Allemagne : miracle de l’emploi ou désastre social ? Alain Fabre, Note de benchmark de l’Institut de l’Entreprise

La première des précarités reste bel et bien le chômage. En réduisant efficacement celui-ci, les lois Hartz, loin d’avoir démantelé l’Etat social, auraient permis d’en assurer la pérennité.

 

Les « lois Hartz » sont un ensemble des réformes du fonctionnement de l’assurance chômage mises en place entre 2003 et 2005 en Allemagne, à la demande du chancelier Schröder. Elles durcissent les conditions d’indemnisation et facilitent la création de « petits boulots » peu rémunérés. Elles sont réputées avoir permis de résorber le chômage, mais au prix d’une forte croissance du travail précaire et des inégalités. Certains, comme Guillaume Duval, le rédacteur en chef d’Alternatives Economiques, contestent cependant qu’elles soient la cause de la décrue impressionnante du chômage allemand. D’autres, comme ici Alain Fabre, relativisent la paupérisation et la précarisation dont on les rend responsables.

Dans cette note publiée par l’Institut de l’entreprise, Alain Fabre souligne d’abord les performances allemandes en matière de réinsertion sur le marché du travail des populations les plus éloignées de l’emploi : le chômage structurel de longue durée a décru de 6 % à 2,5 % de la population active entre 2005 et 2012, alors qu’il a crû en France de 3,8 % à 4,1 %. En 2012, le chômage total était de 10,3 % de la population active en France, contre 5,5 % en Allemagne.

Certes, la pauvreté s’est, au moins dans un premier temps, légèrement accrue en Allemagne, surtout au détriment des célibataires et des personnes âgées. A contrario, elle épargne plus qu’en France les jeunes et les familles.

La note souligne qu’il s’agit ici de pauvreté relative, c’est-à-dire de la part de la population qui se situe en-deçà du seuil de 60 % du revenu médian allemand, soit environ 940 € par mois. Aujourd’hui 15,8 % des Allemands (contre 14,0 % des Français) gagnent, après impôts et transferts, moins de ce seuil et sont donc « en-dessous du seuil de pauvreté ». Ce faisant, ils gagnent, en parité de pouvoir d’achat, cinq fois plus qu’un Roumain et trois fois plus qu’un Letton dans la même situation.

D’autre part, les enquêtes sur la perception subjective de la pauvreté fournissent un éclairage complémentaire. Selon SLIC-Eurostat, la part des ménages déclarant en 2011 avoir des difficultés à « joindre les deux bouts » serait de 21 % en Allemagne contre… 61 % en France ! Or, ces taux étaient respectivement de 47 % et 57 % en 2005.

Mesurées à l’aune de l’indice de Gini, les inégalités avaient fortement augmenté en Allemagne avant les lois Hartz : l’indice étant passé de 26,4 à 28,5 entre 2000 et 2004. Après les réformes, entre 2004 et 2011, cet indice n’a gagné que 0,1 point, contre 1,7 en France, où il a atteint 30,5 en 2011.

Encourageant les chômeurs à accepter un emploi, même moins rémunéré que celui qu’ils ont quitté, les lois Hartz ont probablement contribué à la modération salariale de la décennie 2000 en Allemagne. Les salaires ont en effet crû moins vite que la productivité (+1,56 % par an contre + 3,03 %) alors qu’ils croissaient plus vite en France (+ 4,29 % contre + 3,27 %). C’était exactement l’inverse dans les années 1990, ce qui avait placé la France dans une position très favorable au tournant des années 2000.

L’avis de La Fabrique

Pour Guillaume Duval [lien] la prospérité Allemande ne doit rien aux lois Hartz, qui la fragilisent à terme. Pour Alain Fabre, les lois Hartz ont permis au pays de sortir de l’impasse d’un système de surprotection sociale égalitariste et de revenir à un contrat de protection plus équilibré entre droits et devoirs, ce que traduisent les expressions « fördern und fordern » (soutenir et exiger) et « Hilfe zur Selbsthilfe » (aider à s’aider soi-même).

Deux autres contributions récentes analysées sur ce site proposent un diagnostic assez nuancé. Pour COE-Rexecode [lien], l’Allemagne a construit au cours de la dernière décennie, grâce aux lois Hartz et plus globalement par une négociation portant à la fois sur le salaire, les garanties d’emploi et le contenu du travail, un important avantage de compétitivité-coût. Cela vient s’ajouter à une compétitivité hors-coût qui résulte, quant à elle, de la qualité du consensus social et de la mobilité professionnelle fondée sur la formation tout au long de la vie. Ce sont notamment ces caractéristiques dont Guillaume Duval craint la mise en péril par les lois Hartz.

La note de Jacqueline Hénard pour La Fabrique [lien] insiste sur l’hétérogénéité de la situation en Allemagne-même : entre les anciens territoires d’Allemagne fédérale et ceux d’Allemagne de l’Est, entre une industrie aux travailleurs bien rémunérés et protégés par des syndicats puissants et les services… Elle montre que le succès allemand résulte à la fois de facteurs systémiques et séculaires comme la décentralisation et la concertation locale, de la vitalité des entreprises familiales du Mittelstand, de la qualité du dialogue social et de la cogestion et, in fine, des gains de compétitivité coûts de la dernière décennie.

La Fabrique

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