Analyse de Pierre Veltz, président de l’établissement public Paris-Saclay : Comment expliquer la localisation des firmes sur un territoire ? Y a-t-il des facteurs, autres que géographiques, qui déterminent le dynamisme économique ? Peut-on en déduire quelques principes d’action en matière de développement public territorial, qu’il s’agisse du niveau local, national, voire international ?

Aujourd’hui, les localisations géographiques des firmes se font globalement plutôt au profit des zones riches et développées (en particulier les grandes métropoles) qu’au profit des zones pauvres et périphériques. C’est vrai à l’échelle de la France, c’est vrai aussi à l’échelle mondiale. Certains pôles secondaires parviennent cependant à se développer sans aucun des atouts géographiques classiques : coût ou qualité des ressources, dotations en infrastructures, etc. Les déterminants du dynamisme économique seraient donc plus subtils et tiendraient en réalité beaucoup plus à des contextes sociaux ou historiques qu’à des critères géographiques au sens classique du terme.

Un écosystème relationnel fertile

Entre la fin des années 1970 et les années 1980, la mondialisation a plongé les grands groupes nationaux dans une concurrence réelle, et les a conduits à redéfinir leur compétitivité dans une équation plus complexe intégrant, autour du facteur de coûts, des éléments « qualitatifs » :

  • la qualité,
  • la réactivité,
  • la capacité d’innovation,
  • la variété des produits,

Or, ces nouvelles formes de compétitivité ne résultent plus seulement de la productivité des opérations (slogan de base du taylorisme), mais de l’efficacité de ce qui se passe entre les opérations et les acteurs de la chaîne de valeur. L’existence d’un écosystème relationnel, la qualité d’organisation, la pertinence et la densité des relations entre les acteurs apparaissent désormais comme le facteur clé. Ce facteur n’est ni complètement interne ni complètement externe à l’entreprise.

Dynamiques d’acteurs au sein d’un écosystème local

Dynamique territoriale

Source : d’après Manuel de géographie de 1ère L/ES/S, programme 2011, Nathan

Considérons par exemple la capacité d’apprentissage. Dans un environnement qui évolue de plus en plus rapidement, la vitesse d’apprentissage est essentielle. Or, on apprend mieux à plusieurs que tout seul et l’isolement pour une PME constitue donc un handicap majeur. Les tissus de PME, comme les districts italiens, ont cette force d’avoir en groupe une capacité de surveillance de l’environnement, de diversification et de multiplication des capteurs. Néanmoins, il serait erroné de croire que le développement global repose sur les grandes firmes et le développement local sur les PME.

Les grandes firmes sont les acteurs-clés du développement local aujourd’hui. Les PME, surtout en France, sont souvent soit des filiales directes des grandes firmes, soit leurs fournisseurs ou sous-traitants.

Stratégies des firmes : développement local ou global ?

stratégie de firmes

Le territoire apparaît comme un opérateur de confiance, comme un fournisseur de densité de relations, de facilitation des apprentissages, etc. Il devient attractif dès lors qu’il fournit gratuitement ses « externalités », ses ressources immatérielles qui en font un environnement fertile.

Préserver la mobilité

 La préservation de la mobilité est l’autre grande logique qui structure les relations entre les firmes et les territoires. Aujourd’hui, la complexité et la volatilité de l’économie font que les entreprises pilotent à vue, en particulier pour les besoins en main-d’oeuvre qualifiée. Elles accordent donc beaucoup d’importance au fait d’être dans des environnements qui leur permettent de répondre à ces changements, de recruter mais aussi de licencier en fonction de leurs besoins.

Recruter une main-d’oeuvre particulière est d’autant plus facile que le bassin d’emploi est important, et fermer une unité y est également plus aisé : un plan social est moins douloureux en Île-de-France qu’à Bataville (Moselle). Pour cette raison, la taille du marché du travail est un facteur implicite crucial dans le processus de localisation de l’entreprise. La métropole joue alors le rôle d’assurance de flexibilité, à court terme et surtout à moyen terme.

Bassin d'emploi

La notion de bassin d’emploi

Cette logique de réduction des coûts d’entrée et de sortie est une des explications fondamentales de la croissance des métropoles. C’est un atout considérable pour un territoire, beaucoup plus que les atouts directs comme la fiscalité ou les infrastructures. Il arrive d’ailleurs que les territoires en usent systématiquement : l’Irlande ou l’Écosse ont attiré les entreprises étrangères en mettant en avant qu’elles pourraient repartir sans difficultés. Quant aux infrastructures, elles sont beaucoup moins déterminantes que ne le croient souvent les élus. Oyonnax (commune du département de l’Ain) qui s’est développée alors qu’elle était inaccessible en représente un parfait exemple. Le cadre de vie joue aussi un rôle croissant : dans les secteurs les plus qualifiés, les entreprises vont là où leurs salariés ont envie de vivre. De plus en plus c’est la mobilité des hommes qui guide la mobilité du capital, et pas l’inverse.

Pour synthétiser, les territoires peuvent avoir trois types de stratégies :

  • La première consiste à minimiser les coûts de sortie, à fluidifier, avec le risque d’une compétition fragilisante entre les territoires et d’une surenchère vers le bas (fiscalité, flexibilité du travail, etc.).
  • La deuxième consiste à faire du territoire une matrice de ressources spécifiques, « écogénériques », avec le risque de créer des effets de verrouillage dans une spécialité donnée. C’est la logique qui a présidé à la création des pôles de compétitivité en France.
  • Enfin, une troisième stratégie combine les avantages de l’une et de l’autre : c’est la logique de la métropole, qui donne accès à des réseaux d’apprentissage très performants, en restant néanmoins ouverte.

Une diversité selon les fonctions de l’entreprise

 La logique de localisation varie selon les fonctions de la firme. Les entreprises cherchent aujourd’hui à afficher le siège social le plus petit possible pour la plus grande activité possible. S’opère par ailleurs un processus de concentration pour les activités d’ingénierie : dans l’automobile, les constructeurs regroupent l’ensemble des compétences techniques dans des centres comme le Technocentre de Renault. En matière de production, les groupes industriels peuvent avoir une logique de constitution en pôles de compétences – telle unité dédiée à tel produit, à telle technologie, etc. – qui se traduit géographiquement par la constitution de bassins de main-d’oeuvre très spécialisée, relativement stable. L’ensemble de ces activités peut être découpé en deux grandes catégories, quel que soit le secteur considéré : les activités du front (le front-office), en contact direct avec les clients, et les activités de l’arrière (back-office). En prenant ce découpage, il ressort que deux logiques se dessinent aujourd’hui. D’un côté, les activités du front sont de plus en plus capillarisées parce qu’il faut aller chercher le client là où il se trouve. De l’autre, les activités de l’arrière (recherche, conception, études) ont tendance à se concentrer sur des pôles.

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