Le robot tue-t-il l’emploi ?

Plus de 350 lycéens sont venus participer à la première séance du cycle de « rencontre écoles-entreprises », qui s’est tenue le 23 février 2017 à la cité des sciences et de l’industrie et la cité des métiers. Un quiz était animé tout au long de la séance. Félicitations aux  lycéens de première STI2D du lycée Jules Richard, grands vainqueurs de ce quiz !

Robotisation, automatisation, numérique : de quoi parle-t-on ?

Serge Tisseron, psychiatre et membre de l’Académie des technologies

Qu’est-ce qu’un robot ? La meilleure définition est celle de Norbert Wiener, qu’il a donnée dans les années 1950. Un robot est un système qui associe trois éléments en interaction : des capteurs pouvant recueillir des données, des programmes permettant de gérer des informations, les stocker et les utiliser, et enfin des effecteurs permettant au robot d’agir sur son environnement.

À partir de là, différentes nuances sont possibles. Pour certains, l’action du robot est nécessairement tangible, sur le monde physique, comme déplacer des caisses ou actionner une machine. Pour d’autres, agir sur le réseau comme les robots traders qui envoient des informations à la bourse, fait encore partie de la définition. Un débat analogue existe au sujet des actions émotionnelles, comme dans le cas des robots destinés aux personnes âgées dans les établissements spécialisés pour leur tenir compagnie.

À ces trois caractéristiques définies par Norbert Wiener, le robot peut également associer des capacités d’apprentissage, d’empathie (il est capable d’interagir avec les humains et de percevoir leurs émotions) voire d’émotion artificielle (doté d’un visage humanoïde ou androïde, il peut imiter l’émotion humaine). Il ne faut toutefois pas céder à l’idéalisation des robots, qui est d’ailleurs le principal ressort de la crainte que certains en ont. Ils ne sont que des automates programmés par les hommes et inventés par eux pour augmenter leurs capacités et les appuyer. C’est notamment le cas des robots collaboratifs (« cobots »), qui peuvent travailler seuls ou en collaboration, avec un humain pour l’aider, lui faire des suggestions dans une interaction ou lui laisser totalement la main. Le cobot ne peut toutefois pas s’adapter à toutes les situations, l’homme reste indispensable sur certaines tâches. La gestion de ces robots demande de fortes compétences et qualifications.

Vincent Cheminel de Stäubli Robotics

Le cobot ne remplace pas l’homme mais au contraire l’aide en lui apportant une plus-value dans son travail au quotidien. À terme, l’idée serait que les robots effectuent des tâches difficiles et à faible valeur ajoutée et qu’on laisse à l’homme les tâches les plus complexes et à plus haute valeur ajoutée.

Quel impact des robots sur l’emploi ?

Laurent Braquet, enseignant et formateur de SES

Outre la robotisation dont on parle aujourd’hui, il y a un débat très ancien sur le lien entre l’introduction du progrès technique et ses conséquences sur l’emploi et sur le travail. Dès la révolution industrielle au XVIIIe siècle, émerge une contestation du progrès technique dans le secteur textile, dont certains craignent qu’il fasse disparaitre le travail de l’homme. Certains ouvriers sillonnaient les campagnes anglaises pour tenter de détruire les machines, qu’ils considéraient comme une concurrence pour leurs emplois. Au XIXe siècle, de grands économistes se sont intéressés à ces questions, comme Jean de Sismondi qui pose le problème en disant : « si le machinisme arrivait à un tel degré de perfection que le roi d’Angleterre pût en tournant une manivelle produire tout ce qui serait nécessaire aux besoins de la population, qu’adviendrait-il de la nation anglaise ? ».

Les économistes appellent aujourd’hui « chômage technologique » cette part des emplois remplacés du fait de l’introduction de machine. Alfred Sauvy montrait justement que le progrès technique ou l’introduction de la machine détruisait des emplois mais créait de la productivité. Lorsque l’on produit de manière efficace, on crée un surplus de richesse qui est ensuite réparti – augmentation des salaires, des profits, réduction des prix – permettant ainsi aux consommateurs d’augmenter leur pouvoir d’achat et aux entreprises de créer de nouveaux emplois.

Il faut donc réfléchir à la manière dont on veut répartir les gains de productivité induits par les changements en cours. La robotique crée de nouvelles possibilités et peut libérer du temps de travail. Qu’allons-nous faire de ce temps ? La politique économique et les choix de société sont des éléments très importants de la réponse. De nouveaux emplois peuvent être créés, notamment dans des secteurs comme la silver économy. L’enjeu est de répartir les gains de productivité et de faire face aux inégalités qui risquent de se creuser entre travailleurs qualifiés et non qualifiés sur le marché du travail.

On remarque que l’Allemagne, qui a le plus investi dans les robots en Europe, est celui qui enregistre un taux chômage plus faible. L’Europe et la France ont un retard assez net par rapport à ce pays. La France doit donc miser sur l’innovation et la robotisation pour être compétitive dans le futur, à l’instar de la Chine qui poursuit cette tendance en devenant ainsi le champion de la robotisation.

Vincent Cheminel

Le premier marché de Stäubli est la Chine (70 000 robots vendus chaque année, contre 3 000 en France). Entre 2010 à 2015, la France est passée de 35 000 robots installés à 32 000. Lorsque l’on compare le parc de robots installés, la France est nettement en retard par rapport à l’Allemagne (six fois plus), la Chine, les États-Unis, la Corée du Sud, le Japon… La France doit se mettre à niveau et robotiser pour répondre à la compétitivité mondiale. Ce retard s’explique par le manque de renouvellement du parc industriel, par des facteurs culturels (les premiers robots industriels datent de 1960 et on est encore en train d’en débattre aujourd’hui) et par la délocalisation de certaines productions dans les pays de l’Europe de l’Est et d’Asie. Nous sommes toutefois optimistes : les plans « Industrie du futur » en France et « Industrie 4.0 » en Allemagne ont permis de sensibiliser les gens au numérique et à la robotisation.

Serge Tisseron

Il existe de réelles différences culturelles dans la manière d’appréhender le robot. Les pays asiatiques n’ont pas la même perception de l’automate que les pays occidentaux. La culture japonaise intègre très facilement la représentation d’une machine animée comme susceptible d’être dotée d’un esprit et d’une âme. Le robot n’est pas perçu comme un ennemi mais plutôt comme un compagnon. C’est la robotique intégrée. À l’opposé, la culture nord-américaine est axée sur la robotique distribuée : des objets quotidiens dotés d’automatismes, conçus pour gérer des tâches seuls et moyennant des programmes qui interagissent entre eux (machine à café, aspirateur, véhicule autonome…). Nous avons donc deux modèles distincts. C’est dans le second que l’on retrouve les robots industriels et les cobots.

Qu’est-ce que le numérique change aux conditions de travail ?

Vincent Cheminel

Le groupe Stäubli existe depuis 1892. C’est une entreprise familiale suisse, qui investit massivement en France depuis 1909. Son usine mère est située près d’Annecy. C’est la seule usine dans le monde qui fabrique des robots de la marque Stäubli. Avant d’automatiser la production, le site comptait 900 salariés. Aujourd’hui, il y a 1 200 salariés et une cinquantaine de robots dans l’usine de Faverges, en Haute-Savoie. L’automatisation a permis de créer de l’emploi et de rester compétitif. Ainsi les nouveaux projets ont été développés dans l’usine mère en France au lieu de délocaliser dans d’autres pays. On perçoit énormément de messages négatifs autour de l’automatisation alors que c’est avant tout un progrès technique qui est là pour seconder l’homme et le soulager. Les tâches massivement robotisées sont principalement des applications simples, répétitives, ingrates, situées dans certains environnements difficiles où les opérations sont dangereuses pour l’homme. L’automatisation est synonyme de productivité et de sécurité.

Le groupe Stäubli recrute une centaine de personnes par an (profils allant de l’ingénieur et au développeur de logiciels jusqu’au chargé des ressources humaines…) notamment à cause des départs à la retraite. L’entreprise a du mal à recruter, comme beaucoup de ses clients et de ses sous-traitants. Avec le numérique, de nouveaux postes plus qualifiés sont à pourvoir aujourd’hui (ingénieurs d’études en R&D, roboticiens, automaticiens, techniciens de maintenance…). Les postes à plus faible valeur ajoutée comme les opérateurs ou manutentionnaires sont amenés à disparaître.

Vidéo intégrale de la séance 

 

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