L’industrie à l’épreuve de la crise
Préface
La pandémie de COVID a provoqué une crise économique inédite par sa nature et son ampleur, sans doute la plus grave que la France ait connue en temps de paix depuis au moins un siècle. Début 2020, quand elle a pris un tour concret dans nos foyers et nos lieux de travail, nous sommes nombreux à avoir été frappés de stupeur. L’État a pris la mesure de la situation et de l’urgence sanitaire, mais aussi économique et sociale.
Tous les économistes en conviennent aujourd’hui : la violence du choc économique a été efficacement amortie par des politiques publiques puissantes qui ont été mises en œuvre très efficacement puisqu’on le sait, la France est la pays en Europe qui a versé effectivement les aides le plus rapidement sur le compte des entreprises. En particulier, les mesures d’urgence et les dispositifs d’activité partielle, très plébiscités, ont considérablement amoindri l’impact de la crise économique sur l’outil de travail et les compétences. Il y en a d’autres bien sûr, à commencer par la politique monétaire définie conjointement par la France et ses partenaires européens.
Et il n’y a pas eu de grand soir. Nous évoluons toujours dans une démocratie sociale appuyée sur une économie de marché régulée certes, mais ouverte sur le monde. Il n’y a là ni erreur, ni occasion manquée : c’est au contraire tout le sens du mot « résilience » si fréquemment utilisé pour décrire à juste titre la capacité de nos entreprises et de leurs salariés à résister au choc et à se donner les chances de rebondir. Cette résilience, autrement dit cette capacité à ajuster le cap pour mieux garder sa dynamique, n’est pas un miracle tombé du ciel. C’est au contraire le fruit de décisions politiques et économiques réfléchies et concertées, prises pour les entreprises, avec l’aide d’un grand nombre de parties prenantes mobilisées pour les soutenir.
C’est tout l’intérêt de cette Note de La Fabrique de l’industrie que de nous apprendre précisément en quoi les entreprises ont été atteintes par cette crise et comment elles ont réagi. Ses auteures, Sonia Bellit et Charlène Belma, dissipent les halos qui ont parfois entouré des mots tels que « arrêt de la production », « relocalisation », « réorientation des flux de production »… Tous ces mouvements, tous ces choix stratégiques qu’on a évoqués pour décrire l’effet de la crise sur nos entreprises n’ont pas concerné tous les territoires, ni tous les secteurs d’activité de manière uniforme. Il était donc important de disposer d’un diagnostic plus précis.
C’est en progressant de la sorte dans notre compréhension des mécanismes fins de la crise, des blessures qu’elle a infligées aux collectifs de travail et des antidotes qui leur ont été apportés, que l’on peut, pas à pas, améliorer l’efficacité des politiques publiques. La revitalisation de notre industrie est une priorité aujourd’hui incontestée. Le chemin pour y parvenir, moins évident, réclame une bonne dose de volontarisme doublé d’un pragmatisme de combat. C’est donc bien sur une intelligence partagée et documentée que nous devons nous appuyer.
Agnès Pannier-Runacher Ministre déléguée auprès du ministre de l’Économie, des Finances et de la Relance, chargée de l’industrie
Résumé
Les entreprises industrielles françaises ont été fragilisées, parfois vivement, par la pandémie de Covid-19 survenue au début de 2020. S’appuyant sur une vaste enquête téléphonique auprès de 900 entreprises et sur des auditions de dirigeants et de cadres industriels, cette note vise à comprendre les effets « réels » de la crise sur les entreprises, la façon dont elles se sont adaptées et les défis qui en ont découlé.
La crise sanitaire a affecté les secteurs d’activité de façon différenciée
Si la majorité des entreprises interrogées a fait part de tensions sur leurs chaînes d’approvisionnement depuis le début de la crise sanitaire, certains secteurs d’activité se sont distingués par des difficultés particulièrement marquées dans ce domaine. Ainsi, le secteur électronique, très dépendant des intrants chinois, a fortement souffert de l’allongement des délais de livraison sur ses commandes, dès le mois de janvier 2020. Les problèmes d’approvisionnement sont par ailleurs loin de se limiter aux entreprises directement exposées à la Chine. Certaines entreprises ont pu être touchées par le choc d’offre chinois à travers leurs fournisseurs de rang 2 ou plus. Les premières mesures de confinement mises en place en France et en Europe n’ont fait qu’exacerber et multiplier ces tensions sur les approvisionnements des entreprises industrielles. Dans ce contexte particulièrement complexe, il est apparu qu’une plus forte intégration verticale permettait de mieux gérer les risques de rupture d’approvisionnement.
Au choc d’offre s’est ajouté un choc de demande qui n’a pas impacté tous les secteurs d’activité avec la même intensité. Contraint de faire face à de nombreux reports, voire à des annulations de commandes d’avions de la part des compagnies aériennes, le secteur aéronautique a pâti d’une forte restriction de ses débouchés. La plupart des entreprises composant le secteur ont connu une baisse de leur chiffre d’affaires supérieure à 30 %. À l’inverse, certains segments des secteurs agroalimentaire et pharmaceutique ont répondu à un surplus de demande, expliquant une moindre dégradation de leur chiffre d’affaires en moyenne.
Malgré l’ampleur de la crise sanitaire, l’emploi est resté remarquablement stable dans les entreprises industrielles. Pour la grande majorité d’entre elles, les effectifs salariés n’ont pas évolué au cours de la crise. Ce « miracle de l’emploi » témoigne d’un recours massif et généralisé au dispositif d’activité partielle déployé par les pouvoirs publics. Entre mars 2020 et avril 2021, 75 % des entreprises industrielles déclarent y avoir eu recours.
Les entreprises se sont adaptées dans l’urgence aux bouleversements provoqués par la pandémie
Alors que les établissements accueillant du public ont été fermés d’autorité, les entreprises industrielles ont dû repenser leur mode de fonctionnement de façon à pouvoir poursuivre leur activité. Certaines entreprises ont bénéficié de relations privilégiées avec leurs filiales chinoise ou italienne pour anticiper l’arrivée du virus en France. Pour d’autres, c’est le caractère critique de l’activité qui en a justifié la poursuite. Quoi qu’il en soit, une majorité des entreprises n’ont pas interrompu leur activité, d’après notre enquête. Le fonctionnement des usines a néanmoins dû être adapté aux critères de distanciation sociale. Selon la configuration des sites (nombre de salariés, automatisation des lignes de production, présence de robots, etc.), le respect des mesures de distanciation s’est révélé plus ou moins complexe.
Le télétravail s’est également avéré l’une des mesures phares mises en œuvre par les industriels pour faire face aux contraintes sanitaires. S’il a été déployé massivement en 2020, son accès reste encore très inégalitaire puisque nombre de métiers industriels en sont encore exclus. Par ailleurs, la généralisation du télétravail s’est inscrite dans des contextes très divers. Là où il était déjà une réalité ancrée, son déploiement dans l’urgence s’est fait sans grande difficulté et a été perçu comme l’opportunité d’accélérer son adoption. Dans les entreprises plus hiérarchisées ou réticentes à ce mode de travail, le télétravail a constitué une ultime solution au maintien de l’activité, dont la pratique cesserait une fois la crise passée. Force est d’admettre que la précipitation dans laquelle le télétravail a été déployé lors du premier confinement en a exacerbé certains aspects négatifs, parmi lesquels l’isolement et la mauvaise gestion des horaires de travail.
Dans un contexte de pénurie de masques et de respirateurs, certaines entreprises industrielles ont réorganisé leur activité pour produire, dans l’urgence, de nouveaux biens. Si elles ne représentent que 16 % en moyenne des entreprises interrogées, elles sont surreprésentées dans certains secteurs d’activité, parmi lesquels l’industrie textile avec la fabrication de masques et l’industrie pharmaceutique avec la production de gel hydroalcoolique. La digitalisation des processus de vente est également apparue comme un moyen de s’adapter aux contraintes de la crise sanitaire. À titre d’exemple, le click and collect, mode de vente combinant numérique et physique, a été mis en œuvre dans l’industrie automobile pour pallier la fermeture administrative des concessions durant le deuxième confinement. Cette tentative de réorganisation des canaux n’a toutefois pas eu les résultats escomptés.
Enfin, les dépendances à l’égard des fournisseurs étrangers mises en lumière par la crise ne se sont pas traduites, pour l’heure, par une réorganisation des chaînes d’approvisionnement. Dans les faits, seules 20 % des entreprises industrielles ont modifié leurs sources d’approvisionnement au cours de la crise sanitaire. Bien souvent, les dispositifs de gestion de crise ont consisté à maintenir un dialogue régulier avec les fournisseurs.
Un retour à la normale marqué par de nouveaux défis
Portée par le secteur des biens d’équipement, la reprise de la production industrielle a été plus forte qu’attendu. Cependant, les entreprises industrielles ont fait face à un paradoxe : alors que les carnets de commandes étaient remplis, elles n’ont pu les honorer faute de matières premières ou d’intrants tels que les semi-conducteurs. De nouveaux problèmes d’approvisionnement sont ainsi apparus, conséquences d’un décalage important entre l’offre et la demande et d’une désorganisation des marchés internationaux.
Le redémarrage de l’activité a aussi conduit au retour sur site de nombreux salariés, y compris parmi les télétravailleurs. Du point de vue des salariés, le télétravail à 100 % a fini par engendrer une certaine lassitude et un sentiment d’isolement, notamment parmi ceux dont les conditions de logement n’étaient pas adaptées à l’exercice de leur métier. Le recours rapidement déclinant au télétravail a pu également s’expliquer par une volonté de la hiérarchie d’un retour sur site et par l’assouplissement des conditions imposées par le gouvernement, avec notamment le maintien des écoles ouvertes.
À plus long terme, les entreprises industrielles se retrouvent, au sortir de cette crise sanitaire, face à deux grands défis dont elles n’ignorent rien. D’abord, la crise aura démontré tous les bénéfices des technologies numériques, lesquelles ont notamment rendu possible le travail à distance. Si certaines entreprises ont fait en quelques mois de grandes avancées en matière de digitalisation, là où la transformation prenait souvent des années, force est de constater que les plus petites d’entre elles se sentent toujours peu concernées par cet élan. Un second défi de taille révélé par la crise est celui de la sécurisation des approvisionnements. Si la relocalisation des fournisseurs au plus près de l’activité est un facteur de résilience, elle n’est envisagée que par 25 % des entreprises industrielles aujourd’hui. Toutefois, des stratégies d’approvisionnement sachant tirer tous les enseignements de la crise pourraient également passer par une meilleure prise en compte de la criticité de certains produits, sans se limiter aux fournisseurs de rang 1.
Remerciements
Tous nos remerciements vont aux personnes auditionnées : Elizabeth Ducottet (Thuasne), Elisabeth Klein (CFT), Michaël Langouët (Fleurette Constructeur/Westfalia), Pierre-Yves Laurent (Lippi), Antonio Molina (Mader), Michel de Nonancourt (Alliansys et Villelec), Joseph Puzo (Axon’Cable), Antoine Rappoport (Airap), Clément Vicq (Sandvik Coromant) ;
à KPMG avec qui nous avons réalisé l’enquête téléphonique à destination des dirigeants industriels ;
aux membres de La Fabrique de l’industrie qui, par leur relecture ou leurs commentaires, nous ont permis d’enrichir ce travail.
INTRODUCTION
L’année 2020 a été marquée par de profonds bouleversements économiques et sociaux. On a beaucoup évoqué la perte de points de PIB et les destructions d’emplois consécutives à la crise sanitaire, mais peu expliqué comment les entreprises industrielles avaient été affectées et où elles avaient puisé leur capacité de résilience, si tant est qu’elles aient pu y parvenir. Autrement dit, il nous manquait encore d’un tableau précis des effets temporaires ou durables de la crise sur le tissu industriel français et des réactions concrètes qu’elle a suscitées.
C’est l’objet de cette étude, qui se fonde sur des auditions d’experts menées entre janvier et mai 2021, sur une vaste enquête téléphonique auprès de 900 chefs d’entreprise et cadres dirigeants1, ainsi que sur des recherches documentaires.
Fragilisées par un double choc d’offre et de demande, les entreprises industrielles ont fait face tout à la fois à des restrictions de débouchés et à des problèmes d’approvisionnement. Mais, nous le montrons dans cette étude, elles n’ont pas été touchées de la même manière ni avec la même intensité par la crise. Comme on pouvait s’y attendre, le secteur d’activité a joué un rôle prédominant à cet égard. À une extrémité du spectre, les industries aéronautique, automobile et du plastique figurent parmi les grands perdants, tant elles ont été affectées durablement sur différents plans de leur fonctionnement. À l’autre bout du spectre, les secteurs pharmaceutique et agroalimentaire ont pu garder la tête hors de l’eau à la faveur d’un dopage des ventes sur certains segments de leur activité. Entre ces deux extrémités, la plupart des entreprises et des secteurs n’ont subi les effets néfastes de la crise que dans des proportions mesurées, principalement grâce au soutien massif de l’État.
Dans le même temps, cette étude montre comment les entreprises se sont adaptées dans l’urgence, face à l’expérience extrême vécue en 2020. Plus encore que les autres crises, celle du Covid-19, inédite par sa nature, a obligé les entreprises à repenser leur mode de fonctionnement, ne serait-ce que pour poursuivre leur activité. La mise en place des mesures de distanciation sociale puis le déploiement massif du télétravail ont bouleversé l’organisation du travail. En matière d’approvisionnement, d’autres bouleversements avaient été annoncés mais peu encore sont à l’œuvre.
Nous verrons enfin que le redémarrage de l’économie ne se fait pas sans embûches. Faute de matières premières, les entreprises ne peuvent pas honorer leurs carnets de commandes, pourtant bien remplis. Ces nouvelles difficultés, révélatrices de dépendances multiples, soulignent davantage encore les vulnérabilités auxquelles s’exposent les entreprises en cas de rupture des chaînes de valeur mondiales. Elles invitent donc les entreprises à réfléchir à leur stratégie en matière d’approvisionnement.
Cette note cherche ainsi à ouvrir la « boîte noire » des entreprises industrielles en temps de Covid-19. Sans une compréhension documentée de ce qui s’est déroulé, de ce qui a changé ou non, nos incantations pour rebondir risquent de rester vagues, ou vaines.
- 1. La totalité des résultats de l’enquête téléphonique est disponible sous forme de tableaux, en annexe, à télécharger sur le site de La Fabrique de l’industrie.
L’ampleur et la nature du choc ont varié selon le secteur d’activité
L’impact de la crise sanitaire sur les entreprises industrielles s’est manifesté sous des formes multiples, selon une hétérogénéité sectorielle particulièrement marquée. Ainsi, les industries aéronautique, automobile et du plastique ont été fortement touchées sur différents pans de leur fonctionnement (ventes, approvisionnement, chiffre d’affaires, emplois, etc.). Par contraste, certains segments des secteurs de la production et de la distribution d’eau et d’électricité, de l’agroalimentaire et de la pharmacie pourraient apparaître comme bénéficiaires, tant ils ont été modérément concernés par les conséquences directes de la crise, tout en faisant face à une recrudescence d’activité. Dans l’ensemble, les entreprises industrielles semblent avoir été plus perturbées qu’affaiblies par la crise.
Une même crise, des manifestations multiples
Les trois quarts des entreprises ont été affectés
À partir de notre enquête téléphonique, réalisée entre mai et juin 2021, nous dressons un tableau d’ensemble de l’impact de la crise sanitaire sur les entreprises industrielles.
Les difficultés les plus fréquemment mentionnées sont la baisse des ventes (70 %), suivie des problèmes d’approvisionnement (63 %) et de l’organisation de la production (63 %) (figure 1.1). Le manque de disponibilité du personnel est également souligné par 58 % des entreprises industrielles, ainsi que les problèmes de trésorerie (52 %) et les difficultés logistiques de transport et de livraison (51 %). En revanche, la chaîne de sous-traitance et le maintien de la qualité des produits n’ont été source de difficultés que pour une minorité des entreprises interrogées (respectivement 36 % et 25 %).
Dans le détail, deux paramètres s’avèrent discriminants sur la nature des difficultés rencontrées. Le premier est la taille des entreprises. De façon attendue, les plus petites entreprises (moins de 50 salariés) ont été particulièrement concernées par les problèmes de trésorerie (respectivement 65 % et 58 % pour les entreprises de 1 à 9 salariés et de 10 à 49 salariés, contre 30 % pour les entreprises de 250 salariés et plus) ou par le maintien de la qualité de la production (36 % des entreprises de 1 à 9 salariés, contre seulement 13 % des entreprises de 50 à 249 salariés). À l’inverse, 77 % des entreprises de 250 salariés et plus ont été touchées par les problèmes liés à l’organisation de la production contre 58 % des entreprises de 10 à 49 salariés (53 % pour celles de 1 à 9 salariés).
Le deuxième paramètre à considérer est le secteur d’activité de l’entreprise. Ainsi, le secteur le plus concerné par la baisse de la demande est l’industrie aéronautique (91 %). L’industrie agroalimentaire se démarque au contraire par une part relativement élevée d’entreprises confrontées à un manque de disponibilité du personnel. Considérées comme prioritaires, les entreprises de l’agroalimentaire n’ont jamais cessé de fonctionner depuis le début de la crise sanitaire ; leurs clients et leurs fournisseurs leur ont moins manqué que leur personnel, maintenu en confinement. En avril 2020, l’Association nationale des industries alimentaires (Ania) déplorait une progression de l’absentéisme des salariés du secteur, qui avoisinait 40 %2 en Île-de-France selon une enquête réalisée fin mars 2020. Enfin, certaines activités ont été plus touchées que d’autres par les problèmes d’approvisionnement : l’industrie automobile (85 %), de même que la fabrication de produits informatiques et électroniques (86 %). Cette dernière a été également très affectée par des problèmes liés à la chaîne de soustraitance.
Figure 1.1 : Difficultés rencontrées par les entreprises industrielles au cours de la crise sanitaire
Lecture : Au cours de la crise sanitaire, 70 % des entreprises industrielles ont été confrontées à une baisse des ventes et des débouchés.
Champ : Entreprise industrielle de 1 salarié ou plus.
Source : La Fabrique de l’industrie-KPMG, enquête 2021.
Une « miraculeuse » stabilité de l’emploi au regard de la baisse du chiffre d’affaires des entreprises
Au cours de l’année 2020, un peu plus de la moitié des entreprises interrogées déclarent avoir subi une baisse de leur chiffre d’affaires : comprise entre 10 et 30 % pour la moitié d’entre elles, inférieure à 10 % pour près d’une entreprise sur quatre et supérieure à 30 % pour près d’une entreprise sur cinq. Le secteur aéronautique est le plus touché par cette baisse d’activité puisqu’elle concerne près de 90 % des entreprises du secteur, la plupart d’entre elles ayant connu une baisse supérieure à 30 %. D’autres secteurs d’activité affichent une dégradation de leur chiffre d’affaires, parmi lesquels l’industrie automobile (70 % des entreprises), la métallurgie, l’industrie du bois et la fabrication de produits en caoutchouc et en plastique (65 % des entreprises dans chaque secteur).
À l’opposé, un quart des entreprises ont tout de même vu leur chiffre d’affaires augmenter en 2020 par rapport à l’année précédente. L’industrie pharmaceutique se démarque par ses bonnes performances : 54 % des entreprises ont augmenté leur chiffre d’affaires. Dans l’industrie agroalimentaire, près de 40 % des entreprises en témoignent également.
Le plus frappant toutefois, c’est la très bonne tenue de l’emploi au sein de ces mêmes entreprises industrielles à la suite de la crise. Pour plus de trois entreprises sur quatre, les effectifs salariés n’ont pas évolué entre mars 2020 et avril 2021. Sur cette période, 10 % des entreprises interrogées déclarent même que la crise sanitaire a contribué à augmenter leurs effectifs. Si la taille des entreprises se révèle peu discriminante, cet effet est très variable d’un secteur d’activité à l’autre (Figure 1.2). Ainsi, 63 % des entreprises du secteur aéronautique sont concernées par une baisse de leurs effectifs salariés, contre seulement 22 % tous secteurs confondus. Les situations favorables à l’emploi ne varient pas autant puisque, dans le meilleur des cas, 16 % des entreprises du secteur agroalimentaire ont vu leurs effectifs augmenter.
Les tensions sur les approvisionnements survenues au cours de la crise du Covid-19 sont sans précédent. En effet, les mesures de restriction annoncées successivement par les gouvernements chinois et européens au début 2020 et le stop-and-go économique qui en a découlé ont considérablement pesé sur les chaînes d’approvisionnement de plus en plus mondialisées des entreprises industrielles françaises.
Parmi les entreprises que nous avons interrogées, 63 % ont fait part de tensions sur leur chaîne d’approvisionnement depuis le début de la crise sanitaire. La majorité d’entre elles signale des ruptures d’approvisionnement (80 %), des délais de livraison allongés (91 %) et une augmentation des coûts d’achat (77 %). Seulement 22 % des entreprises interrogées mentionnent un manque de collaboration avec leurs fournisseurs clés.
Figure 1.2 : Évolution des effectifs salariés selon le secteur d’activité
Lecture : Dans la fabrication de machines et équipements, la crise a contribué à diminuer les effectifs dans la moitié des entreprises.
Champ : Entreprise industrielle de 1 salarié ou plus.
Source : La Fabrique de l’industrie-KPMG, enquête 2021.
L’extension des problèmes d’approvisionnement jusqu’en France
Premier pays touché par le virus, la Chine a été confrontée à un ralentissement d’activité dès le mois de janvier 2020, à la suite des mesures de quarantaine imposées à Wuhan, dans la province du Hubei. Épicentre de la crise sanitaire, le Hubei était en 2019 la septième plus grosse province chinoise par le PIB. C’est surtout une plaque tournante pour de nombreuses industries : automobile, semi-conducteurs, acier, textile, pétrochimie et agroalimentaire. En Chine, la valeur ajoutée industrielle a diminué de 13,5 % en janvier et en février 2020 par rapport à la même période en 20193. De surcroît, les mois de janvier et février sont, chaque année, une période propice à l’allongement des délais de livraison en provenance de la Chine en raison du Nouvel An chinois.
Ce ralentissement économique de la Chine a touché, en France, les secteurs dépendants des intrants de production chinois. Dès le début de l’année 2020, le secteur électronique a ainsi été affecté par des ruptures d’approvisionnement, avant même la propagation massive du virus en Europe. Les entreprises Alliansys et Villelec, deux sociétés françaises de sous-traitance électronique, ont rapporté avoir souffert d’un allongement des délais de livraison sur leurs commandes dès le mois de janvier 2020. Elles ont néanmoins réussi à anticiper, en commandant davantage de pièces dès la fin 2019 pour augmenter leurs stocks et être opérationnelles jusqu’au mois de juin 2020.
La propagation du choc chinois a donc pu être différée pour les entreprises qui avaient la capacité de constituer des stocks dès les premières semaines de la crise. Toutefois, ces décisions d’achat peuvent au contraire aggraver la crise lorsqu’elles sont prises, par effet de mimétisme, à une plus large échelle. Selon une enquête du Snese (Syndicat national des entreprises de soustraitance électronique) menée auprès de ses adhérents, 91 % d’entre eux ont rencontré des problèmes d’approvisionnement au début de l’année 2020 et 30 % ont envisagé un arrêt de production4.
En outre, il est important de souligner que l’absence de dépendance directe à l’égard de la production chinoise ne suffit pas à prévenir de tels risques. En effet, toute rupture d’une chaîne logistique, qui pèse au départ sur quelques secteurs ou entreprises, peut s’étendre à d’autres filières par un effet de cascade. Le secteur industriel français est encore plus dépendant du marché chinois si l’on prend en compte les dépendances indirectes, à travers les fournisseurs de rang 2 ou plus. Jaravel et Méjean (2021) montrent ainsi, à partir des données WIOD de 2014, que l’exposition de l’industrie française à la Chine passe de 0,95 % à 1,8 % de la valeur de la production en tenant compte des consommations intermédiaires indirectes5. Les mesures de restriction chinoises se sont donc répercutées dès janvier sur des entreprises françaises dont les sources d’approvisionnement se trouvaient pourtant en Europe. Ainsi, l’entreprise Fleurette Constructeur, fabricant français de véhicules de loisirs, a été confrontée à une rupture d’approvisionnement de châssis de véhicules fournis par le constructeur automobile italien Fiat, lequel ne pouvait s’approvisionner en composants électroniques auprès de ses fournisseurs chinois.
Puis, face à la propagation du virus en Europe, le gouvernement français a annoncé, à la mi-mars 2020, les premières mesures de confinement qui se sont appliquées à la grande majorité des entreprises. Les tensions sur les chaînes d’approvisionnement sont devenues plus importantes, en particulier pour les entreprises se fournissant en Italie, pays très fortement touché par la propagation du virus. Selon une analyse de l’OFCE (2020)6, la part d’intrants étrangers en provenance d’Italie dans la production manufacturière française varie de 1,7 % à 6,9 % selon les secteurs. Du fait des difficultés pour s’approvisionner en intrants italiens, certaines entreprises françaises étaient en situation de quasi-rupture d’offre dès le début du mois de mars 2020.
Dans ce contexte complexe où les tensions sur les approvisionnements se sont multipliées, l’arrêt de la production était parfois un moindre mal, permettant aux entreprises d’économiser leurs charges variables et de préserver leur trésorerie. Toutefois, la meilleure des parades à long terme face à ce risque consiste manifestement à privilégier une forte intégration verticale7 en amont : celle-ci offre en effet une meilleure résilience des chaînes d’approvisionnement car elle se traduit par une connaissance plus fine des chaînes de valeur, de leur criticité, et par le contrôle d’une plus grande fraction du processus de production. À titre d’exemple, Joseph Puzo, dirigeant de l’entreprise Axon’Cable, témoigne de l’avantage de l’intégration de certaines activités : « Une société comme Axon’ est très intégrée. La société “fait du câble” mais, depuis longtemps, on a intégré la fabrication du conducteur métallique qu’on met dedans et des connecteurs aussi. » Selon lui, l’intégration de son entreprise a permis « de supprimer quatre ou cinq échelons de fournisseurs. » Pour les mêmes raisons, l’entreprise industrielle Sandvik Coromant, fabricant suédois d’outils coupants, n’a pas rencontré de problèmes d’approvisionnement : « Le groupe Sandvik est un fabricant de matière première brute. [La business unit où je travaille] est en fin de chaîne, comme tous nos concurrents. Le fait d’avoir des mines nous a préservés de cette pénurie de matière. En plus, […] on recycle nous-même nos produits, les produits de nos concurrents également, et donc par le truchement de ces mines et des filiales de recyclage, on n’a pas manqué de matière première », résume Clément Vicq, directeur des ventes au sein de l’entreprise. À l’inverse, l’externalisation de certaines activités a ravivé les tensions sur les chaînes d’approvisionnement, les risques de défaillance de certains fournisseurs pouvant empêcher la fabrication de produits entiers.
Selon une enquête du Conseil national des achats (CNA) réalisée en mai 2020, 65 % des entreprises interrogées dans les secteurs de l’aéronautique et de la défense craignaient la faillite de leurs fournisseurs stratégiques. Un sous-traitant aéronautique a ainsi été contraint de trouver un autre fournisseur pour se prémunir de la faillite d’une PME rouennaise qui les fournissait en mécanique et qui « battait déjà de l’aile avant la crise », comme en témoigne un cadre d’une entreprise interrogée.
Des difficultés logistiques rapidement maîtrisées
À ces problèmes d’approvisionnement sont venues s’ajouter des difficultés logistiques et de transport. Pour rappel, elles sont signalées par la moitié des entreprises ayant répondu à notre enquête. Le principal problème rapporté lors de nos entretiens a été l’allongement des délais de livraison induit par la réduction du trafic des marchandises, lui-même dû à la baisse de la consommation mondiale, aux protocoles sanitaires et aux contrôles aux frontières. À titre d’exemple, la fermeture des frontières polonaises a provoqué, en mars 2020, un embouteillage de près de 60 km de camions sur l’un des axes routiers majeurs de communication avec l’Allemagne8. Au sein de l’Union européenne, l’activité du transport routier a baissé de 25 % en avril 20209 et, en France, un camion sur deux n’a pas roulé pendant le premier confinement. Une enquête de la Fédération nationale des transports routiers (FNTR) révèle que, dès la fin du mois de mars 2020, ce sont 86% des entreprises de transport routier (hors transport alimentaire) qui étaient à l’arrêt total ou partiel du fait de la baisse d’activité de leurs clients ou d’un manque d’effectifs10. De même, l’Association internationale du transport aérien (IATA) rapporte que le fret aérien à l’échelle européenne a diminué de 16 % en avril 2020 par rapport à l’année précédente11. De surcroît, « les transporteurs étaient affectés aux produits de première nécessité et pas forcément sur des produits secondaires », explique Elisabeth Klein, responsable du site de CFT, une entreprise de métallurgie du groupe Metalians. Les difficultés de transport ont particulièrement concerné l’industrie chimique (79 %), les machines et équipement (75 %) et les produits électroniques (63 %), ainsi que l’industrie agroalimentaire (40 %) qui a pourtant tourné à plein régime pendant la crise.
Des mesures ont été prises rapidement pour fluidifier le transport de marchandises. En France, les restaurants sur les aires d’autoroute ont été autorisés à rouvrir quelques jours après l’annonce du premier confinement. Le gouvernement a également accordé à l’ensemble des routiers le droit de circuler le dimanche soir. La Commission européenne a publié le 23 mars 2020 des orientations pratiques sur la mise en œuvre de voies réservées : des points de passage frontaliers ouverts à tous les véhicules de transport de marchandises où les contrôles (sanitaires et autres) ne devaient pas prendre plus de quinze minutes12. Les compagnies aériennes ont, quant à elles, réalloué leur flotte pour répondre à la demande de marchandises, à l’image d’Air France qui a proposé des solutions d’aménagement rapides pour ses avions commerciaux. Des ponts aériens ont également été mis en place afin de faciliter le transport de marchandises vitales, comme les équipements médicaux. La situation liée aux transports s’est ainsi améliorée dès le mois de mai 2020 en France, où seulement 7 % des camions étaient encore à l’arrêt13.
Une chute brutale de la demande commune à de nombreux secteurs d’activité
L’annonce du premier confinement a été un véritable choc de demande pour une grande majorité des entreprises industrielles : 70 % d’entre elles considèrent en effet que la vente et les débouchés ont été une source de difficultés. À un niveau plus macroéconomique, la vente des produits industriels a diminué de 67,5 % entre avril 2019 et avril 2020 selon la Banque de France14. « D’un point de vue business, tout s’est arrêté du jour au lendemain […] on s’est retrouvé du jour au lendemain à ne plus pouvoir visiter un client, à ne plus avoir aucune source de revenus ou très peu », témoigne la dirigeante d’une grande entreprise de distribution électrique. On peut également citer à titre d’exemple l’entreprise Lippi, un fabricant de portails, qui a enregistré une perte de 95 % des commandes en l’espace de deux semaines, lors du premier confinement. Même écho chez Thuasne, une ETI internationale produisant du matériel médical orthopédique, qui a fait face à une baisse immédiate des commandes de la part des pharmacies. La taille des entreprises semble toutefois discriminante : 76 % des entreprises de 50 à 249 salariés ont été touchées par une baisse de la demande, contre 57 % des entreprises de 250 salariés et plus.
La limitation progressive de la circulation des personnes en Chine et en Europe, et la baisse du tourisme qui en a découlé, ont eu des effets importants sur le secteur aéronautique. En effet, les constructeurs aéronautiques ont fait face à de nombreux reports de livraison d’aéronefs, voire à des annulations de la part des compagnies aériennes. Selon l’Institut Montaigne, les livraisons d’avions ont baissé de 35 % chez Airbus en 2020. À l’inverse, les entreprises des secteurs de la production et de la distribution d’eau et d’électricité sont celles qui ont le moins pâti de la crise en matière de débouchés. Ce marquage sectoriel s’explique par les effets du confinement sur le comportement de consommation des ménages, favorisant certains achats tandis que d’autres étaient rendus impossibles. L’Insee a révélé que la consommation des ménages en biens fabriqués avait chuté de 42,3 % en volume entre février et mars 202015, tandis que la consommation d’énergie avait chuté de 11,4 %. Cette forte baisse de la consommation en biens fabriqués reflète celle des achats dits non essentiels parmi lesquels les véhicules, les vêtements, ou le carburant. Dans l’industrie pharmaceutique, la baisse de la demande a été soulignée par 58 % des entreprises interrogées. Si ce résultat peut paraître élevé au regard de l’évolution du chiffre d’affaires dans le secteur, il reflète en réalité une diversité de situations selon les molécules ou les produits médicaux fabriqués. Une étude réalisée conjointement par l’Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé (ANSM) et la Caisse nationale de l’assurance maladie (CNAM) a permis de caractériser les comportements de consommation des Français dans le contexte particulier de la crise sanitaire. Les résultats de l’étude mettent en évidence un phénomène de stockage de médicaments pour les maladies chroniques (diabète ou pathologies cardiovasculaires, par exemple) lors du premier confinement. Au contraire, la consommation de certains médicaments, à l’instar des corticoïdes dont les effets avaient été signalés comme potentiellement délétères sur le Covid-19 par les autorités sanitaires, a diminué massivement au début de la crise. Il en allait de même pour certains vaccins ou produits destinés aux diagnostics médicaux dans les hôpitaux. À titre d’illustration, l’entreprise Thuasne a été contrainte de mettre à l’arrêt plusieurs lignes de production lors du premier confinement : « Il y a eu un effondrement de ces catégories-là de produits [des genouillères] parce qu’il n’y avait plus de chirurgie », déclare Elizabeth Ducottet, PDG du groupe.
Les cas emblématiques de l’automobile et de l’aéronautique
La crise sanitaire a mis à rude épreuve deux piliers de l’industrie française : l’aéronautique et le secteur automobile. Aux difficultés qui frappent les grands donneurs d’ordre, s’ajoutent celles que rencontrent les milliers de sous-traitants des deux filières. Si la reprise progressive de l’activité mondiale offre l’espoir d’un retour à la normale, il n’en reste pas moins que le développement du télétravail, le recours croissant aux technologies numériques et les préoccupations environnementales pourraient durablement affecter le secteur. Ces filières présentent deux cas d’école, deux condensés des difficultés et des défis relevés dans cette étude.
Des effets en cascade tout au long de la chaîne de production
Dans le secteur aéronautique, le choc de demande finale s’est diffusé à l’ensemble du tissu productif à travers la baisse de la demande en consommations intermédiaires que les entreprises adressent au reste de l’économie. Ainsi, le choc d’activité observé chez Airbus a affecté l’ensemble des entreprises de la filière aéronautique, à l’image d’autres grands groupes tels que Safran ou Thales. Dépendant non seulement de l’activité des constructeurs mais aussi du trafic aérien pour son activité de maintenance, Safran n’a pas été épargné. Le groupe a subi une baisse de 20 % de son chiffre d’affaires durant le seul mois de mars 202016. Outre à ces grands donneurs d’ordre, la baisse des cadences de production s’est propagée à l’ensemble de la filière composée de milliers de sous-traitants. Ainsi, le chiffre d’affaires de l’équipementier Latécoère a diminué de 42 % entre 2019 et 2020. Une baisse de plus de 50 % du chiffre d’affaires a été observée chez le sous-traitant Figeac Aero. Cette baisse brutale d’activité n’est pas sans conséquence sur le niveau des effectifs. Latécoère et Figeac Aero ont annoncé la suppression respectivement de 246 et de 220 emplois en février 202117. Ainsi, selon l’Insee (Morénillas, 2021), les donneurs d’ordre, dont les effectifs sont restés stables, sont bien moins touchés que l’ensemble de la chaîne de sous-traitance, dont les effectifs salariés ont diminué de plus de 5 % en 2020.
Ces effets en cascade ont également été observés dans l’industrie automobile, qui entretient des liens forts avec d’autres pans de l’économie via le poids de ses consommations intermédiaires (Dahmani et al., 2014). D’une part, la fabrication de véhicules intègre de nombreuses technologies issues d’autres branches (batteries électriques, équipements de télécommunication, etc.) et, d’autre part, elle s’appuie sur des services dédiés, parmi lesquels les services après-vente, les services de location et les infrastructures de recharge de batteries. Selon une étude de la Direction générale des entreprises (DGE) (El Guendouz et Devillard, 2015), la filière industrielle de l’automobile est composée d’un « noyau » d’équipementiers et de motoristes ainsi que d’entreprises aux activités plus diverses, qui en forment la « périphérie ». Ces dernières représentaient plus des deux tiers de la filière en 2015. Par conséquent, une baisse d’activité chez les constructeurs entraîne dans son sillage un grand nombre d’entreprises de tailles et de secteurs d’activité variés. En premier lieu, les équipementiers : « Cette nouvelle crise […] va bouleverser le paysage automobile et son impact sur l’activité des équipementiers sera très important », témoignait Claude Cham, président de la Fédération des industries des équipements pour véhicules (FIEV)18. Les ventes de Faurecia ont dégringolé de 35,4 % au premier semestre de 202019. Le bilan pour l’année entière est cependant moins négatif grâce à une reprise de l’activité en fin d’année. De même, l’entreprise Sandvik Coromant, fabricant d’outils coupants pour les secteurs aéronautique et automobile, a subi de plein fouet l’arrêt des usines de ses clients lors du premier confinement. L’impact sur le niveau d’activité du sous-traitant a été d’autant plus significatif que ses produits sont consommables et directement liés aux volumes de production de ses clients : « Nos clients ont des stocks de nos produits, directement liés à leur volume de production. On a donc eu un effet boomerang lié au déstockage », témoigne un directeur des ventes de l’entreprise.
Le secteur aéronautique toujours à la peine
Les entreprises du secteur aéronautique peinent à retrouver des couleurs en 2021. Au même titre que l’hébergement et la restauration, les constructeurs aéronautiques sont très affectés par la persistance des restrictions sanitaires qui visent directement les compagnies aériennes. « On a la même activité aujourd’hui [mars 2021] qu’en début avril [2020] », rapporte un cadre d’une entreprise aéronautique. Un autre site de l’entreprise travaillant exclusivement pour les avions dispose d’un surstock important en raison des longs délais de production. Selon ce même cadre, « il y a quasiment trois ans d’écoulement de produits finis avant que l’activité ne reprenne de manière normale ». Ce surstock vient, par ailleurs, peser lourdement sur la trésorerie. Le constat est similaire chez un autre fournisseur aéronautique, qui préfère également demeurer anonyme. La baisse d’activité n’a pas été circonscrite à la période du premier confinement. « Airbus qui nous demandait de produire 60 jeux par mois est passé à 30, ATR [Avions de transport régional] qui nous faisait 80 avions à l’année est passé à 30, on a eu 40 % de moins sur des trucs, on a eu des flux de réparations vertigineux en moins », explique un cadre de l’entreprise.
Au-delà des restrictions sanitaires, le secteur aéronautique voit son activité affectée du fait d’une moindre demande. En effet, le ralentissement de la demande dans le transport aérien et, par ricochet, dans l’industrie aéronautique pourrait s’installer de manière structurelle si les voyages d’affaires ou lointains devenaient plus rares et n’étaient pas totalement compensés par les court ou moyen-courriers. Une étude récente de l’Insee (Loublier, 2021) dresse un tableau relativement pessimiste de la situation du secteur aéronautique à moyen terme. À partir d’une simulation des pertes d’activité par branche à l’horizon de la fin 2022, l’auteur estime que l’écart de la branche par rapport à son activité tendancielle sera supérieur à 8 %, soit la perte la plus importante des branches étudiées. Au niveau européen, les résultats ne sont guère plus encourageants : une étude d’Eurocontrol20 (2021) estime que le trafic ne retrouvera pas son niveau de 2019 avant 2024.
Attention toutefois : toutes les conjectures sur la filière aéronautique sont par nature extrêmement fragiles. Au moment où ces lignes sont rédigées plane l’ombre d’une quatrième vague épidémique, qui risquerait d’invalider bon nombre d’études prospectives. A contrario, les résultats d’Airbus en 2020 envoient quelques signaux positifs. Si les livraisons d’avions en 2020 sont trois fois moins importantes qu’en 2019, les carnets de commandes, eux, résistent à la crise : ils affichent 7 184 appareils en 2020, ce qui représente huit années de production (Morénillas, 2021). En outre, l’industrie aéronautique bénéficie d’un soutien massif de l’État qui a notamment créé un fonds d’investissement sectoriel visant à intervenir directement chez les soustraitants du secteur. Créé en juillet 2020, ce fonds, baptisé Ace Aéro Partenaires, est doté d’un montant de 630 millions d’euros. L’État y injecte 200 millions d’euros, dont 50 millions via Bpifrance, tandis que les grands constructeurs y contribuent ensemble à hauteur de la même somme : 116 millions d’euros pour Airbus, 58 millions pour Safran, 13 millions pour Dassault et 13 millions pour Thales. Ces 400 millions d’euros de fonds propres sont complétés par un apport de 230 millions de la société de gestion Tikehau Capital, chargée de gérer la totalité du fonds aéronautique. Ces aides devraient contribuer à la consolidation des entreprises du secteur et encourager l’investissement dans la modernisation de l’appareil productif et les énergies bas carbone. En outre, notre enquête révèle que les entreprises du secteur aéronautique sont significativement plus nombreuses (63 % contre 36 % pour l’ensemble des entreprises interrogées) à envisager de nouveaux investissements, majoritairement orientés vers le développement de nouveaux produits et services, la modernisation des moyens de production et leur verdissement.
- 2. https://www.ania.net/economie-export/cp-coronavirus-l-agroalimentaire-un-secteur-debout
- 3. Source : National Bureau of Statistics of China
- 4. https://www.usinenouvelle.com/editorial/faceaucoronaviruslafiliereelectroniquefrancaiseveutsortirdesadependance vis-a-vis-de-la-chine.N934694
- 5. Notons que l’analyse des vulnérabilités indirectes est encore sous-estimée car les bases de données actuelles ne permettent pas d’identifier l’ensemble des flux de réexportation. Les tableaux entréessorties internationaux de la base WIOD ne sont pas suffisamment désagrégés pour détecter les vulnérabilités indirectes à travers les fournisseurs de rang 2 et plus.
- 6. Cette analyse se base sur les tableaux mondiaux des entrées-sorties (WIOT).
- 7. L’intégration verticale consiste à produire ce qui était auparavant externalisé.
- 8. https://www.lacroix.com/Monde/Europe/toutelEuropegaleretransfrontaliers202003201201085120
- 9. https://www.syndex.fr/actualites/actualite/crise-du-covid-19-impacts-et-enjeux-pour-le-transport-routier-de-marchandises
- 10. https://www.fntr.fr/sites/default/files/202004/NoteFNTR_enquete200331_vf2.pdf
- 11. https://www.iata.org/en/iata-repository/publications/economic-reports/Air-Freight-Monthly-Analysis-Apr-2020/
- 12. https://ec.europa.eu/info/liveworktraveleu/coronavirusresponse/transportationduringpandemic_fr
- 13. Enquête FNTR, mai 2020.
- 14. https://www.banque-france.fr/statistiques/commerce-de-detail-avr-2020
- 15. https://www.insee.fr/fr/statistiques/4484674#titre-bloc-9
- 16. https://www.lacroix.com/Economie/CoronavirusSafrancommencesubireffetscrisesecteuraerien202004291301091899
- 17. https://france3-regions.francetvinfo.fr/occitanie/haute-garonne/toulouse/aeronautique-des-plans-sociaux-revus-a-la-baisse- pourfigeacaerolatecoereetairbus1938451.html
- 18.https://www.usinenouvelle.com/article/le-chiffre-d-affaires-des-equipementiers-auto-en-baisse-pour-la-premiere-fois-depuis- 2013.N1008334?
- 19. https://www.lesechos.fr/industrie-services/automobile/automobile-2020-une-annee-a-oublier-pour-les-grands-equipementiers- francais-1292527
- 20. Organisation européenne pour la sécurité de la navigation aérienne.
Une seule option : s’adapter
Les bouleversements engendrés par la crise sanitaire ont obligé les entreprises à repenser leur mode de fonctionnement. Force est d’admettre que l’année 2020 aura été, pour les entreprises et leurs salariés, une expérience extrême en matière d’organisation du travail. Les contraintes sanitaires ont en effet conduit, entre autres choses, à un déploiement massif du télétravail ainsi qu’à une réorganisation des sites de production.
Dans d’autres domaines, les changements paraissent plus limités et surtout plus transitoires. Les épisodes de confinement ont donné lieu à un renouvellement de l’offre dans certaines entreprises, notamment via la production de masques ou la diversification des canaux de vente. Toutefois, ces initiatives ont souvent constitué une réponse d’urgence à la crise plutôt qu’un changement de paradigme. Enfin, les situations, révélées par la crise, de dépendance à l’égard de certains fournisseurs ne se sont pas traduites, du moins à court terme, par une réorganisation des chaînes d’approvisionnement.
Poursuivre l’activité ou protéger les salariés ?
« Nous sommes en guerre », déclarait le président de la République le 16 mars 2020, en annonçant alors les premières modalités de confinement, parmi lesquelles le recours massif au télétravail et la fermeture des établissements scolaires, des commerces non essentiels, des bars et des restaurants. Les premières modalités de confinement ont suscité de nombreuses interrogations chez les industriels : l’entreprise doit-elle fermer ? L’activité est-elle essentielle ? Comment poursuivre les activités non « télétravaillables » ? Comment sécuriser l’environnement de travail des salariés ? Pour répondre à ces questions légitimes, ils disposaient d’une certaine latitude. En effet, contrairement aux établissements publics d’enseignement et aux commerces « non essentiels », les entreprises industrielles n’ont pas été fermées d’autorité.
La plupart des entreprises industrielles n’ont pas arrêté leur activité
Le premier confinement décrété le 17 mars 2020 a donné un coup d’arrêt à de nombreuses entreprises déjà affaiblies par le double choc d’offre et de demande en provenance de la Chine, sans toutefois que cela ne représente une situation majoritaire. Dans le secteur industriel, 36 % des entreprises ont mis à l’arrêt au moins un de leurs sites de production entre mars 2020 et avril 2021. Pour comparaison, respectivement 87 % et 68 % des sociétés de 10 salariés ou plus dans les secteurs de la restauration et de l’hébergement ont été fermées au moins temporairement durant le premier confinement (Duc et Souquet, 2020).
La situation est toutefois contrastée d’un secteur industriel à l’autre. En effet, les fermetures ont davantage concerné les secteurs automobile (58 %), de fabrication de produits en caoutchouc et en plastique (52 %), du textile (49 %) et de l’aéronautique (40 %) (Figure 2.1). À l’inverse, les interruptions d’activité ont été plus rares dans la production d’électricité (20 %), l’agroalimentaire (16 %) ou dans l’industrie pharmaceutique (6 %).
Pour la plupart des entreprises concernées, l’activité s’est interrompue pendant plus d’un mois au total21 (Figure 2.2). Les interruptions les plus longues ont concerné les petites entreprises (de 1 à 9 salariés) et les plus grandes (de 250 salariés et plus) davantage que les entreprises de taille intermédiaire (de 10 à 249 salariés), suggérant que ces dernières ont rencontré moins de difficultés à mettre en place les mesures de protection sanitaire.
Les entreprises n’ont pas joué à armes égales face aux contraintes sanitaires
Outre les activités portées par une forte demande (industries agroalimentaire et pharmaceutique), certaines entreprises ont bénéficié de leur appartenance à un groupe multinational, et notamment de relations privilégiées avec leur filiale chinoise pour anticiper l’arrivée du virus en France. À titre d’exemple, l’entreprise Delabre, spécialisée dans le découpage et l’emboutissage du métal, a pu instaurer des protocoles sanitaires bien avant les premières mesures d’endiguement de l’épidémie en France en capitalisant sur l’expérience de son site chinois22.
Figure 2.1 : Proportion des entreprises ayant fermé au moins un site de production depuis le début de la crise sanitaire
Lecture : Depuis le début de la crise sanitaire, 50 % des entreprises de l’industrie textile ont fermé au moins un site de production.
Champ : Entreprise industrielle de 1 salarié ou plus.
Source : La Fabrique de l’industrie-KPMG, enquête 2021.
Figure 2.2 : Répartition des entreprises selon la durée de fermeture entre mars 2020 et avril 2021
Lecture : Depuis le début de la crise sanitaire, 48,3 % des entreprises ont fermé leur(s) site(s) de production plus d’un mois.
Champ : Entreprise de 1 salarié ou plus ayant fermé au moins de leur site de production durant la crise sanitaire.
Source : La Fabrique de l’industrie-KPMG, enquête 2021.
Pour d’autres entreprises, c’est le caractère critique de l’activité qui a maintenu les sites ouverts. Ainsi, les usines de Schneider Electric sont restées ouvertes afin de pouvoir assurer la maintenance des sites et des infrastructures électriques des hôpitaux. Même écho chez Thuasne, entreprise spécialisée dans la fabrication d’équipements médicaux, qui a pu maintenir son activité en appliquant son savoir-faire et sa technologie à la production de masques réutilisables. Pour autant, ce caractère essentiel ou critique est très relatif dans l’industrie où les entreprises de filières différentes sont bien souvent dépendantes les unes des autres. La filière électronique, par exemple, est présente dans de nombreux produits dits essentiels, comme les appareils médicaux. Dans ces conditions, la poursuite d’activité de certaines entreprises catégorisées « non critiques » pouvait pleinement se justifier, comme le revendique Michel de Nonancourt, actionnaire principal de Villelec et ancien dirigeant d’Alliansys, deux sous-traitants électroniques : « Dès le départ, j’ai indiqué aux deux entreprises que je ne voulais pas qu’elles arrêtent. […] J’estime qu’on doit travailler, pour la bonne raison qu’on a quand même dans nos productions des produits qui sont attendus par certains clients et qu’on ne pouvait pas différer les livraisons. »
Mais, pour d’autres entreprises, les mesures annoncées ont laissé place à un grand flottement, rendant inéluctable la fermeture des sites de production. À l’évidence, les dirigeants que nous avons rencontrés avaient pleinement conscience des risques que soulevait la poursuite de l’activité. Clément Vicq, directeur des ventes chez Sandvik Coromant, témoigne ainsi : « On ne dérogeait pas aux règles sanitaires ; si on ne savait pas tenir les distanciations, eh bien on ne venait pas. » La principale difficulté à cet égard a été le manque de masques. En France, la demande de masques a explosé dès mars 2020, au fur et à mesure de la diffusion du virus. On estime la demande de masques à 40 millions par semaine pour le personnel soignant pendant la première vague de l’épidémie, tandis que la France n’en produisait alors que 3 millions par semaine et disposait d’un stock de plus en plus faible depuis 200923. Dans ce contexte, les entreprises industrielles ont eu beaucoup de difficultés à respecter les gestes barrières, d’autant qu’elles n’étaient pas prioritaires dans l’accès aux masques : au début de la crise sanitaire, tous les stocks ont été réquisitionnés pour fournir le secteur médical. L’entreprise Thuasne, qui avait commandé fin janvier 2020 plusieurs dizaines de milliers de masques pour protéger ses salariés, a été contrainte de rediriger ses stocks vers la filière sanitaire dès le mois de mars. Dans un second temps, le gouvernement français a entrepris d’aider à l’augmentation des capacités nationales de production et de reconversion pour les masques, se fixant le 31 mars 2020 un objectif de souveraineté nationale sur la production de masques. Les autorités ont ainsi passé des commandes publiques très importantes, notamment auprès de la filière industrielle du textile. Alors qu’ils étaient au nombre de quatre avant la pandémie, on compte aujourd’hui près de quinze producteurs différents, y compris des entreprises qui ont reconverti certaines lignes de production pour la fabrication de masques, comme PSA, Renault ou encore Thuasne. Ces sociétés ont d’abord équipé leurs propres collaborateurs avant de fabriquer des masques pour un public élargi. « On a fait des masques pour nous, pour ne pas interrompre l’industrie, mais très vite on s’est aperçus que ça allait devenir indispensable pour d’autres que nous », déclare Elizabeth Ducottet, dirigeante de Thuasne. Certaines entreprises ont également réussi à s’équiper en masques grâce à des mesures internes. Chez Lippi, un employé amateur de couture a fabriqué des masques pour l’ensemble de ses 250 collègues.
Outre le port du masque obligatoire, les usines ont dû adapter leur fonctionnement aux critères de distanciation sociale. Selon la configuration des sites de production, la mise en place des mesures de distanciation s’est avérée plus ou moins complexe. Ainsi, les tâches collectives étaient par définition inadaptées aux mesures barrières : « Ce qui était compliqué chez nous pour la distanciation, c’est qu’on a des produits qu’il faut porter à deux et qui sont à des distances inférieures à un mètre », résume Pierre-Yves Laurent, directeur chez Lippi. Le ratio nombre d’employés sur taille des usines a également pesé sur la capacité des entreprises à réorganiser leur environnement de travail. Un constat partagé par Michel de Nonancourt au sujet des entreprises Alliansys et Villelec : « On a la chance d’avoir en Normandie une usine qui fait quasiment 10 000 m² pour 70 personnes, donc on peut faire de la distanciation sociale. On a la même chose en Alsace avec 1 000 m² pour une dizaine de personnes. On a pu organiser tout de suite toutes les mesures de sécurité. » De même, les lignes de production déjà fortement automatisées ou la présence de robots ont constitué un avantage, puisqu’elles limitent le nombre d’interactions physiques entre les opérateurs au sein d’un site industriel24.
Les changements organisationnels induits par les mesures sanitaires ne se sont pas arrêtés aux frontières de l’usine. Certaines entreprises, à l’image de Lippi, ont modifié leur process de fabrication pour limiter les interactions entre les différents sites de production et ainsi écarter l’éventualité d’une contamination simultanée de plusieurs sites. La nécessaire réorganisation des entreprises a également concerné les espaces en dehors de l’activité de production, qu’il s’agisse du lieu de restauration, des vestiaires ou du trajet domicile-travail. Les nouvelles consignes ont essentiellement consisté à freiner les interactions entre les salariés en prônant, par exemple, les modes de transport individuels, là où une organisation fondée sur un climat collaboratif avait longtemps été promue. Ce paradoxe est souligné par Michaël Langouët, directeur général de Fleurette Constructeur : « On a passé beaucoup de temps sur les PCA [plans de continuité d’activité] parce qu’il fallait adapter nos réfectoires, nos vestiaires, nos sanitaires, nos parkings, le nombre de cendriers à l’extérieur du parking pour que les gens ne soient pas en cofumage ou en covoiturage. Bref, éviter tout ce qui était collaboratif. On a aussi dû changer certains modes de transport pour que l’ensemble de nos équipes soit au courant qu’il fallait éviter de prendre un même véhicule sans le port de masque. »
Un recours généralisé aux mesures d’urgence
Dès la fin du mois de mars 2020, les pouvoirs publics ont mis en place des mesures d’urgence pour éviter les faillites d’entreprises plombées par une chute brutale de leurs revenus. Des mesures de soutien à la liquidité des entreprises ont ainsi été créées, parmi lesquelles les prêts garantis par l’État (PGE)25, le report des échéances sociales et fiscales, la création d’un fonds de solidarité destiné aux TPE et aux indépendants des secteurs les plus touchés et un rééchelonnement des charges. Afin de maintenir les revenus des salariés et de préserver le tissu économique, l’État a également réformé le dispositif d’activité partielle26, de façon à en favoriser le recours par les entreprises.
Près de 70 % des entreprises industrielles déclarent avoir recouru à une ou plusieurs mesures d’urgence. Plus précisément, 79 % des entreprises ayant déclaré avoir rencontré des difficultés liées à la crise sanitaire ont fait appel aux mesures d’urgence, contre seulement 45 % des entreprises n’ayant pas rencontré de difficultés.
Dans chaque classe de taille d’entreprise, au moins la moitié des entreprises ont recouru à une mesure d’urgence au minimum, avec un pic pour les entreprises de 10 à 49 salariés (75 %), qui ont été directement ciblées par certains instruments comme le fonds de solidarité. Certains secteurs d’activité se démarquent également par leur fort recours à au moins une mesure publique, parmi lesquels le secteur aéronautique (91 %), l’industrie textile (85 %) ou l’industrie automobile (79 %). À l’inverse, seules 34 % des entreprises de distribution et de production de gaz et d’électricité ont été concernées.
L’activité partielle a été de loin le dispositif le plus plébiscité : parmi les entreprises ayant eu recours à au moins une mesure d’urgence, 75 % y ont fait appel (Figure 2.3). Tous secteurs d’activité et tailles d’entreprise confondus, au moins deux entreprises sur trois ont eu recours à ce dispositif. Le taux de recours à l’activité partielle a atteint des sommets dans certains secteurs d’activité, à l’instar de l’industrie automobile (91 %), de la fabrication de biens d’équipement (89 %) et de la métallurgie (79 %). En conséquence de l’assouplissement temporaire des conditions d’accès au dispositif, les entreprises industrielles n’ayant pas rencontré de difficultés ont également fait majoritairement appel à l’activité partielle (63 %). Ce résultat suggère l’existence d’effets d’aubaine, contreparties inévitables du choix politique pour des mesures urgentes et universelles. On peut en effet supposer que ces entreprises auraient tout de même maintenu leur niveau d’emploi en l’absence du dispositif.
Depuis le 1er juillet 2020, un nouveau dispositif spécifique d’activité partielle de longue durée (APLD) a été mis en œuvre, dans le cadre du plan de relance, pour permettre aux entreprises confrontées à une réduction d’activité durable de diminuer l’horaire de travail des salariés pour une durée de 6 mois renouvelable, dans la limite de 24 mois et en contrepartie d’engagements en matière de maintien de l’emploi notamment. Contrairement à l’activité partielle « classique » mise en œuvre pendant la crise, les conditions d’accès à l’APLD sont restrictives et fortement conditionnées à la situation économique des entreprises. Ainsi, le dispositif a concerné seulement un cinquième des entreprises interrogées. Seule l’industrie aéronautique se démarque puisque 71 % des entreprises du secteur ont eu recours à l’APLD.
Le PGE, accessible sans aucune condition de taille ni de perte de chiffre d’affaires, a lui aussi été fortement mobilisé, quoique moins massivement que l’activité partielle : 56 % des entreprises industrielles y ont fait appel. Le recours aux PGE est d’abord affaire de taille d’entreprise, plus que de secteur d’activité. La proportion des entreprises concernées s’échelonne de 45 % pour les entreprises de 1 à 9 salariés à 71 % pour les entreprises de plus de 5 000 salariés. Si les PGE sont avant tout mobilisés pour faire face à des problèmes de trésorerie, ils peuvent également être utilisés comme une épargne de précaution, à l’image de l’entreprise Mader, un fabricant de peinture industrielle, où le PGE est qualifié de « réserve en cas de gros pépin ».
Ont également été mobilisés le report des échéances fiscales et sociales (38 %), le report de charges (32 %) et le rééchelonnement de crédits bancaires (34 %).
Enfin, 31 % des entreprises interrogées n’ont pas eu recours aux mesures d’urgence. Il y a tout lieu de penser que ce non-recours est tantôt volontaire, tantôt subi : on remarque en effet que plus de la moitié d’entre elles ont déclaré ne pas avoir rencontré de difficultés en raison de la crise sanitaire. Par ailleurs, elles ont bénéficié d’une hausse de leur chiffre d’affaires (36 %) deux fois plus fréquemment que les entreprises ayant eu recours à une ou plusieurs mesures d’urgence (18 %).
Figure 2.3 : Recours aux différentes mesures de soutien public pendant la crise sanitaire
Lecture : Moins de 10 % des entreprises industrielles ont eu recours au fonds de solidarité.
Champ : Entreprise industrielle de 1 salarié ou plus.
Source : La Fabrique de l’industrie-KPMG, enquête 2021.
Se réinventer dans l’urgence face aux contraintes sanitaires
Selon notre enquête, 41 % des entreprises interrogées ont dû repenser leur organisation du travail pour appliquer les consignes sanitaires (gestes barrières et distanciation sociale), avec notamment le développement du travail à distance. La mise en œuvre de ces mesures a été un peu plus répandue dans les grandes entreprises puisque 56 % des entreprises de 250 salariés et plus étaient concernées contre 33 % des entreprises de 10 à 49 salariés. Il en est naturellement de même pour les entreprises appartenant à un groupe international qui sont, en proportion, plus nombreuses à avoir repensé leur organisation du travail (62 % contre 36 %).
Un déploiement massif du télétravail
Le télétravail fait partie des mesures phares mises en œuvre par les industriels pour faire face aux contraintes sanitaires. On peut même dire que l’année 2020 a été celle du télétravail de masse, y compris dans des professions a priori non éligibles. Comme en témoigne un récent ouvrage sur le travail à distance (Canivenc et Cahier, 2021), la crise sanitaire a « fait sauter de nombreux verrous », obligeant les entreprises à étendre la pratique du télétravail à des salariés qui n’y avaient jamais eu accès jusqu’à présent. Selon les auteures, le travail à distance à grande échelle a conduit les organisations à y réfléchir en termes de « tâches » plutôt que de « métiers ». Si l’on prend l’exemple des opérateurs de maintenance, traditionnellement exclus de ce mode d’organisation, on constate que certaines de leurs tâches peuvent aisément être réalisées à distance, comme le suivi des réclamations ou la gestion des stocks. Pour autant, la crise a montré que l’accessibilité au télétravail restait encore très inégalitaire en fonction des professions. En mai 2020, 57 % des cadres et des professions intellectuelles supérieures ont déclaré avoir exclusivement télétravaillé, contre 20 % des employés et seulement 1,5 % des ouvriers (Insee, 2020b). Cette inégalité d’accès au télétravail se retrouve dans les entreprises industrielles rencontrées : d’après les dirigeants, le travail à distance a surtout concerné les employés de bureau, parmi lesquels les commerciaux, les ingénieurs et les acheteurs.
Le développement du télétravail s’est inscrit dans des contextes qui se sont révélés très différents d’une entreprise à l’autre. Dans les organisations très hiérarchisées et axées sur le contrôle, le télétravail était perçu comme une pratique favorisant la procrastination et un sous-investissement chronique par rapport au travail sur site. « Il y a quand même dans la mentalité des entreprises et du haut management un double langage. Il faut faire du télétravail, mais celui qui en fait est vu par la grande direction comme le mec au bord de la piscine avec une bière », résume un cadre d’une entreprise interrogée. A contrario, là où le télétravail était déjà une réalité ancrée – au moins pour une partie des salariés – la crise sanitaire a été vécue comme l’occasion d’accélérer l’adoption de ce nouveau mode d’organisation du travail. De surcroît, ces entreprises étaient mieux préparées à cette situation inédite, puisque l’usage de certains outils numériques indispensables au travail à distance était déjà en germe. Selon une cadre dirigeante de Schneider Electric, la pratique régulière du télétravail avant la crise par les salariés éligibles a permis à l’entreprise de s’adapter très rapidement, ne serait-ce que parce qu’une grande partie de ces salariés disposaient déjà d’un ordinateur portable. Même écho chez Thuasne qui a mis au télétravail plusieurs dizaines de collaborateurs en une nuit. La dirigeante de l’entreprise, Elizabeth Ducottet, reconnaît volontiers que cette « acrobatie » n’aurait pas été possible sans l’existence préalable d’équipements informatiques ou de services digitaux adaptés. Quel qu’ait été le niveau de maturité des entreprises à l’égard du numérique, la crise sanitaire leur a imposé l’adoption de nouveaux outils digitaux et de nouveaux modes de communication, parmi lesquels les systèmes de visioconférence. Ces derniers ont été particulièrement mobilisés pour pallier l’absence d’interactions physiques entre les salariés et avec les clients.
En tout état de cause, force est de constater que le télétravail forcé et à grande échelle lors du premier confinement a été déployé dans la précipitation et dans des modalités dégradées. Ainsi, les entreprises que nous avons rencontrées ont souvent mentionné l’absence de lien social et l’isolement qu’ont vécus certains salariés lors de cet épisode. Un constat corroboré par une enquête de Terra Nova auprès d’un échantillon de salariés ayant travaillé à distance entre le 1er et le 20 avril 2020 montrant que le manque d’environnement social professionnel était l’une des principales difficultés rencontrées (Pech et Richer, 2020). Certaines entreprises ont ainsi développé des cellules d’écoute, voire des systèmes d’alternance entre travail sur site et à distance pour les salariés les plus affectés par le sentiment d’isolement.
Ajuster l’emploi à la chute brutale d’activité
Autre conséquence de la crise sanitaire : la baisse d’activité sans précédent a forcé les entreprises industrielles à réduire instantanément leur demande de travail. Comme nous l’avons vu plus haut, le fort recours à l’activité partielle a permis de limiter les destructions d’emplois. Pour autant, 22 % des entreprises industrielles considèrent que la crise sanitaire a contribué à réduire leurs effectifs, avec des variations assez limitées selon la taille des entreprises mais très marquées selon le secteur d’activité.
L’ajustement de la main-d’œuvre est ainsi passé par des canaux aussi variés que la baisse du recours à l’intérim, le nonrenouvellement des contrats à durée déterminée (CDD) arrivés à échéance, le report ou l’annulation des embauches, la modulation des horaires de travail ou encore le prêt de main-d’œuvre.
Contrats courts, variables d’ajustement de la crise ?
Les premiers touchés par la crise sont les intérimaires, dont le nombre a chuté de 40 % entre février et mars 2020 dans l’industrie27. Si on exclut l’intérim, les réductions d’effectifs, fin mars 2020, sont surtout passées par l’annulation ou le report d’embauches (51 % des entreprises) et le nonrenouvellement des CDD (49 %), les ruptures conventionnelles restant peu fréquentes (4 %) de même que le licenciement marginal (2 %)28 (Figure 2.4). Les entreprises dépendant du secteur aéronautique ont été particulièrement concernées par les réductions d’effectifs, telles les entreprises MDP et SFAM du groupe Metalians qui ont procédé à des restructurations donnant lieu à une dizaine de départs. Selon Elisabeth Klein, la raison principale en a été la baisse importante du chiffre d’affaires liée à la fermeture des sites de MDP et SFAM, s’étalant quasiment sur toute la période du premier confinement. Au total, entre mars et décembre 2020, près de 80 400 ruptures de contrats de travail ont été envisagées dans le cadre de plans de sauvegarde de l’emploi (PSE), soit trois fois plus qu’en 2019 sur la même période29. Le secteur de l’industrie manufacturière a concentré 37 % des ruptures, suivi par les secteurs du commerce et de la réparation (19 %), puis du transport et de l’entreposage (9 %) et de l’hébergement-restauration (9 %). À titre d’exemple, l’entreprise multinationale Sandvik, qui travaille principalement avec l’aéronautique et l’automobile, a procédé au licenciement de 81 personnes dont la majorité était des agents de production. Selon Clément Vicq, directeur des ventes, la crise sanitaire n’a fait qu’accélérer la mise en œuvre d’un PSE déjà initié : « Ce n’est pas la crise en elle-même qui a été déclencheur, l’élément déclencheur, ce sont les réorganisations des groupes internationaux […]. L’usine d’Orléans a été très affectée et ses activités ont été transférées en Allemagne. Et donc l’usine en Allemagne, où il y avait une baisse d’activité, va retrouver des volumes qui vont redevenir acceptables. » Du point de vue des salariés du site d’Orléans, ces licenciements sont incompréhensibles au regard des résultats économiques de l’entreprise au cours des dernières années30.
Figure 2.4 : Les causes des réductions d’effectifs dans les entreprises fin mars 2020
Lecture : Fin mars 2020, les réductions d’effectifs sont majoritairement passées par des annulations ou reports d’embauches.
Champ : Salariés du privé hors agriculture, particuliers, employeurs et activités extraterritoriales ; France (Hors Mayotte).
Source : Dares, enquête Acemo Covid, avril 2020.
D’autres dispositifs ont constitué une alternative aux destructions d’emplois, telles les modulations d’horaires. C’est, par exemple, le cas dans l’entreprise Fleurette Constructeur, qui a mis en place, en 2020, un accord visant à moduler les horaires en fonction des commandes par une annualisation du temps de travail. Ces accords ont vocation à répondre à des besoins conjoncturels en évitant le coût social des procédures collectives de licenciement et en facilitant l’adhésion des salariés. La réorganisation engagée par Fleurette Constructeur a pourtant donné lieu à des incompréhensions de la part des salariés : « Le processus a pris du temps car c’était la première fois qu’une telle approche était mise en place dans l’histoire de l’entreprise. Il fallait qu’on s’adapte au contexte qui s’annonçait extrêmement pénalisant pour l’entreprise […] Avec ma responsable des ressources humaines, j’ai passé beaucoup de temps à convaincre [les salariés] et leur expliquer qu’il fallait qu’on soit adaptable et qu’au vu du carnet de commandes, on avait bel et bien du travail […] mais que si les fournisseurs ne pouvaient pas nous livrer à cause du Covid ou de ses conséquences, nous aurions besoin d’être le plus agile possible. De fait, nous avons mis en œuvre un accord de modulation du temps de travail qui peut aller de ٢٨ heures minimum à 48 heures maximum », résume Michaël Langouët, directeur général de l’entreprise. Ce type de solutions, consistant à définir des plages d’évolution possible du temps de travail entre une limite minimale (plancher) et une limite maximale (plafond), n’est pas sans rappeler les « corridors de temps de travail » largement mobilisés en Allemagne lors de la crise de 2008-2009. Les mesures de flexibilité interne sont en effet ancrées dans la culture allemande et largement privilégiées lors des négociations entre les partenaires sociaux. Elles supposent un dialogue social de qualité auquel la présence des salariés dans les conseils de surveillance des entreprises industrielles allemandes contribue fortement. La faible place accordée à la modulation du temps de travail en France reflète a contrario non seulement un recours préférentiel à l’activité partielle de la part des entreprises mais également une culture et une « tradition » nationales, où l’ajustement de l’emploi est surtout fondé sur des mesures de flexibilité externe : fin ou non-renouvellement des contrats temporaires, baisse des embauches, hausse des licenciements.
Le prêt de main-d’œuvre est un autre dispositif qui s’est particulièrement développé pendant la crise sanitaire. Concrètement, il prévoit qu’une entreprise confrontée à une baisse de son activité mette un ou plusieurs salariés à disposition d’une entreprise qui fait face à un manque de main-d’œuvre. Avec l’accord du salarié, une convention est ainsi signée entre l’entreprise prêteuse et l’entreprise utilisatrice. Dans le contexte de la pandémie de Covid-19, l’État a temporairement assoupli les modalités de recours au prêt de main-d’œuvre car il présente plusieurs avantages. Du point de vue de l’entreprise prêteuse, le dispositif permet de conserver ses compétences en attendant de passer la crise. Du point de vue du salarié, il offre la possibilité d’acquérir de nouvelles compétences tout en conservant son contrat de travail et son niveau de rémunération. Enfin, du point de vue des entreprises utilisatrices, le prêt de main-d’œuvre permet de disposer rapidement des compétences recherchées pour faire face à un besoin de personnel.
Le redéploiement de main-d’œuvre a connu un succès croissant pendant la crise sanitaire. À titre d’exemple, Airbus a mis à disposition une dizaine d’ouvriers qualifiés auprès de Naval Group en avril 202131. De fait, les compétences existantes dans le secteur aéronautique sont, par leur diversité et leur complexité, plus facilement redéployables dans d’autres industries. De même, les groupements d’employeurs, dont la mission principale est de recruter des salariés et de les mettre à disposition des membres du groupement, offrent un cadre particulièrement propice au prêt de maind’œuvre. Ainsi, selon une enquête menée entre fin avril et fin mai 2020 par le Centre de ressources pour les groupements d’employeurs (CRGE), 25 % des groupements d’employeurs ont redéployé des salariés dans les entreprises adhérentes peu touchées par la crise. Sans surprise, les secteurs d’activité considérés comme vitaux, parmi lesquels l’agroalimentaire, ont été davantage concernés par ces redéploiements. Notons que les groupements d’employeurs ayant effectué ces repositionnements de main-d’œuvre sont, dans la majorité des cas, monosectoriels. Autrement dit, les prêts de main-d’œuvre se sont majoritairement faits entre deux entreprises du même secteur d’activité.
Enfin, certaines entreprises industrielles ont compensé la baisse d’activité des sites par l’accélération de la formation, à l’instar d’Axon’Cable : « On accélère, on n’arrête rien. […] On a un programme de formation qui représente à peu près 10 % de la masse salariale, donc on en profite [de la crise] pour faire des formations. Avec les formations, les gens sont occupés normalement. »
Une réorganisation de l’activité pour atténuer les dommages de la crise
Renouveler son offre pour s’adapter à la crise
La pandémie de Covid-19 a conduit de nombreuses entreprises à adapter leur offre de produits au nouveau contexte économique et sanitaire. Ainsi, 32 % des entreprises industrielles interrogées ont modifié en urgence leur offre (Figure 2.5). Parmi elles, 18 % ont diminué ou cessé la production de certains biens, notamment dans l’industrie automobile (35 %) et dans l’agroalimentaire (31 %). Cette stratégie peut refléter des situations très différentes. Dans le secteur automobile, le retrait de certains produits s’explique essentiellement par une restriction de débouchés liée à la fermeture des concessionnaires. Dans le secteur agroalimentaire, cette modification de l’offre a pu s’apparenter à une réduction des gammes visant à répondre au surplus de demande sur certains produits lors du premier confinement32. À l’inverse, seulement 16 % des entreprises industrielles ont produit de nouveaux biens en raison de la crise sanitaire. Ces nouvelles offres concernent avant tout l’industrie textile (55 %) avec la fabrication de masques et, dans une moindre mesure, la fabrication de meubles (25 %) et l’industrie pharmaceutique (23 %) avec la production de gel hydroalcoolique. Ainsi, Lippi, fabricant de portails, a élargi sa gamme de produits adressés aux particuliers pour faire face à l’explosion de la demande pour l’aménagement extérieur pendant la crise sanitaire. De même, Schneider Electric a développé des lignes de production pour fabriquer des masques et des respirateurs, en collaboration avec d’autres entreprises. Même écho chez Thuasne qui a « réaffecté du matériel de production » pour la fabrication de masques réutilisables. En effet, le report ou l’annulation d’opérations médicales a fortement diminué la demande de dispositifs médicaux orthopédiques adressée à l’entreprise : « Les masques ont eu un rôle thérapeutique et économique », résume Elizabeth Ducottet. En outre, cette réorientation de la production n’aurait pas pu se faire sans une accélération de la recherche et développement (R&D) durant la période de confinement. On perçoit bien, à travers l’exemple de Thuasne, comment le retrait de certains produits peut s’accompagner d’un élargissement de la gamme de production et de nouveaux relais de croissance.
Figure 2.5 : Renouvellement de l’offre de biens en urgence pendant la crise sanitaire
Lecture : Depuis le début de la crise sanitaire, 16,1 % des entreprises industrielles ont proposé de nouveaux produits.
Champ : Entreprise industrielle de 1 salarié ou plus.
Source : La Fabrique de l’industrie-KPMG, enquête 2021.
Tirer parti d’une clientèle diversifiée pour amortir le choc
En temps de crise, une trop forte dépendance à un client ou à un secteur d’activité peut se révéler désastreuse quand, a contrario, la diversification des activités et des débouchés peut s’avérer bénéfique pour les entreprises qui savent exploiter les différentes dynamiques des secteurs.
Dans les faits, la diversification de l’activité des sous-traitants industriels est faible, en particulier dans l’aéronautique. Selon l’Insee, un quart des sous-traitants travaillent exclusivement pour l’aéronautique et un cinquième d’entre eux dépendent fortement de ce marché, puisque 75 % de leur chiffre d’affaires y est dédié (Cambon, 2018). Ils sont souvent subordonnés aux décisions et aux cadences fixées par les grands groupes, ce qui limite leur capacité d’ajustement aux aléas économiques. C’est pourquoi de nombreuses entreprises de la filière envisagent de diversifier leur production, de façon à gagner en autonomie vis-à-vis de l’aviation civile. À titre d’exemple, deux sous-traitants de rang 1 souhaitent développer leur activité dans le secteur militaire, lequel est plus dynamique tant sur le plan de la production que de la recherche et développement. Sur une base plus représentative, 21 % des entreprises industrielles interrogées souhaitent diversifier leur activité en raison de la crise sanitaire. Les entreprises de 50 à 249 salariés (29 %) sont, en proportion, deux fois plus nombreuses à envisager cette réorientation que les grandes entreprises de 250 salariés et plus (14 %). De même, le secteur d’activité intervient dans une large mesure dans ce choix : les entreprises de l’aéronautique (33 %), de l’automobile (31 %), de la métallurgie (30 %) et du textile (29 %) sont plus fréquemment enclines à se poser la question.
L’impact considérable de la crise sur les industries automobile et aéronautique a ainsi démontré les bénéfices de cette stratégie d’entreprise : « La crise a révélé qu’on était trop dépendant de l’aéronautique, et peut-être un peu trop de l’automobile », déclare Joseph Puzo, dirigeant du groupe Axon’Cable. MDP et SFAM, deux entreprises du groupe auquel CFT appartient, ont également été davantage affectées par la crise en raison du poids important que représente l’industrie automobile parmi leurs clients. À l’inverse, les entreprises Alliansys et Villelec, deux sous-traitants électroniques appartenant au même groupe, ont augmenté leur chiffre d’affaires entre 2019 et 2020 grâce au lancement de nouvelles activités. Alors qu’Alliansys était confrontée au ralentissement de l’automobile et de la téléphonie, elle a bénéficié d’une commande exceptionnelle de respirateurs pour des hôpitaux anglais, conduisant même à l’embauche de CDD. Quant à Villelec, elle a profité d’une hausse des commandes de la part des piscinistes dont l’activité a crû pendant la crise sanitaire, compensant par là même la baisse d’activité de ses clients dans la restauration. « Quand on est très diversifié, c’est un facteur de stabilité », constate Michel de Nonancourt, actionnaire principal de Villelec et ancien dirigeant d’Alliansys. Sur le même schéma, l’entreprise CFT, qui travaille avec des secteurs aussi variés que l’ameublement, le bâtiment, la restauration et le médical, a pu bénéficier de nouvelles commandes pour des chariots hospitaliers au début de la crise sanitaire.
Il faut toutefois souligner que, si la diversification apparaît comme une solution adaptée aux difficultés conjoncturelles, elle est difficile à mettre en place en période de crise, quand les entreprises cherchent en premier lieu à renforcer leur trésorerie. Bien au contraire, une telle stratégie se prépare à long terme, exigeant des investissements en amont qui visent non seulement à ajouter des lignes de production mais aussi à robotiser et à automatiser l’outil productif. La crise a en effet démontré toute l’utilité des solutions technologiques permettant d’adapter et de modifier rapidement les lignes de production face aux fluctuations d’activité. Outre les investissements dans la modernisation de l’entreprise, la diversification suppose enfin des compétences spécifiques visant à identifier de nouveaux marchés et à répondre aux exigences de chaque secteur ou client.
Une tentative de réorganisation des canaux de vente : le cas du secteur automobile
Outre la mise à l’arrêt partielle de leur appareil productif, les constructeurs automobiles ont été contraints, lors du premier confinement, de stopper brutalement et intégralement l’activité commerciale opérée par leurs réseaux de distributeurs. Ils ont ainsi vu leurs ventes de véhicules s’interrompre du jour au lendemain : selon les chiffres du Comité des constructeurs français d’automobiles (CCFA), les immatriculations de véhicules particuliers se sont effondrées de 70 % en mars 2020. La fermeture imposée des concessions automobiles et le confinement des clients à leur domicile ont conduit les entreprises à faire émerger ou à accélérer des initiatives en faveur de la digitalisation de leurs canaux de vente. Les nombreuses initiatives relayées dans la presse montrent comment les constructeurs automobiles se sont adaptés à cette situation exceptionnelle pour maintenir, au moins en partie, l’activité commerciale. Il s’agissait, en premier lieu, d’écouler les stocks et d’éviter à tout prix la fermeture d’usines. À titre d’exemple, Stellantis a accéléré, à l’occasion du premier confinement, le lancement d’une boutique en ligne Peugeot33 qui propose un parcours d’achat totalement dématérialisé, de la commande jusqu’à la livraison à domicile, en passant par l’offre de financement. Mais, selon un cadre du groupe, les volumes de ventes en ligne chez Stellantis – alors PSA – n’excédaient pas 4 000 véhicules par mois en France, soit moins de 10 % des ventes. L’achat d’un véhicule neuf reste un investissement important pour des consommateurs qui ne sont pas encore prêts à franchir le pas sans avoir préalablement rencontré un vendeur et essayé le véhicule. En outre, les modèles économiques des principaux constructeurs automobiles français ne sont pas encore adaptés à une digitalisation complète du processus de vente. L’industrie automobile repose en effet sur un modèle où les stocks de véhicules fabriqués par les constructeurs sont absorbés par les concessionnaires. Si Tesla est parvenu à s’affranchir des réseaux de distribution, c’est d’abord en raison de son système à flux tendu où seules les voitures commandées sont produites34. L’entreprise a pu ainsi se fonder sur une relation client largement dématérialisée, directe et avec peu de concessionnaires. Par ailleurs, les concessionnaires assurent, en France, une bonne couverture du territoire français. Le passage à la vente intégrale en ligne présente donc le risque non seulement d’augmenter les surstocks de véhicules, actuellement assumés par les concessionnaires, mais aussi de réduire le maillage territorial qui constitue un élément essentiel de la qualité de services des constructeurs et une part de leur marge.
Durant le deuxième confinement, les mesures sanitaires moins restrictives ont permis aux constructeurs automobiles de maintenir leur activité productive, sans toutefois obtenir la réouverture des concessionnaires. Dès lors, les pouvoirs publics les ont fortement encouragés à pratiquer le click and collect, consistant à offrir un service de commande en ligne aux clients et une remise du véhicule sur rendez-vous chez le concessionnaire. Ce modèle de vente hybride, combinant numérique et physique n’a pas eu les résultats escomptés. Selon le CCFA, les ventes de voitures particulières neuves ont baissé de 27 % en novembre 2020, le report des achats de véhicules à la fin du confinement expliquant en partie cet essoufflement des ventes. Par ailleurs, cette stratégie commerciale, reposant sur une logique de coopération entre constructeurs et concessionnaires, n’est pas toujours envisageable. Travaillant avec des concessions indépendantes et multimarques, l’entreprise Fleurette Constructeur, fabricant de véhicules de loisirs, ne peut pas s’appuyer sur son réseau pour pratiquer le click and collect : « Dans un réseau automobile, on peut organiser les choses de A à Z, du marketing à la communication en passant par le produit et la production, jusqu’au réseau de distribution intégré […] La grosse différence par rapport à l’automobile, c’est que nos réseaux sont indépendants. Ce ne sont pas des réseaux en propre et ils commercialisent de surcroît des véhicules en moyenne deux fois plus cher que dans l’automobile », constate Michaël Langouët, directeur général de l’entreprise. Si la crise sanitaire a permis d’accélérer les initiatives de digitalisation du parcours d’achat, elle a aussi démontré que de nombreux obstacles persistaient. Un constat corroboré par notre enquête : dans l’industrie automobile, 24 % seulement des entreprises envisagent de développer de nouveaux modes de vente, contre 45 % dans l’agroalimentaire et 37 % dans l’industrie textile.
Quelles réponses aux difficultés d’approvisionnement pendant la crise sanitaire ?
Selon une enquête35 conduite conjointement par l’Association des directeurs et des responsables achats (ADRA), le Médiateur des entreprises36 et le cabinet de conseil BuyYourWay, une majorité des entreprises soulignent qu’il leur a été nécessaire de re-prioriser certains des risques liés aux achats, au premier rang desquels les ruptures d’approvisionnement.
Dans l’urgence, des dispositifs de gestion de crise ont ainsi été mis en place, notamment la création d’un dialogue régulier avec les fournisseurs ou la digitalisation de processus. Si certains industriels sont allés jusqu’à repenser l’organisation de leur chaîne d’approvisionnement, cela reste un phénomène encore minoritaire, en tout cas à court terme.
Renforcer le dialogue avec les fournisseurs
Face à ce nouveau contexte marqué par l’incertitude et de nombreuses perturbations – frontières fermées, délais de livraison allongés, fournisseurs défaillants ou à l’arrêt – les entreprises industrielles ont été contraintes de formuler, dans l’urgence, des réponses aux risques de rupture d’approvisionnement. La crise a en effet révélé que bien des entreprises ignoraient l’existence même de certains de leurs fournisseurs, leur connaissance se limitant généralement à leurs fournisseurs de rang 1. L’un de leurs principaux enjeux a donc été de renforcer le dialogue entre les acheteurs et les fournisseurs. Des initiatives ont été prises en vue d’échanger de façon régulière, via des rendez-vous hebdomadaires ou des points téléphoniques, sur l’état des stocks ou les catégories d’achats à risque. À titre d’exemple, l’entreprise Lippi a mis en place, au plus fort de la crise sanitaire, un envoi régulier de mails à ses clients. Selon Pierre-Yves Laurent, cela a radicalement changé leurs relations et la perception qu’avaient certains de ses clients. À l’inverse, l’absence ou le manque de dialogue avec les fournisseurs et les partenaires – qui n’est mentionné que par 20 % des entreprises interrogées – peut réduire la visibilité des entreprises quant aux risques de rupture d’approvisionnement auxquels elles s’exposent.
Outre le renforcement du dialogue avec les fournisseurs, certaines entreprises ont pu s’appuyer sur des technologies digitales comme la blockchain pour gérer la crise37. La technologie dite blockchain est une base de données partagée par tous ses membres, qui regroupe des données vérifiées, sécurisées et infalsifiables sur l’ensemble des transactions effectuées entre les différentes parties prenantes. En « traçant » la chaîne de valeur de chaque produit, elle répond aux enjeux de transparence et de traçabilité sur des chaînes d’approvisionnement parfois tentaculaires. Alors que la crise a conduit de nombreuses entreprises à trouver, dans l’urgence, de nouveaux fournisseurs pour éviter les ruptures d’approvisionnement, l’accès à la technologie blockchain a pu les aider à vérifier en temps réel la fiabilité de ces partenaires providentiels.
Sans en avoir la preuve formelle, on peut également supposer que d’autres technologies digitales, à l’instar de l’Internet des objets (IoT pour Internet of Things) couplé à l’intelligence artificielle, se sont avérées très utiles pour continuer à produire et à éviter les ruptures d’approvisionnement. En effet, la collecte et l’analyse des données offrent la possibilité d’ajuster les stocks et de produire en juste-à-temps – pour éviter le risque de déséquilibre entre l’offre et la demande –, ou encore d’optimiser les flux logistiques en temps réel grâce à des capteurs placés sur les produits. En cas de fermeture d’une frontière, la géolocalisation en temps réel d’un produit en cours d’acheminement permet de planifier plus rapidement des itinéraires alternatifs (Mandon et Bellit, 2021).
Une réorganisation encore marginale et transitoire
Les restrictions, et les conséquences économiques qui en ont découlé, ont conduit certaines entreprises à repenser l’organisation de leur chaîne d’approvisionnement. La capacité d’une entreprise à s’adresser à plusieurs fournisseurs (le multisourcing) figure parmi les bonnes pratiques. À titre d’exemple, l’entreprise SFAM, une entreprise du groupe Metalians spécialisée dans le travail des fils métalliques, a évité des ruptures d’approvisionnement en provenance d’Italie ou d’Espagne en réorientant, au début de la crise sanitaire, son approvisionnement en fil rond vers une entreprise française, rapporte Elisabeth Klein, dirigeante d’une entreprise du même groupe. Dans l’ensemble toutefois, ces changements de fournisseurs sont minoritaires. Selon notre enquête, seules 20 % des entreprises industrielles ont modifié leurs sources d’approvisionnement au cours de la crise sanitaire. Les changements de partenaires ont été plus fréquents dans l’industrie pharmaceutique (51 %) et dans le secteur de la fabrication de produits électroniques et informatiques (42 %). La taille des entreprises est à cet égard peu discriminante.
Un cas particulier de réorganisation, très commenté dans le débat public, a consisté pour certaines entreprises à adopter une stratégie de régionalisation de leur supply chain. Schneider Electric a, par exemple, mis en place un audit de tous ses fournisseurs de premier et de second rang afin d’accélérer la reconfiguration de ses chaînes d’approvisionnement au niveau régional38. Selon une cadre dirigeante de l’entreprise, le modèle d’écosystèmes de production à l’échelle continentale, déjà initié avant la crise, a démontré tous ses atouts durant cette période. La localisation des fournisseurs au plus près de l’activité a en effet permis de parer aux difficultés d’approvisionnement liées aux problèmes logistiques ou à la fermeture des frontières. Pour autant, 25 % seulement des entreprises industrielles s’approvisionnant à l’étranger39 envisagent de relocaliser leurs fournisseurs au plus près de leur activité (Figure 2.6). Parmi elles, 36 % opèrent dans la fabrication de produits électroniques et informatiques, soit une proportion significativement plus élevée que dans les autres secteurs. La surreprésentation de la filière électronique dans ces nouvelles stratégies de résilience est à la mesure des difficultés d’approvisionnement rencontrées pendant la crise. Très dépendante des importations chinoises, la filière s’est en effet retrouvée dans une situation de quasi-arrêt de la production dès le début du mois de mars 2020.
Figure 2.6 : Relocalisation des fournisseurs au plus près de l’activité des entreprises
Lecture : Au cours de la crise sanitaire, 46,3 % des entreprises industrielles n’envisagent pas de relocaliser leurs fournisseurs au plus près de leur activité.
Champ : Entreprise industrielle de 1 salarié ou plus.
Source : La Fabrique de l’industrie-KPMG, enquête 2021.
- 21. Cette durée intègre l’ensemble des fermetures intervenues entre mars 2020 et avril 2021, le cas échéant.
- 22. https://www.usinenouvelle.com/article/troischefsdentreprisesracontentleurretourauconfinement.N1022809
- 23. https://www.lesechos.fr/politique-societe/emmanuel-macron-president/masques-materiels-medicaments-macron-met-4-milliards- sur-la-table-1190718
- 24. https://www.usinenouvelle.com/article/chezthuasnedeslignestresautomatiseesouladistanciationsocialenestpasun probleme.N963551
- 25. Un prêt garanti par l’État est un prêt octroyé à une entreprise par une banque, en période de crise, grâce à la garantie apportée par l’État sur une partie significative du prêt. Dans le contexte de la crise sanitaire, les entreprises peuvent emprunter jusqu’à 25 % de leur chiffre d’affaires. L’État garantit entre 70 % et 80 % des prêts pour les entreprises de plus de 5 000 salariés et jusqu’à 90 % pour les autres.
- 26. L’activité partielle, plus connue sous le nom de chômage partiel, est un dispositif qui permet aux entreprises confrontées à des difficultés temporaires de diminuer ou de suspendre provisoirement l’activité de tout ou partie de leurs salariés. Grâce à la prise en charge par l’État, partielle ou totale, des heures non travaillées, ce dispositif atténue le coût de la réduction d’activité aussi bien pour le salarié que pour l’employeur.
- 27. Source : Dares.
- 28. Ces chiffres proviennent de l’enquête Acemo (Activité et conditions d’emploi de la maind’œuvre) de la Dares. Ils ne permettent pas d’isoler les entreprises du secteur industriel.
- 29. Source : Dares.
- 30. https://www.larep.fr/orleans-45000/actualites/les-salaries-de-sandvik-coromant-a-orleans-la-source-sont-decides-a-se-faire- entendre_13883746/
- 31. https://www.ouest-france.fr/pays-de-la-loire/nantes-44000/nantes-airbus-prete-ses-salaries-a-naval-group-7028068
- 32. https://www.usinenouvelle.com/article/cequelindustrieagroalimentaireaapprisdupremierconfinement.N1022174
- 33. https://www.lesechos.fr/industrieservices/automobile/automobileleconfinementconvertitlesconstructeursalaventeen ligne-1266521
- 34. https://www.capital.fr/auto/voiture-electrique-ces-start-up-qui-veulent-rivaliser-avec-tesla-ou-renault-1359379
- 35. Enquête en ligne menée auprès de 61 acheteurs d’entreprises et d’organisations privées comme publiques.
- 36. Rattaché au ministère de l’Économie et des Finances, le Médiateur des entreprises est un service public destiné à soutenir les entreprises qui rencontrent des difficultés dans leurs relations commerciales avec un partenaire.
- 37. https://www.lesechos.fr/tech-medias/hightech/coronavirus-la-blockchain-comme-outil-de-gestion-de-crise-1199701
- 38. https://www.usinenouvelle.com/article/connecter-et-securiser-ses-approvisionnements-en-temps-de-crise.N1060849
- 39. Pour produire cette statistique, nous excluons ici l’ensemble des entreprises industrielles dont tous les fournisseurs sont français.
Les défis du redémarrage
Aux chocs des deux confinements a succédé une phase de redémarrage durant laquelle les entreprises industrielles ont fait face à un paradoxe. Tandis que la demande repartait en flèche, elles se sont retrouvées en incapacité d’y répondre, faute de matières premières ou de semi-conducteurs.
La reprise de l’activité a également entraîné la reprise du travail. Dans le contexte anxiogène de la crise sanitaire, le retour sur site est devenu source de tensions, progressivement dissipées à mesure que les effets pervers d’un télétravail à 100 % se sont révélés.
À plus long terme, la digitalisation et la sécurisation des approvisionnements s’imposent probablement comme les principaux défis qui attendent les entreprises dans les années à venir40.
Une reprise freinée par une pénurie de matières premières
En janvier 2021, la production industrielle française a rebondi de 3,3 % par rapport au mois précédent (Insee, 2021a). Cette reprise de la production a succédé à un recul en décembre (–0,7 %), lié au deuxième confinement. Elle a été particulièrement portée par le secteur des biens d’équipement (+8,4 %) et, dans une moindre mesure, par les autres industries (+3,9 %), qui regroupent notamment la métallurgie, le bois, la pharmacie et le textile. Malgré cela, la production industrielle restait encore en deçà de son niveau de février 2020 dans la majorité des entreprises, et donc en moyenne dans l’ensemble de l’industrie (–1,7 %).
En effet, des freins à l’activité ont perduré, que l’enquête de conjoncture de l’Insee (2021b) permet de retracer sur une longue période. Dès le troisième trimestre 2020, les entreprises industrielles étaient moins nombreuses à déclarer des difficultés liées exclusivement à la demande. En avril 2021, le nombre d’entreprises concernées a même retrouvé son niveau d’avant-crise. En revanche, les problèmes d’approvisionnement sont restés prédominants dans l’industrie. La part des entreprises concernées dépassait même le point haut atteint en avril 2020, selon les chiffres de l’Insee. L’entreprise Mader, fabricant de peinture industrielle, en offre une bonne illustration. En dépit d’une reprise importante de son activité dès le mois d’octobre 2020, liée au redémarrage des secteurs automobile, ferroviaire et pétrolier, l’entreprise a dû faire face à un « paradoxe » selon lequel elle dispose d’« un tas de commandes mais […] pas de matières premières ». Si, lors du premier confinement, les difficultés d’approvisionnement découlaient essentiellement de mesures de restriction ou de délais de livraison allongés, elles relèvent depuis l’automne 2020 d’une pénurie de matières premières qui perturbe grandement la production de nombreux secteurs industriels français. « Il y a vraiment un impact de matières premières à partir de maintenant. On a vu sur nos petites quantités que les délais s’allongeaient et que les prix augmentaient terriblement », témoigne Elisabeth Klein. Conséquence de la désorganisation des marchés internationaux et de la désynchronisation de l’offre et de la demande en raison de la pandémie de Covid-19, ces pénuries concernent principalement les métaux et le plastique.
« Les prix de l’argent, du cuivre, des métaux montent », rapporte Joseph Puzo, dirigeant d’Axon’Cable. Le marché des métaux est en effet sous tension depuis l’automne 2020. Au quatrième trimestre de 2020, le prix de l’acier, qui ne fait pas l’objet d’une cotation en bourse, a augmenté de 15 à 25 % selon les nuances d’acier41. Antoine Rappoport, juriste au sein du fabricant de ventilateurs industriels Airap, recense depuis le début de l’année 2021 une hausse de 25 % en moyenne du prix des moteurs des ventilateurs en raison de la hausse du prix des métaux. Celle-ci s’explique principalement par le décalage entre la hausse rapide et inattendue de la demande en provenance de la Chine et le lent redémarrage des hautsfourneaux par les sidérurgistes, lesquels avaient été contraints d’arrêter brutalement leur activité au début de la crise sanitaire. Le même scénario s’observe sur le marché des matières plastiques: la multiplication des tests de dépistage et le redémarrage de l’industrie mondiale ont entraîné une forte augmentation de la demande pour les produits plastiques, qui n’a pas pu être satisfaite par les plasturgistes français et européens. Ces derniers font eux-mêmes face à une pénurie de matières premières plastiques – ou polymères – depuis le dernier trimestre 2020, qui s’explique tout à la fois par le ralentissement lié à la crise sanitaire de certains sites de production, la fermeture temporaire de sites aux États-Unis à la suite des épisodes de grands froids et l’absorption d’une grande partie de la production par les États-Unis et la Chine au moment de la reprise. Selon l’association Plastics Europe, qui regroupe les fabricants de polymères en Europe, les productions de matières premières plastiques française et européenne ont respectivement baissé de 15 % et 11,5 % au cours des six premiers mois de 202042. En conséquence, les plasturgistes sont confrontés à des reports, voire à des annulations de commandes, sans aucune visibilité sur les prochaines dates de livraison, ce qui les place dans une situation d’extrême tension vis-à-vis de leurs clients, au premier rang desquels le secteur automobile. Celui-ci a, de surcroît, été confronté à la pénurie de semi-conducteurs, survenue au premier semestre 2021 dans un contexte d’explosion de la demande pour les produits électroniques. À travers cet événement, c’est la trop forte concentration de la production qui est mise en évidence. L’industrie des semi-conducteurs est en effet désormais détenue par trois fabricants : l’Américain Intel, le Coréen Samsung et le Taiwanais TSMC, ce dernier étant à l’origine de la production de près de 50 % des semi-conducteurs dans le monde et 70 % des circuits intégrés utilisés dans le secteur automobile43. Début 2021, Renault et PSA ont été contraints de stopper temporairement plusieurs chaînes de montage dans leurs usines, causant jusqu’à l’interruption totale de production de certains sites.
Ainsi, les pénuries ont affecté les entreprises tout au long de la chaîne de production, parfois jusqu’au consommateur final. Par ailleurs, elles conduisent en général à un allongement des délais de livraison, une hausse des prix et un ralentissement, voire un arrêt de certaines lignes de production. Le blocage accidentel du canal de Suez pendant plusieurs jours n’aura fait qu’amplifier ces difficultés.
En conséquence de la hausse des prix, bon nombre d’entreprises sont contraintes de réduire leurs marges. Certaines, faisant figure d’exception, peuvent néanmoins répercuter ces hausses des coûts sur leurs produits. Pierre-Yves Laurent, cadre au sein du fabricant de portails Lippi, rapporte ainsi que la hausse des coûts de production consécutive à la hausse du prix de l’acier a été répercutée sur leurs prix de vente. Précisons que les portails de Lippi ne sont pas soumis à la concurrence internationale, car ils sont difficilement exportables. L’entreprise peut donc plus aisément augmenter ses tarifs. Par ailleurs, selon M. Laurent, les clients sont « capables de comprendre qu’on ne fait pas ça pour l’argent mais qu’on répercute des hausses qu’on ne peut absolument pas négocier puisqu’on ne négocie pas l’acier mondial ». Ils n’ont parfois pas d’autre choix ! C’est le cas de l’entreprise Airap qui a subi une hausse de 40 % du prix des intrants de production, fournis par une seule entreprise : « Ce sont les seuls moteurs que nous ayons le droit d’utiliser dans le cadre de notre homologation et de notre certification ». Ainsi, l’absence d’alternative à court terme pour Airap rend difficile la négociation des prix avec son fournisseur qui, lui, peut répercuter la hausse de ses coûts.
Retour au travail, retour « à la normale » ?
Une fois le cadre de travail adapté aux contraintes sanitaires, la question du redémarrage des sites de production s’est posée dans de nombreuses entreprises industrielles. Si, fin avril 2020, les difficultés liées à la gestion des questions sanitaires avaient largement reflué dans le secteur industriel (Dares, 2020a), les semaines précédentes n’avaient pas été sans heurts. Comme nous l’avons vu, certaines tâches ou professions dans les usines ne sont pas éligibles au télétravail. Dans le contexte anxiogène du premier confinement, le retour sur site a ainsi fait l’objet de discussions, et même de tensions chez les salariés concernés, surtout lorsque la décision était prise sans concertation. Une entreprise de l’aéronautique en a fait les frais, sur un site du moins, lorsque sa réouverture a été annoncée à la mi-mars 2020 : « Les représentants syndicaux nous ont pris à parti, ont fait un débrayage. Ils nous ont accusés de leur mentir », résume un cadre de l’entreprise. Le redémarrage des sites de production a donc ravivé un vieux clivage entre cols bleus et cols blancs : d’un côté, les cadres supérieurs confortablement installés à domicile devant leur écran d’ordinateur et, de l’autre, les ouvriers contraints de revenir sur le terrain. Si la réalité était plus nuancée, la problématique des inégalités entre les salariés éligibles au télétravail et les autres a indubitablement été exacerbée par la crise sanitaire. Certains dirigeants se sont ainsi efforcés de prendre en compte ces différences en prônant un retour en entreprise progressif. Parfois, le rythme auquel les salariés revenaient sur le site coïncidait avec le rythme de reprise de l’activité. « L’avantage qu’on a eu paradoxalement dans notre cas, c’est que comme notre client n’appelait plus d’avions ; quand la direction disait : “Je veux que les gens soient sur les sites”, je leur répondais qu’on n’allait pas produire des stocks pour le plaisir. On a donc fait revenir [les salariés] progressivement », souligne un cadre d’une entreprise interrogée qui souhaite rester anonyme.
Progressivement, le retour en entreprise a concerné une part croissante des salariés, y compris parmi les télétravailleurs. Une certaine appréhension s’est alors manifestée chez les salariés pour des raisons variées : selon une étude de Malakoff Humanis44 auprès d’un échantillon de salariés du secteur privé, les raisons les plus fréquemment évoquées étaient l’application des mesures sanitaires, la reprise d’un rythme de travail ordinaire, le changement d’organisation du travail et la reprise des transports en commun. Malgré leurs inquiétudes liées à la reprise, certains salariés se sont retrouvés dans l’impossibilité de travailler en raison de la fermeture des écoles. Dans le secteur industriel, on a ainsi constaté un absentéisme accru : selon notre enquête, 58 % des industriels interrogés considèrent que l’indisponibilité du personnel a été une source importante de difficultés en 2020.
Passé le choc du premier confinement, le travail sur site est redevenu progressivement la norme dans le secteur industriel. Excepté dans le secteur de la fabrication des matériels de transport, plus de la moitié des salariés étaient de retour sur site ou sur chantier fin juillet 2020, avec une proportion atteignant 66 % dans l’industrie agroalimentaire (Dares, 2020b). Lors du deuxième confinement (du 30 octobre au 15 décembre 2020), la gestion des con traintes sanitaires a été vécue très différemment par les entreprises. Dans l’ensemble, les entreprises avaient bénéficié d’un effet d’apprentissage en termes d’organisation du travail : des protocoles ont été repensés, améliorés ou renforcés pour que les entreprises soient mieux armées en cas de nouvelle vague ou de nouveau virus. Dans certaines entreprises, la cellule de crise a ainsi laissé place à une cellule d’anticipation45. De surcroît, les conditions imposées par le gouvernement ont été assouplies par rapport au précédent confinement, avec notamment le maintien des écoles ouvertes, qui a permis aux parents de poursuivre leur activité professionnelle. « Le deuxième confinement a été un confinement partiellement physique mais presque pas économique […], une nouvelle réglementation de vie plutôt qu’un confinement pur et dur. Très différent du premier sur le plan de l’exercice professionnel, sur le plan de la mobilité, etc. On a maintenu le télétravail pour ceux qui le pouvaient mais on a travaillé de façon presque normale », résume Elizabeth Ducottet au sujet de l’entreprise Thuasne.
Fin 2020, seuls 17 % des salariés étaient en télétravail complet ou partiel dans l’industrie46. Le moindre recours au télétravail peut s’expliquer à la fois par une volonté de la hiérarchie d’un retour sur site mais également du fait d’une certaine lassitude des salariés à l’égard de ce mode d’organisation. Chez Axon’Cable, le télétravail a été abandonné dès la sortie du confinement, car il réduisait la productivité et la créativité, selon son dirigeant Joseph Puzo : « Par exemple, la machine à café chez Axon’Cable se trouve au milieu de l’usine. Il faut traverser l’usine pour prendre son café. C’est volontaire, c’est du management par la géographie. Sur le passage, ils rencontrent quelqu’un et peuvent discuter. Ces échanges impromptus font gagner énormément de temps et ça ne se passe pas quand on est à domicile.» Du point de vue des salariés, la longueur de la crise sanitaire et le développement massif du télétravail à 100٪ ont engendré un sentiment d’isolement, de l’anxiété et de la fatigue psychologique, notamment parmi ceux qui vivaient mal la solitude ou dont les conditions de logement ne permettaient pas de bénéficier d’un espace dédié au travail. Paradoxalement, l’enthousiasme à l’égard du télétravail au moment du redémarrage de l’économie est progressivement retombé chez des salariés qui ont pu en mesurer les effets pervers.
Deux grands défis révélés par la crise
Le défi de la digitalisation : une accélération pour qui ?
Avant la pandémie de Covid-19, la transformation digitale était déjà un enjeu important pour les industriels ; la crise sanitaire a donné un coup d’accélérateur aux stratégies de digitalisation des entreprises. Là où il fallait souvent des années pour déployer des stratégies de transformation digitale, certaines entreprises ont fait en quelques mois de grandes avancées. À titre d’exemple, la digitalisation du processus de vente a fait un bond en avant de trois ans en Europe par rapport aux prévisions pré-crise, selon une enquête menée par McKinsey47. Plus prosaïquement, cette accélération a parfois consistées services de cloud et des solutions de webconférence pour faciliter le travail à distance.
La crise du Covid-19 a même confirmé à quel point le recours aux technologies numériques était crucial pour amortir un choc économique : selon une étude du Trésor (Faquet et Malardé, 2020), les entreprises industrielles ayant abordé la crise avec un niveau d’équipement en ordinateurs portables supérieur de dix points ont tempéré en moyenne leur perte d’activité de deux à quatre points.
Toutefois, quel que soit le degré de numérisation préalable des entreprises, la mise en place d’une stratégie de digitalisation dans l’urgence et de façon subie comporte des limites. D’une part, elle se fait parfois en l’absence d’une feuille de route numérique bien établie, consistant à procéder par petits pas expérimentaux, et qui s’avère souvent une condition nécessaire à la réussite de tels projets. D’autre part, la transformation digitale doit, pour augmenter ses chances de succès, impliquer les salariés et convoquer une vision d’entreprise qui lui donne du sens. Dans le cas contraire, le projet peine à être adopté par les acteurs de terrain et peut même créer un climat de défiance dans l’entreprise. Une récente étude de La Fabrique de l’industrie (Mandon et Bellit, 2021) montre, à partir de cas d’usage de l’Internet industriel des objets (IIoT)48, combien les modalités choisies pour la gestion des projets et plus encore l’implication des gens de métier par le biais de méthodes participatives sont d’une importance capitale. Enfin, la transformation digitale exige certaines compétences internes, notamment dans les domaines du big data et de l’intelligence artificielle. L’absence de ces compétences est même le frein à la digitalisation le plus souvent mentionné par les entreprises industrielles interrogées (Figure 3.1). Elles peinent aujourd’hui à recruter sur ce type de profils, l’offre de formation étant encore insuffisante et peu adaptée à leurs besoins.
Figure 3.1 : Les principaux freins rencontrés
par les entreprises industrielles dans leur transformation digitale
Lecture : Parmi les freins à la digitalisation, 61 % des entreprises industrielles mentionnent l’absence de compétences en interne.
Champ : Entreprise industrielle de 1 salarié ou plus.
Source : La Fabrique de l’industrie-KPMG, enquête 2021.
Figure 3.2 : Les projets de digitalisation selon la taille des entreprises industrielles
Lecture : 20 % des entreprises industrielles de 1 à 9 salariés ont un ou plusieurs projets de digitalisation, contre 61 % des entreprises industrielles de 50 à 249 salariés.
Champ : Entreprise industrielle de 1 salarié ou plus.
Source : La Fabrique de l’industrie-KPMG, enquête 2021.
L’expérience extrême vécue en 2020 était loin de réunir toutes ces conditions. Néanmoins, à mesure que se dissipe l’urgence des ajustements court-termistes liés à la pandémie, elle fait figure de point de bascule et marquera peut-être l’accélération de la transformation digitale des entreprises, ou du moins de certaines d’entre elles. Il s’agit d’en tirer parti pour engager des changements profonds et durables.
D’après notre enquête, 40 % des entreprises industrielles envisagent de mettre en place un projet de digitalisation à la suite de la pandémie de Covid-19. Mais ce chiffre masque une disparité importante selon la taille de l’entreprise (Figure 3.2). En effet, plus de la moitié des entreprises de 50 à 249 salariés (61 %) et de 250 salariés et plus (54 %) ont un projet de digitalisation, tandis que cette proportion reste faible dans les plus petites entreprises (24 % pour les entreprises de 1 à 9 salariés et 31 % pour celles de 10 à 49 salariés). Alors que les petites entreprises accusent déjà un retard important dans l’adoption des technologies numériques par rapport aux plus grandes, la crise ne semble pas contribuer à réduire cet écart mais bien plutôt à ouvrir sur une séquence d’accélération qui risque de l’accentuer.
Dans les faits, les freins à la digitalisation mentionnés par nos interlocuteurs sont d’autant plus nombreux que l’entreprise est de petite taille. Tout d’abord, les contraintes financières sont plus marquées pour les petites entreprises en raison de leur moindre accès au financement bancaire ou de marché. De surcroît, les investissements nécessaires pour produire un retour sur investissement (ROI) doivent souvent être cumulés pendant une certaine durée, ce qui peut décourager nombre d’entreprises. Outre les aspects financiers, le manque de formation ou de motivation des dirigeants d’entreprise constitue un frein important à la digitalisation, comme l’atteste une étude menée par le BCG (Boston Consulting Group) et EY (Ernst & Young) pour la Direction générale des entreprises (DGE). Enfin, un projet numérique a plus de chances d’aboutir si les principes du lean manufacturing ont été préalablement mis en œuvre (Pellerin et Cahier, 2019). Or, ce prérequis à la numérisation n’est pas toujours respecté dans les plus petites entreprises industrielles. Certains secteurs d’activité sont également plus enclins à se digitaliser que d’autres. C’est particulièrement le cas de l’industrie aéronautique (59 %), de l’industrie textile (54 %) et du secteur de la fabrication de produits électroniques et informatiques (54 %). À l’inverse, seules 30 % des entreprises de l’industrie agroalimentaire ont un projet de digitalisation.
Tenant compte de ce diagnostic, le plan de relance annoncé en septembre 2020 prévoit une enveloppe de 280 millions d’euros, réabondée depuis de 600 millions d’euros supplémentaires, pour soutenir le financement de la numérisation des entreprises d’ici à 2022. Une nouvelle enveloppe de « Prêts French Fab » à hauteur de 45 millions d’euros a également été mise en place pour soutenir les investissements matériels et immatériels des entreprises industrielles. S’agissant de la formation des dirigeants, les pouvoirs publics ont renforcé les actions de France Num qui, depuis son lancement en 2018, sensibilise et accompagne les entreprises dans leurs projets de transformation numérique. Mais ce type de soutien à la numérisation doit s’accompagner de mesures plus transversales visant notamment à développer des infrastructures (5G, par exemple) et des systèmes de formation adaptés aux nouvelles technologies.
Stratégies d’approvisionnement : de nouvelles pratiques plutôt qu’un nouveau paradigme
Une trop forte vulnérabilité à l’égard des chaînes de valeur mondiales ?
Durant ces dernières décennies, la mondialisation a favorisé la fragmentation des chaînes de valeur mondiales (CVM) et leur éclatement géographique. La spécialisation internationale repose en effet aujourd’hui de plus en plus sur une division des processus de production et moins sur l’échange de produits finis. Selon une note du Trésor (Bonneau et Nakaa, 2020), la part des intrants étrangers contenue dans la production industrielle française est passée de 29 % à 39 % au cours des vingt dernières années. Or, la crise sanitaire a montré qu’une trop grande fragmentation de ces chaînes de valeur pouvait conduire à des situations de dépendance vis-à-vis de l’étranger sur les biens manufacturés. C’est particulièrement le cas lorsque les étapes de production sont concentrées dans un petit nombre d’entreprises et de pays (Jaravel et Méjean, 2021).
Selon la littérature économique, on observe toutefois, depuis le début des années 2000, une tendance à la régionalisation des chaînes de valeur. Selon Mouhoud (2017), cette stratégie de rapprochement autour des grands pôles de demande répond aux nouvelles préoccupations des firmes multinationales qui perçoivent mieux les risques d’approvisionnement liés à la concentration et à l’éloignement des chaînes de valeur49. La crise sanitaire n’a fait ainsi que confirmer les fragilités antérieures de chaînes de valeur tentaculaires. Selon un récent ouvrage de la Fabrique de l’industrie (Khater et Boudinet, 2021), l’industrie a connu de nombreuses crises d’approvisionnement au cours des vingt dernières années. À titre d’exemple, la pénurie de terres rares, organisée en 2011 par les autorités chinoises dans un contexte de guerre diplomatique avec les Japonais, a créé de fortes tensions sur les achats de moteurs électriques par les constructeurs automobiles. Progressivement, ces crises d’approvisionnement successives conduisent les industriels à s’interroger sur leurs stratégies en la matière.
Ainsi que mentionné plus haut, la relocalisation des fournisseurs est envisagée par 25 % des fournisseurs, avec une surreprésentation dans le secteur des produits éléctroniques et informatiques. Mais encore faut-il que les entreprises françaises et européennes aient la capacité de répondre à un surcroît de demande. À titre d’exemple, les rares entreprises du secteur des semi-conducteurs à la pointe dans ce domaine – au premier rang desquelles le Hollandais ASLV et le Franco-italien STMicroelectronics –, représentent moins de 10 % du marché européen et moins encore au niveau mondial. Ainsi, les réalités du commerce international et le retard technologique parfois accumulé face aux concurrents étrangers n’offrent pas toujours la possibilité de reconstituer une offre productive viable à court ou à moyen terme. La relocalisation de fournisseurs ne saurait donc être une stratégie exclusive et doit être combinée à d’autres mesures, telles que la diversification des approvisionnements ou la constitution de stocks stratégiques.
Quoi qu’il en soit, ces stratégies d’approvisionnement renouvelées pourront également passer par une plus grande prise en compte de la criticité de certains produits. Cela peut donner lieu à une cartographie des risques de rupture d’approvisionnement, qui ne se limiterait aux fournisseurs de rang 1 ou 2. La résilience d’une chaîne d’approvisionnement dépend en effet aussi de son maillon le plus faible, qui peut s’approvisionner sur des marchés lointains et critiques.
Cela suppose naturellement que les stratégies d’achat ne se fondent plus aussi exclusivement qu’aujourd’hui sur des critères de coût ou de rentabilité et intègrent une meilleure connaissance des risques de rupture et de la criticité des maillons des chaînes de valeur. De la même façon, les enjeux liés aux achats responsables pourraient à terme constituer un levier de relocalisation d’activité. Selon une étude menée conjointement par le Conseil national des achats (CNA), la Direction générale des entreprises (DGE) et PwC, l’intégration de critères environnementaux et sociaux dans les appels d’offres des grands donneurs d’ordre aurait un potentiel de relocalisation d’activité chiffré à 10 ou 15 milliards d’euros. Ce type de démarche s’appuie sur un raisonnement en coût complet, qui consiste à intégrer l’ensemble des coûts associés à une production lointaine, dont son empreinte carbone. Bien qu’elles soient encore rares à ce jour, les relocalisations dites de retour s’inscrivent dans cette logique de coût complet : elles sont surtout le fait d’entreprises déçues par des délocalisations qui ont révélé au fil du temps des coûts de production cachés (défauts de fabrication, coûts de transport élevés, aléas de livraison, etc.) (DGCIS/Datar/PIPAME, 2013).
Parallèlement à ces enjeux liés à l’offre, peut-être les stratégies d’approvisionnement des entreprises seront-elles également de plus en plus guidées par les exigences des consommateurs. Ces derniers deviennent en effet très regardants sur les produits qu’ils consomment. La composition et la provenance des produits, les conditions de travail dans lesquelles ils ont été fabriqués ou encore leur impact carbone sont autant de paramètres pris en compte dans les choix de consommation. Cette tendance ne demande qu’à se confirmer, à mesure que le développement de solutions technologiques à base de puces RFID (radio-identification) et de blockchain permettra aux consommateurs de prendre connaissance de la chaîne de valeur d’un produit, depuis l’origine des matières premières qui le constituent jusqu’à sa transformation – à l’instar des applications comme Yuka qui permettent déjà de connaître la composition de nombreux produits et leur impact sur la santé. À cette aune, le sourcing des approvisionnements et plus généralement la politique de l’entreprise à l’égard des fournisseurs deviendront un enjeu d’image décisif. L’exigence de transparence et de traçabilité envers les consommateurs sera vraisemblablement de plus en plus marquée et les entreprises qui satisferont cette exigence, par un approvisionnement local par exemple, pourront se différencier des concurrents et gagner des parts de marché.
- 40. Nous nous situons ici dans une réflexion à moyen terme. C’est pourquoi cette section n’accorde pas une place centrale au défi climatique dans la liste des « défis à venir ».
- 41. https://www.lemoniteur.fr/article/acier-pourquoi-les-prix-s-envolent.2127164
- 42. https://www.usinenouvelle.com/article/les-fabricants-de-plastiques-pas-epargnes-par-le-covid-19.N1025029
- 43. https://www.lesechos.fr/industrie-services/automobile/renault-frappe-a-son-tour-par-la-penurie-de-semi-conducteurs-dans- lautomobile-1287923#xtor=CS1-3046
- 44. Malakoff Humanis, « Covid-19 : l’impact de la crise sanitaire sur l’absentéisme », 16 septembre 2020. Étude menée auprès de 3 000 salariés du secteur privé sur quatre vagues : 23 avril au 7 mai 2020, 6 au 20 mai 2020, 2 au 17 juin 2020, 3 au 17 juillet 2020.
- 45. https://www.usinenouvelle.com/editorial/etude-exclusive-la-gestion-des-risques-a-l-epreuve-du-covid-19.N985364
- 46. Malakoff Humanis, « Baromètre annuel télétravail 2021 », février 2021. Étude menée auprès de 1 280 salariés et 300 diri- geants d’entreprises d’au moins 10 salariés du secteur privé.
- 47.https://www.mckinsey.com/businessfunctions/strategyandcorporatefinance/ourinsights/howcovid19haspushedcompanies over-the-technology-tipping-point-and-transformed-business-forever
- 48. L’IIoT peut être défini comme un continuum de technologies permettant l’interconnexion entre les machines, les hommes et les systèmes d’information afin d’améliorer l’efficacité du système industriel et de rechercher de nouvelles sources de création de valeur par les données ainsi captées.
- 49. Selon Mouhoud, le phénomène de régionalisation résulte également de la convergence des coûts salariaux unitaires entre les pays à bas coûts et les pays industrialisés.
CONCLUSION
Au terme de ce travail, il apparaît que les entreprises industrielles ont été, dans leur ensemble et en moyenne, plus souvent perturbées qu’affaiblies par les conséquences de la pandémie de Covid-19. Cela paraît inouï, moins de deux ans après l’éclatement de ce qui reste à ce jour la plus grave crise économique qu’aient connue la France et les pays développés depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale.
Ce paradoxe tient à deux choses. D’une part, l’ampleur exceptionnelle et l’efficacité attestée des mesures d’urgence puis de relance déployées par la puissance publique auront largement contribué à atténuer les effets de la crise. Certes, ces dépenses de l’État allouées sans contrepartie ont suscité bien des débats. Un premier débat a notamment porté sur le risque de multiplication d’entreprises défaillantes ou « zombies »50 dont la faillite aurait été retardée par les aides publiques. Cependant, la plupart des études s’accordent sur le fait que ce risque de multiplication des entreprises zombies ne s’est pas avéré, ces dernières n’ayant pas mobilisé les aides au-delà de leur part dans l’économie. Un autre débat a porté sur le risque que l’activité partielle encourage la rétention excessive de main-d’œuvre, avec pour seul effet de retarder les licenciements. Or, force est de constater que les entreprises font face aujourd’hui à des problèmes de recrutement, en raison d’un redémarrage de l’économie particulièrement fort et inattendu. D’autres échanges encore ont lieu, sans toutefois remettre en cause cette observation consensuelle des économistes aujourd’hui selon laquelle les politiques publiques déployées à l’occasion de la crise expliquent indubitablement que les entreprises aient si modérément ou si transitoirement souffert, sans parler de l’emploi demeuré remarquablement stable. À cela, il convient d’ajouter que les entreprises elles-mêmes ont fait preuve d’une résilience remarquable, comme l’attestent les résultats de notre enquête.
Pour toutes les autres entreprises, les grands défis qui les attendent se situent en réalité ailleurs, à un horizon plus lointain. L’organisation du travail est certainement le domaine dans lequel la crise sanitaire a provoqué les bouleversements les plus durables. Il est encore trop tôt pour déterminer si le déploiement massif du télétravail expérimenté pendant la crise sanitaire laissera place à de nouvelles formes d’organisation du travail – dont certaines étaient déjà en cours dans quelques entreprises dites avant-gardistes –, ou si, au contraire, le monde d’après ressemblera curieusement au monde d’avant. Toutefois, le déploiement massif du télétravail aura permis à nombre d’entreprises – industrielles ou non – de lever des préjugés sur le travail à distance, qui était pour beaucoup synonyme de procrastination et de faible créativité. Sans se perdre en conjectures, on peut raisonnablement imaginer qu’un nouveau mode de travail hybride, entre travail sur site et à distance, deviendra la nouvelle norme.
Par ailleurs, il aurait été souhaitable que les entreprises soient spontanément plus nombreuses à envisager, en réponse à la crise, des efforts résolus en matière de digitalisation. L’attention aux enjeux du numérique est malheureusement encore un facteur distinctif clivant entre les entreprises de tailles différentes et les résultats que nous avons révélés laissent craindre que ce divorce ne s’accentue. La dispersion croissante de la productivité entre les entreprises est un constat désormais solidement établi par les économistes internationaux, mais cela n’est nullement une consolation, tant le numérique est un facteur attesté de performance et de survie des entreprises industrielles soumises à une concurrence mondiale féroce.
Enfin, la pandémie de Covid-19 aura également servi de révélateur de la dépendance des entreprises industrielles à l’égard de leurs fournisseurs étrangers. Pourtant, l’heure semble être plus aux discours qu’aux actes. Comme nous l’avons vu, rares sont les entreprises qui, échaudées par leurs problèmes d’approvisionnement pendant la crise, ont décidé de rapatrier leur production ou leurs fournisseurs à proximité de leur pays d’origine. Mais est-il pour autant illusoire de croire en de nouvelles stratégies d’approvisionnement de la part des entreprises ? Dans les faits, les risques de rupture d’approvisionnement ne sont pas nouveaux, mais cette crise pourrait amener les industriels à mieux les prendre en compte dans leurs stratégies.
Plus fondamentalement, la question de la sécurisation des approvisionnements pourrait devenir centrale si, à la faveur d’une lutte coordonnée contre le changement climatique, les tensions sur les matières premières et les matériaux s’accentuaient durablement, s’ajoutant – avant de se substituer progressivement – aux tensions que nous avons connues durant des décennies sur les énergies fossiles. Emmanuel Macron en a d’ailleurs fait la pierre angulaire de son plan d’investissement « France 2030 » en proposant un travail de « cartographie de nos dépendances » qui pourrait conduire les entreprises à revoir leur évaluation des risques de rupture d’approvisionnement. Cette meilleure prise en compte de la criticité de certains produits devrait en premier lieu aboutir à une diversification des fournisseurs et des pays d’approvisionnement. Plus que la dépendance à l’étranger, c’est le phénomène de concentration de la production de certains biens dans un petit nombre d’entreprises et de pays qui est source de vulnérabilité. Mais, dans certains secteurs, le potentiel de diversification est faible, à l’instar de l’industrie des semi-conducteurs où une seule entreprise maîtrise certains segments du marché. Pour ces segments technologiques, les pouvoirs publics aux niveaux français et européen pourraient ainsi encourager la localisation de leur production ou garantir la constitution de stocks stratégiques. La crise sanitaire ne marquera certes pas la fin de la mondialisation. Toutefois, dans un contexte de guerre commerciale sino-américaine et de mesures protectionnistes punitives, le « monde d’après » pourrait voir s’accélérer une tendance déjà amorcée depuis une dizaine d’années de régionalisation des chaînes de valeur.
- 50. L’OCDE définit une entreprise zombie comme une entreprise ayant au moins dix ans d’existence et dont le revenu est, pendant au moins trois années consécutives, insuffisant pour couvrir les intérêts suscités par leur endettement.
Bibliographie
Bonneau C., Nakaa M. (2020), « Vulnérabilité des approvisionnements français et européens », Trésor-Éco, n° 274, décembre.
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Annexe – Méthodologie de l’étude
Dans cette étude, nous nous appuyons sur des outils complémentaires, d’ordre qualitatif et quantitatif. Dans un premier temps, des entretiens ont été réalisés auprès d’une dizaine d’entreprises industrielles issues de secteurs d’activité variés. Dans un second temps, une enquête téléphonique a été conduite auprès d’un échantillon représentatif de 900 chefs d’entreprise ou cadres dirigeants d’entreprises industrielles françaises.
Enquête qualitative
Une partie des résultats de cette étude sont issus d’une dizaine d’entretiens menés auprès de dirigeants d’entreprises industrielles françaises. La prise de contact avec les entreprises est partiellement le fruit d’un appel à témoignages, diffusé auprès des partenaires de La Fabrique de l’industrie et sur les réseaux sociaux. Malgré le caractère aléatoire des réponses obtenues, notre échantillon représente, dans une certaine mesure, la diversité de tailles et de secteurs d’activité des entreprises industrielles en France (tableau 1). Les entretiens ont été réalisés entre janvier et mai 2021.
Chaque entreprise a été interrogée sur la base d’un entretien semi-directif portant sur des thèmes récurrents (tableau 2) : l’impact de la crise du Covid-19 et des confinements sur l’activité de l’entreprise (variation de l’activité, réduction de débouchés, problèmes d’approvisionnement, absentéisme des salariés, etc.), les mesures mises en place pour y faire face (mesures sanitaires, télétravail, ajout ou suppression d’une ligne de production, etc.) et les défis révélés par la crise (nouveaux investissements dans les outils digitaux, relocalisation, etc.).
Ces entretiens ont d’abord eu vocation à dresser un tableau clinique et précis pour comprendre la façon dont les entreprises industrielles ont été touchées par la crise, et plus particulièrement par les épisodes de confinement, et où est-ce qu’elles ont puisé une capacité de résilience. Ces éclairages qualitatifs nous ont permis, d’une part, de mieux définir les thèmes à aborder dans l’enquête téléphonique et, d’autre part, de mieux en interpréter les résultats. Il semblait en effet important de collecter des informations au cours d’échanges longs qui permettaient à l’interlocutrice ou l’interlocuteur de s’exprimer librement en apportant des éléments de contexte, sans lesquels la bonne interprétation des résultats n’aurait pas toujours été possible.
Cette enquête qualitative comporte deux limites principales. S’agissant de sa représentativité d’une part, la mise en place d’un appel à témoignages a nécessairement conduit à un biais d’autosélection, puisqu’une partie des entreprises ont décidé de leur propre initiative de répondre à l’enquête. Nous pouvons émettre l’hypothèse selon laquelle les entreprises ayant particulièrement bien géré la crise ou, au contraire, celles qui ont rencontré nombre de difficultés avaient de bonnes raisons de vouloir en discuter. Pour limiter ce biais statistique, nous avons sollicité nous-même une partie des entreprises de l’échantillon. Quoi qu’il en soit, les résultats d’entretiens n’ont pas vocation à produire des statistiques, mais plutôt à étayer des phénomènes mis en évidence par la crise sanitaire.
D’autre part, les entretiens ont été réalisés au cours du premier semestre 2021, ce qui ne permet pas d’apprécier l’impact à moyen ou à long terme de la crise sanitaire sur l’industrie française. Néanmoins, le caractère récent de l’enquête présente l’avantage de limiter les « biais de mémoire » et réduit le risque que les réponses recueillies soient altérées par le temps. Pour autant, il serait intéressant de réaliser cette enquête en plusieurs vagues, lorsque la crise sanitaire aura laissé des marques durables sur les entreprises industrielles.
Tableau 1 : Récapitulatif des entreprises industrielles rencontrées
Tableau 2 : Exemples d’entretiens avec quatre entreprises industrielles
Enquête quantitative
Nous avons également mis en place une enquête téléphonique auprès d’un échantillon représentatif de 900 chefs d’entreprise et cadres dirigeants dans le secteur industriel. Cette enquête, réalisée entre le 6 mai et le 30 juin 2021, avait pour objectif de mesurer l’impact de la crise du Covid-19 sur l’activité des entreprises industrielles, les réponses apportées au choc économique et la nature des transformations et des investissements qui en ont découlé.
L’échantillon de l’enquête a été extrait de la base Sirene51 qui recense l’ensemble des établissements français et rassemble des informations telles que la raison sociale de l’établissement, son statut juridique, son année de création, et son code NAF (nomenclature d’activités française). Le champ de l’enquête regroupe toutes les entreprises de l’industrie (catégories B, C, D et E de la NAF) employant 1 salarié ou plus. Ce type d’enquête requiert d’établir des priorités dans l’allocation du temps des enquêteurs. Compte tenu de la question étudiée, nous avons privilégié la constitution de sous-échantillons représentatifs sur un grand nombre de secteurs, par la méthode des quotas52. A contrario, les TPE de moins de 10 salariés représentent in fine 14 % de l’échantillon (dans l’industrie, elles représentent 5 % de la valeur ajoutée et 8 % de l’emploi salarié mais 85 % des unités légales). Afin d’obtenir des résultats interprétables sur chaque secteur, un minimum de 30 entretiens ont été réalisés sur les catégories les moins représentées dans la population mère (pour une taille d’entreprise et un secteur donnés). En effet, selon la théorie, la loi normale est une bonne approximation de la distribution réelle pour les échantillons supérieurs ou égaux à 30.
Compte tenu de la population interrogée, les entretiens téléphoniques étaient la méthode la plus efficace pour obtenir un taux de réponse suffisant et des résultats exploitables par quota. Contrairement aux enquêtes en ligne, ce mode de collecte présente également l’avantage d’interroger avec quasi-certitude le bon interlocuteur et de s’assurer de sa bonne compréhension du questionnaire.
- 51. Système national d’identification et du répertoire des entreprises et de leurs établissements.
- 52. La méthode des quotas est une méthode d’échantillonnage consistant à s’assurer de la représentativité d’un échantillon en lui affectant une structure similaire à celle de la population mère sur la base de plusieurs critères présélectionnés.
Annexe – Dernières parutions dans la collection Les Notes de La Fabrique
Organisation et compétences dans l’usine du futur. Vers un design du travail ?, Paris, Presse des Mines, 2019.
La France est-elle exposée au risque protectionniste ?, Paris, Presse des Mines, 2019.
L’étonnante disparité des territoires industriels. Comprendre la performance et le déclin, Paris, Presse des Mines, 2019.
À la recherche de l’immatériel : comprendre l’investissement de l’industrie française, Paris, Presse des Mines, 2019.
Au-delà de l’entreprise libérée. Enquête sur l’autonomie et ses contraintes, Paris, Presse des Mines, 2020.
Quand le carbone coûtera cher, Paris, Presse des Mines, 2020.
Ces territoires qui cherchent à se réindustrialiser, Paris, Presse des Mines, 2021.
Le travail à distance dessine-t-il le futur du travail ?, Paris, Presse des Mines, 2021.
À la recherche de la résilience industrielle. Les pouvoirs publics face à la crise, Paris, Presse des Mines, 2021.
Le design du travail en action. Transformation des usines et implication des travailleurs, Paris, Presse des Mines, 2021.
Ajustement carbone aux frontières. L’Europe à l’heure des choix, Paris, Presse des Mines, 2021.
Les membres du conseil d’orientation de La Fabrique
La Fabrique s’est entourée d’un conseil d’orientation, garant de la qualité de ses productions et de l’équilibre des points de vue exprimés. Les membres du conseil y participent à titre personnel et n’engagent pas les entreprises ou institutions auxquelles ils appartiennent. Leur participation n’im- plique pas adhésion à l’ensemble des messages, résultats ou conclusions portés par La Fabrique de l’industrie.
À la date du 15 septembre 2021, il est composé de :
Paul ALLIBERT, directeur général de l’Institut de l’entreprise,
Jean ARNOULD, ancien président de l’UIMM Moselle, ancien PDG de la société Thyssenkrupp Presta France,
Gabriel ARTERO, président de la Fédération de la métallurgie CFE-CGC,
Vincent AUSSILLOUX, chef du département économie-finances de France Stratégie,
Michel BERRY, fondateur et directeur de l’école de Paris du management,
Laurent BIGORGNE, directeur de l’Institut Montaigne,
Serge BRU, représentant de la CFTC au bureau du Conseil national de l’industrie,
Benjamin CORIAT, professeur Université Sorbonne Paris Nord (Paris 13),
Philippe DARMAYAN, ancien président d’ArcelorMittal France,
Pierre-André de CHALENDAR, président du groupe Saint-Gobain, co-président de La Fabrique de l’industrie,
Joël DECAILLON, vice-président de Bridge (Bâtir le renouveau industriel sur la démocratie et le génie écologique),
Stéphane DISTINGUIN, fondateur et président de Fabernovel, président du pôle de compétitivité Cap Digital,
Elizabeth DUCOTTET, PDG de Thuasne,
Pierre DUQUESNE, ambassadeur, chargé de la coordination du soutien international au Liban,
Philippe ESCANDE, éditorialiste économique au quotidien Le Monde,
Olivier FAVEREAU, professeur émérite en sciences économiques à l’université Paris X,
Denis FERRAND, directeur général de Rexecode,
Jean-Pierre FINE, secrétaire général de l’UIMM
Louis GALLOIS, ancien président du conseil de surveillance de PSA Groupe, co-président de La Fabrique de l’industrie,
Pascal GATEAUD, ancien rédacteur en chef de l’Usine Nouvelle,
Pierre-Noël GIRAUD, professeur d’économie à l’université de Paris-Dauphine et à Mines ParisTech,
Frédéric GONAND, conseiller économique de l’UIMM, professeur associé de sciences économiques à l’université Paris-Dauphine,
Éric KELLER, secrétaire fédéral de la fédération FO Métaux,
Élisabeth KLEIN, dirigeante de CFT Industrie,
Dorothée KOHLER, directeur général de KOHLER C&C,
Gilles KOLÉDA, directeur scientifique d’Érasme- Seuréco,
Marie-José KOTLICKI, co-secrétaire générale chez UGICT-CGT,
Éric LABAYE, président de l’École polytechnique,
Emmanuel LECHYPRE, éditorialiste à BFM TV et BFM Business,
Fanny LÉTIER, co-fondatrice de GENEO Capital Entrepreneur,
Olivier LLUANSI, associé à Strategy&PWC,
Antonio MOLINA, président du conseil de surveillance de Mäder Group,
Philippe MUTRICY, directeur de l’évaluation, des études et de la prospective de Bpifrance,
Hélène PESKINE, secrétaire permanente au Plan d’Urbanisme construction architecture au Ministère de la transition écologique,
Christian PEUGEOT, ancien président du Comité des constructeurs français d’automobiles,
Philippe PORTIER, secrétaire national de la CFDT,
Grégoire POSTEL-VINAY, directeur de la stratégie, Direction générale des entreprises, ministère de l’Économie,
Didier POURQUERY, fondateur de la version française de The Conversation et ancien directeur de la rédaction,
Joseph PUZO, président d’AXON’CABLE SAS et du pôle de compétitivité Matéralia,
Xavier RAGOT, président de l’OFCE,
Robin RIVATON, investment director – Venture Smart City chez Eurazeo,
Frédéric SAINT-GEOURS, vice-président du conseil d’administration de la SNCF,
Ulrike STEINHORST, présidente de Nuria Conseil,
Pierre VELTZ, ancien PDG de l’établissement public de Paris-saclay,
Dominique VERNAY, vice-président de l’Académie des technologies,
Jean-Marc VITTORI, éditorialiste au quotidien Les Echos.
Sonia Bellit et Charlène Belma, L’industrie à l’épreuve de la crise. Des entreprises affaiblies mais résilientes, Les Notes de La Fabrique, Paris, Presses des Mines, 2022. ISBN : 978-2-35671-706-1 ISSN : 2495-1706
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