Menaces et bienfaits de la reverse innovation

Les innovations hyper low cost des pays émergents en vocation aujourd’hui à se diffuser dans les pays occidentaux.

Le professeur américain Vijay Govindarajan a inventé le concept des Reverse innovation. Conçues dans, par et pour les pays émergents, elles ont vocation à inonder le monde. L’idée peut être profitable pour les entreprises occidentales, mais pas pour l’emploi local…

Voilà une idée aussi simple qu’explosive. Elle consiste à dire que l’avenir est aux innovations conçues et réalisées dans les pays émergents, pour les pays émergents, par les entreprises occidentales en particulier. Des innovations « frugales » faites pour satisfaire les consommateurs (pauvres) de ces pays.

Ce n’est pas tout. Et c’est là que l’idée devient vraiment intéressante (et effrayante). Son inventeur et promoteur affirme que ces innovations hyper low cost ont aujourd’hui vocation à se diffuser ensuite vers les pays occidentaux. L’exact opposé de ce qui se passait il y a quelques décennies où l’innovation était pensée et conçue dans les pays riches pour être diffusée mondialement. D’où le nom donné à ce processus : Reverse Innovation, l’innovation inversée… Pour les pays occidentaux, les conséquences sur la réindustrialisation et l’emploi sont potentiellement terribles.

On doit ce concept à Vijay Govindarajan, professeur au Dartmouth College (New Hampshire). Apparue pour la première fois il y a trois ans, dans un article cosigné avec le PDG de General Electric dans Harvard Business Review, cette analyse vaut à Vijay Govindarajan d’être classé en 5è position dans le Thinker 50, le hit parade des 50 penseurs les plus influents dans le monde des affaires. Reverse Innovation est aujourd’hui le titre du livre qu’il a publié en mars dernier avec Chris Trimble, déjà best-seller.

La logique est implacable : on peut, dans les pays émergents, produire des innovations qui offrent 80% des fonctionnalités d’un produit occidental à 20% du prix, satisfaire un immense marché puis inonder ensuite l’occident avec de tels produits, éventuellement adaptés aux spécificités locales.

Les exemples ne sont pas encore légion, mais General Electric, adepte de première heure du processus, l’a déjà mis en œuvre avec un échographe portable à très faible coût. Développé initialement en Chine pour les médecins chinois, il est désormais commercialisé à un prix défiant toute concurrence aux USA.

Vijay Govindarajan cite d’autres exemples dans son livre. On a en France le modèle parfait et tout à fait pionnier d’une telle innovation : la Logan de Renault Dacia (qui toutefois a été conçue en France). Faite pour les pays émergents, elle séduit aussi le public français. Elle correspond parfaitement à la logique exprimée par l’auteur du livre à savoir : « il vaut mieux pour les entreprises occidentales jouer le jeu de la Reverse Innovation au risque de s’auto cannibaliser plutôt que de laisser les innovateurs locaux le faire. »

Le côté séduisant de la Reverse Innovation pour les entreprises occidentales tient évidemment au fait qu’elle leur ouvre de nouveaux et vastes marchés. Une crainte demeure : que ces innovations low cost ne finissent par prendre la place des produits high tech et high cost que l’on s’efforce de développer dans les pays occidentaux, justement afin de reprendre l’avantage sur les pays émergents.

Cela dit, on peut constater avec un certain soulagement que la Logan qui connaît un succès certain en Europe n’a toutefois pas détrôné les berlines traditionnelles de Renault, pas plus que l’échographe low cost de General Electric ne l’empêche de vendre ses produits haut de gamme.

Mais que la cannibalisation soit partielle ou totale ne change rien au fond du problème : dans tous les cas, la production de cette innovation low cost est intégralement réalisée dans les pays low cost comme le prouve parfaitement l’exemple de la Logan. Côté industrie et emploi, donc, la perte est totale

Franck Barnu

Après des études de physique, Franck Barnu s’est dirigée vers la presse industrielle et technologique. Comme journaliste, il a en particulier suivi le domaine des technologies...

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