Le rôle de la Chine sur l’évolution de l’industrie américaine

Politiquement, les Etats-Unis seraient à la croisée des chemins après l’échec des Démocrates lors des mid-term elections en novembre 2014. L’élection présidentielle qui choisira le successeur de Barack Obama à la Maison Blanche aura lieu à l’automne 2016. Sur le plan économique, pourtant, la situation est au beau fixe

Politiquement, les Etats-Unis seraient à la croisée des chemins après l’échec des Démocrates lors des mid-term elections en novembre 2014. L’élection présidentielle qui choisira le successeur de Barack Obama à la Maison Blanche aura lieu à l’automne 2016. Sur le plan économique, pourtant, la situation est au beau fixe et personne n’envisage une réduction de la croissance en 2015, ou même l’année suivante. La baisse du prix du pétrole et du gaz naturel est un avantage certain : même la Présidente de la Réserve Fédérale Janet Yellen y voit un effet positif pour la croissance. Particulièrement nette outre-Atlantique, la baisse du prix du gallon (autour de 2 dollars contre 3,3 dollars début 2014) a toutes les chances de doper la consommation aux Etats-Unis – grâce aux économies réalisés en carburant, les Américains vont pouvoir se reporter sur d’autres achats.

Certes, les régions ayant directement bénéficié du pétrole et du gaz de schiste depuis quelques années risquent de souffrir. Cependant, sur le long terme, elles seront gagnantes et attirent déjà un nombre d’investisseurs croissant. La taille du marché américain le rend toujours aussi attractif aux yeux des pays asiatiques, le Japon depuis les années 1970, la Corée du sud depuis les années 1990, et la Chine plus récemment. Dans le sud des Etats-Unis, le niveau des salaires dans l’industrie est inférieur à celui de nombreux pays industrialisés, ce qui fait des Etats-Unis un concurrent redoutable vis-à-vis des autres pays récipiendaires d’investissements directs à l’étranger (IDE). Depuis cinq ans, la Chine est le pays asiatique qui s’est le plus intéressé aux Etats-Unis. Selon le Rhodium Group, qui a réalisé une étude sur les investissements chinois à l’international, la Chine y aurait investi 47,5 milliards de dollars entre 2000 et 2014. A titre d’exemple, les investissements chinois sont passés de 1 milliard de dollars par an en 2008 à 14 milliards par an en 2013 – y compris des acquisitions immobilières importantes comme l’hôtel Waldorf Astoria (acheté pour 1,95 milliard de dollars par un groupe proche de la famille de Deng Xiaoping). Pour le ministère du commerce chinois, la Chine aurait investi 17,5 milliards de dollars au cours de l’année 2012. Selon d’autres experts, le montant réel serait supérieur. Il s’agit d’un retournement de situation, qui démontre s’il en était besoin le poids de la Chine dans l’économie mondiale.

De leur côté, les multinationales américaines ont beaucoup investi en Chine entre 1995 et 2010, appâtées par un « grand marché chinois » qui, dans certains cas, tarde à se matérialiser depuis que les autorités chinoises ont mis en place des outils de protection en faveur des entreprises locales (comme la loi anti-monopole qui vise souvent les firmes étrangères). Mais en réalité l’investissement américain cumulé en Chine n’atteindrait que 70 milliards de dollars, soit un chiffre proche de l’investissement chinois aux USA [1]. Chacun sait par ailleurs que le déficit commercial sino-américain atteint 314 milliards de dollars au profit de la Chine. Autant de raisons pour les deux premières puissances économiques mondiales de développer leurs relations, notamment à travers la négociation –un peu laborieuse- d’un traité bilatéral sur les investissements.

Une part non négligeable des investissements chinois se concentre sur le sud du pays, où certains Etats américains pratiquent une politique fiscale attractive et un droit du travail favorable aux employeurs.

En avril 2014, le Boston Consulting Group (BCG) publiait une étude démontrant que les Etats-Unis se plaçaient juste derrière la Chine en termes de compétitivité dans le secteur industriel. Harold Sirkin, du BCG, estime que « des Etats américains comme l’Alabama, la Caroline du Sud et le Tennessee sont sur le point de devenir des sites de production parmi les moins chers du monde industrialisé » [2]. Parmi les cas les plus flagrants de « nouveaux investisseurs », on retrouve Haier (dont le premier investissement aux Etats-Unis remonte à 2001) et Lenovo. Ces deux géants industriels chinois (respectivement dans l’électro-ménager et l’informatique) détiennent des sites de production dans le sud des Etats-Unis. Cela démontre la montée en puissance des investisseurs chinois aux Etats-Unis, comme dans le reste du monde d’ailleurs [3]. En août dernier, la revue Southern Business & Development se réjouissait de l’évolution des investissements chinois aux Etats-Unis en 2014 : « Enfin, les entreprises chinoises se trouvent dans l’obligation d’investir aux Etats-Unis » écrit le rédacteur en chef Mike Randle, pour qui 4,3 milliards de dollars (sur un total de 6 milliards pour l’ensemble des USA) a été investi par la Chine dans le sud du pays [4].

Parmi les exemples d’investissements chinois dans le sud des Etats-Unis (1er trimestre 2014), il faut noter :

  • Le plus important investissement venu de Chine s’élève à 1,85 milliard de dollars. Yuhuang Chemical construit une usine près du fleuve Mississippi
  • Le rachat d’une usine Motorola par Lenovo en Caroline du Nord dans le secteur de l’informatique.
  • Golden Dragon, un groupe chinois spécialisé dans le cuivre a ouvert en 2014 une usine pour un montant de 100 millions de dollars.
  • Le groupe FI USA de Hong Kong a ouvert une usine de chaussures à Jefferson City, Tennesse.
  • Shandong Tranlin Paper, une société spécialisée dans le bois a investi 2 milliards de dollars pour mettre en place une unité de protection à Richmond, Virginie.
  • TDC Cutting Tools a ouvert une usine, investissant ainsi 8.2 millions de dollars et recrutant 38 employés.

Tous ces exemples participent d’un rapprochement économique entre les deux pays qui était à l’agenda de la visite de Barack Obama à Pékin en novembre 2014 même si les aspects politico-stratégiques ne sont jamais absents des relations sino-américaines. Outre les accords sur le climat et sur l’immigration, ce rapprochement comprend une réduction du déficit commercial, souhaitée de part et d’autre. De nombreux projets industriels chinois sont à l’étude au niveau des Etats et des municipalités américaines. Dans tous les cas, les investisseurs chinois sont en discussion directe avec les Etats plutôt qu’avec le gouvernement fédéral (ce dernier étant uniquement consulté sur les sujets d’investissements sensibles par exemple dans la défense, l’aéronautique, les télécommunications…). Quoi qu’il en soit, la hausse des coûts de production en Chine, associée à une baisse des coûts dans les Etats américains du sud, est de nature à attirer ces investissements, ce qui semble satisfaire l’Administration Obama. Le président lui-même n’avait-il pas déclaré en 2007 que la Chine et les USA n’étaient « ni des amis, ni des ennemis… mais des concurrents » ?


[1] Rosen (Daniel) et Hanemann (Thilo): New realities in the US-China Investment relationship, 2014, Rhodium Group
[2] Philips (M.) et Bachman (J.): Made in Memphis, Bloomberg Businessweek, 9 août 2014
[3] Le Corre (Ph.) et Sepulchre (A.) : L’Offensive chinoise en Europe, Fayard, 2015
[4] Randle (M.) : Chinese investment surfacing in the South? Yes, finally, Southern Business & Development, été 2014


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 L’offensive chinoise en Europe Les entreprises chinoises sont parties à la conquête de l’Europe et ont fait leur entrée dans notre paysage, occupant une place grandissante dans l’économie européenne, employant déjà des milliers de salariés. Elles s’adaptent tant bien que mal à notre continent. Comment s’est effectuée cette « offensive » ? Ces entreprises sont-elles de bons employeurs au regard des pratiques occidentales ? Comment concilier ces derniers avec les recettes qui leur réussissent en Chine : relations privilégiées, rôle du politique et pression sociale ? À l’heure du réveil nationaliste, quel accueil est réservé à ces nouveaux venus ?

Philippe Le Corre

Philippe Le Corre est chercheur à la Brookings Institution (Washington) et enseigne à Sciences Po depuis 2005. Il a été journaliste, correspondant en Asie de grands médias...

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