compte le défi auquel fait face en permanence l’Administration : répondre aux multiples injonctions, souvent contradictoires, de la société civile. Bossuet déclarait « Le ciel se rit des prières qu’on lui fait pour détourner de soi des maux dont on persiste à vouloir les causes », et on ne peut que constater que les inefficiences souvent décriées, le poids des contraintes, découlent le plus souvent de principes d’organisation de la société qui finissent par entrer en conflit : typiquement, on désire tout à la fois le développement de nouvelles technologies ambitieuses et conserver en tout instant un risque technique nul pour tous.

C’est pourquoi, lorsqu’on fait le constat que ces inefficiences ne sont pas en grande majorité le fruit d’erreurs ou d’absurdités propres aux personnes impliquées dans leur édiction, la question des moyens adaptés pour les combattre prend un tout autre sens qu’une vaine opération de pure efficience de processus.

Le « choc de simplification » voulu récemment par le président de la République s’attaque de manière efficace à une facette de la question : on commence à traiter cette complexité auto-générée en taillant largement et par touches variées les difficultés identifiées qui font consensus. C’est traiter le « stock » de complexité, notamment administrative, sur lequel il n’y a pas de profond débat de société qui nécessiterait dans un second temps de ré-évaluer les rapports de force entre les injonctions contradictoires déjà évoquées.

Il n’est pas pour autant enviable de plonger dans un travers qui consisterait à vouloir tout simplifier par principe. En effet, la stabilité du tissu réglementaire, quand bien même celui-ci est intriqué, est mieux perçue par les acteurs économiques que des simplifications successives qui nécessitent sans arrêt de travailler la conformité à de nouveaux textes, fussent-ils objectivement plus simples.

De plus, s’agissant de l’impact des règlements sur la compétitivité de l’industrie française, il faut garder à l’esprit que la question n’est pas absolue mais bien toujours relative aux concurrents concernés. Souvent, le point névralgique pour la compétitivité française est dans l’application des règles établies (européennes et transposées). On ne saurait trop insister sur l’importance, sans entrer dans le débat portant sur le phénomène de surtransposition, de disposer d’un échelon d’accompagnement local des entreprises sur le territoire qui les aide à appliquer de la manière la plus optimale les règles édictées. Entre une application brute et une application fine d’un même texte, les économies réalisées et donc le gain de compétitivité peuvent être tout à fait conséquents. C’est pourquoi les services déconcentrés de l’État, souvent peu évoqués lorsqu’on parle du poids des réglementations, jouent un rôle tout à fait essentiel qu’il convient de rappeler ici. Ils sont la clef de l’application efficace des règles auprès des acteurs économiques, en fournissant les explications et suggestions qui concrétisent sur le territoire la réalité souvent aride d’un texte législatif ou réglementaire. Ce sont eux qui peuvent rendre indolore l’application de dispositions a priori effrayantes.

D’ailleurs, les industriels ne s’opposent pas systématiquement à la réglementation : ils y voient leur intérêt, notamment dans l’établissement d’un espace assaini de concurrence sur les marchés. Ils voient aussi leur intérêt dans l’avance technologique qu’elle peut leur conférer, comme levier stratégique de développement (pour le meilleur ou pour le pire, selon qu’on participe ou non à leur conception comme ce rapport l’explique très bien). Par exemple, la France a ainsi été le premier pays à définir, dès 2012, une réglementation pour l’utilisation de drones, notamment à des fins professionnelles. Bien que très contraignant, ce texte a été plébiscité par les professionnels, constructeurs et opérateurs, qui y voient un cadre clair sécurisant le développement d’une filière industrielle et de nouveaux usages, tout en construisant un message de confiance qualité vis-à-vis de l’international.

Si la production de normes présente des enjeux stratégiques similaires, il faut noter que l’État n’est pas toujours le mieux placé pour faire aboutir des normes industrielles et il ne faut donc pas en attendre plus que de raison. En effet, sauf à ce qu’il intervienne sur des aspects régaliens, l’État n’a pas vocation à défendre une norme plutôt qu’une autre puisque ce serait soutenir un acteur plus qu’un autre sur son territoire ; l’exemple des prises pour véhicules électriques cité dans le rapport l’illustre bien. Par nature, cette tâche relève davantage des groupements d’acteurs privés, de filières industrielles, qui ont naturellement cette légitimité, et même cette fonction. Dans ce cadre, les pôles de compétitivité français, qui regroupent souvent les projets d’entreprises porteuses d’innovations prometteuses, ont tout leur rôle à jouer.

On l’aura compris, tous les efforts actuels portant sur la simplification et la compétitivité des entreprises sont primordiaux pour la santé du tissu économique français, à court terme. Il faut cependant être également conscient que sur moyen et long termes, on ne fera pas l’économie d’une action consacrée aux « causes profondes » des inefficiences réglementaires constatées, ce qui implique de s’attaquer au « flux » de complexité. C’est la condition pour que les développements législatifs, réglementaires, normatifs futurs ne mènent pas à la même situation… dictée par les mêmes causes.

Michael Monerau

Michael Monerau est chef du service développement économique régional à la DIRECCTE Haute-Normandie et chargé de mission développement économique SGAR Haute-Normandie.

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Sébastien Guérémy

Sébastien Guérémy est chef de service développement industriel, technologique et international à la DIRECCTE Midi-Pyrénées et chargé de mission développement économique SGAR...

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