Précaution et compétitivité : trois questions à Claudie Haigneré

Interview.

Claudie Haigneré, présidente d’Universcience et membre du groupe de travail à l’origine de la note « Précaution et compétitivité : deux exigences compatibles ? », répond aux questions de La Fabrique de l’industrie.

La Fabrique de l’industrie : Le principe de précaution est souvent interprété comme le signe d’une plus grande frilosité de la société française. Partagez-vous ce constat ?

Claudie Haigneré : Le principe de précaution fait partie du paysage français, peut-être davantage que dans d’autres pays. Il a été mis en place et correspond à une exigence de sécurité qui est très prégnante au niveau du citoyen, par rapport aux avancées de la science et de la technologie. Il est vrai qu’aujourd’hui, il est peu vu et peu actionné comme un principe d’action qui amène à apporter des réponses à des situations encore incertaines. C’est cela qui le rend un petit peu responsable d’une forme de frilosité, à la fois de la part de l’opinion public et parfois de la puissance publique dans la prise de décision. Donc effectivement, il serait bon de pouvoir tempérer ce principe de précaution par une incitation à l’innovation, à l’expérimentation, une espèce de forme de culture du risque maîtrisé.

La Fabrique de l’industrie : Quels leviers identifiez-vous pour améliorer la relation entre science et société ?

Claudie Haigneré : La relation entre la société et la science est une relation de confiance vis-à-vis de la recherche, ça on peut le dire. La recherche est quelque chose qui est espéré, souhaité par la population française. En revanche, c’est vrai qu’on est aujourd’hui parfois dans une réaction de défiance par rapport aux résultats de cette recherche. Elle s’explique par le fait que nous ne sommes pas allés assez loin dans le dialogue entre ceux qui vont prendre une décision et ceux qui participent à l’élaboration de cette décision. Un dialogue ça veut dire qu’autour de la table, il doit bien sûr y avoir ceux qui vont porter la décision, les experts qui vont apporter des éléments pour l’enrichir, mais aussi le public, l’opinion publique, qui a des réserves, des souhaits, des choses à dire. Il faut savoir qu’aujourd’hui, ce public est plus compétent parce qu’il a plus facilement accès à l’information grâce à Internet ou dans ses discussions. Ce n’est pas un public complétement profane, il a des choses à dire et il a besoin de les exprimer, d’être écouté, d’être entendu et d’avoir le sentiment que sa position est prise en compte dans l’élaboration de la décision.
Il faut aller plus loin dans cette forme de dialogue mais aussi que celui-ci ait lieu très en amont. On est aujourd’hui en France, dans une culture de la controverse, c’est-à-dire dans un débat qui est déjà cristallisé sur des opinions parfois difficilement réconciliables. Il faut sans doute aller davantage vers une culture de la concertation, du débat. Cela ne se fait pas immédiatement et cela doit se démarrer très tôt, dès l’école. Certaines d’entre elles ont déjà instauré cette culture du débat car cela fait partie de l’éducation. Je pense que la concertation doit intervenir à chaque instant et très tôt dans l’éducation. Elle doit être menée suffisamment en amont, avant que l’on arrive à une situation trop cristallisée et de controverse.

La Fabrique de l’industrie : Comment expliquez-vous le bilan mitigé des dispositifs de débat public en France ? Quelles voies d’amélioration proposez-vous ?

Claudie Haigneré : C’est vrai que le débat public en France n’est pas vraiment serein. On le voit bien sur des sujets de science et de technique qui n’aboutissent pas à des positions consensuelles et constructives et parfois même à des oppositions importantes et des débats qui ne peuvent pas se tenir. On vient de passer le débat sur les nanotechnologies, sur le stockage des déchets radioactifs… Ce sont des sujets bien difficiles à mener, peut-être parce que ce débat public en France est encore trop instrumentalisé et trop peu représentatif de la diversité des points de vue. Les débats publics sont toujours organisés avec des groupes restreints qui ne sont pas représentatifs d’une opinion plus large et cela peut poser problème. Le modèle des conférences de citoyens essaye d’y répondre mais là aussi les échantillons sont réduits. Je pense qu’aujourd’hui, nous avons des outils d’information, de mise en réseau, participatifs pour l’élaboration de décision. Ils devraient sans doute être davantage utilisés afin de mener des enquêtes plus larges.
La représentativité de l’opinion émise est donc importante, mais elle doit également bénéficier d’un suivi pour être sûr qu’elle soit vraiment partie prenante jusqu’au bout et qu’éventuellement il lui soit rendu compte après la prise de décision. C’est tout un continuum qu’il faut essayer de mettre en place. On ne peut pas se dire qu’un débat public a été organisé et que cela va suffire pour apporter une solution. Un débat public, ça doit être du temps long : sur du temps court, il est difficile de démêler des situations qui sont forcément complexes puisqu’elles ont nécessité la mise en place d’un débat formel pour obtenir une solution.

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Claudie Haigneré

Claudie Haigneré est présidente d’Universcience, établissement public regroupant la Cité des sciences et de l’industrie et le Palais de la découverte. Docteur en médecine et en...

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