Crise énergétique en Europe et protectionnisme américain – La réindustrialisation compromise ?

Crise énergétique en Europe et protectionnisme américain – La réindustrialisation compromise ?

 

Remerciements

Nous tenons à remercier toutes les personnes que nous avons rencontrées et interrogées dans le cadre de ce travail, pour le temps qu’elles nous ont accordé et pour leurs témoignages et analyses qui ont permis d’étayer notre réflexion.

Une première version des résultats contenus dans cette Note a été présentée dans un Working Paper, publié début avril 2023. Plusieurs relecteurs nous en ont adressé des retours critiques, précieux pour notre travail, et nous les en remercions tout particulièrement.

Cette étude a été menée en étroite collaboration avec le cabinet parisien d’Oliver Wyman, et notamment avec Marc Boilard, que nous remercions vivement pour sa confiance, son implication et ses analyses.

Oliver Wyman n’assume aucune responsabilité à l’égard d’une tierce personne pour ce qui est de toute action entreprise ou décision prise sur la base des résultats, conseils ou recommandations figurant dans ce rapport.

Résumé

Les entreprises industrielles se heurtent aujourd’hui, en France et en Europe, à trois menaces qu’elles perçoivent comme complémentaires et qui ont toutes à voir avec la problématique de la décarbonation de l’industrie : le maintien à des prix durablement élevés de l’énergie en Europe, la mise en place prochaine du MACF, le mécanisme d’ajustement carbone aux frontières de l’Union européenne (et la suppression afférente des quotas gratuits d’émissions de CO2), et l’instauration d’aides aux entreprises, particulièrement attractives aux États-Unis dans le cadre de l’IRA (Inflation Reduction Act). Le propos de ce document est d’estimer, de manière qualitative et quantitative, l’ampleur de chacune de ces menaces, traduites en emplois exposés, pour chacun des secteurs industriels français.

Dans l’ensemble, nous estimons que près de 145 000 emplois industriels sont aujourd’hui menacés en France par ces trois phénomènes conjugués (tous les chiffres de ce document s’entendent en effectifs salariés en équivalent temps plein, sur le périmètre statistique de l’industrie manufacturière). Il s’agit d’une appréciation d’ensemble des emplois directement menacés ; cela ne comprend ni les destructions indirectes et induites d’emplois, ni les créations qui pourraient se manifester dans d’autres secteurs ou dans d’autres pays (typiquement si le fruit du MACF est réinvesti dans l’économie ou si les distributeurs d’énergie réinvestissent une part de leurs profits), ou même dans l’industrie manufacturière si d’autres décisions sont prises entre-temps (par exemple un programme de relance du nucléaire). L’enjeu de ce travail n’est pas de savoir si la décarbonation de l’économie européenne créera plus d’emplois qu’elle n’en détruira, ou inversement, mais de braquer un projecteur particulier sur la situation des secteurs industriels, dont tout le monde s’accorde à souligner l’importance aujourd’hui.

Un premier angle de lecture de ces résultats consiste à les discriminer par type de risque. Plus de 80 % de ces emplois menacés (116 000) le sont du fait d’un doublement durable des prix de l’énergie en Europe tandis qu’ils demeurent stables dans le reste du monde. Ce problème est déjà réel et nos travaux montrent qu’il est le plus important. En d’autres termes, c’est l’urgence première.

Le solde (28 000 emplois) résulte des conséquences négatives de la mise en place du MACF, plus particulièrement de la suppression des quotas gratuits sur le SEQE, le système d’échange des quotas d’émissions de l’UE. Ce résultat est une anticipation de ce qui est susceptible de se produire lorsque les quotas seront totalement payants, dans l’hypothèse d’un quota à 100 € par tonne de CO2 et de volumes d’émissions industrielles identiques à ceux qui ont été relevés en 2019. C’est donc également un sujet de préoccupation, qui prendra cependant un peu plus de temps à se concrétiser.

La troisième menace, en l’occurrence l’IRA, est non seulement à plus long terme encore mais surtout putative, de sorte qu’il n’y a pas de volume d’emplois menacés à ajouter aux précédents. Si les espérances américaines sont comblées, l’IRA pourrait créer de l’ordre de 1,5 million d’emplois en dix ans aux États-Unis. Toutefois, dans la plupart des secteurs concernés, aucune raison apparente ne permet de redouter que ces créations d’emplois outre-Atlantique occasionnent en Europe des destructions d’emplois supplémentaires. Cet ordre de grandeur doit donc plutôt être interprété comme une confirmation des résultats précédents : la quote-part française de ce que serait un « effet IRA » en Europe serait, là encore, d’environ 150 000 emplois, mais ce sont bien les mêmes que les précédents. En raison des conditions de marché que l’IRA établit aux États-Unis, et sans susciter d’effet direct additionnel, ce paquet de mesures vient rendre particulièrement tangibles pour l’emploi européen les deux menaces que représentent le maintien de tarifs élevés et peu lisibles de l’énergie, d’une part, et une fiscalité non compensée du carbone, d’autre part.

Soulignons également que ces emplois menacés en France (et par extension en Europe) sont de deux sortes. Dans chaque cas, tant pour les prix de l’énergie que pour le MACF, une partie seulement des pertes d’emplois sont directement associées à la détérioration de la compétitivité prix et à la baisse subséquente de la demande adressée à l’industrie française. Dans l’ensemble, un grand nombre d’entreprises n’auront pas la possibilité de répercuter dans leurs prix les surcoûts d’énergie ni le coût carbone envisagés. Ceux-ci se traduisent donc d’abord par une détérioration des marges des entreprises concernées. Cette moindre profitabilité pèse, plus encore que la perte de compétitivité prix, sur l’investissement et l’emploi… tout particulièrement si les États-Unis déploient à travers l’IRA des conditions très attractives pour les investisseurs.

Une autre manière de lire ces résultats consiste à les détailler par secteur. L’effet total de ces trois menaces sur l’industrie manufacturière française pourrait être considéré comme contenu (de l’ordre de 6 % des effectifs salariés ETP sur le même périmètre). Mais ce serait oublier la très grande hétérogénéité sectorielle à cet égard. Les secteurs les plus énergo-intensifs, à commencer par la métallurgie, l’industrie du papier carton et la chimie, apparaissent ainsi exposés à des niveaux de risque tout à fait majeurs. On parle d’une proportion de l’emploi menacé qui atteint respectivement 27 %, 20 % et 15 % dans ces secteurs !

D’ailleurs, ce travail aboutit à l’idée contre-intuitive que les secteurs les plus menacés par le MACF sont précisément ceux que ce mécanisme est supposé protéger. L’effet de contagion aux secteurs aval est réel, mais pas aussi lourd que le tribut payé par les producteurs de matières premières dont la compétitivité et la profitabilité se trouvent dégradées.

Pour finir, ce tableau statistique nous livre deux questions. La première consiste à se demander ce que peut devenir l’industrie européenne si elle reste aussi intensément tiraillée entre l’amont des chaînes de valeur (producteurs d’acier, d’aluminium, de verre…) soumis à des contraintes de prix intenables et un « corps » plus ou moins capable d’en encaisser les contrecoups. Que reste-t-il alors de cette idée de solidarité le long des filières et de l’idéal de souveraineté industrielle ? La seconde question vient à la suite de la première et s’énonce plus simplement encore : comment l’Europe peut-elle espérer réduire son empreinte carbone en pareille situation, et éviter des fuites de carbone massives, si elle ne parvient pas à stabiliser la situation sur le marché de l’énergie ?

Introduction

Élevée au premier rang des priorités au lendemain de la crise sanitaire du Covid-19, la réindustrialisation des économies européennes est aujourd’hui mise à rude épreuve. En effet, les entreprises industrielles doivent désormais composer avec un contexte économique et géopolitique incertain, laissant craindre en Europe une nouvelle vague de désindustrialisation. Plus précisément, trois menaces sont aujourd’hui identifiées par la plupart des parties prenantes : la hausse des prix de l’énergie, la mise en place par l’Union européenne (UE) du mécanisme d’ajustement carbone aux frontières (MACF) et l’adoption de l’Inflation Reduction Act (IRA) aux États-Unis.

Premièrement, à la mi-2022, les prix de l’électricité et du gaz ont atteint des niveaux records sur les marchés spot en Europe, une situation inédite qui découlait elle-même de la conjonction de trois éléments. D’une part, le rebond économique de 2021 qui a suivi la crise sanitaire s’est poursuivi en 2022, augmentant partout dans le monde les besoins en sources d’énergie et leurs prix. D’autre part, l’invasion de l’Ukraine par la Russie en février 2022 a marqué le début d’une crise énergétique majeure en Europe : sur fond de fortes tensions géopolitiques entre la Russie et l’Union européenne, l’arrêt soudain des livraisons du gaz russe a entraîné l’envolée des prix du gaz, révélant au passage la forte dépendance énergétique du Vieux Continent. Enfin, le design propre au marché européen de l’électricité – dans lequel le prix de l’électricité est de facto corrélé à celui du gaz – ainsi que l’indisponibilité partielle du parc nucléaire français pour cause de maintenance ont achevé de renforcer l’inflation des prix de l’électricité, tout particulièrement en France (Mini et Bordigoni, 2022).

Deuxièmement, cette hausse des prix de l’énergie coïncide avec la mise en place progressive du mécanisme d’ajustement carbone aux frontières (MACF) de l’Union européenne. Cet outil, conçu pour protéger les entreprises européennes du dumping environnemental extérieur, n’est pas intrinsèquement menaçant. Mais il induit nécessairement la suppression des quotas gratuits d’émissions de CO2 jusqu’à présent accordés aux sites les plus émetteurs en Europe pour que leur décarbonation (i. e. la réduction année après année du plafond des quotas) ne se fasse pas au détriment de leur compétitivité. Désormais « protégées » par le MACF, ces entreprises devront bientôt payer leurs quotas au prix fort, tandis que ce nouveau rempart vendu sur plan leur semble à l’examen bien fragile et aisément contournable. Les principaux secteurs émetteurs, tout comme leurs clients directs, expriment donc de fortes craintes que la mise en place du MACF ne soit pour eux un nouveau fardeau anti-compétitif important – et, pour les entreprises qui en auront la capacité, une incitation explicite à la délocalisation.

Troisièmement et enfin, c’est dans ce contexte mouvementé que les Européens ont appris la promulgation, par le président américain Joe Biden à l’été 2022, de l’Inflation Reduction Act (IRA). Cet ambitieux programme de dépenses fédérales, ouvertement protectionniste, vise à encourager la décarbonation de l’industrie et la production d’énergie propre aux États-Unis, par de généreuses aides aux entreprises. Celles-ci sont si massives et si aisées à obtenir – pour peu que les étapes de production soient localisées sur le sol américain –, que de nombreux industriels français craignent de voir l’Europe privée de moyens d’investir dans sa propre décarbonation, alors même qu’elle est le continent qui pénalise le plus fortement les émissions aujourd’hui. Son industrie en sortirait donc doublement fragilisée.

Prenant acte de ce contexte, cette Note cherche à évaluer le risque que fait peser sur l’industrie française chacun de ces trois éléments. Elle repose sur un travail d’estimation des volumes d’emplois industriels menacés en France, dans le cadre d’hypothèses qui s’énoncent simplement : doublement du prix de l’électricité, doublement du prix du gaz et introduction immédiate du MACF avec un prix de la tonne de CO2 à 100 euros. Tous les volumes d’emplois menacés estimés dans ce travail s’expriment en effectifs salariés en équivalent temps plein (ETP). Une série d’entretiens avec des représentants des principales filières industrielles concernées vient compléter le travail, qu’elle éclaire de nombreux retours du terrain.

Son originalité est de présenter ces estimations séparées et additionnables, afin de mieux cerner l’importance relative de ces trois menaces, très souvent évoquées de manière indistincte aujourd’hui. Qui plus est, ce travail est réalisé pour chacune des divisions industrielles de la nomenclature d’activités française, afin de bien mesurer à quel point celles-ci sont affectées de manière très hétérogène. Cette Note vise ainsi à alimenter le débat public en cours sur ces sujets. Elle s’inscrit dans la continuité de travaux antérieurs1, dont elle propose un prolongement et une actualisation. Cette Note fait notamment suite à notre Working Paper publié en avril 2023, auquel elle apporte des compléments d’analyse et affine les résultats d’estimation.

Il est important de signaler que ce travail d’estimation ne repose pas sur un modèle « bouclé ». En d’autres termes, il cherche à estimer le risque pesant sur l’activité et l’emploi industriels à court terme. Les destructions d’emplois mises au jour dans ce travail pourront s’accompagner d’autres encore, réparties cette fois sur l’ensemble des secteurs d’activité : des destructions indirectes et induites découlant du choc d’offre, ainsi que d’autres pertes d’emplois découlant d’un affaiblissement de la demande en réaction à l’inflation. Elles seront aussi compensées par des créations d’emplois, dans d’autres secteurs et dans d’autres pays : par exemple du fait du réinvestissement de leurs marges par certains fournisseurs d’énergie, ou dans l’hypothèse où les recettes du MACF seraient réinvesties dans l’économie. Le présent travail constitue donc un éclairage volontairement partiel de la situation des secteurs industriels français, négativement impactés par ces trois phénomènes étudiés.

Au risque de nous répéter, soulignons ici que l’objet de cette Note n’est pas de répondre définitivement à la question de savoir si la décarbonation de l’économie européenne créera plus d’emplois qu’elle n’en détruira, ou inversement, ni même si elle a des chances de réussir en économie ouverte. Le but de ce travail est de cerner l’ampleur respective des risques qui pèsent aujourd’hui sur les différents secteurs industriels français, dont tout le monde s’accorde à souligner le rôle indispensable dans le rétablissement d’une souveraineté économique, et dont il est certain qu’ils sont grandement fragilisés.

Le premier chapitre propose un tour d’horizon du contexte et une présentation des trois menaces qui pèsent sur l’industrie française et européenne. Le deuxième chapitre détaille l’estimation des effets attendus des prix élevés de l’énergie en Europe sur l’activité industrielle française. Le troisième chapitre traite des effets collatéraux de la mise en place du MACF sur les industriels français. Le quatrième chapitre examine, sur un mode plus qualitatif, les effets possibles de l’IRA sur l’investissement industriel en France et en Europe.

  • 1. Voir notamment Insee (2022) sur la perception des effets de la crise énergétique par les entreprises industrielles, Rexecode (2022) sur l’exposition des secteurs d’activité à la hausse des prix de l’énergie, Allianz (2023) sur l’effet de cette crise sur la profitabilité des entreprises, Muller et al. (2019) et Sartor et Sourisseau (2022) concernant les effets à attendre du MACF sur l’emploi, et Bouët (2023) sur les effets à redouter de l’IRA.
Chapitre 1

L’industrie française face à une conjoncture inédite

Marquée par une très forte hausse des coûts de l’énergie en Europe, l’année 2022 a soufflé comme un coup de grisou sur les espoirs de réindustrialisation de la France. Il faut dire que, à cette augmentation des prix des intrants énergétiques, se sont depuis ajoutées la perspective d’une suppression des quotas gratuits d’émissions de CO2 (dans le cadre de l’instauration du MACF, le mécanisme européen d’ajustement carbone aux frontières) ainsi que la mise en œuvre de l’Inflation Reduction Act aux États-Unis, particulièrement attractive pour les industries en voie de décarbonation. Trois menaces conjuguées qui font, plus que jamais, douter les parties prenantes de la possibilité de rebâtir une industrie française forte et décarbonée.

Des prix de l’énergie durablement élevés en Europe

L’évolution des prix de l’énergie constitue un sujet de préoccupation de premier plan pour les entreprises industrielles. En France, l’industrie hors production d’énergie représente à elle seule 25 % de la consommation finale d’électricité et 35 % de la consommation finale de gaz naturel2.

Des prix de l’énergie records en 2022

En 2022, les prix de l’énergie ont bondi de façon inédite sur les marchés spot, atteignant au courant de l’été des niveaux records (Mini et Bordigoni, 2022). Sur fond de guerre en Ukraine et de vives tensions avec la Russie, l’Europe s’est vue privée de ses approvisionnements en gaz russe, ce qui a instantanément perturbé le marché européen du gaz. Comme l’explique Bernard Clément, directeur général de l’association française des entreprises et professionnels au service des énergies Evolen, « la spécificité du gaz est que les infrastructures et les usines tournent à pleine capacité ; toutes les quantités produites sont déjà vendues et démarchées. Ceci a donc créé, au moment de l’arrêt du gaz russe, une tension très forte. »

Dans ce contexte, l’Europe a réussi à substituer au gaz russe du gaz naturel liquéfié (GNL). Comme le reconnaît Luc Benoit-Cattin, président de France Chimie, « l’Europe a obtenu une belle réussite en parvenant à sécuriser son approvisionnement en gaz tout en s’affranchissant très rapidement de la Russie ». Pour autant, cela s’est fait moyennant des prix d’approvisionnement plus élevés. En pratique, l’Europe a racheté, avec une surcote, du gaz originellement destiné aux pays d’Asie qui pouvaient se reporter sur le charbon ; mais les capacités mondiales de production de gaz n’ont pas changé.

L’inflation énergétique ne s’est pas cantonnée aux prix du gaz. Elle s’est également diffusée au marché de l’électricité en raison notamment du market design en vigueur en Europe qui, dans les faits, corrèle partiellement les prix de l’électricité aux prix du gaz (Mini et Bordigoni, 2022). Au pic de la crise énergétique, les prix de l’électricité ont ainsi atteint des niveaux jusqu’à dix fois supérieurs à leur moyenne d’avant-crise. En France, l’indisponibilité d’une partie du parc nucléaire pour cause de maintenance ainsi que des phénomènes spéculatifs alimentés par une forte anticipation de pénurie au tournant de l’hiver 2022-2023 ont aggravé quasiment d’un facteur deux cette inflation sous-tendue par les prix du gaz (Mini et Bordigoni, 2022).

Une mise à l’arrêt des activités les plus intensives en énergie

À l’échelle microéconomique, la crise énergétique a indéniablement fragilisé certaines entreprises industrielles européennes, parfois jusqu’à mettre en jeu leur survie. Les prix inédits de l’énergie placent en effet les industriels face à l’arbitrage suivant. Tous aimeraient idéalement répercuter leurs surcoûts énergétiques dans leurs prix de vente, quitte à voir leur compétitivité prix s’éroder. Cela ne tient que dans la mesure où leurs clients n’ont pas la possibilité de se reporter massivement sur la concurrence. Toutefois, ce point de rupture survient immanquablement, plus ou moins rapidement selon leur pouvoir de marché. Les entreprises doivent alors répercuter le reste du surcoût énergétique sur leurs marges, dégradant leur profitabilité et se privant ainsi d’une manne financière pour leurs investissements futurs.

Parfois, même cumulées, ces deux marges de manœuvre sont insuffisantes et les sites industriels, principalement dans les secteurs énergivores, doivent se résoudre à réduire, voire interrompre, leur production, le cas échéant en mettant une partie de leurs salariés au chômage partiel, le temps de traverser la crise. En France, cela a été le cas d’ArcelorMittal et d’Aluminium Dunkerque dans la métallurgie ou encore d’Imerys et de Yara dans la chimie.

Les industriels « très exposés » au choc de prix de l’énergie du deuxième semestre 2022

Publiée en novembre 2022, une enquête de conjoncture de l’Insee (Insee, 2022) a porté spécifiquement sur la perception par les industriels français de la crise énergétique et de ses effets sur les prix et les marges. Plus de la moitié des entreprises interrogées en novembre 2022 se sont dites particulièrement exposées à la hausse du prix de l’électricité parce qu’elles dépendaient soit d’un contrat à prix fixe arrivant à échéance fin 2022 ou courant 2023, soit d’un contrat indexé sur le prix de marché.

Les hausses anticipées des prix de l’énergie pour 2023 (avant un éventuel recours aux aides) étaient hétérogènes d’un secteur à l’autre mais en moyenne supérieures à 100 % (après des hausses estimées à 75 % en 2022). Dans ce contexte, les deux tiers des entreprises industrielles déclaraient leur intention de répercuter au moins en partie la hausse de leurs coûts énergétiques sur leurs prix de vente et plus d’un tiers anticipaient une réduction de leurs marges (choix pouvant être cumulatifs).

En parallèle, plus de la moitié des entreprises envisageaient d’engager des investissements pour réduire de manière pérenne leurs coûts énergétiques, une mesure qui relève toutefois d’une échéance de plus long terme.

Les choix de court terme envisagés par l’industrie française face à la crise énergétique

Source : Insee, enquête de conjoncture réalisée en novembre 2022.
Notes : question à choix multiples ; les résultats sont pondérés par rapport au chiffre d’affaires.

Figure 1.1 – Localisation des principales entreprises industrielles ayant suspendu leur activité en raison de la crise énergétique en 2022

Source : revue de presse sur le périmètre des entreprises adhérentes de l’Uniden (Union des industries utilisatrices d’énergie).

L’industrie du verre a également été durement touchée. Plusieurs de ces sites ont été pénalisés par l’arrivée à échéance de leurs contrats d’approvisionnement et par l’absence de couverture (hedge) contre les fluctuations de prix. Pour l’entreprise Aluminium Dunkerque par exemple, « cette brusque augmentation des coûts n’avait pas fait l’objet d’une couverture », affirme Guillaume de Goÿs, président d’Aluminium France. Il faut toutefois noter que, pour certains sites comme ArcelorMittal à Fos-sur-Mer, la décision de ralentir l’activité ne tenait pas seulement à la crise énergétique ; elle s’inscrivait dans un contexte déjà mal orienté de baisse de la demande.

Une perte de compétitivité pour l’industrie européenne

À l’échelle macroéconomique, la hausse des coûts de l’énergie est venue grever la compétitivité de l’industrie européenne, tandis que le choc a été bien plus modéré dans les autres zones du monde (États-Unis et Asie), moins dépendantes du gaz russe et alimentées par d’autres sources d’énergie (gaz de schiste, charbon, etc.).

Déjà en 2022, le déficit commercial de la France s’est dégradé sur le périmètre des biens manufacturés et les quatre secteurs industriels les plus énergivores (métallurgie, papier carton, chimie, produits minéraux non métalliques) ont subi tout à la fois une percée de la concurrence extra-européenne sur le marché intérieur et une baisse de la demande au grand export3. « Pour la première fois dans son histoire, l’Europe a affiché en 2022 une balance commerciale négative dans le segment de la chimie. Entre juin 2021 et juin 2022 (soit au pic de la crise), les importations européennes en provenance des États-Unis ont été multipliées par trois pour l’éthylène, par quinze pour l’ammoniac et par quatre pour le PVC. L’Europe a également accru ses importations depuis la Chine (d’un facteur trois pour l’ammoniac et d’un facteur deux pour le PVC) », alerte par exemple Luc Benoit-Cattin, président de France Chimie.

L’emploi industriel en sursis ?

Les effets de cette crise énergétique sur le tissu industriel sont d’autant plus difficiles à cerner que l’industrie française est restée créatrice nette d’emplois en 2022. Les fortes variations des prix de l’énergie suscitent donc de vives inquiétudes parmi les acteurs industriels et leurs clients, inquiétudes dont ils ne trouvent pas de traduction statistique sur le front de l’emploi. Ce constat nous a été confirmé par les représentants des filières industrielles. Ainsi, Philippe Contet, président de la Fédération des industries mécaniques (FIM) affirme que « l’industrie mécanique dans son ensemble a accru son chiffre d’affaires et ses effectifs entre 2021 et 2022, à une période où l’on prédisait plutôt l’hécatombe à cause de la flambée des prix de l’énergie ». De la même façon, Jacques Bordat, président de la Fédération des industries du verre (FIV), note qu’« en matière d’emploi, l’industrie du verre se place plutôt dans une optique de résilience ».

De deux choses l’une. Soit la crise énergétique n’affecte significativement qu’une fraction de l’industrie, quand la majorité des secteurs continue de tirer parti d’éléments de conjoncture favorables (relance mondiale, investissements publics…). Soit les effets négatifs de la crise n’ont porté que sur la fin de l’année 2022, et sont gommés par les bons résultats des premiers trimestres4. Selon certains observateurs, l’arrivée à échéance des contrats d’approvisionnement en énergie de nombreuses entreprises entre 2022 et 2023 laisse même suggérer une plus grande vulnérabilité des industriels dans les mois et les années à venir.

Une chose est certaine toutefois : les prix de l’énergie en Europe devraient se maintenir à des niveaux structurellement plus élevés qu’avant-crise – et plus élevés que dans les autres parties du monde – pour plusieurs années. Plus précisément, la substitution du gaz russe par du GNL alimente un biais haussier sur les prix du gaz pour plusieurs années. D’une part, le GNL est intrinsèquement plus cher que le gaz naturel acheminé par pipeline, puisqu’il intègre des coûts de liquéfaction, de transport et de gazéification. D’autre part, les capacités mondiales de production de gaz, aujourd’hui limitées, sont déjà sous tension. Comme l’indique le directeur général de l’association Evolen, « si le gaz russe reste indésirable, ces tensions vont perdurer jusqu’à ce que de nouvelles capacités de GNL soient construites. Quelques projets ont été lancés (Qatar, Mozambique, États-Unis, etc.), mais ils ne seront pas aboutis avant 2027-2028. » Les prix de l’électricité, de leur côté, sont appelés à suivre la même tendance haussière par le jeu du market design européen mais aussi du fait de l’augmentation attendue du coût du carbone.

Cette situation durable laisse planer un risque sur l’industrie européenne, risque que l’on cherche ici à caractériser. C’est l’objet de cette étude que d’aider le lecteur à mieux comprendre ce qui se joue et pour qui. On trouve dans la littérature économique des avis rassurants, rappelant qu’il existe d’autres moteurs puissants d’attractivité et de compétitivité en faveur de l’Europe (Bouët, 2023, au sujet des effets de l’IRA), qui contrastent cependant vigoureusement avec la « préoccupation majeure » dont ont témoigné certains représentants industriels. La question de l’énergie, comme nouveau talon d’Achille de l’industrie européenne à moyen terme, doit donc être étudiée de près.

Le MACF, un coup de poker risqué ?

En Europe, cette augmentation des prix de l’énergie survient dans un contexte où l’industrie est sommée d’accélérer sa décarbonation pour parvenir à la neutralité carbone. L’Union européenne et ses États membres se sont en effet engagés à atteindre cet objectif d’ici 2050, ainsi qu’une cible intermédiaire de réduction des émissions d’au moins 55 % d’ici à 2030 (par rapport à leur niveau de 1990). Pour soutenir la réalisation de ces objectifs, un paquet de douze propositions législatives, baptisé Fit for 55, a vu le jour. Elles définissent les actions concrètes à mettre en œuvre, dont l’extension du marché carbone et la mise en place d’un mécanisme d’ajustement carbone aux frontières (MACF)5.

Ce dernier mécanisme a vocation à donner un prix aux émissions de gaz à effet de serre contenues dans les produits importés depuis l’extérieur de l’Union européenne (autrement dit aux émissions dégagées lors de leur production) et à le faire payer par l’importateur européen sous la forme d’un « certificat MACF ». Dans sa première phase d’application qui commencera en 2026 après une période de transition à partir d’octobre 2023, le MACF couvrira les secteurs du fer et de l’acier, de l’aluminium, du ciment, des engrais, de l’électricité et de l’hydrogène ainsi que quelques produits métalliques (outillages).

Quoique sa description puisse laisser planer un doute à ce sujet, le MACF n’est pas un outil de politique commerciale ni de politique industrielle mais bien un instrument au service d’une ambition climatique. D’une part, il a vocation à réduire les émissions mondiales de carbone en limitant le dumping environnemental qui tient à l’asymétrie des politiques climatiques entre l’UE et ses partenaires. D’autre part, en internalisant le carbone dans la structure des coûts, le mécanisme incite les entreprises à réduire activement leur empreinte environnementale pour gagner en compétitivité sur le marché européen.

En matière de compétitivité justement, le MACF se doit d’être le plus neutre possible. À cet effet, sa mise en place s’accompagne, pour les secteurs industriels concernés, de la suppression progressive de la gratuité des quotas carbone dont ils bénéficiaient jusqu’à présent au sein du Système d’échange de quotas d’émissions de l’UE6 (voir encadré ci-après). Si les administrations s’en justifient en invoquant qu’une double protection de l’industrie européenne serait contraire aux règles de l’OMC, les doutes se multiplient quant à l’impact d’une telle réforme sur la compétitivité de l’industrie (Mini et Saïsset, 2021 ; Sartor et Sourisseau, 2022). La suppression des quotas gratuits apparaît en effet, du point de vue des industriels, déséquilibrée au regard de la couverture très partielle offerte en retour par le nouveau mécanisme, qui ne s’appliquera ni à l’export (entraînant une perte de compétitivité hors UE) ni aux importations des produits semi-finis (laissant craindre des possibilités de contournement menaçant l’industrie européenne).

Avant le MACF, le SEQE

Depuis 2005, l’Union européenne cherche à maîtriser les émissions de gaz à effet de serre de son industrie par le biais du Système d’échange de quotas d’émissions (SEQE-UE). Ce système consiste à plafonner puis à distribuer chaque année des quotas d’émissions de gaz à effet de serre pour les plus grandes installations carbo- intensives du territoire européen, relevant de la production d’électricité et de chaleur et des industries lourdes. En France, plus de 1 000 sites sont concernés sur un total de 11 000 à l’échelle européenne. En chiffrant et en abaissant chaque année le volume de quotas distribués, l’UE réduit ses émissions en conséquence.

En raison de la perte de compétitivité qu’il ferait peser sur l’industrie européenne relativement à la concurrence internationale, le SEQE-UE a toutefois prévu la gratuité des quotas pour les secteurs fortement exposés au risque de fuite de carbone (c’est- à-dire au risque de délocalisation de la production à l’extérieur des frontières de l’UE). C’est ainsi qu’en pratique les centrales de production d’électricité et les data centers (faiblement délocalisables) figurent aujourd’hui parmi les seules installations à payer totalement leurs quotas d’émissions sur le marché primaire du carbone. Les industries lourdes en sont plus ou moins partiellement exemptées, même si elles peuvent ensuite acheter et vendre une partie de leurs quotas sur le marché secondaire.

L’IRA, la riposte protectionniste des États-Unis

Entrée en vigueur le 16 août 2022, l’Inflation Reduction Act (IRA) est une loi fédérale américaine destinée à réduire le déficit budgétaire et à lutter contre l’inflation, tout en réalisant des investissements dans un éventail diversifié de solutions climatiques. Sur dix ans, l’IRA prévoit ainsi 369 milliards de dollars de dépenses d’investissement pour la transition énergétique et la lutte contre le changement climatique7. C’est ce dernier volet de la mesure qui en fait tant parler de notre côté de l’Atlantique. Assumant non seulement un interventionnisme budgétaire digne des plus grandes politiques industrielles mais également une approche explicitement protectionniste, l’IRA est depuis sa promulgation perçu dans toute l’Europe comme une menace potentielle pour la compétitivité et les emplois de l’industrie européenne (Vie publique, 2023).

Concrètement, ce plan de transition énergétique prévoit, entre autres, des réformes et des subventions favorisant les entreprises implantées aux États-Unis, notamment dans les secteurs des véhicules électriques et des énergies renouvelables. Les ménages américains peuvent ainsi profiter d’un crédit d’impôt allant jusqu’à 7 500 dollars pour l’achat d’un véhicule électrique neuf fabriqué aux États-Unis, au Canada ou au Mexique. Les entreprises américaines pourront également bénéficier de crédits d’impôt pour leurs investissements dans les véhicules électriques, mais également dans l’éolien, l’hydrogène vert, le stockage de carbone, le solaire, les biocarburants, les batteries… ainsi que dans la production des matériaux de base permettant de les produire. L’objectif de l’IRA est de stimuler la production américaine, en réimplantant localement divers stades de fabrication ; c’est la raison pour laquelle les industriels européens redoutent son contrecoup sur le Vieux Continent, où les perspectives sont en ce moment nettement plus moroses pour les secteurs les plus urgemment appelés à investir dans la décarbonation.

En pratique, l’IRA réserve les réductions d’impôt aux équipements ayant un contenu local minimal, avec des règles variant selon les produits. Par exemple, seuls les véhicules assemblés en Amérique du Nord (Mexique, États-Unis, Canada) sont éligibles à la réduction d’impôt, pénalisant dès lors les voitures fabriquées en Europe et en Asie. Les véhicules subventionnés par l’IRA doivent également être équipés de batteries fabriquées à partir de composants extraits ou transformés aux États-Unis ou dans des pays avec lesquels les États-Unis ont un accord de libre-échange, ce qui inclut la Corée du Sud mais exclut l’Europe. Par ailleurs, un contenu local minimal de 55 % sera exigé à partir de juillet 2024 pour les bornes de recharge électrique recevant des subventions. Des conditions similaires sont imposées pour les éoliennes et les panneaux solaires : leur acier et leur aluminium doivent obligatoirement avoir été produits aux États-Unis, et un contenu local minimal de 40 % est exigé pour les autres composants afin de pouvoir bénéficier totalement des crédits d’impôt.

Promouvoir le made in USA n’est pas nouveau. Ce principe date du Buy American Act signé par le président républicain Herbert Hoover en 1933, qui oblige le gouvernement fédéral à acheter des biens produits sur le sol américain. Des dérogations ont été octroyées à partir des années 1980, mais rien ne change en pratique : seulement 5 % des biens et services achetés par le gouvernement américain proviennent de l’étranger. Plus récemment, un nouvel élan a été donné au protectionnisme par Donald Trump à partir de 2017 et Joe Biden continue sur cette lancée en exigeant que les infrastructures publiques soient construites exclusivement avec des matériaux venant des États-Unis.

Le signal envoyé aux industriels – il faut produire sur le sol américain avec une main-d’œuvre américaine – a bien été perçu. D’ores et déjà, de nombreux projets privés se montent au Texas, en Californie, et dans le Midwest pour profiter des financements de l’IRA, pour certains après avoir abandonné des investissements en Europe. L’IRA interdit par ailleurs que les réductions d’impôt bénéficient aux importations.

Or, sur tous ces points, l’approche protectionniste de l’IRA est explicitement interdite par l’OMC. La Commission européenne pourrait donc déposer une plainte auprès de cette organisation, mais les chances de succès sont modestes en raison des dysfonctionnements actuels de cette institution (Bouët, 2023).

Les controverses autour de l’efficacité de l’IRA

L’IRA n’est pas sans soulever la controverse, y compris aux États-Unis. Les Républicains sont traditionnellement réservés, voire critiques, sur l’efficacité d’un programme de dépenses publiques, dont ils craignent que l’application entraîne des destructions d’emplois (Durante et al., 2022), quand les économistes doutent avec raison qu’il puisse atteindre tous ses objectifs à la fois: réduire le déficit, verdir l’économie américaine, relocaliser l’industrie et contrecarrer les puissances hostiles aux États-Unis.

De l’avis de tous les observateurs interrogés à ce jour, la grande force de l’IRA réside dans la clarté, la simplicité et la rapidité de son déploiement. Les principaux secteurs industriels bénéficiaires sont ceux de l’énergie et de l’automobile, mais également toutes les industries manufacturières cherchant à se décarboner, grâce notamment à l’introduction d’hydrogène dans leurs procédés et à la technologie CCUS (carbon capture, utilization and storage).

Pour financer ces mesures, le plan prévoit la création d’un impôt minimal de 15 % sur les bénéfices des grandes entreprises réalisant plus d’un milliard de dollars de bénéfices. Une taxe de 1% sur les rachats d’actions devait aussi être appliquée. Les effectifs de l’administration fiscale (IRS, Internal Revenue Service), qui baissaient depuis des années, devaient être augmentés pour renforcer les contrôles (Amsili, 2022). Tous les observateurs français ne sont pas unanimes sur la probabilité d’aboutir de cette partie de la loi ; à défaut, l’IRA serait financé par le déficit budgétaire américain.

Figure 1.2 – Équilibre budgétaire de l’IRA

Source : Senate Democratic Leadership (2022).

En parallèle, les Européens réfléchissent également à des interventions complémentaires. Ainsi la France est-elle montée au créneau dès les premiers jours de l’annonce de cette loi pour exiger que l’Europe se dote, elle aussi, d’un Buy European Act, afin de stimuler l’économie européenne et de remplir suffisamment les carnets de commande des industriels pour qu’ils ne soient pas tentés par l’appel des sirènes outre-Atlantique.

Ensuite, une série de concertations et de négociations se sont tenues entre les États membres de l’UE pour parvenir à une réponse commune, à défaut d’être consensuelle : ce sera le Net Zero Industrial Act (NZIA), une proposition de riposte à l’IRA de la Commission européenne qui vise à relocaliser les investissements dans la transition énergétique en Europe dans le but d’atteindre les objectifs de neutralité carbone en 2050. Cette proposition sera examinée par le Parlement européen, qui statuera sur sa faisabilité ainsi que ses conditions de mise en œuvre.

  • 2. Données Eurostat de 2021.
  • 3. Les données conjoncturelles correspondantes sont présentées en annexe I.
  • 4. La progression de l’emploi salarié de l’industrie manufacturière a ralenti au quatrième trimestre de l’année 2022 : +0,2 % en année glissante contre +0,4 % au troisième trimestre 2022 (source : Insee).
  • 5. Le projet de règlement MACF a été présenté le 14 juillet 2021. Il a été adopté dans le cadre d’un accord provisoire entre le Parlement et le Conseil européens le 13 décembre 2022. Il a fait l’objet d’un vote positif au Parlement européen le 18 avril 2023
  • 6. Le MACF questionne également le maintien de la compensation des coûts indirects du carbone (aide dédiée aux secteurs soumis au risque de fuite de carbone et visant à compenser le coût du carbone essuyé par la consommation d’électricité). Le devenir de cette compensation pour les secteurs concernés dépendra du choix fait par la Commission européenne (d’ici la fin de la période de transition) d’élargir ou non le MACF aux émissions indirectes.
  • 7. L’IRA se donne notamment pour objectif d’atteindre une réduction de 50 % des émissions de gaz à effet de serre des États- Unis d’ici à 2030 par rapport à 2005.
Chapitre 2

Les prix élevés de l’énergie en Europe : la première urgence

Selon nos estimations, l’inflation énergétique constitue aujourd’hui, et de loin, la menace la plus lourde pour l’industrie européenne. Si les prix spot sont manifestement redescendus de leurs sommets, les industriels européens anticipent un maintien durable des prix de l’énergie (électricité et gaz) au double de ce qu’ils ont connu jusqu’en 2021. Ce constat partagé constitue une véritable rupture avec la période d’avant-crise, marquée au contraire par une électricité bon marché, en France en particulier. Compte tenu de l’asymétrie du choc énergétique, l’Europe se distingue désormais par des prix plus élevés que dans les autres régions du monde (États-Unis et Asie).

Nous estimons que, par rapport à une année d’activité normale (2019), un doublement des prix de l’électricité et du gaz en France et en Europe, sans variation dans le reste du monde, menace jusqu’à 116 000 emplois industriels en France, soit 4,5 % de l’emploi total dans l’industrie manufacturière8.

Présentation de la méthode

Notre exercice de quantification du volume d’activité et des emplois industriels menacés en France, dans ce nouveau contexte européen d’inflation énergétique, repose sur un socle de données de base de 20199, dans lesquelles sont injectés des scénarios de variation des prix de l’énergie au sein de l’industrie manufacturière10.

Ces deux scénarios portent respectivement sur un doublement des prix de l’électricité et de ceux du gaz en France et en Europe, sans variation dans le reste du monde. Cette hypothèse d’un doublement durable des prix peut paraître timide, tant elle est en décalage avec les niveaux observés au pic de la crise, courant 2022, sur les marchés spot de l’électricité et du gaz, quand les prix étaient alors plutôt au décuple de leur moyenne historique. Cela dit, l’exposition réelle des entreprises dépend aussi et surtout de la nature de leurs contrats d’approvisionnement ainsi que de certains dispositifs publics en vigueur (Arenh, accès régulé à l’électricité nucléaire historique, par exemple). L’hypothèse d’un maintien à long terme d’un prix de l’énergie double de sa valeur moyenne antérieure est reconnue comme la plus fiable par les industriels rencontrés dans le cadre de cette étude.

Des arbitrages variables selon les secteurs

Le travail d’estimation part du constat suivant : chaque entreprise va devoir répercuter une partie de la hausse de sa facture énergétique sur ses marges, au détriment de son profit, et une autre partie sur ses clients (via ses prix de vente), au détriment de sa compétitivité prix. Dans les deux cas, cela constitue une menace pour l’activité et l’emploi. La baisse de la profitabilité exerce en effet une pression défavorable sur l’investissement et sur l’emploi quand, de son côté, la hausse des prix de vente fait chuter la demande et donc l’activité. Le modèle quantifie ces deux risques complémentaires, exprimés dans les deux cas sous la forme de volume d’emplois menacés. Ces deux estimations sont additives.

Ces arbitrages face aux surcoûts énergétiques sont très variables selon les entreprises et les secteurs, dont ils reflètent en général l’environnement économique et concurrentiel.

Ainsi, une entreprise qui dispose d’une position favorable sur son marché (situation de monopole, forte compétitivité hors prix, demande inélastique) pourra sans dommage répercuter la majorité, voire la totalité, de la hausse de ses dépenses énergétiques sur ses clients. Dans l’industrie pétrolière par exemple, d’après l’Ufip Énergies et Mobilités, les raffineurs ont certes fait face à des hausses des coûts de production en 2022 mais « les prix de vente ont augmenté plus encore que les coûts », si bien que le secteur a traversé la crise sans encombre.

À l’inverse, une entreprise qui souffre d’un rapport de force défavorable (concurrence étrangère agressive, demande élastique, forte substituabilité) aura du mal à augmenter ses prix et sera contrainte d’essuyer elle-même la majorité, et même la totalité, du surcoût en rognant sur ses marges. C’est le cas dans l’industrie du papier carton où « il y a des difficultés à retranscrire les hausses des coûts de l’énergie sur les prix. Les marges peuvent donc très vite se dégrader et mettre en difficulté des sites et des entreprises », d’après Olivier Riu, responsable énergie de la Copacel. Il en va de même dans l’industrie du verre. Dans le segment très concurrentiel des arts de la table, « il est très difficile d’augmenter le prix des produits car les verriers y négocient directement avec les grands distributeurs (Carrefour, Ikea, Leclerc…), en concurrence directe avec des produits chinois, turcs, etc. », indique Jacques Bordat de la FIV. Il ajoute que, dans le contexte de crise actuelle, « c’est ce qui explique que certaines entreprises soient très durement touchées, comme Arc ».

Figure 2.1 – Taux de répercussion d’un surcoût énergétique sur les clients et sur les marges

Source : Sautel et al. (2022).

Dans un ouvrage précédent, La Fabrique de l’industrie et le cabinet Deloitte (Sautel et al., 2022) ont stabilisé, à l’aide d’une revue de la littérature économétrique, les taux de répercussion dans les prix et dans les marges, secteur par secteur, du surcoût lié aux émissions de carbone, suivant un raisonnement analogue. Ces taux sont mobilisés ici pour traiter du surcoût énergétique.

La part du surcoût énergétique répercutée sur les clients s’apparente pour ces derniers à un surcoût énergétique indirect, qu’ils pourront à leur tour répercuter en partie sur leurs marges et en partie sur les clients. Un tableau entrées-sorties, présenté en annexe III, permet de déterminer cette ventilation du surcoût énergétique de chaque secteur vers ses clients directs. Le travail étant ciblé sur les effets immédiats de l’augmentation des prix de l’énergie, il ne couvre que les effets des surcoûts directs et indirects de rang 1.

Cela étant posé, la première partie du travail consiste donc à estimer le volume d’emplois menacés par la réduction des marges des entreprises du fait de l’augmentation des coûts de l’énergie. Nous raisonnons en trois temps. Nous assimilons d’abord le surcoût énergétique répercuté sur les marges à une baisse équivalente de profit (en l’occurrence, le résultat courant avant impôt). Nous déduisons ensuite, dans une démarche de maintien des équilibres comptables, la masse salariale dont chaque secteur devrait faire l’économie pour retrouver son niveau initial de profit. Nous estimons enfin le volume d’emplois que cela représente, sur la base d’une hypothèse de proportionnalité entre nombre d’emplois et masse salariale. Cette approche, qui consiste à faire de l’emploi la seule variable d’ajustement des entreprises face à une baisse de leur marge, est naturellement schématique. Elle suppose une appréciation large de la signification des emplois « menacés », qui incluent les emplois effectivement détruits, les emplois menacés et le renoncement à des créations d’emplois. Dans ces conditions, elle apparaît étayée par la littérature économique sur le sujet (voir encadré ci-après).

La deuxième étape du travail consiste à estimer le volume d’emplois menacés par la détérioration de la compétitivité prix, dans l’hypothèse où l’industrie française répercute dans ses prix une partie de ses surcoûts énergétiques. Au « grand export », c’est-à-dire en dehors des frontières de l’Union européenne, les produits français et européens se trouvent en concurrence avec des produits extra-européens dont les coûts ne varient pas. Pour cerner cet effet, nous exploitons alors des élasticités de la demande par rapport au prix de l’énergie. La littérature économique fournit plusieurs valeurs pertinentes pour les besoins de l’exercice (Bordigoni, 2013). Dans la mesure où les valeurs relevées empiriquement portent sur des secteurs industriels spécifiques, respectivement la sidérurgie et le papier carton, et que tous les secteurs n’ont pas la même intensité énergétique, un travail intermédiaire s’est avéré nécessaire pour déduire les élasticités des autres secteurs. Ce travail est présenté en annexe IV.

En parallèle, il convient d’étudier l’évolution de la demande française et européenne adressée à l’industrie française, et son report possible vers des importations de substitution du fait de l’augmentation des prix. À cette fin, nous exploitons des élasticités d’Armington (Donnelly et al., 2004). Ces élasticités reposent sur l’hypothèse de substituabilité des biens nationaux et des biens importés si bien qu’une augmentation du prix de vente des premiers impliquera, à marché constant, un report de la demande sur les seconds. Là encore, le recours aux élasticités requiert un travail intermédiaire. Il s’agit d’abord d’estimer le prix unitaire des biens industriels français par secteur et leur composante énergétique, de sorte à pouvoir calculer la variation de celui-ci par suite d’une augmentation de celle-là. Il s’agit ensuite de considérer, pour chaque secteur, la décomposition du marché intérieur par provenance géographique de l’offre pour distinguer d’une part les importations provenant de pays extra-européens (qui seraient stimulées en cas d’augmentation des prix de l’offre intérieure) et d’autre part les productions françaises et européennes (qui seraient à l’inverse pénalisées, dans leurs proportions respectives, par l’augmentation de leurs prix de vente). Ce travail est présenté de l’annexe VI jusqu’à l’annexe X.

In fine, la variation de la demande adressée à l’industrie française est appliquée sur le chiffre d’affaires de cette dernière et, sur la base d’une hypothèse de proportionnalité, sur les effectifs salariés ETP.

Lien entre réduction d’effectifs et performance économique : une brève revue de littérature

La littérature économique portant sur les réductions d’effectifs s’intéresse à la fois au profil des entreprises qui prennent ces décisions (notamment à la nature des difficultés qu’elles traversent avant d’y parvenir) et aux conséquences mesurables de ce choix. Une distinction est souvent opérée – pas toujours de manière parfaitement homogène cependant – entre les entreprises proactives et les entreprises réactives. Les premières prennent la décision de réduire leurs effectifs pour prévenir d’éventuelles difficultés financières futures, mais sans connaître, au moment de la décision ni dans la période qui précède, de problème particulier identifiable, ou du moins sans être affectées par un choc négatif de la demande. Les secondes sont celles qui attendent d’être confrontées à une difficulté avérée (selon les articles, soit une diminution de la productivité et de la rentabilité, soit plus nettement une baisse de la demande), avant de réduire leur personnel. Pour paraphraser Jihene Najar et Medhi Nekhili (2009): les entreprises réactives sont celles qui agissent pour éviter la faillite, quand les entreprises proactives visent davantage l’assainissement organisationnel ou l’accroissement des résultats futurs.

Ces deux auteurs, qui travaillent sur un échantillon de 141 entreprises ayant annoncé une suppression d’emplois entre 1997 et 1999, tout comme Arnaud Degorre et Julien Grenet (2003), qui étudient 16 972 entreprises durant la période 1990-2000, confirment que les entreprises procédant à des suppressions d’emplois se distinguent par leurs mauvaises performances avant cette décision. Pour Degorre et Grenet cependant, cette piètre performance ne suffit pas et il faut qu’une entreprise soit en outre affectée par une chute de sa demande pour procéder à des licenciements (ce que nous anticipons ici dans notre cadre d’hypothèses). C’est ce qui fait dire aux auteurs Degorre et Grenet que les licenciements réactifs sont beaucoup plus nombreux que les licenciements proactifs.

Ils confirment également que ces suppressions d’emplois jouent favorablement sur le taux de marge. Les travaux diffèrent sur le rythme et l’ampleur de la progression mais s’accordent globalement sur un effet positif de la décision de licenciement sur ce plan. Pour Degorre et Grenet, la rentabilité économique (return on assets, soit l’EBE dégagé par les investissements, quelle qu’en soit leur origine) et la rentabilité financière (return on equity, autrement dit le RCAI rapporté aux capitaux propres des actionnaires) de l’entreprise chutent juste après les licenciements avant de retrouver leur niveau antérieur; mais le taux de marge finit à un niveau supérieur. Pour Najar et Nekhili, la rentabilité économique et la rentabilité financière s’améliorent nettement à la suite de cette décision. Ils distinguent notamment les entreprises qui font diminuer leur ratio « charges salariales sur valeur ajoutée ». Ces entreprises réussissent plus que les autres à améliorer leur taux de marge et leur niveau de rentabilité. Patrick Sentis (1998), qui étudie un échantillon de 90 grandes entreprises dont les effectifs ont été réduits de plus de 10 % sur la période 1991-1995 y reconnaît d’ailleurs là les entreprises proactives.

Figure 2.2 – Valeurs d’élasticités de la demande retenues dans l’exercice

Traitements La Fabrique de l’industrie d’après Bordigoni (2013) et Donnelly et al. (2004).
Notes de lecture : l’élasticité des exportations au prix de l’électricité de – 0,19 pour le secteur de la sidérurgie indique qu’une augmentation du prix de l’électricité en France et en Europe de 10% (et une stagnation du prix ailleurs dans le monde) entraîne une baisse de 1,9 % des exportations françaises du secteur de la sidérurgie.
Une élasticité d’Armington de 2,0 pour l’industrie chimique indique qu’une augmentation de 10 % du prix moyen des produits chimiques sur le marché intérieur entraîne l’augmentation de 20 % des importations de ces produits.

Figure 2.3 – Méthode d’estimation des emplois industriels menacés

Jusqu’à 116 000 emplois industriels menacés

Au terme de l’exercice, il apparaît qu’un doublement par rapport à 2019 des prix de l’électricité et du gaz représente pour l’industrie française un accroissement de la facture énergétique de 10,3 milliards d’euros (elle était de 13,8 milliards d’euros en 2019, tous produits énergétiques confondus11), soit 1 % de son chiffre d’affaires.

L’industrie répercuterait près de la moitié de ce surcoût (4,7 milliards d’euros) sur ses marges, en l’occurrence son résultat courant avant impôt, qui reculerait alors de 6,4 %. La compensation de cette baisse de profit par le seul biais d’un ajustement de la masse salariale menacerait alors plus de 75 000 emplois industriels en France.

En répercutant l’autre partie de ce surcoût énergétique sur ses prix, l’industrie française s’exposerait à un report de sa clientèle vers la concurrence, ce qui représenterait une perte d’activité de 16,6 milliards d’euros de chiffre d’affaires (–1,7 %). Traduite en emplois, cette baisse d’activité menacerait 41 000 salariés industriels en France.

Il ressort donc qu’un doublement des prix de l’électricité et du gaz en France et en Europe menacerait jusqu’à 116 000 emplois industriels en France, soit 4,5 % du total des emplois industriels. De façon prévisible, l’industrie française apparaît plus sensible à un doublement des prix de l’électricité (72 000 emplois menacés) qu’à une augmentation des prix du gaz (44 000 emplois), compte tenu des volumes respectifs de consommation d’électricité et de gaz.

L’analyse détaillée des résultats révèle de grandes disparités entre secteurs et, plus précisément, une vulnérabilité plus prononcée des secteurs énergo-intensifs (les tableaux distinguant les résultats des deux scénarios par secteur sont présentés en annexes XI, XII et XIII).

La métallurgie, la chimie (et notamment la chimie organique), l’industrie du papier carton et l’industrie des produits minéraux non métalliques sont les quatre secteurs les plus énergo-intensifs et apparaissent de fait comme les quatre secteurs les plus exposés. Ils enregistrent les baisses d’emplois les plus fortes et représentent à eux seuls près de la moitié des emplois industriels menacés. Cette forte exposition aux prix de l’énergie est confirmée par les entretiens menés avec les représentants des filières industrielles. Comme le résume Guillaume de Goÿs, président d’Aluminium France, « pour toutes les industries de base (producteurs de métaux comme l’aluminium et l’acier, mais aussi de produits minéraux ou chimiques), la période est très difficile ».

Figure 2.4 – Résultats agrégés de l’exercice d’estimation

Traitements La Fabrique de l’industrie ; données sur périmètre constant.

Les autres secteurs, considérés individuellement, apparaissent chacun moins exposés. Les industriels réalisant des produits finis que nous avons interrogés dans le cadre de cette étude confirment que l’impact des prix de l’énergie est, pour eux, de moindre intensité et plutôt d’ordre indirect. Ainsi, « la construction automobile stricto sensu n’est pas énergivore », rappelle Marc Mortureux, président de la Plateforme française de l’automobile, notant en revanche qu’« une automobile est composée à 70 % de métaux (acier, aluminium, alliages, cuivre, plomb…) et à près de 22 % de polymères (thermoplastiques, caoutchouc, polyamide) dont la production réclame beaucoup d’énergie, sans oublier la batterie pour les véhicules électriques ».

De façon notable, les industries qui s’approvisionnent déjà beaucoup à l’étranger sont, à terme, celles qui échappent le plus aux effets de la crise énergétique européenne. Ainsi, parmi les secteurs aval, « l’industrie ferroviaire est pour l’instant assez peu sensible car une grande partie de ses composants sont fabriqués à l’extérieur du territoire » , indique Igor Bilimoff, délégué général de la Fédération des industries ferroviaires (FIF), rappelant qu’il s’agit d’une industrie « peu délocalisable à l’étape de l’assemblage mais déjà très délocalisée pour le reste de la supply chain ». Cet exemple illustre de manière frappante l’effet très hétérogène de la crise énergétique sur la localisation des différentes industries, au point d’apparaître comme une « prime » aux secteurs ayant déjà délocalisé leurs chaînes de valeur.

Enfin, si l’industrie française est globalement plus vulnérable à une augmentation du prix de l’électricité qu’à celle du prix du gaz, quelques secteurs font exception. C’est en particulier le cas des industries du verre et des engrais, pour lesquelles les emplois menacés sont plus nombreux en cas de doublement du prix du gaz que de celui de l’électricité12.

Figure 2.5 – Estimation des emplois industriels français menacés par un scénario de doublement des prix de l’électricité et du gaz en France et en Europe

Traitements La Fabrique de l’industrie.
Note de lecture : les cases vides signifient que les données sont manquantes. Pour les sous-secteurs mentionnés en italique, les taux de répercussion sont issus de leur division sectorielle respective et l’indisponibilité des données ne permet pas de mener l’exercice sur les effets de la baisse de compétitivité prix ni d’intégrer le surcoût énergétique indirect. Se référer alors aux données agrégées par secteur.

À moyen terme, la décarbonation mise à l’épreuve

Le travail d’estimation présenté ci-dessus est réalisé sur la base des volumes d’électricité et de gaz consommés par l’industrie en 2019. Or, cette exposition aux prix de l’énergie est d’autant plus préoccupante que le report sur le gaz et l’électricité est au cœur des processus de décarbonation.

S’agissant du gaz, le directeur général d’Evolen rappelle qu’il « occupe un rôle important dans la transition énergétique – c’est d’ailleurs une idée mal comprise en France. Dans les quinze à vingt ans qui viennent, le rôle du gaz est d’assurer le biseau pour permettre un arrêt progressif du recours aux énergies fossiles. » Un constat confirmé dans une certaine mesure par les plans de décarbonation en cours dans certains secteurs industriels. Dans la métallurgie par exemple, l’entreprise ArcelorMittal mise sur la montée en puissance d’unités de réduction directe du fer, qui « fonctionneront au gaz naturel en attendant d’avoir de l’hydrogène compétitif, disponible et en grande quantité », explique le directeur des affaires publiques France, Stéphane Delpeyroux. Dans l’industrie du verre, le plan de décarbonation « s’appuie sur la montée en puissance du biogaz, levier de décarbonation de loin le plus simple à actionner, l’infrastructure étant déjà en place », d’après Jacques Bordat, président de la FIV.

Plus encore que le gaz, l’électricité occupe un rôle central dans la décarbonation de l’industrie. Chez ArcelorMittal, « les sites amont [de Fos-sur-Mer et de Dunkerque] sont appelés à se transformer profondément pour se décarboner : l’électrification des procédés accentuera fortement leur exposition aux prix de l’électricité », souligne Stéphane Delpeyroux. Dans l’industrie du verre également, « la part de l’électricité dans le mix énergétique du secteur est appelée à augmenter et le secteur devrait donc devenir à la fois gazo- intensif et électro-intensif » bien que « pour les fours moyens et grands, un passage au tout-électrique sera plus compliqué », rappelle Jacques Bordat. Enfin, le traitement des émissions de CO2 de process passera par la mise en place de procédés de captage et de valorisation (CCS/CCU13), très énergivores. Le secteur du ciment, particulièrement concerné, pourrait ainsi passer de secteur électro- intensif à hyper-électro-intensif à moyen terme d’après le Syndicat français de l’industrie cimentière (SFIC).

En somme, l’augmentation des prix de l’énergie intervient précisément dans un contexte où les besoins de l’industrie sont appelés à croître pour qu’elle puisse atteindre ses objectifs de décarbonation. C’est d’ailleurs la raison pour laquelle les industriels appellent d’une seule voix à une plus grande visibilité sur ces prix. Au regard de la lourdeur des investissements à consentir et des délais de rentabilisation, ils ont besoin d’un environnement d’affaires prévisible, faute de quoi ils risquent de reporter leurs projets dans le temps (investir plus tard) ou dans l’espace (investir là où les conditions sont plus stables). Comme en avertit Guillaume de Goÿs, d’Aluminium France, « dès aujourd’hui, les plans stratégiques à cinq ans sont obligés de tenir compte de ce risque structurel ».

Pour ce qui est du contrôle du prix du gaz naturel, les filières industrielles adoptent une posture plutôt fataliste. Ainsi que l’indique la Copacel, « il sera difficile de trouver un dispositif s’affranchissant de la hausse structurelle des prix liée aux importations de GNL ». A contrario, les filières estiment que des leviers d’action significatifs existent en ce qui concerne les prix de l’électricité.

Les industriels réclament d’abord une réforme du marché européen de l’électricité. Ils s’accordent à dire que le market design actuel a montré ses limites avec la crise énergétique, dans la mesure où il a participé à étendre la forte hausse du prix du gaz à celui de l’électricité (Mini et Bordigoni, 2022). Cette frustration s’étend au coût du carbone contenu dans le prix de l’électricité : « 90 % de l’électricité française est décarbonée ; et pourtant, lorsqu’elle est vendue sur le marché, elle intègre un coût du carbone », regrette Olivier Riu de la Copacel. En l’absence de réforme, les industriels anticipent donc que la forte volatilité des prix du gaz ne se diffuse à nouveau aux prix de l’électricité dans les années à venir. Ils saluent l’auto-saisine de la Commission et les discussions entamées à l’échelle européenne sur ce sujet, discussions sur lesquelles ils placent de grands espoirs.

Ces réflexions se doublent enfin d’une incertitude supplémentaire à l’échelle nationale, portant sur le devenir de l’Arenh. Mis en place en 2010, ce dispositif réglementaire qui permet aux industriels et aux fournisseurs alternatifs de s’approvisionner en électricité d’origine nucléaire selon un tarif réglementé prendra fin au 31 décembre 2025. Il s’est pourtant avéré très précieux pour aider les entreprises énergo-intensives à traverser la crise (Mini et Bordigoni, 2022). Le relèvement du plafond de l’Arenh au plus fort de la crise a lui aussi joué un rôle d’amortisseur face aux fortes variations du marché spot, ce dont ont bénéficié ArcelorMittal et Aluminium Dunkerque par exemple. Dans ce contexte, la fin annoncée de l’Arenh, sans qu’aucun mécanisme de substitution ne soit pour l’instant présenté de manière consensuelle, plonge les industriels dans une grande incertitude.

  • 8. Les volumes d’emplois sont présentés en effectifs salariés en équivalent temps plein sur le périmètre de l’industrie manufacturière hors secteurs de l’imprimerie et de l’installation et réparation de machines.
  • 9. Ce socle de données puise essentiellement dans deux bases de l’Insee, les statistiques structurelles des entreprises (Insee- Esane) et l’enquête sur les consommations d’énergie dans l’industrie (Insee-EACEI).
  • 10. L’exercice couvre le périmètre de l’industrie manufacturière au sens de l’Insee, avec un détail à l’échelle des divisions (codes à deux chiffres de la nomenclature d’activités française). Les données de base portent sur le millésime 2019, considéré comme une année « d’activité normale ». Ces données de base sont présentées en annexe II.
  • 11. En 2019, les achats d’électricité et de gaz dans l’industrie manufacturière française (établissements industriels de 20 salariés ou plus ; hors cokéfaction-raffinage) représentaient 10 milliards d’euros. Les achats des autres produits énergétiques (butane- propane, combustibles minéraux solides, etc.) représentaient 3,8 milliards d’euros (source: Insee, enquête annuelle sur les consommations d’énergie dans l’industrie).
  • 12. Il s’agit d’un constat partiel dans la mesure où il découle uniquement de l’observation des résultats de l’approche par la baisse du profit. En effet, faute de données disponibles pour ces sous-secteurs, nous ne pouvons pas estimer à ce niveau de détail sectoriel les volumes d’emplois menacés par la baisse de compétitivité prix.
  • 13. CCS (carbon capture and storage) et CCU (carbone capture and utilization).
Chapitre 3

Le MACF, un risque à moyen terme

La mise en place du mécanisme d’ajustement carbone aux frontières (MACF), parce qu’elle s’accompagne de la suppression progressive des quotas gratuits d’émissions de CO2, intervient comme une menace supplémentaire pour l’industrie française et européenne. Au regard de sa temporalité et de son ampleur, elle est toutefois moins prégnante que la précédente. Nous estimons qu’elle menacerait près de 28 000 emplois industriels en France.

Des effets pervers tardivement appréhendés par les industriels

L’instauration du MACF, longtemps réclamée et plébiscitée comme moyen de mettre fin au dumping environnemental de certaines puissances commerciales, a récemment suscité les plus vives réserves de la part des industriels européens eux-mêmes. Les filières industrielles, qu’elles soient concernées ou non par la première phase d’application, alertent en effet sur l’existence de sérieuses lacunes et d’angles morts dans le dispositif actuel, qui rendent particulièrement risquée la suppression concomitante des quotas gratuits.

Sur le plan horizontal, le MACF couvre uniquement les entrées sur le marché intérieur et ne vise pas à préserver la compétitivité au grand export des industriels européens. Pour que les producteurs européens et extra-européens soient logés à la même enseigne, il aurait fallu que le MACF fonctionne également « à l’envers », en dédouanant les exportations du prix du carbone payé lors de leur production en Europe. Ce n’est pas le choix qui a été fait. Bien que non encore concernée par le MACF, l’industrie du verre regrette de voir ainsi « l’Europe se positionner (et légiférer) uniquement comme un marché et non comme une puissance exportatrice », souligne le président de la FIV, Jacques Bordat. La fin progressive des quotas gratuits pèsera donc sur la compétitivité des exportations européennes face à une concurrence étrangère qui, pour l’instant du moins, n’essuie pas le même coût du carbone en amont.

Sur le plan vertical, le MACF ne couvre que quelques grands intrants industriels et non l’ensemble des chaînes de valeur (par exception, certains produits métalliques semi-finis seront eux aussi intégrés à l’issue de la période transitoire). Si l’acier et l’aluminium produits hors de l’UE sont bien taxés à la frontière, un produit fini ou semi-fini à base d’acier ou d’aluminium mais transformé hors de l’UE échappe au MACF. L’importateur européen n’aura donc pas à en acquitter le coût du carbone, ce qui peut l’inciter à importer directement les produits finis plutôt que de s’approvisionner en intrants européens pour les assembler sur place. Comme l’énonce Marc Mortureux, président de la Plateforme française de l’automobile, « les constructeurs automobiles se trouvent face à un arbitrage indésirable. En effet, ils devront acheter leur acier plus cher d’où qu’il vienne, tandis qu’ils pourront acheter sans surcoût des pièces déjà usinées à l’extérieur de l’Europe. » À la lumière de cet exemple, le MACF ne ferait que déplacer, voire diffuser, le risque de fuite de carbone sur l’aval des chaînes de valeur. Ce risque de contournement est perçu comme une véritable épée de Damoclès par les industries mécaniques, qui rassemblent de nombreux sous-traitants et pour lesquelles « le MACF est un sujet d’inquiétude maximale », d’après Philippe Contet, président de la FIM.

À ce stade, on pourrait objecter que le MACF est un outil au service d’une ambition climatique, et non le bras armé d’une politique industrielle. Or les critiques des industriels dépassent les seules considérations économiques : la nature des failles évoquées les rend également sceptiques sur la portée environnementale du mécanisme. D’un côté, l’absence de couverture des exportations européennes laisse craindre de nouvelles fuites de carbone qui consisteraient, pour les industriels européens, à privilégier la délocalisation pour couvrir la demande étrangère sans essuyer de coût carbone. D’un autre côté, le contournement qui consiste à privilégier la production extra-européenne pour n’importer que des produits finis sur le territoire européen compromet d’autant la maîtrise et la réduction de l’empreinte carbone européenne, qui était pourtant une des grandes promesses du MACF.

Pour compléter le tableau, les industriels émettent de sérieuses réserves sur la capacité de l’Europe à suivre le contenu carbone des importations. Toutes les filières interrogées évoquent la grande complexité du mécanisme, à la fois pour des considérations techniques (quelle méthode de calcul du coût carbone des importations ?) et administratives (quels moyens humains et financiers envisagés pour le suivi et la vérification du calcul, notamment face à l’opacité des exportateurs chinois ?). Marc Mortureux, directeur général de la Plateforme française de l’automobile, parle à ce titre d’une « immense usine à gaz administrative ».

Figure 3.1 – Présentation du MACF et des failles relevées par les industriels

En somme, les industriels voient le MACF comme une idée « naïve », un terme souvent évoqué lors des entretiens. Ils saluent le bien-fondé d’une politique environnementale déterminée mais affirment que la conception du MACF ne répond pas à ses objectifs, faute notamment de tenir compte des contournements possibles.

Présentation du raisonnement

Estimer les effets du MACF n’est pas chose aisée, le mécanisme rentrant dans sa phase initiale en octobre 2023, pour une période de transition courant jusqu’à fin 2025, et étant encore sujet à modification par la Commission européenne. Les filières industrielles elles-mêmes éprouvent des difficultés à anticiper ses effets précis sur leur activité.

Notre estimation, qui repose sur le même raisonnement que celui qui a été suivi au chapitre 2 au sujet des effets de la crise énergétique, vise donc à donner un ordre de grandeur des conséquences de la suppression des quotas gratuits sur l’industrie manufacturière, sans prétendre à des résultats définitifs. Dans nos hypothèses, nous nous attachons à refléter au mieux la réalité à venir du MACF, dans les contraintes de disponibilité des données.

D’une part, les secteurs retenus dans l’exercice comme étant couverts par le MACF sont l’industrie chimique, l’industrie des produits minéraux non métalliques et l’industrie de la métallurgie. Ce sont les trois grands secteurs d’activité dans lesquels sont présents la plupart des produits concernés par le MACF14. Les secteurs industriels non couverts, situés en dehors de ce périmètre, sont appelés les « secteurs aval » dans le reste du chapitre.

À noter, la production d’électricité est également retenue dans le périmètre MACF dès la première phase d’application, mais nous ne l’intégrons pas à ce périmètre dans cet exercice : nous supposons en effet que l’augmentation du coût carbone contenu dans le prix de l’électricité est déjà prise en compte et étudiée dans le scénario de doublement des prix de l’électricité du chapitre 2. L’exercice ne porte donc que sur les émissions de scope 1 et non de scope 215.

D’autre part, nous postulons ici que le MACF tourne désormais à plein régime : les quotas d’émissions des industriels, dont on énonce par simplification qu’ils étaient jusqu’ici tous gratuits, deviennent tous payants16 et couvrent toutes les émissions de CO2 des trois secteurs MACF retenus dans l’exercice17.

À défaut de données précises sur le coût carbone pour l’industrie, le coût direct du carbone est estimé à partir des volumes d’émissions de CO2 par secteur en France en 2019. Pour les secteurs dits MACF, ces volumes d’émissions de CO2 sont monnayés au prix de 100 € par tonne de CO2. Le coût indirect du carbone est, lui, contenu dans les consommations intermédiaires issues de secteurs MACF, qu’elles aient été produites en France, dans le reste de l’Union européenne ou dans le reste du monde. Le calcul des coûts carbone direct et indirect est présenté en annexes XIV, XV et XVI.

De la même façon qu’au chapitre 2, le travail consiste à ventiler le coût carbone entre les marges et les prix de vente, et à estimer le volume d’emplois ainsi menacés respectivement par la baisse de profit et la baisse de compétitivité prix. Si le modèle s’appuie sur les taux de répercussion présentés au chapitre 2 (figure 2.1), deux nuances spécifiques à l’étude du MACF sont introduites.

Nous faisons l’hypothèse que les entreprises des secteurs MACF vont pouvoir répercuter intégralement leurs coûts carbone, direct et indirect, dans leurs prix de vente lorsqu’ils s’adressent aux marchés français et européen, dans la mesure où précisément ces entreprises sont protégées par le mécanisme (leurs clients devraient payer le même coût carbone s’ils s’approvisionnaient depuis l’étranger). Une hypothèse confirmée en entretien : comme le formule Guillaume de Goÿs, président d’Aluminium France, « il n’est pas impossible de répercuter aux clients l’intégralité du surcoût carbone. La question devient alors de savoir si cela va fragiliser les clients du site, au point qu’ils préféreraient acheter leur aluminium ailleurs. »

À l’inverse, lorsqu’ils s’adressent au grand export, nous faisons l’hypothèse que les secteurs MACF internalisent totalement ce coût carbone dans leurs marges, pour préserver leur compétitivité prix face à la concurrence étrangère qui n’aura pas essuyé ce même surcoût en amont.

Pour les secteurs aval, les taux de répercussion entre marges et prix sont inchangés ; mais il faut noter que le coût carbone qui leur incombe est, par construction, uniquement d’ordre indirect. Sans payer de coût carbone direct, qui serait lié à leurs propres émissions de CO2, ces secteurs aval subissent en effet un surcoût carbone chaque fois qu’ils se fournissent en produits MACF, que ce soit auprès de fournisseurs français, européens ou étrangers, et qu’ils l’incorporent à leur tour dans leurs prix.

Une fois le coût carbone calculé pour chaque secteur, nous suivons le même raisonnement que dans le chapitre 2 pour déduire un volume d’emplois menacés. Quelques dernières précisions sont nécessaires quant aux effets de la baisse de compétitivité prix.

Figure 3.2 – Taux de répercussion du coût carbone sur les clients et sur les marges

Source : Sautel et al. (2022) à l’exception des secteurs MACF.
Les secteurs MACF retenus dans le modèle sont désignés en encadré jaune.

Les secteurs MACF, tout d’abord, ne sont pas confrontés à une baisse de la demande extra-européenne puisque nous supposons que, lorsqu’ils s’adressent à des clients extra-européens, ils internalisent le coût carbone dans leurs marges pour ne pas perdre en compétitivité. Ils subissent toutefois une baisse de la demande sur les marchés intérieurs (français et européens). De prime abord, cela peut sembler contre-intuitif, le MACF cherchant précisément à rétablir un level playing field18entre producteurs domestiques et étrangers. Mais il faut rappeler que, faute de couverture de l’ensemble des chaînes de valeur, le MACF crée un appel d’air à la concurrence extra-européenne sur les produits finis et semi-finis, dont les secteurs MACF, situés en amont, subiront nécessairement un contrecoup. Cet effet collatéral est estimé à l’aide du tableau entrées-sorties pour la France, qui permet de déterminer dans quelle mesure une baisse d’activité d’un secteur aval affectera en retour les fournisseurs MACF.

Les secteurs aval, eux, voient leur compétitivité dégradée du fait du coût carbone indirect qu’ils subissent et qu’ils vont en partie répercuter en retour sur leurs clients. Si les élasticités d’Armington permettent, de la même façon qu’au chapitre 2, d’estimer la baisse de la demande française et européenne adressée aux secteurs aval, nous ne pouvons pas estimer la perte de leurs débouchés au grand export. Pour cause, les élasticités relevées dans la littérature portent sur la sensibilité des exportations à la variation des prix de l’énergie, et non à la variation des consommations intermédiaires.

Environ 28 000 emplois menacés

Dans l’hypothèse d’un prix du carbone stabilisé à 100 € par tonne de CO2, la suppression des quotas gratuits découlant de la mise en place du MACF pour tous les produits de la métallurgie, de la chimie et les produits minéraux non métalliques représenterait un coût carbone direct brut estimé à 5,7 milliards d’euros par an pour ces trois secteurs en France. Au sein de cette enveloppe brute, 4,7 milliards d’euros seraient répercutés sur leurs clients français et européens, ce qui réduirait le coût carbone direct net à 1 milliard d’euros pour les secteurs MACF.

Le coût carbone indirect, induit par la consommation de produits MACF fabriqués localement ou importés, est quant à lui estimé à 2,7 milliards d’euros pour l’industrie française, dont 1,7 milliard incombant aux secteurs aval et 1 milliard incombant aux secteurs MACF eux-mêmes (par le biais de leurs propres consommations de produits MACF, en partie en flux intrabranches).

Figure 3.3 – Estimation des emplois industriels français menacés par un scénario d’introduction du MACF

Traitements La Fabrique de l’industrie.
(*) Hors secteurs aval, pour lesquels les résultats n’ont pas pu être calculés.

La part internalisée de ce coût représente une réduction des marges estimée à 1,8 milliard pour l’industrie française, soit une baisse de 2,2 % du résultat courant avant impôts. Cette baisse du profit compromettrait alors plus de 26 000 emplois industriels.

En complément, la perte de compétitivité prix découlant de la répercussion partielle de ce surcoût sur les clients induira une baisse du chiffre d’affaires industriel de 0,4 milliard d’euros (–0,04 %), menaçant alors près de 1 500 emplois supplémentaires (hors grand export des secteurs aval).

En somme, la mise en route du MACF avec suppression immédiate des quotas gratuits menacerait près de 28 000 emplois industriels en France, soit 1,1 % du total des emplois de l’industrie manufacturière sur le périmètre étudié.

Cette menace est fortement concentrée sur les secteurs MACF eux-mêmes. La métallurgie est le secteur industriel le plus touché, avec près de 11 % de ses effectifs menacés (soit plus de 7 000 emplois). Elle est suivie de l’industrie chimique (7 100 emplois menacés, soit 3,6 % de ses effectifs) et de l’industrie des autres produits minéraux non métalliques (3 100 emplois menacés, soit 2,7 % de ses effectifs). Ces trois secteurs représentent à eux seuls 62 % des emplois menacés par la mise en place du MACF.

Ce dernier, par ailleurs, ne menacerait pas moins de 10 000 emplois supplémentaires dans les secteurs aval, du fait de la diffusion du coût carbone indirect (hors pertes d’emplois liées à la baisse d’activité au grand export). Parmi ces secteurs, les industries qui consomment des produits métallurgiques seraient les plus touchées, comme l’industrie des produits métalliques et l’industrie des transports. Les volumes d’emplois menacés restent toutefois moindres par comparaison aux secteurs MACF eux-mêmes.

Cette exposition différenciée entre secteurs amont et secteurs aval est confirmée par les entretiens, à une notable exception près : comme indiqué plus haut, les industries mécaniques redoutent que le MACF ne touche très sévèrement leur secteur.

Il convient par ailleurs d’interpréter ces résultats avec prudence au regard des hypothèses initiales.

D’une part, ces estimations sont à lire dans un scénario de mise en place immédiate du MACF et pour un prix du carbone stabilisé à 100 € la tonne de CO2. Or, les industriels s’interrogent d’ores et déjà sur l’éventualité d’un prix du carbone plus élevé, notamment à l’horizon 2030, ce qui tirerait alors les estimations à la hausse.

D’autre part, le périmètre de produits MACF retenu dans l’exercice est bien plus large que le périmètre réel retenu par l’Europe, qui ne cible qu’une poignée de biens industriels dans sa première phase d’application. Si la quasi-totalité des sous-secteurs de la métallurgie est couverte par le mécanisme, ce n’est pas le cas dans l’industrie des produits minéraux non métalliques ni dans l’industrie chimique, dans lesquelles le ciment et les engrais représentent en réalité deux segments industriels minoritaires (respectivement 9,3 % et 2,7 % du chiffre d’affaires de leur secteur en 2019 ; données sectorielles détaillées d’émissions de CO2 indisponibles). Les résultats présentés plus haut sont donc sans doute surestimés pour cette raison.

Quoi qu’il en soit, les entretiens confirment clairement que ce risque est de deuxième ordre, pour l’industrie française, après celui que représente la crise énergétique.

Le MACF en impasse ?

En dépit des nombreux appels des industriels à garder le bénéfice des quotas gratuits en parallèle du MACF, il semble qu’un consensus européen ait émergé sur le fait que la gratuité des quotas ne constituait pas une incitation suffisante à décarboner les processus industriels. Un tel retour en arrière serait en outre très difficile à imaginer politiquement, du moins tant que la phase pilote n’aura pas été menée à son terme et dûment évaluée.

Tout au contraire, la Commission conserve le pouvoir d’étendre le MACF dans deux directions : aux secteurs aval d’une part et aux émissions de scope 2 d’autre part. Chacune de ces hypothèses est hautement débattue, non seulement entre les industriels et les autorités européennes mais aussi entre filières industrielles.

Premièrement, afin de réduire les risques de fuite de carbone que nous avons identifiés, une première option consisterait à élargir le périmètre du MACF aux filières aval afin de les protéger à leur tour de la concurrence extra-européenne. Ce scénario est pourtant loin d’être unanimement soutenu. Certaines filières pointent en effet la complexité supplémentaire que cela apporterait au mécanisme. Comme le résume Jacques Bordat, de la Fédération des industries du verre, « l’hypothèse d’une extension du MACF aux produits semi-finis semble illusoire tant il sera compliqué de retracer le carbone des produits importés ». D’autres pointent l’absence de recul sur la première phase du mécanisme, comme Guillaume de Goÿs, président d’Aluminium France, qui affirme qu’« il serait extrêmement hasardeux d’élargir le MACF tant qu’on n’a pas mesuré effectivement ses effets sur la compétitivité des secteurs ni son efficacité pour décarboner l’économie ». Ajoutons que, même quand une fédération industrielle française tend à soutenir cette extension, elle n’est pas forcément suivie par ses homologues européennes, pourtant normalement soumises aux mêmes contraintes. Ainsi, selon son président, Philippe Contet, la FIM dit se sentir « assez seule dans ce combat sur la scène européenne. Les pays d’Europe du Nord considèrent le MACF comme un outil climatique pertinent, même s’ils partagent le constat d’une probable augmentation du coût des intrants. Considérant les quotas gratuits comme un outil très inefficace pour décarboner, ils ne voient pas matière à mener un effort conjoint d’influence [et] ne veulent pas que l’annexe soit étendue, car plus on intégrera de produits dans l’annexe du MACF et plus les clients des entreprises couvertes seront concernés par un surcoût. La problématique ne ferait qu’être reportée. »

Deuxièmement, les industriels restent aujourd’hui suspendus à l’éventualité d’un élargissement du MACF aux émissions de scope 2, c’est-à-dire au coût du carbone contenu dans la production de l’électricité, ce qui serait une deuxième manière d’étendre le dispositif. Ce choix aurait toutefois pour conséquence de supprimer la compensation des coûts indirects du carbone pour les secteurs MACF qui y sont jusque-là éligibles (i. e. ceux qui sont très exposés au risque de fuite de carbone, c’est-à-dire à la fois intensifs en électricité et exposés au commerce international). En fonction des conditions de marché propres à chaque secteur, ceux-ci réagissent différemment à cette éventualité, même parmi les électro-intensifs. Le président d’Aluminium France indique par exemple que, dans l’hypothèse de la perte de la compensation des coûts indirects, « une entreprise comme Aluminium Dunkerque se trouverait directement en difficulté face à ses concurrents islandais, russes ou norvégiens, qui bénéficient de prix de l’énergie beaucoup plus favorables ». Tout au contraire, l’industrie cimentière, qui ne bénéficie pas de la compensation indirecte du coût du carbone (son intensité commerciale ayant été jugée insuffisante pour en justifier l’octroi), accueillerait comme une bonne nouvelle l’élargissement du MACF aux émissions de scope 2.

Au-delà de ces controverses « techniques », les industriels alertent plus fondamentalement sur le fait que, dans un contexte de prix élevés de l’énergie, le MACF risque de manquer sa cible : plutôt que d’inciter les industriels à accélérer leur « verdissement », qui réclame des investissements lourds et très souvent un recours accru à l’énergie électrique en parallèle d’un coût croissant des émissions de CO2, il pourrait au contraire les pousser à suspendre leurs plans de décarbonation en Europe, surtout si le MACF s’avère être une « forteresse de papier », aisément contournable par la concurrence. Une crainte que le directeur des affaires publiques d’ArcelorMittal France formule en ces termes : « Si la Chine décarbone ses sites de production affectés au marché européen, le MACF n’aura aucun impact. » À terme, il est donc intéressant de noter que les industriels en reviennent à évoquer la situation énergétique comme le problème fondamental. Comme le résume Olivier Riu, responsable énergie de la Copacel, « le MACF ne résoudra en rien l’écart de compétitivité de l’industrie européenne par rapport au reste du monde. Le vrai problème tient au fonctionnement du marché de l’électricité et à l’accès à une énergie décarbonée compétitive. »

Cela est d’autant plus vrai que, si des progrès significatifs sont à portée de main pour réduire les émissions liées aux intrants énergétiques, il sera plus compliqué de contenir également les émissions de process. Ces dernières, qui représentent par exemple 20 % des émissions dans l’industrie du verre et jusqu’à 60 % dans l’industrie du ciment, requièrent en effet des procédés de captation et de valorisation de CO2 (CCS/CCU), très énergivores et pour lesquels la France a pris du retard. Bruno Pillon, président du Syndicat français de l’industrie cimentière (SFIC), indique à ce titre qu’« en France, rien n’a encore été entrepris dans nos cimenteries pour mettre en place des unités de captation significatives et, en aval, des technologies de séquestration. Les pays d’Europe du Nord, où l’électricité est souvent deux à trois fois moins chère que chez nous, ont été les premiers d’Europe à se lancer dans le CCS (carbon capture and storage). » L’obstacle des investissements est également invoqué par le directeur des affaires publiques d’ArcelorMittal France, selon qui « il existe certes certains projets de CCU en cours, mais ils nécessitent des CAPEX très élevées ».

Voilà pourquoi, pour éviter que le MACF ne se retourne « comme un piège contre l’industrie européenne », selon la formulation du président du SFIC, les industriels réclament d’une même voix un accès à une énergie décarbonée et compétitive ainsi que la mise en place d’aides publiques pour accélérer la décarbonation. Le succès du MACF ne tient donc pas seulement à son périmètre d’application, amplement débattu, mais également à la conjoncture énergétique dans laquelle il se déploie et qui, pour l’heure, joue plutôt comme un facteur compromettant.

  • 14. Ce choix de périmètre à l’échelle de la division est tributaire de la disponibilité des données, qui ne permettent pas de mener l’analyse à un niveau plus fin de la nomenclature.
  • 15. Pour rappel, le scope 2 n’est pas inclus dans le MACF mais la Commission européenne se réserve le droit d’élargir le périmètre aux émissions indirectes durant la phase de transition.
  • 16. En ce sens, le coût carbone s’apparente dans le modèle à un coût nouveau pour les secteurs couverts et les secteurs aval ; c’est la raison pour laquelle on parle ici de « coût » carbone et non de « surcoût » carbone.
  • 17. Les gaz à effet de serre autres que le CO2 ne sont pas couverts dans l’exercice.
  • 18. Le level playing field peut être défini comme un « terrain de jeu » qui ne favorise pas une partie prenante au détriment d’une autre.
Chapitre 4

L’IRA, un élément perturbateur

Tandis que les perspectives de l’industrie européenne semblent hypothéquées par la crise énergétique et, quoique moins violemment, par la mise en place annoncée du MACF, les industriels du Vieux Continent ont été surpris par la promulgation de l’Inflation Reduction Act (IRA) aux États-Unis, une mesure qui pourrait précisément inciter les investisseurs à détourner le regard.

Depuis, de nombreuses destructions (ou non-créations) d’emplois ont été anticipées, voire prophétisées, en Europe, particulièrement pour les secteurs directement concernés par la décarbonation des procédés. Toutefois, nous pensons que l’IRA suscite en Europe une menace plutôt indirecte et d’une moindre ampleur comparée à celles que nous avons relevées précédemment. Incontestablement, l’IRA crée des conditions d’investissement très attractives aux États-Unis, qui rendent d’autant moins supportables les difficultés relevées en Europe. En ce sens, l’IRA agit plutôt comme un épouvantail, qui nous rappellerait la menace pesant sur l’emploi industriel français et pourrait en précipiter le développement, sans représenter une grande menace additionnelle pour autant. Sans oublier que l’IRA comporte aussi ses fragilités et ses risques d’échec.

Les effets attendus sur l’investissement industriel

Afin de déterminer si l’IRA peut fragiliser l’économie européenne, il est essentiel de comprendre dans quelle mesure les dispositions que cette loi contient peuvent inciter les investisseurs à se détourner de l’Europe au profit des États-Unis. Une récente étude menée par le cabinet Trendeo (Trendeo, 2023) annonçait ainsi que les États-Unis étaient actuellement la destination mondiale numéro un pour les investissements, avec près de 13 milliards de dollars sur les 23 milliards recensés dans le monde en février 2023. Ce résultat était dû en partie à l’annonce de mégaprojets tels que la construction d’une usine de batteries pour véhicules électriques dans le Michigan, par Ford Motor Company, estimée à 3,5 milliards de dollars et qui devrait créer 2 500 emplois. Ainsi présentées, ces annonces peuvent impressionner et susciter des inquiétudes quant aux flux d’investissement à destination de l’Europe.

Il convient toutefois de mettre en perspective plusieurs éléments. Tout d’abord, il est important de rappeler que les États-Unis sont régulièrement en tête du classement mondial des pays destinataires d’investissements directs étrangers, attirant entre 240 et 480 milliards de dollars de flux entrants chaque année, soit entre 20 et 40 milliards de dollars par mois. Les chiffres observés récemment correspondent donc à la tendance décennale. En outre, contrairement à ce que l’on peut entendre parfois, l’IRA ne permettra pas de réindustrialiser les États-Unis. En effet, le pays crée en moyenne 1 million d’emplois par an, tandis que l’industrie américaine en détruit 150 000 par an depuis au moins vingt ans. Si les prévisions optimistes avancées à l’été 2022 se réalisent, l’IRA stabilisera la population active industrielle en créant 1,5 million d’emplois au cours des dix prochaines années (Energy Innovation, 2022). Bien que cela soit honorable, cela ne représente qu’environ la moitié de ce qui est nécessaire pour maintenir la part de l’industrie dans l’emploi américain.

La récente note du CEPII déjà citée (Bouët, 2023) rappelle en outre que l’Union européenne dispose elle aussi d’atouts pour attirer des investissements directs étrangers. Elle souligne également que les subventions engagées dans l’IRA représentent environ 0,17 % du PIB américain par an pendant dix ans, ce qui reste, en termes relatifs, sensiblement inférieur aux aides proposées dans le même périmètre par l’Union européenne. Sans oublier que les critères techniques associés (les obligations de contenu local ou Domestic Content Requirements – DCR) sont restrictifs et le seront de plus en plus au cours des dix prochaines années, ce qui devrait freiner d’autant l’atteinte des objectifs ambitieux de la loi.

Huit crédits d’impôt à fort impact potentiel sur l’industrie européenne

Sur les vingt crédits d’impôt destinés aux industriels, élaborés dans le cadre de l’IRA, huit sont perçus comme porteurs de risque par les industriels européens. Il s’agit principalement de crédits d’impôt pour la production d’énergie renouvelable et de carburant bas carbone, pour l’achat de véhicules électriques ou encore pour la fabrication des composants nécessaires à la production d’énergie renouvelable.

Figure 4.1 – Les filières ou secteurs potentiellement concernés par les différents crédits d’impôt

(*) Le contenu des différents crédits d’impôt est décrit en annexe XVIII.

Des contraintes résiduelles aux États-Unis et des opportunités persistantes en Europe

Si l’on examine maintenant, secteur par secteur, les opportunités offertes par l’IRA mais aussi les contraintes pouvant dissuader les investisseurs, européens ou non, d’en profiter, on se dote d’une perception plus juste de la menace que représente pour l’Europe cette nouvelle politique américaine. En face, il est bon également de rappeler, dans chaque domaine, le positionnement et les atouts de l’Europe face aux États-Unis.

Batteries, système de stockage et véhicules électriques : des marchés peu avancés et pas encore très compétitifs aux États-Unis

D’après une note de l’OFCE (Guillou, 2022), le budget de l’IRA consacré aux véhicules électriques, sous forme de subventions à l’achat, serait de 24 milliards de dollars. Une somme de nature à stimuler un marché encore modeste aux États-Unis. En effet, sur un marché mondial hautement dynamique (les ventes ont été multipliées par quatre entre 2019 et 2021 !), les États-Unis, pourtant deuxième marché automobile mondial, représentent à peine 10 % des ventes (600 000 véhicules électriques sur les 6,6 millions vendus dans le monde en 2021). Pour les constructeurs, dont les trois premiers – l’Américain Tesla, l’Allemand VW et le Chinois BYD – concentrent un tiers de l’offre (IEA, 2022), il s’agit donc surtout d’un pari sur l’avenir, compte tenu du potentiel offert par le marché automobile américain.

Du côté des batteries, la production américaine de cellules pour le stockage et la mobilité ne répond actuellement qu’à un cinquième de la demande prévue jusqu’en 2031 (Liu, 2023). Elle répond prioritairement au secteur automobile, ce qui aggrave la pénurie d’équipement pour les projets de stockage. La demande à combler peut donc encourager les producteurs de cellules européens à investir eux aussi sur le marché américain. Néanmoins, la pénurie de main-d’œuvre et le coût des matériaux y constituent deux obstacles majeurs. La production des précurseurs (i. e. de produits semi-finis) de cathodes et d’anodes19 permettrait de compenser les coûts logistiques, mais il sera difficile de s’approvisionner en composants sur des marchés non chinois20, car la Chine contrôle respectivement 92 % et 79 % de l’offre mondiale de cathodes et de précurseurs d’anodes, comme le rappelle une récente étude du cabinet Wood Mackenzie (Liu, 2023).

En outre, si l’Advanced Manufacturing Production Credit (AMPC)21 contenu dans l’IRA permet aux cellules américaines de devenir compétitives par rapport aux importations chinoises, cela reste à la condition que les droits de douane de l’article 301 soient maintenus22. À terme, les économies d’échelle et les améliorations technologiques offriraient aux fabricants installés aux États-Unis d’autres moyens de réduire les coûts, mais les exigences strictes en matière de politiques environnementales compenseront ce phénomène dans une certaine mesure.

Concernant enfin les systèmes de stockage d’énergie, les exigences de contenu local stipulées par l’IRA pourraient augmenter les coûts d’équipement jusqu’à 13 %, la majeure partie de l’augmentation provenant des modules de batterie nationaux23 (les modules importés représentaient déjà 44 % du coût des équipements de stockage d’énergie en 2022). Tous calculs faits, d’après le rapport de Wood Mackenzie (Liu, 2023), la fabrication de systèmes de stockage à grande échelle peut rester rentable aux États-Unis tout en respectant les seuils de contenu local, à condition que la hausse des prix induite par ces exigences ne dépasse pas 12 %. Le bilan est donc encore largement incertain.

En résumé, depuis l’irruption de l’IRA, la marche forcée vers la mobilité électrique semble désormais concerner toutes les principales économies de la planète. Cela étant, la concentration de la chaîne de valeur en Asie est un défi au moins aussi ardu pour l’industrie américaine que pour son homologue européenne. D’après Marc Mortureux, directeur général de la Plateforme française de l’automobile (PFA), « ce transfert vers la mobilité électrique requiert l’adoption de technologies aujourd’hui très bien maîtrisées par les Chinois et les Sud-Coréens ».

En tout état de cause, l’IRA ne préfigure pas une invasion du marché européen par des véhicules électriques made in USA . Mais elle renforce l’exigence de volontarisme et de clarté, de la part de l’Europe et notamment de la France, qui ont toujours une carte à jouer. Leur attractivité à l’égard des investissements dans des systèmes de stockage tout comme leur projet d’électrification massive du secteur de l’automobile requièrent un prix de l’électricité compétitif, lisible et stable. C’est dans cette logique, selon la PFA, que « le secteur de l’automobile dispose d’une feuille de route pour 2030, avec pour ambition de faire de l’électrification une “opportunité de rebond”. Mais, en pratique, cela n’est possible qu’au prix d’efforts importants pour que la France accueille une part significative des investissements attendus en Europe. Quelques succès ont été enregistrés si l’on se donne une acception suffisamment large du secteur “automobile”, avec notamment les trois gigafactories de batteries, les piles à combustible de Symbio, les moteurs électriques et l’électronique de puissance ou encore Hyvia (l’offensive de Renault sur l’hydrogène). Ces projets ont été lancés grâce à deux dynamiques complémentaires : la reconversion de sites existants (par exemple ACC à Douvrin), et la diversification d’acteurs tels que Forvia ou Michelin qui misent ainsi sur l’hydrogène. »

Énergies renouvelables : des difficultés d’approvisionnement local pour les promoteurs

Sur le marché des énergies renouvelables, l’IRA prévoit plusieurs mesures incitatives, notamment des crédits d’impôt, qui pourraient réduire le coût des équipements solaires et éoliens de 20 % à 60 %. De quoi améliorer leur compétitivité aux États-Unis en tant que source d’électricité de nouvelle génération. Luc Benoit-Cattin, président de France Chimie, note en outre que « le soutien prévu aux énergies renouvelables améliore également la compétitivité de l’électricité décarbonée et indirectement du PVC décarboné ».

Wood Mackenzie (Liu, 2023) s’attend à ce que l’investissement annuel dans le secteur des énergies renouvelables passe ainsi de 64 milliards de dollars en 2022 à près de 114 milliards de dollars d’ici 2031. Parmi les différents crédits d’impôt y contribuant, l’AMPC est accordé aux promoteurs de projets d’énergie renouvelable qui parviennent à s’approvisionner aux États-Unis à hauteur de 40 % de l’ensemble des équipements (20 % pour l’éolien en mer). Ce pourcentage passera à 55 % après 2026 (2027 pour l’éolien en mer). En outre, 100 % des matériaux de construction en acier et en fer doivent être fabriqués aux États-Unis. Or, actuellement, environ 70 % des modules photovoltaïques et 80 % des cellules lithium-ion sont fabriqués en Chine, selon l’étude de Wood Mackenzie. Sur le marché de l’éolien, la Chine produit près de 70 % de tous les groupes motopropulseurs et 65 % des pièces moulées. En comparaison, les fabricants américains ne satisfont que 2 % de la demande mondiale de modules photovoltaïques, 7 % de la demande de cellules de batteries et 0 % de la demande de groupes motopropulseurs et de pièces moulées en 2021.

Le respect des seuils de contenu local augmenterait les coûts d’équipement des promoteurs jusqu’à 8 % mais les bonus leur en restitueraient 4 % sur une base actualisée nette, ce qui devrait ramener les configurations d’équipement nationales à une quasi-parité avec les projets utilisant de l’équipement importé. Compte tenu de la différence de coût marginal, les auteurs de Wood Mackenzie s’attendent à ce que les promoteurs s’approvisionnent en équipements nationaux lorsqu’ils sont disponibles, ce qui donnera aux équipementiers la possibilité de conserver la plupart des crédits d’impôt qu’ils reçoivent.

En somme, ce n’est donc pas pour des raisons financières que ces clauses de contenu local pourraient avoir une efficacité limitée mais plutôt parce que les promoteurs risquent de se heurter à un manque d’offre locale.

Là encore, il n’y a donc pas de quoi redouter que l’industrie américaine des énergies renouvelables soit si productive qu’elle inonde les marchés européens. Et la perspective de voir les investissements européens détournés vers les États-Unis du seul fait des incitations mises en place par l’IRA ne résiste pas, elle non plus, à l’analyse. En 2019, la France avait le quatrième parc éolien le plus important d’Europe, avec une capacité installée de 16,5 GW, principalement terrestre (RTE, 2019). Malgré cela, le développement de l’énergie éolienne est freiné par sa faible acceptabilité. Ce qui permet des possibilités de développement du secteur de l’éolien offshore qui, lui, est très concentré. Cinq pays (Royaume-Uni, Chine, Allemagne, Belgique et Danemark) représentent à eux seuls près de 95 % des capacités mondiales installées en 2022 (Vinci, 2022). La France, qui n’a inauguré son premier parc éolien offshore qu’en 2022, est encore très loin derrière ses voisins.

Panneaux photovoltaïques : une industrie à construire de toutes pièces

Depuis l’adoption de l’IRA, un grand nombre de fabricants de panneaux photovoltaïques ont annoncé leur intention d’accroître leur capacité de production aux États-Unis. La capacité nationale de production de modules a ainsi atteint 45 GW en janvier 2023 (Liu, 2023). C’est certes important mais insuffisant pour répondre à l’ensemble de la demande américaine prévue24. En outre, la capacité de production des composants essentiels des panneaux – à savoir les wafers25 et les cellules – devra, elle, être construite en partant de zéro.

Aujourd’hui, les coûts de fabrication des panneaux photovoltaïques aux États-Unis peuvent être jusqu’à 32 % plus élevés que ceux d’Asie du Sud-Est, qui bénéficient d’avantages significatifs sur le coût de la main-d’œuvre26. L’approvisionnement en composants de modules aux États-Unis augmenterait le coût d’ensemble des panneaux made in USA de 17 % supplémentaires. Si les fabricants américains satisfont à tous les critères de contenu local au sein de la chaîne de fabrication, la valeur cumulée des crédits d’impôt (AMPC) peut représenter jusqu’à 29 % des coûts de fabrication aux États-Unis. L’IRA est donc de taille à rendre les équipements compétitifs par rapport aux importations en provenance d’Asie du Sud-Est.

S’agit-il pour autant d’une menace pour l’Europe, d’où cette industrie a disparu ? Rien n’est moins sûr. En effet, en 2022, la production de modules photovoltaïques en Europe représentait moins de 3 % de la production mondiale, bien que l’Union européenne soit l’un des principaux marchés pour ces produits, aux côtés de la Chine (Horizon Europe, 2022).

Des réactions très différenciées entre secteurs industriels

La perception du risque que l’IRA pourrait faire peser sur l’industrie française varie d’un secteur à l’autre et selon sa position sur la chaîne de valeur. À partir des entretiens que nous avons menés, nous pouvons regrouper les secteurs en trois catégories. Simple épouvantail pour certains, l’IRA est au contraire une véritable menace pesant sur leur activité domestique pour d’autres, ou une opportunité pour d’autres encore. Si l’on s’adonne à classer les secteurs industriels en fonction de leur niveau d’inquiétude, l’aluminium, la chimie amont et la sidérurgie seraient en tête ; viennent ensuite le ciment, le verre, la mécanique, l’industrie ferroviaire, puis enfin l’automobile et le pétrole.

Automobile, pétrole : un signal déplaisant en Europe mais une opportunité de mener des activités outre-Atlantique

Pour certains secteurs, l’IRA est perçu comme une opportunité de créer ou d’étendre des activités aux États-Unis sans forcément porter préjudice à l’industrie française. C’est le cas du secteur automobile, dont la production et la concurrence restent très régionalisées. « L’IRA est un mauvais présage, un déséquilibre de plus en défaveur de l’Europe, mais pas une menace directe. Il n’est d’ailleurs pas interdit de penser que certains groupes européens sauront en tirer parti pour réaliser des affaires florissantes aux États-Unis », souligne ainsi Marc Mortureux, directeur général de la PFA. En effet, fin février 2023, le constructeur automobile Stellantis a annoncé un nouvel investissement de 155 millions de dollars dans trois usines de l’Indiana, pour intensifier sa production de modules de propulsion électrique27. En parallèle, le constructeur poursuit ses investissements dans son outil productif français28. Les constructeurs allemands ne sont peut-être pas aussi sereins, eux qui avaient conservé en Allemagne la construction des berlines à destination du marché américain. Sur les nouveaux segments de véhicules électriques, il n’est pas impossible que l’IRA provoque un contrecoup sur l’activité domestique. Les constructeurs français n’ont pas ce dilemme : « La concurrence la plus tangible pour les acteurs français de l’automobile est aujourd’hui la pénétration chinoise du marché européen grâce aux véhicules électriques », rappelle le directeur général de la PFA.

Pour l’industrie pétrolière également, l’IRA offre une opportunité aux grands acteurs internationaux du secteur de développer des activités aux États-Unis. Olivier Gantois, président d’Ufip Énergies et Mobilités, et Franck Chevallier, directeur Raffinage et Transition énergétique, voient d’ailleurs d’un bon œil le fait « que d’autres continents, et notamment l’Amérique du Nord, entament eux aussi leur transition énergétique. […] La principale distorsion de concurrence qui pénalise nos membres aujourd’hui provient du fait que l’Europe a une politique climat très ambitieuse, avec un prix du CO2 qui augmente et une énergie conjoncturellement à un prix plus élevé. » Ils saluent enfin « l’efficacité, l’immédiateté et la clarté du plan américain, dont l’Europe pourrait s’inspirer, notamment dans sa réponse à l’IRA ».

Verre, ciment, papier, mécanique, ferroviaire : une menace faible, voire inexistante

Une deuxième catégorie d’acteurs rassemble les secteurs faiblement inquiets du fait des conséquences de l’IRA sur l’industrie française, et de la nature de leur production, sans y voir non plus une opportunité particulière. Par exemple, dans le secteur du verre, les produits voyagent très mal. « Les quelques produits en verre qui voyagent aisément (fibre de verre…) viennent essentiellement de Chine quand ils sont importés », note le président de la Fédération de l’industrie du verre.

De la même façon, la forte dimension locale de l’industrie cimentière est telle que le risque de voir l’activité se déplacer aux États-Unis pour abonder en retour le marché européen est infime. D’autant que les États-Unis ne sont pas un pays très exportateur de clinker, la matière première du ciment. Ainsi, par comparaison avec les prix élevés de l’énergie et le MACF, « l’IRA est [le risque] le moins prégnant pour l’industrie cimentière »,souligne le président du Syndicat français de l’industrie cimentière.

Pour l’industrie papetière, ce n’est pas tant que les produits voyagent peu mais plutôt que les États-Unis ne sont pas, à ce jour, un exportateur significatif. Les importations de pâte de cellulose provenant d’Amérique du Sud sont autrement plus préoccupantes pour cette industrie aux marges historiquement faibles, et très chahutée par le maintien des prix de l’énergie à des niveaux élevés.

Pour les industries de la mécanique, très largement constituées de TPE et PME, aucun appel du large significatif ne se fait entendre en vue de s’établir outre-Atlantique.

L’industrie ferroviaire française est, quant à elle, suffisamment bien placée sur l’échiquier mondial pour ne pas redouter les contrecoups de l’IRA. Igor Bilimoff, délégué général de la Fédération des industries ferroviaires, rappelle qu’elle « se situe au troisième rang mondial, les États-Unis étant loin derrière. Elle n’a donc pas de menace à redouter d’un regain de politique industrielle outre- Atlantique, contrairement à d’autres filières industrielles. »

Chimie, acier, aluminium : un appel d’air très menaçant

À l’inverse des précédents, les secteurs dont les enjeux de décarbonation sont les plus lourds et dont les produits voyagent facilement se sentent particulièrement menacés par les appels d’air que constituent les subventions de l’IRA. C’est le cas de la chimie amont. « La subvention prévue en faveur de l’hydrogène décarboné a un impact immédiat sur la compétitivité de ce produit et sur celle de l’ammoniac, produit à partir d’hydrogène », indique Magali Smets, directrice générale de France Chimie. Le marché américain suscite donc un réel intérêt pour les investissements des grands groupes internationaux, qui pourraient se faire au détriment de l’industrie européenne. Par exemple, Solvay a annoncé, en novembre 2022, un investissement dans une usine de matériaux pour batteries aux États-Unis qui bénéficiera d’un soutien de 178 millions de dollars. BASF, leader européen de la chimie, a pris des décisions assez fortes de restructuration de son site historique de Ludwigshafen et annonce des développements en Chine et aux États-Unis. « Même si la France a été un peu préservée jusqu’à présent29, cette situation ne saurait rester sans conséquences à long terme. Sans action des pouvoirs publics au niveau européen et français, on risque d’assister à des arbitrages en matière d’investissement au détriment de la France, s’inquiète Magali Smets. Certaines entreprises avaient décidé d’investir en Europe et elles se posent aujourd’hui la question de l’opportunité de cet investissement. Dans le cadre de France Relance, les investissements privés sont subventionnés à hauteur de 20 % dans le secteur de la chimie. Aux États-Unis, il leur en est proposé 50 %, sans oublier que la durée de traitement des dossiers peut être également un facteur de décision, tout comme les conditions d’accès aux aides, généralement plus restrictives en Europe. »

De la même manière, dans le secteur de la métallurgie, les exigences en contenu local pour la fabrication d’éoliennes et de panneaux photovoltaïques à partir d’acier et d’aluminium 100 % made in USA font craindre des arbitrages défavorables à la France. Comme le rappelle Guillaume de Goÿs, président d’Aluminium France : « Dans notre secteur, l’investisseur choisit ses sites et ses opérations sur la base du cash flow actualisé sur cinq ans. Or, aujourd’hui, il existe un facteur de risque européen face à une certitude et une lisibilité aux États-Unis. Aluminium Dunkerque peut prédire, à 20 % près, son EBITDA30 en 2023, voire 2024. Pour 2025, 2026 et au-delà, absolument aucune conjecture fiable ne peut être avancée aujourd’hui. Aux États-Unis, au contraire, tout est parfaitement clair. »

Figure 4.2 – Synthèse de la perception des risques liés à l’IRA

À long terme, ces risques directs encourus par les secteurs en amont des chaînes de valeur pourraient dégrader à leur tour la compétitivité de leurs clients en aval. Le président d’Aluminium France rappelle ainsi que « s’il est vrai que les sites de production dont nous parlons [sites de production d’aluminium] ont des durées de vie longues voire très longues, il n’en demeure pas moins que les variations des flux d’investissement sont l’explication principale de l’apparition ou de la disparition de ces activités industrielles sur tel ou tel continent ». Il ajoute que « entre 2021 et 2023, la production d’aluminium primaire a été réduite de 50 % en Allemagne. La moitié de cette réduction est sans doute définitive. Un site en Hollande a déjà été définitivement liquidé en 2021 ; un autre en Roumanie, un autre en Lituanie. Toute la production ne redémarrera pas en Allemagne ; et la question est posée pour la production française. »

Le Net Zero Industry Act (NZIA) européen : une riposte à l’IRA encore timide ?

Contexte et présentation du NZIA

L’Union européenne n’est pas restée inactive face à la menace que fait peser l’IRA sur l’industrie européenne. En février 2023, la Commission européenne a annoncé un « plan industriel du Pacte vert » visant à renforcer la compétitivité et les capacités de production de l’industrie européenne dans les technologies nécessaires à la transition énergétique. C’est dans ce nouveau cadre que la Commission européenne a formulé, dans la foulée, trois propositions réglementaires : un règlement intitulé Net Zero Industry Act (NZIA), un règlement sur les matières premières critiques et une proposition de réforme du marché de l’électricité.

Le règlement Net Zero Industry Act (NZIA) constitue donc une pièce maîtresse du « plan industriel du Pacte vert ». Il vise à soutenir des projets dans les technologies à zéro émission en Europe et à attirer des investissements afin que l’Union européenne soit capable de produire, dès 2030, au moins 40 % des technologies « stratégiques » de transition énergétique qu’elle utilise. Le texte entend également renforcer les chaînes d’approvisionnement en énergie propre, afin d’accroître la souveraineté industrielle de l’UE en matière de transition énergétique. Cela est essentiel car l’UE est actuellement fortement dépendante de fournisseurs étrangers, en particulier de la Chine. S’agissant spécifiquement du captage du CO2, le NZIA porte pour objectif d’atteindre une capacité de stockage annuel de 50 millions de tonnes dans l’Union européenne à l’horizon 2030.

En pratique, la proposition de règlement du NZIA identifie des technologies « zéro net »31 et propose de soutenir les nouveaux projets industriels correspondants à ces dernières, notamment en accélérant les procédures administratives liées à l’octroi de permis (de douze ou dix-huit mois selon le projet), en améliorant l’accès aux fonds publics et aux marchés publics et en étoffant l’offre de formation sur les métiers correspondants à ces technologies. Parmi les technologies « zéro net », le NZIA énumère, des technologies dites stratégiques (voir figure ci-contre), pour lesquelles la Commission entend accélérer davantage les procédures administratives et améliorer davantage l’accès aux fonds publics32. Le texte prévoit également la mise en place de « bacs à sable réglementaires »33 pour permettre la montée à maturité de technologies dites innovantes34. Pour atteindre l’objectif chiffré de capacités de stockage de CO2, le texte fournit un cadre destiné à renforcer et accélérer le recensement des sites de stockage potentiel, avec la contribution notamment des producteurs de pétrole et de gaz.

Figure 4.3 – Liste des technologies stratégiques « zéro net »

Source : Commission européenne (2023b).

L’UE souhaite également sécuriser, relocaliser et diversifier son approvisionnement en matières premières critiques. En parallèle du NZIA qui identifie des technologies, une autre proposition de règlement identifie un ensemble de matières premières « stratégiques », notamment dans le contexte de la transition énergétique, telles que le cuivre, le lithium, le magnésium, le cobalt, le platine et les terres rares. À l’horizon 2030, il a été fixé pour objectif d’extraire 10 % de la consommation de chacune de ces matières premières sur le sol européen, d’en traiter localement 40 % et de s’assurer que 15 % de la consommation provienne du recyclage européen. Enfin, l’UE devra s’être affranchie de sa dépendance à l’égard de certains pays fournisseurs, de sorte qu’aucun pays hors-UE ne devra fournir plus de 65 % des importations européennes de l’une de ces matières premières, à n’importe quel stade de transformation (actuellement, 98 % des terres rares, 97 % du lithium et 93 % du magnésium consommés en Europe proviennent de Chine) (Commission européenne, 2023a).

NZIA et IRA : quelles différences ?

Il subsiste plusieurs différences majeures entre le NZIA et l’IRA. La première réside dans l’approche politique. Là où l’IRA soutient la décarbonation au sens large, le NZIA se concentre sur un nombre limité de technologies, ce qui n’est pas sans soulever des questions sur son efficacité de la part des industriels. Ce constat est par exemple formulé par les représentants de France Chimie : « L’approche américaine apparaît pragmatique : elle subventionne la décarbonation de l’économie par tous les moyens possibles. L’approche européenne, elle, consiste à soutenir des technologies. En particulier, la riposte européenne à l’IRA actuellement en préparation se fonde sur huit technologies clés, ce qui peut se révéler moins efficace. » Toutefois, certains observateurs font le reproche inverse à l’IRA, affirmant qu’il serait justement plus efficace de se concentrer sur des technologies plus prometteuses et pour lesquelles la zone concernée dispose d’un avantage compétitif telles que l’éolien ou encore le capture et le stockage du CO2 en Europe35, plutôt que de disperser les efforts. Les années à venir aideront à trancher ce débat sur l’efficacité des stratégies publiques.

Autre différence sensible, les sources de financement pour la transition énergétique ne sont pas comparables. L’approche de l’UE consiste à réaffecter des fonds existants dans le cadre d’anciens plans ou programmes comme REPowerEU ou encore ceux du Plan de relance et de résilience (PRR) adopté pendant la crise du Covid-19 (Lenain, 2023). De plus, chaque État membre dispose de ses propres instruments financiers pour soutenir les projets de décarbonation. En effet, l’Allemagne a mis en place son propre fonds, le Fonds climat et transformation, doté de 180 milliards d’euros, tandis que la France dispose de plusieurs instruments financiers tels que le Fonds vert, le Prêt action climat, le Fonds décarbonation et le Fonds chaleur. Toutefois, la Commission admet elle-même que le budget actuel de l’UE ne sera pas suffisant (Commission européenne, 2023c) pour atteindre les objectifs du NZIA tandis que l’IRA bénéficie d’un budget dédié36. Par exemple, d’après les calculs internes de la Commission européenne, les crédits d’impôt accordés aux États-Unis pour soutenir la production d’hydrogène vert, de batteries et d’électricité d’origine photovoltaïque ou éolienne s’élèvent désormais à 40 % des coûts de production.

Si les fonds mobilisés dans le cadre du NZIA ne semblent pas suffire à l’atteinte des objectifs fixés, Bouët (2023) ne manque pas de souligner que, toutes aides comprises, les financements européens en faveur de la transition énergétique représentent encore aujourd’hui, rapportés au PIB, des aides plus généreuses que l’IRA. Ainsi, par exemple, le cadre temporaire de l’UE de crise et de transition, adopté en mars 2023, prévoit dans des conditions spécifiques des aides à la production de certaines technologies « zéro net » allant de 15 % à 60 %, en fonction de la taille de l’entreprise et de la localisation géographique du projet (présence ou non en zone d’aide à finalité régionale). Ces taux comprennent un bonus de 5 % s’il s’agit d’un crédit d’impôt ou d’un prêt, ainsi qu’un autre de 20 % pour les PME (Commission européenne, 2023c). Au vu de ce qui précède, l’UE n’a pas à rougir face aux montants brandis par les États-Unis dans le cadre de l’IRA.

En outre, les économistes observent que, dans un marché tel que celui des États-Unis, où les incitations au déploiement de ces technologies étaient jusqu’à présent très faibles (énergie bon marché et absence de taxation des émissions de gaz à effet de serre), il était indispensable de proposer des mesures d’ampleur suffisante pour que la décarbonation puisse s’initier dans les faits.

Enfin, la grande force de l’IRA réside dans sa simplicité de déploiement. Après avoir rappelé que, « les montants des aides d’État fournies de part et d’autre de l’Atlantique sont commensurables »,Olivier Gantois, président d’Ufip Énergies et Mobilités ajoute qu’« en revanche, toutes les parties prenantes s’accordent sur l’efficacité, l’immédiateté et la clarté du plan américain, dont l’Europe pourrait s’inspirer, notamment dans sa réponse à l’IRA ». Ce constat sur la lisibilité (des aides stables sur 10 ans) qu’offre aux entreprises la stratégie américaine est partagé par Guillaume de Goÿs, président d’Aluminium France : « Tous les investisseurs vont se tourner ou se tournent déjà vers les États-Unis, dont le cadre est beaucoup plus lisible et l’énergie moins chère. »

L’hydrogène et le nucléaire au cœur des débats

La proposition de la Commission pose aussi les bases d’une « banque de l’hydrogène », d’une capacité de prêt annoncée de 3 milliards d’euros. L’hydrogène est un vecteur de décarbonation de l’industrie très commenté ces temps-ci, et pour lequel l’accès à une électricité décarbonée, bon marché et en quantité suffisante reste le principal défi en Europe.

Luc Benoit-Cattin, président de France Chimie, rappelle à ce titre « la nécessité d’un retour à des prix compétitifs de l’électricité et d’un complément de soutien pour l’hydrogène (en CAPEX ou sous forme de subvention directe). […] En revenant à un tarif d’électricité à 50 €/MWh et en ajoutant une subvention de 2 €/kg (contre 3 €/ kg prévus dans l’IRA), l’Europe pourrait redevenir aussi compétitive que la production américaine », explique-t-il.

La Commission européenne a annoncé la création d’une prime verte pour encourager les projets liés à la production d’hydrogène renouvelable et combler ainsi l’écart de coût de production avec l’hydrogène fossile. Cette prime sera versée par kilogramme d’hydrogène produit, pendant une durée maximale de dix ans. Le montant sera déterminé par un processus de mise en concurrence, avec une première vente aux enchères de 800 millions d’euros prévue à l’automne 2023. Cette première enchère permettra de mieux dimensionner les prochaines ventes. Les critères de classement des offres et les règles de tarification seront définis après consultation des parties prenantes. La prime verte ne pourra pas être cumulée avec d’autres aides d’État. Cependant, les États membres pourront étendre ce dispositif d’enchères en apportant des ressources nationales supplémentaires au fonds spécial.

Toutefois, le principal problème à résoudre avant de pouvoir concrétiser cette proposition de NZIA est le différend qui oppose les pays pronucléaires, France en tête, qui réclament l’inclusion dans le dispositif de l’hydrogène « bas carbone » possiblement produit avec de l’électricité nucléaire, et ceux qui s’y refusent comme l’Allemagne ou l’Espagne. « La liste de ces technologies laisse transparaître un biais en faveur de certains pays d’Europe du Nord, Allemagne en tête, en privilégiant les énergies renouvelables au détriment du nucléaire, qui est pourtant une source d’électricité plus décarbonée que les autres », explique Luc Benoit-Cattin, président de France Chimie. « Concernant le nucléaire, l’IRA propose un crédit d’impôt sur la production d’énergie décarbonée (jusqu’à 15 US$/MWh) alors que l’Europe soutient peu le nucléaire, dans un contexte où nous avons pourtant besoin de toutes les énergies décarbonées pour réussir notre conversion énergétique », ajoute Olivier Riu, responsable énergie de la Copacel.

En effet, à l’heure actuelle, le nucléaire est inclus dans le texte proposé par la Commission parmi les technologies définies comme « zéro net », mais ne figure pas dans les technologies « stratégiques » (voir figure 4.2) bien qu’il représente 26 % de l’électricité produite dans l’Union (Ciucci, 2022). Pour rappel, le texte restreint la définition de « zéro net » appliquée au nucléaire à « des technologies avancées pour produire de l’énergie à partir de processus nucléaires avec un minimum de déchets, de petits réacteurs modulaires (SMR) et les meilleurs combustibles associés ». Le contenu des termes comme « technologies avancées », ou encore « meilleurs combustibles associés » reste encore à définir. Par conséquent, l’inclusion du nucléaire dans son ensemble (notamment le parc nucléaire existant) dans le NZIA européen est très incertaine, quand l’IRA américain l’encourage fortement avec un crédit d’impôt qui lui est spécifiquement dédié.

À terme, ce n’est qu’à l’issue de l’examen de la proposition initiale de la Commission par le Parlement européen et le Conseil de l’Union européenne que l’on pourra statuer définitivement sur la portée et l’ampleur de la réponse à l’IRA.

  • 19. Dans les batteries lithium-ion qui dominent le marché, la cathode est le plus souvent constituée d’un mélange de nickel (N), de manganèse (M) et de cobalt (C). La cathode peut aussi être composée en lithium-fer-phosphate (LFP). De son côté, l’anode est généralement en graphite. Les États-Unis exploitent actuellement du lithium, du cobalt et du nickel, mais pas de manganèse ni de graphite (Congressional Research Service, 2022).
  • 20. Les trois premiers producteurs de batteries concentrent 65 % de la production et les trois premiers producteurs d’anodes sont chinois et concentrent 55 % de la production.
  • 21. Voir annexe XVIII sur le contenu de ce crédit d’impôt.
  • 22. La section 301 de la loi sur le commerce extérieur des États-Unis de 1974 donne la possibilité au Bureau du représentant américain au commerce de prendre des mesures de rétorsion unilatérales contre les politiques commerciales de pays étrangers comme la Chine, en cas de conflit commercial.
  • 23. Les batteries sont composées de modules contenant les cellules. Les modules reliés les uns aux autres forment le pack batterie.
  • 24. Même en faisant fi des incertitudes sur la dynamique d’expansion de la chaîne d’approvisionnement, il est très peu probable qu’elle puisse suivre le rythme de croissance des énergies renouvelables aux États-Unis.
  • 25. Plaques très fines de matériau semi-conducteur monocristallin utilisées pour fabriquer des composants de microélectronique.
  • 26. L’issue de l’enquête du ministère du commerce américain sur les droits antidumping et les droits compensateurs (AD/CVD) pourrait entraîner la réimposition de droits de douane à certains importateurs, ce qui devrait aider la production nationale à devenir plus compétitive (Liu, 2023).
  • 27. D’après le communiqué de presse de Stellantis du 28 février 2023 (Stellantis, 2023).
  • 28. Stellantis a annoncé en novembre 2022 deux investissements dans ses sites français d’un montant total d’environ 165 millions d’euros (Saintpierre, 2022).
  • 29. Lachimiereprésente225000emploisenFrance(source:FranceChimie,2023).Elleestl’unedesraresfilièresindustrielles à être restée en croissance nette d’emplois pendant de nombreuses années.
  • 30. EBITDA pour earnings before interest, taxes, depreciation, and amortization, en anglais ; BAIIA pour bénéfice avant intérêts, impôts, dépréciation et amortissement, en français.
  • 31. Ces technologies sont les suivantes : « les technologies liées aux énergies renouvelables ; les technologies de stockage de l’électricité et de la chaleur; les pompes à chaleur; les technologies des réseaux électriques; les carburants renouvelables d’origine non biologique ; les technologies liées aux carburants de substitution durables ; les électrolyseurs et piles à combustible ; les technologies avancées de production d’énergie à partir de processus nucléaires dans lesquels le cycle du combustible génère un minimum de déchets, les petits réacteurs modulaires et les combustibles connexes les plus performants ; les technologies de captage, d’utilisation et de stockage du carbone ; et les technologies à bon rendement énergétique liées au système énergétique » (Commission européenne, 2023b).
  • 32. En parallèle du plan industriel du Pacte Vert, l’Union européenne cherche à assouplir les conditions d’octroi des aides d’État. En mars 2023, la Commission européenne a adopté un nouvel encadrement temporaire de crise et de transition. La mise à jour du texte a consisté à y faire figurer les technologies stratégiques « zéro net » et à considérer les aides en faveur des projets d’investissements correspondants comme compatibles avec la réglementation européenne des aides d’État.
  • 33. Le « bac à sable réglementaire » consiste en une série de règles permettant aux entreprises de tester des produits, services ou activités nouveaux et innovants dans un cadre réglementaire assoupli, sous la supervision d’une autorité pendant une période limitée.
  • 34. Le NZIA définit les technologies innovantes comme « des technologies qui relèvent de la définition des technologies “zéro net”, à l’exception du fait qu’elles n’ont pas atteint un niveau de maturité technologique d’au moins 8, et qui comportent de véritables innovations qui ne sont pas actuellement disponibles sur le marché mais qui sont suffisamment avancées pour être testées dans un environnement contrôlé » (Commission européenne, 2023b).
  • 35. L’Europe, et en particulier les pays du Nord, occupent une position de leader dans les technologies de capture du CO2 et d’utilisation dans l’industrie, mais l’absence de sites de stockage opérationnels constitue un goulot d’étranglement pour la mise en place de ces chaînes de valeur, qui permettraient aux industries dont les émissions sont difficiles à réduire de se décarboner (Commission européenne, 2023c).
  • 36. Notons qu’il subsiste un doute sur le financement de l’IRA. Dans le projet de loi fondateur, l’IRA est autofinancé par un relèvement de divers impôts, notamment sur les sociétés. Mais il se dit fréquemment que ce volet fiscal n’a pas abouti, laissant l’IRA financé par le déficit budgétaire américain.

Conclusion

Cet ouvrage propose un bilan quantitatif et qualitatif des risques de désindustrialisation pesant à court et moyen termes sur l’économie française dans un contexte triplement marqué par la crise énergétique en Europe, la mise en place du MACF dans l’Union européenne et la mise en place de l’IRA aux États-Unis.

L’élévation durable des prix de l’énergie constitue, de loin, la première menace pour notre industrie. Par rapport à une année de référence (2019), un doublement des prix de l’électricité et du gaz menace jusqu’à 116 000 emplois industriels en France. C’est quatre fois plus que la menace exercée parallèlement par la disparition des quotas gratuits à la suite de l’introduction du MACF (près de 28 000 emplois supplémentaires menacés). L’IRA vient rendre ces deux menaces plus tangibles encore, pour quelques secteurs très carbonés, accentuant la différence de lisibilité entre les marchés européen et américain ; mais elle n’est pas de nature à ajouter une menace supplémentaire à ces deux premières. Ce premier résultat est confirmé dans une très large mesure par les entretiens que nous avons eus avec les filières industrielles.

Par ailleurs, l’exposition à ces trois phénomènes apparaît très hétérogène d’un secteur à l’autre. En termes relatifs, les secteurs énergo-intensifs (métallurgie, chimie, produits minéraux non métalliques, papier carton) sont de loin les plus exposés. Il n’est pas excessif de parler dans leur cas de risque industriel majeur. En termes de volumes, c’est l’industrie agroalimentaire qui apparaît la plus durement touchée, compte tenu de l’ampleur de ses effectifs. S’agissant du MACF, notons en outre que les secteurs les plus fragilisés sont ceux que ce mécanisme est supposé protéger : métallurgie, chimie et produits minéraux non métalliques. Les effets apparaissent plus modérés pour les secteurs de la sous-traitance, en aval, dont les porte-parole sont pourtant aujourd’hui tétanisés à l’idée d’être les grands perdants de cette opération. Enfin, concernant l’IRA, les retours qualitatifs révèlent une hétérogénéité encore plus marquée, la métallurgie et la chimie percevant l’IRA comme un appel d’air délétère pour leurs investisseurs là où l’industrie pétrolière la voit plutôt comme une opportunité d’affaires, qui ne serait de nature à menacer en retour les emplois en Europe.

Au terme de cet ouvrage, le benchmark révèle que la métallurgie est aujourd’hui l’industrie la plus menacée en France. Un doublement des prix de l’électricité et du gaz couplé à l’introduction immédiate du MACF menacerait près de 27 % des emplois de ce secteur (soit 18 000 emplois). Parmi tous les secteurs industriels étudiés, il s’agit de loin de l’exposition la plus aiguë aux risques étudiés, ce secteur étant suivi par l’industrie du papier carton (20 % des emplois menacés) et par l’industrie chimique (15 % des emplois du secteur menacés).

Cette exposition de l’amont des chaînes de valeur est sans doute le grand enseignement de cet ouvrage. À l’heure où la France et l’Europe appellent de leurs vœux, tout à la fois, la décarbonation de leur économie et le renforcement de leur souveraineté industrielle, le maintien des fabricants de matières premières (acier, verre, produits chimiques de base, etc.) apparaît, aux conditions actuelles de marché et de réglementation, particulièrement précaire par suite des effets des politiques climatiques en place. La principale conséquence en est que la décarbonation « réelle » de l’économie européenne, au sens de la réduction de l’empreinte carbone de sa consommation, importations comprises, semble elle-même contrariée par les outils supposés l’accélérer, tant que ne sera pas résolue la question primordiale de la disponibilité d’une énergie décarbonée, fiable et compétitive. C’est peut-être d’ailleurs là le principal fait à retenir de la récente mise en place de l’IRA aux États-Unis : ce n’est pas tant qu’il menace l’industrie européenne sur son sol, c’est plutôt qu’il présente aux institutions européennes un exemple cruel de passage à l’acte efficace.

Figure I – Synthèse des emplois menacés

Traitements La Fabrique de l’industrie ; résultats sur périmètre sectoriel constant.
(*) hors volumes d’emplois menacés au grand export pour les secteurs aval.
(**) Pts mx nm : Produits minéraux non métalliques.

Point de vue – Par Joël Decaillon, vice-président, et Christian Dellacherie, secrétaire général de BRIDGE (Bâtir le renouveau industriel sur la démocratie et le génie écologique)

Quelques remarques sur le MACF

L’introduction de cette Note résume assez bien le problème posé par le mécanisme d’ajustement aux frontières (MACF) :

  • « Les principaux secteurs émetteurs, tout comme leurs clients directs, expriment de fortes craintes que la mise en place du MACF ne soit pour eux un nouveau fardeau anti-compétitif important – et, pour les entreprises qui en auront la capacité, une incitation explicite à la délocalisation. »
  • « Quoique sa description puisse laisser planer un doute à ce sujet, le MACF n’est pas un outil de politique commerciale ni de politique industrielle mais bien un instrument au service d’une ambition climatique. […] En matière de compétitivité justement, le MACF se doit d’être le plus neutre possible. »

Il est certain que le MACF, pour être un bon outil au service d’une ambition climatique, se devrait simultanément d’être de nature à préserver la compétitivité des entreprises européennes.

  • « Sur le plan vertical, le MACF ne couvre que quelques grands intrants industriels et non l’ensemble des chaînes de valeur (par exception, certains produits métalliques semi-finis seront eux aussi intégrés à l’issue de la période transitoire). Si l’acier et l’aluminium produits hors de l’UE sont bien taxés à la frontière, un produit fini ou semi-fini à base d’acier ou d’aluminium mais transformé hors de l’UE échappe au MACF. L’importateur européen n’aura donc pas à en acquitter le coût du carbone, ce qui peut l’inciter à importer directement les produits finis plutôt que de s’approvisionner en intrants européens pour les assembler sur place. »

C’est indéniablement une faute, mais la plupart des contempteurs du système sont-ils (étaient-ils ?) favorables à cette extension nécessaire de la couverture du MACF à l’ensemble des chaînes de valeur, ou n’étaient-ils pas (ne sont-ils pas encore ?) plutôt des farouches défenseurs de la perpétuation du système des quotas gratuits, mauvaise « solution » de facilité favorisant un statu quo technologique sans ambition et sans avenir ?

  • « Sur le plan horizontal, le MACF couvre uniquement les entrées sur le marché intérieur et ne vise pas à préserver la compétitivité au grand export des industriels européens. Pour que les producteurs européens et extra-européens soient logés à la même enseigne, il aurait fallu que le MACF fonctionne également “à l’envers”, en dédouanant les exportations du prix du carbone payé lors de leur production en Europe. Ce n’est pas le choix qui a été fait. »

C’est ce qu’il fallait éviter. Cependant, l’étude de Sartor et Sourisseau (2022), que vous citez, semble vouloir répondre à cette question :

  • « Une réponse possible à la question des exportations est de se demander si les filières MACF ne pourraient pas se contenter de réduire progressivement leurs émissions au fur et à mesure de la mise en place de la MACF et de la diminution des allocations gratuites ? Si tel était le cas, une remise pour les exportateurs pourrait ne pas être nécessaire, étant donné que le coût de conformité avec le SEQE aurait également été réduit pour l’exportateur » (Sartor et Sourisseau, 2022).

En témoigne le tableau (ci-après rappelé) établi par les auteurs, lequel montre assez clairement, que les secteurs couverts par le MACF ont tous un potentiel technique de réduction substantielle des émissions par rapport à leurs niveaux actuels, y compris les acteurs produisant actuellement avec les meilleures technologies conventionnelles disponibles. Sur cette base, il est raisonnable de penser qu’une réduction de l’allocation gratuite (accompagnant l’introduction du MACF) puisse être mise en place sans risquer de créer des fuites de carbone dans ces secteurs : si, d’ici à 2030, les allocations gratuites étaient progressivement supprimées dans les mêmes proportions que celles de la décarbonation, l’augmentation nette du coût lié à la nécessité d’acheter des quotas pour se conformer au SEQE pour les installations de ces secteurs pourrait être considérée comme faible, voire nulle. Cela mérite discussion.

Tableau extrait de l’étude de Sartor et Sourisseau (2022).

Comme se le demande Pierre Veltz1 : « Face à l’urgence des défis écologiques, que peuvent et que doivent faire les industriels ? ». Il répond en affirmant que « la renaissance industrielle dont nous avons besoin ne peut pas être purement technologique. Elle doit s’inscrire dans la réinvention culturelle de notre rapport au monde et au vivant ».

Il ne faut pas perdre de vue que s’en remettre aux mécanismes de marché dans l’allocation des ressources et les choix technologiques productifs ou de consommation, conduit à laisser ces décisions à des directions d’entreprises pilotées par des logiques financières de court terme dont la compatibilité avec l’intérêt général est aléatoire. Les dispositifs encadrants (normes, fiscalité) envisagés pour limiter les éventuels dégâts (environnementaux et climatiques) de ces décisions ne peuvent suffire : quand une transition est en fait une reconstruction, on ne peut pas l’accomplir à coups d’incitations. Pour autant, « les grandes transitions (énergie, environnement, digitalisation, sanitaires) ne sont pas réalisables sans l’engagement et l’investissement des entreprises »2. Comment résoudre ce dilemme ?

Commencer par le développement d’une énergie décarbonée, fiable et compétitive. « Que reste-t-il alors de cette idée de solidarité le long des filières et de l’idéal de souveraineté industrielle ? La seconde question vient à la suite de la première et s’énonce plus simplement encore: comment l’Europe peut-elle espérer réduire son empreinte carbone en pareille situation, et éviter des fuites de carbone massives, si elle ne parvient pas à stabiliser la situation sur le marché de l’énergie ? »

C’est tout le rôle d’une politique industrielle européenne, une idée qui fait son chemin avec retard et des réticences, dont la mise en œuvre est sans aucun doute stimulée par la bifurcation imposée après le séisme géopolitique provoqué par l’invasion russe de l’Ukraine et la montée en puissance inexorable de la compétition entre la Chine et les États-Unis. « L’erreur que nous avons faite, je pense, ça a été de ne pas avoir de politique industrielle. Pendant trop longtemps en Europe, nous avons pensé que le marché réglerait tout », a expliqué, récemment, Frans Timmermans, vice-président de la Commission européenne dans un article du Monde3. « Nous comprenons maintenant que les choix stratégiques que la Chine a faits il y a une dizaine d’années sont désormais un problème. Maintenant, il nous faut aussi avoir notre propre stratégie pour les décennies à venir », a-t-il ajouté, après avoir une nouvelle fois rappelé le traumatisme des Vingt-Sept, qui ont vu l’intégralité de l’industrie des panneaux solaires partir en Chine. Et oui, le marché ne règle pas tout, il lui arrive même de tout dérégler comme c’est le cas pour l’énergie et celui hautement spéculatif des matières premières.

  • « La principale conséquence en est que la décarbonation “ réelle  » de l’économie européenne, au sens de la réduction de l’empreinte carbone de sa consommation, importations comprises, semble elle-même contrariée par les outils supposés l’accélérer, tant que ne sera pas résolue la question primordiale de la disponibilité d’une énergie décarbonée, fiable et compétitive. C’est peut-être d’ailleurs là le principal fait à retenir de la récente mise en place de l’IRA aux États-Unis : ce n’est pas tant qu’il menace l’industrie européenne sur son sol, c’est plutôt qu’il présente aux institutions européennes un exemple cruel de passage à l’acte efficace. »

Nous nous félicitons que vous ayez insisté sur le fait que « la décarbonation “réelle” de l’économie européenne » doive se comprendre « au sens de la réduction de l’empreinte carbone de sa consommation, importations comprises ». Ce point fondamental est tellement souvent oublié ou escamoté, que le voir écrit noir sur blanc surprend toujours agréablement. Nous partageons totalement l’idée d’une nécessaire disponibilité d’une énergie décarbonée, fiable et compétitive. Ce qui met le doigt sur le retard incompréhensible et irresponsable de la France sur les énergies renouvelables, dont une des causes est le maintien d’une confiance démesurée dans la résilience du parc nucléaire et la durabilité de la valeur économique de cette filière.

  • 1. Dans une tribune publiée par Le Monde du 27 janvier.
  • 2. Voir Comment la loi a instauré l’entreprise comme un acteur politique. Analyse historique et théorique de la loi Pacte et de la loi sur le devoir de vigilance par Armand Hatchuel, Kevin Levillain, Blanche Ségrestin dans Entreprises et histoire 2021/3 (n° 104).
  • 3. Le Monde du 17 mars 2023.

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Annexe I – Production industrielle française et échanges commerciaux de biens manufacturés (2022)

(*) 11 mois 2022. Les volumes d’échanges commerciaux du mois de décembre 2022 n’étaient pas disponibles au moment de réalisation de ce tableau conjoncturel.
Source : Insee, Eurostat (industrie manufacturière hors cokéfaction-raffinage).

L’ordre de présentation des secteurs industriels est ici réalisé selon le poids des dépenses énergétiques en part du chiffre d’affaires en 2019 (voir annexe II).

Annexe II – Données de référence

Source : Insee-Esane et Insee-EACEI, données 2019 hors artisanat commercial.
(*) Données 2020 pour les effectifs salariés en équivalent temps plein (données 2019 indisponibles).
(**) Le secteur de la cokéfaction-raffinage n’est pas couvert par l’enquête EACEI, les données de valeurs d’achats d’électricité et de gaz de ce secteur ont donc été estimées en croisant des volumes de consommations d’électricité et de gaz (Eurostat, données 2019) et les prix de l’électricité et du gaz (SDES, données 2019).

Annexe III – Tableau des entrées-sorties (TES) de la France

Source : OCDE, données 2018. Il s’agit d’un extrait du tableau entrées-sorties qui ventile uniquement la valeur de la production et des importations françaises des produits industriels tournés vers les consommations intermédiaires dans l’industrie. Les débouchés de demande finale (ménages, formation brute de capital fixe, etc.) ne sont pas présentés dans ce tableau mais sont bien intégrés dans l’assiette de calcul. Les données sont en pourcentage.
Note de lecture : en France, 9,9 % de la valeur de production et des importations de produits de l’industrie chimique est tournée vers l’industrie du caoutchouc et des matières plastiques sous forme de consommations intermédiaires.

Annexe IV – Élasticités des exportations au prix de l’énergie

Pour apprécier la variation possible des exportations françaises à destination de pays extra-européens, il est possible d’utiliser les élasticités identifiées dans la littérature économique (Bordigoni, 2012, 2013) qui lient la variation des exportations d’un secteur à la variation des prix relatifs de l’électricité et de divers combustibles.

Figure IV.a – Élasticités identifiées dans la littérature économétrique et retenues dans l’exercice

Source : Bordigoni (2013).

Comme le montre le tableau ci-dessus, les données contenues dans la littérature couvrent des secteurs précis. Pour calculer les élasticités des autres secteurs industriels, nous prenons pour hypothèse que les valeurs d’élasticités sont d’autant plus élevées que les secteurs sont intensifs en énergie (hypothèse de proportionnalité entre ces deux grandeurs). Nous avons donc ainsi estimé, pour chaque secteur, l’élasticité des exportations au prix de l’électricité en prenant pour pivot celle de la sidérurgie (-0,19) puis, pour chacun des autres secteurs, en la faisant varier proportionnellement au poids de la dépense d’électricité dans le chiffre d’affaires. Nous avons ensuite conduit le même raisonnement pour estimer, pour chaque secteur, une élasticité des exportations au prix des combustibles, en prenant comme secteur pivot celui du secteur de la production de papier-carton (-0,14).

Figure IV.b – Estimation des élasticités des exportations au prix de l’énergie par secteur industriel

Traitements La Fabrique de l’industrie.
Les valeurs de référence, sur la base desquelles sont calculées les élasticités des autres secteurs industriels, sont encadrées en orange dans le tableau.
Voir annexe II pour le calcul des dépenses énergétiques en part du chiffre d’affaires.

Annexe V – Surcoûts énergétiques directs et indirects de l’industrie française par secteur (en millions d’euros)

Scénario 1 : doublement du prix de l’électricité en France et en Europe

Traitements La Fabrique de l’industrie.
(*) Industries alimentaires, fabrication de boissons, fabrications de produits à base de tabac.

Scénario 2 : doublement du prix du gaz en France et en Europe

Traitements La Fabrique de l’industrie.

Annexe VI – Prix unitaires moyens par secteur et composante énergétique

Traitements La Fabrique de l’industrie d’après Insee-Prodcom, Agreste, SDES, données 2019.
(*) Les prix unitaires moyens ont été estimés à partir de données de facturations et de volumes vendus et sur des panels de produits dont les volumes sont exprimés en unité identique et pour lesquels les données 2019 sont disponibles (c’est-à-dire non soumises au secret statistique).
(**) Pour estimer la composante énergétique des prix des biens, nous nous appuyons sur le poids des dépenses d’électricité et le poids des dépenses de gaz dans les chiffres d’affaires sectoriels. À titre d’exemple, si les achats d’électricité représentent 3 % du chiffre d’affaires d’un secteur et que le prix unitaire moyen des biens dans ce secteur s’élève à 100 €, on supposera que la composante en électricité de ce prix unitaire moyen s’élève à 3 €.

Annexe VII – Calcul du surcoût énergétique direct et indirect à répercuter sur les prix

Scénario 1 : Doublement du prix de l’électricité en France et en Europe

Traitements La Fabrique de l’industrie.

Scénario 2 : Doublement du prix du gaz en France et en Europe

Traitements La Fabrique de l’industrie.

Annexe VIII – Variation du prix des biens par répercussion du surcoût énergétique

Scénario 1 : Doublement du prix de l’électricité en France et en Europe

Traitements La Fabrique de l’industrie.

Scénario 2 : Doublement du prix du gaz en France et en Europe

Traitements La Fabrique de l’industrie.

Annexe IX – Marché apparent français en 2019 (en millions d’euros)

Sources : Insee, Eurostat, 2019. Traitements La Fabrique de l’industrie.

Annexe X – Variation de la production industrielle française pour le marché français en cas de doublement du prix de l’électricité en France et en Europe

Données en valeur en millions d’euros. Traitements La Fabrique de l’industrie.
La numérotation des trois dernières colonnes fait référence aux trois postes du marché apparent tels que présentés dans l’annexe IX.
Le raisonnement et la méthode de calcul sont les mêmes en cas de doublement du prix du gaz en France et en Europe.
Le raisonnement et la méthode de calcul sont les mêmes pour étudier la baisse de la demande européenne (hors France) adressée à l’industrie française. Par simplification, nous reprenons la variation des prix unitaires français.

Annexe XI – Variation du chiffre d’affaires et du résultat courant avant impôt par secteur en France selon les scénarios de prix de l’énergie (en millions d’euros)

Scénario 1 : Doublement du prix de l’électricité en France et en Europe

Traitements La Fabrique de l’industrie.

Scénario 2 : Doublement du prix du gaz en France et en Europe

Traitements La Fabrique de l’industrie.

Annexe XII – Volume d’emplois industriels menacés par un doublement du prix de l’électricité en France et en Europe (scénario 1)

raitements La Fabrique de l’industrie.
Note : Pour les sous-secteurs mentionnés en italique, les taux de répercussion sont issus de leur division sectorielle respective et l’indisponibilité des données ne permet pas de mener l’exercice sur les effets de la baisse de compétitivité prix ni d’intégrer le surcoût énergétique indirect. Se référer alors aux données agrégées par secteur.

Annexe XIII – Volume d’emplois industriels menacés par un doublement du prix du gaz en France et en Europe (scénario 2)

Traitements La Fabrique de l’industrie.
Note : Pour les sous-secteurs mentionnés en italique, les taux de répercussion sont issus de leur division sectorielle respective et l’indisponibilité des données ne permet pas de mener l’exercice sur les effets de la baisse de compétitivité prix ni d’intégrer le surcoût énergétique indirect. Se référer alors aux données agrégées par secteur.

Annexe XIV – Calculs des coûts carbone direct en France en cas d’introduction du MACF

Traitements La Fabrique de l’industrie d’après Eurostat.
Na : non applicable.
Les secteurs MACF retenus dans le modèle sont désignés en encadré jaune.

Annexe XV – Calculs du coût carbone indirect de l’industrie française lié à la consommation de biens MACF

Le coût carbone indirect est subi par le biais des consommations intermédiaires de produits MACF produits en France, dans le reste de l’Union européenne et dans le reste du monde. Le schéma ci-dessous synthétise le raisonnement du calcul du coût carbone indirect.

Figure XV.a – Calcul du coût carbone indirect en France

Le coût carbone indirect, subi via les consommations intermédiaires de produits MACF, résulte donc de l’addition de trois composantes.
La première composante représente le coût carbone indirect subi par les entreprises via leurs consommations intermédiaires de biens produits en France par les entreprises soumises au MACF. Ce coût est calculé en ventilant, par l’intermédiaire du tableau entrées-sorties, le coût carbone direct des secteurs MACF français sur leurs clients français (au prorata du chiffre d’affaires qui est réalisé en France).

Figure XV.b – Calcul du coût carbone indirect de l’industrie française lié à la consommation de biens MACF produits en France

Traitements La Fabrique de l’industrie d’après Insee, Eurostat et OCDE (tableau entrées-sorties).

Les secteurs MACF retenus dans le modèle sont désignés en encadré jaune.
Na : non applicable.

La deuxième composante représente le coût carbone indirect importé depuis l’Union européenne, là encore sous la forme de consommations intermédiaires issues des secteurs MACF. Elle est calculée comme la précédente, grâce au tableau entrées-sorties, au prorata de la production européenne destinée au marché français.

Figure XV.c – Calcul du coût carbone indirect de l’industrie française lié à la consommation de biens MACF produits dans le reste de l’Union européenne

Traitements La Fabrique de l’industrie d’après Eurostat et OCDE (tableau entrées-sorties).
Les secteurs MACF retenus dans le modèle sont désignés en encadré jaune.
Na : non applicable.

La troisième et dernière composante représente le coût carbone des importations issues du reste du monde, du fait de la mise en application du MACF. À défaut de données disponibles nous permettant de raisonner de la même façon que pour la deuxième composante, la troisième composante est estimée en multipliant la valeur des importations françaises provenant de pays extra-européens avec la composante carbone des importations françaises de biens MACF issues du reste de l’UE. Ceci est possible en émettant l’hypothèse que la composante carbone des importations françaises est identique que celles-ci proviennent du reste de l’UE ou du reste du monde.

Figure XV.d – Calcul du coût carbone indirect de l’industrie française lié à la consommation de biens MACF produits dans le reste du monde

Traitements La Fabrique de l’industrie d’après Eurostat et OCDE (tableau entrées-sorties).
Les secteurs MACF retenus dans le modèle sont désignés en encadré jaune.
Na : non applicable.

Annexe XVI – Coûts carbone direct et indirect pour l’industrie française en cas d’introduction du MACF (en millions d’euros)

Traitements La Fabrique de l’industrie d’après Eurostat et OCDE (tableau entrées-sorties).
Na : non applicable.

Annexe XVII – Variation du chiffre d’affaires et du résultat courant avant impôt par secteur en France en cas d’introduction du MACF (en millions d’euros)

Traitements La Fabrique de l’industrie.
Nd : résultats non disponibles, le modèle ne permettant pas de calculer les volumes d’emplois menacés correspondants.
Les secteurs MACF retenus dans le modèle sont désignés en encadré jaune.

Annexe XVIII – Crédits d’impôt de l’IRA susceptibles d’attirer ou de menacer les industriels européens

Clean Vehicle Tax Credit

Il s’agit d’un crédit d’impôt pour les véhicules électriques d’un maximum de 7 500 dollars par véhicule neuf (4 000 dollars pour les véhicules d’occasion), dont la moitié pour le respect des exigences relatives aux minéraux critiques et l’autre moitié pour le respect des exigences relatives aux composants des batteries. Les conditions de l’octroi de l’aide sont les suivantes. L’assemblage final du véhicule doit premièrement avoir été réalisé en Amérique du Nord1. Deuxièmement, 40 % des minerais critiques2 doivent avoir été extraits ou recyclés en Amérique du Nord (ce sera 80 % d’ici 2027). Troisièmement, 50 % de la valeur des composants contenus dans la batterie du véhicule doivent être fabriqués ou assemblés en Amérique du Nord (ce sera 100 % d’ici 2029). Quatrièmement et enfin, aucun composant ne doit provenir des foreign entities of concern3 (Chine, Russie, Iran et Corée du Nord).

Zero-Emission Nuclear Power Production Credit

Le nombre de centrales nucléaires en activité avait récemment diminué aux États-Unis en raison de coûts élevés de maintenance, de la compétitivité du gaz naturel et de la libéralisation du marché. Au nombre de 54 à ce jour, elles ont fourni près de 20 % de l’électricité américaine en 2021 (Devitt, 2023). L’IRA vise à stopper cette érosion et à préserver les centrales existantes, en offrant aux entreprises de service public éligibles un crédit de 0,3 cent par kilowattheure produit entre 2024 et 2032 et vendu à une entreprise dans laquelle elles n’ont pas de prise de participation ou de lien d’actionnariat. Le montant du crédit est ajusté chaque année, en fonction de l’inflation, et s’entend déduction faite des autres subventions « zéro émission » reçues de programmes gouvernementaux fédéraux, étatiques ou locaux. Comme pour beaucoup d’autres crédits d’impôt de l’IRA, le montant du crédit peut être multiplié par cinq si certaines exigences en matière de salaires et d’apprentissage sont remplies4 (Devitt, 2023).

Clean Electricity Production Credit

Ce crédit d’impôt ressemble beaucoup au précédent, qu’il étend aux futures installations de production d’électricité propre. Neutre sur le plan technologique, il s’applique en effet à tous les moyens de production « zéro émission » : les installations éoliennes, solaires, hydroélectriques et géothermiques, ainsi que les petits réacteurs modulaires et les réacteurs à fusion. Dans la plupart des cas, ce nouveau crédit représente 3 dollars par mégawattheure d’électricité vendue, et pourra être multiplié par cinq si les exigences en matière de salaires et de main-d’œuvre sont respectées. En outre, les installations qui respecteront les seuils de contenu national (en utilisant du fer et de l’acier d’origine américaine, ainsi que d’autres produits fabriqués dans le pays) pourront bénéficier d’un crédit supplémentaire allant jusqu’à 10 %, et portant donc la subvention maximale à 16,50 dollars par mégawattheure. Ce crédit sera disponible pour les installations mises en service à partir du 1er janvier 2025 et jusqu’en 2032, sauf si les objectifs nationaux d’émissions sont atteints avant.

Clean Electricity Investment Tax Credit

Complémentaire au précédent, ce crédit d’impôt vise les investissements dans des installations productrices d’électricité « propre » (dont les émissions de gaz à effet de serre sont inférieures ou égales à zéro) et dans les technologies de stockage d’énergie. Ce crédit est multiplié par cinq pour les installations qui respectent les exigences en matière de salaires et d’apprentissage. Il est augmenté d’un maximum de 10 points de pourcentage pour celles qui répondent à certaines exigences de contenu local pour l’acier, le fer et les produits manufacturés, et majoré encore de 10 autres points de pourcentage si les installations sont situées dans une Energy Community5 (The White House, 2023).

Clean Hydrogen Production Credit

À ce jour, l’hydrogène « gris », c’est-à-dire l’hydrogène produit à partir de combustible fossile, est plus rentable que ses alternatives « bleue » et « verte »6. Pour encourager la production d’hydrogène propre, l’IRA offre, à partir de 2023, un crédit allant de 0,60 à 3 dollars par kilogramme d’hydrogène produit. Le niveau du crédit est déterminé par la quantité de gaz à effet de serre émise lors de la production et du respect de certaines exigences en matière de salaires et d’apprentissage.

Clean Fuel Production Credit

Comme le CEPC présenté plus haut, ce crédit d’impôt est neutre sur le plan technologique. Il vise à soutenir la production de carburants moins émetteurs. À condition d’être produits et vendus aux États-Unis, ils peuvent bénéficier d’un crédit de 0,20 dollar par gallon7, voire de 1 dollar par gallon si les exigences en matière de salaires et d’apprentissage sont respectées. Ce crédit sera disponible pour les carburants de transport produits entre le 1er janvier 2025 et le 31 décembre 2027.

Sustainable Aviation Fuel Credit

Il s’agit cette fois de soutenir la production de carburant durable pour l’aviation. Le crédit de base est ici de 0,35 dollar par gallon, avec un taux relevé à 1,75 dollar par gallon si les exigences en matière de salaires et de main-d’œuvre sont respectées. Ces montants seront ajustés chaque année en fonction de l’inflation.

Advanced Manufacturing Production Credit (AMPC)

Ce crédit d’impôt ne s’adresse pas aux producteurs d’énergie mais aux entreprises qui produisent les composants nécessaires à la production d’énergie renouvelable. Cela comprend la production des matériaux de base, comme l’acier et l’aluminium, à condition qu’elle soit réalisée aux États-Unis. Cela comprend également des composants comme certains onduleurs, composants de batteries et minéraux critiques, sous réserve d’un contenu local minimal de 40 %.

  • 1. États-Unis, Canada, Mexique.
  • 2. Un décret présidentiel signé en décembre 2017 par Donald Trump définit comme minerai critique «un minéral ou un matériau minéral non combustible essentiel pour la sécurité économique et nationale des États-Unis, dont les chaînes d’approvisionnement sont vulnérables aux perturbations, qui remplissent une fonction essentielle dans la fabrication d’un produit dont l’absence aurait d’importantes conséquences pour l’économie ou la sécurité nationale ». Une liste de 35 minerais critiques a été publiée en 2018 par le département de l’Intérieur, sur la base des travaux du U.S. Geological Survey (USGS) ; depuis sa mise à jour en février 2022, elle comprend désormais 50 minerais et métaux. Pour ce qui concerne la fabrication de batteries des véhicules électriques, cela concerne le lithium, le cobalt, le manganèse, le nickel et le graphite (Hache et al., 2022).
  • 3. Entités étrangères préoccupantes.
  • 4. Les ouvriers et mécaniciens employés pour la construction, la maintenance et la réparation des centrales (y compris par des sous-traitants) ne doivent pas être payés à des taux inférieurs aux taux en vigueur dans la localité où elles sont situées. S’agissant de l’apprentissage, un pourcentage minimal du total des heures de travail doit être effectué par des apprentis qualifiés : il est de 10% dans le cas d’une installation dont la construction a commencé avant le 1er janvier 2023 et sera progressivement relevé jusqu’à 15 % pour celles dont la construction commencera après le 31 décembre 2023 (Internal Revenue Service, 2022).
  • 5. C’est une zone où une centrale électrique au charbon a fermé depuis 2010 ou une mine de charbon depuis 2000, ou encore une zone où plus de 0,17% des emplois directs ou plus de 25% des recettes fiscales locales sont liées à l’extraction, au traitement, au transport ou au stockage du charbon, du pétrole ou du gaz naturel, et où le taux de chômage était au moins égal à la moyenne nationale au cours de l’année précédente (Wallace et Lawrence, 2023).
  • 6. L’hydrogène bleu est obtenu à partir du vaporeformage du méthane, à l’image de l’hydrogène gris, mais avec en plus du captage de CO2. L’hydrogène vert quant à lui est obtenu par électrolyse de l’eau, l’électricité utilisée étant renouvelable (Barbaux, 2021).
  • 7. Un gallon américain équivaut à environ 3,8 litres.

Annexe XIX – Liste des représentants de filières industrielles rencontrés

Aluminium France : Guillaume de Goÿs (président)
ArcelorMittal France : Stéphane Delpeyroux (directeur des affaires publiques)
Copacel : Olivier Riu (responsable énergie)
Evolen : Bernard Clément (directeur général)
Fédération des industries ferroviaires (FIF) : Igor Bilimoff (délégué général)
Fédération des industries du verre (FIV) : Jacques Bordat (président)
Fédération des industries mécaniques (FIM): Philippe Contet (directeur général), Benjamin Frugier (directeur du développement des entreprises et des projets)
France Chimie : Luc Benoit-Cattin (président) et Magali Smets (directrice générale)
Plateforme française de l’automobile (PFA): Marc Mortureux (directeur général), Maria Ianculescu (directrice des affaires internationales), Piet Ameloot (chargé des questions de compétitivité)
Syndicat français de l’industrie cimentière (SFIC): Bruno Pillon (président), Laure Hélard (déléguée générale), Nicolas Mouchnino (responsable économique)
Ufip Énergies et Mobilités (Ufip EM): Olivier Gantois (président), Franck Chevallier (directeur Raffinage et Transition énergétique)

David Lolo, Vincent Charlet et Ahmed Diop, Crise énergétique en Europe et protectionnisme américain. La réindustrialisation compromise ?, Les Notes de La Fabrique, Paris, Presses des Mines, 2023.
ISBN : 978-2-38542-336-0 ISSN : 2495-1706

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