Ce que l’industrie offre aux jeunes ouvriers

Ce que l’industrie offre aux jeunes ouvriers

© Flukyfluky, Istock Photo

 

Avant-propos

Les industriels font part de difficultés de recrutement croissantes, comme l’attestent les enquêtes menées par Pôle emploi et le Centre de recherche pour l’étude et l’observation des conditions de vie (Crédoc). Parmi les dix métiers dits « en tension » pour lesquels sont anticipées les plus fortes difficultés, six relèvent de secteurs industriels. Pourtant, d’un côté, les industriels ont le sentiment d’offrir des opportunités de carrière attractives et, de l’autre, le taux de chômage de la population active des jeunes de 15 à 24 ans est élevé (22,3 % en 2017 selon l’OCDE).

C’est pour tenter de comprendre ce paradoxe que ce rapport analyse les débuts de carrière des jeunes ouvriers de l’industrie. Il apporte des réponses statistiques à plusieurs interrogations importantes, au sujet desquelles circulent nombre d’idées reçues, notamment sur l’insertion professionnelle des jeunes ouvriers, l’impact de la crise de 2008 sur l’emploi des jeunes, l’importance du niveau de diplôme et les plus-values de l’apprentissage.

Cet ouvrage est issu des travaux réalisés pour La Fabrique de l’industrie par Arnaud Dupray et Emmanuel Sulzer, du Centre d’études et de recherches sur les qualifications (Céreq), à partir de l’analyse des données du dispositif « Génération ». Ce dispositif rassemble des enquêtes qui retracent les séquences d’emploi de jeunes sortis du système éducatif pendant leurs premières années de vie active.

La collection des « Docs » de La Fabrique rassemble des textes qui n’ont pas été élaborés à la demande ni sous le contrôle de son conseil d’orientation, mais qui apportent des éléments de réflexion stimulants pour le débat sur les enjeux de l’industrie. Nous espérons que celui-ci trouvera des lecteurs intéressés parmi les industriels et les décideurs publics et serons heureux de recueillir leurs réactions.

L’équipe de La Fabrique

 

Synthèse

En France, aujourd’hui, les jeunes ouvriers de l’industrie ont des débuts de carrière relativement morcelés : ils enchaînent de nombreuses séquences d’emploi et de chômage et passent souvent d’un secteur d’activité à un autre, que ces secteurs soient industriels ou non. En définitive, seulement un quart des jeunes ouvriers ont commencé leur carrière dans l’industrie et y travaillent toujours après cinq ans d’activité. Ces ouvriers les plus fidèlement attachés à l’industrie ont tout de même passé en moyenne 15 mois au chômage au cours de ces cinq années, soit 25 % de leur temps.

En outre, le nombre de jeunes ouvriers passés par l’industrie, qu’ils y soient restés ou non, a été divisé par deux entre les deux cohortes sorties du système éducatif, respectivement en 2004 et en 2010. Ce fort recul est dû en partie à une diminution des opportunités d’emploi aggravée par la crise et également à un déficit d’image, associé à une méconnaissance des métiers industriels.

Les métiers industriels offrent en effet aux jeunes ouvriers davantage d’opportunités d’insertion que les métiers hors industrie. Dans l’industrie, les jeunes ouvriers passent plus de temps en emploi au cours de leurs cinq premières années de vie active, obtiennent une rémunération environ 10 % plus élevée et accèdent plus fréquemment à un poste qualifié. L’apprentissage apporte également une plus-value : les jeunes ouvriers ex-apprentis obtiennent plus facilement un poste qualifié et stable en début de carrière.

 

Remerciements

Nous tenons à remercier Arnaud Dupray et Emmanuel Sulzer, du Centre d’études et de recherches sur les qualifications (Céreq), pour leurs travaux et échanges fructueux qui nous ont permis d’aboutir à cet ouvrage.

Leur rapport intitulé « Les débuts de carrière des jeunes ouvriers de l’industrie » est disponible sur : http://www.la-fabrique.fr/wp-content/uploads/2016/10/Note-Cereq.pdf

 

Introduction

L’industrie peine aujourd’hui à recruter et ces difficultés de recrutement impactent sa compétitivité. Plusieurs études l’attestent, dont l’enquête BMO (Besoins en main-d’œuvre), réalisée par Pôle emploi et le Crédoc, qui recense les besoins en recrutement des employeurs par secteur et par bassin d’emploi.

L’enquête 2018 indique que les entreprises industrielles prévoient plus de 200 000 recrutements cette année, dont 50,3 % sont jugés difficiles1. Ce pourcentage continue d’augmenter : il était de 35,1 % en 2016 et de 41,5 % en 2017. Il atteint même 53,6 % pour les ouvriers de l’industrie en 20182.

Pour expliquer ces difficultés, les industriels évoquent une crise des vocations, liée à un déficit d’image du secteur et à une méconnaissance des métiers industriels. Outre le déficit d’attractivité de certains métiers, le Conseil d’orientation pour l’emploi mentionne dans son rapport, en 2013, une inadéquation entre les compétences attendues par les recruteurs et celles des candidats, ainsi qu’un manque de fluidité du marché du travail3. Selon l’enquête annuelle des Arts et Métiers réalisée par OpinionWay, 47 % des lycéens en série S ou technologique souhaitent travailler dans l’industrie4. Les préjugés sur l’industrie les plus fréquemment évoqués par les lycéens interrogés portent sur les conditions de travail peu attrayantes, alors que les industriels estiment pourtant leur offrir des opportunités attractives.

La Fabrique de l’industrie a mobilisé le Céreq (Centre d’études et de recherches sur les qualifications) pour tenter d’éclairer ce paradoxe, et plus précisément pour comprendre à quel point les débuts de carrière des jeunes ouvriers de l’industrie sont plus dynamiques que ceux de leurs camarades ayant abordé d’autres secteurs d’activité. Le Céreq effectue régulièrement des enquêtes appelées « Génération » auprès de jeunes sortants du système éducatif, de tous niveaux de formation, pour retracer leur cheminement pendant leurs premières années de vie professionnelle. Dans cette étude, nous utilisons les données des échantillons 2004 et 2010, c’est-à-dire les réponses des jeunes sortis de formation initiale durant les années scolaires 2003-2004 et 2009-2010, et ayant occupé un poste d’ouvrier de l’industrie pendant les cinq années qui ont suivi5.

Le premier chapitre étudie les trajectoires des jeunes ouvriers de l’industrie sortis en 2010. Le deuxième chapitre se concentre sur l’intérim et l’apprentissage et le troisième illustre l’importance du niveau et de la spécialité du diplôme des jeunes ouvriers.

  • 1 – Pôle emploi, Crédoc (2018). Enquête Besoins en main d’œuvre. Nombre de projets de recrutement en 2018 par secteurs regroupés (consulté le 26 avril 2018). http://statistiques.pole-emploi.org/ bmo/bmo?lf=0&pp=2018
  • 2 – Ibid.
  • 3 – Conseil d’orientation pour l’emploi (2013). Emplois durablement vacants et difficultés de recrutement : Synthèse du diagnostic du conseil. Rapport du Conseil d’orientation pour l’emploi.
  • 4 – L’enquête des Arts et Métiers réalisée par OpinionWay est intitulée « Les jeunes et l’industrie ». Elle vise à comprendre la perception qu’ont les lycéens de l’industrie. Les résultats de l’enquête 2018 sont disponibles sur: https://artsetmetiers.fr/fr/actualites/barometre-les-jeunes-et-lindustrie- arts-et-metiers-devoile-les-resultats-de-son-etude
  • 5 – Les secteurs de l’industrie étudiés sont les secteurs codés de B00 à G99 dans la nomenclature économique de synthèse (NES) pour la Génération 2004 et les secteurs codés de 5 à 39 dans la nomenclature d’activités française (NAF) pour la Génération 2010.
Chapitre 1

L’industrie offre de meilleures perspectives aux jeunes ouvriers

Dans les paragraphes suivants, nous distinguons quatre profils parmi les jeunes qui ont travaillé dans l’industrie en tant qu’ouvriers au moins une fois au cours des cinq premières années de leur vie active : ceux qui sont entrés dans l’industrie au premier emploi, et qui ont fini par travailler dans un autre secteur, ceux qui travaillent dans l’industrie au dernier emploi mais qui ont commencé dans un autre secteur, ceux qui sont ouvriers de l’industrie au premier et au dernier emploi occupé et enfin ceux qui n’y ont fait qu’un rapide passage, sans avoir travaillé dans l’industrie ni au premier ni au dernier emploi.

Ces profils sont comparés avec ceux de deux autres groupes : les ouvriers hors industrie et les employés. On entend par « ouvriers hors industrie » les jeunes qui sont ouvriers au premier et au dernier emploi dans un secteur non industriel. Les « employés » regroupent les actifs qui ont débuté en tant qu’employés et qui le sont encore au dernier emploi, cinq ans après.

Les premiers résultats présentés ci-dessous proviennent de l’interrogation après cinq ans de vie active des jeunes de la Génération 2010. Dans la suite de ce chapitre, les quatre profils d’ouvriers de la Génération 2010 sont comparés à ceux de la Génération 2004, puis aux ouvriers hors industrie et aux employés.

Les jeunes ouvriers qui débutent et restent dans l’industrie ont de meilleures carrières

Les ouvriers qui ont occupé leur premier emploi dans l’industrie et y sont toujours dans leur dernier poste représentent 25 % de l’ensemble des jeunes ouvriers ayant travaillé au moins une fois dans l’industrie au cours de leurs cinq premières années de vie active. Ce taux était le même pour la Génération 2004. Ces jeunes ouvriers se distinguent des autres car ils accèdent plus fréquemment à un poste d’ouvrier qualifié, ont une meilleure rémunération et un taux en CDI plus élevé.

Ce groupe présente en effet le taux le plus élevé d’ouvriers qualifiés, aussi bien à l’embauche que dans leur dernier poste : 55 % sont ouvriers qualifiés dans leur premier poste et 62 % dans leur dernier poste. Parmi les explications possibles, on note que ce groupe présente également une part plus élevée de diplômés des niveaux CAP-BEP et Bac (c’est-à-dire les niveaux V et IV, voir Annexe 2) dans une spécialité industrielle : 42 % contre 28 % pour les ouvriers ayant travaillé dans l’industrie seulement au premier emploi et 37 % pour les ouvriers de l’industrie au dernier emploi. En particulier, plus d’un quart des jeunes de ce groupe ont un Bac professionnel ou technologique dans une spécialité industrielle alors que cette proportion varie de 14 % à 17 % dans les autres profils.

Ils sont aussi plus fréquemment en CDI : 44 % contre 41 % des ouvriers de l’industrie au premier emploi et 32 % des ouvriers de l’industrie au dernier emploi. Leur salaire net mensuel est supérieur à celui des autres profils : 1 491 € en moyenne, contre 1 430 € pour les ouvriers de l’industrie au premier emploi et 1 480 € pour les ouvriers de l’industrie au dernier emploi.

Enfin, si on compare aux autres profils, les ouvriers de ce groupe bénéficient plus fréquemment d’une formation continue pendant les cinq premières années de vie active : 17 % contre 5 % des ouvriers de l’industrie au premier emploi et 13 % des ouvriers de l’industrie au dernier emploi.

L’insertion professionnelle des jeunes ouvriers est globalement problématique

L’employabilité est mesurée ici par le nombre moyen de mois passés respectivement au chômage et en emploi pendant les cinq années suivant la sortie de la formation initiale.

Les jeunes ouvriers de l’industrie sortis en 2010 ont passé entre 13 et 15 mois au chômage selon les différents profils sur cinq ans, ce qui représente entre 22 % et 25 % de leur temps. Ce taux est relativement plus élevé que celui qui a été relevé en 2013 (19 %) auprès des jeunes de la même cohorte, qu’ils soient ouvriers ou non, c’est-à-dire tous métiers et secteurs confondus6. Comme il y a très peu de chances que la conjoncture se soit dégradée entre 2013 et 2015, cela souligne la difficulté particulière des jeunes ouvriers à s’insérer dans l’emploi.

Les jeunes ouvriers de l’industrie ont également passé entre 38 et 40 mois en emploi sur les cinq premières années, selon les différents profils. Ils ont connu entre deux et cinq emplois sur cette période.

Le nombre de jeunes ouvriers de l’industrie a fortement diminué entre 2004 et 2010

Les jeunes diplômés sortis de la formation initiale en 2010 sont deux fois moins
nombreux à avoir occupé un poste d’ouvrier dans l’industrie que les diplômés sortis en 2004 : 116 500 jeunes de la Génération 2004 contre 63 200 jeunes de la Génération 2010.

Chacun des quatre profils a connu une diminution par deux : les jeunes qui ont
débuté en tant qu’ouvriers de l’industrie, ceux qui y ont occupé leur dernier poste, ceux qui n’ont fait qu’y passer et ceux qui y sont restés.

Figure 1. Nombre de jeunes ouvriers de l’industrie par profil sortis de la formation initiale en 2004 et en 2010 (données issues de l’interrogation après cinq ans de vie active)

La baisse de 4 % du nombre total de jeunes sortis du système éducatif entre 2004 et 2010 (737 000 jeunes en 2004 contre 708 000 jeunes en 2010) n’explique pas une telle diminution. Celle-ci peut donc avoir deux autres causes : la diminution des opportunités d’emplois industriels (l’Insee7 relève une diminution de 514 000 emplois industriels entre 2004 et 2010, soit 13 %) et une possible désaffection des jeunes pour l’industrie.

La crise a impacté la durée en emploi

Le taux en emploi après cinq ans de vie active est plus élevé pour les ouvriers de l’industrie issus de la Génération 2010 (84 %) que pour ceux de la Génération 2004 (73 %). Cette différence peut s’expliquer par l’impact de la crise économique de 2008 sur l’emploi, très sensible en 2009, soit cinq ans après l’entrée sur le marché du travail de la Génération 2004.

Probablement pour la même raison, les jeunes ouvriers de la Génération 2010 ont, au contraire, passé moins de temps en emploi pendant leurs cinq premières années de vie active que leurs prédécesseurs de la Génération 2004. D’une part, la durée moyenne par séquence d’emploi a légèrement diminué (passant de 14 à 13 mois entre les deux cohortes). D’autre part, le nombre moyen de séquences d’emploi a également diminué, de sorte que le nombre total de mois en emploi sur cinq ans a également chuté, de six mois, passant de 45 à 39 mois en moyenne entre les deux cohortes. Le nombre de mois passés au chômage sur cinq ans a, de son côté, augmenté de trois mois (de 12 à 15 mois pour les jeunes ouvriers de l’industrie au dernier emploi). Les jeunes qui ne sont ni au chômage ni en emploi peuvent avoir repris leurs études, être en formation.

Dans l’ensemble, les jeunes ouvriers de l’industrie issus de la Génération 2004 ont connu un début de carrière plus clément que ceux de la Génération 2010, lesquels ont été frappés par la crise lors de leur entrée sur le marché du travail, même si la comparaison des « photographies » cinq ans après le début de leur vie active, respectivement en 2009 et en 2015, donne parfois l’impression contraire.

Les jeunes ouvriers sortis en 2010 accèdent moins fréquemment à un poste d’ouvrier qualifié au bout de cinq ans : 65 % contre 69 % pour les ouvriers de l’industrie issus de la Génération 2004. Ce ralentissement des promotions au statut d’ouvrier qualifié pourrait là encore s’expliquer par l’impact de la crise économique.

Figure 2. Nombre de mois passés en emploi et au chômage au cours des cinq premières années de vie active par profil de jeunes ouvriers de l’industrie des Générations 2004 et 2010

L’industrie offre une meilleure insertion aux jeunes ouvriers que les autres secteurs

Après cinq ans de vie active, les jeunes ouvriers de l’industrie sont plus fréquemment en emploi que les autres actifs de qualification comparable. En effet, 84 % des jeunes ayant fini leurs études en 2010 et ayant débuté en tant qu’ouvriers de l’industrie sont en emploi cinq ans après, contre 66 % pour les ouvriers hors industrie et 70 % pour les employés. Ce taux en emploi
est de 74 % pour les ouvriers de l’industrie au dernier emploi et de 70 % pour les ouvriers de l’industrie au premier et au dernier emploi.

Figure 3. Taux en emploi à cinq ans par profil d’ouvriers issus de la Génération 2010

Les jeunes ouvriers de l’industrie passent plus de temps en emploi que ceux des autres secteurs

Pendant leurs cinq premières années de vie active, les jeunes ouvriers de l’industrie ont passé plus de temps en emploi que les autres. Les jeunes sortis de formation initiale en 2010 et ouvriers de l’industrie au premier emploi ont passé 70 % de leur temps en emploi sur cinq ans, contre 59 % pour les ouvriers hors industrie et 61 % pour les employés.

Figure 4. Part du temps en emploi sur cinq ans par profil de jeunes sortis en 2010

Ce constat est renforcé par l’analyse du taux de chômage des jeunes sortis en 2004, après sept ans de vie active. Il est de 15 % pour les ouvriers de l’industrie, donc inférieur à celui des ouvriers des autres secteurs (19 %).

Il reste cependant supérieur au taux de chômage à sept ans (11 %) des jeunes actifs, tous métiers confondus, travaillant dans l’industrie au premier emploi, ce qui confirme le handicap particulier des jeunes ouvriers en matière d’accès à l’emploi.

Les jeunes ouvriers de l’industrie obtiennent une meilleure rémunération et se sentent plus accomplis

Entamer sa carrière et, plus encore, la poursuivre comme ouvrier de l’industrie fournit un net avantage salarial. Les ouvriers de l’industrie au premier et au dernier emploi obtiennent un salaire plus élevé au bout de cinq ans que ceux des autres profils. Leur salaire net mensuel s’élève à 1 491 € en moyenne, il est donc 10 % plus élevé que celui des ouvriers hors industrie et 20 % plus élevé que celui des employés.

Figure 5. Salaire net mensuel par profil de jeunes de la Génération 2010 après cinq ans de vie active

De même, travailler dans un secteur industriel procure un avantage significatif pour accéder à un poste qualifié. Les ouvriers de l’industrie occupent en effet plus souvent des postes qualifiés, par comparaison avec les ouvriers hors industrie, indépendamment de la spécialité de leur diplôme : 63 % des ouvriers de l’industrie ayant un Bac professionnel ont un poste qualifié contre 16 % des ouvriers hors industrie ayant le même niveau de diplôme.

On note enfin un écart en matière d’épanouissement au travail. Les ouvriers de l’industrie sont plus nombreux que les ouvriers hors industrie à déclarer se réaliser professionnellement. Plus précisément, 80 % des ouvriers de l’industrie au premier et au dernier emploi disent se sentir accomplis professionnellement, contre 73 % des ouvriers hors industrie et 81 % des employés. Sur la base de travaux économétriques8, on met en évidence le fait que détenir un diplôme de spécialité industrielle (de niveau V, IV ou III), occuper un CDI, bénéficier d’une longue expérience professionnelle et travailler dans une grande entreprise sont autant de facteurs qui renforcent ce sentiment d’accomplissement professionnel.

  • 6 – Céreq (2014). Enquête 2013 auprès de la Génération 2010. Face à la crise, le fossé se creuse entre niveaux de diplôme. Bref du Céreq.
  • 7 – Insee (2016). Estimations d’emploi par zone d’emploi et secteur d’activité de 1988 à 2015.
  • 8 – Dupray A. & Sulzer E. (2017). Les débuts de carrière des jeunes ouvriers de l’industrie, enseignements du dispositif Génération. Rapport pour La Fabrique de l’industrie.
Chapitre 2

L’intérim et l’apprentissage, deux modes d’accès à l’industrie

L’intérim est un mode d’accès fréquent à un emploi dans l’industrie

Dans l’ensemble, 53 % des jeunes ouvriers (de l’industrie et hors industrie) ont débuté comme intérimaires dans leur premier emploi. Plusieurs indices laissent supposer que les employeurs industriels ont une appétence particulière pour cette forme de contrat. Ainsi, parmi les jeunes ouvriers qui travaillent dans l’industrie dans leur premier emploi et qui n’y restent pas, on compte jusqu’à 71 % d’intérimaires au premier emploi et seulement 19 % au dernier. Ceux qui sont ouvriers de l’industrie au premier et au dernier emploi affichent les proportions d’intérimaires les plus stables : 55 % d’intérimaires au premier emploi et 39 % au dernier. Certes, les ouvriers hors industrie débutent également souvent comme intérimaires (dans 70 % des cas), mais cette proportion tombe à 30 % au bout de cinq ans. Enfin, le statut d’intérimaire (au dernier emploi) semble très rare parmi les jeunes employés.

Ces statistiques sont plus élevées que pour l’ensemble des jeunes diplômés du secondaire en 2010 : 17 % des diplômés du secondaire toutes spécialités confondues étaient intérimaires dans leur premier emploi, cette part atteignant 28 % chez les diplômés d’un Bac pro industriel9. Ils ne sont plus que 13 % de diplômés d’un Bac pro industriel à travailler en intérim après trois ans de vie active.

Figure 6. Part des intérimaires au premier et au dernier emploi parmi les jeunes de la Génération 2010

On peut également noter que les jeunes ouvriers intérimaires dans leur dernier emploi sont en moyenne moins diplômés que l’ensemble des jeunes ouvriers : la part des non-diplômés y est de 34 % contre 26 % pour l’ensemble. Ils sont également moins souvent titulaires d’un diplôme industriel que l’ensemble des jeunes ouvriers et détiennent plus fréquemment un Bac professionnel ou technologique dans une spécialité tertiaire. Cela laisse supposer que le statut d’intérimaire fonctionne comme un sas, d’où sortent d’abord les jeunes les plus recherchés par les employeurs.

L’apprentissage favorise l’employabilité des jeunes

Un jeune sur quatre ayant un premier emploi dans l’industrie est issu de l’apprentissage, qu’il soit ouvrier ou non (technicien, ingénieur…). Parmi les ouvriers, l’apprentissage facilite l’accès à un poste qualifié : huit jeunes sur dix issus de l’apprentissage et débutant dans l’industrie obtiennent un premier emploi qualifié contre sept sur dix pour l’ensemble des jeunes débutant dans l’industrie (alors que les ouvriers non-apprentis ont en moyenne un niveau d’études plus élevé). Cet avantage est encore plus marqué pour les ouvriers hors industrie.

L’apprentissage favorise par ailleurs l’accès à un emploi stable pour les ouvriers, en réduisant le taux de recours à l’intérim. En effet, 55 % des ouvriers ex-apprentis sont intérimaires au premier emploi, contre 65 % pour l’ensemble des jeunes ouvriers. Ces ex-apprentis sont très présents dans les TPE et les PME, probablement dans les entreprises qui les ont le plus souvent formés.

Une étude de l’Observatoire régional de l’emploi et de la formation (OREF), réalisée à partir des données de l’enquête Génération 2004, confirme une meilleure insertion professionnelle des jeunes issus de l’apprentissage10 : 88 % des apprentis sont en emploi trois ans après la fin de leur formation initiale, contre 75 % des jeunes issus de la voie scolaire. Le taux de chômage après trois ans de vie active est logiquement inférieur pour les apprentis : 8 % contre 13 % pour les scolaires.

L’apprentissage a un impact modéré sur le salaire

À niveau de diplôme donné, après trois ans de vie active, les apprentis ont un salaire plus élevé que les jeunes issus de la voie scolaire, tous secteurs et métiers confondus (pour la Génération 2004 et la Génération 2010)11.

Toutefois, dans le cas particulier des jeunes ouvriers de l’industrie, le fait de travailler dans le secteur industriel fournit un avantage salarial plus net que celui de l’apprentissage. En effet, les ouvriers ex-apprentis de l’industrie ont un salaire 6 % plus élevé au premier emploi et 11 % plus élevé, après sept ans de vie active, que les ouvriers ex-apprentis hors industrie.

Si l’on compare maintenant, au sein de l’industrie, le parcours des ex-apprentis avec celui des jeunes ouvriers issus de la voie scolaire, la plus-value de l’apprentissage est compensée par le poids important des qualifications de niveau V dans ce groupe. De sorte que, en moyenne, les ouvriers ex-apprentis de l’industrie présentent un salaire 5 % inférieur à celui des ouvriers de l’industrie issus de la voie scolaire lors de leur premier emploi et seulement 2 % inférieur après sept ans de vie active.

En revanche, parmi les bacheliers et les diplômés du supérieur, la plus-value de l’apprentissage est de nouveau très nette.

Figure 7. Revenu mensuel moyen pour les ouvriers de l’industrie issus de l’apprentissage et de la voie scolaire de la Génération 2004 et interrogés après sept ans de vie active

  • 9 – Céreq (2013). Génération 2010 : l’insertion des sortants de l’enseignement secondaire (consulté le 26 avril 2018). http://www.cereq.fr/articles/Enquete-Generation/Enquete-Generation-2010- l-insertion-des-sortants-de-l-enseignement-secondaire
  • 10 – OREF Île-de-France (2009). L’Insertion professionnelle des jeunes sortant de l’apprentissage et de la voie scolaire en Île-de-France, Exploitation de l’enquête « Génération 2004 » du Céreq. Rapport d’études.
  • 11 – Céreq (2016). Insertion des apprentis : un avantage à interroger. Bref du Céreq.
Chapitre 3

La plus-value des diplômes industriels pour les jeunes ouvriers

Le diplôme a un rôle déterminant pour accéder à un poste d’ouvrier qualifié

Posséder un diplôme dans une spécialité industrielle (qu’il s’agisse d’un CAP-BEP, d’un Bac professionnel ou d’un BTS-DUT) permet aux jeunes ouvriers d’occuper plus fréquemment un poste qualifié au dernier emploi dans l’industrie.

La différence est plus marquée pour les détenteurs d’un Bac professionnel et d’un CAP-BEP que pour les détenteurs d’un BTS-DUT.

Plus précisément, 64 % des ouvriers de l’industrie ayant un CAP-BEP dans une spécialité industrielle occupent un poste d’ouvrier qualifié au dernier emploi, contre 59 % pour les ouvriers de l’industrie ayant un CAP-BEP dans une autre spécialité. Cet écart est de 17 points pour les ouvriers de l’industrie ayant un diplôme de niveau Bac professionnel et il n’est plus que de trois points pour les ouvriers de l’industrie ayant obtenu un BTS-DUT.

Le Bac professionnel ou technologique dans une spécialité industrielle se révèle donc être le diplôme le plus approprié pour travailler en tant qu’ouvrier qualifié de l’industrie : 80 % des ouvriers de l’industrie possédant ce diplôme occupent un poste qualifié au dernier emploi, contre 64 % des ouvriers ayant un CAP-BEP industriel et 73 % des ouvriers ayant un BTS-DUT industriel.

Figure 8. Part des ouvriers qualifiés au dernier emploi, issus de la Génération 2010, par niveau de diplôme et spécialité

Un diplôme à spécialité industrielle favorise le passage au statut d’ouvrier qualifié

Le diplôme semble également jouer un rôle déterminant dans la promotion au poste d’ouvrier qualifié après cinq ans de vie active. Parmi les ouvriers de l’industrie de la Génération 2010, 40,5 % des ouvriers non qualifiés au premier emploi devenus ouvriers qualifiés cinq ans plus tard ont un diplôme de niveau V ou IV dans une spécialité industrielle, quand 8 % d’entre eux ont un Bac+2 (BTS ou DUT) industriel.

Cette influence du diplôme sur la montée en qualification des jeunes ouvriers de l’industrie de la Génération 2010 est plus perceptible que pour les jeunes de la Génération 2004. En effet, 23,5 % des ouvriers de l’industrie de la Génération 2010 qui ont gardé un poste non qualifié durant cinq ans ont un diplôme de niveau V ou IV dans une spécialité industrielle, contre 37 % des ouvriers de l’industrie de la Génération 2004.

Un diplôme dans une spécialité industrielle permet d’obtenir un salaire plus élevé

Le fait d’avoir un diplôme et un métier industriels fournit globalement un avantage salarial. Parmi les titulaires d’un diplôme de niveau V ou IV, les ouvriers hors industrie obtiennent un salaire nettement moins élevé que les ouvriers de l’industrie. Cet avantage s’efface pour les ouvriers diplômés de niveau Bac+2.

Dans tous les cas, les ouvriers de l’industrie possédant un diplôme dans une spécialité industrielle ont une rémunération plus élevée que ceux ayant un diplôme de même niveau dans une spécialité tertiaire.

Cet avantage est tellement prononcé que le revenu moyen obtenu, après cinq ans de vie active, par un ouvrier de l’industrie ayant un Bac professionnel dans une spécialité industrielle est plus élevé que celui des autres profils ouvriers de même niveau de qualification et également supérieur à celui des ouvriers diplômés d’un Bac+2. Un ouvrier de l’industrie avec un Bac pro industriel bénéficie d’une rémunération 3 % plus élevée qu’un ouvrier possédant un CAP-BEP industriel et 6 % plus élevée qu’un ouvrier ayant un BTS-DUT industriel.

Tant en matière de qualification que de salaire, les emplois d’ouvriers de l’industrie semblent, d’une part, avantager les jeunes dont les diplômes et spécialités sont les plus ajustés et, d’autre part, ne pas accorder un bonus spécifique à ceux qui disposent d’un diplôme de niveau Bac+2 leur permettant d’aspirer à un emploi de technicien.

Figure 9. Revenu net mensuel moyen des ouvriers de l’industrie et hors industrie sortis en 2010 et interrogés à cinq ans, par niveau de diplôme et spécialité

Conclusion

Comment expliquer que certains métiers, notamment industriels, soient considérés « en tension » alors que les recruteurs ont le sentiment d’offrir des métiers attractifs et qu’un grand nombre de jeunes sont au chômage ?

Dans ce rapport, nous suivons les débuts de carrière des jeunes ouvriers passés par l’industrie à la sortie du système éducatif pour détecter l’attractivité des opportunités qui leur sont offertes ainsi que les difficultés rencontrées dans leur parcours.

Les débuts de carrière des jeunes ouvriers demeurent globalement compliqués. Parmi ceux ayant travaillé au moins une fois dans l’industrie en cinq ans, un quart seulement des jeunes ouvriers y étaient au premier emploi et au dernier emploi. Ces jeunes, les plus fidèlement attachés aux métiers industriels, ont tout de même passé en moyenne 15 mois au chômage sur cinq ans, ce qui représente 25 % du temps. Même si les métiers industriels offrent des avantages manifestes, ils ne parviennent pas à effacer totalement les difficultés d’insertion professionnelle des jeunes ouvriers aujourd’hui.

Il est toutefois incontestable que les métiers industriels offrent davantage d’opportunités d’insertion que les métiers hors industrie. Le taux en emploi à cinq ans des jeunes ouvriers de l’industrie est plus élevé que celui des ouvriers hors industrie : 84 % des jeunes ayant débuté en tant qu’ouvriers de l’industrie sont toujours en emploi après cinq ans de vie active, contre 66 % des ouvriers hors industrie. Les ouvriers de l’industrie ont aussi passé plus de temps en emploi sur cinq ans et obtiennent une meilleure rémunération que les ouvriers hors industrie (environ 10 % plus élevée). Enfin, ils accèdent plus fréquemment à un poste qualifié.

En outre, être titulaire d’un diplôme à spécialité industrielle facilite l’accès à un poste d’ouvrier qualifié et permet d’obtenir un salaire plus élevé. L’apprentissage offre lui aussi une plus-value : les jeunes ouvriers issus de l’apprentissage accèdent plus facilement à un poste qualifié et stable en début de carrière.

Le nombre total de jeunes ouvriers passant par l’industrie est pourtant en diminution : les jeunes sortis du système éducatif en 2010 et ayant occupé un poste d’ouvrier de l’industrie au cours de leurs cinq premières années de vie active étaient deux fois moins nombreux que les jeunes sortis en 2004. Ce recul est dû à la fois à une diminution des opportunités d’emploi dans l’industrie – peut-être provisoirement aggravée par la crise – et à un déficit d’image des métiers industriels, qui prive probablement les entreprises de profils auxquels elles pourraient offrir des carrières plus attractives encore.

Annexe 1 – Méthodologie

Chaque enquête « Génération » comprend plusieurs interrogations. La première interrogation a lieu trois ans après la sortie du système éducatif. Les interrogations suivantes ont lieu après cinq et sept ans de vie active. Dans le cadre de cette analyse, nous exploitons les données issues des interrogations à trois, cinq et sept ans pour la Génération 2004 et les données issues des interrogations à trois et cinq ans de vie active pour la Génération 2010. 65 000 jeunes ont répondu à la première interrogation à trois ans de la Génération 2004 et 33 000 jeunes ont répondu à la première interrogation à trois ans de la Génération 2010.

Figure 10. Calendrier des deux enquêtes « Génération » exploitées dans cette étude

Le questionnaire aborde différentes thématiques : le parcours scolaire (incluant les diplômes et spécialités), les séjours à l’étranger, l’expérience du travail en cours de scolarité (stage ou emploi), les perspectives professionnelles, l’évolution du mode d’habitation, les caractéristiques individuelles et la situation familiale, le sentiment de discrimination, les situations d’emploi et de non-emploi.

Le questionnaire intègre la réalisation d’un calendrier professionnel mois par mois décrivant le parcours de l’enquêté depuis la fin des études et retraçant les différentes périodes successives d’emploi et de non-emploi. Le calendrier permet d’identifier six situations : deux situations d’emploi (en intérim ou en entreprise), une situation en recherche d’emploi, une situation de reprise d’études, une situation de formation et une situation pour tous les autres cas (par exemple pour un emploi de vacances). Une séquence correspond à une de ces six situations pendant un nombre entier de mois.

L’enquêté décrit successivement l’ensemble des séquences d’emploi et de non-emploi en commençant par celle qui débute à la fin des études et en terminant par la séquence actuelle à la date de l’enquête.

Dans le cadre de cette étude, nous nous intéressons aux parcours des jeunes ayant répondu être passés par l’industrie en tant qu’ouvriers lors des interrogations de la Génération 2004 et de la Génération 2010. L’échantillon interrogé dans l’enquête « Génération 2004 » compte 2 878 jeunes passés par l’industrie en tant qu’ouvriers et l’enquête « Génération 2010 » en compte 1 024.

Annexe 2 – Diplômes et niveaux de qualification

Annexe 3 – Profils d’ouvriers

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Caroline Mini, Ce que l’industrie offre aux jeunes ouvriers, Enseignements statistiques, Paris, Presses des Mines, Les Docs de La Fabrique, 2018.
ISBN : 978-2-35671-533-3

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