Le « dilemme du capitaliste » selon Christensen

Pourquoi les entreprises et les investisseurs américains privilégient-ils le court terme alors que le salut – et la croissance – se trouvent dans l’investissement à long terme ? Réponse du professeur de Harvard.

Clayton Christensen, le professeur d’Harvard Business School célèbre pour son livre « The Innovator Dilemma », s’est posé une question : pourquoi, plus de 60 mois après la fin de la récession y a-t-il si peu de croissance (et de création d’emplois) aux Etats-Unis ? Il en apporte la réponse dans un article d’Harvard Business Review intitulé… The Capitalist Dilemma cosigné par Derek van Bever (Harvard Business School également) et réalisé avec le concours de nombreux étudiants.

Selon l’article, le dilemme actuel des capitalistes américains (entrepreneurs et investisseurs) est le suivant : « ce qui est positif pour leur prospérité à long terme est aujourd’hui considéré comme négatif par les plupart des investisseurs à cause des outils qu’ils utilisent pour décider de leurs investissements. »

Ce qui est positif, pour Christensen, c’est d’investir pour le long terme c’est-à-dire dans les « bons » types d’innovation, ceux qui créent de la croissance et de la richesse. Il distingue en effet trois types d’innovation selon leur impact sur la croissance. Le premier est l’innovation d’amélioration de performance, typiquement le remplacement d’un produit par un modèle amélioré. Le second, l’innovation d’amélioration d’efficacité qui vise à produire des produits existants à moindre coût. Le troisième est l’innovation de création de nouveaux marchés – illustrée typiquement par l’iPhone.

Les deux premiers types ne produisent que peu de croissance et d’emploi. Le troisième à l’inverse est fortement créateur de richesse et d’emploi mais c’est aussi celui qui exige à la fois le plus d’investissement et le plus de patience de la part des investisseurs.

Pour Christensen, l’équilibre entre ces trois types d’innovation est crucial pour la croissance. En particulier, écrit-il « si les bénéfices retirés des innovations d’amélioration d’efficacité sont investis dans des innovations de création de nouveaux marchés, l’économie fonctionne tout à fait bien. » Mais ce n’est pas ce qui se passe : l’investissement minimal et le court terme sont privilégiés.

Pourquoi cette myopie des investisseurs ? Christensen avance une explication : ils font fausse route car ils raisonnent comme si le capital était une ressource rare et chère alors qu’il est aujourd’hui devenu surabondant et peu coûteux. Cette erreur d’appréciation les conduit à continuer à utiliser le capital de la façon la plus efficace possible et, à cette fin, à se baser sur des métriques ad hoc, mais totalement inadaptées à un contexte d’abondance du capital. La profitabilité est ainsi mesurée non pas en valeur, mais en se basant sur des ratios tels que le RONA (return on net assets), le ROIC (return on invested capital) ou l’IRR (internal rate of return). Et généralement pour augmenter ces ratios, le choix consiste à réduire le dénominateur donc à investir moins, à outsourcer au maximum et à privilégier le court terme.

A la fin de l’article, il propose différentes mesures pour rendre le capital plus patient, pour transformer le capital « voyageur » et le capital « timide » en capital qui s’investit longuement dans l’entreprise. Et, au passage, il égratigne un peu les grandes business schools, dont la sienne, qu’il juge responsables de cet état de fait car elles ont, selon lui, trop séparé les disciplines (finance et stratégie par exemple) et mis au point des métriques de mesure de la réussite qui « au mieux sont superficielles et au pire, nocives. »

 

Franck Barnu

Après des études de physique, Franck Barnu s’est dirigée vers la presse industrielle et technologique. Comme journaliste, il a en particulier suivi le domaine des technologies...

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