Industries circulaires – Esquisse d’une transformation
En tête – Préface
L ’économie circulaire connaît un engouement spectaculaire auprès de publics divers depuis que ce concept a été popularisé par la Fondation Ellen McArthur il y a quinze ans. L’idée qu’il faille boucler les flux de matières, d’énergie et de produits pour échapper à l’impasse du modèle linéaire actuel, insoutenable sur le long terme, par les impacts qu’il engendre en matière de consommation de ressources et de production de déchets est aujourd’hui largement admise. L’économie circulaire fait désormais l’objet de politiques publiques, d’expérimentations et d’engagements de la part d’entreprises pour inventer de modèles circulaires, de la mobilisation de l’économie sociale et solidaire et de nouvelles start-up, de l’intérêt des médias, des étudiants et des chercheurs. Si les promesses de création de valeur économique, écologique et sociale ne manquent pas, la transition vers un modèle circulaire est pourtant loin d’être engagée en pratique. Le taux de circularité, calculé au plan mondial par le Circle economy (circularity gap report), baisse tous les ans depuis 2018 (il est tombé à 7,2% en 2023) et il progresse lentement au niveau européen, loin des objectifs annoncés il y a dix ans d’une baisse de 30 % de la consommation de ressources d’ici à 2030. Non pas que rien ne se passe, mais l’économie circulaire reste encore émergente.
Le grand intérêt de cet ouvrage très pédagogique et bien documenté est précisément de sortir du registre des promesses pour s’intéresser à deux questions cruciales : comment faire passer à l’échelle des modèles circulaires industriels qui restent encore à petite échelle ? Autrement dit, comment organiser une transition circulaire effective ?
Pour répondre à ces deux questions, les auteurs ont non seulement mobilisé la littérature académique et professionnelle et fait un état des lieux des réglementations actuelles, mais ils ont aussi mené une enquête auprès de 18 entreprises industrielles appartenant à des secteurs divers. La moitié de l’échantillon est constituée de grandes entreprises de l’économie linéaire cherchant à pivoter vers la circularité, l’autre moitié étant des petites entreprises « nativement circulaires », c’est-à-dire construites autour d’un projet circulaire.
De façon pragmatique, ils ont étudié les motivations des entreprises mais également les leviers et les obstacles qu’elles rencontrent dans le développement de pratiques circulaires. Il en ressort un diagnostic et des préconisations très convaincantes organisés autour de quelques points saillants.
Les auteurs tordent d’abord le cou à quelques idées reçues. Oui, les consommateurs sont encore très attachés à l’achat de produits neufs et exigent des produits circulaires des qualités comparables à ces derniers. Non, l’enjeu premier n’est pas d’inventer de nouveaux modèles circulaires, car les expérimentations fourmillent, mais bien de comprendre pourquoi les entreprises rencontrent tant de difficultés à les faire passer à l’échelle. Non, la réglementation n’est pas un fardeau mais bien une source d’opportunités pour créer des marchés en instaurant des mesures incitatives fiscales ou en matière d’achats publics ou de dispositifs d’information des consommateurs, en définissant des objectifs écologiques ambitieux qui suscitent une nouvelle demande pour des produits circulaires avec une empreinte environnementale réduite, en favorisant l’établissement de standards et de normes qui clarifient les règles du jeu économique. Les entreprises interviewées sont d’ailleurs en demande de telles réglementations.
Ils soulignent ensuite la variété des motivations pour s’engager dans des démarches circulaires. Outre l’engagement dans des activités qui font sens pour les acteurs et les organisations étudiées, ces motivations vont du souci de différencier des concurrents à la sécurisation des approvisionnements, en passant par l’anticipation de nouvelles réglementations à venir. Les auteurs rappellent qu’au-delà des intentions, ces entreprises doivent démontrer la rentabilité des modèles circulaires, ce qui n’a rien d’évident compte tenu de la temporalité longue des projets circulaires qui doivent construire de nouvelles filières qui n’existaient pas, faire monter en compétence les salariés ou trouver des gisements et des débouchés à leurs offres.
Qu’il s’agisse de grandes entreprises ou de petites entreprises nativement circulaires, les entreprises interviewées doivent en effet relever trois défis majeurs qui structurent l’ouvrage : la difficulté à organiser un approvisionnement sûr et de qualité ; convaincre, recruter, former et conserver des salariés ; construire un écosystème industriel et d’affaires, c’est-à-dire un système d’acteurs aux rôles complémentaires, incluant l’ensemble des parties prenantes concernées (acteurs industriels, collectivités locales, financeurs, éco-organismes, assurances…), condition de l’émergence de chaînes de valeur circulaires.
L’une des qualités du livre est que chacun de ces points est précisément argumenté et illustré par le choix judicieux de verbatims extraits des interviews et d’encadrés qui permettent d’approfondir différents points.
Outre les cas d’entreprises, dont l’histoire et les problématiques sont très bien documentées, l’un des moments forts de l’ouvrage est la présentation du district industriel du Prato qui a réussi sa mue pour se positionner en leader du recyclage de matières textiles. Ce cas illustre parfaitement l’ensemble des points présentés dans le livre. Il souligne notamment les enjeux d’une action collective territoriale coordonnée pour transformer un système d’acteurs, développer de nouvelles compétences et créer de la valeur entre des acteurs aux rôles et activités complémentaires.
En synthèse, voici un ouvrage clair, précis et concret qui offre des clés de compréhension utiles à tous les acteurs, publics et privés, qui souhaitent engager une transition circulaire forte qui ne se limite pas à l’optimisation des procédés et le recyclage en boucle ouverte des matières en fin de vie, mais qui vise à faire émerger des modèles économiques véritablement soutenables et résilients.
Franck Aggeri
Professeur de management au sein du Centre de gestion scientifique (CGS) de l’école des Mines de Paris — PSL.
Merci – Les auteurs remercient
Lorenzo Ravizzoni, étudiant en Master 1 (2023-2024) à la Toulouse School of Economics, qui a contribué à cette Note.
Nous remercions les industriels de s’être prêtés au jeu des entretiens ainsi que l’ensemble des experts qui a contribué à nos réflexions, notamment ceux présents lors de l’atelier de travail du 5 septembre à l’école des Mines de Paris-PSL.
Nous remercions les partenaires de l’observatoire des Territoires d’industrie (OTI) et leurs représentants pour avoir soutenu ce projet : Annabelle Boutet (ANCT), Lucas Chevrier (Intercommunalités de France – école des Ponts ParisTech), Aurore Colnel (ANCT), Camille Étévé (Banque des Territoires), Jean-Baptiste Gueusquin (ANCT), Isabelle Laudier (Institut CDC pour la recherche), Diane de Mareschal (Institut CDC pour la recherche), Camille Simoes (Banque des Territoires), Charlotte Sorrin-Descamps (Intercommunalités de France), Sinaa Thabet (Régions de France).
Merci également aux membres du conseil scientifique de l’OTI : Sébastien Bourdin (EM Normandie), Coline Bouvart (Institut Paris Région), Gilles Crague (école des Ponts ParisTech), Denis Carré (université Paris Nanterre), Philippe Frocrain (Agence d’urbanisme de la région nantaise), Nadine Levratto (université Paris Nanterre), Magali Talandier (université Grenoble Alpes) et Pierre Veltz (Institut des hautes études pour le développement et l’aménagement des territoires en Europe, école des Ponts ParisTech).
Comme toujours, cet ouvrage est le fruit du travail réalisé par une équipe. Merci à Vincent Charlet et à Émilie Binois pour le relais pris sur l’édition de l’étude (et toujours pour leur relecture), à Sharif Abdat pour le suivi administratif de l’Observatoire, à Gabriel Meunier pour l’organisation du cycle d’événements et à Julie Celeste Meunier pour la valorisation médias.
Pour résumer
Les pratiques de circularité dans l’industrie sont plus anciennes que le concept même d’économie circulaire, popularisé ces dernières années. Aujourd’hui, la question qui se pose n’est donc pas de créer des modèles circulaires mais plutôt de passer ceux-ci à l’échelle. Cet ouvrage examine des cas d’entreprises en phase d’exploitation, afin de mieux situer les différents acteurs industriels dans la transition vers une économie circulaire plus durable.
Opposée par définition à l’économie linéaire qui consiste à exploiter sans limite les ressources naturelles pour ne les utiliser qu’une seule fois, l’économie circulaire est très souvent associée au recyclage et à la valorisation des déchets. Or, pour que la notion de circularité prenne tout son sens, ces étapes en aval doivent ensuite alimenter l’amont d’autres chaînes de production, afin d’allonger l’usage des produits et matériaux, et permettre toutes les formes de seconde vie. L’expérience prouve que cet idéal est plus facile à atteindre quand les produits ont été pensés comme « circulaires » dès leur conception. En tout état de cause, il s’agit de concilier trois formes d’impact de l’activité de production : économique, environnemental et social.
Sur le terrain, les motivations guidant la mise en œuvre de projets circulaires sont multiples : outre des considérations environnementales, ils peuvent aussi répondre à la volonté de réaliser des économies sur les intrants, d’être plus compétitif ou d’être plus indépendant en matières premières. Ils peuvent s’insérer dans un projet plus global de création d’emplois et de développement local, voire de transformation des modes de production et de consommation.
Mais cette mise en place de modèles circulaires est un long chemin. Du côté des consommateurs, la préférence pour le neuf ne se dément pas. Certes, un mouvement s’est engagé sur certains nouveaux usages de la part de la clientèle originelle. Aussi, la réglementation apparaît à bien des égards comme un levier déterminant pour trois raisons au moins : instaurer un level-playing field (c’est-à-dire un corpus de règles similaires) produits, par exemple les voitures d’occasion, mais globalement, l’association du neuf aux critères de qualité, de sécurité et de fiabilité demeure la norme dans les esprits. De leur côté, toutes les entreprises cherchent encore la rentabilité des modèles circulaires qu’elles ont initiés. Pour cela, un premier défi est de les passer à l’échelle, en d’autres termes de les industrialiser.
Un deuxième challenge est de trouver leur marché, puisque les productions circulaires s’inscrivent généralement en complément des activités existantes plutôt qu’elles n’introduisent de face à la concurrence internationale, inciter les consommateurs à acheter différemment et les collectivités à privilégier les produits circulaires et enfin permettre de structurer de nouvelles filières. C’est une demande quasi unanime de la part des entreprises de notre échantillon. Les modèles circulaires observés aujourd’hui ne s’inscrivent donc pas en rupture avec les modèles linéaires.
La transformation requise de la chaîne de valeur peut cependant exiger des organisations, des compétences, des standards ou bien des outils très différents de ceux mis en place auparavant. Selon les boucles de circularité et les secteurs auxquels elles appartiennent, les entreprises peuvent éprouver des
difficultés plus ou moins grandes. Les entreprises linéaires qui cherchent à « pivoter » et celles qui sont nativement circulaires ne partent pas, par définition, des mêmes bases : les premières disposent déjà d’un réseau de fournisseurs par exemple, tandis que les secondes ont conçu d’emblée un modèle qui intègre des boucles de circularité. Mais des points de convergence existent entre les dix-huit entreprises interrogées pour cette étude : la difficulté à organiser un approvisionnement sûr et de qualité, le besoin de main-d’œuvre compétente et motivée ainsi que la nécessité de travailler à plusieurs.
La première difficulté est liée à la variabilité de la matière première : quand elle a déjà été utilisée, celle-ci présente des caractéristiques aléatoires en termes de forme, de couleur mais aussi de propriétés techniques et de qualité. Pourtant, elle doit servir à réaliser une série de produits homogènes, en tout cas pour l’œil du consommateur. Par ailleurs, c’est elle qui confère au produit sa valeur économique ainsi que son impact social et environnemental, d’où l’importance de maîtriser l’approvisionnement dans la durée (qualité, quantité, localisation, etc.). On peut distinguer alors trois « sources » d’approvisionnement des modèles circulaires : les produits « neufs » qui vont alimenter les premières boucles de l’économie circulaire (rétrofit, réparabilité, économie de l’usage) ; les chutes de production qui, du minerai au produit, peuvent être tout à fait conséquentes en volume et ont l’avantage d’exister déjà dans certains stocks de déchets ; les produits « postconsommation » qui pourront être réintroduits dans des chaînes de valeur sous plusieurs formes (produits, composants, matières). Dans une phase de passage à l’échelle, on peut voir alors une partie des produits neufs remplacée par des produits circulaires.
La deuxième difficulté commune aux entreprises rencontrées réside dans la nécessité de convaincre, recruter, former et garder les salariés. Le travail des matières premières secondaires et des produits recyclés n’est en effet pas encore considéré comme noble : les salariés se sentent donc souvent peu valorisés, alors même qu’ils doivent maîtriser des compétences moins standardisées, au moins au début des projets, et qui ne font pas encore l’objet de formations certifiées par l’État.
La dernière difficulté est la construction d’un système d’acteurs, pourtant primordiale pour les entreprises souhaitant mettre en œuvre un projet circulaire atteignant ses objectifs de rentabilité. La circularité n’aurait en effet pas de sens sans les partenaires industriels et autres parties prenantes, tels que les collectivités locales et les financeurs qui participent au bouclage des flux. Les éco-organismes ou encore les compagnies d’assurance doivent de leur côté transformer leurs pratiques pour faciliter, voire prescrire de tels projets.
Ces nouveaux systèmes d’acteurs ne s’observent pas toujours sur les mêmes échelles géographiques : cela dépend notamment de l’intensité capitalistique des procédés industriels, des matières premières secondaires utilisées et de leurs coûts de transport. En effet, la rentabilité repose souvent sur une configuration locale ou régionale des opérations, notamment pour les produits lourds ou volumineux dont le transport représenterait sinon un coût prohibitif.
Cette pluralité d’échelles géographiques est révélatrice de la construction de modèles circulaires dans un contexte de mondialisation. L’échelle locale, celle d’un territoire défini autour d’une ville ou d’une intercommunalité, n’est pas la seule observée. Et il est possible de voir des modèles évoluer dans le temps, à l’instar du district industriel de Prato en Italie, exemple d’écologie industrielle territoriale, spécialisé dans le textile recyclé depuis plus d’un siècle. La maîtrise ancienne du recyclage de fils de laine lui permet aujourd’hui de trouver un nouveau dynamisme autour de la circularité après avoir accueilli, depuis les années 1990, l’industrie de la fast fashion, pourtant aux antipodes de ce modèle.
En définitive, les entreprises industrielles semblent avoir conscience de la nécessité de transformer leur modèle de production pour participer pleinement à la transition écologique. Cela suppose déjà de leur part des efforts considérables et un bouleversement de leur modèle d’affaires. Elles semblent se situer dans une phase de la transition qui serait celle de l’écodesign et de l’allongement de la durée de vie des produits et des services. Comme le rappelle le Pacte vert pour l’Europe, la transformation du secteur industriel et de l’ensemble des chaînes de valeur devrait prendre au moins vingt-cinq ans.
Introduction
En France, le concept d’économie circulaire a officiellement fait son entrée au rang des orientations de l’exécutif depuis le vote de la loi relative à la transition énergétique pour la croissance verte du 18 août 2015. Celle-ci reconnaît la transition vers une économie circulaire comme un objectif national
et comme l’un des piliers du développement durable. Pourtant, ce concept n’est pas nouveau, pas plus que la contribution des industriels à la mise en œuvre de « boucles » permettant de réduire l’extraction de ressources naturelles et de favoriser l’allongement de la vie des produits.
Mais la transition de nos économies sur ce sujet est encore lente. Selon le Circularity Gap Report (2024), le taux de circularité des matières au niveau mondial est en baisse constante depuis cinq ans, indiquant un recul des efforts de réutilisation et de recyclage des ressources. La proportion de matériaux secondaires, métalliques ou non, s’est repliée de 9,1 % en 2018 à seulement 7,2 % en 2023. Par ailleurs, le demi-trillion de tonnes de matériaux utilisé sur la période 2017-2023, principalement dans les domaines de l’alimentation, la construction, l’industrie manufacturière et les mobilités, représente 28 % du total consommé par l’humanité depuis le début du xxe siècle. À ce jour, l’Agence environnementale européenne n’observe pas de découplage entre la consommation de ressources non renouvelables et la croissance économique.
En France, selon le tableau de bord de l’Agence de l’environnement et de la maîtrise de l’énergie (Ademe), plusieurs indicateurs de l’économie circulaire ont connu une évolution positive entre 2010 et 2022, mais celle-ci demeure insuffisante pour atteindre les objectifs fixés : la consommation de matière par habitant a diminué de 7,4 % (en dépit d’une augmentation de l’empreinte-matière1 entre 2010 et 2021), le nombre d’entreprises accompagnées en matière d’économie de la fonctionnalité a augmenté de 13 à 505 entre 2013 et 2023, la productivité matière2 s’est accrue de 17,3 %, et le volume de déchets mis en décharge s’est réduit de 22,7 %. Sur un autre plan, l’impact de l’industrie circulaire sur l’emploi est encore faible : malgré une croissance de 38 % entre 2008 et 2021, les emplois « circulaires » ne représentent que 1,8 % de l’emploi total en France, au-dessous de la moyenne européenne qui s’établit à 2,1 % en 2021 (SDES, 2024)3.
Il s’agit de comprendre comment ce mouvement peut être accéléré, en s’inspirant et en tirant profit des premiers cas d’école. Adoptant délibérément une approche empirique, cet ouvrage cherche donc à mettre en lumière les transformations engagées par des entreprises industrielles et à identifier les enjeux sur lesquels se cristallise le passage à des modèles circulaires. En particulier, il vise à caractériser la diversité de ces modèles et à examiner leur degré de rupture relativement au schéma linéaire.
Le premier chapitre porte sur la définition des modèles circulaires et sur le besoin encore prégnant d’une clarification normative à ce sujet. Le deuxième chapitre montre que les comportements des consommateurs sont encore alignés sur des schémas linéaires. Le troisième chapitre traite des motivations des entreprises et de leur stratégie et examine plus concrètement la façon dont elles opérationnalisent leur modèle circulaire. Enfin, le dernier chapitre met en évidence la nécessité pour ces entreprises de s’appuyer sur des systèmes d’acteurs, aux échelles géographiques variables, comme l’illustrent les cas de certains écosystèmes territoriaux ou celui du district industriel de Prato, en Italie.
Qui sont les entreprises citées dans ce livre ?
Appartenant au groupe français Savencia, Valrhona est située dans la Drôme. L’entreprise transforme du cacao issu principalement d’Afrique et d’Amérique latine puis exporte 99 % de ses produits dans 80 pays du monde à des clients B2B (agroalimentaire, boulangerie et pâtisserie, traiteur). Engagée depuis 1990 dans une stratégie soutenable, elle a développé un bac de transport réemployable pour les fèves de cacao, remplaçant les emballages en carton ou en plastique traditionnellement utilisés pour ses livraisons aux clients professionnels. Il s’agit de bacs de qualité alimentaire, hermétiques, solides et nettoyables facilement ; ils sont en outre fabriqués à base de matériaux biosourcés. Valrhona privilégie par ailleurs les agriculteurs pratiquant l’agroforesterie qui permet de régénérer les sols plus durablement que la monoculture.
Créée en 2015, Maximum est à la fois un cabinet d’architecture et de design et un fabricant de mobilier. Les meubles sont produits en série à partir de déchets industriels (chutes, préséries, ratés, excédents, etc.) et vendus aux particuliers comme aux professionnels. L’entreprise innove également pour concevoir et produire un matériau issu des déchets textiles et destiné à l’aménagement intérieur des bâtiments.
Saint-Gobain fabricant de matériaux pour les marchés
de l’habitat et de l’industrie, travaille depuis dix ans sur plusieurs boucles de circularité, dont l’écoconception et le recyclage. L’entreprise a notamment augmenté son usage de matières vierges renouvelables de 30 % (matière recyclée, biosourcée). Par exemple, le gypse, utilisé pour fabriquer du plâtre, est conçu à partir de déchets de plâtre et de calcin, ce dernier étant lui-même issu de verre recyclé. Une tonne de calcin utilisée en remplacement des matières vierges permet ainsi une économie de près de 800 kg de CO2.eq sur l’ensemble des scopes du bilan carbone. Saint-Gobain propose également des constructions légères4 qui incorporent des laines de verre minérales conçues à partir de calcin et qui représentent 40 % de son chiffre d’affaires. Saint-Gobain utilise en outre des emballages 100 % recyclables pour ses matériaux et valorise les déchets issus des chantiers de réhabilitation et de démolition, en les recyclant ou en les utilisant pour produire de l’énergie.
Recyc Matelas a été créée en 2010 pour recycler les encombrants que constituent les matelas. Elle est devenue le leader français sur ce segment. Sur l’un de ses cinq sites français, dans les Yvelines, elle traite ainsi 250 tonnes de literie par semaine, soit plus de
3 000 matelas par jour.
Entreprise grenobloise créée en 2017, Rosi Solar s’est spécialisée dans le recyclage de panneaux photovoltaïques en fin de vie. Elle récupère des matières premières telles que le silicium, l’argent ou le cuivre et les revend à des clients industriels.
ArcelorMittal produit de l’acier plat à partir de fer neuf et d’acier recyclé. Laminé sous forme de tôle, l’acier est livré aux secteurs industriels, notamment de l’automobile, de l’emballage et du bâtiment. Dans son usine de Dunkerque datant des années 1960, elle réduit la part de fonte dans son acier en la remplaçant par de la ferraille et cherche à remplacer les hauts fourneaux par des fours électriques.
La Coopérative des éleveurs de la région de Lamballe (Cooperl), créée en 1966, réunit un ensemble d’acteurs de la filière porcine — des éleveurs et agriculteurs aux transformateurs — sur le territoire français et en Chine. Détenue à 100 % par un collectif d’éleveurs, elle exporte 30 % de ses produits à l’international. Des boucles de circularité sont présentes sur l’ensemble de la chaîne de valeur : valorisation de l’intégralité de l’animal (y compris le « 5e quartier », c’est-à-dire les os, les boyaux, le sang, etc., qui sont transformés en coproduits tels que des aliments pour animaux ou l’héparine pour le secteur médical), réutilisation de l’eau, production d’énergie et d’engrais à partir du lisier.
En 2020, Renault a transformé son usine de Flins en Île-de-France, historiquement dédiée à la fabrication de voitures, en un site appelé Refactory, qui reconditionne des véhicules de toutes marques, fait du rétrofit (mot emprunté de l’anglais signifiant « modifier un objet en retirant, remplaçant ou ajoutant un composant qui n’existait pas dans sa version industrialisée »), répare les véhicules accidentés, rénove des pièces automobiles et reconditionne des batteries pour un usage automobile ou pour le stockage d’énergie.
Haulotte est une entreprise internationale qui conçoit, assemble et distribue des engins élévateurs. Depuis le lancement de la ligne Restart en 2021, les nacelles sont rachetées puis remises en état dans un centre de reconditionnement à Lorette (entre Saint-Étienne et Lyon). Elles sont ensuite revendues avec une garantie qualité constructeur.
Seensys reconditionne les ordinateurs, les écrans et les téléphones portables depuis 2022. Nativement circulaire, cette entreprise collecte les appareils, établit un diagnostic, les répare ou les reconditionne puis les revend. Elle traite le plus souvent des objets pensés pour être remplacés et non réparés5.
Créée en 1966, Manutan figure parmi les premières entreprises à avoir vendu par catalogue en B2B. Distribuant du mobilier de bureau et d’entrepôt pour les professionnels et les collectivités, elle collecte, reconditionne et revend du mobilier en ligne depuis 2023.
Montabert est une ETI créée en 1921, qui conçoit, fabrique et distribue du matériel pour la construction et le domaine minier (brise-roches et perforateurs hydrauliques). L’entreprise rachète à l’unité ou par flottes les équipements, les reconditionne et les revend. Elle a également créé une offre de matériel de location.
À l’origine d’une plateforme mettant en relation restaurateurs et entreprises de reconditionnement depuis 2020, Vesto a lancé dès 2021 sa propre activité de reconditionnement du matériel de restauration. Elle s’adresse aux restaurateurs, cuisinistes et collectivités locales, depuis son site implanté en Seine-et-Marne.
Adopte un bureau vend du mobilier de bureau reconditionné haut de gamme depuis 2015, soit via des contrats d’aménagement de bureaux, soit en distribution directe. Elle développe également une offre de mobilier neuf écoresponsable.
L’entreprise normande Lormauto fait du rétrofit de voitures à moteur thermique. Collectant les premiers modèles de Twingo auprès de collectivités locales et d’entreprises, elle remplace leur moteur par un moteur électrique et rénove l’ensemble du véhicule (habitacle, sellerie, etc.) en y ajoutant de nouveaux équipements (radar de recul, avertisseur d’angles morts, etc.). Elle les vend à tous types de clients y compris les particuliers. Elle vise à étendre son modèle à la Kangoo (Renault), la Berlingo (Citroën) et le Partner (Peugeot). Ses voitures sont proposées à la location et à la vente.
Depuis 1979, Black Star fabrique des pneus reconditionnés pour véhicules légers à partir de pneus usagés. Cette activité permet d’économiser notamment de la gomme et de l’acier. La gomme râpée durant le process de reconditionnement est également valorisée sous la forme de poudrette. Localisée au sud de Lyon, elle s’est associée à Mobivia (Norauto, Midas et Carter-Cash) pour reconditionner des pneus sur l’ancien site de Bridgestone à Béthune.
Ma bouteille s’appelle reviens applique le principe de la consigne en vendant des bouteilles lavées à ses clients. Développée dans le cadre du Pôle territorial de coopération économique (PTCE) Pôle Sud, à Romans-sur-Isère6, l’entreprise offre ses services aux brasseurs et producteurs de jus de fruits locaux. Elle vise à développer son offre de réemploi en direction des produits huileux ou cosmétiques.
Someflu est une entreprise implantée en Seine–SaintDenis depuis 1962, qui conçoit, fabrique et répare des pompes centrifuges par lesquelles peuvent circuler des fluides corrosifs ou abrasifs (effluents d’usines de traitement de l’eau, composants de batteries, lithium, etc.). Ces pompes sont principalement en matériau polymère (plastique) ou en acier inoxydable et sont fabriquées à la demande. Depuis 2023, l’entreprise fabrique une pompe en polymère recyclé à partir de fibres végétales.
- 1 — L’empreinte-matière représente l’ensemble des matières premières mobilisées pour répondre à la demande au niveau national.
- 2 — Ratio du PIB, exprimé en milliards d’euros, sur la consommation intérieure de matières, mesurée en millions de tonnes.
- produits et de consommation durable. Il est plus difficile de collecter des données sur les activités relevant de l’économie de la fonctionnalité, de l’écoconception ou encore de l’écologie territoriale. Il est communément admis que l’économie circulaire requiert plus d’emplois par unité produite que l’économie linéaire.
- 4 — Les construtctions légères désignent des batiments dont la structure est un squelette en bois, métal ou béton, sur lequel sont rapportées des façades et cloisons non porteuses (source : site de Saint-Gobain).
- 5 — Ce n’est pas le cas de tous les smartphones. Fairphone a conçu des smartphones démontables et réparables, y compris par leur utilisateur.
- 6 — Ce PTCE a été créé pour regrouper dans un même territoire les acteurs de l’économie sociale et solidaire, les acteurs du développement économique local et des acteurs publics. Il a pour objectif de promouvoir l’activité industrielle locale.
Une alternative au schéma linéaire
Si l’économie circulaire est aujourd’hui essentiellement définie par opposition au modèle linéaire, cette caractérisation par défaut reste suffisamment précise pour que l’on puisse percevoir sans ambiguïté si un projet industriel peut s’en réclamer ou non. Cette opposition schématique masque néanmoins le premier obstacle auquel se heurtent les entreprises qui souhaitent adopter un modèle circulaire : gérer la variabilité des matières premières.
De quoi parle-t-on ?
Les pratiques circulaires sont anciennes même si le concept d’économie circulaire a pris de l’ampleur seulement récemment. Ayant existé sous différentes formes au cours des siècles précédents, l’économie circulaire est aujourd’hui décrite en opposition à l’économie linéaire, dans un contexte marqué par la prise de conscience du dépassement de plusieurs limites planétaires et de la dégradation de l’environnement7.
Un modèle linéaire est décrit par quatre phases : extraire, produire, utiliser et jeter. Dans ce modèle, le déchet, défini par le Code de l’environnement comme « toute substance ou tout objet dont le détenteur se défait ou dont il a l’intention ou l’obligation de se défaire » n’est pas considéré comme une ressource. L’alternative circulaire consiste quant à elle à réduire l’extraction de ressources, puis à favoriser la réutilisation et le recyclage des matériaux et des biens une fois utilisés, plutôt que de les jeter. Elle est donc décrite par une autre séquence, les « 3 R » : réduire, réutiliser, recycler.
Dans bien des esprits, la circularité est d’abord associée à la phase de recyclage8 (Ghisellini et al., 2016 ; Beaurain et Chembessi, 2019) : cela s’observe aussi bien à l’aune des pratiques de recyclage, du volume de la réglementation ou encore du nombre d’articles académiques (Kirchherr et al., 2023).
Plus récemment des acteurs industriels (Lyreco, par exemple) ou institutionnels (Banque européenne d’investissement notamment) ont élargi l’ensemble des principes définissant le circulaire en parlant désormais des « 9 R » : refuser, réduire, réutiliser, réparer, renouveler, réhabiliter, recycler, récupérer et remanufacturer.
Plus généralement, l’économie circulaire est parfois décrite comme « un nouveau modèle économique permettant de décorréler création de richesse et impacts environnementaux » (Fondation Ellen MacArthur, 2012). Cette définition, reprise par l’Ademe notamment9, insiste sur deux critères : l’efficacité de l’utilisation des ressources et la limitation des impacts environnementaux de nos modes de production et de consommation. La loi relative à la transition énergétique pour la croissance verte insiste quant à elle sur la notion de déchet : « La transition vers une économie circulaire vise à dépasser le modèle économique linéaire consistant à extraire, fabriquer, consommer et jeter en appelant à une consommation sobre et responsable des ressources naturelles et des matières premières primaires ainsi que, par ordre de priorité, à la prévention de la production de déchets, notamment par le réemploi des produits, et, suivant la hiérarchie des modes de traitement des déchets, à une réutilisation, à un recyclage ou, à défaut, à une valorisation des déchets. » En pratique, cela implique de réduire les déchets autant que possible. Lorsqu’un produit arrive en fin de vie, les ressources qui le composent doivent être maintenues autant que faire se peut dans le cycle économique grâce au recyclage. Elles pourront ainsi être réutilisées pour créer de la valeur.
On comprend dès lors l’importance de ce qui se joue lors de la phase d’usage des produits. L’économie circulaire propose notamment de favoriser l’usage d’un bien plutôt que sa possession (économie de la fonctionnalité), d’allonger sa durée de vie (maintenance), de le remettre en état en fin de vie, de le réemployer ou de réemployer ses composants et enfin de recycler les matériaux qui le composent lorsque les autres stratégies ne peuvent être mises en place. Cela suppose une révision des logiques de création de valeur et des business models, à laquelle on assiste déjà depuis le milieu des années 2010 (voir par exemple Beulque et al., 2018 ; Ledoux et Richa, 2022).
Dans sa définition, le Parlement européen insiste quant à lui sur le potentiel de création de valeur offert par l’économie circulaire, y voyant « un modèle de production et de consommation qui consiste à partager, réutiliser, réparer, rénover et recycler les produits et les matériaux existants le plus longtemps possible afin qu’ils conservent leur valeur. De cette façon, le cycle de vie des produits est étendu afin de réduire l’utilisation de matières premières et la production de déchets ».
Dans un schéma linéaire, la création de valeur est issue d’une production basée sur des ressources matérielles, majoritairement non renouvelables, et d’une offre centrée sur la possession des produits. Dans un modèle circulaire, la valeur est découplée des phases de production et d’extraction : l’objectif devient au contraire de prolonger la durée de vie de la matière (matière première, composant, produit) afin d’éviter l’extraction de nouvelles ressources. Ce découplage est parfois associé à l’idée d’un produit qui serait utilisable à l’infini, « mythe, véhiculé par le concept même de cercle » (Aggeri et al., 2023). En réalité, les matières et les produits se dégradant, il reste inévitable à un moment donné de prélever et d’injecter de nouvelles matières dans le cycle. En outre, si la demande croît, alors les prélèvements augmenteront, réduisant d’autant les bénéfices environnementaux de la circularité.
Kirchherr et al. (2023) ajoutent que le modèle circulaire « est favorisé par une alliance entre différentes parties prenantes : industriels, consommateurs, décideurs politiques, chercheurs académiques ».
Ainsi définie, l’économie circulaire figure à l’agenda politique de l’Union européenne, ayant déjà fait l’objet de grandes orientations (voir encadré ci-après). Ces objectifs sont ensuite déclinés dans des feuilles de route et plans d’actions à l’échelle des États membres. La feuille de route française sur l’économie circulaire s’inscrit par ailleurs dans l’objectif de développement durable numéro 12 (ODD 12) des Nations unies sur la consommation et la production durables.
LE CADRE EUROPÉEN
LE PACTE VERT EUROPÉEN, OU GREEN DEAL, lancé en 2019, constitue la feuille de route de l’Union européenne pour atteindre un objectif de neutralité en matière d’émissions de gaz à effet de serre (GES) d’ici 2050 et découpler la croissance économique de l’utilisation des ressources. Il s’inscrit dans la lignée de l’Accord de Paris, adopté en décembre 2015 lors de la COP 21, dans lequel les pays signataires s’engagent à limiter l’augmentation de la température à 1,5 degré au-dessus du niveau qui prévalait avant la révolution industrielle du XIXe siècle. Ces objectifs doivent se combiner avec ceux d’une économie à la fois compétitive et efficace dans l’utilisation des ressources et avec la protection de la santé et du bien-être des citoyens de l’Union vis-à-vis des risques liés à l’environnement.
Le Pacte vert prévoit l’établissement d’un plan d’action visant à « inciter les entreprises à proposer, et les consommateurs à choisir, des produits réutilisables, durables et réparables ». Le nouveau plan d’action pour une économie circulaire a ainsi été adopté par la Commission européenne en mars 2020. En matière de conception des produits, il prévoit notamment le renforcement du contrôle de la présence de substances chimiques dangereuses, l’augmentation de l’utilisation de matières recyclées tout en maintenant un niveau de performance et de sécurité, l’interdiction de la destruction des biens durables invendus, la promotion de biens s’inscrivant dans l’économie de la fonctionnalité, l’usage des outils digitaux pour accroître le degré de connaissance des produits, la lutte contre l’obsolescence programmée. Le plan d’action prévoit également des mesures spéciales pour l’électronique, les textiles, les matières plastiques et les emballages, les meubles ainsi que le renforcement de la responsabilité élargie des producteurs (voir chapitre 4). Du côté des consommateurs, l’enjeu est qu’ils soient suffisamment informés pour faire des « choix éclairés » et qu’ils aient la possibilité de faire réparer des biens (le «droit à la réparation»).
>Aplanir la « colline de la valeur ajoutée », sans l’abaisser
Que ce soit dans un modèle linéaire ou dans un modèle circulaire, la création de valeur ajoutée se fait puis se défait à différents stades du cycle de vie d’un produit ou d’un service. Achterberg et al. (2016) utilisent à cet égard la métaphore d’une colline (figure 1.1). Dans la phase dite de pré-utilisation qui comprend la conception, la fabrication et la distribution, la valeur ajoutée augmente depuis l’extraction de matière vierge et brute jusqu’à l’obtention d’un produit fini. Bien souvent, plus ce dernier est complexe, plus sa valeur ajoutée est importante. La phase qui suit est celle de son utilisation, pendant laquelle sa valeur est stable. Dans l’économie linéaire, vient enfin une phase de post-utilisation, autrement dit de fin de vie du produit, caractérisée par une perte de valeur assez rapide jusqu’à ce qu’il parvienne à l’état de déchet ou qu’il disparaisse.
Si l’on trace l’évolution de la valeur intrinsèque du produit au cours de ces différentes étapes, on obtient donc un tracé en forme de colline. Plus la valeur ajoutée du produit est élevée, et plus la colline est haute ; plus la durée de vie du produit est grande, plus la colline est large. En outre, plus la création de valeur est rapide en phase de pré-utilisation, plus la pente ascendante est abrupte ; de même, plus la destruction de valeur est rapide en post-utilisation, plus la pente descendante est inclinée. À l’arrivée, cette métaphore illustre bien comment le schéma linéaire produit de grands volumes de déchets sans aucune valeur.
A contrario, l’économie circulaire vise à « retenir » la valeur créée en pré-utilisation pour éviter qu’elle ne soit détruite ensuite. Cette rétention de valeur peut d’abord être obtenue par l’allongement de la durée d’utilisation du produit, lui-même favorisé par la réparation de ce dernier ou encore par l’économie de la fonctionnalité qui rémunère son usage plutôt que sa cession. Ensuite, en phase de post-utilisation, le réemploi, le recyclage, le remanufacturing ou le reconditionnement du produit, de ses composants ou de sa matière, permettent un allongement de sa durée de vie et nourrissent de nouveaux processus de création de valeur en phase de pré-utilisation. Les nouveaux produits sont ainsi plus économes en énergie, en matières vierges, en composants neufs ou encore en emballages.
On comprend aisément que cette circularité exige quelques prérequis. Premièrement, la réparabilité du produit doit être anticipée dès l’étape de conception, par exemple en privilégiant un assemblage par vis plutôt que par colle ou une structure modulaire permettant de remplacer uniquement des parties endommagées. Deuxièmement, réduire la complexité des produits et notamment le nombre et l’enchevêtrement de matériaux différents favorise leur recyclage, même si le modèle linéaire y voit souvent une source de valeur. Par exemple, le recyclage d’un carreau de carrelage suppose de séparer les différentes couches chimiques qui composent le liner utilisé lors de la pose, ce qui nécessite un procédé de haute technologie.
Figure 1.1 La «colline de la valeur» dans un modèle linéaire (haut) et dans un modèle circulaire (bas)
Source : Achterberg et al. (2016) et le réseau de l’économie circulaire (economiecirculaire.org)
La silhouette de la « colline de la valeur » se transforme alors : sa base et son plateau sont étirés autant que possible, mais sa hauteur n’est pas modifiée. En d’autres termes, le volume de valeur créée ne change pas fondamentalement au regard du modèle linéaire, mais les étapes qui concourent à sa création sont alimentées différemment : par l’usage de déchets désormais considérés comme des ressources et pouvant ainsi recouvrer de la valeur, par davantage de services comme la réparation, etc. Le principe général de l’économie circulaire tel qu’il est figuré par cette « colline de la valeur » n’est pas antinomique d’une recherche de croissance économique.
La circularité vise donc à multiplier les « vies » d’un produit ; ce faisant, elle donne une place plus importante aux services dans la création de valeur (écoconception, réparation, modularité, rétrofit, etc.). On peut même aller jusqu’à dire que l’idéal type de l’économie circulaire correspond à un modèle d’affaires dans lequel le nombre de produits vendus baisserait drastiquement pour laisser la part belle aux services associés.
RECYCLAGE, RÉEMPLOI, REMANUFACTURING, ETC. : QUELLES DIFFÉRENCES ?
LE RÉEMPLOI EST UNE OPÉRATION QUI PERMET à des biens qui ne sont pas des déchets d’être utilisés de nouveau, sans modification de leur usage initial (une porte reste une porte), et ce pour de multiples vies.
La réutilisation en revanche est une opération qui permet
à un déchet d’être utile en le détournant éventuellement de son usage initial (si une porte devient une table, par exemple).
Le recyclage consiste quant à lui à utiliser des déchets dans un nouveau cycle de production pour en faire de nouveaux produits utiles (quand une porte devient du bois à brûler). C’est ce que font Maximum, qui fabrique un tabouret à partir de billets de banque déclassés par la Banque de France, ou Rosi Solar, qui extrait et revend les matières les plus précieuses de panneaux solaires en fin de vie.
Un produit dit de seconde main est un produit qui a été remis dans un état optimal par un reconditionneur : c’est le reconditionnement. Celui-ci implique des réparations, un nettoyage approfondi et la vérification de toutes les fonctionnalités, afin de garantir un fonctionnement identique à celui d’un produit neuf. Des pièces défectueuses ou usées peuvent être remplacées si besoin.
La remanufacturing, enfin, consiste à remettre un produit ou un composant dans un état, un niveau de performance et des conditions de garantie identiques ou supérieures à son état d’origine. Le procédé intègre notamment des spécifications techniques impliquant une sélection en amont des produits traités, un démontage complet, le test de tous les composants, leur remplacement, remise en état ou amélioration de sorte que chaque composant retrouve a minima ses performances d’origine, le réassemblage et enfin le contrôle.
Figure 1.2 Emplacement des entreprises interrogées sur la «colline de la valeur»
Source : Adapté de Achterberg et al. (2016). Traitement des auteurs.
La nécessité de nouvelles métriques
Le schéma de « colline de la valeur » vise à représenter les étapes de création puis de destruction de valeur ajoutée. Toutefois, si l’objectif est d’atteindre une empreinte écologique neutre, alors la valeur ajoutée n’est pas un critère suffisant. L’économie circulaire vise en effet à réduire l’extraction de matières vierges, la consommation énergétique ou encore les émissions de carbone : une mesure de l’impact environnemental de la production est donc nécessaire.
À cet effet, de nouvelles métriques et de nouveaux outils d’aide à la décision sont développés et utilisés dans l’industrie — à cette remarque près qu’ils portent généralement sur les pratiques individuelles et non sur l’échelle plus grande du secteur ou du pays (Reike et al. 2018).
Un premier exemple important est celui de l’analyse du cycle de vie (ACV). Celle-ci mesure les impacts environnementaux de l’ensemble des flux entrants et sortants qui caractérisent le cycle de vie d’un produit. Les ACV apparues après la publication en 1972 du célèbre rapport Les Limites à la croissance par le Club de Rome (parfois appelé « rapport Meadows ») étaient principalement des bilans carbones de flux énergétiques. Aujourd’hui, leur périmètre s’est élargi à la pollution de l’eau et de l’air, l’épuisement des ressources naturelles, la détérioration de la biodiversité, etc. Historiquement, la méthode des ACV a été développée par le Programme des Nations unies pour l’environnement (PNUE) et la Société de toxicologie et de chimie environnementale (Setac), rassemblant des scientifiques pour fournir notamment des mesures d’évaluation. L’Organisation internationale de la normalisation (ISO) s’est très vite jointe à cet effort, de sorte que cette démarche d’évaluation fait aujourd’hui l’objet des normes internationales ISO 14 040 et 14 044. Couvrant l’ensemble des étapes de la vie d’un produit, l’ACV permet de détecter certains cas paradoxaux où une amélioration apparente de l’impact environnemental en amont se réduit à un simple déplacement de la pollution vers l’aval (Jolliet et al., 2024). Une ACV est en revanche très coûteuse à l’échelle d’une entreprise, ce qui signifie que seul un nombre restreint de grandes entreprises y ont recours.
Un deuxième exemple essentiel est celui du bilan carbone, outil de mesure d’impact environnemental limité aux émissions de gaz à effet de serre. Celui-ci prend en considération les émissions directes des entreprises, les émissions indirectes provenant de la consommation d’électricité et des autres énergies de réseau ainsi que les autres émissions indirectes, notamment celles qui ont lieu lors de la production des intrants, les déplacements domicile-travail ou encore dans le transport des biens. Différentes méthodologies ont été développées. L’entreprise Rosi Solar, qui recycle des panneaux photovoltaïques, recourt par exemple à l’Évaluation carbone simplifiée (ECS).
Un troisième exemple est celui de la CSRD (Corporate Sustainability Reporting Directive). Cette directive européenne vise à améliorer et à harmoniser la divulgation d’informations environnementales, sociales et de gouvernance (ESG) par les entreprises, en fournissant une vue d’ensemble fiable des informations à dimension ESG et des risques auxquels les entreprises sont exposées en matière de durabilité. L’un des standards fondamentaux de la CSRD est le concept de « double matérialité », qui impose aux entreprises d’évaluer les risques auxquels elles sont exposées en termes de durabilité et de performance financière (matérialité financière), mais également leur impact sur la société et l’environnement (matérialité d’impact). Douze normes servent de lignes directrices pour toute entreprise devant bâtir son rapport CSRD, dont l’une sur l’utilisation des ressources et l’économie circulaire (ESRS E5).
Aux côtés de critères économiques et environnementaux, l’économie circulaire poursuit en principe également des objectifs sociaux. En effet l’économie circulaire a dans plusieurs cas été portée historiquement par des structures issues de l’économie sociale et solidaire (Emmaüs et Envie par exemple pour l’électroménager), et les entreprises interrogées dans le panel de cette étude montrent que les modèles développés ont permis de recruter des personnes éloignées de l’emploi. Cependant cette troisième dimension ne fait pas l’objet d’une métrique particulière à notre connaissance10. Des objectifs ad hoc peuvent certes figurer dans certaines lois, à l’instar de la loi Agec, qui prévoit l’emploi de personnes bénéficiant du dispositif d’insertion par l’activité économique dans les marchés passés par les éco-organismes en matière de prévention et de gestion des déchets. Mais les normes ISO 59 00011 publiées en 2024 se bornent à intégrer dans leur définition de l’économie circulaire un objectif de développement durable : « un système économique qui utilise une approche systémique pour maintenir un flux circulaire des ressources, en recouvrant, conservant ou augmentant leur valeur, tout en contribuant au développement durable », s’alignant en cela parfaitement sur les termes de la Fondation MacArthur et de l’Ademe12. En outre, aucune obligation de résultat n’est mentionnée dans cette norme (cf. encadré ci-après).
LES NORMES ISO 59 000 CONÇUES COMME UN « LANGAGE COMMUN »
QU’ELLE SOIT RELATIVE À UN PRODUIT, À UN SERVICE OU À UNE MÉTHODE, une norme est par définition une règle, une recommandation ou une bonne pratique résultant d’un consensus entre acteurs socio-économiques: les entreprises comme les fédérations socioprofessionnelles, les syndicats, les associations de consommateurs, les pouvoirs publics, etc. Dans l’immense majorité des cas, elle est appliquée de manière volontaire par les entreprises (Bourdu et Souchier, 2015). Seul 1,5% des 33 000 normes techniques sont d’application obligatoire en France (amiante, sécurité électrique). La norme 59 004 intitulée « Économie circulaire — Vocabulaire, principes et recommandations pour la mise en œuvre » a pour but de définir un vocabulaire commun, au niveau international, à l’ensemble des acteurs qui choisissent de l’adopter. Elle comprend 26 actions basées sur les «9R» et sur l’objectif de créer, retenir ou récupérer de la valeur ajoutée. Elle envisage également la régénération des écosystèmes via l’élimination des substances nocives et la réhabilitation des sols et des plans d’eau ainsi que la transformation du système économique (modification du comportement des consommateurs, rôle des services financiers et du système politique).
La norme 59 010 porte quant à elle sur la transition des modèles d’affaires. Les acteurs qui l’adoptent sont invités à dresser un bilan de leur stratégie circulaire à partir d’une description des actions existantes, d’une définition des écarts et des opportunités liés à la transition, de l’identification des leviers organisationnels et de l’établissement de KPIs circulaires en lien avec leur stratégie globale.
Enfin, la norme 59 020 porte sur la mesure et l’évaluation de la circularité, en réponse à la contrainte de reporting mise en place par la directive CSRD. L’ACV est recommandée pour l’acquisition de données. Des KPIs sont définis en matière de flux entrants et sortants ainsi que des KPIs optionnels concernant l’énergie, l’eau et les ratios financiers. La norme ne comprend pas de KPIs obligatoire en matière sociale.
Deux nouvelles normes devraient être publiées en 2025 : une première sur la durabilité et la traçabilité de la valorisation des matières secondaires et une seconde sur les données de circularité des produits.
On voit donc que, partant d’un principe qui s’énonce simplement, l’économie circulaire suppose de disposer d’outils de mesure normalisés sur trois dimensions différentes, ce qui est loin d’être évident à ce jour. C’est d’ailleurs tout l’enjeu de la « triple comptabilité » ou « comptabilité extrafinancière », qui exige des entreprises, en complément de leur bilan traditionnel, de valoriser les conséquences de leur activité sur la société et l’environnement. Différentes méthodes existent, et notamment la méthode CARE (comptabilité adaptée au renouvellement de l’environnement), qui applique des principes équivalents au capital économique, au capital social et au capital humain, et dont l’objectif est qu’ils soient préservés13.
Plus généralement, l’évaluation des actions en faveur du développement durable relève toujours d’une démarche complexe. D’une part, une évaluation holistique de scénarios d’économie circulaire nécessite un grand volume de données ainsi qu’une coordination entre des acteurs différents (Chen et al., 2017).
D’autre part, la démarche peut être compliquée du fait que les différents objectifs entrent parfois en contradiction (Kirchherr et al., 2023 ; Velenturf et Purnell, 2021) : un exemple typique est celui où l’apparition de nouvelles activités respectueuses de l’environnement conduit à la disparition d’autres emplois, selon un schéma de « destruction créatrice ». C’est pourquoi les efforts actuellement entrepris pour mettre au point de nouvelles mesures, notamment de la part des instituts nationaux de statistiques comme l’Insee, veillent entre autres à construire des indicateurs synthétiques de progrès14.
Une caractéristique fondamentale : la variabilité
Il est apparu au cours des entretiens que la mise en place par les entreprises de schémas circulaires leur pose immanquablement une difficulté nouvelle : celle de gérer la variabilité de la production. Traditionnellement, les entreprises savent gérer — et même organiser — des stratégies de différenciation parmi leurs produits. Cette hétérogénéité est conçue au sein de la gamme, mais ensuite, au cours du process de production, la règle est toujours celle de la standardisation et de la conformité. Le produit est fabriqué en séries, petites ou grandes, à partir des mêmes matériaux (sauf dans les cas rares de produits fabriqués en un exemplaire). Dans le cas des modèles circulaires, au contraire, la variabilité survient à chaque étape de la chaîne de valeur : approvisionnement, production, distribution et recyclage.
Pour commencer, l’offre circulaire doit composer avec la variabilité de son approvisionnement. Par exemple, lorsqu’un industriel produit ses biens à l’aide de matières premières secondaires, que celles-ci soient de seconde main ou issues du recyclage, ou qu’il exerce des activités de reconditionnement ou de réparation, les produits qu’il reçoit ont des origines distinctes et des niveaux d’usure ou de cassure différents. Ils ont donc des caractéristiques techniques et physiques hétérogènes. Dès lors, il apparaît difficile pour un industriel de fabriquer en série (« en quantités industrielles ») un bien dont chaque exemplaire présenterait exactement les mêmes caractéristiques et la même qualité que les autres. L’industriel doit également s’assurer que les volumes de matières premières qu’il achète sont suffisants pour honorer ses commandes. Son process de fabrication est alors tributaire de ressources, préalablement jetées comme déchets ou recyclées, elles-mêmes dépendantes de ce qui a été produit en première main. On comprend dès lors que l’industrie circulaire est asservie à une demande et à une production antérieures et qu’elle exige une gestion habile des gisements de matière. En effet, si un gisement se tarit en raison d’une baisse de la demande en biens de première main, alors il faut en trouver un autre, à condition qu’il existe. Théoriquement, l’offre industrielle circulaire doit s’envisager sur des volumes suffisants pour consolider et pérenniser son modèle d’affaires, mais cette condition peut être délicate à satisfaire en pratique. Selon Pierre-Emmanuel Saint-Esprit, directeur de l’économie circulaire de Manutan, « le but n’est pas la “petite série” mais bien la série industrielle (à l’échelle de l’entreprise). Pour avoir du stock de produits identiques à un prix maîtrisé en catalogue, il faut sécuriser très en amont son gisement. Sans gisement, pas de nouvelle production ».
« ON A UNE DÉPENDANCE EXTRÊME À NOS GISEMENTS » :
«L’HISTOIRE DU TABOURET ROTOMAN FABRIQUÉ PAR MAXIMUM SELON ROMÉE DE LA BIGNE, COFONDATEUR.
NOUS AVONS VISITÉ LE SITE DE PRODUCTION d’un plasturgiste industriel qui faisait de la coloration de polyéthylène haute densité (PEHD). Nous avons remarqué lors de notre visite des petits objets qui faisaient légion dans un laboratoire pétris de technicité et fabriqués uniquement pour faire des tests de matières et de couleurs. Il s’agissait de petites planches servant de bancs d’essai pour faire subir au plastique toutes sortes d’exercices de moulage : de forme, de texture, de précision dans les détails. Ces planches avaient pour but d’assurer la mise en conformité des recettes avant de lancer les productions.
Une fois les tests effectués et les observations faites, elles étaient tout simplement jetées. Nous avons donc imaginé un moyen pour le plasturgiste de poursuivre ses tests tout en donnant une seconde vie à la matière utilisée : créer une forme rendant utile l’objet permettant les essais ! Nous avons donc créé un tabouret. Qui n’a pas besoin d’un tabouret ? Nous avons fait fabriquer un moule que nous leur avons donné, en échange de la possibilité de récupérer les tabourets. Nous vendions ensuite nos tabourets tatoués de ces nombreux tests sur le dessus et le dessous de l’assise au prix d’un meuble IKEA. Ce produit était très spécifique : il était lié à un gisement, à un site précis et à des pratiques industrielles. L’usine a ensuite été rachetée et a déménagé, l’aventure du tabouret s’est donc arrêtée. »
Les étapes de production sont elles aussi transformées sous l’effet de la variabilité des matériaux et des biens collectés. Par exemple, les étapes de peinture diffèrent entre une voiture neuve et un modèle d’occasion à reconditionner. Sur une Zoé neuve, la peinture est effectuée de manière très homogène — « au bout de 6 000 gestes, le geste devient mécanique pour un opérateur », nous confie Stéphane Radut, directeur de l’usine de la Refactory chez Renault Group — de sorte que l’usine de Flins parvenait à peindre 350 voitures par équipe travaillant en 7,5 heures. A contrario, la retouche de peinture sur les véhicules d’occasion est plus complexe. Il faut commencer par établir un diagnostic, puisque la matière, l’épaisseur et la couleur diffèrent d’un exemplaire à l’autre selon l’usage qui en a été fait. En toute logique, les gestes et outils à mobiliser pour reconditionner le véhicule seront différents. De manière générale, cette variabilité dans l’approvisionnement éloigne les organisations industrielles d’une possible standardisation des tâches, du moins au début de l’exploitation de leur projet circulaire. Des exceptions existent cependant, comme dans le cas de Maximum qui s’approvisionne en matières premières dans les surplus produits par l’industrie et souvent en série, donc standardisés.
À ce jour, cette gestion de la variabilité est déterminée par un objectif clé, lui-même découlant d’une contrainte perçue comme incontournable émanant du marché : les produits issus du circulaire doivent offrir aux consommateurs les mêmes usages que ceux issus du linéaire. La seule modification qui soit tolérée — souvent même attendue — concerne l’impact environnemental ou social du produit15. « Si le seau est en matière recyclée, il risque de ne plus être blanc mais gris ! Il faut accompagner les clients, leur expliquer ce changement de couleur, le justifier en trouvant les bons arguments avant qu’ils ne l’adoptent », rappelle Xavier Meyer, directeur de l’économie circulaire de Saint-Gobain. Comme nous le verrons par la suite, un des enjeux actuels de l’industrie circulaire est précisément de garantir des spécificités fonctionnelles et esthétiques des produits qui soient stables dans le temps et identiques à leurs équivalents issus de schémas linéaires.
Enfin, la gestion de la fin de vie des produits est elle aussi soumise à la variabilité des approvisionnements, en particulier de leur prix. Par exemple, si une matière est très en demande, alors les standards de tri des centres peuvent être moins exigeants, car l’acheteur est prêt à payer un prix fort pour accéder à cette matière.
- 7 — Nous renvoyons les lecteurs intéressés par l’histoire et le concept d’économie circulaire à l’ouvrage d’Aurélien Acquier, Franck Aggeri, Valentina Carbone, Eric Lesueur et Olivier Lecointe, Économie circulaire : Imaginaires et pratiques, publié en 2024 aux Presses des Mines.
- 8 — Le recyclage désigne, selon le Code de l’environnement français, « toute opération de valorisation par laquelle les déchets, y compris les déchets organiques, sont retraités en substances, matières ou produits aux fins de leur fonction initiale ou à d’autres fins. Les opérations de valorisation énergétique des déchets, celles relatives à la conversion des déchets en combustible et les opérations de remblayage ne peuvent pas être qualifiées d’opérations de recyclage ».
- 9— Pourl’Ademe,l’économie circulaire est « un système économique d’échange et de production qui vise à augmenter l’efficacité de l’utilisation des ressources et à diminuer notre impact sur l’environnement. Il s’agit de découpler la consommation des ressources de la croissance du produit intérieur brut (PIB) tout en assurant la réduction des impacts environnementaux et l’augmentation du bien-être ».
- 10— VelenturfetPurnell(2021)montrent que les dimensions du développement durable (environnemental,social et économique) ne sont pas systématiquement intégrées dans les actions et projets relevant de la circularité.
- 11 — Ces normes internationales s’appuient sur des groupes de travail menés par l’Agence française de normali- sation, l’Afnor.
- 12 — Ces normes recommandent notamment de maintenir le flux entrant de ressources vierges au niveau le plus bas possible et de fermer le plus possible le flux circulaire afin de réduire les déchets, s’inscrivant de ce fait dans la définition couramment admise de la circularité.
- 13— La méthode CARE a été développée par Jacques Richard, professeur émérite de l’université Paris Dauphine–PSL, et par Alexandre Rambaud, maître de conférences à AgroParisTech, chercheur associé à l’université Paris Dauphine-PSL et à l’Institut Louis Bachelier.
- 14 — Voir par exemple l’indicateur synthétique de bien-être de l’Insee.
- 15 — Cette « loi » n’est cependant pas intangible : il se pourrait à l’avenir que les consommateurs de produits issus de l’industrie circulaire consentent à adapter les usages qu’ils en font.
Les consommateurs d’une offre circulaire existent-ils ,
Les entreprises ne peuvent passer du linéaire au circulaire que si les consommateurs sont prêts à modifier leurs achats en biens manufacturiers. Or la transformation des modes de consommation est un processus au long cours. Dans les faits, la maturité des boucles circulaires dépend des produits et du type de clients ciblés, professionnels ou particuliers.
Une évolution très lente des modes de consommation
À l’échelle macro-économique toutefois, on n’observe pas en France de nette évolution de la consommation de biens circulaires (figure 2.1). La part de la réparation dans la consommation de biens domestiques est en effet passée de 26 % à 27 % entre 1990 et 2022. Seule la part de la réparation des véhicules est passée de 44 % à 52 % sur la même période, alors qu’elle a diminué pour le matériel audiovisuel, les appareils ménagers ou le mobilier par exemple.
Cette faible évolution des modes de consommation trouve bien confirmation auprès des entreprises linéaires, en cours de transformation, que nous avons interrogées. En effet, les activités circulaires représentent une part minoritaire de leur chiffre d’affaires : inférieure à 5 % chez Haulotte ou Valrhona et, à l’autre extrémité du spectre, pouvant dépasser 17 % chez Manutan.
Si l’on considère les achats de produits comportant un label écologique16 entre 2010 et 2023, l’évolution des comportements est assez timide : 54 % des Français déclarent consommer ce type de produits en 2023 contre 45 % en 2010.
Entre septembre 2016 et septembre 2021, le nombre de certifications « Écolabel européen » détenues par la France a été multiplié par trois : ce sont désormais presque 12 000 produits et services qui bénéficient d’une telle labellisation sur le marché.
Enfin, l’empreinte matérielle des Français ou des Européens, c’est-à-dire leur consommation unitaire de matières premières, affiche une légère tendance à la baisse sur cette période, même si elle reste très influencée par le contexte conjoncturel, comme en témoignent les épisodes de la pandémie de Covid-19 puis la flambée des prix de l’énergie (figure 2.2).
La lente évolution des habitudes de consommation
Le succès non démenti du neuf
Il est peu contestable que la représentation que se font les usagers de l’acte de consommation ait évolué entre l’immédiat après-guerre et aujourd’hui. Mais, paradoxalement, leur choix pour l’achat du neuf n’en est pas moins resté privilégié. Comme le rappelle en effet Desjeux (2020), « le consumérisme correspond à ce que l’on a appelé la “grande consommation” dans les années 1950, c’est-à-dire la consommation de masse qui demande d’utiliser une quantité de plus en plus importante de matières premières, d’énergies fossiles, d’eau, de territoires agricoles (au profit notamment des aéroports), d’infrastructures de mobilité, d’espace pour la grande distribution et de territoires urbains. Il correspond au développement d’une classe moyenne mondiale de consommateurs qui s’accroît dans les années 1920 pour les États-Unis, les années 1950-1960 pour l’Europe de l’Ouest et les années 1980 pour le Brésil, la Russie, l’Inde et la Chine ». Comme on l’a noté précédemment, ce consumérisme s’est incarné dans la production linéaire de biens standardisés, destinés à être vendus neufs.
Consommation de matière première par tête, entre 2014 et 2023 (en tonnes)
Source: Eurostat.
Note : cet indicateur montre le volume de matières premières (minéraux, métaux, biomasse, énergies fossiles) extraites pour produire les biens demandés par les consommateurs dans une zone géographique donnée, quel que soit le lieu d’extraction.
Puis, à partir des années 1980, la demande s’est progressivement orientée vers des produits de plus en plus personnalisés, dans un contexte par ailleurs marqué par une prise de conscience croissante des limites du consumérisme et de ses effets négatifs sur l’environnement ainsi que du pouvoir croissant (empowerment) du consommateur individuel via l’institutionnalisation des procédures de réclamation et de médiation (De Munck, 2011). Ce désir de biens personnalisés n’est a priori pas incompatible avec les produits circulaires dont on a vu que la caractéristique principale était justement l’utilisation de matières premières non homogènes. Sur les tabourets fabriqués par Maximum à partir de billets de la Banque de France, certains consommateurs auront des billets de 100 euros tandis que d’autres auront des billets de 50 euros et 20 euros. Un produit peut être à la fois circulaire et quasi unique. Plus généralement, l’écoconception peut elle aussi s’inscrire dans cette attente de personnalisation.
En revanche, les boucles circulaires fondées sur l’économie de la fonctionnalité, c’est-à-dire celles qui dissocient usage et propriété, entrent assez rapidement en contradiction avec ce désir de possession d’un bien personnalisé. Dans le cas du covoiturage par exemple, l’usager ne choisit pas sa voiture et encore moins son niveau d’équipement et ses finitions. Plusieurs entreprises spécialisées dans le recyclage et le reconditionnement confirment que la recherche de personnalisation de la part des consommateurs alimente leur préférence pour le neuf et dresse de nouveaux freins à la construction de marchés rentables pour leur activité.
En outre, l’achat neuf est toujours associé dans les esprits à la sécurité et à la qualité. L’acier produit par ArcelorMittal, par exemple, doit répondre aux spécifications techniques imposées par ses clients. « Les contraintes et les formulations dans les aciéries sont un héritage de l’utilisation importante de “fer neuf”. Pour répondre aux enjeux climatiques au travers de l’utilisation plus importante de nos aciers recyclés, nous devons “décontraindre” ces formulations en garantissant les caractéristiques demandées par les clients », livre Franck Dourlens, Steel Recycling Manager chez ArcelorMittal. Cette déconstruction doit notamment passer par des projets de R&D et des campagnes d’essais avec les clients qui permettront d’établir de nouvelles normes prenant en considération la variabilité de la matière première secondaire. Même écho chez Ma bouteille s’appelle reviens. Comme l’explique sa directrice générale Clémence Richeux : « Nous allons vers des clients plus “gros” qui nous confieraient plus de volume de contenants à nettoyer, dans les secteurs de la cosmétique par exemple ou des produits huileux. Mais là encore tout reste à faire. Nous avons toujours une habitude du neuf. Par exemple il ne faudrait aucune trace d’humidité dans les flacons ou bouteilles. Or le “zéro humidité” n’existe pas : même les verriers ne peuvent pas respecter cette norme ! Nous avons besoin de nouvelles normes pour travailler avec de nouveaux standards de nettoyage. Par exemple pour les produits cosmétiques, on ne sait pas ce qu’est un pot “bien lavé”. Il n’y a pas de norme de lavage. Idem pour les huiles, nous n’avons pas d’expert résidu. »
Parfois, l’attente de sécurité n’est pas « seulement » une attente subjective du consommateur mais une exigence absolument incontournable. C’est notamment le cas des équipements hydrauliques de démolition et de forage vendus par Montabert dont l’usage présente un certain nombre de dangers, des vibrations aux conséquences d’une casse d’un équipement lourd. « Quand on propose une offre d’équipement reconditionné, il faut être particulièrement rassurant. Dans notre cas, nous pouvons compter sur une marque forte et fiable qui nous permet de mettre en avant la “garantie constructeur”, afin de contractualiser la conformité des équipements et de garantir un niveau de sécurité élevé (notre contrat qualité est un engagement fort de la marque envers ses clients). Il faut également prendre en compte le financement de ces produits et c’est là que la situation devient plus compliquée. En effet, les équipements reconditionnés ou remanufacturés sont encore difficiles à financer », explique Yvan Descotes, responsable des pièces détachées et reconditionnement. L’entreprise Manutan, qui adresse son offre de mobilier reconditionné à des acteurs publics, se sert, elle aussi, de son image de marque de qualité et de fiabilité obtenue auprès de clients qui lui font confiance. C’est de cette façon qu’elle peut leur proposer des produits circulaires qui peineraient sinon à convaincre malgré la garantie constructeur et les critères drastiques des appels d’offres. Or l’entretien de cette image de marque suppose d’admettre parfois une proportion de surqualité sur ses produits, c’est-à-dire une qualité supérieure aux attentes de ses clients.
LES ASSUREURS, CERTIFICATEURS ESSENTIELS POUR FAVORISER LA CONSOMMATION CIRCULAIRE
À L’IMAGE DES USAGERS, les assureurs se sont dotés d’outils conçus pour des produits neufs, pour lesquels les données d’usage et les risques associés sont connus. En construction par exemple, les spécificités attendues du bois (résistance au feu et à l’humidité, charge supportée, etc.) sont référencées et associées à des probabilités de risque établies. Qu’en est-il si l’on introduit dans la construction d’un immeuble du bois issu du réemploi ? Sa résistance au feu ou à l’humidité est-elle identique à celle du bois neuf ? Et dans le cas contraire, quels sont les risques supplémentaires et comment les évaluer pour pouvoir les assurer ? À ce jour, ces questions ne font pas l’objet de réponses normalisées.
Il est donc difficile pour un architecte de prévoir du bois issu du réemploi dans la construction d’un bâtiment, alors même que la loi Agec le pousse à inclure des matériaux issus de l’économie circulaire dans son projet. Le manque de recul statistique sur les filières du réemploi est un frein redoutable à l’assurance et donc à l’achat de ces matériaux.
La centralité de l’argument économique pour les ménages
Du côté des ménages, la restriction budgétaire constitue un déterminant récurrent de l’achat d’occasion, souvent associé à un prix moins élevé que le neuf (Colin et al., 2015). En effet, le marché de l’occasion représente 74,5 % des achats de voitures particulières en 2023 selon les données du Service des données et études statistiques (SDES) du ministère de la Transition écologique et du Répertoire statistique des véhicules routiers (RSVERO). Ce chiffre est relativement stable puisqu’il se situe depuis 2011 entre 70 % et 78 %. Cette pratique est plus importante chez les ménages aux ressources les plus contraintes. Les entreprises n’ont d’ailleurs pas le même arbitrage que les ménages entre le neuf et l’occasion : elles représentent en effet 53 % des immatriculations de voitures particulières neuves (en hausse continue depuis 2011 quand ce taux était de 40 %) contre seulement 5 % des achats d’occasion (3 % en 2011)17. De même, aux yeux des Français, la location et le réemploi ont comme premier mérite de proposer des prix moins élevés (Colin et al., 2015). Les autres considérations telles que l’entretien de liens sociaux, la protection de l’environnement, la création d’une société meilleure ou encore le développement local sont reléguées assez loin derrière18. Plus généralement et selon l’Ademe (2015), la réparation n’est favorisée par les consommateurs que lorsqu’elle ne dépasse pas 30 % à 50 % du prix du produit neuf.
En examinant de manière plus détaillée les principaux marchés B2C, on constate des différences notables entre les produits. Pour ce qui concerne les smartphones, tablettes et ordinateurs, l’offre d’appareils reconditionnés est très dynamique, aidée par des prix attractifs et le renouvellement devenu semestriel des produits neufs qui constituent un gisement dynamique pour la seconde vie. Si l’on considère le marché automobile, le marché de l’occasion est certes dynamique, soutenu par la garantie des constructeurs et des prix attractifs, mais la part des voitures reconditionnées, au sens strict du terme, est encore faible. Dans le textile, en dépit d’un effet de mode favorable et de l’existence de quelques marques encore confidentielles qui tentent une offre de recyclage, le volume demeure essentiellement créé par l’offre de produits neufs, à prix de plus en plus bas. Certains de ces produits neufs sont d’ailleurs revendus sur les plateformes d’achat d’occasion (comme Vinted, sans doute la plus célèbre du genre), mais cela peut aboutir paradoxalement à un phénomène d’effet rebond qui entretient la production de masse. S’agissant de Vinted par exemple, la possibilité de revendre rapidement des habits agit chez certains consommateurs comme un moyen de déculpabiliser l’achat de biens issus de la fast ou de l’ultra fast fashion, voire d’accroître ses moyens pour en acheter régulièrement. Dans le domaine du petit équipement, les constructeurs peinent à proposer des produits reconditionnés ou écoconçus. Seb, fabricant de petit électroménager, fait exception. Il a fait le choix dans les années 2000 de proposer des produits innovants, à forte valeur ajoutée et réparables, à des prix élevés, pour faire face à la nouvelle concurrence chinoise basée sur le low cost. Pour les usagers, ces prix élevés étaient alors amortis par la durée de vie plus longue de ces produits conçus pour être plus durables19. Quant au gros électroménager (réfrigérateurs, machines à laver, etc.), une offre de biens reconditionnés existe, pour des prix de quelques centaines d’euros, mais elle reste marginale. Celle-ci émane principalement d’Envie et d’Emmaüs, mais Boulanger et Darty songent à la développer (Aggeri, 2024).
DARTY MAX, UN DISTRIBUTEUR PARMI LES INDUSTRIELS CIRCULAIRES
DARTY, QUI VEND DES ÉQUIPEMENTS ÉLECTRONIQUES et vidéos ainsi que des produits électroménagers aux particuliers, a toujours entretenu une image de distributeur attentif à la vie de l’usager avec son produit, notamment par l’entretien d’un service après-vente performant. Aujourd’hui il propose un abonnement mensuel, Darty Max, de 11,90 euros, permettant de réparer son électroménager de manière illimitée. Que le produit ait été acheté chez Darty, Fnac ou ailleurs, l’abonnement permet un diagnostic pièces et main-d’œuvre et une intervention à domicile pour les gros équipements tout au long de leur vie. Cette offre par abonnement s’inscrit dans une stratégie d’allongement de la durée de vie des équipements. Il est intéressant de noter qu’elle est proposée par un distributeur et non par un manufacturier : Darty bénéficie en effet du contact client, de la connaissance de l’usage du produit et de l’expertise pour le réparer. Il est donc bien placé pour se positionner sur ce nouveau créneau d’où il peut directement concurrencer les offres de réparation des industriels.
Ce nouveau positionnement peut également modifier la stratégie des marques, si le distributeur référence mieux celles qui fabriquent des biens réparables et durables. Leur modèle économique doit alors accorder une plus grande importance à la longévité des produits, ainsi qu’aux services associés, et amender les pratiques de maximisation des ventes de produits neufs (notamment l’obsolescence programmée).
Cela étant, cette transformation doit correspondre aux attentes du marché qui ne changent que peu à peu : faire comprendre aux clients qu’ils peuvent payer un peu plus cher un produit qu’ils conserveront plus longtemps, ou qu’ils peuvent s’abonner à un service de maintenance comme on souscrit une assurance, n’est pas chose facile. Darty Max profite de son positionnement historique pour donner des gages de qualité et de savoir-faire, indispensables pour que les clients consentent à payer un nouveau service.
Le marché plus rentable des professionnels
Pour les entreprises nativement circulaires que nous avons interrogées, le segment du B2B atteint des volumes suffisants pour devenir rentable. Sur certains marchés professionnels, le marché de la seconde main est en effet très dynamique, notamment quand les équipements sont coûteux ou quand le tissu professionnel est composé de petites structures, d’artisans ou de PME. C’est le cas dans la restauration par exemple : Vesto s’adresse à des artisans habitués à se fournir en cuisines professionnelles sur le marché de la seconde main, alors que les particuliers achètent rarement leur cuisine intégrée sur Leboncoin. Cette vitalité du marché de l’occasion ouvre des opportunités pour des offres circulaires : des clients habitués à la seconde main considèrent avec une plus grande attention des équipements remanufacturés, reconditionnés, voire « retrofités », garantis à des prix attractifs. Dans le secteur des biens de restauration reconditionnés, « la seconde main existe depuis toujours, affirme le fondateur de Vesto, Bastien Rambaud. Ces biens permettent une “petite” circularité. Rien n’est standardisé ».
Dans le cas des gros équipements professionnels et des marques haut de gamme reconnus pour leur fiabilité, les produits sont chers et décotent peu. Achetés à un bon prix par la marque pour être reconditionnés, ils conservent un prix de revente élevé, satisfaisant tout de même les clients qui y voient l’opportunité de saisir dans des conditions privilégiées un produit de marque premium. En fonction des segments de marché et des pays concernés, Saint-Gobain valorise ses produits sur des segments premium (par exemple produits à empreinte carbone fortement réduite, haut contenu recyclé, etc.) dans un secteur de la construction où la réglementation structure un fort besoin. C’est même une condition indispensable, car dans son cas le circulaire coûte plus cher à produire que le neuf : « La demande existe, les performances intrinsèques du verre ou du plâtre sont les mêmes, mais le coût du produit est plus élevé (la matière recyclée est à ce jour très souvent plus chère que la matière vierge et son utilisation affecte souvent négativement la performance du procédé industriel)20 », souligne son directeur de l’économie circulaire, Xavier Meyer.
Toutefois, dans la plupart des cas, c’est-à-dire pour des biens et équipements de plus petite taille, la décote est le critère essentiel dans la décision d’achat. En effet, les clients professionnels ne cachent pas que, s’ils pouvaient se le permettre, ils choisiraient des appareils neufs, plus modernes et statutaires. L’expérience des entreprises révèle à ce sujet que ce trait culturel varie d’un pays à l’autre.
Le matériel reconditionné fait donc, en tant que tel, l’objet d’un engouement encore très marginal, et c’est bien la baisse du prix qui est déterminante. « On serait ravi d’avoir des concurrents, cela voudrait dire que les réflexes des professionnels évoluent », réagit Bastien Rambaud, de Vesto, qui tente de combiner les critères de prix et de qualité dans sa stratégie de reconditionnement. « Nous nous contraignons à des standards de qualité et de traçabilité équivalents au neuf et nous faisons l’effort de fixer des prix justes pour nous mais aussi pour toutes les parties prenantes de notre chaîne de valeur, en amont et en aval. On doit forcément être en dessous du prix du neuf pour être attractifs. On fixe un prix qui nous paraît juste en fonction du nombre d’années d’usage qu’il reste encore à vivre pour une machine donnée. […] Le prix doit rester cohérent avec la “ligne de vie” du produit. On ne fait donc pas de surqualité ni de surreconditionnement sur un produit dont le prix ne serait plus justifiable. On doit donc fixer et suivre des standards avec une grille très détaillée. »
La sensibilité au prix des clients industriels paraît d’autant plus grande que leur activité circulaire est liée à celui des matières premières ou de l’énergie. Dans le secteur de la construction par exemple, l’usage du calcin s’est renforcé en 2021 du fait de l’augmentation des prix de l’énergie, précisément parce qu’il permet une réduction de la consommation d’énergie dans le processus de fabrication du verre21.
Dans le domaine de l’économie de la fonctionnalité et de l’allongement de la durée d’usage, des profils très particuliers se dessinent. Montabert, par exemple, commence une activité de location d’équipements pour de nouveaux clients qui souhaitent y avoir recours pendant quelques semaines seulement. Sur un autre plan, Someflu, qui équipe des installations minières, de traitement des eaux ou de méthanisation, accorde une grande importance à l’activité de réparation à destination des professionnels : ses pompes doivent en effet demeurer durables et sûres, compte tenu des fluides corrosifs qui y transitent.
Colin et al. (2015) soulignent d’ailleurs l’importance de cette clientèle industrielle, aux côtés des collectivités, pour gagner la confiance des consommateurs et les convaincre de se tourner vers des biens circulaires. Par exemple, Manutan et Vesto ont chacun ouvert un showroom. Dans le cas de Vesto, celui-ci est même implanté dans le centre de Paris, au voisinage d’un restaurant d’insertion équipé en matériel reconditionné. Manutan propose également des « espaces » mêlant produits neufs et circulaires pour attirer les clients. Quant à Adopte un bureau, son statut d’aménageur de mobilier lui a permis de « pousser l’offre de mobilier reconditionné indispensable pour acculturer le marché qui tendait à aller naturellement vers du mobilier neuf, et dont une partie aspire désormais à aller directement vers une demande de produits reconditionnés », explique sa directrice des opérations, Nina Manghi.
Entre régulation par le marché et intervention de l’ État
Labels, garanties et certifications : des signaux positifs pour les consommateurs
Les labels écologiques tels que l’Écolabel européen22, et plus spécifiquement les labels circulaires (label RecQ pour « reconditionnement de qualité »), ainsi que les garanties de durabilité et les certifications (« Cradle to Cradle »23, etc.), agissent comme des signaux guidant les consommateurs dans leur acte d’achat, diminuant les asymétries d’information et instaurant la confiance (Mallard, 2021). Ils permettent aux consommateurs de sélectionner les produits, ce qui incite en retour les producteurs à modifier leur offre. Ils permettent aussi d’assurer aux consommateurs que les produits respectent des critères de qualité, de durabilité, de sécurité et d’impact environnemental réduit. Alors que la certification émane d’un organisme indépendant et accrédité, le label peut provenir d’un organisme public ou privé quelconque, rendant la conformité aux dispositions techniques moins certaine. Les garanties émanent quant à elles des industriels eux-mêmes.
La garantie fait ainsi entièrement partie de la stratégie de Montabert. Reconditionnant ses propres machines, l’entreprise est à même d’apporter une garantie constructeur. À la fois conceptrice et fabricante, elle dispose des plans des équipements et est donc « la seule à pouvoir tout contrôler avec une grande précision », nous confie Yvan Descotes. Vesto garantit quant à elle les pièces de son matériel de restauration reconditionné pendant douze mois. Maximum, de son côté, garantit dix ans ses produits écoconçus, assortis d’un écoscore et d’une fiche de déclaration environnementale et sanitaire (FDES, spécifique aux produits de construction et de décoration) qui présente les résultats de l’ACV si celle-ci a été réalisée par l’entreprise. Chez Saint-Gobain, certaines unités, comme la Business Unit Menuisiers Industriels (BUMI) en charge de la transformation et de la distribution de vitrages isolants, sont labellisées Ecovadis, indiquant aux consommateurs qu’elles mesurent l’impact de leur activité.
Pour les industriels, ces outils permettent à la fois d’accroître leurs ventes et d’afficher un engagement écologique. Ils occasionnent néanmoins des surcoûts, dans la mesure où les entreprises doivent modifier leurs approvisionnements et leur process de production en conséquence. Chez Saint-Gobain, les labels sont l’un des éléments qui peuvent justifier aux yeux du client un accroissement du prix et donc un report partiel des surcoûts sur la demande. « Nous pouvons développer un marché à prix premium si nous pouvons garantir les spécificités du produit (même performance attendue, expérience client positive) et fournir des informations de durabilité reposant sur des évaluations et des critères objectifs et partageables, ce qui permet de transmettre la preuve de l’impact environnemental positif aux clients, confirme Xavier Meyer. Les produits de Saint-Gobain s’accompagnent d’EPDs (Environmental Product Declarations), s’appuyant sur des ACV et systématiquement validées par des tierces parties indépendantes. »
LA NORME, UNE AUTRE FORME DE RÉGULATION
DISTINCTE DE LA RÉGLEMENTATION par son caractère non obligatoire, la normalisation constitue une autre forme de régulation qui s’est répandue depuis la mise en place en Europe d’une stratégie d’harmonisation basée sur le principe de reconnaissance mutuelle dans les années 1980. Toutefois, les normes présentent un caractère plus contraignant que les labels et autres signaux de qualité, dans la mesure où la commercialisation dans les autres pays est soumise au respect d’exigences essentielles, assuré par le respect des normes.
Ces dernières constituent un levier de compétitivité pour les entreprises, car elles favorisent le transfert de bonnes pratiques et d’innovation entre elles et, pour celles qui s’impliquent dans l’établissement de normes en lien avec les organismes de normalisation, elles peuvent influencer les marchés et les technologies (Bourdu et Souchier, 2015).
Comme le souligne David Krupka, responsable développement pour les marchés des équipements et solutions industriels chez Afnor Normalisation, la valeur des normes varie d’un produit à un autre. La question se pose de définir des normes pour la seconde main, sachant que la réaction pourra être très différente selon qu’on considère des jouets pour enfants ou le domaine de la construction, pour lesquels la sécurité est particulièrement importante, ou des téléphones pour lesquels ce critère est relâché.
Enfin, des entreprises comme Manutan ont développé leur propre score, sur le modèle du Nutri-Score utilisé dans l’alimentation, afin d’informer les consommateurs de l’impact environnemental et social de leurs produits.
Le rôle de la réglementation pour construire la demande
Dans certains secteurs comme ceux de la construction ou de l’automobile, la réglementation participe à créer un marché pour les matériaux et équipements de réemploi. La loi peut ainsi créer la demande et soutenir les prix, permettant aux modèles d’affaires circulaires d’émerger. D’après Franck Dourlens d’ArcelorMittal, « l’évolution de la réglementation en Europe modifie les attentes du marché ; d’où une demande croissante des clients, notamment automobiles, pour de l’acier décarboné pour répondre à la réglementation et créer un élément différenciant. Idem du côté des rails (SNCF). C’est le marché qui dirige : si on veut continuer à fournir des clients en France et en Europe, on est tenu de décarboner en maintenant notre compétitivité ».
Ainsi, l’indice de réparabilité introduit en France par la loi Agec en 2021 a pour objectif de faire évoluer le marché via une inflexion de la demande (Bergmann et Vasseur, 2024). Cet indice se présente sous la forme d’une note sur dix ; il est obligatoire pour huit catégories de produits : lave-linge, ordinateurs portables, smartphones, téléviseurs, tondeuses à gazon, aspirateurs, lave-vaisselles et nettoyeurs haute pression. La note est donnée en fonction de cinq critères : les informations disponibles concernant le produit, la facilité de démontage, la disponibilité des pièces détachées et leur délai de livraison, le prix des pièces détachées relativement au prix du produit neuf et des critères spécifiques au produit. Toutefois, dans une enquête menée en 2022 auprès d’un échantillon de 523 fournisseurs et distributeurs de cinq catégories de produits (tondeuses, smartphones, ordinateurs, lave-linge et téléviseurs), la Direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (DGCCRF) a observé un taux de non-conformité de 65 % aux règles de l’indice de réparabilité. Les fautes constatées avaient principalement trait au non-respect des principes informationnels, en particulier s’agissant de la mise à disposition des règles de calcul auprès des consommateurs.
Par ailleurs, la même loi Agec vise à stimuler la demande pour les biens issus du réemploi et de la réutilisation (emballages, mobilier, etc.) en imposant aux collectivités territoriales et aux acteurs publics d’y consacrer 20 % de leurs achats totaux de matériel. Rappelons que les collectivités représentent 40 % de la clientèle de Vesto dans le domaine des biens de restauration reconditionnés. L’article 60 de la loi Agec prévoit par ailleurs que l’État, les collectivités territoriales et leurs opérateurs achètent des pneus rechapés (sauf pour les véhicules d’urgence et militaires ou si aucun fournisseur n’a répondu au cahier des charges), fournissant ainsi à Black Star une clientèle potentielle. La loi Reen, qui vise à réduire l’empreinte environnementale du numérique, oblige quant à elle les acteurs publics à utiliser l’indice de réparabilité pour leurs achats de biens numériques.
Selon certains porteurs de projets circulaires, le cadre réglementaire doit encore être travaillé. Pour Yvan Descotes, de Montabert, « beaucoup de choses doivent être faites pour créer un cadre légal et incitatif plus favorable à l’économie circulaire : par exemple pousser les banques à financer l’acquisition d’équipements “R” ; créer des labels, des normes internationales et des certifications afin de se protéger contre la concurrence et convaincre ses clients ; favoriser les appels d’offres publics sur le circulaire ; mettre en place une TVA circulaire ». Un besoin de régulation se fait jour notamment pour réguler les échanges internationaux de biens industriels avec la Chine et jouer avec des règles équitables, selon plusieurs interlocuteurs.
Une complémentarité entre marchés plus qu’une substitution
L’offre de biens recyclés et reconditionnés ne réduit pas l’offre de produits neufs ; elle vient plutôt « étirer » le marché en s’adressant à de nouvelles cibles, suffisamment proches tout de même pour que l’acquisition de ces nouveaux clients ne soit ni trop longue ni trop coûteuse. On parle donc de clients jugés « trop petits pour le neuf », d’autres déjà pourvus en solutions neuves et qui aimeraient compléter leur équipement par un produit moins cher, d’autres encore visant la gamme de produit juste inférieure et de ceux qui commencent à s’intéresser au caractère « soutenable » de leurs achats par conviction personnelle ou obligations légales, etc.
Comme le dit Emmanuel Chabaneix, directeur du site de reconditionnement (Restart Center) chez Haulotte, « aujourd’hui, on ne constate pas de cannibalisation entre les marchés de première et de seconde vies pour nos nacelles élévatrices. Nous sommes plutôt sur une stratégie de complémentarité. Nous touchons un autre public, élargissant ainsi notre marché et diversifiant nos cibles : client final (et pas seulement les gros loueurs), petites sociétés de location, revendeurs. Nous pénétrons des secteurs nouveaux pour nous auprès de cibles qui n’ont pas le budget pour un équipement neuf : secteur de la démolition, des centres de formation, etc. Et aujourd’hui nous vendons des packages mêlant neuf et reconditionné pour un même client. Mais il a fallu convaincre, lever les inquiétudes, faire la démonstration de notre offre et choisir avec précaution nos premiers terrains d’exploration ».
PEU D’INSTRUMENTS FISCAUX DE POLITIQUE PUBLIQUE
EN FRANCE, LES POLITIQUES PUBLIQUES en faveur de la circularité prévoient peu d’instruments fiscaux (Domenech et Bahn-Walkowiak, 2019). Il existe tout de même une taxe sur les déchets : la taxe générale des activités polluantes appliquée aux déchets (TGAP). Elle s’applique aux installations de stockage ou de traitement des déchets ainsi qu’aux entreprises qui exportent des déchets, et son taux a augmenté régulièrement depuis la loi relative à la transition écologique pour la croissance verte de 2015. À partir du 1er janvier 2025, les déchets enfouis seront soumis à une taxe de 65 euros par tonne et les déchets incinérés de 41 euros par tonne. La TGAP « matériaux » s’applique également aux entreprises utilisant des matériaux d’extraction — donc non issus du recyclage — tels que les cailloux ou le sable pour la fabrication de béton et de couches d’assise.
Par ailleurs, la mise en place d’une TVA circulaire à 5,5 % a fait l’objet d’un amendement adopté à l’Assemblée nationale en octobre 2024 et est toujours en discussion en 2025. Celui-ci propose un taux réduit pour certains produits ou services circulaires, tels que la réparation, le recyclage ou la vente de produits de seconde main.
- 16— Unlabelécologiqueouenvironnementalviseàpromouvoirunproduit,unprocédéouuneentreprisepour ses caractéristiques environnementales. Il aiguille le consommateur vers des produits plus responsables, et constitue un outil d’écoconception pour les fabricants et les distributeurs. Les labels environnementaux n’ont pas tous le même degré d’exigence et de fiabilité : ceux qui sont conformes à la norme ISO 14 024 sont les plus fiables. Les exigences portent par exemple sur l’ensemble du cycle de vie d’un produit ou encore sur l’usage du produit.
- 17 — En 2023, les ménages achetaient presque six fois plus de voitures d’occasion (5 millions) que de voitures neuves (0,9 million), tandis que les entreprises achetaient près de quatre fois plus de voitures neuves (1 million) que d’occasion (0,3 million).
- 18 — 67 % des Français interrogés disent rechercher une source d’économie, quand 45 % y voient une occasion de développer des liens sociaux.
- 19 — Voir le compte rendu du séminaire de l’École de Paris du management du 3 mars 2021.
- 20 — Le cours des matières premières et des matières recyclées fluctuent selon la demande et selon les capaci- tés à les extraire ou les fournir.
- 21— D’après le site de l’entreprise Verallia, spécialisée dans la fabrication de verre creux, la consommation d’énergie d’un four durant l’étape de fusion est réduite de 2,5 % pour toute augmentation de 10 points du taux de calcin. Ce dernier favorise également la réduction de la consommation de matières premières comme le sable ou le carbonate de sodium.
- 22 — Depuis 1992, l’Écolabel européen garantit un impact limité des produits sur l’environnement et la santé tout au long de leur cycle de vie ainsi que la performance identique à des produits analogues. En octobre 2024, 22 catégories de produits étaient concernées. Pour chacune, des critères et seuils précis de certification sont définis par l’ensemble des parties prenantes (industriels, associations de consommateurs et environnemen- tales, distributeurs) et révisés régulièrement.
- 23 — Le « Cradle to Cradle » certifie que les produits répondent à 5 critères : non-toxicité, usage des énergies renouvelables, modèle circulaire, respect de la ressource en eau et respect des droits de l’Homme.
Point de vue – Le renforcement de la circularité de l’industrie métallurgique, un levier pour l’autonomie stratégique des filières par Bruno Jacquemin
Bruno Jacquemin est délégué général de l’Alliance des minerais, minéraux et métaux, (A3M)
L’industrie minière et métallurgique a un rapport bien spécifique avec ce que l’on appelle aujourd’hui la circularité.
Depuis son origine, c’est-à-dire plus de 5 000 ans avec l’Âge du Cuivre, le déchet de métal est récupéré, réutilisé, refondu… Sa valeur est intrinsèque et l’on peut donc dire que cette industrie a le recyclage dans son ADN.
Si la récupération a été longtemps considérée comme moins noble que le travail du métal à partir du minerai, on peut dire que ce n’est plus le cas aujourd’hui, à la fois parce que les technologies permettent d’obtenir des qualités de produits le plus souvent tout à fait comparables et qu’une grande partie des métaux élaborés sont en fait des alliages avec plus de 5 000 nuances présentes sur le marché (acier, aluminium, cuivre, nickel, titane…). Utiliser une matière première « secondaire », dont usagée, peut présenter donc un certain nombre d’avantages en termes industriels.
La demande mondiale de métaux est corrélée depuis toujours au progrès des sociétés : une population qui augmente, s’urbanise et accroît son niveau de vie « consomme » plus de métaux. À l’échelle mondiale, la transition écologique et le développement du numérique sont des facteurs qui amplifient cette demande, en particulier pour certains métaux : lithium, cuivre, terres rares… et acier. La France et l’Europe ont délaissé depuis plusieurs décennies cette industrie, de l’extraction à la transformation des métaux, et elles viennent de prendre conscience de l’évolution de la demande et surtout de leur extrême dépendance à des fournisseurs de minerais ou de métaux élaborés et transformés, situés hors d’Europe, notamment en Chine, mais aussi en Asie centrale, en Amérique du Sud et en Afrique ; les tensions géopolitiques en augmentation font de plus peser un risque majeur sur la sécurisation des approvisionnements de l’industrie, en particulier pour la souveraineté.
De multiples gisements
Dans ce contexte, mobiliser la ressource secondaire – les déchets de métaux et métaux usagés – devient tout à faire crucial. Cette ressource est en fait plutôt bien présente sur le territoire national et elle a trois origines principales. D’une part, les résidus miniers présents sur les 4 000 communes ayant eu une activité extractive sur leur territoire, a priori potentiellement riches de coproduits des métaux principaux (les « petits métaux » qui donnent leur spécificité aux alliages ou ont des usages technologiques bien particuliers). D’autre part, les déchets de production sur la chaîne de valeur, résultant essentiellement du forgeage, du matriçage, de la découpe et de l’usinage des pièces, et se traduisant par des copeaux, des poussières plus ou moins mélangées (les « scraps »). La proportion de déchets de production peut parfois être très importante : dans l’aéronautique par exemple, il est d’usage de considérer le « buy to fly » du titane à hauteur de 10 %. Enfin, les produits en fin de vie. Les métaux étant présents en grand nombre (entre 20 et 40) dans les produits de toutes les filières industrielles (pour les entreprises ou les consommateurs), le gisement dit de la « mine urbaine » est tout à fait considérable.
Au-delà de l’enjeu de sécurisation d’approvisionnement, la réincorporation de métaux usagés, y compris en les mélangeant à la ressource primaire, est la plupart du temps moins émettrice de gaz à effet de serre et avec un bilan global meilleur pour l’environnement.
Les freins à l’exploitation des métaux usagés
Il faut maintenant regarder les obstacles qui freinent l’exploitation de ces trois types de gisement, alors que la valeur des métaux reste forte et que la demande augmente significativement. Pour cela, il faut bien identifier les types d’acteurs qui agissent sur le circuit du recyclage de ces déchets de métal ou des métaux usagés. Au côté des industriels de la filière mines et métallurgie, que l’on va retrouver aux « deux bouts » de la chaîne, il y a l’ensemble des acteurs fournisseurs et leurs grands clients industriels producteurs de produits finis, les collecteurs de déchets de métaux qui interviennent soit dans les usines, soit dans la mine urbaine, puis les trieurs de ces déchets (le tri comporte différentes étapes selon la complexité métallurgique de séparation et il est opéré tant par les grands acteurs de la collecte que par les métallurgistes eux-mêmes). D’autres acteurs à caractère public (collectivités, éco-organismes) interviennent sur la chaîne du recyclage, pour pallier certaines lacunes de la collecte, mais c’est particulièrement mineur, le marché s’étant toujours organisé naturellement pour qu’aucun déchet de métal ayant une certaine valeur reste inutilisé !
Le véritable frein est donc économique : si la ressource secondaire est plus chère à utiliser par les coûts de la collecte ou du tri / séparation que la ressource primaire, soit elle restera dans la mine urbaine diffuse, à l’instar des téléphones portables d’ancienne génération, soit elle sera exportée dans des pays à bas coûts qui sauront la transformer pour la réexpédier en Europe sous forme de produits semi-finis ou finis.
Il est aussi industriel : à quoi sert de récupérer la grande diversité des métaux si l’on n’a pas sur le territoire l’ensemble de la chaîne de valeur permettant d’élaborer les produits finis.
Le recyclage des métaux et le renforcement de la circularité de l’industrie métallurgique sont donc un enjeu pour l’environnement et pour l’autonomie stratégique des filières de souveraineté. Mais s’il n’existe aucune prime pour des produits élaborés de manière durable, ou disponible dans une priorité de souveraineté – ce qui est clairement le cas aujourd’hui –, c’est par la réglementation qu’il faut agir : imposer des taux de matière usagée dans les produits, restreindre les exportations de déchets de métaux, donner une valeur au made in France ou made in Europe en intégrant tous les maillons de la chaîne de valeur.
Entre continuité et transformation
Les modèles circulaires aujourd’hui observés sur le terrain ne s’inscrivent pas en rupture totale avec les modèles linéaires. La période actuelle doit plutôt être perçue comme une phase de transition vers un allongement généralisé de la durée de vie des produits et la valorisation de leur usage. Le temps, du moins, que les industriels parviennent à opérationnaliser des activités permettant de circulariser la matière ou les produits, tout en restant profitables.
Des motivations variées à l’origine de chaque projet
Une première motivation rapportée par les porteurs de projets circulaires tient à leur volonté de se différencier et de créer un avantage concurrentiel. La Refactory de Renault à Flins répond par exemple à la forte demande de véhicules d’occasion émanant des particuliers (Alochet et al., 2025) sur un marché par ailleurs très compétitif. Lormauto fait le même choix en reconditionnant les Renault Twingo 1 à l’attention des professionnels, entreprises ou collectivités, sur un segment encore jeune.
Une deuxième motivation des entreprises a trait à leur volonté de maîtrise des coûts et d’indépendance en matière d’approvisionnement en matières premières primaires. C’est le cas de Saint-Gobain dans le domaine des matériaux de construction, dont les matières premières ont connu de très fortes hausses de prix à la suite de la crise du Covid-19. En utilisant de l’acier recyclé, ArcelorMittal diversifie également ses sources et améliore ainsi la robustesse de ses chaînes d’approvisionnement. Ce motif a plus généralement guidé la Commission européenne au moment d’établir une feuille de route en faveur de la circularité.
LES FILIÈRES REP : UNE OPPORTUNITÉ POUR RECYC MATELAS
RECYC MATELAS A ÉTÉ CRÉÉE EN 2010 sur le modèle d’une entreprise venant du Canada. Partant du constat que la rentabilité du matelas est très faible, le responsable canadien d’un centre d’enfouissement a décidé de traiter à part les matières composant le matelas. Pour William Avignon, directeur du groupe Recyc Matelas, le développement des REP au début des années 2010 a été l’occasion d’importer cette idée en Europe et de la «mettre en œuvre avant la loi». L’enjeu était alors d’industrialiser le processus par rapport aux concurrents démanteleurs qui sont de petite taille et qui travaillent de manière artisanale traitant de petits volumes. Aujourd’hui, Recyc Matelas est le plus gros recycleur de matelas français : 30 000 tonnes de matelas sont recyclées par an, soit 7 000 matelas par jour. Quatre sites de production ou de démantèlement ont été ouverts en France et un autre en Belgique.
Comme pour toutes les entreprises nativement circulaires, la mise en œuvre de ce projet a pris du temps : quatorze années ont été nécessaires à Recyc Matelas pour construire son modèle (collecte de matelas, industrialisation de leur démantèlement, valorisation des matières).
La conformité au cadre réglementaire constitue une troisième motivation, très souvent énoncée par les entreprises interrogées. Certaines d’entre elles ont mis en place une stratégie circulaire en anticipation d’une nouvelle réglementation, comme Recyc Matelas, qui a imaginé son process de recyclage des matelas en fin de vie avant la mise en place de la filière REP (Responsabilité Élargie du Producteur, voir chapitre 4) sur la collecte et le recyclage du mobilier usagé (voir encadré) — à laquelle l’entreprise a participé par la suite24. Lormauto cherche également à « anticiper une réglementation qui va aller en se durcissant et donc à prendre de l’avance ». De son côté, Vesto, spécialisée dans le reconditionnement d’équipements de cuisine professionnelle, fait partie des entreprises qui tirent parti des filières REP : dans cette catégorie d’équipements, 20 % des achats publics proviennent du réemploi ou de la réutilisation en 2024, une part qui doit atteindre 30 % en 203025.
Quand les entreprises n’anticipent pas une évolution réglementaire à venir, c’est qu’elles doivent se conformer à l’existant. En particulier, les entreprises soumises à la directive CSRD, c’est-à-dire les sociétés cotées, doivent attester de leur contribution à l’objectif de neutralité carbone en publiant une déclaration de performance extrafinancière qui rende compte à la fois de l’impact de l’environnement et de la société sur leur performance financière et de l’impact de leur activité sur l’environnement et la société. Cette directive, très débattue à l’heure où nous imprimons cet ouvrage, tend à accroître la demande pour des biens plus durables. En effet, devant améliorer à la fois leurs émissions directes et indirectes, et notamment celles émanant de leurs fournisseurs, les entreprises sont tenues non seulement de modifier leur process de production, mais aussi d’infléchir celui de leurs partenaires pour améliorer leur bilan global. C’est notamment le cas de Saint-Gobain ou d’Haulotte.
Plus globalement, la demande de firmes clientes pour des biens plus durables peut conduire les entreprises à s’inscrire dans des projets circulaires. Adopte un bureau offre des meubles de bureau recyclés ou reconditionnés, ce qui permet à ses clients professionnels de mettre en œuvre leur démarche RSE26. De même, les bacs de transport réemployables mis au point par Valrhona pour distribuer ses fèves de cacao répondent aux besoins de ses clients, depuis la conformité avec les exigences écologiques jusqu’au besoin de place sur les quais de chargement.
D’autres sociétés encore mentionnent l’objectif de neutralité carbone comme leur motivation première. Ainsi, Rosi Solar, qui sépare les matériaux composant les panneaux photovoltaïques (aluminium, argent, silice, verre, etc.), a choisi pour cette raison de s’adresser à d’autres industries, qu’elle fournit en matières primaires secondaires, plutôt que de s’inscrire dans la production de nouveaux panneaux à partir des matériaux recyclés. Outre que cela n’aurait pas été possible pour le silicium27, cette « boucle fermée » aurait concrètement signifié de renvoyer ses produits en Chine, où sont fabriqués 95 % des panneaux, avant que ceux-ci ne soient réimportés en France.
Au-delà de la neutralité carbone, les boucles circulaires sont parfois décrites par les entreprises comme un moyen de renforcer leur stratégie RSE, depuis la préservation de l’environnement jusqu’au développement de l’emploi et de l’économie locale. Valrhona travaille ainsi depuis 1990 avec une plantation à Madagascar qui réalise de l’agroforesterie et travaille sur sa gestion de la ressource en eau ainsi que sur l’utilisation d’engrais naturels28. Depuis, l’entreprise a racheté la plantation à hauteur de 40 %, participant notamment à la construction d’un village de 45 logements et d’un centre de santé. De son côté, Manutan a implanté son Hub Circulaire au sein d’un quartier prioritaire de la ville (QPV) en Seine–Saint-Denis et y offre des postes pour des personnes en parcours d’insertion. Autre exemple, et comme mentionné précédemment, le projet de Ma bouteille s’appelle reviens s’inscrit dans le cadre du PTCE Pôle Sud, au service d’un objectif de développement local. « Au-delà de la consigne des bouteilles en verre, notre volonté est de participer à la résilience de notre territoire à tous niveaux : créer des emplois et notamment en insertion, travailler les dynamiques business et de coopération, réduire l’empreinte carbone et la consommation des énergies », explique la directrice générale, Clémence Richeux. Black Star ou encore Renault Flins affirment également vouloir soutenir l’emploi industriel de leur territoire29.
Il faut garder à l’esprit que, dans la plupart des cas, la mise en œuvre de modèles circulaires s’inscrit au service d’une pluralité d’intentions : « L’intention stratégique de Manutan est bien de construire une offre de produits et de services responsables avec, entre autres, l’écoconception de nos produits en marque propre et le circulaire sur les produits IT et le mobilier professionnel. Améliorer notre bilan carbone est un objectif clair, répondre aux attentes d’un marché soucieux d’améliorer ses impacts positifs (notamment au travers de nouveaux cahiers des charges) également, s’aligner avec la vision des dirigeants aussi. Et toujours l’intention d’augmenter la part de notre chiffre d’affaires réalisée avec ces offres responsables », indique son responsable de projet circulaire, Pierre-Emmanuel Saint-Esprit.
Paradoxalement, on peut aussi croiser des entreprises qui participent d’une démarche circulaire sans que cela ne constitue pour elles un objectif en soi. Alexandre Lacour, le directeur de Someflu, avoue ainsi qu’il « ne fait pas du circulaire », mais de la durabilité et de la réparabilité, au sens où il vise à garantir une durée de vie de ses produits aussi longue que possible. Les pompes anticorrosives constituent en effet un produit spécifique dont la qualité est synonyme de coûts d’intervention maîtrisés pour ses clients.
LA CSRD, UNE OPPORTUNITÉ OU UN FREIN ?
APPLICABLE DEPUIS LE 1ER JANVIER 2024, la directive européenne intitulée Corporate Sustainability Reporting Directive (CSRD) contraint les grandes entreprises et les PME cotées en Bourse à rendre compte à la fois de l’impact de l’environnement et de la société sur leur performance financière et de l’impact de leurs activités sur l’environnement et la société (selon le principe dit de « double matérialité »).
Cette directive introduit un certain nombre d’obligations pour les entreprises en matière de reporting extrafinancier, notamment sur les données ESG à fournir et à faire certifier par un commissaire aux comptes ou un acteur spécialisé. Leur rapport extrafinancier doit notamment être conforme aux normes ESRS (European Sustainability Reporting Standards) élaborées par l’EFRAG (European Financial Reporting Advisory Group), organisme de droit belge. Douze exigences ou thématiques ont été retenues dans les ESRS : exigences générales, informations générales, changement climatique, pollution, ressources marines et en eau, biodiversité et écosystèmes, utilisation des ressources et économie circulaire, main-d’œuvre de l’entreprise, employés de la chaîne de valeur, communautés concernées, consommateurs et utilisations, conduite commerciale. Les ESRS ont également identifié un certain nombre de secteurs économiques pour lesquels des critères spécifiques devraient être définis.
Un impératif commun : industrialiser pour rentabiliser
Par-delà leurs différences, tous les projets circulaires étudiés dans cet ouvrage partagent un trait commun : leur rentabilité économique constitue un enjeu central. Obéissant aux mêmes règles que les projets non circulaires et devant démontrer des performances financières identiques, ils doivent eux aussi atteindre puis maximiser leur rentabilité grâce à des volumes croissants et une maîtrise des coûts. Plus précisément, les porteurs de projets interrogés ont tous souligné que le succès et le déploiement de leur solution exigeait de réussir son industrialisation ; il n’est jamais question de la cantonner à un stade « artisanal ». Ce passage à l’échelle industrielle vise à atteindre le plus grand nombre de clients possible ce qui, au passage, confère à la démarche circulaire un impact maximal. Il leur faut donc mettre des produits sur le marché au prix attendu.
Yvan Descotes, de Montabert, le précise très bien : « Le projet circulaire doit démontrer sa profitabilité. L’entreprise attend de ces projets qu’ils génèrent de la valeur et participent au profit. C’est encore un défi pour des processus complexes, qui relèvent du champ de l’innovation, qui sont encore coûteux (logistique inverse notamment) et pas encore valorisés avec justesse par les marchés. » Chez Renault Flins, « toutes les activités doivent être rentables. La rentabilité vient par le volume », insiste Stéphane Radut, directeur du site.
Dans tous les cas, il faut que la demande existe, ce qui suppose de proposer un prix attractif. Pour les biens reconditionnés ou recyclés, le prix doit se tenir entre un coût plancher et un prix plafond exprimé en pourcentage du prix du neuf qui reste la référence. Bastien Rambaud, cofondateur de Vesto, explique : « On applique un coefficient de moins 30 à moins 70 %, avec une moyenne à moins 50 % du prix du neuf. » Pour les produits écoconçus, le rapport entre offre et demande peut être plus favorable : sur le marché de la construction, où l’offre est faible et la demande forte en raison de la réglementation environnementale 2020 (RE2020), les prix peuvent être égaux voire supérieurs à ceux du neuf. Comme nous l’avons vu au chapitre 2, il existe plusieurs paramètres de nature à renforcer le pouvoir de marché des offreurs de solutions circulaires et donc à maintenir des prix élevés. « Suite à nos premières explorations sur le marché, le retour des clients a été très positif, et nous avons pu identifier des facteurs clés de succès comme : le prix, la garantie constructeur gage de sécurité et de fiabilité, les gains CO2 et matières », explique Emmanuel Chabaneix, de Haulotte.
Toujours est-il que la décision de lancer un projet circulaire est toujours subordonnée à la viabilité de son modèle économique, comme le note Alexandre Isaac, fondateur et dirigeant de Seensys : « Pour ouvrir une offre de reconditionnement sur un nouvel outil IT, on repère les produits qui sont aujourd’hui non réparés et on identifie ceux qui seront réparés demain. Pour qu’un modèle économique de la réparation ou du reconditionnement existe, il nous faut un volume de produits suffisant, un prix d’acquisition élevé du produit neuf sur le marché et pas de politique de réparation de la part du constructeur ou alors à un prix très prohibitif. À ces conditions, nous commençons à explorer les modalités de réparation et de reconditionnement pour voir si une offre est solide. »
Les entreprises nativement circulaires, telles que Maximum, insistent également sur ce point : leur projet doit être industriel. Pour cela, ils doivent identifier un gisement de matières premières secondaires ayant un volume suffisant et concevoir un produit qui peut être standardisé à un prix correct pour le marché. Romée de la Bigne, cofondateur de Maximum, résume en ces termes l’activité de l’entreprise : « La manufacture de mobiliers, produits en séries, à partir de déchets industriels standards qui permettent de limiter les opérations de transformation pour être rentable. »
Or, tous ces modèles industriels se heurtent à la contrainte de temps long, « indispensable pour modifier en profondeur la culture et pour construire les conditions de viabilité d’une réelle filière du réemploi. Nous ne disposons pas de ce temps-là ! Le temps de la réussite économique est celui du temps court : les actionnaires attendent des résultats rapides, de la croissance, de la profitabilité. Comment tenir le coup les cinq ou six ans nécessaires à l’éclosion d’un marché et de processus que nous pensons par ailleurs inexorables ? », interroge Clémence Richeux, de Ma bouteille s’appelle reviens.
Gérer la collecte, première transformation majeure
Pour plusieurs entreprises, le principal frein à la mise en œuvre de projets circulaires a trait à la gestion de l’approvisionnement : « créer des boucles circulaires et notamment le sourcing, c’est difficile », confirme Yvan Descotes.
Gérer la qualité
Pour conserver un contrôle suffisant de la qualité de leurs intrants ou des équipements à réparer, plusieurs entreprises expliquent qu’elles restreignent le nombre et l’étendue de leurs gisements en matières premières. Vesto et Renault limitent par exemple leur collecte en fonction respectivement du nombre d’années d’usage résiduel du matériel de restauration et de l’année de construction des voitures. Lormauto est encore plus sélectif en se limitant à un seul modèle de Twingo. Adopte un bureau reconditionne quant à elle des bureaux d’un nombre limité de marques, ce qui l’aide par ailleurs à négocier ses prix d’achat et facilite son accès aux pièces de rechange. Toutefois, cette restriction des gisements limite naturellement le chiffre d’affaires de l’activité et chaque entreprise reste tendue vers l’objectif de « passer à l’échelle ». C’est pourquoi l’écoconception est si importante : plus les produits sont conçus comme modulaires, plus le nombre de gisements peut être important.
La qualité du gisement fait d’ailleurs parfois l’objet d’une évaluation de la part de l’entreprise, soit par l’établissement d’un cahier des charges, soit par le déplacement d’un technicien, comme dans le cas d’Haulotte. L’usage de photos et de la visioconférence aide certes à établir un premier diagnostic, surtout lorsque le produit à collecter est lourd, comme les engins de construction et d’extraction minière de Montabert, mais on comprend à ce stade du récit l’importance de la proximité géographique ou, en d’autres termes, pourquoi les boucles circulaires établies sur de grandes distances peuvent être moins performantes. En particulier, les industriels doivent parfois porter une attention particulière au processus de collecte en lui-même, notamment aux opérations de démontage des produits arrivés en fin de première vie. Ainsi, pour Xavier Meyer de Saint-Gobain, « obtenir in fine une matière de qualité, propre à être remise dans un four pour refabriquer du verre plat avec une qualité irréprochable — sachant que les contraintes qualité sont très élevées — suppose notamment de collecter des fenêtres et de les conserver intègres jusqu’au lieu où elles seront démontées et les matières séparées entre elles. Cela implique de mobiliser les acteurs sur chantier pour un démontage propre, puis ceux du retraitement et de la gestion des déchets pour fournir un calcin de grande qualité ».
Gérer la quantité
La taille des sources d’approvisionnement devient à son tour un critère de première importance dès lors que les volumes augmentent. Le distributeur Manutan doit ainsi répondre à des commandes combinant volume et homogénéité des produits « pour satisfaire l’équipement en mobilier de bureau d’une entreprise quand la norme est encore l’homogénéité de couleur et de forme du design ».
Le coût marginal d’acquisition des intrants tend alors à augmenter, ce qui demande de la part des entreprises une parfaite maîtrise de leur process pour ne pas compromettre leur rentabilité. Pour Black Star par exemple, qui doit acheter les pneus usagés avant de les reconditionner, le savoir-faire de tri est crucial pour éviter d’acquérir un trop grand nombre de pneus inutilisables. De son côté, Recyc Matelas est dans l’obligation de valoriser l’ensemble des matières collectées pour être payée par l’éco-organisme. Elle revend donc la ferraille et la mousse et transforme les matelas inexploitables en combustible solide de récupération (CSR), utilisé notamment par les cimenteries qui préfèrent brûler des déchets plutôt que du charbon pour se décarboner. Mais c’est alors Recyc Matelas qui doit payer ces cimenteries pour se débarrasser du CSR. Vesto achète également 100 % de son gisement en matériel de restauration, soit par rapport au prix du produit neuf et de son état d’usure, soit au prix de la ferraille.
Gérer la variabilité
Tous les gisements ne sont pas réguliers ni pérennes. Certaines entreprises comme Rosi Solar s’approvisionnent essentiellement auprès d’un acteur, ici l’éco-organisme Soren dont la fonction est de collecter des panneaux photovoltaïques usagés. Certaines entreprises, comme Montabert, utilisent des outils numériques pour obtenir des informations sur l’usage et l’usure des produits (le nombre d’heures de fonctionnement par exemple) et ainsi récupérer « au bon moment » l’équipement pour le reconditionner à un coût maîtrisé. Sur de gros équipements, prévoir une maintenance régulière offre un accès supplémentaire à ces informations. Cela étant, les petites structures peuvent éprouver des difficultés à trouver des fournisseurs. Dans le secteur automobile par exemple, « les portes des grands équipementiers et fournisseurs sont difficiles à ouvrir car, dans le cadre d’une économie très linéaire, ces acteurs sont habitués à travailler avec des grands donneurs d’ordre », explique Franck Lefevre, cofondateur de Lormauto. « Nous avons eu beaucoup de chance parce qu’elles se sont ouvertes chez ceux qui nous étaient les plus importants. Peut-être parce que notre proposition de valeur devient de plus en plus compréhensible en cette période où le modèle historique de l’industrie automobile européenne souffre beaucoup », ajoute-t-il.
Adapter les compétences, seconde transformation majeure
Des besoins en formation (comme pour tout métier industriel)
Pour certaines opérations des nouveaux projets circulaires, les entreprises peuvent s’appuyer sur les compétences dont elles disposent déjà : par exemple pour la conversion d’une ligne de production en ligne de démontage, le changement de pièces ou encore l’intégration de technologies connues dans des machines usagées. D’autres activités, en revanche, nécessitent de nouvelles compétences et donc la mise en place de formations particulières. Ainsi, le tri des pièces détachées et des produits de seconde main peut requérir l’usage d’outils numériques à des fins d’optimisation, comme chez Black Star, qui utilise l’intelligence artificielle pour trier les pneus usagés. Cette technologie permet une première catégorisation des pneus (par taille par exemple), les opérateurs étant en charge des catégorisations suivantes, afin de conserver uniquement les pneus qui pourront être rechapés et de les regrouper par types pour pouvoir ensuite les revendre par lots. La conception, le montage et le contrôle qualité constituent également des étapes clés à maîtriser. Avant le montage, il faut d’ailleurs apprendre aussi à démonter sans casse : cela peut être évident pour les produits du catalogue, mais pour des sous-composants ou des produits collectés hors catalogue, c’est au contraire une véritable nouveauté. Renault, par exemple, ne collecte pas uniquement des véhicules de sa propre manufacture.
Au cœur de ce processus, le diagnostic en entrée de flux devient une compétence critique. La vérification de l’état de l’intrant est en effet indispensable pour déterminer les opérations que l’entreprise va réaliser. De cette décision dépendent ensuite, tout à la fois, le coût du processus de réparation, la réponse au besoin du client et la qualité finale du nouveau produit. C’est pourquoi les entreprises comme Seensys et Renault investissent massivement dans la formation. Alexandre Isaac, a d’abord lancé une école de formation de réparateurs de matériel IT, The Repair Academy, et un format vidéo sur une chaîne YouTube30 avant de créer Seensys. Sa formation en microsoudure pour smartphones est proposée aux réparateurs de haut niveau, afin qu’ils soient capables de réparer toutes les pannes liées à la carte mère de l’appareil. Ces techniques permettent notamment de lutter contre l’obsolescence programmée des appareils électroniques grand public. L’école forme aujourd’hui 150 élèves par an, et son équipe se compose d’une dizaine de formateurs indépendants et de salariés.
En aval du diagnostic, de nouvelles techniques de production sont également expérimentées, standardisées puis diffusées, comme le rechapage de pneus chez Black Star. Cette opération consiste successivement à enlever la bande usée du pneu, poser une nouvelle bande et cuire le pneu dans un moule traditionnel. Elle n’est toutefois pas enseignée dans les écoles relevant de l’Éducation nationale ; c’est donc aux industriels de former la main-d’œuvre, parfois en interne chez certains grands fabricants de pneus tels que Continental. De même, la conversion du site de Renault Flins en un centre de reconditionnement de voitures31 s’est traduite par des formations longues, de l’ordre de quarante-sept semaines, pour les opérateurs en reconversion, sanctionnées par la délivrance d’un diplôme d’État.
Des besoins en main-d’œuvre
Rosi Solar recrute des opérateurs de four à pyrolyse et de tri mécanique ainsi que des opérateurs chimie pour faire fonctionner des équipements innovants. Par définition, il n’existe pas de personnel expérimenté dans l’utilisation de ces machines ; les personnes recrutées répondent donc à d’autres critères tels que leur localisation, leurs soft skills, leur niveau de conviction sur le projet ou encore leur volonté de « vivre une aventure humaine », note Damien Letort, directeur commercial.
Lorsque les modèles circulaires impliquent des métiers peu qualifiés ou qu’ils promeuvent des valeurs telles que la limitation des écarts de salaires entre employés, il n’est pas rare qu’ils entrent alors dans le champ de l’économie sociale et solidaire (ESS)32 (Banque des Territoires et Intercommunalités de France, 2024). Vesto a par exemple le statut d’entreprise solidaire à utilité sociale (Esus), qui impose notamment de limiter les écarts de rémunération. Elle emploie également des personnes en insertion professionnelle, tout comme Recyc Matelas dont le taux de salariés en contrat d’insertion atteint 50 %. D’autres entreprises circulaires (par exemple Eco in pack en Nouvelle-Aquitaine, qui collecte et lave des bouteilles en verre à grande échelle avant leur réemploi) travaillent en étroite collaboration avec des établissements au service d’aide par le travail (Esat).
DES PORTEURS DE PROJET AUX PARCOURS DIFFÉRENCIÉS
PARMI LES FONDATEURS DES ENTREPRISES NATIVEMENT CIRCULAIRES, on relève une diversité de profils éclairante quant à la multiplicité des compétences nécessaires pour mettre en œuvre de tels projets.
Certaines personnes ont auparavant travaillé dans le recyclage des déchets, comme William Avignon de Recyc Matelas ou Nina Manghi d’Adopte un bureau. Elles connaissent donc les modèles existants et leurs limites. D’autres ont un début de parcours dans le domaine artistique, à l’instar de Romée de la Bigne et Basile de Gaulle, respectivement cofondateur et designer chez Maximum, qui sont issus de l’école des Arts décoratifs. La créativité est en effet nécessaire pour aller au-devant de l’écoinnovation et créer des produits de plus en plus en adéquation avec les besoins des consommateurs, selon Souan (2015). Bien sûr, on retrouve dans plusieurs entreprises des profils dits généralistes, issus d’écoles de commerce ou de Sciences Po, comme Armand Bernoud, cofondateur et président de Maximum, Bastien Rambaud de Vesto ou Clémence Richeux de Ma bouteille s’appelle reviens. Ces parcours peuvent être associés à des compétences en management. Damien Letort de Rosi Solar, Wilfrid Dumas et Anne-Laurène Harmel, cofondateurs de Vesto, ont une formation d’ingénieurs, et Franck Lefevre de Lormauto vient quant à lui du secteur du numérique, ce qui montre l’importance de l’innovation technologique dans la mise en œuvre de la circularité.
Les personnes interrogées qui travaillent dans des entreprises auparavant linéaires ont comme point commun d’avoir effectué une large partie de leur carrière dans ces mêmes entreprises.
Convaincre les salariés
Avant de s’engager dans une telle transformation, il ressort de nos entretiens qu’il est essentiel de mobiliser et convaincre les équipes qui seront intégrées de près ou de loin au projet circulaire, et plus encore celles qui n’en feront pas directement partie au début pour les rassurer et les convaincre.
L’entreprise gagne à expliciter le sentiment d’urgence à l’origine de la transformation initiée par les dirigeants, puis à créer une équipe de « testeurs » qui seront accompagnés et dont seront valorisés auprès de toute l’entreprise les gains, les avancées en phase de développement puis in fine la transformation en cours. En parallèle, l’entreprise doit adapter ses process, par exemple pour que les opérateurs ne se blessent pas ou ne traitent pas de produits « trop sales ». L’installation d’un poste de lavage en amont de la ligne de démantèlement fait partie de ces « quick wins » qui permettent aux équipes d’y trouver du sens, d’avoir des conditions de travail simples et agréables et donc de se lancer dans l’exercice sans réticence. L’entreprise peut également s’adresser aux convictions personnelles de ses salariés pour en faire des personnes motrices du changement : « On veut faire prendre conscience aux équipes qu’elles sont acteurs du changement et contribuent concrètement, par leurs mains et leurs pneus, à installer les bases d’un monde meilleur, plus sobre, plus circulaire », explique le dirigeant de Black Star, Jean-Baptiste Pieret. Dans le cas de Black Star, l’activité existait avant la popularisation du concept d’économie circulaire. Si la motivation initiale, dans les années 1970, ne relevait pas d’un motif environnemental, et que le métier n’était pas très valorisé, car réalisant des produits de seconde main, ce n’est plus le cas aujourd’hui. Or il appartient à l’entreprise d’accompagner ses salariés dans un tel changement d’état d’esprit.
Lorsque Renault a transformé le site de Flins en Refactory, elle a travaillé avec les syndicats et mis en place un aménagement du temps de travail pour faire des tests puis installer des lignes de reconditionnement de voiture, en parallèle des plans de formation. Au lancement du projet, Renault a fait un appel au volontariat pour que seuls les salariés qui l’auraient choisi s’engagent dans le projet. Or, en 2021, il y avait peu de volontaires : « Les métiers du reconditionnement et du recyclage n’étaient pas très bien perçus », déplore Stéphane Radut, son directeur. C’est à partir de juillet 2022 que le nombre de volontaires a augmenté, jusqu’à dépasser le nombre de postes à pourvoir sur les lignes de réparation. Cette nouvelle façon de travailler a plu aux salariés : leur mission se rapproche là de celle d’un « docteur » des voitures (ou des modules internes de véhicules) quand le travail sur les lignes de production standardisée, où les processus ont déjà été réfléchis, laisse peu de place à la réflexion et à l’initiative, si ce n’est pour améliorer la ligne. Les gestes sont moins automatiques, moins rythmés, et le métier mobilise la réflexion, le diagnostic et une évaluation de l’état d’un véhicule en entrée d’usine. Certes, ce diagnostic fait l’objet d’un processus standardisé autour de points clés à vérifier, mais l’examen et le temps passé sur chaque défaut diffèrent d’un véhicule à un autre (on retrouve tout de même une répétition des gestes ensuite, au stade de la remise en état).
De leur côté, les commerciaux expriment parfois la crainte d’une cannibalisation entre les offres de l’entreprise, si la réparation diminue la vente de produits neufs par exemple ou si la vente de produits réemployés se traduit par des marges commerciales amoindries. Plus symboliquement, certains redoutent aussi que leur marque ne soit plus « la référence ou le numéro 1 » sur le marché. Manutan a répondu à ces inquiétudes en soulignant que l’entreprise était justement leader sur son expertise : elle sait donc gérer la logistique, réparer et apporter la meilleure réponse en toute connaissance de ses produits, renforçant encore la confiance des clients particuliers ou professionnels.
Enfin, des transformations sont également nécessaires au sein des fonctions de management et de direction. Le pilotage d’une ligne de reproduction nécessite en effet des ajustements afin d’identifier les gaspillages, respecter les cadences et assurer un niveau de qualité stable. La production circulaire ne permet pas d’imaginer qu’une lumière bleue s’allume à travers l’atelier à la moindre dérive de cadence. Le contrôle qualité, et notamment l’identification et la gestion des écarts, doit être adapté, souvent au profit de « tournées » de contrôle, afin d’optimiser le temps passé sur chaque machine. Les indicateurs de performance doivent également être remplacés. Selon le dirigeant de Seensys, « il faut aussi embarquer et intéresser les dirigeants (et notamment les directeurs financiers ou achats par exemple) aux actions favorables au reconditionnement, à la réparation, etc. ».
La refonte des organisations pour répondre à la demande
À la recherche de modèles organisationnels
Différents modèles organisationnels sont expérimentés dans les entreprises pour mettre en place des activités circulaires. Dans le secteur du mobilier de bureau, nous avons interrogé deux acteurs dont les activités de reconditionnement sont comparables (diagnostic, réparation, nettoyage, peinture, emballage), tandis que leurs organisations face à la demande sont tout à fait différentes. La stratégie d’Adopte un bureau est de reconditionner des produits d’exception à la commande, ce qui leur demande un effort important de standardisation des étapes de remise en état pour agir vite et annoncer des délais acceptables à leurs clients. Grâce à leur travail sur le référencement de produits « standards » (par exemple les sièges de bureau de la marque Herman Miller), ils ont mis en place une stratégie de make-to-stock sur certains produits qui leur permet de proposer sur leur site internet des produits disponibles en précisant le nombre de pièces en stock, livrables au plus tôt en soixante-douze heures. Cela leur évite de remettre en état des produits qui ne seront jamais vendus et leur permet d’adapter d’emblée leur offre à la demande du client. La stratégie de Manutan est au contraire de vendre du mobilier de bureau réparé et nettoyé, à l’unité ou en petits volumes, soit en ligne depuis leur site web, soit en complément d’un projet d’aménagement. Ils réparent et nettoient donc leurs meubles sur stock pour mettre un maximum de produits à disposition des commerciaux en charge des projets d’aménagement. Cela leur permet également de déclencher des expéditions en moins de vingt-quatre heures.
On voit également différents modèles émerger au sein d’une même structure. Sur le site de Flins, Renault reconditionne des véhicules accidentés comme le ferait un « garage industriel », en réduisant le temps d’immobilisation des véhicules grâce à une cadence en 2×8. Cette réactivité satisfait naturellement les propriétaires mais aussi les compagnies d’assurances qui immobilisent moins longtemps leurs véhicules de remplacement. Renault rénove également des véhicules destinés à la vente : dans ce cas, les concessionnaires notent d’abord les attentes du client (prix, type de véhicule, niveau de qualité esthétique attendu, technologie demandée, etc.) à quoi les diagnosticiens de Flins répondent en ajustant leur évaluation. Leur devis traduit ainsi un besoin de remise en état ; il est présenté au client, validé et payé avant le début de toute opération.
Des standards nécessaires
Qu’elle soit linéaire ou circulaire, l’industrie ne peut se passer de standards opérationnels pour traduire les besoins des partenaires et clients en exigences internes. Ses modes opératoires, périodiquement réévalués, représentent la meilleure pratique à une période donnée.
La collecte des gisements doit par exemple être décrite en tous points pour garantir la qualité des intrants et la maîtrise des coûts. Cela se traduit par des standards de tri, de chargement, de déchargement, de livraison ou encore de certification des produits collectés (« recyclable », « réemployable », « réutilisable », données de tonnages, etc.). Ainsi, lors de sa phase de PoC (Proof of Concept), Manutan a collecté du mobilier de bureau couvrant une dizaine de familles de produits. En fonction de tests de reconditionnement réalisés mais aussi des retours de clients potentiels et des constats sur l’état des produits en entrepôt, la responsable sourcing et la responsable d’usine de reconditionnement ont pu affiner les critères de sélection des gisements afin d’éviter d’engorger l’entrepôt avec des produits non réemployables. Ajoutons que, dans le cas du réemploi et de la consigne, les entreprises doivent aussi prévoir la reverse logistic, c’est-à-dire l’acheminement des produits depuis les consommateurs jusqu’à leurs ateliers ; cela suppose de cartographier avec précision l’emplacement des produits et leur mode de récupération. En entrée dans l’usine, le gisement est d’ailleurs réévalué par les experts de chaque activité, selon un mode opératoire très précisément décrit. Chez Renault, « nos activités de reconditionnement de véhicules d’occasion et de réparation de véhicules sont très avancées en ce qui concerne le diagnostic et les opérations de rénovation. La moindre rayure de 10 centimètres de long et inférieure à 2 millimètres de profondeur a son mode opératoire de réparation », note Stéphane Redut.
Ensuite, l’atelier nécessite tout autant de standardisation pour réduire la variabilité et les gaspillages, comme dans une industrie linéaire : des standards de flux et standards de lean management dans la Refactory de Renault, des standards de contrôle de la propreté des bouteilles lavées chez Ma bouteille s’appelle reviens ou encore des standards de remplacement des roulettes de chaise de bureau chez Adopte un bureau et Manutan.
Enfin, comme dans toute entreprise industrielle, les standards de management permettent quant à eux d’identifier et de discuter les écarts aux standards opérationnels, de sécurité ou de qualité par exemple, puis de mettre en place des actions pour corriger ces écarts. Ils sont essentiels, tant pour les entreprises anciennement linéaires qui circularisent leurs opérations que pour les entreprises nativement circulaires qui désirent passer à l’échelle et satisfaire un objectif final de rentabilité. Certes, dans le premier cas, les industriels linéaires disposent déjà d’un système opérationnel de management (routines de pilotage de la performance, procédures de contrôle, etc.), mais ces standards ont non seulement vocation à évoluer au gré de l’activité, mais aussi à être adaptés, voire repensés, en fonction des besoins des opérations circulaires. Par exemple, le taux de rebuts, indicateur de performance indispensable pour une usine en sortie de ligne de fabrication, peut être dupliqué et adapté à la gestion des rebuts en entrée d’usine, afin de mieux piloter les opérations de tri et de collecte et en maîtriser les coûts. Dans le second cas, les entreprises nativement circulaires doivent mettre leur activité « sous contrôle », en matière de sécurité, qualité, coûts et délais et ainsi se structurer comme les industriels qu’elles entendent concurrencer. Vesto doit par exemple gérer le taux de panne de ses machines pour être crédible sur son marché et maîtriser le coût de son service après-vente qui affecte sa rentabilité. En l’occurrence, le taux de panne des machines revendues sur la plateforme Leboncoin est de 24 %, quand celui du matériel de restauration neuf est de 4 à 5 %. L’enjeu de Vesto est de se maintenir dans le même ordre de grandeur que le neuf. Grâce au pilotage régulier de cet indicateur et à sa déclinaison sur les opérations en atelier et les réclamations des clients, l’entreprise a divisé par trois son taux de panne pour atteindre 7 %.
L’usage d’outils numériques
La collecte numérisée de données de diagnostic et de contrôle participe à l’opérationnalisation du projet circulaire dans les entreprises. Chez Haulotte, les données recueillies sur la vie de la machine et ses réparations permettent de savoir dans quelles conditions elle est utilisée et donc de parvenir à un diagnostic plus précis. De la même manière, le système informatique des voitures reconditionnées par Lormauto s’appuie sur l’Internet des objets (IoT)33 pour faciliter le diagnostic des composants et assurer la longévité des voitures.
Ensuite, la mise en place d’outils de planification des ressources (ERP, pour Enterprise Resource Planning) qui ne requièrent pas de codage permet de démarrer rapidement une première ligne de reconditionnement. Des solutions spécifiques au circulaire ont également vu le jour pour répondre à des besoins dédiés ou complexes. Par exemple, un ERP peut gérer des commandes d’approvisionnement en matières premières secondaires grâce au calcul du besoin net de l’outil, permettant d’avoir toujours le bon niveau de stock pour produire en fonction des commandes à honorer. Cependant, un ERP « classique » n’est actuellement pas capable de gérer le référencement ni la variabilité des pièces détachées issues du démantèlement de produits physiques, pas plus que la commande en temps réel des pièces détachées nécessaires à la réparation d’un produit.
Troisièmement, certaines solutions numériques répondent à d’autres « points durs » de la circularité, comme Lizee, gestionnaire des opérations d’offre de revente, de location et de reprise de produits, ou encore Skop, une solution d’inventaire et de diagnostic des ressources collectées, mettant en relation directement les produits collectés avec le stock d’un professionnel ou une plateforme de réemploi. Citons enfin CircularX, une plateforme SaaS, qui permet aux usagers de revendre leurs produits en toute simplicité. Par exemple, grâce à ce type de solution, Manutan peut faire du « bilan RSE mobilier » une de ses priorités pour aider ses fournisseurs à promouvoir leur implication en faveur d’une offre de mobilier de bureau de seconde main. Pour leur fournir un tel bilan, les équipes du Hub capitalisent sur le taux de réparation du mobilier, ce qui est grandement facilité par la structuration de données sur la qualité du produit en entrée de hub, les opérations par lesquelles chaque meuble passe puis la revente. Que cela porte sur une pièce unique, un lot ou encore des tonnages, le client fournisseur aime avoir un aperçu de l’impact qu’a eu sa donation.
Quatrièmement et enfin, le recours à la donnée permet une traçabilité des opérations, gage de qualité pour les utilisateurs finaux. Dès que des produits doivent être rappelés pour un défaut de fabrication, il est important de pouvoir retracer un lot qui est passé par un certain type d’opérations, afin de garantir la sécurité des usagers. C’est un axe stratégique que Renault a mis en place très vite : par exemple, le mouvement de visserie de reconditionnement de chaque moteur est enregistré dans le cloud pour tracer toute conformité des opérations réalisées sur ce moteur.
- 24 — Recyc Matelas a participé à la création du cahier des charges de l’éco-organisme en charge de la filière, Eco-mobilier devenu depuis Ecomaison.
- 25 — Source : guide de mise en œuvre de l’article 58 de la loi Agec.
- 26 — La responsabilité sociétale des entreprises (RSE) est définie par la Commission européenne comme « l’intégration volontaire, par les entreprises, de préoccupations sociales et environnementales à leurs activités commerciales et leurs relations avec les parties prenantes ».
- 27 — À cela s’ajoute le fait que le silicium extrait n’est pas suffisamment pur pour construire de nouveaux panneaux photovoltaïques.
- 28— Spécialiséedanslecacao,cetteplantationproduitaussidesépices,despoivres,delacitronnelleetdelavanille.
- 29 — Renault Flins comptait 4 200 personnes en 2021 et en prévoit 3 000 en 2030. Le volume d’emplois du site sera donc réduit, ce qui devrait concerner davantage les intérimaires et des départs volontaires non remplacés.
- 30 — Cette chaîne est aujourd’hui la seconde chaîne YouTube de France en matière de tutoriels de réparation de cartes mères de smartphones.
- 31 — En 2024, 50 % des activités effectuées sur le site de Renault concernaient des activités de réparation et reconditionnement, le reste des activités concerne la fabrication de pièces détachées neuves.
- 32 — Définie par la loi du 31 juillet 2014, l’ESS regroupe des « entreprises organisées sous forme de coopéra- tives, mutuelles, associations, ou fondations, dont le fonctionnement interne et les activités sont fondés sur un principe de solidarité et d’utilité sociale. Les entreprises adoptent des modes de gestion démocratiques et participatifs. Elles encadrent strictement l’utilisation des bénéfices qu’elles réalisent : le profit individuel est proscrit et les résultats sont réinvestis. Leurs ressources financières sont généralement en partie publiques », selon le site du ministère de l’Économie.
- 33 — L’IoT appliqué à la collecte des déchets permet, par exemple, d’optimiser les tournées de collecte grâce à des capteurs, de manière à réduire la consommation de carburant et les émissions de C02.
Focus – En Italie, l’exemple de Rifò
FONDÉE EN 2017, RIFÒ EST UNE START-UP italienne, qui conçoit et distribue des vêtements réalisés à partir de matières naturelles, biodégradables et composées de fibres recyclées provenant de vieux vêtements ou de déchets de fabrication. L’entreprise externalise la fabrication proprement dite auprès d’un réseau d’artisans résidant à Prato, ville d’origine du fondateur-dirigeant Niccolò Cipriani34, et conserve les activités de logistique, de marketing et de communication. « Nous ne faisons que de la production locale, ici à Prato. » 27 PME artisanales, employant 238 salariés au total et situées dans un rayon de 30 kilomètres, sont impliquées dans la production.
Aujourd’hui, 85 % des matières premières proviennent du recyclage : 19 % d’usines de fabrication et 66 % de vêtements usagés. Ces matières sont du cachemire, du coton, de la laine, du denim ou encore de la soie. La collecte est réalisée à l’échelle internationale : en Italie, en Espagne et au Bangladesh pour le coton issu d’usines de fabrication, au Canada et aux États-Unis pour la laine et le cachemire provenant des points de collecte, en France, Turquie, Tunisie, Espagne et Italie pour le coton recyclé. Ces pays sont aussi les lieux de revente des vêtements ; Rifò a ainsi développé en parallèle un réseau de points de collecte et un service de récupération des vieux vêtements en laine et cachemire.
Le tri est réalisé par la coopérative La Fraternità à Bologne. Les vêtements triés se répartissent de la manière suivante : 50 % sont réutilisés comme vêtements d’occasion vendus dans les magasins, 40 % sont recyclés et 10 % sont des déchets.
Malgré des tests effectués sur les fibres, Rifò ne bénéficie d’aucun label pour certifier leur qualité. Cependant, l’entreprise reçoit diverses certifications pour l’impact environnemental et sociétal de son activité. Compte tenu de son choix d’externaliser la production, son empreinte carbone provient principalement des émissions indirectes non liées à l’énergie (scope 3) : 479,5 téq CO2 sur un total de 489 téq CO2.
Le dirigeant-fondateur de l’entreprise confie s’être placé sur une niche de marché (« personne ne faisait ça avant »), tout en répondant à son envie de « faire des affaires d’une manière plus écologique ». Il accorde une attention particulière aux conditions de travail des salariés. « La durabilité chez Rifò, c’est garantir une conduite socialement responsable tout au long de la chaîne de valeur. Les artisans sont sélectionnés en fonction de la façon dont ils travaillent avec les employés et les partenaires. Les énergies renouvelables deviennent la norme, grâce aussi aux incitations et au marché lui-même, ainsi qu’à l’augmentation du prix de l’énergie. Ce que nous voulons soutenir, ce sont de bonnes conditions de rémunération et de travail qui ne sont pas courantes. » Pour le dirigeant, « la richesse partagée, c’est ça la durabilité. Il faut penser à la durabilité de la communauté, de la société ».
L’entreprise est également partie prenante de réseaux d’acteurs locaux — la Cardato Riciclato Pratese (association de laine recyclée de Prato) — ainsi que de l’association nationale des artisans, la CNA (Confederazione Nazionale dell’Artigianato e della piccola e media impresa). Son dirigeant est par ailleurs l’un des fondateurs du MMR (Movimento Moda Responsabile), qui entend sensibiliser l’opinion publique sur le secteur de la mode, notamment sur les dommages causés par la fast fashion. L’objectif de ce mouvement est d’éduquer les consommateurs : « La transition vers l’économie verte doit être portée par la communauté et les entrepreneurs, c’est une approche ascendante. »
Depuis les premières ventes en 2019, Rifò reverse en outre 2€ € par achat à des projets à impact social. Au départ, ce soutien était destiné à des organisations à but non lucratif ; aujourd’hui, il sert à financer le programme Nei Nostri Panni (« Mets-toi à notre place »), qui travaille à l’intégration des immigrés du territoire, qu’ils soient légaux ou non. Les migrants reçoivent des cours et acquièrent des compétences techniques liées à des métiers en voie de disparition, ce qui les aide à trouver un emploi et à démarrer une nouvelle vie. Dans le même temps, ce dispositif aide les entreprises à faire face à la pénurie de main-d’œuvre liée aux départs en retraite.
L’entreprise emploie 25 salariés en 2023. Son chiffre d’affaires est de 3 millions d’euros. Elle a mis sur le marché 72 169 produits, fabriqués à partir de 14 tonnes de fibres. Elle bénéficie d’un réseau de 335 revendeurs dans le monde. Pour mettre en œuvre son projet circulaire, Rifò a d’abord été financé par crowdfunding puis par des fonds d’investissement à impact. Malgré l’engagement de la ville de Prato, elle n’a été soutenue ni par des aides d’État ou de la région de Toscane ni par des banques, autrefois très impliquées dans le développement des entreprises locales.
- 34 — 96 % du process de production se déroule à Prato, le reste est effectué dans le nord de l’Italie et en Espagne.
Construire son (éco)système d’acteurs
La construction d’un système d’acteurs autour de la collecte, de l’échange et de la réutilisation des matières et des produits constitue une dimension critique du succès des projets circulaires. La réussite des uns est même conditionnée par celle des autres, dans la mesure où les déchets générés par les premiers sont les ressources des seconds. Ce système peut prendre une variété de formes organisationnelles, comprendre une diversité de parties prenantes et opérer à différentes échelles spatiales.
Résoudre certains freins à la mise en œuvre
Nous l’avons vu précédemment, les freins les plus importants à la mise en œuvre de projets circulaires concernent l’approvisionnement en matières premières des boucles secondaires. Pour collecter en grande quantité du calcin, Saint-Gobain a noué un partenariat en 2023 avec la Ville de Paris et trois bailleurs sociaux. L’entreprise a ainsi récupéré le calcin issu de chantiers de démolition et de rénovation d’écoles parisiennes, de stades et de logements sociaux. Plus globalement, Saint-Gobain a mis en place un réseau de quarante partenaires, le réseau Saint-Gobain Glass Recycling, qui collectent, trient et démantèlent des produits vitrés pour les réutiliser ensuite.
Pour Xavier Meyer, directeur de l’économie circulaire de Saint-Gobain, « toutes les boucles circulaires, qu’il s’agisse de réemploi, de réparation, de recyclage, etc., ne peuvent se mettre en place seules. Parlant des filières de recyclage, le travail en collaboration au sein d’un écosystème (détenteurs du déchet, logisticiens du déchet, acteurs du tri, acteurs du recyclage, etc.) est indispensable pour aboutir à la récupération au meilleur coût d’une matière secondaire d’un niveau de qualité lui permettant de remplacer les matières vierges dans les procédés industriels ». Il ajoute que « cette collaboration est également essentielle pour partager les risques et les dépenses inhérentes au développement de nouvelles filières ». Pour les entreprises nouvellement créées, trouver des fournisseurs peut même devenir un problème de premier ordre.
En parallèle de ce sujet de l’approvisionnement, de nombreux acteurs nous ont relaté des collaborations décisives avec des partenaires situés en dehors de la boucle de circularité proprement dite. Cela leur permet notamment de mutualiser des infrastructures ou de répartir des coûts de fonctionnement. Par exemple, Ma bouteille s’appelle reviens a ouvert un centre de lavage industriel avec Rebooteille et Alpes Consigne en 2022. Rosi Solar, de son côté, s’est associée à LuxChemtech, une PME allemande, pour implanter son site de recyclage en Allemagne. Les deux entreprises bénéficient mutuellement de leurs expertises en matière de science des matériaux. Surtout, elles atteignent ainsi plus facilement l’échelle industrielle nécessaire pour capter des parts de marché dans le recyclage des panneaux.
Les phases de conception et de prototypage d’un produit ou d’un process présentent toujours des risques, et l’industrie circulaire n’y échappe pas. Par anticipation, Renault a donc lancé une initiative de collaboration autour du recyclage des pièces automobiles usagées, en partenariat avec des start-up spécialisées et d’autres équipementiers. En travaillant ensemble, ces acteurs sont parvenus à développer des procédés pour récupérer des matériaux coûteux, comme les métaux précieux dans les batteries de véhicules électriques. Cette stratégie permet à Renault de réduire son risque financier tout en bénéficiant d’une innovation mutualisée.
Enfin, les échanges interpersonnels permettent aux porteurs de projets de partager leurs manières de faire et leurs expériences. Montabert et Haulotte participent ainsi toutes deux à l’activité de La Ruche industrielle (voir plus loin, Point de vue d’Emeline Baume), localisée sur une ancienne friche industrielle au sud de Lyon et rassemblant des entreprises désireuses de se transformer.
Une diversité d’organisations
Les boucles circulaires intégrées
Certaines entreprises choisissent de développer des boucles de circularité en interne, tout au long de leur chaîne de valeur, sans recours à des parties prenantes tierces. Cela leur confère une grande maîtrise des flux de ressources, en amont, et de l’impact social et environnemental de l’opération, en aval, mais constitue néanmoins une option coûteuse.
Ainsi, la Cooperl a historiquement organisé son activité porcine sur un schéma vertical, regroupant l’ensemble des activités depuis l’élevage jusqu’à la distribution, en passant par l’alimentation animale et les équipements d’élevage. Cette organisation intégrée a facilité la mise en place d’actions tout le long de sa chaîne de valeur. Par exemple, des stations de traitement de lisier sont aujourd’hui partagées entre plusieurs éleveurs, ce qui permet d’en rentabiliser l’investissement. Initialement, elles avaient été mises en place dans les années 1990 afin de récupérer la matière organique excédentaire ; à cette époque, il y avait en effet trop d’animaux en Bretagne au regard de la zone d’épandage disponible, ce qui est moins vrai aujourd’hui. Cette solution, qui résolvait autrefois un problème environnemental, s’est transformée en opportunité circulaire en créant un cycle vertueux de production d’énergie et d’engrais à partir du lisier.
Un deuxième exemple est celui de Renault, dont la Refactory s’appuie à la fois sur de nouvelles activités de reconditionnement de voitures (réparation, récupération de pièces et de matériaux) et sur des unités existantes. La collecte de voitures est ainsi réalisée en partie par Renault Retail Group.
Des systèmes mutualisés à l’écologie industrielle et territoriale (EIT)
Selon la définition fournie par l’Ademe, on appelle « écologie industrielle et territoriale » (EIT) la recherche sur un territoire donné d’une organisation économique optimisant l’usage des ressources (énergies, eau, matières premières, déchets, équipements, compétences). Dans ce schéma, les entreprises ne sont pas tenues de modifier leur produit ni leur modèle d’affaires, mais d’optimiser leur processus de production et de s’appuyer sur des boucles de circularité « post-utilisation » : leurs déchets et rejets deviennent ainsi les ressources de leurs voisines. La construction d’un système d’EIT fait intervenir une pluralité d’acteurs (industriels, collectivités territoriales, associations, etc.) et vise par définition à atteindre une logique de boucle fermée.
Un des cas emblématiques d’une telle écologie industrielle et territoriale se trouve dans la zone industrialo-portuaire de Dunkerque. Les premiers échanges de matière et d’énergie entre les entreprises implantées dans cette région remontent aux années 1960, lorsqu’Usinor, devenue ensuite ArcelorMittal, cherchait une solution au stockage des laitiers, sous-produits de la production d’acier, ainsi qu’une valorisation possible des gaz sidérurgiques pour les convertir en électricité (Beaurain et Chembessi, 2019). Pour répondre à ces besoins, deux entreprises se sont alors installées à proximité d’Usinor : une société de traitement de résidus sidérurgiques à des fins d’utilisation dans la construction routière, en 1962, et une centrale thermique en 1963. Plus tard, en 1983, la ville de Dunkerque s’insère dans cet écosystème et met en place un projet de chauffage urbain à partir de la chaleur fatale produite par Usinor. Dans les années 1990, face à la décroissance urbaine de Dunkerque, la montée des préoccupations environnementales et la demande de la population pour une meilleure qualité de vie, la notion d’économie fait son apparition dans les documents de planification territoriale (Beaurain et Varlet, 2015). L’association Ecopal (Économie et écologie partenaires dans l’action locale), chargée de promouvoir l’écologie industrielle, se met en place en 2021. En résumé, on relève que l’EIT résulte de multiples motivations qui ont d’ailleurs évolué au cours du temps : pour les industriels, résolution de contraintes de stockage et valorisation de ressources ; pour le territoire, réduction de la pollution, diminution de la dépendance aux énergies fossiles et réduction des coûts de chauffage pour le parc de logements anciens (Beaurain et Varlet, 2015 ; Beaurain et Chembessi, 2019).
D’autres écosystèmes ont été mis en place à l’initiative d’intercommunalités, comme Plaine Commune (établissement public territorial (EPT) qui regroupe 8 villes et 1 commune déléguée au nord de Paris, entre Saint-Ouen, La Courneuve et Épinay-sur-Seine) et Est Ensemble (EPT qui regroupe 9 villes dans le nord-est de Paris, entre Pantin, Bondy et Montreuil). S’appuyant sur l’étude des flux de matériaux entrant et sortant du territoire, ces dernières souhaitent favoriser un développement urbain circulaire ciblé sur la construction. La commande publique y joue un rôle important et s’appuie sur les matériaux existant sur place tout en favorisant de nouvelles filières de valorisation.
En 2022, 186 démarches d’EIT ont été recensées en France par l’Ademe et l’association Orée35. Selon une enquête portant sur 71 d’entre elles, elles sont majoritairement portées par une collectivité ou une association. Presque toutes (96 %) ont bénéficié du soutien politique d’un acteur local. Le financement par les régions ou par l’Ademe est le plus important dans près de la moitié des projets. Certaines bénéficient aussi de financements privés.
Le rôle structurant des filières REP
Le principe de « responsabilité élargie du producteur » (REP) est inscrit dans le Code de l’environnement depuis 197536. En tant qu’instrument d’action publique, il a pris de l’ampleur dans les années 1990, impliquant les entreprises manufacturières et de la construction dans la gestion des déchets issus de leurs produits quand ceux-ci arrivent en fin de vie. Par ailleurs, le décret du 1er avril 1992 relatif aux emballages ménagers a instauré le principe de filière. Depuis, leur nombre s’est accru (emballages, matériaux de construction, équipements électriques et électroniques, textile, etc.). On en compte 23 en 2025, « dont 6 nouvelles pour la seule période 2023-2025, avec des retards de mise en œuvre qui s’accumulent et pour certaines REP une efficacité insuffisante au regard des coûts supportés par les clients et des objectifs poursuivis », déplore Bertrand de Singly, directeur général adjoint de France industrie.
Les filières REP fonctionnent selon le principe du pollueur-payeur : les entreprises (fabricants, distributeurs ou importateurs) qui mettent sur le marché pour la première fois un produit visé par l’une d’elles sont responsables de la prévention et de la gestion des déchets qui en sont issus. Elles peuvent organiser elles-mêmes la prévention de ces déchets (via l’écoconception) et leur gestion (via le recyclage) ou financer un organisme tiers, appelé éco-organisme, qui s’en chargera en échange de cette écocontribution. Afin d’encourager l’écoconception, cette écocontribution varie selon les caractéristiques des produits — on parle « d’éco-modulation » : certaines entreprises reçoivent des primes, d’autres peuvent subir des pénalités. Dans la hiérarchie des modes de traitement des déchets, définie par la directive-cadre sur les déchets de 2018, les filières REP arrivent juste avant l’incinération des déchets.
Selon certains industriels interrogés, la participation à ces filières est très importante pour mieux en connaître le fonctionnement et pour avoir une influence sur les décisions politiques, notamment en matière de réglementation. Parmi les industriels ayant participé à la création d’éco-organismes, on peut citer Saint-Gobain (pour Valobat) et Recyc Matelas (pour Ecomaison). Pour d’autres entreprises, cette filière occasionne d’abord un coût à absorber. Black Star, par exemple, reconditionnait les pneus avant la création de la filière REP dédiée à ce produit. Elle doit désormais acheter les pneus usagés, ce qui accroît ses coûts d’exploitation du fait de l’ajout d’un intermédiaire.
Pour certains industriels, ces filières dispensent d’une intégration verticale qui serait jugée trop lourde. Comme le souligne Xavier Meyer de Saint-Gobain, « on a besoin de tisser des partenariats forts, nous n’avons pas vocation à faire de l’intégration verticale. […] On travaille avec les professionnels des déchets, nous n’avons pas vocation à collecter et trier, sauf dans des cas très particuliers. Pour l’étape de transformation ou de recyclage, tout dépend de son caractère stratégique : par exemple, le retraitement des déchets de plaques de plâtre se fait via des procédés industriels accessibles sur le marché, même si certains acteurs peuvent avoir développé des procédés plus sophistiqués pour améliorer la qualité finale de la matière recyclée. À l’inverse le procédé de retraitement de la laine de verre ou de la laine de roche n’est pas accessible sur le marché et fait l’objet de développements technologiques et d’améliorations au sein du groupe ».
Pour d’autres, elles sont au contraire complémentaires d’une telle stratégie de verticalisation. Recyc Matelas a racheté Ecomatelas en 2023 pour augmenter ses volumes traités. Ecomatelas reconditionne des matelas retournés au bout de cent jours ou sélectionnés parmi les meilleurs matelas auprès des hôtels et fabricants de literie. L’entreprise regarde l’état de la mousse, recoupe le matelas pour garder le noyau encore intact, le réassemble et le désinfecte à 99,9 % avec traitement naturel (UV + chaleur). Plus généralement, William Avignon, directeur général du groupe, souhaite développer une filière comprenant un éco-organisme en charge de la logistique amont et du gisement, un recycleur, un industriel qui reprend la matière et un acteur en charge de la logistique aval. Black Star, quant à elle, s’est associée à Mobivia pour créer une unité de collecte, de tri et de reconditionnement de pneus tourisme au sein du pôle industriel multitechnologies de Béthune37. Les pneus sont collectés dans les centres auto de Mobivia (Norauto, Midas et Carter-Cash).
LES ÉCO-ORGANISMES, CES NOUVEAUX VENUS
LE FONCTIONNEMENT DES FILIÈRES REP repose sur des éco-organismes tels qu’Eco-mobilier (rebaptisé Eco-maison) pour les meubles en fin de vie, Citeo pour les emballages ménagers et les papiers, Ecologic et Eco-system pour les déchets d’équipements électriques et électroniques (DEEE), Valdelia pour le mobilier professionnel, etc. La loi Agec de 2020, via le fonds dédié au financement de la réparation, vise à infléchir le rôle des éco-organismes. Initialement conçus comme vecteurs d’un soutien financier aux points de collecte et aux opérateurs de déchets conventionnés, ils doivent maintenant participer davantage à l’opérationnalité du recyclage : établissement des réseaux de collecte, recyclage, partenariats favorisant le réemploi, sensibilisation de la population, etc. Ils peuvent aussi avoir une influence sur la réglementation. Les filières REP sont par ailleurs très liées aux territoires dans la mesure où les écocontributions collectées auprès des entreprises sont fléchées vers les collectivités territoriales : l’imbrication public-privé est donc au cœur du fonctionnement des REP.
En pratique, Saint-Gobain utilise les services de Valobat pour s’assurer que ses matériaux, une fois utilisés, sont correctement triés et réutilisés dans le cadre de projets de construction circulaires. Vesto laisse Ecosystem gérer la collecte et s’occupe de la remise en état des équipements avant de les réintroduire sur le marché de la restauration. Depuis la création de la REP dédiée en 2004, Black Star s’appuie sur son organisation collective de la collecte de pneumatiques. Soren organise la logistique nécessaire à la récupération des panneaux usagés sur l’ensemble du territoire national, dont les composants sont ensuite récupérés et recyclés par Rosi Solar. Recyc Matelas travaille même avec différents éco-organismes, Valdelia et Ecomaison pour collecter et recycler les matériaux, lui permettant de réaliser des économies d’échelle.
Le rôle des partenaires historiques de l’industrie
Les partenaires publics
Par l’intermédiaire des marchés publics, des appels d’offres et des subventions, les acteurs publics (État, agences de l’État, collectivités territoriales) jouent un rôle important dans la structuration du modèle d’affaires des entreprises. Nous avons déjà souligné que la loi Agec tirait parti de la commande publique pour faire levier sur l’économie circulaire en instaurant une obligation d’achat de produits issus du réemploi par les acteurs publics (Ntsondé, 2020). Au-delà de cette donnée de cadrage, relevons par exemple que Saint-Gobain collabore avec des collectivités pour la collecte des déchets de construction et la production de matériaux durables. Lormauto, de son côté, peut compter sur la région Normandie comme cliente : elle lui a en effet acheté des véhicules « retrofités » pour les déplacements professionnels de ses agents de Caen et Rouen et entend lui en louer 100 autres. Rosi Solar a quant à elle bénéficié du financement de la communauté de communes de la Matheysine, qui continue à l’accompagner dans son développement. La ville d’Ivry-sur-Seine a prêté un local industriel en passe d’être démoli à Maximum. Vesto a elle aussi reçu une aide de la région Île-de-France en 2021 pour développer un prototype de reconditionnement, puis une autre pour sa nouvelle unité de reconditionnement en Seine-et-Marne, par ailleurs également soutenue par la Banque des Territoires. Enfin, Black Star a également reçu des financements de l’État, de Bpifrance, de la région des Hauts-de-France et du département Pas-de-Calais38.
LA BANQUE DES TERRITOIRES, INVESTISSEUR À IMPACT DANS L’INDUSTRIE
LA BANQUE DES TERRITOIRES, filiale de la Caisse des Dépôts, dispose de plusieurs offres de financement en faveur des projets circulaires. La première consiste en un investissement en fonds propres ou quasi-fonds propres (prêts subordonnés, obligations convertibles) dans des entreprises présentant un modèle économique viable et un impact social au service des collectivités (comme Vesto par exemple). Sur de tels projets, son horizon d’investissement se situe entre sept et dix ans. Sa deuxième offre consiste en une participation minoritaire au capital d’entreprises publiques locales (EPL), telles que les sociétés d’économie mixte (SEM) dans les domaines de la valorisation des déchets et de l’EIT. Dans ces mêmes domaines, existe une troisième offre de financement qui concerne des projets d’infrastructures, avec un investissement en fonds propres se situant entre 1 et 20 millions d’euros, sur un horizon temporel compris entre dix et quinze ans.
Les partenaires financiers
Dans leur processus de développement, les entreprises s’appuient sur des partenaires financiers : le capital-risque pour les entreprises nouvellement créées et les banques pour les entreprises plus établies, comme Black Star. Les entreprises circulaires s’adressent aux mêmes financeurs que celles fonctionnant en linéaire et sont soumises aux mêmes exigences : « On a des investisseurs qu’il faut qu’on rassure sur nos revenus », rappelle Damien Letort, de Rosi Solar, qui a d’abord réalisé une levée de fonds dans les premières années pour développer la technologie, vendre suffisamment de matières premières secondaires et atteindre l’équilibre. Aujourd’hui, ses clients, notamment les verriers, lui proposent de l’aider financièrement en échange de l’exportation de sa technologie sur leur site.
Les banques proposent le même modèle de prêt aux entreprises ou projets circulaires qu’à ceux de l’industrie linéaire. Par exemple, les prêts à la consommation pour l’achat de voitures s’inscrivent toujours dans un temps court, s’opposant donc à la notion même de durabilité. Ces prêts doivent être remboursés rapidement, de préférence avant la fin de vie du produit pour que le risque associé et par conséquent le coût du crédit ne s’accroissent pas subitement. A contrario, le modèle de rétrofit et d’économie de la fonctionnalité développé par Lormauto couvre l’ensemble des coûts et atteint son point mort (ou break-even) au bout de sept années d’usage de la voiture.
Les fédérations et les intermédiaires territoriaux
Des fédérations et des réseaux d’acteurs se sont constitués au niveau national autour des filières et des produits circulaires. C’est par exemple le cas de Rcube, la Fédération du réemploi et de la réparation créée en 2012, ou encore du Réseau Vrac et Réemploi créé en 2016 et dédié aux emballages. Ils veillent à la mise en relation des acteurs et organisent des groupes de travail. Ils ont parfois aussi une mission d’influence auprès des pouvoirs publics et participent à la sensibilisation de la population.
Les réseaux territoriaux jouent un rôle important d’animateur ou d’intermédiaire (voir Nadou et Talandier, 2020 ; Bourdin et al., 2020 ; Bezzon, 2025) ; ils aident ainsi les acteurs publics et privés à trouver des synergies dans un même espace. Les réseaux d’EIT en sont des exemples, tels ceux regroupés au sein du réseau national Synapse. Certains intermédiaires peuvent participer plus directement à la transformation des modèles et jouer un rôle d’accélérateur, accompagnant les entreprises dans leur progression vers une taille critique : La Ruche industrielle à Lyon, déjà évoquée, ou encore Les Canaux font partie de ces accélérateurs.
Les géographies de la circularité
Dans notre échantillon, les boucles circulaires n’ont pas toutes la même échelle géographique. Selon le secteur, le produit et bien sûr l’entreprise, leur inscription spatiale varie. En particulier, l’industrie circulaire n’est pas aujourd’hui nécessairement locale, comme on peut l’entendre parfois. Même les activités circulaires s’implantent dans un territoire non par hasard mais du fait d’un ensemble de facteurs tels que les activités préexistantes, les ressources, les politiques publiques, etc.
Quand l’emploi circulaire suit les dynamiques économiques
Quantifier et cartographier la création d’emplois liés à la mise en œuvre des modèles circulaires en France n’est pas chose aisée pour plusieurs raisons. D’une part, il n’existe pas de catégorie d’activité économique, au sens de la nomenclature des activités françaises (NAF), qui recenserait les activités relevant de la circularité. D’autre part, la création d’emplois à court terme dans une nouvelle activité peut dissimuler une destruction d’emplois à moyen terme dans une activité existante, l’impact net étant alors difficile à évaluer. Par exemple, les activités de réparation mises en place par une entreprise linéaire en transformation peuvent mettre en péril une PME qui s’était spécialisée sur ce segment.
Ainsi, comme le soulignent Niang et al. (2022), la création d’emplois est souvent estimée à partir de données collectées individuellement grâce à des entretiens auprès des entreprises et à partir d’estimations macro-économiques à l’échelle nationale.
En sélectionnant des secteurs d’activité spécifiques dans la NAF39, Niang et al. (2022) montrent que les activités circulaires en France ont connu entre 2008 et 2015 une croissance brute de l’emploi supérieure à celle de l’emploi total dans les Hauts-de-France, l’Île-de-France, le Grand-Est, l’Occitanie et la Nouvelle-Aquitaine, régions également marquées par une dynamique positive de l’industrie (voir Carré, Levratto et Frocrain, 2019 sur la même période). Cette progression est particulièrement marquée dans les métropoles. À l’inverse, les activités circulaires sont peu représentées dans la « diagonale du vide » et notamment dans les ex-régions Champagne-Ardenne, Bourgogne et Auvergne par exemple. Par ailleurs, l’activité de recyclage est plus dispersée que d’autres, cela étant lié aux compétences des intercommunalités en matière de gestion des déchets : elle se développe donc plus uniformément que celles liées à l’économie de la fonctionnalité et de la réparation par exemple.
Ces résultats, qui ne prennent pas en compte les nouvelles activités circulaires d’entreprises manufacturières traditionnellement linéaires, ne démontrent que plus nettement que l’industrie circulaire tend à se développer sur un terreau déjà industrialisé, comme l’indiquent les auteurs.
Des facteurs de localisation assez classiques
Un certain nombre de facteurs de localisation industrielle ont été mis en avant par la littérature : l’accès aux ressources physiques, la présence d’économies d’agglomération, les infrastructures, l’accès aux technologies et aux connaissances, la proximité au marché, les coûts de transport40. Lors de nos entretiens, la question du transport et plus généralement de la logistique a été largement évoquée, aussi bien par des entreprises nativement linéaires que circulaires. Il faut dire que les contraintes de volumes à stocker et gérer ou tout simplement l’organisation déjà internationalisée des entreprises font que l’échelle pertinente des boucles d’industrie circulaire est bien plus souvent celle de la région ou du pays que celle d’une ville ou d’une intercommunalité. On notera au passage que les entreprises s’inscrivant dans une filière REP ont comme point commun de s’approvisionner dans la France entière, ce qui est révélateur du rôle des éco-organismes dans l’organisation de la collecte. Or, avec la distance entre lieux de production, d’approvisionnement et de vente s’accroissent naturellement les coûts de transport. Les entreprises subissent donc des forces centripètes assez tangibles qui leur imposent de trouver un équilibre. Rosi Solar a par exemple implanté son nouveau site de recyclage en Allemagne, à proximité des installations de panneaux photovoltaïques qui constituent sa principale source d’approvisionnement et de ses clients verriers, qui utilisent les composants recyclés. Rappelons que la France et l’Allemagne sont les deux principaux producteurs européens de verre (Lolo, 2024).
Le coût du transport est une contrainte d’autant plus déterminante que les matériaux à déplacer sont pondéreux ou à faible valeur ajoutée. Dans le cas du transport de matelas, par exemple, les acteurs doivent opter pour un schéma d’implantation à l’échelle locale, comme c’est le cas de Recyc Matelas. Chez Saint-Gobain, le territoire de référence du recyclage est souvent régional, en raison de la faible valeur des déchets et des réglementations contraignantes sur leur transport transfrontalier. Mais certains produits font exception : ainsi, les billes de sablage contiennent du zircon, un minéral qui coûte suffisamment cher pour que la logistique devienne une variable secondaire. La boucle de recyclage est alors mise en place entre plusieurs pays européens.
De même, l’accentuation des considérations et des contraintes environnementales incite une fois encore les acteurs à se rassembler. À l’instar de Maximum et de Montabert, les entreprises soulignent que les gisements de matières primaires secondaires doivent se trouver près des sites de production, faute de quoi « faire voyager les déchets serait une forme de contradiction », dit Romée de la Bigne, de Maximum. La stratégie de régionalisation de Montabert (en Europe de l’Ouest actuellement) répond ainsi à la volonté de rapprocher les gisements de collecte et les ateliers de reconditionnement, afin de maîtriser la logistique et de récupérer des produits d’un certain tonnage avec des coûts acceptables. Ce projet a pour vocation à s’étendre à l’ensemble des pays de vente (États-Unis, Chine), via un transfert des compétences assorti d’audits réguliers et de l’usage de normes qualité. Pour Yvan Descotes, responsable des pièces détachées et du reconditionnement, « du fait du modèle international de [l’] entreprise, la régionalisation est essentielle. Il nous faut créer des boucles là où nous sommes implantés : nos équipements sont très lourds, ça n’a pas de sens de les faire venir de l’autre bout du monde, de les réparer en France et de les renvoyer à l’autre bout du monde. Pour autant, impossible de tout rapatrier à Saint-Priest. Nous devons rester dans des coûts logistiques acceptables et dans une empreinte du “R” satisfaisante ».
Au passage, cet exemple de Montabert montre également que, pour les entreprises nativement linéaires, la géographie passée est structurante. On l’observe également dans le cas de Cooperl dont le projet circulaire a été mis en place à la même échelle que son modèle linéaire, c’est-à-dire dans le Grand Ouest.
Dans le cas des activités basées sur la consigne, comme pour Ma bouteille s’appelle reviens ou Valrhona, le périmètre de la boucle circulaire est restreint à une zone comprenant les sites de collecte (qui représentent aussi les clients) et le site de lavage. Ces modèles sont donc par essence localisés. Le choix de la région parisienne par les entreprises de reconditionnement Vesto et Adopte un bureau semble aussi avoir été orienté par l’accès aux marchés de collecte et de distribution, très développés dans la région.
Pour deux entreprises, Renault et Black Star, la localisation a davantage été guidée par le fait qu’il s’agissait de reconversions de sites industriels, respectivement le site de Flins et l’ancienne usine Bridgestone de Béthune, soutenues par les pouvoirs publics et les syndicats notamment. Les deux sites ont conservé leur spécialité sectorielle, ce qui leur a permis d’accéder à une main-d’œuvre déjà acculturée.
Figure 5.1 – Les géographies du circulaire
- 35 — Orée travaille activement aux côtés de l’Ademe à l’accompagnement de démarches d’économie circulaire dans les stratégies territoriales d’aménagement.
- 36 — L’article L. 541-10 mentionne qu’il « peut être fait obligation aux producteurs, importateurs et distributeurs de ces produits ou des éléments et matériaux entrant dans leur fabrication de pourvoir ou de contribuer à l’élimination des déchets qui en proviennent ».
- 37 — Ce projet de réindustrialisation — partielle — d’un site anciennement exploité par Bridgestone a pour ambition de créer une cinquantaine d’emplois en 2022 et près de 200 emplois à horizon 2025.
- 38 — D’autres aides existent, pas nécessairement mobilisées par les entreprises de notre échantillon, à l’image du fonds chaleur de l’Ademe.
- 39 — Location, entretien et réparation, réparation et maintenance, commerce et réparation, commerce de biens d’occasion, commerce interentreprises de déchets et débris, démantèlement d’épaves, travaux de démolition, collecte et traitement des eaux usées, collecte des déchets, traitement et élimination des déchets, récupération de déchets triés, dépollution et autres services de gestion des déchets, production de combustibles gazeux, production et distribution de vapeur et d’air conditionné.
- 40 — Voir les travaux de Weber (1909), Krugman (1991), Markusen (1995) par exemple.
Focus – Du fast fashion au sustainable fashion : le cas du district italien de Prato
LE DISTRICT INDUSTRIEL DE PRATO, EN TOSCANE, est un exemple de territoire où les pratiques circulaires ont été introduites ante litteram au point même de constituer la base de son dynamisme économique. Il illustre également comment l’industrie peut s’ancrer de manière pérenne dans un territoire.
La production textile de Prato est historiquement fondée sur la réutilisation des déchets issus des sites de production et des vêtements usagés du monde entier. Cette activité a été rendue possible grâce à la conception, l’industrie mécanique locale et des machines capables de recycler ces déchets textiles. La façon de traiter les vêtements pour obtenir des nouvelles matières premières secondaires n’a pas changé depuis cent ans. Elle se base sur des processus mécaniques et n’utilise pas de produits chimiques, ce qui est particulièrement adapté au recyclage de fibres naturelles.
La production textile de Prato est historiquement fondée sur la réutilisation des déchets issus des sites de production et des vêtements usagés du monde entier. Cette activité a été rendue possible grâce à la conception, l’industrie mécanique locale et des machines capables de recycler ces déchets textiles. La façon de traiter les vêtements pour obtenir des nouvelles matières premières secondaires n’a pas changé depuis cent ans. Elle se base sur des processus mécaniques et n’utilise pas de produits chimiques, ce qui est particulièrement adapté au recyclage de fibres naturelles.
Selon les données de l’institut national de statistiques, l’Istat, traitées par le Pôle universitaire de la ville de Prato (PIN), le district compte 7 990 entreprises manufacturières actives en 2023, dont 1 725 dans le secteur textile, 4 642 dans le secteur des vêtements et 156 dans le secteur de la mécanique. La part de l’emploi industriel dans la population active de Prato s’élève à 36 % (Chambre de commerce de Pistoia-Prato, 2024). Sur la période 2018-2022, le secteur industriel de Prato a contribué à plus de 43 % à la valeur ajoutée de l’ensemble du secteur manufacturier de la région toscane et a généré une valeur ajoutée de 1,629 milliard d’euros (Irpet, 2023). En outre, entre 2019 et 2023, les exportations de machines spéciales et de vêtements ont augmenté respectivement de 41 % et 22 %. Dans le secteur textile, les exportations ont augmenté de manière moindre pour les tricots (6 %) et ont diminué pour les fils de fibres textiles (-6 %) et les tissus (-3 %). Ces exportations sont tournées principalement vers le marché asiatique (moyennant une hausse des exportations de 63 % sur la période) et dans une moindre mesure vers le marché européen (22 %). On note toutefois une contraction du solde commercial de 38,60 % sur la période, le solde restant positif.
Prato, la « capitale des haillons » (capitale dei stracci)
La « capitale des haillons » est née suite à l’interdiction de Cosme Ier de Médicis, en 1512, de fabriquer des tissus fins à Prato, afin de protéger les acteurs florentins. Les familles se sont alors spécialisées dans la production de « haillons », des tissus à fibres courtes et donc moins précieuses. En 1824, Giovan Battista Mazzoni développe la première machine à carder (démêler les fibres) et à filer qui permettra à l’industrie textile d’émerger à Prato. Le décollage industriel a notamment été favorisé par le soutien d’investisseurs étrangers, tels que les familles autrichiennes Koessler et Mayer, qui ont créé la Fabbricone, une usine qui se distinguait à l’époque par sa grande taille et son nombre d’employés (aux alentours de 1 000). La baisse des coûts de traitement de la laine cardée, obtenue par l’augmentation progressive de la production de laine de récupération obtenue à partir du déchiquetage de vieux vêtements et de déchets industriels (« peignages »), a également participé au développement industriel local.
Jusqu’à la Seconde Guerre mondiale, l’industrie textile de Prato était divisée en deux circuits de production. L’un était basé sur de grandes entreprises verticalement intégrées, avec des productions standardisées à faible valeur ajoutée (tapis, couvertures militaires, etc.), destinées à l’exportation vers les marchés les plus pauvres (Afrique, Inde, etc.). L’autre circuit était basé sur des groupes d’entreprises effectuant des travaux de sous-traitance pour la production de textiles destinés aux marchés de l’habillement. Toutefois, les débouchés vers les marchés les plus pauvres ont disparu, et les grandes entreprises organisées verticalement se sont rapidement dissoutes. Le système de production a alors connu une évolution vers un modèle original, basé sur une répartition du travail entre petites entreprises, ce que Becattini (1992) a par la suite appelé « district industriel ». Ce nouveau système était composé d’entreprises sous-traitantes en charge de la production et d’entreprises en charge de la conception des produits, de l’organisation du travail et des ventes.
L’expansion économique d’après-guerre a entraîné des tensions sur la main-d’œuvre, résolues par des mouvements migratoires provenant d’abord des campagnes et des petites villes autour de la Toscane puis à partir des années 1970 du sud de l’Italie. Les modes de consommation ont évolué, au profit d’habits toujours plus différenciés. C’est à cette époque que le district a opéré une première reconversion, passant d’une spécialisation centrée sur le traitement de la laine à une autre dédiée à la fabrication de vêtements.
Durant la seconde moitié des années 1980, des difficultés se sont fait jour : 28 % des travailleurs ont perdu leur emploi, et 37 % des entreprises ont fait faillite. L’économie locale bénéficiait heureusement d’un secteur tertiaire performant. La dévaluation de la lire et les perspectives internationales favorables (surtout à partir de 1993) ont incité le district à investir massivement dans les installations de production. Le textile est donc resté le moteur de la région de Prato tout au long des années 1990. Malgré les difficultés économiques, la vague de migrations en provenance de Chine qui avait débuté dans les années 1980 s’est accélérée durant les années 2000. En 1990, le nombre de résidents chinois dans la ville de Prato était de 169. Il était de 11 882 en 2012 et de plus de 30 000 en 202341 (Istat, 2024).
L’émergence d’une structure industrielle duale
La structure en district de l’industrie de Prato a facilité la création de nouvelles petites entreprises dirigées par des immigrants chinois et spécialisées principalement dans une ou quelques phases de production du secteur de l’habillement (Santini et al., 2011). Sous-traitantes, ces entreprises avaient en moyenne une durée de vie assez courte et n’employaient que du personnel chinois payé à bas coût, à l’exception de quelques sociétés qui employaient également des cadres italiens. Dans les années 1990, les usines italiennes spécialisées dans la confection de tissu ont commencé à rencontrer des difficultés pour trouver de la main-d’œuvre. De plus en plus de migrants chinois se sont alors installés à Prato pour répondre à cette demande (Capone et Lazzeretti, 2014) et, de sous-traitants, ils sont devenus producteurs de prêt-à-porter (Dei Ottati, 2014). En effet, au fil des ans, ces entreprises ont mis en œuvre une stratégie d’intégration verticale, rachetant des entreprises pour le traitement des textiles, leur teinture, la fourniture d’accessoires (boutons, etc.) ou encore des services aux entreprises (conseil, informatique, etc.) et vente de détail. La production « chinoise » s’est donc petit à petit concentrée autour des vêtements, en particulier de la fast fashion, tandis que les entreprises historiques sont restées spécialisées dans le textile.
Un « district dans le district » s’est progressivement développé, redonnant vie à des locaux laissés vacants par des entreprises qui fermaient ou se délocalisaient. La population chinoise s’est concentrée et densifiée dans l’ancienne ville-usine de Prato (Macrolotto Zero), en raison notamment d’une politique migratoire restrictive mise en place par la municipalité de Prato après les premières arrivées des années 1990. La communauté asiatique de Prato réside donc aujourd’hui dans des zones séparées du reste de la population, tant sur le plan industriel que résidentiel. En parallèle, elle conserve d’intenses relations sociales et familiales avec la Chine, au point de constituer une caractéristique spécifique de ce district industriel (Dei Ottati, 2014). Ce dernier est donc devenu dual, du fait de la coexistence d’une communauté autochtone organisée autour des activités textiles et d’une communauté chinoise spécialisée dans la fabrication de vêtements.
Selon les données de la Chambre locale du commerce (voir d’Amato, 2019), le nombre d’entreprises « chinoises »42 s’élevait à 300 en 1994, puis à 1 102 en 2000 et à 6 288 en 2017. Selon d’Amato (2019), leur performance industrielle explique en partie la résilience du district face au ralentissement économique dans le milieu des années 2000, le renchérissement de l’euro ou encore la crise de 2008. Dei Ottati (2005) souligne également que, face à cette conjoncture défavorable, les PME du district industriel n’ont eu d’autre choix que de rechercher de nouvelles voies de croissance et de développement, autour des ressources issues du territoire et notamment de leurs compétences en matière de recyclage du textile.
La laine recyclée, fondement de la stratégie territoriale circulaire du Prato
Contrairement au polyester par exemple, la laine est depuis longtemps compatible avec les processus de recyclage. De nouveaux fils peuvent être produits à partir de fibres recyclées, que celles-ci soient tirées de textiles dits de « préconsommation » (chutes de production, garnitures de tissage, restes de fils…) ou de « post-consommation » (vêtements en laine) (Borsacchi et al. 2018).
Cette production de laine régénérée mobilise un grand nombre d’entreprises, hautement spécialisées dans une ou plusieurs phases du processus : cardage, filage, tissage, teinture, finition… Elles travaillent sous la coordination des producteurs de fil ou de tissu qui sont responsables de la relation avec les clients.
Ce processus peut être divisé en trois phases (Bressanelli et al., 2022). La première phase est celle du tri des textiles de pré-consommation et de post-consommation. Ils proviennent du monde entier et diffèrent par leur couleur, leur composition et leur qualité. Le tri est encore réalisé manuellement, en s’appuyant sur les compétences des cenciaioli43 : des années d’expérience sont nécessaires pour comprendre, uniquement au toucher, la composition des fibres des haillons. Au cours de cette étape, tous les corps étrangers (boutons, fermetures Éclair, étiquettes…) sont découpés.
Deuxièmement, les matériaux triés subissent un processus de déchirure et d’effilochage. Comme la laine provenant des haillons contient toujours des impuretés et des fibres étrangères, elle subit un processus de carbonisation — sous l’action d’acide sulfurique en forme vapeur — avant d’être recyclée. Ensuite, le déchirement et l’effilochage sont réalisés à l’aide d’une machine spéciale qui opère simultanément des phases de lavage. Le matériau est retravaillé plusieurs fois pour obtenir la qualité souhaitée, avant essorage. Ensuite, la composition finale de la couleur du fil est réalisée en laboratoire. Pour éviter le recours à la teinture, les feltrinisti44 mélangent des fibres de différentes couleurs et s’approchent ainsi de la couleur souhaitée.
Troisièmement, les étapes de cardage, de filature, de tissage (ou de tricotage), d’ennoblissement et de confection sont similaires à celles qui s’appliquent aux fibres vierges. Les fibres mélangées sont d’abord transformées en un voile cardé45. La bande cardée est ensuite filée, enroulée sur des bobines et livrée pour être transformée en tissu par l’étape de tissage. Enfin, le tissu entre dans la phase de confection ou de finition du textile.
Les produits fabriqués à partir de laine recyclée font aujourd’hui l’objet d’une certification, Cardato, créée par la Chambre de commerce de Prato. Selon le site de cette certification, Prato recycle chaque année 22 000 tonnes de haillons. Par comparaison avec la production de 20 000 tonnes de fibres vierges, cela permet l’économie de 60 millions de kWh d’énergie, de 500 000 m3 d’eau, de 650 tonnes de produits chimiques, de 300 tonnes de colorants, de 8 000 tonnes de CO2 sous forme d’émissions atmosphériques ainsi que de 1 000 tonnes de dioxyde de soufre.
L’émergence d’une écologie industrielle et territoriale
Outre ses compétences anciennes en matière de recyclage de laine, Prato a mis en œuvre différentes actions pour optimiser l’utilisation des ressources naturelles, et notamment de l’eau, largement utilisée dans les activités textiles. Le quartier Macrolotto 1 de Prato a été le premier territoire italien à s’équiper en 199046 d’une usine centralisée de recyclage de l’eau47, comprenant également un aqueduc industriel et un système de lutte contre les incendies (Cariani, 2013). Ce système fermé purifie les eaux usées des industries et des citoyens de Prato, pour ensuite les réutiliser dans les processus industriels, les systèmes de lutte contre les incendies et les installations sanitaires. Entre 1990 et 2005, cette réutilisation des eaux usées est passée de 1,75 million à 5 millions de mètres cubes par an (Cerruti But, 2018).
Aujourd’hui, près de 40 % de la consommation industrielle locale est assurée par ce système de gestion des eaux, qui se matérialise par un réseau parallèle de plus de 70 kilomètres de long (Borsacchi et al., 2018). Malheureusement, en raison notamment des activités liées à la fast fashion et à la mauvaise gestion des eaux usées par les stations d’épuration, des résidus chimiques ont été trouvés dans deux rivières voisines (Bisenzio et Fosso Calicino), notamment des substances polyfluoroalkylées (c’est-à-dire des PFAS) au milieu des années 2010. La concentration mesurée sur le site de Calice, dans le district de Prato, a atteint 4 800 nanogrammes par litre alors que la limite maximale fixée par le ministère de la Santé est de 500 nanogrammes (Tuffarelli et al., 2018).
En plus de ce système de gestion de l’eau, différents aménagements ayant trait à la qualité de vie locale ont été réalisés dans le but de pérenniser l’agglomération d’entreprises : une école maternelle interentreprises, des services centralisés de blanchisserie, une pharmacie, une poste et une épicerie, livrant directement produits et services à prix réduits pour les employés du territoire. L’objectif de ces services est également de contenir la pollution et l’impact environnemental de la zone de travail en réduisant le trafic et les transports.
Une transition environnementale et numérique
Durant toute cette période, le changement des habitudes de consommation, les transformations technologiques et la concurrence internationale ont conduit les entreprises du district à développer leurs activités de R&D et à produire des biens à plus haute valeur ajoutée. Certaines entreprises ont ainsi abandonné les textiles traditionnels au profit de nouvelles fibres et fils ; d’autres s’adressent à de nouveaux secteurs comme l’aéronautique, l’automobile, la construction (isolation) ou encore l’agriculture (substrats) et la décoration intérieure. Ce transfert est facilité par la coexistence de différentes spécialités dans le district : filatures et ateliers de tissages côtoient des entreprises chimiques et mécaniques.
La construction récente du hub de recyclage des déchets textiles – initiée par la région Toscane – illustre par ailleurs une volonté de mener parallèlement les transitions environnementales et numériques de l’industrie à l’échelle du district. Contrairement à l’activité de recyclage, où l’Italie est plutôt en avance au niveau européen, celle-ci est en revanche en retard dans le domaine du numérique. Le hub, soutenu par un investissement de 29,5 millions d’euros, vise à traiter 33 000 tonnes de matériau par an à partir de chutes de post-consommation et de transformation. Le tri des textiles avant effilochage sera effectué à partir de 2026 par technologie infrarouge, ce qui en fait le premier centre italien à utiliser cette technique. Ce hub s’inscrit par ailleurs dans la réglementation italienne qui contraint les municipalités à trier les déchets textiles.
Par ailleurs, la région Toscane a créé un centre de compétences en 5G et technologies innovantes à Prato. Propriété de la société Sviluppo Toscana S.p.A, ce dernier doit favoriser l’innovation des PME manufacturières et leur coordination en matière de 5G. Plusieurs accords de collaboration ont également été signés entre les acteurs publics et privés, par exemple celui entre la municipalité de Prato, les universités de Florence et de Sienne, Thales Italia et la Fondation Ugo Bordoni.
Toutefois, la traçabilité des produits et la mise en place du passeport numérique des produits (DPP) européen, qui entrera en vigueur en 2027, demeurent des enjeux importants pour le district (Quotidiano Nazionale, 2024). En effet, le DPP devrait garantir une meilleure traçabilité des produits circulant en Europe : il imposera aux entreprises présentes en Europe de leur attacher des informations sur leur origine, leur composition, leur durabilité, leur réparabilité et la façon de les recycler. Les batteries, la construction et le textile sont les produits prioritaires d’ici 2027.
Une nouvelle gouvernance
La ville de Prato a établi en 2018 une feuille de route autour d’un projet de « ville circulaire » qui implique les principales activités de production. Cette dernière fait l’objet d’une gouvernance rassemblant l’ensemble des parties prenantes — municipalités, entreprises, coopératives, universités et centres de R&D, associations et citoyens — et vise à créer de nouvelles opportunités économiques et sociales sans consommer de nouvelles ressources.
Selon Borsacchi et al. (2018), ce modèle prévoit différentes formes d’interaction entre les parties impliquées. Par exemple, les autorités publiques s’engagent à promouvoir la recherche et l’innovation en faveur de l’économie circulaire, les citoyens et les ONG à explorer le potentiel de ces innovations, les entreprises à collaborer avec les citoyens pour concevoir de nouveaux modèles économiques, les entreprises et les autorités à déployer la circularité dans l’intérêt public (via notamment la commande publique). Le projet de ville circulaire est structuré comme un « living lab » dans lequel doit exister un dialogue permanent entre acteurs locaux.
En pratique, comme le soulignent Salvi et al. (2021), ce projet a permis l’instauration d’un dialogue entre élus et industriels ; toutefois, l’absence des citoyens y est notable à ce jour. Dans le cadre de ce projet, Prato accueille des événements à rayonnement national, comme le Festival Recò, qui rassemble chaque année trois districts toscans pour promouvoir une économie circulaire.
Pour certains experts comme Salvi et al. (2021), le succès de ce projet tient principalement à l’existence même du district industriel, c’est-à-dire à la concentration géographique d’entreprises spécialisées dans une même activité et qui partagent donc des intérêts communs.
- 41 — Ces statistiques se limitent aux résidents réguliers et ne considèrent donc pas les personnes avec un permis de séjour temporaire ni les immigrants illégaux.
- 43 — Un cenciaiolo est un artisan qui sélectionne les chutes et les déchets textiles pour le recyclage, une activité unique qui existe à Prato depuis plus de cent ans.
- 44 — Les artisans de la matière première, également appelés feltrinisti, parviennent à concevoir de nouvelles couleurs de laine en mélangeant différentes fibres et nuances de couleurs, en développant de véritables « recettes » qui sont archivées et reproduites au fil du temps.
- 45 — L’opération de cardage combine mélange et démêlage. Les fibres passent à travers une série de rouleaux dentés rotatifs pour aboutir à une structure en forme de corde.
- 46 — La mise en place précoce de ce système de réutilisation des eaux usées justifie le choix de la municipalité de Prato pour représenter l’Italie dans le projet européen « Agenda urbain : partenariat pour l’économie circulaire » lancé en 2017. Ce projet implique également les communes d’Oslo, de La Haye, Porto, Kaunas ainsi que la région flamande. Le projet a donné lieu à la définition d’un plan d’actions pour accélérer la transition vers une économie circulaire.
- 47— Cette usine est gérée depuis 2015 par la société Gida (Gestione Impianti Depurazione Acque S.p.A.), société anonyme à capital mixte public-privé et détenue par trois partenaires : la municipalité de Prato, Confindustria Toscana Nord Lucca Pistoia Prato et Alia Servizi Ambientali S.p.A. La GIDA a été créée à la suite de la promulgation de la loi Merli (L.319/76) en 1976, qui réglemente le rejet des eaux usées et leur teneur en substances spécifiques.
Point de vue – Comment une collectivité permet d’accélérer la transition vers un modèle circulaire par Emeline Baume
Emeline Baume est 1re Vice-Présidente de la Métropole de Lyon déléguée à l’Économie, l’Emploi, le Commerce, le Numérique et l’Achat Public.
En tant qu’élue en charge de l’économie à la Métropole de Lyon, j’ai à la fois un rôle essentiel et un rôle secondaire. Essentiel car, avec la compétence foncier et immobilier, nous permettons à des entreprises de s’implanter et se développer sur du foncier productif. Secondaire car, avec la compétence développement économique, nous aidons les entreprises nativement circulaires dans leur création, et les linéaires dans leur transformation, via des accompagnements, des financements, des mises en réseau. Dans ce cas, nous ne sommes qu’un rouage d’une chaîne de décision plus large. Je vais illustrer, avec le cas de Montabert, cette logique d’accompagnement qui n’est pas toujours perceptible.
En 2018, la Métropole de Lyon a réalisé une étude sur la remanufacturing. Objectif : identifier si des entreprises du territoire avaient des offres de remanufacturing. Nous avons été heureusement surpris de voir qu’il y en avait une dizaine, de la SNCF qui remanufacture des locomotives à TSV qui remanufacture des transformateurs électriques. Au passage, nous avons « découvert » Montabert, cette entreprise basée à Saint-Priest, sur notre territoire, dont les collaborateurs ont été un peu surpris qu’une collectivité s’intéresse à leur activité en général, et encore plus à leur offre de remanufacture qui était vue à l’époque comme une activité salissante, dédiée aux clients « trop petits pour du neuf » (cf. chapitre 2).
Une fois validé que la remanufacture existait sur notre territoire, on avait la preuve que c’est faisable. Désormais il fallait la développer, pour que d’autres entreprises adoptent ce modèle. Ne sachant pas comment faire, nous avons impulsé un groupe de travail « économie circulaire » au sein de la Ruche industrielle, une association d’industriels de notre territoire dont nous sommes cofondateur. Ce groupe de travail, réunissant l’expérience de la Ruche sur la confiance et la coopération, l’expertise d’Opeo sur les modèles et process industriels circulaires et la volonté de Montabert de « sortir la remanufacture du garage », a servi de Proof of Concept pour accompagner six industriels à développer des offres de remanufacture. Montabert a développé son offre circulaire sur les produits et sur les composants. Cette offre a connu un pic pendant le Covid, avec des délais d’approvisionnement imbattables, et répond aujourd’hui aux demandes de ses clients les plus matures. Je suis convaincue que l’histoire montrera que Montabert a eu raison de se structurer dès aujourd’hui pour « être prêt » quand les ressources seront plus rares car, comme le dit le chercheur Olivier Hamant, « le Covid est la bande-annonce du monde à venir ».
Forte de l’expérience de ces six industriels, la Métropole de Lyon a lancé une phase de déploiement. Nous avons coconstruit avec les mêmes partenaires, la Ruche industrielle et Opeo, et de nouveaux partenaires, France Clusters, Kickmacker et l’Ademe, un accompagnement qui s’adresse à tous les industriels du territoire pour adopter des modèles circulaires, comme la réparabilité, la maintenance, la remanufacture, le reconditionnement. Christine Champoiral, directrice générale de Montabert, est la marraine de ce « parcours pivot circulaire ». Elle fait part de son expérience : une entreprise qui s’est transformée est le meilleur moyen de convaincre. Le rôle de la Métropole est d’être financeur et facilitateur pour les entreprises engagées.
La prochaine étape, c’est la « banalisation » de l’industrie circulaire. Pour Montabert, c’est faire évoluer l’ensemble de son offre vers du circulaire et adapter les métiers, que les acheteurs deviennent des « sourceurs », les opérateurs des « docteurs-diagnostiqueurs », etc. Pour la Métropole de Lyon, c’est d’une part de mesurer l’impact de ces accompagnements, de s’assurer qu’on n’ajoute pas une couche de circulaire sur une économie linéaire. D’autre part, nous voulons communiquer autour de ces pionniers pour faire évoluer l’ensemble du tissu industriel, y compris en adaptant le cadre réglementaire (cf. chapitre 2). Comme le dit à nouveau Olivier Hamant, « la loi est toujours en retard, le rôle des entreprises c’est d’être devant la loi, pas hors la loi ».
En contribuant à ce livre, j’espère que, demain, il n’ait plus lieu d’être, tellement la circularité est devenue la norme.
Conclusion
Tout au long de nos entretiens, nous avons pu constater que la mise en œuvre de la circularité impliquait une transformation plus ou moins grande des processus industriels selon le secteur d’activité, la taille et l’âge de l’entreprise. Si notre échantillon ne permet pas d’explorer en profondeur une filière particulière, il a le mérite de montrer que des modèles circulaires existent dans un grand nombre de secteurs manufacturiers ainsi que dans le domaine des services aux entreprises, mettant au jour la capacité de transformation des industries et le potentiel lié à la circularité. Il illustre également que la transition est encore en cours et qu’elle associe des entreprises créées pour être circulaires et d’autres qui sont en train de « pivoter » du linéaire au circulaire. Parmi les entreprises nativement circulaires, certaines comme Recyc Matelas ont réussi à atteindre une position de leader sur leur marché. D’autres sont encore à la recherche de volumes pour obtenir un modèle viable ; c’est le cas de Ma bouteille s’appelle reviens. Les entreprises traditionnellement linéaires, elles, ont un rôle à jouer dans la transformation du modèle économique dominant sur leur marché : elles sont mieux placées que quiconque pour connaître les caractéristiques de leurs produits, les réparer ou les reconditionner. L’activité circulaire représente déjà, pour certaines d’entre elles, plus de 10 % de leur chiffre d’affaires.
Ces premiers succès, divers et encourageants, ne doivent pas pour autant masquer les grands enjeux qui concernent l’ensemble des projets : l’approvisionnement en matières primaires secondaires, épine dorsale de la circularité, la conversion et la formation de la main-d’œuvre et la construction d’écosystèmes efficaces.
La question réglementaire apparaît en outre en filigrane dans chacun de nos entretiens. Les principes sur lesquels s’appuie la réglementation, et notamment en Europe l’entretien d’un marché concurrentiel et la règle du pollueur-payeur, rappellent que les nouveaux modèles économiques doivent à la fois renforcer la compétitivité des entreprises et diminuer leur empreinte environnementale. Toutefois, certaines lois, principalement sur les déchets dangereux et d’emballages, ont déjà plus de vingt ans : cela montre combien la transition vers la circularité est lente. Un grand nombre de directives européennes, s’inscrivant dans le plan d’action de 2020, sont entrées en vigueur ou vont le faire dans la décennie 2020. Leur mise en œuvre rapide est un prérequis à leur succès.
On comprend dès lors que les indicateurs mesurant la circularité, par exemple ceux du Circularity Gap Report de l’organisation néerlandaise Circle Economy, ne progressent pas aussi vite qu’on pourrait le souhaiter. Si des efforts sont toujours en cours pour bien mesurer les impacts des modèles circulaires sur l’environnement et la société, il est toujours aujourd’hui plus facile d’évaluer la rentabilité économique d’un produit que sa valeur environnementale ou sociale. En outre, la recherche de volume, qui demeure la norme dans les entreprises circulaires, se heurte d’une part à la concurrence des modèles linéaires low cost et d’autre part à la disponibilité limitée des matériaux réutilisables et recyclables.
C’est une véritable « bifurcation », au sens de Pierre Veltz, qui se joue actuellement si l’on veut espérer atteindre les objectifs écologiques fixés.
LA CRISE ÉCOLOGIQUE EXIGE UNE « BIFURCATION » PLUS QU’UNE TRANSITION POUR PIERRE VELTZ
POUR PIERRE VELTZ, économiste et sociologue, il s’agit en effet d’opérer plus une « bifurcation » qu’une transition pour faire face à la crise écologique.
Si les solutions techniques existent en grande partie, elles portent en elles-mêmes des freins qui les rendent insuffisantes pour répondre à l’ensemble du problème environnemental (effet rebond, obsolescence, etc.).
La bifurcation, elle, est un défi sociétal qui consiste envisager une
« économie désirable », fondée sur une sobriété systémique et
« humano-centrée », dans laquelle la décarbonation de l’énergie est couplée à une nouvelle organisation collective de nos modes vies, plus juste et sobre. Celle-ci est portée à l’échelle locale mais également politique afin de prendre toute son ampleur.
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En plus – Annexes
Méthodologie
Notre étude se base sur dix-huit entretiens réalisés entre juillet 2024 et novembre 2024 auprès d’entreprises ayant mis en place un projet circulaire. Ces projets ont été identifiés par plusieurs moyens : certaines entreprises bénéficiaient de missions d’accompagnement par le cabinet de conseil OPEO, d’autres ont été découvertes lors des séminaires de l’observatoire des Territoires d’industrie, lors de visites d’usines avec La Fabrique de l’industrie ou encore grâce à leur visibilité médiatique.
Ces projets ont en commun d’être en phase d’exploitation. Ils ont été sélectionnés de manière à représenter une diversité de secteurs et de tailles d’entreprises. Notre échantillon comprend ainsi 12 entreprises manufacturières (code C de la nomenclature des activités statistiques — NAF), 1 entreprise œuvrant dans la gestion des déchets, 2 entreprises du commerce, 1 entreprise de la restauration, 1 entreprise du secteur des TIC et 1 entreprise intervenant dans les activités scientifiques et techniques. Elles se répartissent de la manière suivante : 4 micro-entreprises (de 0 à 9 salariés), 6 PME (de 10 à 249 salariés), 5 ETI (de 250 à 4 999 salariés) et 3 grandes entreprises. La moitié d’entre elles sont des entreprises nativement circulaires ; l’autre moitié sont des entreprises initialement linéaires qui mettent en œuvre un projet circulaire. Le tableau détaillé se trouve en annexe II.
Les données ont été collectées au cours d’entretiens individuels semi-directifs, en visioconférence. Dans la mesure du possible, les personnes interrogées ont été sélectionnées pour être les porteuses du projet circulaire. Si ce choix se justifie par une meilleure connaissance de ce dernier, il peut aussi introduire un biais dans les réponses, notamment concernant le bien-fondé ou l’efficacité du projet. Les personnes interrogées ont répondu aux mêmes questions réparties en plusieurs thèmes : leur parcours professionnel, l’histoire de l’entreprise, la genèse du projet et les motivations guidant sa mise en œuvre, le type de boucle circulaire et son opérationnalisation (parties prenantes, freins, localisation, cadre réglementaire, marché ciblé, moyens humains et techniques). Le guide d’entretien visait à caractériser chaque modèle économique, tout en permettant une analyse des cas transversale. Notre étude s’est également appuyée sur d’autres projets circulaires documentés dans des articles de recherche académique, comme le cas de Darty.
Entreprises interrogées
Les personnes ayant participé à l’atelier de travail du 5 septembre 2024
-
- Christophe Beaurain, enseignant-
chercheur en géographie à l’université de Limoges, spécialisé notamment sur l’EIT ; - Sandrine Cathelat, consultante en transformation circulaire chez OPEO, cabinet de conseil spécialisé dans l’industrie ;
- Christophe Beaurain, enseignant-
- Vincent Charlet, délégué général de La Fabrique de l’industrie ;
- Daniela Erohina, ingénieure de recherche à AgroParisTech, spécialisée notamment sur la symbiose industrielle et territoriale ;
- Caroline Granier, cheffe de projet à La Fabrique de l’industrie ;
- David Krupka, responsable développement pour les marchés des équipements et solutions industrielschez Afnor Normalisation ;
- Diane de Mareschal, responsable des enjeux territoriaux à l’Institut pour la recherche de la Caisse des Dépôts ;
- Joël Ntsondé, enseignant-chercheur à l’ISTEC Business School et chercheur associé au Centre de gestion scientifique de Mines ParisTech, spécialisé sur l’économie circulaire ;
- Maude Raymondi, cheffe de projet de l’économie circulaire chez Soltena, cluster régional en Nouvelle-Aquitaine dédié à la transition écologique ;
- Cécile Sémériva, consultante chez OPEO et anciennement directrice de l’innovation chez Citeo, éco-organisme en charge de la gestion de la fin de vie des emballages ménagers et des papiers en France ;
- Camille Simoes, chargée de projet Territoires d’industrie à la Banque des Territoires ;
- Juliette Tessier, cheffe de projet OPEO.
(*) Les fonctions indiquées pour chacun des intervenants sont celles qu’ils occupaient en date du 5 septembre 2024.
Le cadre réglementaire européen
C. Granier, S. Cathelat, G. Richa, J. Tessier, Industries circulaires.
Esquisse d’une transformation, Paris, Presses des Mines, 2025.
ISBN : 978-2-38542-700-9 ISSN : 2495-1706
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