Nucléaire On/Off

François Lévêque, professeur d’économie à Mines ParisTech et spécialiste en économie de l’énergie, vient de publier Nucléaire On/Off, aux éditions Dunod. Un ouvrage complet, extrêmement documenté, qui montre pourquoi on peut trouver un intérêt économique à cette source d’énergie mais aussi pourquoi cela relève irréductiblement du pari.

Après avoir eu le vent en poupe au début des années 2000, sur fond de cohésion internationale contre le changement climatique, le nucléaire est aujourd’hui en panne. Les grands pays industriels s’en détournent : l’Allemagne et le Japon au profit du charbon, depuis la catastrophe de Fukushima, et les Etats-Unis au profit des gaz de schistes, qu’ils extraient à des prix très compétitifs. En France, le débat sur le mix énergétique continue de faire rage, les partisans du nucléaire estimant que nous devons à cette technologie le maintien d’une électricité bon marché, ses détracteurs arguant que son coût total, démantèlement et risques compris, le rend prohibitif. Ce livre, non partisan et rigoureux, reprend une à une les étapes du raisonnement économique et démontre puissamment à quel point ces représentations sont faussées.

Premièrement, le livre rappelle que la notion de coût ne relève pas du registre des grandeurs physiques, dont on pourrait mesurer une valeur intrinsèque pour chaque objet. C’est une appréciation, qui dépend du point de vue que l’on adopte (le coût pour l’exploitant n’est pas identique au coût pour la collectivité, etc.), de l’horizon de temps que l’on se donne et du taux d’actualisation dont on convient pour comparer des dépenses actuelles et des dépenses futures, ainsi que de nombreuses autres hypothèses de travail (coût et probabilité d’un accident, coût du carbone évité, etc.).

Partant de là, l’ouvrage aborde plusieurs points essentiels. D’une part, le coût de l’électricité nucléaire varie sensiblement dans le monde, et dépend avant toute chose de facteurs immédiatement tangibles : le coût du travail dans le pays considéré, le coût du capital (lui-même fortement corrélé au délai nécessaire à la construction de la centrale) et le taux de charge de la centrale en fonctionnement. Voilà pourquoi le MWh nucléaire apparaît toujours moins cher en Corée du Sud et toujours plus cher en Suisse. Deuxièmement, donc, le coût du traitement des déchets, celui du démantèlement des installations et même celui du risque d’accident nucléaire sont, en termes strictement économiques, très nettement inférieurs aux précédents voire d’ampleur négligeables. Ils sont d’ailleurs bien intégrés dans l’équation fixant le tarif de l’électricité en France, contrairement à ce qui est parfois avancé.

On apprend aussi que, contrairement à la plupart des technologies industrielles, le coût du nucléaire est croissant. Chaque nouvelle génération de centrale coûte plus cher que la précédente, sous l’effet de l’augmentation des contraintes de sécurité, de l’introduction de nouvelles technologies, de l’extension des délais de construction des centrales… et en l’absence d’effets d’apprentissage suffisants pour que des d’économies d’échelles significatives se manifestent. Encore faut-il noter que cette croissance des coûts n’a pas le même profil d’un pays à l’autre : les Etats-Unis par exemple, en raison d’une gestion sans doute excessivement décentralisée de leur parc, sont beaucoup plus frappés par cette « malédiction » que la France.

L’ouvrage détaille enfin les difficultés de l’électricité nucléaire pour rester économiquement compétitive aujourd’hui. Dans les pays à bas coût de main-d’œuvre et dépourvus de réglementation environnementale, elle n’a aucune chance face au charbon. Dans les pays développés, elle n’est compétitive face au gaz qu’à condition de convenir d’un prix du carbone suffisamment élevé. Le Royaume-Uni a ainsi adopté un mécanisme de prix-cible, croissant progressivement et atteignant 47 € par tonne de CO2 en 2020, pour stimuler les investissements dans la production d’énergie non carbonée. Rappelons aussi que la Suède a instauré une écotaxe dépassant dans presque tous les cas le seuil des 100 € par tonne de CO2. Le nucléaire est théoriquement compétitif face aux énergies alternatives, en dehors du cas particulier de l’éolien on shore. Théoriquement seulement car, en pratique, l’introduction progressive de ressources renouvelables par le biais de quotas affecte le taux de charge et érode peu à peu la compétitivité du nucléaire face au gaz.

Au final donc, ce livre montre de façon détaillée et éminemment instructive que l’énergie nucléaire reste un pari économique.

Ne pouvant ici parler de tous les apports de l’ouvrage, décidément très riche, on n’a détaillé que sa première partie, relative au calcul des coûts. Le lecteur en apprendra autant dans les pages suivantes sur les difficultés de calculer le risque de catastrophe nucléaire (tant du fait de l’imprécision des modèles existants que de la mauvaise foi de certains experts), sur les différents biais de perception du risque dans le grand public qui affectent indirectement la compétitivité de cette filière (l’homo sapiens étant décidément un très mauvais probabiliste, même quand il fréquente les universités les plus prestigieuses), sur les pratiques de gouvernance et de régulation (les avantages comparés des modèles français et américain et les lacunes du modèle japonais), sur le manque de discernement économique qui caractérise aujourd’hui les discussions sur la sortie du nucléaire (la décision de ne pas construire une nouvelle centrale et celle d’en fermer une existante ayant des conséquences économiques diamétralement opposées), etc.

La Fabrique

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