Comment l’industrie peut-elle se protéger des prochaines crises ?

Les différentes crises que nous venons de traverser ont cruellement montré que nos économies occidentales étaient très fragiles face aux chocs : semi-conducteurs, masques, paracétamol, aujourd’hui le gaz, demain les terres rares… Nous sommes perpétuellement en crise d’approvisionnement.

Miser sur nos forces : réindustrialiser plutôt que relocaliser

Avec ces crises, nous payons là le prix de choix antérieurs contestables. Le premier est commun à l’ensemble des pays de l’OCDE. Il a consisté, pendant plusieurs décennies, à considérer que l’industrie allait inévitablement s’évaporer de nos territoires et que le seul remède à cette perte de valeur était la course à l’innovation. On appelait ça « l’économie de la connaissance ». Or investir dans l’innovation tout en délaissant l’industrie qui en est pourtant le creuset s’apparente à une stratégie de tertiarisation délibérée, certes suivie à l’identique par à peu près tous les pays, mais qui nous coûte cher aujourd’hui en temps de crise. Le second choix est propre à la France : nous sortons d’un long cycle de perte de compétitivité-coût qui s’est traduit par une fragilisation extrême du tissu de PME et d’ETI industrielles. Aujourd’hui, nos grands groupes multinationaux, dont les revenus financent notre déficit commercial, se portent bien mais ce sont les seuls.

Heureusement, ces crises ont agi comme un révélateur : nul doute aujourd’hui que l’ensemble des parties prenantes travaillent de concert pour remonter la pente. Il ne s’agit pas, dans ce mouvement de réindustrialisation du pays, de rapatrier en masse sur notre territoire les usines qu’on a mises ailleurs, mais bien d’aider l’industrie qui est encore là à se renforcer. En un mot, réindustrialiser plutôt que relocaliser.

Sécuriser nos chaînes d’approvisionnement

Une chose est certaine, c’est que les crises d’approvisionnement s’enchaînent : cuivre, lithium, terres rares… Un secteur comme l’automobile a déjà vécu plusieurs crises des semi-conducteurs.

S’il fallait distribuer les « cartons rouges », je pourrais dire que les entreprises n’ont pas fait grand-chose pour remédier à la situation. Évidemment, elles gèrent les crises avec courage mais, une fois le calme revenu, elles ne semblent pas en tirer des enseignements. Si on les considère comme des acteurs économiques rationnels, il faudrait logiquement déduire que le coût des crises reste à leurs yeux inférieur à ce que serait le coût d’une couverture contre ces mêmes crises. Je pourrais ajouter que les pouvoirs publics n’en ont pas fait beaucoup plus : il n’existe toujours pas une liste unifiée des actifs considérés comme « stratégiques ».

Ce serait oublier qu’il s’agit là d’un exercice très difficile et incertain. D’abord, se couvrir contre les risques d’approvisionnement est un mécanisme assurantiel : il faut accepter de payer pour se protéger d’un risque qui, le plus souvent, ne se concrétise pas. C’est quelque chose que nous faisons assez facilement en tant que particuliers, mais que nous avons plus de mal à pardonner de la part des pouvoirs publics. Surtout, viser « juste », entre ce qui est stratégique et ce qui ne l’est pas, ou entre les maillons pertinents des chaînes de valeur et les autres, représente une science ardue dont on ne viendra jamais à bout.

Un tel mécanisme réclame quoi qu’il en soit une architecture savante entre le politique, l’administration et les entreprises. Seul le premier peut assumer la décision, forcément arbitraire, d’activer telle ou telle protection. Seule la deuxième est capable de mener l’opération dans la durée. Et seules les troisièmes sont capables de renseigner les deux premiers sur la construction fine des activités, des chaînes de valeur et d’approvisionnement. Finalement, la meilleure des stratégies est une stratégie de long terme : diversifier les approvisionnements et renforcer évidemment notre base industrielle.

Investir massivement dans le progrès technique pour survivre à la transition énergétique

La résilience de l’industrie passera par la transition énergétique. Cependant, c’est une transformation qui demeure risquée. En effet, avant que le CO2 n’atteigne 250 € la tonne, des secteurs d’activité entiers risquent de disparaître : ceux qui, en l’état actuel de l’offre, de la demande et des connaissances techniques, ne peuvent tout simplement pas assumer le coût de leurs propres émissions. Pour les métaux de base, les produits minéraux non métalliques et le transport aérien, le coût carbone représenterait plus de 100 % de la marge opérationnelle. Pour les fabricants de papier et de carton et pour la chimie, ce serait plus de 50 % de la marge.

Il faut prendre cette projection comme un stress test, car évidemment, les entreprises se seront délocalisées avant de mourir. La seule solution tenable, c’est un investissement massif dans le progrès technique (nouveaux procédés, substitution et recyclabilité des matières critiques, etc.), seul facteur qui soit de nature à faire baisser les taux d’émission et donc le coût à assumer pour ces différents secteurs. Faute de quoi, le seul paramètre restant de l’équation qui pourra évoluer, c’est l’activité elle-même.

Vincent Charlet

Vincent Charlet

Après une formation d’ingénieur, Vincent Charlet s’est consacré à l’analyse des systèmes publics et à la conduite du changement.
Il a d’abord participé aux réflexions et...

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