Parcours de travailleurs dans une économie mondialisée

Parcours de travailleurs dans une économie mondialisée

Homme assis (titre attribué : L'architecte), 1913-1914, Roger de La Fresnaye, Musée des Beaux-Arts de Rouen © Centre Pompidou, MNAM-CCI, Dist. RMN-Grand Palais / Philippe Migeat

 

Préface

La mondialisation est incontournable. Elle a permis de sortir de la pauvreté des centaines de millions de personnes. Le commerce avec les autres pays du monde peut être bénéfique à la croissance et, dans certaines conditions aussi à l’emploi local.

Cette étude de La Fabrique de l’industrie démontre même que le risque de licenciement économique des travailleurs est plus faible dans l’industrie, pourtant fortement exposée à la concurrence internationale, que dans d’autres secteurs plus protégés. Ce résultat est important, alors que le protectionnisme gagne du terrain dans l’opinion publique et que la mondialisation reste un objet de méfiance pour beaucoup.

Le bassin d’emploi de Vitré, (et la ville dont je suis maire depuis 1977), est l’exemple de la réussite d‘un territoire ouvert sur le monde. Le chômage est de 4,8 %, 40 % de l’emploi est industriel et la majorité des entreprises évolue dans le marché concurrentiel mondialisé.

Un territoire a tout intérêt à attirer des emplois « mondialisés » : ce n’est pas seulement qu’ils génèrent de la croissance, c’est aussi qu’ils sont plus productifs et souvent mieux payés1. Cependant, c’est aussi prendre des risques puisque ces emplois sont par définition vulnérables aux chocs de commerce. Cet ouvrage d’Eugénie Tenezakis et Philippe Frocrain permet de comprendre comment opère cette vulnérabilité. Il montre en effet que les travailleurs licenciés de l’industrie ont plus de mal que les autres à retrouver un emploi : trois ans après un licenciement économique, plus de la moitié d’entre eux sont encore au chômage.

À Vitré, nous connaissons bien cette problématique : les trois quarts des emplois industriels des années 1970, dans le machinisme agricole, le textile, le cuir, les chaussures et le jouet, ont disparu. C’est tout un vivier de travailleurs très spécialisés qui s’est alors retrouvé sans perspectives d’emploi sur le territoire. Ces travailleurs doivent alors choisir, comme le montrent les auteurs, entre le pari de se reconvertir et celui d’émigrer vers d’autres régions où leur spécialisation industrielle est encore présente. La reconversion est souvent difficile, puisque les compétences et savoir-faire industriels sont très spécifiques et donc difficilement « recyclables ». Cette étude montre que cela se traduit par des baisses de salaires conséquentes pour les salariés ayant quitté l’industrie pour aller travailler dans un autre secteur.

Ce constat souligne, s’il en était besoin, l’absolue nécessité d’améliorer les politiques de formation et d’accompagnement des chômeurs. Cela doit permettre aux travailleurs licenciés de retrouver plus facilement un emploi dans les activités en croissance, et limiter au maximum la baisse salariale qui s’ensuit. L’expérience menée à Vitré nous a enseigné que la réussite industrielle d’un territoire tirant parti de la compétition mondiale allait de pair avec des efforts importants en matière de formation et d’accompagnement des chômeurs. Vitré Communauté est à l’origine de La maison de l’emploi, de l’entreprise et de la formation (MEEF) du Pays de Vitré. Dirigée par la responsable de Pôle Emploi, la MEEF regroupe dans un seul bâtiment 10 structures œuvrant dans les domaines de l’emploi, de la formation et de l’insertion. Elle est une référence reconnue pour son efficacité, 75 personnes y travaillent au quotidien. Outre Pôle emploi, collaborent à un objectif commun, la Mission locale, le service Insertion, le Centre d’information et d’orientation (CIO), la Chambre de commerce et d’industrie (CCI), la Chambre des métiers et la Chambre d’agriculture. La réunion de ces institutions augmente considérablement l’efficacité de l’accompagnement des salariés licenciés et particulièrement des chômeurs longue durée. De plus, sur 4 sites, 200 artisans et gens de métier en retraite transmettent bénévolement leur savoir-faire à des jeunes de 9 à 14 ans. C’est un formidable moyen pour orienter ces derniers vers des métiers technique, et pour valoriser l’intelligence des mains.

Cette étude souligne l’importance de la mobilisation de toutes les parties prenantes d’un territoire, pour renforcer le tissu productif et favoriser les perspectives d’emploi. Elle insiste également sur l’importance de la formation continue, afin que les salariés disposent des compétences qu’exige un marché du travail en perpétuelle mutation.

Pierre Méhaignerie,
Maire de Vitré et président de Vitré Communauté

  • 1. Voir Frocrain et Giraud (2016)

 

Remerciements

Cette étude réalisée par La Fabrique de l’industrie a bénéficié des commentaires, des contributions ou de la relecture de nombreux experts qui nous ont permis d’enrichir ce travail.

Nous remercions en particulier Pierre-Noël Giraud (Mines ParisTech et Université Paris Dauphine), Romain Bizet (Cerna – MINES ParisTech), Paul-Hervé Tamokoué Kamga (Cerna – MINES ParisTech), Claude Picart (INSEE), Olivier Bouba-Olga (CRIEF – Université de Poitiers), David Cousquer (Trendeo), El Mouhoub Mouhoud (DIAL – Université Paris Dauphine), Pauline Charnoz (DREES), Michaël Orand (DARES), Paul Swaim (OCDE), Ann Vourc’h (OCDE), Christopher Prinz (OCDE), Lea Toulemon (École d’Économie de Paris), Lexane Weber-Baghdiguian (École d’Économie de Paris), Dimitri Pleplé (Groupe PSA), Pierre Veltz, Antonio Molina (Groupe Mäder), Thierry Weil (La Fabrique de l’industrie), Vincent Charlet (La Fabrique de l’industrie) et l’équipe du Centre d’accès sécurisé aux données (CASD) pour leur aide précieuse.

Les conclusions de cette note n’engagent en rien ces personnes. Nous assumons par ailleurs l’entière responsabilité des erreurs qui pourraient subsister dans ce document.

Résumé

Les avantages économiques de la mondialisation sont solidement établis : elle est associée à la croissance économique, à l’augmentation de la productivité des firmes ou encore à l’élargissement de l’éventail de produits accessibles aux consommateurs. La mondialisation joue peu sur le volume global d’emplois à long terme, mais les économistes admettent qu’elle ne bénéficie pas à tous les travailleurs : elle crée des gagnants et des perdants. L’intensification du commerce international, au même titre que l’essor des nouvelles technologies, contribue à la hausse des inégalités salariales et modifie la structure de l’emploi. En outre, du fait de la concentration géographique des activités exposées à la concurrence internationale, les effets négatifs de la mondialisation peuvent être concentrés sur un petit nombre de territoires et d’individus, ce qui les rend très visibles.

Cette note s’intéresse au parcours des individus licenciés à la suite de la fermeture de leur site en France entre 1998 et 2010. Parmi eux, on trouve majoritairement des hommes, des jeunes et des travailleurs faiblement, voire moyennement qualifiés. Contrairement à une opinion répandue, le taux de licenciement économique dans le secteur manufacturier, très exposé à la concurrence internationale, est plus faible que dans les services exposés et surtout le secteur abrité. Autrement dit, le repli de l’emploi dans le secteur industriel ne s’explique pas tant par le fait qu’on y ferme plus d’entreprises que par le fait qu’on y crée moins d’emploi.

Les salariés licenciés de l’industrie ont en revanche une probabilité plus faible de retrouver un emploi. Ils souffrent également d’une baisse de salaire plus importante et plus durable dans leur nouvel emploi. Cette différence est en partie due aux caractéristiques sociodémographiques des travailleurs mais il existe également un effet spécifique au secteur manufacturier. Ce dernier s’explique par la concentration géographique des activités de ce secteur et par la spécificité du capital humain de ses travailleurs. La première rend plus difficile ou plus coûteux de retrouver un emploi dans la même activité, en raison de la distance séparant les sites de production. Les individus licenciés de l’industrie doivent plus souvent que les autres faire un choix entre changer de région et changer de secteur, ce qui présente toujours un coût et freine leur retour à l’emploi. La spécificité du capital humain des travailleurs de l’industrie, quant à elle, rend leurs compétences moins transférables et aggrave les pertes salariales dans leur nouvel emploi.

Cette représentation est corroborée par les faits : pour retrouver un emploi, les travailleurs licenciés du secteur manufacturier sont plus souvent amenés à changer d’activité (57 % contre 36 % pour ceux du secteur abrité) et de métier (49 % contre 37 %). Lorsqu’ils changent de secteur, les travailleurs de l’industrie subissent également une baisse de revenu plus importante dans leur nouvel emploi (-35 % contre -26 % pour ceux du secteur abrité), marquant la faible transférabilité de leurs compétences. Nous montrons également que 40 % des salariés licenciés du secteur manufacturier sont réemployés dans le secteur abrité, le plus souvent dans des emplois dits de proximité, plus précaires et moins qualifiés que les postes des salariés qui restent dans l’industrie.

Ces résultats alimentent le débat sur l’aide à apporter aux perdants de la mondialisation. D’une part, ils justifient les politiques de compensation salariale ciblant les individus les plus vulnérables, victimes d’un « choc commercial ». D’autre part, ils confirment la nécessité d’améliorer les politiques de formation pour permettre aux travailleurs licenciés de retrouver plus facilement un emploi dans les activités en croissance.

Introduction

Les fermetures et rachats d’entreprises ravivent régulièrement le débat, déjà très ancien, sur les bénéfices de la mondialisation. Si la plupart des économistes sont convaincus que l’ouverture commerciale et financière des économies est un processus globalement gagnant (Crozet et Orefice, 2017), ils admettent également que celle-ci crée des perdants dans tous les pays.

D’un côté, le double processus de destruction et de création d’emploi est normal dans une économie dynamique. Tous les jours, dans tous les secteurs, des individus perdent leur emploi. Et quotidiennement, à peu près en nombre équivalent, d’autres sont embauchés. D’un autre côté, les fermetures de sites suscitent des inquiétudes légitimes quand l’entreprise représente une part substantielle de l’économie locale : GM&S, équipementier automobile, était par exemple le deuxième employeur privé du département de la Creuse. C’est encore plus vrai lorsque ces fermetures touchent des professions et des territoires offrant peu de perspectives de reconversion.

La question de savoir qui et combien sont les actifs « gagnants » et « perdants » de la mondialisation n’est pas scientifiquement close. Une manière d’y répondre est d’étudier le parcours des salariés licenciés pour des raisons économiques, selon qu’ils proviennent d’un secteur directement exposé à la concurrence internationale – l’industrie manufacturière ainsi que certains secteurs des services – ou au contraire d’un secteur qui en est abrité. C’est le propos de cette note.

La recherche économique, qui s’est essentiellement attachée à évaluer les effets de la mondialisation sur les inégalités de salaires ou sur les taux de chômage locaux, est encore assez discrète sur ce point. Plus précisément, elle s’est largement penchée sur le devenir des individus licenciés, mais en cherchant rarement à distinguer les salariés exposés des salariés abrités2.

Or notre étude montre que le risque d’être licencié est plus faible lorsqu’on travaille dans un secteur exposé à la concurrence internationale, ce qui peut sembler contre-intuitif. En contrepoint, les salariés licenciés de l’industrie manufacturière, secteur très exposé à la mondialisation, ont plus de difficultés à retrouver un emploi (mais ceux des services exposés sont ceux qui s’en sortent le mieux). De surcroît, ceux qui retrouvent un emploi sont plus souvent amenés à changer d’activité ou de métier, au risque de ne plus pouvoir valoriser une partie de leurs compétences et de connaître une baisse de leur rémunération. Ces résultats éclairent le débat sur la mise en place de mécanismes de compensation et d’accompagnement ciblés sur les travailleurs les plus vulnérables.

La première partie de cette note montre comment la mondialisation modifie la structure du marché du travail plus qu’elle n’en affecte le volume. La deuxième partie examine le retour à l’emploi de salariés français licenciés du fait de la fermeture d’un site de production, en distinguant les secteurs exposés et abrités. La note traite en conclusion des mécanismes destinés à réduire le nombre de perdants ou à compenser leurs pertes.

  • 2. Seules deux études opèrent cette distinction (Kletzer, 2001 ; Eliasson et Hansson, 2016) et aucune ne s’intéresse à la France.
Chapitre 1

La mondialisation modifie la structure de l’emploi

À qui profite la mondialisation ? Est-elle responsable du chômage de masse ? Ces questions reviennent sans cesse dans le débat public. Selon un sondage récent (Ipsos, 2017), seulement 26 % des Français voient la mondialisation comme une opportunité pour le pays, contre une moyenne de 42 % pour les personnes des 22 pays interrogés. La question ne reste pourtant pas totalement sans réponse scientifique aujourd’hui : la littérature économique apporte en effet des éclairages utiles sur les effets de la mondialisation sur le marché du travail.

1. Les délocalisations ont un impact très limité sur l’emploi

Les délocalisations constituent sans doute l’avatar le plus médiatisé de l’ouverture aux échanges de marchandises et de capitaux. Elles sont régulièrement mises en avant pour illustrer ce que serait le versant négatif de la mondialisation : les pertes d’emploi sur le territoire national, au profit de pays à coûts de production moindres. Il est vrai que la presse abonde d’exemples : récemment, par exemple, nous avons connu les cas de Whirlpool à Amiens, GM&S à La Souterraine, Tupperware à Joué-lès-Tours, la Seita à Riom, etc. Mais il faut rappeler que ce phénomène n’est pas nouveau et surtout que son impact sur le marché du travail n’est pas aussi fort qu’on pourrait le penser.

Les premiers cas de délocalisation apparaissent au début des années 1970 et concernent quelques industries traditionnelles comme le textile et l’habillement. Les écarts de coût du travail entre pays en sont un facteur déterminant mais pas exclusif : certains pays émergents disposent en effet d’un savoir-faire reconnu dans ces productions, d’une main-d’œuvre qualifiée et flexible, alors que les compétences viennent parfois à manquer dans les pays industrialisés. C’est ainsi par exemple que, par suite du durcissement de la politique migratoire helvétique à partir de 1964, l’horlogerie suisse est confrontée à une pénurie de main-d’œuvre qualifiée qui explique une partie des délocalisations vers Hong Kong (Arthuis, 1993).

C’est à partir du début des années 1990, avec la sortie du rapport Arthuis estimant à 2,5 millions le nombre d’emplois directement menacés par les délocalisations, que les craintes se manifestent réellement. Avec l’effondrement du bloc soviétique, la baisse drastique des coûts des télécommunications, l’avènement d’Internet et la multiplication des accords de libre-échange, l’heure est à l’approfondissement de la mondialisation. À peu près stable entre 1980 et 1995, la part des échanges commerciaux dans le PIB français repart à la hausse et bondit de 7 points en quelques années (Figure 1). À cette période, les délocalisations gagnent de l’ampleur et s’étendent à d’autres industries (chaussure, jouet, électronique grand public) et au secteur des services (centres d’appels, conception de logiciels, saisie et traitement de données). Depuis, la question de l’effet des délocalisations sur l’emploi resurgit régulièrement dans le débat public : lors de la dernière campagne présidentielle, Marine Le Pen et Emmanuel Macron se sont livré bataille devant les ouvriers de l’usine Whirlpool d’Amiens, fermée pour cause de délocalisation en Pologne.

 

Figure 1 – Part des échanges commerciaux dans le PIB de la France

Source : Insee

 

Sur cette question, Barlet, Blanchet et Crusson (2009) constatent qu’il a « toujours été difficile de concilier la perception qu’en ont une majorité d’économistes et celle qu’en ont l’opinion publique ou les acteurs directement concernés ». Les économistes tendent à évaluer les effets des délocalisations sur le solde global d’emplois à long terme, quand l’opinion publique se focalise sur les seules destructions d’emplois. Parmi les experts, il existe un consensus autour de l’idée que les emplois détruits par les délocalisations sont compensés, au moins en partie, par des créations dans le reste de l’économie. D’abord, au niveau des entreprises, la délocalisation de certaines activités peut permettre de réduire les coûts de production, de doper les ventes par l’augmentation des parts de marché et à terme de créer des emplois. Ensuite, au niveau de l’ensemble de l’économie, lorsque les prix de vente diminuent, parce que produire à l’étranger est moins cher, le pouvoir d’achat progresse au bénéfice d’autres activités créatrices d’emploi.

Chacun comprend pourtant que les nouvelles opportunités d’emploi ne concernent pas automatiquement les individus touchés par les délocalisations et que, ne serait-ce que pour cette raison, la question de l’ampleur des destructions d’emplois mérite qu’on s’y attarde. On retiendra des différentes estimations une fourchette comprise entre 7 000 et 35 000 emplois détruits par an sur la période 1995-20113. Par exemple, l’évaluation d’Aubert et Sillard, qui ne couvre que le secteur industriel, estime à 15 000 le nombre d’emplois délocalisés par an entre 1995 et 2003. Autrement dit, rapportées au total des suppressions d’emplois dans l’industrie (500 000 par an), les délocalisations ne concerneraient chaque année que 3 % des suppressions d’emplois.

Les délocalisations jouent donc un rôle très limité dans les destructions d’emplois en France. Par ailleurs, ces chiffrages ne prennent pas en compte les emplois créés grâce aux délocalisations, ni les délocalisations opérées dans le même temps vers la France, ni les créations d’emplois dans les entreprises exportatrices. Enfin et surtout, il est très difficile de savoir ce qui se serait passé en l’absence de délocalisations. Le progrès technique aurait peut-être détruit une partie des emplois délocalisés et certaines firmes auraient pu disparaître si elles n’avaient pas externalisé certaines activités4. Les estimations précédentes ne portent donc pas sur un effet net mais uniquement sur un effet brut. Pour toutes ces raisons, on peut redire avec assurance que les délocalisations représentent dans l’ensemble un phénomène d’importance marginale.

A contrario, il faut bien comprendre qu’elles ne constituent que l’un des modes de transfert d’activités vers l’étranger. Par exemple, un emploi peut disparaître dans un pays et réapparaître ailleurs parce que ce pays perd en compétitivité. C’est ce qui se passe par exemple lorsque les consommateurs français jugent que des produits fabriqués à l’étranger sont plus intéressants que les produits fabriqués en France. Des usines d’électroménager, de téléviseurs ou d’ordinateurs ferment alors en France sans qu’il s’agisse de délocalisation au sens strict5 : une entreprise étrangère concurrente a pris leur marché. C’est ce phénomène général, et non le seul cas réducteur des délocalisations, qu’il convient d’étudier pour appréhender réellement l’effet de la mondialisation sur l’emploi.

2. La mondialisation a peu d’effets sur le nombre global d’emplois

Pendant longtemps, les économistes ont ignoré les effets du commerce sur le volume total d’emplois. Ils se sont surtout attachés à mettre en évidence les avantages de la spécialisation, dans un contexte de libre-échange. On a longtemps cherché à savoir si le commerce était un jeu à somme nulle ou, au contraire, positive. Au début du xixe siècle, l’économiste anglais David Ricardo (1817) rompt avec la conception mercantiliste des échanges internationaux – qui considère l’échange international comme un jeu à somme nulle – et se distingue par sa théorie des avantages comparatifs. Selon cette dernière, un pays a un intérêt à se spécialiser dans la production de certains biens même s’il est meilleur que les autres pays dans la production de tous les biens. Ce résultat a priori peu intuitif repose sur le concept de coût d’opportunité. Il est cependant assez trivial si, comme Paul Samuelson (prix Nobel d’économie) s’adressant à un de ses amis physiciens, on l’applique non plus à deux pays mais à deux individus : « Vous conviendrez, cher ami, que moi, Paul Samuelson, je suis meilleur économiste que ma secrétaire. Il se trouve que je suis aussi bien meilleur dactylographe. Le plus simple bon sens ne commande-t-il pas cependant de lui donner mes manuscrits à taper ? C’est le théorème des avantages comparatifs de Ricardo.6 » La spécialisation des pays dans les productions pour lesquelles ils disposent d’un avantage comparatif doit conduire à un accroissement de leur richesse : le commerce international devient un jeu à somme positive. En Grande-Bretagne, la victoire intellectuelle de Ricardo joue un rôle décisif dans l’abrogation, en 1846, des lois protectionnistes qui visaient les importations de blé étranger (corn laws). Cette décision, suivie notamment par la signature du traité de libre-échange franco-britannique de 1860, marque le début de ce que certains auteurs qualifient de « première mondialisation7 ». Il faut attendre les années 1970, période marquant le début de la « deuxième mondialisation », pour retrouver une intensité des échanges commerciaux comparable à celle observée à la veille de la Première Guerre mondiale (Faubert, 2012).

Dans le cadre théorique de Ricardo, la spécialisation selon les avantages comparatifs induit une restructuration de l’économie, avec un déplacement de la main-d’œuvre des secteurs en déclin (importateurs) vers les secteurs dynamiques (exportateurs). Dans ce processus de destruction créatrice à l’origine des gains à l’échange, le retour à l’emploi est instantané et sans coût. De plus, le capital est supposé immobile entre les pays, de sorte que le modèle ignore la possibilité qu’une firme préfère produire directement à l’étranger plutôt qu’exporter. Enfin, le modèle n’explique pas les origines des avantages comparatifs et ne cherche pas à savoir s’ils résultent de conditions naturelles ou historiques ou si un État peut les infléchir.

Le modèle de Heckscher-Ohlin-Samuelson (HOS) prolonge le cadre de Ricardo en faisant reposer les avantages comparatifs sur les différences internationales d’abondance relative des facteurs de production. En clair, l’écart de salaire entre un ingénieur et un ouvrier est plus faible en France, où les ingénieurs sont relativement abondants, qu’au Bangladesh. La France aura donc intérêt à se spécialiser dans les productions les plus gourmandes en ingénieurs, quand le Bangladesh se spécialisera dans les productions intensives en ouvriers.

Pourtant, ce cadre décrit mal la réalité de la deuxième mondialisation. Selon Crozet (2009), au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, « une très large fraction des flux de commerce international ne semble pas répondre à l’argument des avantages comparatifs : ces échanges prennent place entre des pays partageant des structures économiques très proches et concernent, à l’importation comme à l’exportation, des biens similaires. L’image d’un commerce mondial dominé par des échanges Nord-Sud où les pays en développement exporteraient essentiellement des matières premières ou des biens intensifs en main-d’œuvre non qualifiée, et les pays développés des produits manufacturés à plus fort contenu technologique, ne tient plus. » Par ailleurs, ce modèle considère toujours que les travailleurs qui perdent leur emploi dans le secteur en déclin sont automatiquement réemployés dans le secteur en expansion, ignorant les enjeux liés à la reconversion et à la mobilité géographique de la main-d’œuvre.

Dans les années 1980 et 1990, les théoriciens du commerce international prennent en compte les nouvelles formes d’échanges internationaux, en particulier le développement de ces échanges croisés de produits similaires, que l’on nomme commerce intrabranche, entre économies similaires. Tout en montrant que certains pays peuvent théoriquement perdre à l’ouverture, parce que les activités économiques tendent à s’agglomérer dans certaines zones (Krugman et Venables, 1995), les économistes ne remettent pas en cause les gains à l’échange international, et en trouvent même de nouvelles sources. À la fin des années 1990, Paul Krugman, proclame ainsi que « la mondialisation n’est pas coupable »8. Il est vrai que le commerce intrabranche n’implique pas autant de restructurations industrielles que le commerce interbranche. Le commerce avec les pays émergents se réduit à la portion congrue et il existe alors un consensus assez fort autour de l’idée qu’il affecte peu le marché du travail (Crozet et Orefice, 2017).

À la fin des années 2000, le regard de Paul Krugman et de nombreux autres économistes évolue nettement. Sans remettre en cause le libre-échange, ils admettent que la mondialisation ne joue plus un rôle mineur dans la montée des inégalités et des problèmes d’emploi d’une partie de la main-d’œuvre. Les échanges commerciaux se sont en effet nettement intensifiés et élargis à de nombreuses activités de services, jusqu’alors relativement abritées de la concurrence internationale. Les produits chinois inondent les marchés, allant jusqu’à constituer près du quart des importations de biens manufacturés américaines en 2011, contre 4,5 % vingt ans auparavant (Acemoglu et al., 2016). Ces évolutions ont donné lieu à une nouvelle vague d’études mettant en évidence un rôle important du commerce avec les pays émergents sur les destructions d’emplois. Des travaux très récents estiment par exemple que la montée en puissance des importations chinoises expliquerait pas moins d’un quart du recul de l’emploi manufacturier aux États-Unis (Autor et al., 2013) et 13 % en France (Malgouyres, 2017). Ces nouvelles études montrent que le commerce avec la Chine peut avoir un fort impact sur certains secteurs et bassins d’emploi mais ne permettent pas de conclure sur l’effet net du commerce international sur l’emploi.

Finalement, si un consensus assez large se dégage parmi les économistes sur l’existence de gains globaux à l’ouverture commerciale, les travaux empiriques tentant de faire le lien entre le commerce international et l’évolution du nombre global d’emplois sont à ce jour moins tranchés. Un des problèmes des évaluations est qu’il est très difficile de dissocier les effets de la mondialisation de ce qui est dû aux caractéristiques propres de nos économies : le degré de flexibilité sur le marché du travail, l’efficacité du système scolaire et de la formation professionnelle, la fiscalité, etc. (Gazaniol, 2012). On peine également à dissocier les effets du progrès technique de ceux de la concurrence internationale, les deux phénomènes tendant à se renforcer mutuellement (Toubal et Reshef, 2017)9.

En dépit de ces réserves méthodologiques, les diverses revues de la littérature concluent à un effet globalement ténu du commerce international sur l’emploi10.

3. La mondialisation crée des gagnants et des perdants

Les conséquences de la mondialisation ne s’apprécient pas seulement sur la base du solde net entre les emplois créés et les emplois détruits, ni à l’aune du seul pouvoir d’achat moyen des ménages. Même quand la société gagne dans son ensemble, que ce soit en matière de valeur ajoutée et parfois aussi d’emplois nets créés, l’ouverture commerciale ne bénéficie pas à tous les travailleurs. Dit autrement, la mondialisation crée des gagnants et des perdants.

Les économistes Stolper et Samuelson démontraient déjà en 1941, dans un prolongement du modèle HOS, que les gains liés au commerce s’accompagnent d’une modification de la répartition des richesses au sein de l’économie, essentiellement en défaveur des travailleurs peu qualifiés et au bénéfice des travailleurs qualifiés. Mais ce cadre n’était cependant pas totalement adapté pour comprendre les phénomènes en jeu. D’abord, contrairement aux prédictions de Stolper et Samuelson, les inégalités entre qualifiés et peu qualifiés ont augmenté aussi dans de nombreux pays en développement (Goldberg et Pavcnik, 2007)11. Ensuite, la hausse de la demande en main-d’œuvre qualifiée dans les pays riches ne s’explique pas tant par le dynamisme des industries les plus intensives en main-d’œuvre qualifiée que par un recours croissant à ce type de travailleurs dans tous les segments industriels.

Pour comprendre la hausse généralisée des inégalités entre actifs qualifiés et peu qualifiés, il faut s’intéresser aux tâches réalisées par les travailleurs. Il faut également prendre en compte le fait que de nombreuses firmes se réorganisent sur une base mondiale et que, de plus en plus, les pays se spécialisent dans des gammes ou des segments de la chaîne de valeur d’un produit plutôt que dans des secteurs. Selon Pierre Veltz (2017), « le mot d’ordre est “Achetez vos composants partout, fabriquez partout, vendez partout.” Sous-entendu : là où c’est plus profitable pour vous, au cas par cas, opération par opération ». Sur la base de ce constat, et notamment du développement des investissements des multinationales américaines en direction du Mexique, Feenstra et Hanson (1997) proposent une explication de la montée des inégalités dans les pays du Sud et du Nord : à chaque fois que les entreprises des États-Unis délocalisent une nouvelle étape du processus de production d’un produit vers le Mexique, il s’agit de l’activité la moins intensive en tâches qualifiées. Mais, du point de vue du Mexique, cette nouvelle activité est plus intensive que les tâches réalisées précédemment. En conséquence, la demande de travailleurs qualifiés augmente au Mexique et celle de travailleurs non qualifiés diminue aux États-Unis ; les inégalités se creusent dans les deux pays et dans tous les secteurs. Récemment et dans le cas de la France, l’étude micro-économétrique de Carluccio et al. (2015) confirme que les délocalisations tendent à augmenter le salaire moyen dans les firmes concernées mais que cet effet varie selon les travailleurs : elles profitent aux travailleurs qualifiés et nuisent aux travailleurs moins qualifiés.

Les travailleurs moins qualifiés se révèlent donc particulièrement vulnérables face à la mondialisation. Ce constat appelle trois précisions. Primo, le progrès technique, à l’instar du commerce avec les pays en développement, tend souvent à favoriser les travailleurs qualifiés, de sorte qu’il est difficile de dissocier leurs effets respectifs. Secundo, une série de travaux récents ont mis en évidence un phénomène de polarisation du marché du travail, aux États-Unis (Autor et al., 2006 ; Autor et Dorn, 2013) et dans plusieurs pays européens (Goos et al., 2009) dont la France (Harrigan et al., 2016 ; Malgouyres, 2017 ; Charnoz et Orand, 2017). Suivant ce phénomène, la part dans l’emploi des professions peu rémunérées (et donc peu qualifiées) et très rémunérées (qualifiées) augmente, alors que la part des professions à revenu intermédiaire se réduit12. Tertio, les travaux sur l’hétérogénéité des firmes montrent que le commerce est associé à une montée des inégalités de salaires entre des travailleurs de même niveau de qualification mais travaillant dans des firmes aux niveaux de productivité différents (Helpman et al., 2017).

La mondialisation peut également affecter très différemment les travailleurs selon l’endroit où ils résident. Par exemple, la croissance des importations de biens manufacturés en provenance de Chine tend à augmenter le chômage et à réduire les salaires dans les bassins d’emploi spécialisés sur les mêmes segments (Autor et al., 2013, 2015 ; Malgouyres, 2017). Ces effets négatifs se répercutent au-delà du secteur manufacturier, ce qui est cohérent avec l’idée d’un effet d’entraînement local du secteur exposé sur le reste de l’emploi (Moretti, 2010 ; Malgouyres, 2017 ; Frocrain et Giraud, 2016). L’augmentation du taux de chômage dans les zones concurrencées par les importations suggère enfin que les travailleurs ayant perdu leur travail dans des secteurs en déclin peinent à se réorienter vers les emplois porteurs. On comprend mieux, dès lors, les inquiétudes croissantes que suscitent les fermetures d’entreprises exposées à la concurrence internationale, surtout lorsqu’elles concernent des secteurs et territoires offrant peu de perspectives de reconversion aux travailleurs licenciés. C’est pourquoi il est nécessaire de s’intéresser au parcours des individus licenciés des secteurs directement exposés aux chocs commerciaux et de les comparer à celui de travailleurs licenciés d’entreprises abritées de la concurrence internationale.

4. Emplois exposés, emplois abrités : une distinction simple

La distinction entre emplois exposés et abrités part de l’idée simple que, dans chaque pays, deux économies coexistent. La première, connectée à l’économie globale, produit des biens et services qui peuvent être consommés ailleurs que là où ils ont été produits. La seconde économie, sédentaire, voit sa production satisfaire une demande exclusivement nationale, voire très locale.

Les emplois au sein de la première économie, qualifiés d’exposés, sont en concurrence avec des emplois localisés dans d’autres pays, parce que les biens et services qu’ils produisent peuvent voyager sans obstacle technique ou réglementaire majeur : c’est le cas pour une montre, pas pour un bloc de ciment. Il ne s’agit plus uniquement d’emplois des secteurs manufacturier et agricole mais également de tous les emplois engagés dans la production de services livrables à distance. Le secteur exposé regroupe donc des emplois aussi divers que des ouvriers de l’automobile, des employés de centres d’appels, des producteurs de lait, ou encore des ingénieurs logiciel. À ceux-là s’ajoutent les emplois touristiques, dans l’hôtellerie par exemple, soutenus pour partie par le déplacement de consommateurs étrangers. Certes, les touristes internationaux consomment dans le territoire où la production s’effectue, mais en opérant un arbitrage entre plusieurs destinations ils mettent en concurrence des emplois localisés dans différents territoires.

Quant aux emplois de la seconde économie, qualifiés d’abrités, ils ne sont en concurrence directe qu’avec des emplois situés dans le même territoire, ce qui n’exclut nullement que la concurrence locale entre emplois abrités puisse être extrêmement féroce. Des restrictions commerciales sous la forme de droits de douane prohibitifs peuvent expliquer pourquoi certains emplois sont abrités de la concurrence étrangère. D’autres sont abrités pour des raisons institutionnelles : c’est le cas par exemple des hommes politiques. Mais le plus souvent ce sont les coûts de transport qui constituent une barrière aux échanges internationaux, en particulier pour les activités nécessitant une proximité physique entre le consommateur et le producteur. L’exemple emblématique est le service de coiffure, pas encore automatisable et pilotable à distance et pour lequel les différences de prix et de qualité ne justifient pas de déplacements internationaux de consommateurs. Ce constat est également valable pour d’autres emplois abrités comme les boulangers, les instituteurs ou encore les kinésithérapeutes.

Selon Frocrain et Giraud (2016), l’emploi exposé est non seulement minoritaire mais également en recul : il est passé en France de 30 % à 26,8 % de l’emploi total entre 1999 et 2013. Le secteur abrité crée plus d’emplois : il progresse de 2,37 millions d’unités entre 1999 et 2013, alors que le secteur exposé perd 204 000 emplois (Figure 2). Cela résulte en grande partie du fait que les gains de productivité sont supérieurs dans le secteur exposé. Les salaires y sont en moyenne de 25 % plus élevés que dans le secteur abrité et croissent plus rapidement, alors que les niveaux de qualification sont comparables.

 

Figure 2 – Evolution de l’emploi dans les secteurs exposés et abrités

Source : Frocain et Giraud (2016)

 

Enfin, les services exposés (sièges sociaux, centres d’appels, programmation informatique, hôtellerie, etc.), dont les effectifs ont progressé de près de 800 000 unités sur la période, représentent désormais plus d’un emploi exposé sur deux. La seconde moitié des emplois exposés se répartit entre les secteurs agricole, minier et manufacturier. Ce sont ces derniers qui expliquent le recul de l’emploi exposé, et en particulier l’industrie manufacturière (75 % des destructions d’emplois).

5. Un risque de licenciement plus faible dans les secteurs exposés

Nos données révèlent que, tous secteurs confondus, la part des individus qui perdent leur emploi à la suite de la fermeture d’un site de production (voir Encadré 1) une année donnée s’élève en France à 3,2 %. Les travaux de l’OCDE (Quintini et Venn, 2013), portant sur sept autres pays, mettent ce chiffrage en perspective : entre 2000 et 2008, le licenciement économique aurait affecté entre 1,5 % et 5,5 % des travailleurs, plaçant la France dans une position intermédiaire (Figure 3). Ce taux varie donc sensiblement selon les pays : il est élevé en Grande-Bretagne ou aux États-Unis, pays connus pour la flexibilité de leur marché du travail, et nettement plus bas en Allemagne ou en Suède. L’augmentation quasi généralisée du taux de licenciement lors des années de crise économique (2009-2010) témoigne de l’importance du cycle économique dans la variation de cette grandeur.

 

Figure 3 – Taux de licenciement économique dans huit pays

Source : Quitini et Venn (2013) ; France : Insee, panel DADS, calcul des auteurs.

 

Intuitivement, on s’attend à ce que le risque de licenciement économique dépende des caractéristiques des individus (âge, sexe, qualification, ancienneté, etc.) et du secteur qui les emploie. Le tableau 1 suggère que cela dépend davantage des caractéristiques individuelles que des secteurs. En moyenne, les hommes et les jeunes (20-30 ans), ainsi que les travailleurs moyennement et faiblement qualifiés sont davantage touchés par le licenciement que les femmes, les individus hautement qualifiés, et les autres catégories d’âge.

 

Tableau 1 – Taux de licenciement économique par sexe, catégorie d’âge et qualification

Source : Insee, panel DADS.

 

On pourrait penser que le taux de licenciement économique est plus élevé dans le secteur exposé, parce que la concurrence y serait plus intense (Bénassy-Quéré et Coulibaly, 2014). Or, on observe qu’il est supérieur dans le secteur abrité (3,3 % contre 2,8 % en moyenne entre 1999 et 2009). Plus surprenant encore, l’industrie manufacturière est la partie du secteur exposé où ce taux est le plus bas : 2,3 % en moyenne sur la période, contre 3,4 % pour le secteur des services exposés. La part des licenciés économiques y est inférieure à la moyenne pour toutes les catégories d’âge et pour les deux sexes.

Il est difficile d’apporter une explication à ce différentiel à partir de nos données : il peut provenir du nombre de départs à la retraite non remplacés et des plans de départ volontaire, ou bien encore d’un poids plus fort des syndicats dans l’industrie qui limiterait les fermetures de sites. En raison de l’importance des coûts fixes de production (entrepôts, terrains, machines, etc.), il est également possible que les industriels privilégient la réduction des capacités de production plutôt que la fermeture de sites lorsque les carnets de commande sont moins remplis. Quoiqu’il en soit, ce résultat suggère une idée forte, à savoir que le repli de l’emploi industriel ne s’explique pas tant par le fait qu’on y ferme plus d’entreprises qu’ailleurs, mais par le fait qu’on y crée moins d’emplois.

Encadré 1 – Sources et méthodes

Nous suivons une cohorte de plusieurs centaines de milliers de travailleurs sur la période 1998-201013. Cette période est particulièrement intéressante pour les analyses de l’effet de la mondialisation sur le marché du travail puisqu’elle couvre la mise en place de l’euro (1999), l’entrée de la Chine dans l’Organisation mondiale du commerce (2001) et la crise économique mondiale de 2008-2010. En outre, nous disposons d’informations détaillées pour chaque salarié (âge, sexe, profession, contrat de travail, salaire, nombre de jours travaillés dans l’année, etc.) et pour l’entreprise employeuse (secteur d’activité, effectif, localisation, etc.). La base de données ne précise pas la raison pour laquelle un individu cesse de travailler dans une entreprise ; mais nous identifions les salariés licenciés pour motif économique en repérant les individus ayant perdu leur emploi à la suite de la fermeture d’un site de production14.

Nous divisons ensuite l’échantillon en deux groupes : un groupe de salariés des secteurs exposés à la concurrence internationale (22 % des effectifs) et un groupe de salariés du secteur abrité (78 %). En raison d’un changement dans la nomenclature d’activités française (NAF), nous ne pouvons pas reprendre la classification des secteurs exposés et abrités établie dans Frocrain et Giraud (2016). Le caractère détaillé de la base nous permet toutefois de construire une nouvelle classification à partir de 202 sous-secteurs, que l’on qualifiera « d’activités » dans la suite du texte. La méthodologie utilisée suit la même logique que Frocrain et Giraud (2016) : on utilise la géographie pour identifier les secteurs exposés et abrités. L’idée est que les activités exposées, qui produisent des biens et services échangeables, sont relativement libres de s’installer où elles veulent puisqu’elles sont en capacité de servir leurs clients à distance. Elles ont donc tendance à se concentrer afin de pouvoir profiter d’économies d’échelle ou d’agglomération. À l’inverse, puisque la production des activités abritées voyage difficilement, celles-ci doivent se disperser sur le territoire pour être à proximité de leurs clients.

La Figure 4 illustre ces différences, en présentant la répartition spatiale dans une activité exposée (l’automobile) et une activité abritée (la coiffure) : leurs effectifs totaux sont comparables en France mais leur répartition est très différente. L’industrie automobile se regroupe autour de quelques grands pôles (Île-de-France, Nord-Pas-de-Calais, Franche-Comté, Rhône-Alpes) alors que les emplois dans la coiffure se répartissent de façon nettement plus uniforme sur le territoire français.

En calculant des indices de Gini, on donne une valeur numérique (comprise entre 0 et 1) au degré de concentration géographique de chaque activité. Sans surprise, on retrouve parmi les secteurs les plus concentrés la construction aéronautique et spatiale, l’industrie pharmaceutique, l’industrie des viandes ou encore la réalisation de logiciels. Les activités les plus dispersées sont principalement des services de proximité (restaurants, commerce de détail, services personnels, agences bancaires, santé, etc.) mais également des activités liées à la construction (travaux d’installation, travaux de finition, etc.) ou aux transports (transports urbains et routiers).

Au sein du groupe des salariés exposés, nous distinguons les travailleurs du secteur manufacturier (14 % de l’échantillon complet) et du secteur des services exposés (8 % de l’échantillon complet15), dont les nombres d’emplois suivent des trajectoires opposées.

 

Figure 4 – Localisation de l’emploi dans l’automobile et la coiffure, 2007

Source : Insee, Clap. Réalisé avec Philcarto

 

  • 3. Cette fourchette est établie à partir des résultats d’Aubert et Sillard (2005), Bouhlol et Fontagné (2006), Barlet et al. (2009), Fontagné et D’Isanto (2013). Outre la période étudiée, les études diffèrent par leur approche : microéconomique pour Aubert et Sillard (2005), sectorielle pour Barlet et al. (2009), ou encore à partir de données d’enquête (chaînes d’activité mondiales) pour Fontagné et D’Isanto (2013). Précisons enfin que le terme de délocalisation a parfois des acceptions différentes selon les études.
  • . Pour une discussion plus approfondie sur l’effet de l’internationalisation des firmes, voir Gazaniol (2012).
  • 5. Une délocalisation au sens strict est la décision d’une entreprise de faire réaliser dans un pays étranger une production qu’elle réalisait précédemment en France.
  • 6. Cité par Giraud (2016).
  • 7. Voir notamment Berger (2003).
  • 8. Krugman, P. (2000). La Mondialisation n’est pas coupable. Vertus et limites du libre-échange. Paris, La Découverte. Précisons qu’il s’agit de l’édition française d’un ouvrage publié aux États-Unis en 1996 sous le titre Pop Internationalism.
  • 9. D’une part, le processus de fragmentation internationale de la production des firmes résulte largement d’avancées techniques telles que le transport par conteneurs et la coordination des activités par Internet. D’autre part, la mondialisation a un effet dynamique sur le progrès technique : les entreprises exposées à la concurrence internationale ont davantage de chances d’adopter de nouvelles technologies, notamment pour faire face à la pression de la concurrence et conserver leurs parts de marché.
  • 10. Voir par exemple Hoekman et Winters (2005), Newfarmer et Sztajerowska (2012), et Schwarzer (2015) pour des revues de la littérature empirique sur le sujet.
  • 11. Plusieurs travaux montrent que l’augmentation du différentiel de salaire entre les qualifiés et les peu qualifiés dans les pays émergents s’explique largement par l’ouverture commerciale. Voir notamment Hanson et Harrison (1999) dans le cas du Mexique.
  • 12. Notons que, selon Jolly (2015), cette polarisation serait significative aux États-Unis mais assez peu en France.
  • 13. Ce travail a bénéficié d’une aide de l’Agence nationale de la recherche, au titre du programme Investissements d’avenir portant la référence ANR-10-EQPX-17 (Centre d’accès sécurisé aux données – CASD). Il s’appuie sur un panel de travailleurs construit à partir des DADS (déclarations annuelles des données sociales), rendu accessible par le CASD. 2010 est la dernière année disponible sur le panel.
  • 14. Cette méthode présente l’inconvénient d’ignorer les cas des licenciements collectifs sans fermeture de site de production. Elle a toutefois l’avantage de garantir l’identification de «vrais» licenciements, en l’absence dans notre base de données d’informations sur les motifs poussant les individus à quitter une entreprise. Elle permet également de réduire le biais de sélection, qui émerge par exemple lorsque les entreprises tendent à licencier d’abord les individus ayant le moins d’ancienneté. Cependant, une analyse associant à des licenciements les réductions d’effectifs d’au moins 30% sur une année confirme les résultats de cette étude concernant le réemploi, les mobilités sectorielles, professionnelles et géographiques. Pour plus de précisions, voir l’annexe technique.
  • 15. Ces services exposés correspondent essentiellement à des services informationnels (activités informatiques, recherche-développement, traitement de données, assurance, etc.).
Chapitre 2

Retour à l’emploi dans les secteurs exposé et abrité

Ce chapitre examine le retour à l’emploi des salariés français licenciés après la fermeture de leur site de production, selon qu’ils proviennent d’un secteur exposé à la concurrence internationale – l’industrie manufacturière ainsi que plusieurs secteurs des services – ou au contraire d’un secteur qui en est abrité. Les travailleurs de l’industrie sont moins touchés par les licenciements mais connaissent ensuite un parcours plus difficile que les travailleurs du secteur abrité et des services exposés. Ils ont moins de chances retrouver un emploi dans les trois ans suivant leur licenciement et souffrent d’une baisse de salaire plus importante et plus durable dans leur nouvel emploi. Ce résultat persiste même lorsqu’on tient compte des caractéristiques individuelles des travailleurs (âge, sexe, profession et ancienneté), de loin les plus déterminantes sur la probabilité de réemploi d’un actif. Nous pensons que ces difficultés s’expliquent par des caractéristiques propres au secteur manufacturier : d’une part la concentration géographique des activités et d’autre part l’importance du capital humain spécifique dans les métiers industriels. Les compétences spécifiques (ou « compétences métiers ») valorisent le profil des salariés de l’industrie en activité mais sont peu transférables après un licenciement, comme en témoignent leurs fréquents changements de secteur, d’activité et de profession, qui s’accompagnent souvent de nettes diminutions de salaire.

1. Un retour à l’emploi difficile en France, notamment pour les travailleurs de l’industrie

Le fait que des emplois soient supprimés par suite de la fermeture d’un site de production ne préjuge pas de la qualité du fonctionnement de notre marché du travail. Même sur le plan de l’emploi, les fermetures d’entreprises ne constituent pas un phénomène alarmant dans les pays où les individus licenciés se réorientent rapidement vers des emplois de qualité égale ou supérieure.

En France, malheureusement, on constate que seuls 48 % des travailleurs licenciés retrouvent un emploi dans les deux années suivant leur licenciement. Nous nous plaçons d’ailleurs à un rang assez modeste dans les comparaisons internationales sur ce critère : l’Allemagne, le Danemark, les États-Unis, la Finlande et la Suède font mieux, notre pays étant plutôt comparable au Portugal et au Royaume-Uni (Figure 5). Remarquons que le Danemark et surtout la Suède font figure de bons élèves, avec un taux de retour à l’emploi supérieur à 80 % dans l’année suivant le licenciement. Ces pays, régulièrement montrés en exemple pour leurs succès en matière d’emploi, combinent en effet un taux de licenciement bas et de très bonnes perspectives de retour à l’emploi16.

 

Figure 5 – Taux de retour à l’emploi après licenciement économique dans huit pays, 2000 – 2008

Source : Quintini et Venn (2013) : France : Insee, panel DADS, calcul des auteurs

 

Les performances de la France apparaissent donc décevantes. Le taux moyen de retour à l’emploi cache cependant de fortes différences entre les secteurs exposés (industrie et services exposés) ainsi qu’avec le secteur abrité. En France, trois ans après leur licenciement économique, seulement 47 % des travailleurs provenant de l’industrie ont retrouvé un emploi, contre 54 % dans le secteur abrité et 62 % dans les services exposés (Figure 6). Il ne faut donc pas parler de vulnérabilité des travailleurs exposés pris dans leur ensemble, puisque les travailleurs du secteur des services exposés affichent un taux de réemploi supérieur à la moyenne.

 

Figure 6 – Taux de retour à l’emploi après licenciement économique par secteur d’origine, 2000 – 2010

Source : Insee, panel DADS.

 

Les variations sont encore plus fortes lorsque l’on regarde à un niveau sectoriel plus fin. Les activités dont le taux de retour à l’emploi est le plus faible, sous la barre des 40 %, sont principalement manufacturières, comme l’industrie laitière ; mais on y trouve aussi le commerce de gros de produits agricoles bruts, qui relève des services exposés. Les activités offrant les perspectives les plus favorables, avec un taux de retour à l’emploi supérieur à 70 %, appartiennent toutes au secteur abrité : les auxiliaires d’assurance, la location de machines…

On constate donc des perspectives de retour à l’emploi peu encourageantes pour les salariés de l’industrie, alors même qu’ils sont moins concernés par les licenciements économiques. Pour expliquer ce résultat, il est nécessaire de distinguer deux déterminants du retour à l’emploi : les caractéristiques individuelles des travailleurs et celles du secteur qui les emploie.

A. Le poids déterminant des caractéristiques individuelles

Les statistiques précédentes ne tiennent pas compte des effets de composition, autrement dit du fait que les caractéristiques sociodémographiques des travailleurs ne sont pas les mêmes d’un secteur à l’autre. Le fait que les hommes soient très majoritaires dans l’industrie par exemple (70 %), ou que les professions intellectuelles supérieures soient surreprésentées dans les services exposés, n’est absolument pas neutre sur les chances de réemploi moyennes relevées pour chaque secteur. À partir d’une analyse économétrique du retour à l’emploi, nous tâchons dès lors de distinguer ce qui relève de ces caractéristiques individuelles ou au contraire du secteur d’activité.

La figure 7 présente les principaux déterminants qui influent sur la probabilité de retrouver un emploi. Ce sont essentiellement des caractéristiques sociodémographiques : ainsi, quel que soit son secteur d’activité, on a plus de chances de retrouver un emploi si on est un homme, quadragénaire, cadre, francilien, avec de l’ancienneté, que si l’on est une femme, jeune, artisan ou ouvrière agricole. La forte concentration de cadres et d’ingénieurs dans le secteur des services exposés ainsi que la plus grande présence de ce secteur en Île-de-France en proportion de l’emploi total constituent par exemple des explications essentielles du fort taux de retour à l’emploi observé dans ce secteur.

 

Figure 7 – Ecarts de probabilité de retrouver un emploi dans les trois ans après licenciement

Source : Insee, panel DADS.

Note : Ecart de chaque modalité par rapport à la référence, en point de pourcentage. Résultats d’estimation d’un modèle probit. NS : non significatif au seuil de confiance retenu.

 

Une analyse plus fine montre que l’âge et l’expérience dans l’entreprise ont des effets non linéaires sur la probabilité de réemploi : les chances de retour à l’emploi augmentent d’abord avec l’âge et l’expérience, puis se réduisent, probablement parce que les entreprises hésitent à embaucher des travailleurs proches de l’âge de la retraite. Les salariés les plus âgés (56-60) sont ainsi les plus pénalisés, suivis de la classe des 20-25 ans.

B. Un effet spécifique au secteur manufacturier : le rôle de la mobilité

Les différences sectorielles de retour à l’emploi sont donc d’abord le reflet d’un effet de structure. Il reste néanmoins un effet spécifique au secteur manufacturier : même en tenant compte de leurs caractéristiques propres, les chances de réemploi pour les travailleurs licenciés du secteur manufacturier sont plus faibles que pour des salariés « identiques » issus du secteur abrité et des services exposés.

Comme nous venons de le voir, les secteurs exposés à la concurrence internationale, et en particulier l’industrie, sont caractérisés par la concentration géographique des emplois. Cette concentration des activités manufacturières induit parfois un isolement et explique en partie pourquoi les salariés licenciés de l’industrie ont davantage de difficultés à retrouver un emploi.

Lorsqu’un site industriel disparaît et qu’il n’est pas possible pour de retrouver un emploi dans la même activité au sein du même bassin d’emploi, les travailleurs licenciés se retrouvent face à un dilemme. Une première option consiste pour eux à migrer vers un autre bassin d’emploi pour trouver du travail dans la même activité et ainsi valoriser leurs compétences. Mais certains ne peuvent ou ne souhaitent pas faire ce choix, par exemple parce que cela implique la vente de leur logement, un changement d’école pour les enfants et de travail pour le conjoint et que tout cela représente un coût, alors même que la pérennité du nouvel emploi est souvent incertaine. Envisager un tel déplacement est d’autant plus difficile que, précisément, l’activité est concentrée sur un petit nombre de territoires et que le choix est par là même restreint. Pour ces travailleurs, un choix alternatif consiste donc à rester dans le même bassin d’emploi mais à changer d’activité, au risque de ne pas valoriser pleinement leurs compétences. Il arrive qu’une industrie disparaisse totalement d’un pays. C’est ce qui s’est produit cette année avec la fermeture de la dernière usine de cigarettes de l’Hexagone, l’usine Seita de Riom dans le Puy-de-Dôme. Dans ce cas de figure, compte tenu de la faible mobilité internationale de la main-d’œuvre, même chez les plus qualifiés, presque tous les travailleurs changent d’activité et renoncent à valoriser leurs compétences spécifiques.

 

Figure 8 – Le dilemme des salariés des secteurs exposés face à la disparition de leur activité dans leur bassin d’emploi

 

Ces contraintes spécifiques aux secteurs exposés peuvent-elles expliquer le handicap résiduel qui frappe les salariés du secteur manufacturier en matière de retour à l’emploi ? Nos résultats corroborent cette explication. Il est en effet frappant de constater que les travailleurs licenciés de l’industrie manufacturière sont très souvent amenés à changer d’activité pour retrouver un emploi (seuls 43 % d’entre eux restent dans la même activité, Figure 9), bien plus souvent que les travailleurs licenciés du secteur abrité (64 % restent dans la même activité). Cet écart dans les transitions entre activités entraîne un risque plus important de perte de compétences pour les salariés du secteur manufacturier17. En théorie, ces derniers pourraient certes changer d’activité sans changer de métier (par exemple un salarié devenant ajusteur dans l’aéronautique après avoir été ajusteur dans l’automobile) et valoriser ainsi pleinement leurs compétences. On constate cependant également, chez d’anciens salariés du secteur manufacturier, une plus forte mobilité d’une catégorie socioprofessionnelle à une autre : 49 % d’entre eux changent de catégorie socioprofessionnelle lors du retour à l’emploi, contre 37 % en moyenne pour les travailleurs des deux autres secteurs. Bien évidemment, le dilemme de la mobilité sectorielle et professionnelle est accentué par le fait que l’emploi manufacturier décline fortement sur la période, ce qui n’est pas le cas de l’emploi dans les services exposés.

On note également que seuls 4,6 % des travailleurs licenciés de l’industrie parviennent à conserver la même activité en changeant de région (Figure 9). Cette faible mobilité interrégionale est donc loin de compenser le handicap précédent. Il est important de souligner que notre étude ne permet pas de suivre les individus qui, bien qu’ils ne soient pas parvenus à retrouver un emploi, avaient pourtant fait l’effort de changer de région : nous manquons d’éléments pour attester qu’une plus grande mobilité géographique des salariés du secteur manufacturier entraînerait de meilleures perspectives de réemploi.

 

Figure 9 – Part des licenciés économiques retrouvant un emploi dans la même activité, accompagné ou non d’un changement de région et selon le secteur d’origine

Source : Insee, panel DADS. Note : ce graphique analyse le réemploi à partir d’une division de l’économie en 220 activités, dans 101 appartenant au secteur manufacturier

 

 

Il convient également de mentionner que le secteur des services exposés, pour sa part, ne présente pas de handicap résiduel comparable à celui du secteur manufacturier en matière de retour à l’emploi, une fois neutralisées les variables individuelles. Or, par définition, ces services exposés sont eux aussi concentrés géographiquement et peuvent, à l’image des activités manufacturières, disparaître d’un territoire en raison de la concurrence internationale. Si ce secteur offre des perspectives plus favorables, c’est peut-être pour partie parce que les individus sont un peu plus mobiles géographiquement que les autres (18 % contre une moyenne de 12 % dans les deux autres secteurs, Figure 10), mais bien plus sûrement du fait de son dynamisme en matière de création d’emploi (Frocrain et Giraud, 2016).

 

Figure 10 – Part du réemploi entraînant un changement de région selon le secteur d’origine

Source : Insee, panel DADS.

 

2. Le licenciement induit une perte sur les revenus futurs

La durée de la période de chômage qui s’écoule entre le licenciement économique et le retour à l’emploi pèse défavorablement sur l’évolution de salaire des individus. Cela est dû à de multiples facteurs : la perte de revenu pendant les périodes de chômage, l’érosion des compétences, la perte d’ancienneté, etc. On s’attend à ce que les pertes de revenus imputables au licenciement soient plus élevées dans l’industrie que dans le secteur abrité, puisque nous venons de voir que les salariés de l’industrie ont de plus faibles chances de retrouver un emploi dans les trois années qui suivent leur licenciement.

Analyser les évolutions salariales des travailleurs des trois groupes, c’est comparer leurs salaires avec ce qu’ils auraient été s’ils n’avaient pas été licenciés. En effet : en l’absence de licenciement, ces actifs auraient pu connaître une hausse de salaire dans leur emploi, à la suite d’une promotion, d’une augmentation ou simplement en raison de l’inflation. Ne pas prendre en compte cette possibilité reviendrait à sous-estimer la perte de revenu imputable au licenciement. Pour cela, on recourt à une méthode usuelle d’épidémiologie18, qui consiste à trouver un « jumeau statistique » non licencié à chaque individu licencié. Nous comparons les revenus des salariés licenciés à ceux de salariés non licenciés présentant des caractéristiques similaires et considérons que le licenciement explique l’écart de trajectoire salariale entre les deux groupes.

A. Une chute des revenus salariaux de 32 % en moyenne au bout de quatre ans

La figure 11 présente l’effet moyen du licenciement sur le salaire des individus pour les quatre années qui suivent cet événement. Le manque à gagner est colossal la première année (-62 % en moyenne) puis se réduit progressivement, tout en restant à un niveau élevé (-32 % quatre ans après le licenciement). Cet impact du licenciement est un peu plus fort pour les salariés licenciés du secteur manufacturier et légèrement moins important pour les salariés licenciés du secteur abrité. Mais, dans l’ensemble, tous ces profils connaissent une évolution de leurs revenus assez comparable.

 

Figure 11 – Variation du revenu annuel net imputable au licenciement

Source : Insee, panel DADS.

 

Ces chiffres, très élevés, s’expliquent largement par les périodes de chômage que traversent les individus, pendant lesquelles leurs revenus salariaux sont nuls par construction19. Ces périodes sont plus longues chez les travailleurs du secteur manufacturier que chez ceux du secteur abrité ou des services exposés (Tableau 2), ce qui explique en partie pourquoi leur perte de revenu salarial est plus grande et plus persistante.

 

Tableau 2 – Répartition des actifs ayant retrouvé un emploi au bout de trois ans, selon la durée du chômage

Source : Insee, panel DADS.

 

B. Salaire dans le nouvel emploi : une chute plus marquée pour les salariés licenciés de l’industrie

Les résultats précédents sur l’évolution du revenu des travailleurs intègrent donc deux effets : celui des périodes de chômage pendant lesquelles les revenus salariaux sont nuls et la réduction du salaire dans le nouvel emploi. Lorsqu’on s’intéresse uniquement à cette dernière composante, et qu’on neutralise l’effet des périodes de chômage, les résultats montrent à nouveau que les individus du secteur manufacturier sont ceux qui perdent le plus.

Le tableau 3 confirme que la part des individus concédant dans leur nouvel emploi une baisse de salaire d’au moins 10 % est nettement supérieure chez les licenciés de l’industrie (35 %) que parmi ceux du secteur abrité (26 %) ou des services exposés (25 %).

 

Tableau 3 – Répartition des échantillons (secteur d’origine) par écart de salaire

Source : Insee, panel DADS.

 

Notons toutefois que le groupe le plus nombreux est constitué des actifs dont le revenu est à peu près stable. Le tableau 4 confirme d’ailleurs que de nombreux individus retrouvent un emploi à un salaire équivalent ou supérieur, dans toutes les catégories socioprofessionnelles. Même parmi les ouvriers peu qualifiés, 33 % bénéficient d’une hausse de salaire supérieure ou égale à 10 % (hors inflation) lors du retour à l’emploi.

 

Tableau 4 – Répartition des effectifs (CSP d’origine) par écart de salaire

Source : Insee, panel DADS.

 

Une estimation économétrique (Figure 12), procédant à nouveau par comparaison de jumeaux statistiques, mais ne tenant pas compte des périodes de chômage, valide cette analyse : l’année du retour à l’emploi, le manque à gagner pour les salariés licenciés de l’industrie s’élève à 20 % contre 16 % et 12 % respectivement pour les salariés licenciés des services exposés et les salariés du secteur abrité.

 

Figure 12 – Variation du revenu annuel net imputable au licenciement, l’année du retour à l’emploi

Source : Insee, panel DADS.

 

C. Une perte de revenu aggravée en cas de changement de secteur

En restreignant l’échantillon aux travailleurs ayant retrouvé un emploi l’année suivant leur licenciement, on constate que, pour ceux qui ont changé de secteur, le manque à gagner est de 11 points supérieur à la moyenne (Figure 13). Ce résultat vient confirmer que les pertes de revenus dans le nouvel emploi sont, une fois l’effet du chômage mis de côté, largement dues à la mobilité sectorielle et professionnelle : les travailleurs changeant de métier et d’activité ne peuvent plus valoriser pleinement leurs compétences.

 

Figure 13 – Variation du revenu annuel net imputable au licenciement dans le cas d’un changement de secteur, l’année du retour à l’emploi

Source : Insee, panel DADS.

 

L’effet négatif sur le salaire est particulièrement lourd (-35 %) pour les salariés licenciés du secteur manufacturier, puisque certains métiers industriels exigent des compétences très spécifiques, donc difficilement transférables à d’autres professions.

3. Le réemploi dans les services de proximité, souvent au prix d’une déqualification

Parmi les travailleurs licenciés du secteur manufacturier qui retrouvent un emploi sur la période étudiée, 54 % sont réembauchés dans le secteur manufacturier (Figure 14) mais pas forcément dans la même activité. Sur les 46 % restants, ceux qui trouvent un emploi dans les services exposés sont très peu nombreux, près de 40 % basculant dans le secteur abrité. Ces derniers sont plus nombreux que les autres à subir une baisse de leur salaire, même lorsqu’ils occupaient auparavant un emploi de cadre ou une profession intermédiaire. Par exemple, plus de la moitié des ouvriers qualifiés et non qualifiés qui basculent dans le secteur abrité voient leur salaire se réduire d’au moins 10 % par rapport au précédent emploi (Tableau 5).

 

Tableau 5 – Répartition des travailleur licenciés du secteur manufacturier ayant retrouvé un emploi dans le secteur abrité, par écart de salaire

Source : Insee, panel DADS.

 

 

Figure 14 – Où vont les travailleurs licenciés du secteur manufacturier ?

Source : Insee, panel DADS.

 

En examinant cette transition à un niveau plus fin (Figure 15), on constate que le deuxième poste d’accueil des salariés licenciés du secteur manufacturier, après l’industrie des biens intermédiaires, est celui des services aux entreprises. Ce dernier recrute donc davantage de salariés licenciés du secteur manufacturier que d’autres segments de l’industrie. Ces services aux entreprises peuvent en théorie être abrités ou exposés mais, en l’occurrence, plus de 63 % du réemploi de ces travailleurs se concentre dans des services opérationnels tels que la sécurité, le nettoyage, ou encore la gestion des déchets. Le commerce, les activités de la santé et du social recrutent également d’anciens salariés de l’industrie. On observe donc un déversement, certes partiel mais réel, dans l’économie dite « de proximité », vers des emplois souvent peu qualifiés.

 

Figure 15 – Nouveaux secteurs d’activité des travailleurs licenciés du secteur manufacturier ayant retrouvé un emploi

Source : Insee, panel DADS. Note : ce graphique analyse le réemploi à partir d’une division de l’économie en 16 activités.

 

Ce mouvement vers le secteur abrité ne se fait généralement pas au profit du travailleur concerné. D’une part, plus de 20 % des travailleurs qui occupaient un poste à temps complet dans l’industrie manufacturière occupent, lors du réemploi dans le secteur abrité, un emploi à temps partiel. Cette part ne s’élève qu’à 6 % pour ceux qui retrouvent un emploi dans le secteur manufacturier et à 9 % en moyenne pour l’ensemble des individus licenciés d’un temps complet.

En outre, le retour à l’emploi s’accompagne souvent d’une évolution des compétences ou d’un changement de métier. Là encore, les perspectives pour les travailleurs licenciés du secteur manufacturier qui conservent un emploi dans l’industrie sont plutôt favorables. En effet, plus de 25 % des ouvriers anciennement non qualifiés deviennent ouvriers qualifiés tandis que, en sens inverse, seuls 15 % des anciens ouvriers qualifiés retrouvent un emploi non qualifié. L’image courante d’un déclassement massif des travailleurs industriels licenciés est donc exagérée.

  • 16. Voir Bourdu (2013) pour une analyse détaillée des performances du modèle économique suédois.
  • 17. De nombreuses études suggèrent qu’une part importante des compétences sont spécifiques au secteur d’activité (Neal, 1995 ; Parent, 2000), à une profession (Kambourov et Manovskii, 2009), et parfois même à un poste (Topel, 1991). Un changement de secteur, de profession ou de poste entraîne donc souvent la « perte » de compétences spécifiques, au sens où elles ne peuvent pas être valorisées par le travailleur.
  • 18. Les prémisses de cette méthode remontent à l’épidémie de choléra qui frappa Londres au milieu du XIXe siècle. John Snow (1855) explique que, contrairement à ce que pense alors la communauté médicale, ce n’est pas un «mauvais air» qui est à l’origine de la propagation du choléra mais une eau contaminée. À l’époque, deux compagnies approvisionnent en eau la majeure partie de la ville. La Lambeth Waterworks Company puise son eau en amont de la Tamise, tandis que la Southwark-Vauxhall Water Company prélève l’eau en aval, où les Londoniens déversent des tas d’immondices. Snow montre que les décès sont nettement plus fréquents parmi les individus consommant l’eau de la seconde compagnie. Il arrive à convaincre les autorités de retirer la poignée de la pompe à eau alimentant un quartier très contaminé et l’épidémie recule soudainement à cet endroit.
  • 19. La période de chômage peut s’étendre sur l’ensemble de la période étudiée, de sorte que certains individus ont un revenu salarial nul entre t+1 et t+4.

Conclusion – Quelles politiques pour accompagner le retour à l’emploi des travailleurs licenciés ?

Cette étude rappelle que, si la mondialisation est globalement bénéfique à nos économies et qu’elle affecte peu le volume total d’emplois, elle désavantage localement certains publics ou certains types de travailleurs. Les salariés du secteur manufacturier, très exposés à la compétition internationale, ont paradoxalement moins de risque de subir un licenciement économique que ceux qui travaillent dans le secteur abrité, mais ils éprouvent, quand c’est le cas, une plus grande difficulté à retrouver un emploi et à conserver un niveau de qualification et de salaire équivalent à celui de leur dernier poste.

Cette difficulté est majoritairement imputable aux caractéristiques individuelles des travailleurs mais nos résultats révèlent un handicap supplémentaire, spécifique au secteur manufacturier. Cela provient, d’une part, de la concentration géographique de ces activités sur fond de réduction de l’emploi industriel (ce qui amenuise les chances pour les actifs de trouver localement un emploi équivalent), et, d’autre part, de l’importance qu’y jouent les compétences spécifiques aux métiers, qui se révèlent faiblement transférables.

Notre étude rappelle également que cela n’est pas une fatalité, puisque d’autres États parviennent à garantir un bien meilleur appariement sur le marché de l’emploi. Pour que la mondialisation demeure une opportunité pour tous, l’État peut adopter une démarche assurantielle, en mettant en place des mécanismes de redistribution en faveur des perdants. Il peut également choisir de miser sur la formation, en aidant ceux dont l’emploi est menacé à acquérir les compétences qui leur permettront de retrouver un emploi dans les secteurs qui bénéficient de l’ouverture commerciale. Sans cela, il s’expose à un risque de rejet du modèle libre-échangiste, éventuellement sous la forme de ce que les journalistes Soullier et Faye ont qualifié d’une « trumpisation » du discours politique20.

1. Les mécanismes d’ajustement à la mondialisation

Le Fonds européen d’ajustement à la mondialisation (FEM) a été créé par la Commission européenne en 2006 afin de compenser les travailleurs perdant leur emploi dans le cadre d’un licenciement massif, dû aux mutations structurelles imposées par le commerce mondial. Ce fonds se veut le symbole d’une Europe qui assume son rôle : l’Union européenne étant la conductrice des politiques commerciales, il est de sa responsabilité de corriger les effets néfastes qui en découlent. La majorité des ressources de ce dispositif sont allouées à l’offre d’informations, d’accompagnement individuel, et de formation des travailleurs. Le FEM prévoit également un soutien à l’entrepreneuriat, une aide à la mobilité ainsi que des ressources financières durant la période de recherche d’emploi et de formation (European Commission, 2015).

Son efficacité reste toutefois à prouver. Une évaluation ex post du dispositif menée en interne par la Commission européenne en 2015 pointe un réemploi moyen de 49 % pour les travailleurs licenciés et accompagnés par ce fonds. C’est à peine plus élevé que le taux atteint par les travailleurs du secteur manufacturier en France au bout de trois ans, d’après notre étude (47 %). La majorité des travailleurs ont retrouvé un emploi dans le même secteur, souvent via des contrats temporaires.

À l’origine, ce fonds d’assistance devait fournir une assurance salariale compensant directement le manque à gagner éventuel dans le nouvel emploi. Bien que ce type de compensation reste défendu par de nombreux économistes21, elle ne fait finalement pas partie des mesures financées dans la version européenne du dispositif. Par peur sans doute de créer une distorsion sur le marché du travail si l’incitation à la mobilité géographique n’est pas suffisamment forte : les salariés pourraient préférer rester dans leur région à un salaire inférieur plutôt que d’accepter un travail dans une autre région (Wasmer et von Weizsäcker, 2007). Or, l’efficacité de ce type d’incitation est difficile à garantir puisqu’elle implique souvent que les individus renoncent à une partie de leur capital social et matériel (amis, logement, etc.). La faible mobilité géographique, en France (Fabre et Dejonghe, 2015) et ailleurs en Europe, malgré les aides à la mobilité existantes, révèle la difficulté de la tâche.

En outre, le fait que cette aide concerne exclusivement les licenciements imputables à la mondialisation pose la question de son équité. Les difficultés de réemploi et les pertes salariales, nous l’avons montré, ne sont pas concentrées dans le seul secteur exposé. L’emploi manufacturier exerce un fort effet d’entraînement sur l’emploi abrité local (Frocrain et Giraud, 2016) : dans certaines régions spécialisées, la concurrence étrangère peut ainsi avoir un effet dévastateur sur l’économie locale, à la fois pour les emplois exposés et abrités. Une meilleure politique d’ajustement aux chocs commerciaux ne devrait-elle pas plutôt viser les territoires fragilisés par la mondialisation ?

En septembre 2017, la Commission européenne a lancé un projet pilote sous la forme d’aides aux régions ayant « payé le prix de la mondialisation sans avoir bénéficié jusqu’ici de ses avantages22 ». Cette aide est orientée vers les régions ayant connu d’importantes pertes d’emploi, souffrant d’un manque de compétences appropriées, de coûts du travail élevés et d’un processus de désindustrialisation. Certains jugeront peut-être utile de ne pas se cantonner aux régions touchées par un choc commercial et d’inclure également les activités menacées d’automatisation ou en déclin structurel.

D’autres critiques de ces programmes soulèvent la question de leur pertinence. La difficulté d’identifier des licenciements uniquement dus aux chocs de commerce rend l’éligibilité des cas assez arbitraire23. Il est également avancé que ce type d’aide risque de retarder la mise en place de réformes structurelles dans certains pays (Wasmer et von Weizsäcker, 2007).

2. Comment former les travailleurs pour faciliter la mobilité entre les métiers ?

Les coûts induits par la mobilité sectorielle, à la suite d’un licenciement, sont en partie le reflet de la spécificité des compétences de certains travailleurs. Idéalement, les travailleurs doivent acquérir des compétences qui leur permettent à la fois de progresser dans leur emploi actuel et d’accéder, en cas de besoin, à d’autres emplois sans perte salariale.

Les compétences dites transversales ou générales favorisent la mobilité entre secteurs et métiers et limitent les coûts associés, puisqu’on les retrouve dans plusieurs situations de travail (Kautz et al., 2014 ; France Stratégie, 2017a). Cela vaut particulièrement pour les ouvriers et les employés peu qualifiés (Lainé, 2018). Par opposition, les compétences dites spécifiques (à une entreprise, à une branche ou à une profession)24 ont l’avantage de générer un surplus de salaire dans le métier occupé, à un niveau de diplôme donné, mais sont peu transférables et accroissent de ce fait le coût de la mobilité (Lemoine et Wasmer, 2010 ; Lainé, 2018).

Quelles compétences transmettre pour améliorer l’employabilité des travailleurs licenciés ? On peut arguer que le progrès technologique réduit la valeur relative des compétences spécifiques, puisqu’elles seront progressivement incorporées dans des machines, voire des robots. Des savoir-faire très pointus, comme la soudure de caisse d’automobile, concernent des tâches qui sont aujourd’hui réalisées par des machines. Il existe même des robots journalistes pour commenter les matchs sportifs ou les variations des cours de bourse. En complément, les travailleurs auront davantage besoin d’êtres polyvalents pour s’adapter aux mutations des postes de travail et avoir une vision plus large du processus de production, quitte à moins maîtriser a priori toute la technicité de chaque étape25. Or, les travailleurs licenciés manquent souvent de compétences générales (mathématiques, verbales, cognitives et relationnelles), ce qui réduit leurs chances de retrouver un emploi (Quintini et Venn, 2013).

Une définition pertinente et normalisée des compétences transversales aiderait sans doute à orienter les travailleurs vers les postes auxquels ils peuvent prétendre. Elle permettrait également aux employeurs de mieux préciser leurs attentes et les prérequis d’un poste donné. C’est d’autant plus important que le travailleur est peu qualifié, car ses compétences transversales jouent comme un signal d’employabilité auprès des recruteurs. Une étude récente de France Stratégie (Lainé, 2018) tente de répondre à cette question. Elle dégage 16 compétences transversales de l’étude des situations de travail quotidiennes. L’auteur classe ensuite 75 familles de métiers, selon qu’ils font plus ou moins appel à chacune des compétences. Sur les 16 compétences transversales identifiées, 11 augmentent significativement les probabilités de transition entre métiers. Il faut noter que les ouvriers non qualifiés obtiennent des scores plutôt bas pour la majorité de ces 16 compétences transversales, ce qui renforce notre constat précédent. Pour ces travailleurs, la difficulté particulière de réemploi que nous avons évoquée met en évidence le besoin de formation professionnelle.

La classification proposée semble encore imparfaite pour servir concrètement au réemploi des travailleurs licenciés. Par exemple, les métiers de dirigeants d’entreprise, d’employés de l’armée, de la police ou les pompiers ainsi que les ouvriers qualifiés des travaux publics ont en commun l’importance du travail en équipe. Pour autant, il sera difficile pour un pompier de devenir dirigeant d’entreprise ou ouvrier, ou à un dirigeant de devenir pompier sans acquérir un certain nombre de compétences spécifiques. Enfin, il sera important d’institutionnaliser au mieux ces compétences transversales au travers d’une certification, pour que les travailleurs puissent les « signaler » sans ambiguïté aux recruteurs. Cela nécessite une réforme du champ de certification, dont la faible lisibilité n’aide pas les individus à identifier le diplôme ou le certificat dont ils ont besoin (France Stratégie, 2017).

Plus généralement, la France se distingue par un faible taux de participation26 à la formation formelle27 et certifiante, et par un accès inégal des travailleurs aux dispositifs proposés. En 2010, un individu sans diplôme avait 10 % de chances de participer à un stage de formation professionnelle, contre 34 % pour un diplômé du supérieur (Ferracci, 2018). L’Observatoire des inégalités note que 68 % des cadres supérieurs et 61 % des professions intermédiaires ont eu accès à la formation professionnelle continue en 2012, contre 37 % des ouvriers, 43 % des employés… et un quart des chômeurs. Enfin, les employés des microentreprises (de 1 à 10 salariés) ne sont que 34 % à avoir été formés, contre les deux tiers dans les entreprises de plus de 250 salariés. Pour réduire cette inégalité d’accès, une voie possible est de garantir une évaluation qui identifie les formations et les prestataires les plus efficaces, une autre est de cibler les publics pour lesquels les formations engendrent le rendement le plus fort (Ferracci, 2018). C’est le sens de la réforme de la formation professionnelle annoncée par le gouvernement d’Édouard Philippe.

  • 20. « De Wauquiez à Le Pen, la “trumpisation” du discours politique gagne du terrain », http://www.lemonde.fr, février 2018.
  • 21. David Autor, célèbre économiste américain ayant étudié l’impact des importations chinoises sur l’emploi aux États-Unis, défendait cette compensation salariale dans une interview récente : https://www.vox.com/new-money/2017/3/29/15035498/autor-trump-china-trade-election
  • 22. « Maîtriser la mondialisation : les régions vont bénéficier d’un nouveau soutien de l’UE pour les aider à bâtir des économies robustes », https://ec.europa.eu, septembre 2017.
  • 23. Le même reproche est fait au jumeau du FEM aux États-Unis, le programme Trade Adjustment Assistance.
  • 24. Becker (1964), théoricien du capital humain, a été le premier à séparer les compétences acquises au travail en deux grandes catégories : les compétences qui sont utiles à tout type d’emploi, ou capital humain général, et les compétences qui sont spécifiques à un type d’emploi, ou capital humain spécifique. On peut facilement étendre cette dernière distinction à des compétences sectorielles ou professionnelles. Lainé (2011) définit plus précisément les compétences transversales comme des compétences génériques, directement liées à des savoirs de base, ou des compétences comportementales, cognitives ou organisationnelles.
  • 25. Pour plus de précisions sur l’effet de la digitalisation de la production sur le niveau de qualification et le portefeuille de compétences des travailleurs, voir la note de La Fabrique à paraître en septembre « Voyage dans l’industrie du futur italienne ».
  • 26. Le taux de participation à la formation s’élève en France à 1,7 % contre 5,2 % en Allemagne et 6,3 % en moyenne dans l’Union européenne à 27 (Lemoine et Wasmer, 2010). En outre, seulement 1 % des actifs accèdent à une formation certifiante en France contre 9 % au Royaume-Uni et 8 % en Suède et au Danemark (Bonaïti et Viger, 2008).
  • 27. L’apprentissage formel est dispensé dans un contexte organisé et structuré (par exemple dans un établissement d’enseignement ou de formation, ou sur le lieu de travail), et est explicitement désigné comme apprentissage.

Léa Toulemon et Lexane Weber-Baghdiguian – Licenciement et qualité de l’emploi en Allemagne (Commentaire)

Léa Toulemon et Lexane Weber-Baghdiguian sont post-doctorantes à l’ école d’ économie de Paris. Leurs recherches portent notamment sur la perte d’emploi et ses conséquences sur les différentes dimensions de la qualité de l’emploi.

En distinguant les travailleurs licenciés des secteurs abrités et ceux des secteurs exposés, Eugénie Tenezakis et Philippe Frocrain montrent que ces derniers n’ont pas plus de chance de voir leur lieu de travail fermer mais, qu’en cas de licenciement, leur trajectoire de retour à l’emploi s’avère être plus difficile. Leurs résultats apportent une compréhension supplémentaire de l’effet de la mondialisation sur la structure du marché du travail et permettent également de se projeter sur la mise en place de mécanismes de compensation pour les travailleurs dont la carrière s’est brusquement interrompue.

A. Secteurs exposé et abrité : l’effet de la mondialisation sur les trajectoires des travailleurs licenciés

La note s’appuie sur la distinction entre secteurs abrité et exposé à la concurrence internationale (définis en fonction de la concentration géographique des activités), et met en évidence des différences en termes de probabilités de licenciement économique et de trajectoires de retour à l’emploi. Cette étude montre que les travailleurs des secteurs exposés à la concurrence internationale n’ont pas plus de chance de perdre leur emploi, mais qu’ils connaissent plus de difficultés pour en retrouver un et subissent des baisses de salaires importantes.

Néanmoins, il n’est pas évident que les différences observées soient uniquement dues aux différences d’exposition à la concurrence internationale : d’autres différences entre secteurs exposé et abrité pourraient affecter les trajectoires des travailleurs. Certaines sont évoquées dans la note, comme la spécificité du capital humain. Les travailleurs du secteur exposé accumulent des compétences spécifiques alors que les compétences des travailleurs du secteur abrité peuvent être plus transversales, ce qui influence leur situation sur le marché du travail : les salariés du secteur exposé ont moins de difficultés à l’embauche, des salaires plus élevés mais plus de difficultés à la reconversion. D’autres différences ne sont peu ou pas mentionnées dans l’étude, comme la dynamique de l’emploi dans les différents secteurs. Le secteur exposé est en déclin, ce qui n’est pas le cas du secteur abrité. Les pertes d’emplois manufacturiers, qui expliquent l’essentiel du déclin du secteur exposé, sont liées à la mondialisation, mais aussi à d’autres facteurs comme le progrès technologique ou la déformation de la structure de la demande au profit des services. Une autre différence est la taille des sites qui ferment (sans doute plus élevée en moyenne dans le secteur exposé) qui pourrait expliquer à la fois la moindre probabilité de perdre leur emploi et la trajectoire dégradée des salariés du secteur exposé. En effet, la fermeture d’un grand site de production peut induire un déséquilibre entre offre et demande sur le marché du travail local.

Pour aller plus loin dans l’identification de l’effet de la concurrence internationale sur les trajectoires des travailleurs, de futurs travaux pourraient s’intéresser à des changements de la législation sur la concurrence, ou utiliser des taux d’exposition à la concurrence internationale, qui peuvent varier suite à l’ouverture d’autres économies à l’exportation (Chine par exemple).

B. Comparaison des caractéristiques et des trajectoires des travailleurs licenciés en France et en Allemagne

Les résultats concernant le parcours des travailleurs français licenciés peuvent être mis en perspective avec ceux trouvés dans le cas de l’Allemagne. En comparant les résultats de cette note avec ceux de notre étude (Toulemon et Weber, 2017), nous constatons que les travailleurs licenciés suite à la fermeture de leur site ont des caractéristiques différentes en France et en Allemagne.

Dans les deux pays, les travailleurs licenciés pour des raisons économiques sont plus souvent des hommes, faiblement ou moyennement qualifiés. Nous trouvons en revanche des résultats différents sur l’âge. Alors qu’en France, les plus jeunes (20-30 ans) sont les plus touchés, et les moins affectés sont les travailleurs de 45-55 ans, en Allemagne les travailleurs les plus touchés sont les 40-50 ans et les moins vulnérables sont les plus jeunes (moins de 30 ans). Enfin, en Allemagne, le secteur des services est relativement protégé des licenciements économiques, alors que les secteurs du commerce, de la construction et de l’industrie manufacturière sont les plus touchés.

Les deux études présentent des résultats sur l’effet des caractéristiques individuelles sur la probabilité de retour à l’emploi. Les femmes jeunes ayant peu d’ancienneté sont les plus affectées en France. à l’inverse, nos résultats montrent qu’en Allemagne, être un homme, ne pas être cadre, avoir plus de quarante-cinq ans et être resté plus de dix ans dans la même entreprise aggravent les pertes et dégradent la qualité de l’emploi lors du retour à l’emploi. Dans les deux pays, les cadres retrouvent plus rapidement un emploi.

Nous trouvons également des résultats différents en termes de trajectoire de retour à l’emploi selon le secteur. Dans notre article, nous ne distinguons pas les secteurs exposé et abrité. En revanche, nous avons mené une analyse comparant les travailleurs du secteur secondaire et du tertiaire. Contrairement aux résultats de cette note, nous observons que les travailleurs du secondaire ont plus de probabilité d’être licenciés pour des raisons économiques que les travailleurs du tertiaire. Si la probabilité de retrouver un emploi pour ces deux groupes est proche, les travailleurs du tertiaire ont un léger avantage sur le marché du travail allemand.

Dans notre étude, les travailleurs du secondaire ont également plus de chance d’être employés dans une région éloignée de leur domicile ; l’effet perdure dix ans après le licenciement. Cela rejoint le résultat de l’étude française sur la difficulté de trouver un emploi similaire proche de son domicile pour les employés du secondaire. Outre la dimension employabilité des travailleurs licenciés, notre étude insiste sur l’importance de prendre en considération la multidimensionnalité de la qualité de l’emploi dans l’évaluation des coûts imputables au licenciement. Ainsi, la satisfaction par rapport à l’emploi est davantage dégradée pour les travailleurs licenciés du tertiaire, alors que les travailleurs du secondaire voient plutôt leur satisfaction vis-à-vis de la vie en général se réduire. On observe aussi chez les travailleurs licenciés ayant retrouvé un emploi une insatisfaction vis-à-vis des heures travaillées ainsi qu’une augmentation de la part des travailleurs effectuant plus de quarante-huit heures par semaine, pour les salariés du secondaire et du tertiaire. L’effet sur les salaires est relativement uniforme entre les deux groupes.

En conclusion, cette comparaison montre l’importance de tenir compte des différences de structure des marchés du travail nationaux pour comprendre les effets de long terme des licenciements économiques.

Dimitri Pleplé – Regard de terrain : à la rencontre des travailleurs de l’industrie (commentaire)

2 800 km parcourus, 33 usines visitées, 10 semaines de voyage : c’est le périple hors norme de Dimitri Pleplé. En 2017, ce jeune ingénieur a réalisé un tour de France des usines à vélo pour rencontrer celles et ceux qui font l’industrie au quotidien. L’objectif : changer l’image négative que les gens – et les jeunes en particulier – peuvent avoir de la vie en usine.

Le premier point intéressant que révèlent les interviews que j’ai menées est la culture de l’ancienneté dans ces entreprises exposées. Très souvent, j’ai recueilli des témoignages de personnes qui avaient fait toute leur carrière dans l’entreprise. Cela accentue leur sentiment d’appartenance à la boîte, l’attachement à la marque et la fierté du produit. On peut imaginer qu’en cas de licenciement économique, ces personnes, qui n’ont pas eu à chercher un emploi depuis parfois des décennies, risquent d’avoir des difficultés pour retrouver du travail. Il faut aussi ajouter à cela la peur d’un nouvel environnement.

J’ai également ressenti dans les discours de manière générale une grande confiance en l’avenir. Les travailleurs interviewés n’ont presque pas fait part de leur peur du licenciement mais ont plutôt mis en avant le bon dynamisme de leur entreprise et tiennent – sauf dans le cas de deux sites industriels sur le déclin dans le nord-est de la France – un discours optimiste sur le futur.

Un autre élément marquant est l’importance de l’usine dans la vie du territoire dans lequel elle s’inscrit. Cela est vrai pour les grosses structures (Vallourec, Tarkett, EDF) mais elle peut aussi l’être pour des entreprises de taille plus modeste dans des domaines spécifiques (Boutté, Fossier). Comme j’ai réalisé ce projet en dormant chez l’habitant, j’ai eu l’occasion de discuter longuement avec mes hôtes de la vie de la région et notamment de l’importance de l’industrie pour le territoire. J’ai pu m’apercevoir une nouvelle fois de l’attachement au produit voire au domaine d’activité, même chez les personnes qui ne travaillent pas dans l’entreprise. On devine l’effet négatif sur la région que pourrait avoir une fermeture mais aussi son corollaire, son impact positif sur l’économie locale et le commerce. Cela peut facilement s’expliquer par la localisation géographique des usines, qui se trouvent dans des zones particulièrement isolées. Enfin, je mesure en ce moment la difficulté de retrouver du travail pour les personnes travaillant dans une grande entreprise depuis longtemps et qu’on pousse vers la sortie. Je travaille depuis quelques mois à l’emboutissage de l’usine PSA de Poissy où je suis responsable d’une équipe de 25 employés. L’usine de Poissy a lancé une procédure de réduction d’effectifs et doit les réduire de plus de la moitié en quelques années. Parmi les mesures mis en place pour « amortir » le choc pour les travailleurs licenciés, il y a l’aide à la mobilité professionnelle qui a été mis en place. Pourtant, le premier frein pour partir est la baisse de salaire, et non la faible volonté de reconversion de la part des travailleurs. Les emplois sont proposés dans plusieurs domaines, même dans l’usine Renault de Flins dans le même département. Mais, après une carrière de 15, 20 ou 25 ans dans la même usine, il est évidemment très difficile de recommencer un travail rémunéré 20 ou 30 % moins cher. Il y a aussi la peur du changement et la crainte de l’univers dans lequel on se retrouverait.

En résumé, je dirais que mon projet est l’exemple qu’il existe une culture très forte de l’ancienneté dans les entreprises industrielles, qui tisse un lien très fort entre l’entreprise et son territoire et contribue à donner une grande confiance en l’avenir aux travailleurs. Ces points positifs pour l’activité industrielle peuvent cependant se révéler être des faiblesses en cas de licenciement et de recherche de nouvel emploi après plusieurs années passées dans la même structure.

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Annexes

1. Identification des licenciements économiques

La base de données de travailleurs licenciés et non licenciés est construite à partir d’une source confidentielle administrative de la Sécurité sociale, les déclarations annuelles des données sociales (DADS). Elle rassemble des informations que tous les employeurs doivent communiquer annuellement à la Sécurité sociale et à l’administration fiscale : périodes de travail de chaque employé, salaires, caractéristiques sociodémographiques des individus (sexe, âge, métier) et de l’entreprise (secteur d’activité, localisation). À partir de cette source administrative, l’Insee produit deux bases de données : une base de données exhaustive couvrant l’ensemble des salariés français et un panel permettant de suivre les salariés dans le temps, constitué d’un vingt-cinquième de la population totale jusqu’en 2001 puis un douzième à partir de 2002 (tous les travailleurs nés en octobre). La dernière année disponible sur ce panel est 2010.

L’étude suit les travailleurs occupant, entre 1999 et 2010, un poste non annexe en France métropolitaine. Un poste est dit non annexe lorsque le volume de travail et le niveau de rémunération associés sont « suffisants » sur l’année, selon la définition de l’Insee28. L’étude s’intéresse aux travailleurs du secteur privé ainsi qu’aux salariés des établissements publics à caractère industriel et commercial (EPIC) puisque le taux de licenciement est le même dans ces deux catégories, contrairement aux organismes publics, où il est négligeable. Nous restreignons également l’échantillon aux individus âgés de 20 à 60 ans. Les individus doivent avoir un maximum du salaire net annuel sur les années de 1999 à 2010 inférieur à 1 000 000 €29.

Les fichiers DADS nous permettent de repérer la disparition d’un individu de la base et son changement d’entreprise. N’est cependant pas indiquée la raison de cette disparition ou de ce changement (licenciement, démission, départ à l’étranger, etc.).

Nous identifions les licenciements économiques à partir des fermetures d’unités locales. Une unité locale regroupe tous les établissements d’une entreprise dans une zone d’emploi donnée30. Cette unité d’analyse a été retenue pour deux raisons. D’une part, fonder notre étude sur les fermetures d’entreprises, comme dans Margolis (2002), reviendrait à largement sous-estimer le nombre de licenciements : les grosses entreprises sont susceptibles de fermer des sites de production dans certains territoires sans pour autant disparaître. D’autre part, il nous est impossible d’identifier les fermetures d’établissements, faute d’information sur les numéros Siret des établissements dans lesquels travaillent les individus. Nous repérons donc le licenciement par deux événements concomitants : la disparition de l’unité locale de la base de données, indiquant sa fermeture, ainsi que la disparition de la base des travailleurs présents dans cette unité locale, ou leur réapparition dans une autre unité locale de la même zone d’emploi ou ailleurs. Nous restreignons l’échantillon aux individus âgés de moins de 60 ans afin de ne pas considérer comme un licenciement ce qui est en réalité un départ à la retraite.

Cette méthode tend à sous-estimer les licenciements économiques car elle ignore les cas de licenciements collectifs sans fermeture d’unité locale. En particulier, elle sous-estime les licenciements de salariés travaillant dans les grosses unités locales, qui disparaissent moins souvent que les petites unités locales. Cependant, cette méthode a été retenue pour deux raisons. Tout d’abord, elle garantit au maximum l’identification de « vrais » licenciements, en l’absence d’informations sur la raison de la disparition de l’individu d’une unité de production dans notre base de données. Se baser sur une réduction d’effectif pour identifier un licenciement économique augmenterait le risque d’associer des choix de carrière à des licenciements. Ce risque est d’autant plus grand pour les sites de production de petite taille. Il est en effet hasardeux de considérer comme un licenciement économique une situation dans laquelle 2 individus quittent une unité locale composée de 6 salariés. Ensuite, cette méthode permet de réduire le risque de biais de sélection, qui peut par exemple survenir si les entreprises licencient en priorité les individus ayant peu d’ancienneté ou qui sont peu performants31.

Pourquoi ne pas utiliser des données issues d’enquêtes, comme l’Enquête Emploi, qui renseignent sur le motif de cessation d’emploi ? Le recours à ces données réduirait drastiquement la taille de l’échantillon. Nafilyan (2016), qui étudie le parcours d’individus licenciés sans distinguer les secteurs exposés et abrités, suit 2 364 individus sur la période 2003-2011. À partir de cet échantillon, nous pourrions donc suivre environ 520 travailleurs exposés, dont seulement 330 licenciés de l’industrie. Un problème de représentativité surviendrait dans l’étude des mobilités entre régions (22 en France métropolitaine), entre métiers (29 catégories socioprofessionnelles) et entre activités (220 activités). De surcroît, les données d’enquête sont sujettes au biais de rappel : elles sont construites à partir des souvenirs des individus. Or, ces derniers peuvent ignorer la véritable raison de leur licenciement, puisque l’employeur peut user d’artifices juridiques ou d’un appel à un plan de départ volontaire pour ne pas recourir à une procédure de licenciement économique. En outre, les travailleurs plus âgés et à rémunérations faibles ont tendance à surestimer leur ancienne rémunération (Wachter et al., 2009). Ce problème n’apparaît pas avec les DADS, qui servent de base au calcul de l’impôt sur le revenu.

2. Identifier les fausses fermetures de site

La disparition d’une unité locale de la base de données ne signifie pas nécessairement que cette unité a réellement fermé. Une « fausse » disparition peut survenir lorsque le numéro Siren de l’entreprise change (pour des raisons administratives, un changement d’activité, une fusion ou encore un rachat). Elle se produit également lorsqu’un site de production est transféré dans une autre zone d’emploi, puisque nous créons l’identifiant d’une unité locale à partir du numéro Siren et du code de la zone d’emploi. Nous nous inspirons de la méthode de Margolis (2002) pour repérer les fausses fermetures d’unités locales. À partir du panel DADS, nous identifions, pour chaque unité locale disparue l’année n, la part de travailleurs que l’on retrouve dans une autre unité locale en n+1, dans la même région32. Si au moins 50 % des salariés observés dans l’unité local se sont déplacés ensemble vers une autre unité locale, alors nous concluons qu’il existe une continuité économique entre l’unité locale et attribuons l’identifiant d’unité locale en n+1. Ainsi, nous évitons d’inclure les travailleurs de l’unité de production dans le groupe des salariés licenciés pour motif économique.

3. Résultats obtenus à partir d’une définition alternative du licenciement

On peut vouloir prendre en compte un panel plus large de licenciements économiques, en observant non plus seulement les cas de fermeture des unités locales mais toutes les situations où leur effectif varie brutalement. En fixant un seuil de réduction (30 % par exemple) d’une année sur l’autre, on peut considérer tous les individus disparus de l’entreprise cette année-là comme licenciés pour des raisons économiques. Cette méthode permet de disposer d’un échantillon en théorie plus vaste et plus représentatif.

En pratique, elle présente toutefois certains inconvénients. D’abord, il est difficile de trouver un seuil de réduction d’effectif adapté aux petites unités locales. Que peut-on conclure par exemple d’une baisse de 30 % de l’effectif d’une unité locale de 4 salariés ? On risque de confondre des départs volontaires et individuels avec un licenciement collectif. On doit donc limiter l’échantillon aux unités suffisamment grosses, par exemple à celles d’au moins 10 salariés, ce qui conduit à sous-estimer les licenciements dans les petites unités locales.

En outre, les DADS ne renseignent que sur les tranches d’effectif des entreprises. À partir des fichiers exhaustifs, nous avons donc calculé l’effectif de chaque unité locale en comptant le nombre d’individus travaillant dans une entreprise et une zone d’emploi données. Malheureusement, il manque parfois des informations sur la zone d’emploi et la commune de travail des individus. Dans ce cas, il n’est pas possible de reconstituer l’effectif de l’unité locale. Ce problème concerne environ 2 % des observations sur la période étudiée. Mais, pour l’année 2009, ce pourcentage s’élève à 20 %. Et, pour l’année 2001, nous constatons une part anormalement élevée de brusques réductions d’effectif qui pourrait provenir d’une erreur de l’Insee dans le codage de la base. Il serait donc nécessaire d’exclure les années 2001 (et donc aussi 1999 et 2000) et 2009 (et donc 2010) de l’analyse. Et par conséquent, un suivi continu des individus ne serait possible que sur la période 2002-2008. Précisons qu’il ne serait pas raisonnable de repérer les variations d’effectif à partir du panel puisque, contrairement au fichier exhaustif, la cohorte suivie n’excède jamais un douzième de l’emploi salarié total.

Finalement, nous disposons de deux échantillons de taille identique. Le premier, qui se restreint aux fermetures d’unités locales, s’étend de 1998 à 2010 : il contient un peu moins d’un million d’observations et nous permet de suivre environ 112 000 individus licenciés. L’échantillon y ajoutant les licenciements identifiés grâce aux brusques réductions d’effectif (avec un seuil fixé à 30 %) se limite aux années de 2002 à 2008. Il contient environ 930 000 observations et nous permet de suivre 174 000 individus licenciés.

Le résultat essentiel de notre vérification méthodologique est que ce changement d’échantillon ne modifie pas les conclusions de notre étude.

• Les taux de licenciement pour motif économique sont plus élevés, dans les trois secteurs étudiés (le secteur abrité, les services exposés et l’industrie manufacturière), en travaillant avec ce nouvel échantillon. Cependant l’ordre et les écarts entre ces trois secteurs restent les mêmes. Le secteur manufacturier présente le plus faible taux de licenciements économiques (3,4 %), derrière le secteur abrité (5,2 %) puis le secteur des services exposés (5,5 %).

• Le taux de retour à l’emploi trois ans après un licenciement est globalement plus faible sur la base de ce nouvel échantillon (le secteur des services exposés passe de 62 % à 54 % par exemple). Mais l’ordre des trois secteurs est, là encore, conservé : les salariés licenciés du secteur manufacturier ont plus de difficultés à retrouver un emploi, puis viennent les salariés du secteur abrité et enfin ceux des services exposés.

• Concernant la mobilité professionnelle et géographique, nous obtenons là encore des résultats similaires à ceux exposés dans notre synthèse. Le taux de mobilité interrégionale reste faible. L’écart entre les travailleurs provenant des services exposés et ceux des deux autres secteurs apparaît même encore plus réduit (seuls 15 % des salariés licenciés des services exposés changent de région lors du retour à l’emploi, contre 18 % avec l’échantillon initial). Par ailleurs, les salariés licenciés des deux secteurs exposés à la concurrence internationale demeurent ceux qui changent le plus souvent d’activité lors du retour à l’emploi, loin devant les travailleurs du secteur abrité.

• Enfin, nous trouvons toujours un effet significatif des caractéristiques individuelles dans les chances de retour à l’emploi, ainsi qu’un effet très significatif et négatif de l’appartenance au secteur manufacturier.

• Selon qu’on introduit des effets fixes au niveau régional ou au niveau de la zone d’emploi, l’appartenance au secteur des services exposés est soit non significative, soit faiblement significative et positive dans le retour à l’emploi.

4. Estimer les chances de réemploi des travailleurs licenciés

L’analyse de la probabilité de réemploi est basée sur un sous-échantillon d’individus licenciés entre 1999 et 200733 issu de l’échantillon initial. Nous restreignons ce sous-échantillon aux individus ayant au moins deux ans d’ancienneté dans l’entreprise, ne cumulant pas plusieurs postes sur toute la période, et travaillant dans des unités locales de production de plus de 8 salariés. L’échantillon total nous permet d’estimer la probabilité de réemploi à partir du parcours de 88 542 individus licenciés.

Nous estimons la probabilité de retrouver un emploi au bout de trois ans après licenciement à l’aide de l’équation suivante :

Reemploii,j,t+n est une variable binaire égale à 1 si le travailleur i de l’unité locale j licencié en t retrouve un emploi l’année t+n, n variant de 1 à 3, à 0 sinon. β est l’estimateur de l’effet de l’appartenance du travailleur i au secteur S (manufacturier, services exposés, abrité) l’année du licenciement t sur la probabilité de réemploi. X est un vecteur de caractéristiques individuelles comprenant le genre, la catégorie d’âge, la catégorie socioprofessionnelle, l’ancienneté dans l’entreprise et le type de contrat (temps complet, temps partiel ou intérimaire) et γ estime l’effet de ces caractéristiques sur la probabilité de réemploi. Enfin, Y est un vecteur des caractéristiques de l’unité locale j (région, effectif et effectif au carré).

5. Mesurer les pertes de salaire imputables au licenciement

Nous nous intéressons à l’évolution des salaires après le licenciement par rapport à une situation hypothétique dans laquelle les travailleurs n’auraient pas été licenciés. Nous empruntons l’une des nombreuses méthodes économétriques d’évaluation, le cadre de référence étant le modèle causal du statisticien Rubin (1974). Cette méthode consiste à évaluer l’effet causal d’un traitement en comparant le groupe d’individus traités avec un groupe d’individus n’ayant pas reçu le traitement, appelé groupe de contrôle. Dans notre cas, le groupe des traités est constitué des travailleurs ayant subi un licenciement économique (le traitement) alors que les individus appartenant au groupe de contrôle, les non-traités, sont les travailleurs n’ayant pas subi de licenciement. L’interrogation fondamentale concerne « l’effet du traitement sur les traités », c’est-à-dire les variations de salaire imputables au licenciement. On voit immédiatement qu’une des principales difficultés consiste à trouver un contrefactuel crédible à la situation de traitement, dans la mesure où chaque individu n’est observé que dans un seul de ces deux états. Autrement dit, il faut comparer l’évolution de salaire des individus licenciés à celle d’individus non licenciés qui leur ressemblent. Pour cela, on calcule pour chaque individu sa probabilité d’être licencié sur la base des caractéristiques que l’on observe, et l’on trouve pour chaque individu licencié un « jumeau statistique », qui n’a pas été licencié alors que sa probabilité de l’être était identique ou très proche. Et lorsque l’on dispose de deux groupes d’individus comparables, on peut attribuer au licenciement les écarts d’évolution de salaire entre licenciés et non licenciés.

A. Un appariement sur le score de propension

Pour réduire le plus possible le risque de biais de sélection34, on veut limiter le groupe de contrôle aux individus non traités les plus comparables aux individus traités, en termes de caractéristiques observables. La méthode d’appariement choisie est celle qui est basée sur le score de propension (Rosenbaum et Rubin, 1983). On apparie les travailleurs sur la base de leur probabilité ex ante d’être licenciés conditionnellement à un certain nombre de caractéristiques observables (niveau et croissance du revenu avant licenciement, âge, sexe, catégorie socioprofessionnelle, activité de l’entreprise employeuse, région de travail, et conditions d’emploi). L’appariement s’effectue par cohorte : un individu licencié en 2002 est apparié avec un individu non licencié en 2002 mais qui peut être licencié au cours des années suivantes. Nous excluons toutefois les individus qui ont connu plusieurs licenciements sur la période.

On considère que les individus qui ont ex ante la même probabilité d’être licenciés sont comparables, ce qui corrige le biais de sélection. Concrètement, nous calculons ces scores de propension à partir d’un modèle probit, et un algorithme (appariement sur le plus proche voisin) permet de constituer des paires de travailleurs ayant des scores proches. L’appariement sur le score de propension nous permet de limiter de manière efficace le biais de sélection sur les facteurs observables : le biais moyen sur notre échantillon final a été réduit d’un facteur 5. Cette méthode est en outre complémentaire à la méthode des doubles différences, qui permet de contrôler ce biais sur les facteurs inobservables, dès lors que leur influence est constante dans le temps (Lecocq et al., 2014).

B. Le modèle estimé

Afin d’évaluer l’effet du licenciement sur l’évolution des salaires des travailleurs licenciés, nous estimons un modèle en doubles différences à la Jacobson et al. (1993) à partir de notre échantillon d’individus licenciés et non licenciés appariés grâce à la méthode du score de propension. Nous analysons l’effet des licenciements intervenants sur la période 2002-2006 sur les revenus deux ans avant et quatre ans après le licenciement. Il s’agit d’estimer le modèle suivant :

  • 28. Un volume de travail suffisant correspond à une durée d’emploi qui dépasse 30 jours et 120 heures, avec un ratio nombre d’heures/durée supérieur à 1,5. Une rémunération suffisante doit être supérieure à 3 SMIC mensuels sur l’année.
  • 29. Cette condition permet d’éliminer les salariés pour lesquels il y a eu une erreur de transcription du salaire dans la source administrative, qui pourrait biaiser les résultats de l’étude.
  • 30. Chaque unité locale est donc identifiée par le code Siren de l’entreprise suivi du code indicatif de la zone d’emploi dans laquelle elle est localisée.
  • 31. La plupart des cessations d’emploi ont lieu parce que le travailleur décide de poursuivre sa carrière ailleurs, ou bien parce que l’employeur décide de le licencier pour des raisons comme sa performance (Neffke et al., 2017). La cessation d’emploi est alors corrélée aux caractéristiques individuelles des travailleurs, puisqu’elle est endogène aux perspectives de l’individu en termes de carrière et aux anticipations de l’employeur en termes de performances futures de la firme. Il sera alors impossible d’isoler l’effet spécifique du licenciement sur le parcours professionnel post-séparation de l’individu. Au contraire, les cessations d’emploi dues à une fermeture de site ne sont pas corrélées à la performance du travailleur ou à ses aspirations professionnelles. Le licenciement est donc exogène du point de vue du travailleur : il ne dépend pas de ses caractéristiques individuelles.
  • 32 . Comparer l’effectif de chaque unité locale disparue à l’effectif des unités locales dans toute la France au lieu de se restreindre à la même région permettrait de voir les cas de transfert de travailleurs entre régions au sein d’une même entreprise. Cependant, nous ne disposons pas de la puissance de calcul nécessaire à une telle opération.
  • 33. Nous excluons les individus licenciés après 2007 puisque nous avons besoin de connaître le réemploi en t+3.
  • 34. Il est par exemple possible que les unités locales qui disparaissent soient plus intensives en main-d’œuvre peu qualifiée que celles qui survivent.

Eugénie Tenezakis et Philippe Frocrain, Parcours de travailleurs dans une économie mondialisée, Paris, Presses des Mines, 2018.

ISBN : 978-2-35671-502-9

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