Difficultés de recrutement et métiers en tension

Le but de ce dossier pédagogique est d’expliquer les causes des difficultés de recrutement rencontrées par les industriels et d’exposer des leviers d’action possibles mis en œuvre par les acteurs publics et privés.

Fin octobre 2013, le nombre de demandeurs d’emploi inscrits à Pôle emploi en catégorie A s’établissait à 3,29 millions, en hausse de 5,5 % par rapport à la fin octobre 2012 (soit +171 900 chômeurs).

Pourtant, en dépit d’un chômage élevé et d’une conjoncture peu favorable dans certains secteurs d’activités, certaines entreprises n’arrivent pas à satisfaire tous leurs besoins de recrutement. Ce déséquilibre sur le marché du travail est dû à de multiples causes tels que les changements technologiques (utilisation de nouvelles machines, de nouveaux procédés…), démographiques (les départs à la retraite), institutionnels (politique de l’emploi et de formation), etc.

Les secteurs et les métiers frappés par les difficultés de recrutement

Lorsque les employeurs ont des difficultés à recruter des personnes pour occuper les postes qu’ils proposent, on parle de difficultés de recrutement.

Nombre d’enquêtes sont publiées chaque année pour identifier les métiers qui ne trouvent pas preneurs et les origines de ces difficultés. A titre d’illustration, nous allons analyser les résultats de l’enquête BMO (Besoin en main d’œuvre) réalisée par Pôle Emploi avec le concours du Crédoc[1].

L’enquête BMO 2013 indique que les employeurs français prévoient 1,6 million d’embauches en France tous secteurs confondus, soit une très légère augmentation par rapport à 2012 (+0,3 %). Sur cet ensemble, 40 % sont anticipées comme difficiles, contre 43 % l’année dernière.

Le taux est élevé, à 55 %, dans la construction. Inversement, il est de 32 % dans l’agriculture et de 34 % pour le commerce. Les services aux entreprises et aux particuliers affichent des taux voisins, de 41 % et 42 % respectivement. Les services, qui regroupent plus d’un million des projets d’embauche, ont connu un durcissement des difficultés de recrutement entre 2012 et 2013.

L’industrie (y.c. énergie) représente 129 120 des projets de recrutement recensés en 2013, un nombre en baisse par rapport à 2012. Parmi eux, 42 % sont considérés comme difficiles, contre 46 % en 2012 ; les conditions se sont donc assouplies, à l’inverse de ce qui s’est passé dans les services.

Si l’on détaille par secteurs et métiers industriels, ce taux atteint jusqu’à 62 % dans le secteur de la métallurgie. Dans la catégorie des ouvriers qualifiés, environ 80% projets de recrutement sont jugés difficiles pour les tuyauteurs, environ 70 % pour les chaudronniers, tôliers, traceurs, serruriers, métalliers et forgerons. A l’inverse, environ 30% seulement sont jugés problématiques pour les ouvriers non qualifiés en métallurgie, verre, céramique et matériaux de construction. De manière générale, les recrutements difficiles dans l’industrie concernent plutôt les ouvriers qualifiés. Enfin, pour le personnel d’encadrement, c’est près d’un projet sur deux de recrutement d’ingénieurs et cadres d’études de l’industrie qui est considéré comme problématique par les employeurs.

Top 10 des postes les plus difficiles à pourvoir en France dans l’industrie

  • Tuyauteurs
  • Chaudronniers, tôliers, traceurs, serruriers, métalliers, forgerons qualifiés
  • Régleurs qualifiés
  • Ouvriers qualifiés travaillant par enlèvement de métal (moulistes, usineurs…)
  • Agents de maîtrise et assimilés en mécanique et travail des métaux
  • Dessinateurs en mécanique et travail des métaux
  • Techniciens en mécanique et travail des métaux
  • Ingénieurs, cadres études & R&D (industrie)
  • Autres ouvriers non qualifiés de type industriel (prépa. matières & prod. industriels…)
  • Ouvriers non qualifiés en métallurgie, verre, céramique et matériaux de construction

Clé de lecture : les postes sont triés du plus difficile au moins difficile à pourvoir.

Source : enquête Besoins en Main-d’œuvre 2013


Une autre façon d’observer ces difficultés de recrutement est de mesurer l’indicateur de tension sur le marché du travail. Pôle emploi[2] et la Dares[3]  publient chaque trimestre des indicateurs de tension selon les métiers (voir encadré ci-dessous).

Souvent, des tensions sur les métiers sont le signe de difficultés de recrutement chez les employeurs. A titre d’exemple, en 2013, le métier de techniciens en mécanique et travail des métaux présente une part élevée de projets jugés difficiles par les recruteurs (64,4%)  et une tension forte de 1,24.

Encadré 1. Qu’est-ce qu’un indicateur de tension ?

L’indicateur de tension sur le marché du travail rapporte les offres (OE) et les demandes d’emploi (DE) enregistrées par Pôle emploi sur une période donnée.

Lorsque ce ratio (OE/DE) est supérieur à 1, cela signifie que le nombre d’offres surpasse celui des demandes d’emploi. Plus celui-ci est élevé, plus la tension est forte et signale les difficultés que rencontrent les entreprises à pourvoir leurs postes.

Toutefois cet indicateur comporte des limites ; son interprétation doit donc être nuancée. Comme tout ratio, il peut être sensible à des évolutions conjoncturelles. De plus, les statistiques de Pôle emploi ne rendent pas compte de l’ensemble des besoins de main-d’œuvre. En effet, les offres d’emploi ne sont pas systématiquement connues de Pôle emploi car les employeurs peuvent privilégier d’autres canaux de diffusion (réseaux, cabinet de recrutement privé, presse etc.). La tension réelle sur le marché du travail peut donc parfois être plus forte que ce que suggère cet indicateur.

Les raisons des difficultés de recrutement

Les causes des difficultés de recrutement peuvent être de nature quantitative, qualitative, conjoncturelle ou structurelle. Elles peuvent en outre se situer :

  • Du côté de la demande de travail (les employeurs) : capacité des recruteurs à définir leurs besoins, exigences élevées en termes de diplômes, de compétences ou de qualifications…
  • Du côté de l’offre de travail (les travailleurs) : pénurie de candidats pouvant être liées aux départs à la retraite et à un manque de main d’œuvre jeune, éloignement géographique entre la localisation des postes proposés et celle où se trouve la main d’œuvre disponible, inadéquation entre les caractéristiques des postes offerts et le niveau de qualification des demandeurs d’emplois (manque d’expérience, de compétences et de motivation), déficit d’image aux yeux des candidats (de l’entreprise, du secteur, du métier, des conditions de travail proposées).
  • Du côté des acteurs intermédiaires sur le marché du travail (Pôle emploi, Mission locale[4]…) : efficacité, qualité de leurs actions pour mettre en relation les employeurs et les demandeurs d’emploi.

Quels leviers pour résoudre les difficultés de recrutement ?

Nous venons de voir que, malgré la hausse considérable du chômage et donc une grande disponibilité de main d’œuvre, les difficultés de recrutement des entreprises ne se sont pas pour autant réduites. Ce phénomène met en évidence ce que l’on appelle le problème d’appariement c’est-à-dire lorsque sur le marché du travail, employeurs et chômeurs peinent à se rencontrer.

Afin de pallier ce déséquilibre, les pouvoirs publics, les intermédiaires du marché du travail (service public pour l’emploi par exemple) et les entreprises mettent en œuvre des stratégies allant de l’adaptation du système de formation aux besoins de l’économie jusqu’à l’intervention dans d’autres domaines comme les politiques sociales, de transport, de logement… Dans tous ces cas, ils cherchent à améliorer les possibilités d’appariement.

Ces stratégies peuvent porter sur le système de formation : proposer des formations, aux demandeurs d’emploi correspondant aux métiers en tension, former les salariés déjà présents dans l’entreprise (formation continue) et leur permettre ainsi une mobilité interne ou externe, revaloriser et développer l’apprentissage, etc.

Elles peuvent porter sur les politiques de ressources humaines : développer la gestion prévisionnelle de l’emploi et des compétences dans l’entreprise (pour faire face aux départs à la retraite, anticiper les besoins futurs des salariés en termes de compétences…), proposer des évolutions de carrières stimulantes, etc.

De plus, les entreprises peuvent mener des actions pour améliorer leur image et rendre leurs métiers plus attractifs : renforcer les liens avec des écoles préparant à des diplômes dans leurs secteurs d’activité, se rapprocher des professionnels de l’éducation, informer les jeunes sur leurs débouchés et les perspectives (organisation de forums des métiers par exemple), favoriser l’immersion des jeunes dans l’entreprise, agir sur le parcours d’insertion des personnes les plus éloignées de l’emploi, etc.

Enfin, les pouvoirs publics interviennent directement via leurs politiques d’emploi, de formation… ou plus indirectement, via leurs politiques de transport, de logement, d’aménagement du territoire…

Les actions des entreprises et des branches professionnelles

 Pour répondre à leurs besoins de recrutement, certaines entreprises mettent en place des pratiques originales[5] de formation : création d’un diplôme propre, de CQP[6] (certificat de qualification professionnelle) d’une université ou d’un centre de formation, mutualisation au sein d’un groupement d’employeurs ou encore partenariats avec le corps enseignants. On en cite ici quelques exemples.

Trescal, spécialiste mondial des services de métrologie et de gestion de parcs d’équipements de contrôle, de mesure et d’essai, a créé son propre centre de formation, le Trescal Institute. Leur méthode consiste à former des salariés qui deviennent à leur tour formateurs internes au sein de cette structure, et qui dispensent des formations techniques et généralistes auprès de tous leurs salariés.

Mane, entreprise familiale fondée en 1871 spécialisée dans la création d’arômes et de parfums, travaille depuis plusieurs années avec le centre de formation ASFO Grasse, spécialisé pour les salariés de la chimie fine. L’entreprise signe régulièrement des contrats de professionnalisation  de deux ans, qui permettent à des jeunes d’obtenir un CQP (Certificat de qualification professionnelle) de niveau Bac +1. Ces formations en alternance préparent à différents métiers : préparateurs, assistants de pesées et CAIC. Ils ont par ailleurs créé une Ecole de parfumerie, qui leur permet de compléter la formation des parfumeurs en interne, avec l’aide de séniors retraités.

Enfin, certaines entreprises industrielles se regroupent au sein d’associations d’employeurs tels que les GEIQ (Groupement d’employeurs pour l’insertion et la qualification). Un GEIQ embauchent des personnes éloignées de l’emploi – bénéficiaires du RSA, chômeurs de longue durée, jeunes sans qualification – afin de les qualifier et de les amener vers un emploi durable. Il recrute directement les salariés puis les met à disposition des entreprises adhérentes, en organisant une alternance entre apprentissages théoriques et situations de travail concrètes. Pour construire les parcours d’insertion et de qualification, les GEIQ entretiennent des liens resserrés avec les organismes de formation et plus généralement avec l’ensemble des partenaires locaux de l’emploi et de la formation. Par essence, ce type de dispositif est territorial ; il part des besoins en compétences des entreprises locales, s’adresse aux salariés locaux et fédère sur un territoire les acteurs privés et publics du champ de l’insertion, de la formation et de l’emploi. Les GEIQ sont évalués à la fois au vu du public recruté, du taux de qualification et du taux de sortie vers l’emploi. La France compte actuellement onze GEIQ industriels et de nombreux autres dans différents domaines (BTP, espaces verts, etc.).


[1] Pôle emploi réalise chaque année, avec le concours du Credoc, une enquête BMO qui recense les intentions de recrutement des employeurs dans les 388 bassins d’emploi français (métropole et DOM). Cette enquête met en évidence les difficultés de recrutement potentielles. Voir sur http://bmo.pole-emploi.org/files_dl/2013/rap_BMO_2013.pdf sur http://bmo.pole-emploi.org/files_dl/2013/rap_BMO_2013.pdf.  Un autre exemple d’enquête est l’étude Manpower sur la pénurie de talents (voir http://manpowergroup.fr/wp-content/uploads/2013/05/Penuries_de_talents_WP.pdf).

[2] Pôle emploi : établissement public à caractère administratif (EPA), est chargé de l’emploi en France. Il a été créé le 19 décembre 2008 et est issu de la fusion entre l’ANPE et les Assedic.

[3] Dares  (Direction de l’animation de la recherche, des études et des statistiques) : c’est une direction de l’administration publique  qui dépend des ministères du Travail, de l’Emploi et de la Santé. Cette direction construit et analyse des statistiques qui concernent le marché du travail en France et travaille entre autres avec Pôle emploi. Elle publie régulièrement des travaux de recherche sur le travail, le chômage et l’emploi. Voir le site : http://travail-emploi.gouv.fr/rubrique_technique,281/bas-de-page,2030/travail,2032/etudes-recherches-statistiques-de,76/

[4] Les Missions locales sont des structures pour l’insertion sociale et professionnelle des jeunes de 16 à 25 ans.

[5] Voir sur le site de La Fabrique, « L’industrie jardinière du territoire ou comment les entreprises s’engagent dans le développement des compétences » (parution avril 2014, http://www.la-fabrique.fr/projet-en-cours/l-industrie-jardiniere-de-son-territoire) et le projet formation professionnelle (http://www.la-fabrique.fr/projet-en-cours/formation-professionnelle-competitivite).

[6] Les CQP, certificats de qualification professionnelle, sont des certifications créées et délivrées par les branches professionnelles. Un CQP est pris en compte par toutes les entreprises qui relèvent de la branche concernée pour le positionnement de son titulaire dans la grille de classification des emplois. En revanche, les CQP ne sont pas reconnus par l’Etat ni donc pris en compte à l’extérieur de la branche. Source : Commission nationale de la certification professionnelle (www.cncp.gouv.fr).

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