Comment la révolution numérique transforme l’économie et l’emploi

Telle est l’analyse que proposent deux économistes du MIT dans leur livre Race Against the Machine. S’ils sont convaincus des formidables apports de la révolution numérique à terme, leur réflexion laisse à penser que ses fruits sont encore loin d’être mûrs.

Comment se fait-il que les Etats-Unis, dont la productivité progresse régulièrement depuis des décennies et dont, hors crises, le PIB augmente également significativement, se trouvent actuellement dans une situation de fort chômage, la reprise économique ne s’accompagnant pas d’une reprise équivalente des embauches ?

Comment se fait-il que, alors que la richesse globale des USA a progressé au cours de la dernière décennie, le revenu médian des Américains soit en forte baisse, la famille moyenne gagnant moins en 2009 qu’en 1999 ?

Comment se fait-il enfin que les riches soient toujours plus riches et les pauvres toujours plus pauvres ?
Les économistes, selon le cadre d’hypothèses dans lesquelles ils travaillent, apportent à ces questions plusieurs réponses possibles.
– Pour les uns, c’est un problème de cycle : l’économie ne repart pas assez vite pour créer des emplois.
– Selon d’autres, c’est un problème de stagnation : les Etats-Unis sont dans une phase de déclin et ont perdu leur capacité à innover.
– La troisième explication, enfin, repose sur l’hypothèse de « la fin du travail », l’homme ayant perdu son statut de facteur crucial de production.

Erik Brynjolfsson et Andrew McAfee, deux économistes du Massachusetts Institute of Technology reprennent en partie ce dernier point de vue dans leur livre, Race Against the Machine. En partie seulement car ils ne croient pas à la fin du travail.

Ils jugent que c’est essentiellement la révolution numérique – des ordinateurs et des systèmes d’automatisation toujours plus efficaces – qui est responsable de cet état de fait. Les ordinateurs et les robots ont rendu et rendent toujours plus d’emplois inutiles, et pas seulement dans les tâches de production.

Cependant, leur thèse sur l’impact de l’automatisation ne se confond pas avec celle de la « fin du travail » car, en bons schumpetériens, les deux auteurs pensent que nous ne sommes ni dans une grande récession ni dans une grande stagnation mais au cœur d’une grande restructuration. Ils sont en effet convaincus que la révolution numérique se révélera, à terme, être une véritable corne d’abondance… à condition de s’adapter à la nouvelle donne. Le sous-titre de leur livre en rend clairement compte : « comment la révolution numérique accélère l’innovation, dope la productivité et transforme irréversiblement l’économie et l’emploi ».

Le problème est qu’avant que nous puissions en retirer les fruits, la situation économique ne peut faire qu’empirer… Selon eux, en matière d’informatique, nous serions en train de franchir le seuil où chaque avancée technologique (comme le doublement continu de la puissance des processeurs tous les 18 mois) aura un impact réellement massif, sans commune mesure avec les transformations que nous avons connues jusque-là.

Pour illustrer cette conjecture, ils citent la légende de l’échiquier : un grain de riz sur la première case, deux sur la seconde, quatre sur la troisième et ainsi de suite en doublant à chaque case. On sait qu’à la case 64, le souverain doit à son visiteur des quantités phénoménales de riz : un Everest en grains de riz ! Mais Brynjolfsson et McAfee notent également que c’est à partir de la case 32 (soit 4 milliards de grains de riz), que le phénomène prend brutalement des proportions déraisonnables. C’est dans la seconde moitié de l’échiquier que les nombres « explosent » littéralement.
Selon eux, cette case 32 est celle sur laquelle nous nous trouvons aujourd’hui en termes de technologies de l’information. Autrement dit, les progrès à venir en matière de technologies de l’information auront désormais des effets perçus comme « explosifs ». C’est la raison pour laquelle ils anticipent que, sur le terrain de l’emploi, la situation des pays développés risque d’empirer plutôt que de s’améliorer !

Comment faire pour éviter cette aggravation et profiter, au mieux et au plus tôt, des apports de la troisième révolution industrielle ? Les deux auteurs font toute une série de recommandations, 19 au total, dans quatre domaines clés : l’éducation, l’entreprenariat, l’investissement et un dernier ensemble sur les lois, la fiscalité et la réglementation. C’est assez classique et n’est pas la partie la plus passionnante de l’ouvrage.

L’analyse de la situation mérite en revanche toute l’attention du lecteur. C’est d’ailleurs la motivation des auteurs qui soulignent que « l’impact des technologies numériques sur l’emploi est mal compris » et qu’il y a peu de réflexion sur le rôle joué par « l’accélération du développement des technologies ». Ici ils ont rempli leur contrat.

Franck Barnu

Après des études de physique, Franck Barnu s’est dirigée vers la presse industrielle et technologique. Comme journaliste, il a en particulier suivi le domaine des technologies...

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