Réaction de Jean-Luc Gaffard à la note sur les allégements du coût du travail

Gilles Koléda analyse l’impact des politiques d’allégement du coût du travail et propose un état de la question, en s’appuyant notamment sur un modèle macroéconomique de moyen terme et multisectoriel, le modèle Nemesis. Les simulations effectuées ne sont jamais considérées comme pouvant conduire à des résultats définitifs et complètement robustes, ce qui témoigne d’une grande…

Gilles Koléda analyse l’impact des politiques d’allégement du coût du travail et propose un état de la question, en s’appuyant notamment sur un modèle macroéconomique de moyen terme et multisectoriel, le modèle Nemesis. Les simulations effectuées ne sont jamais considérées comme pouvant conduire à des résultats définitifs et complètement robustes, ce qui témoigne d’une grande lucidité quant à la portée de l’exercice formel. Cette lucidité conduit à souligner l’importance de deux questions : celle de l’investissement, de ses déterminants et de son impact sur la compétitivité et celle du choix des modes de compensation, par l’impôt ou la dépense publique. Mais l’auteur ne propose pas de moyens pour pouvoir en traiter efficacement.

Le problème traité

Les mesures d’allégement du coût du travail ont pour objectif de rétablir la compétitivité et l’emploi. La discussion porte notamment sur le point de savoir si ces mesures doivent être ciblées sur les bas salaires ou sur les salaires plus élevés, si leur objectif est de soutenir l’emploi ou la compétitivité, immédiatement et à plus long terme. L’ambiguïté justement dénoncée tient à ce que « l’emploi s’est imposé comme principal critère d’appréciation alors que l’exécutif avait initialement des objectifs plus variés. » (page 20)

En fait, les entreprises françaises et plus particulièrement les entreprises du secteur manufacturier sont confrontées à un double problème : un défaut de compétitivité prix et un défaut de compétitivité hors prix. Aussi sont-elles tenues de rétablir leur profitabilité immédiate en gagnant des parts de marché et en dégageant des marges supplémentaires, pour pouvoir ensuite investir et améliorer la qualité de leurs produits. L’intérêt du travail proposé est bien d’envisager les effets des mesures en question dans le temps, en prenant soin d’évoquer le risque de dissipation des gains initiaux et en soulignant la difficulté d’évaluer ce qu’il advient de l’investissement.

La dissipation des gains initiaux

Il apparaît à l’analyse que non seulement des mesures d’allégement du coût du travail compensées risquent d’avoir un effet immédiat global de faible ampleur, mais surtout que l’érosion des effets directs du fait des hausses de salaires, éventuellement plus marquées dans les secteurs à qualifications et salaires élevés, rend cet effet éphémère. « La mise en place d’une mesure d’allégement compensé du coût du travail n’est donc pas une fin en soi. C’est une sorte de « ballon d’oxygène » pour les entreprises, qui aboutit à une amélioration transitoire de leur situation économique. Si ces marges de manœuvre ne sont pas utilisées pour renforcer la compétitivité de manière plus structurelle, elles se dissiperont au fil du temps. » (p. 66). Les simulations effectuées au moyen du modèle Nemesis confortent cette analyse. Elles montrent que, dans le cas d’une compensation par une hausse de la CSG, les effets sur l’emploi et le solde extérieur, d’abord positifs après cinq ans, sont dissipés au bout de dix ans.

Sans doute les effets pourraient être différents si la compensation reposait sur la diminution des dépenses publiques plutôt que sur l’augmentation des prélèvements obligatoires. Il aurait fallu s’interroger moins sur le type de dépenses publiques concerné par la réduction que sur leur qualité et sur les moyens d’en diminuer le volume sans réduire la qualité des prestations et des services dans des domaines aussi importants que l’éducation ou la santé.

Les effets sur la productivité

La dissipation des gains initiaux ne peut être évitée que si un accroissement de la productivité du travail compense les hausses de salaires, impliquant une stabilisation sinon une diminution du coût salarial unitaire. Les mesures requises doivent donc conduire à la hausse des investissements. La recherche d’une meilleure compétitivité prix en abaissant les coûts doit être articulée avec la recherche d’une compétitivité hors prix à moyen terme grâce à l’investissement.

Or si l’un des effets recherché des mesures d’abaissement du coût salarial est la substitution de travail au capital, il se pourrait bien que ce soit au détriment de l’investissement consistant à introduire de nouveaux équipements augmentant la productivité du travail.

Ce qui semble avéré, c’est que les mesures d’allégement du coût du travail sur les bas salaires ont incité les entreprises à conserver des méthodes de production faisant un usage important de travail non qualifié et, corrélativement, à ne pas s’engager dans des investissements en équipement et en capital humain impliquant de devoir supporter des coûts élevés avant de pouvoir en obtenir les revenus. Dès lors, il semble effectivement manifeste qu’en stimulant la création d’emplois dans les secteurs qui connaissent une faible progression de leur productivité du travail, la politique d’allégement du coût du travail a participé à l’affaiblissement de la croissance de la productivité et donc du potentiel de croissance de l’économie française au cours des dernières décennies.

L’importance du ciblage des mesures

En focalisant les allégements du coût du travail sur les secteurs exposés, le résultat est une amélioration du solde extérieur et 130 000 emplois créés à horizon de dix ans, dont 77 000 dans l’industrie. En focalisant sur les secteurs abrités, non seulement le solde extérieur n’est pratiquement pas affecté, mais la création d’emplois à dix ans est seulement de 43 000. Le supplément de création d’emplois industriels explique à lui seul l’écart constaté. Le contraste entre les deux scénarios a le mérite de montrer qu’il n’y a pas forcément contradiction entre l’objectif d’emploi et l’objectif de compétitivité, pourvu de considérer les effets à moyen terme. Le résultat ainsi obtenu est dû à la hausse de la productivité du travail qui est ici un effet de structure, puisqu’elle tient à ce que ce sont les secteurs où la productivité est la plus forte qui sont privilégiés.

Les scénarios ciblant les tranches de salaires et non les secteurs nuancent les résultats mais ne les invalident pas. Suivant que le ciblage porte sur les salaires relativement élevés ou sur les bas salaires, les créations d’emploi sont identiques mais elles ne concernent pas les mêmes secteurs. Les créations d’emplois sont plus nombreuses dans l’industrie et les services à l’industrie dans le premier scénario que dans le second. Ce qui peut expliquer une croissance plus forte.

En guise de conclusion

Le traitement du problème au moyen du modèle Nemesis semble particulièrement adapté en raison de deux caractéristiques essentielles : c’est un modèle qui explicite des effets à moyen terme et c’est un modèle multisectoriel. Il reste que ce modèle, comme d’autres, souffre d’une insuffisante analyse des déterminants de l’investissement à laquelle il faut ajouter l’insuffisance de l’analyse d’impact de possibles variations de la dépense publique.

L’un des atouts du modèle est de prendre en considération les dépenses de R&D et leurs effets au cours du temps. Mais, d’une part, les mécanismes en question ne semblent pas avoir été activés dans les simulations proposées, les hausses de productivité étant le résultat des seuls effets de structuration du système productif. D’autre part, les déterminants et les effets de l’investissement ne sont pas précisés, rendant difficile l’appréciation.

La question de la compensation des mesures dans la perspective d’un équilibre des comptes publics est manifestement jugée importante, mais rien dans le modèle ne semble permettre une évaluation d’une compensation basée sur une restructuration de la dépense publique, impliquant de considérer des effets multiplicateurs différenciés suivant le type de dépense.


Jean-Luc Gaffard

Jean-Luc Gaffard est Professeur d’Economie à l’Université de Nice Sophia Antipolis et  à SKEMA Business School. Il est directeur du Département de Recherche sur l’Innovation et...

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