L’industrie dans la tourmente : ce que le Covid a changé pour les entreprises

L’industrie dans la tourmente : ce que le Covid a changé pour les entreprises

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RÉSUMÉ

La crise qui a accompagné la pandémie de Covid-19 est inédite par son ampleur et sa nature. Les entreprises en ont-elles pour autant toutes souffert ? Pourquoi certaines se sont-elles mieux adaptées que d’autres ? En s’appuyant sur une vaste enquête téléphonique menée auprès de 900 entreprises et sur des auditions de dirigeants industriels réalisées entre mai et juin 2021, La Fabrique de l’industrie ouvre la « boîte noire » des entreprises industrielles confrontées à la crise.

Premier constat : la crise a affecté les secteurs d’activité de façon différenciée. Les secteurs de l’aéronautique, de l’automobile, de l’électronique et du plastique ont subi un arrêt brutal de leur activité et de fortes baisses de chiffre d’affaires. À l’inverse, d’autres secteurs, comme l’agroalimentaire ou la pharmacie, ont connu en moyenne un regain d’activité pendant cette période. Malgré la violence du choc, l’emploi est quant à lui resté remarquablement stable.

Cet épisode hors-norme a eu un impact sur les organisations et les façons de travailler. Il a porté un nouvel éclairage sur le télétravail et sur le numérique, amortisseurs du choc économique. La crise a enfin révélé la dépendance des entreprises industrielles à l’égard de leurs fournisseurs étrangers. Mais peu d’entre elles envisagent de relocaliser leur sourcing.

UNE CRISE, PLUSIEURS IMPACTS

L’annonce du premier confinement a été un choc pour la majorité des entreprises industrielles : 70 % d’entre elles ont connu une baisse des ventes, parfois très brutale. Certaines ont
vu leurs commandes chuter de 95 % en deux semaines, à l’instar du fabricant de portails Lippi1. En 2020, un peu plus de la moitié des entreprises interrogées déclarent avoir subi une perte de chiffre d’affaires, de l’ordre de 10 à 30 % pour la moitié d’entre elles. Le secteur aéronautique a été le plus touché avec une baisse d’activité qui concerne près de 90 % des entreprises du secteur, suivi par l’automobile(70% des entreprises), la métallurgie, l’industrie du bois et le secteur des plastiques.

En touchant les secteurs les plus structurants, comme l’aéronautique ou l’automobile, le choc de demande s’est diffusé à l’ensemble du tissu productif. La baisse des cadences a eu un impact significatif sur les sous-traitants, dont les produits livrés sont directement liés aux volumes des donneurs d’ordre : entre 2019 et 2020, certains équipementiers majeurs de l’aéronautique ont enregistré des baisses de chiffre d’affaires comprises entre 40 % et 50 %2.

Malgré ces fortes chutes d’activité, le niveau d’emploi s’est globalement tenu pendant et après la crise. Pour plus de trois entreprises sur quatre, les effectifs salariés n’ont pas évolué entre mars 2020 et avril 2021. Les mesures d’urgence mises en place par le gouvernement ont joué leur rôle à plein3, en particulier l’assouplissement des règles de recours à l’activité partielle, qui reste le dispositif le plus largement plébiscité : 75 % des entreprises industrielles y ont eu recours.

S’ADAPTER AU CHOC

Si, pendant le premier confinement, la majorité des entreprises industrielles n’ont pas cessé leur activité, 41% d’entre elles ont dû revoir leur organisation du travail pour respecter la distanciation physique (56 % des entreprises de 250 salariés et plus ; 33 % des entreprises de 10 à 49 salariés). Les adaptations ont été plus ou moins complexes selon la configuration des sites – il y a par exemple un lien entre le niveau d’automatisation et la fréquence des interactions entre opérateurs – et les moyens mobilisables. Les entreprises appartenant à un groupe international sont, en proportion, plus nombreuses à avoir repensé leur organisation du travail (62 % contre 36 %).

Le télétravail fait partie des mesures phares mises en œuvre pour faire face à ces contraintes. Si la crise a fait sauter de nombreux verrous4, son accès reste inégalitaire et a fait ressortir des clivages anciens entre « cols blancs » et « cols bleus ». En mai 2020, il concernait 57 % des cadres et des professions intellectuelles supérieures contre 20 % des employés et seulement 1,5 % des ouvriers (Insee). Par ailleurs, les entreprises interrogées ont souvent mentionné l’absence de lien social et l’isolement qu’ont subis certains salariés lors de cet épisode.

LA CRISE RÉVÉLATRICE DES DÉPENDANCES

Les tensions sans précédent sur les approvisionnements ont aussi révélé la fragilité des chaînes de valeur mondialisées. Le ralentissement économique de la Chine a touché, en France, les secteurs les plus dépendants des intrants avant de se propager en cascade : 63 % des entreprises interrogées ont été confrontées au problème. Parmi elles, 80 % font état de ruptures d’approvisionnement, 91 % de délais de livraison rallongés et 77 % évoquent une augmentation des coûts d’achat. Enfin, la moitié d’entre elles parlent de difficultés logistiques et de problèmes de livraison.

Dans l’urgence, des dispositifs ont été mis en place, parmi lesquels des instances de dialogue régulier avec les fournisseurs ou la sécurisation de nouveaux partenaires grâce à la blockchain. Mais peu d’industriels sont allés jusqu’à repenser l’organisation de leur chaîne d’approvisionnement, rediriger ou relocaliser une partie des approvisionnements ou encore élargir la base de leurs fournisseurs. L’enquête montre que seules 20 % des entreprises industrielles – toutes tailles confondues – ont modifié leurs sources d’approvisionnement au cours de la crise. Les changements de partenaires ont été plus fréquents dans l’industrie pharmaceutique (51 %) et dans la fabrication de produits électroniques et informatiques (42 %).

La crise a également fait ressortir les situations de dépendance excessive à un client ou à un secteur d’activité: 21% des sociétés interrogées ont ainsi déclaré souhaiter diversifier leur activité à la suite de l’épisode Covid. Les entreprises moyennes (50 à 249 salariés) sont, en proportion, deux fois plus nombreuses (29 %) à exprimer ce choix que les entreprises de plus de 250 salariés (14 %). Les entreprises de l’aéronautique (33 %), de l’automobile (31%), de la métallurgie (30%) et du textile (29 %) se posent plus fréquemment la question que les autres.

LES RÉPONSES ET LES DÉFIS

Les problèmes d’approvisionnement sont restés prédominants dans l’industrie pendant la phase de redémarrage et le sont encore. En avril 2021, 28 % des entreprises signalaient des difficultés d’approvisionnement, soit une part plus élevée que le point haut atteint en avril 2020 (21 %)5. Pour autant, seules 25 % des entreprises industrielles s’approvisionnant à l’étranger envisagent de relocaliser leurs fournisseurs au plus près de leur activité, selon l’enquête réalisée par La Fabrique de l’industrie. Parmi elles, 36 % opèrent dans la fabrication de produits électroniques et informatiques.

La crise du Covid-19 a également confirmé le rôle des technologies numériques comme amortisseurs des chocs économiques. La digitalisation des entreprises constitue donc un autre défi à relever en sortie de crise. L’enquête montre à ce sujet que 40 % des entreprises industrielles envisagent de mettre en place un projet de digitalisation à la suite de la pandémie. Mais la proportion reste faible dans les petites entreprises (24 % pour les entreprises de 1 à 9 salariés) alors que ce sont elles qui accusent le retard le plus important dans ce domaine. La crise semble donc s’ouvrir sur une séquence qui risque d’accentuer encore cet écart.

MÉTHODOLOGIE

Ces données s’appuient sur deux enquêtes, une qualitative et une quantitative. L’enquête qualitative porte sur une dizaine d’entretiens menés par La Fabrique de l’industrie auprès de dirigeants d’entreprises industrielles françaises entre janvier et mai 2021. L’enquête quantitative, réalisée en collaboration avec KPMG France, porte sur une campagne téléphonique menée entre le 6 mai et le 30 juin 2021 auprès d’un échantillon représentatif de 900 chefs d’entreprise et cadres dirigeants dans le secteur industriel.

  • 1. L’ensemble des témoignages et des citations sont tirés de la Note 39 de La Fabrique de l’industrie (Bellit et Belma, 2022).
  • 2. https ://france3-regions.francetvinfo.fr/occitanie/haute-garonne/toulouse/aeronautique-des-plans-sociaux-revus-a-la-baisse-pour-figeac-aero-latecoere-et-airbus-1938451.html
  • 3. Bellit (2021).
  • 4. Canivenc et Cahier (2021).
  • 5. Source : Insee.

 

Chiffres-clés

En savoir plus

Bellit S., Belma C. (2022), L’industrie face à la crise. Des entreprises affaiblies mais résilientes, Les Notes de La Fabrique, Presses des Mines.
Bellit S. (2021), À la recherche de la résilience industrielle. Les politiques publiques face à la crise, Les Notes de La Fabrique, Presses des Mines.
Canivenc S., Cahier M.-L. (2021), Le travail à distance dessine-t-il le futur du travail ? Les Notes de La Fabrique, Presses des Mines.
Insee (2021b), Restrictions sanitaires dans certains services, problèmes d’approvisionnement dans l’industrie : de nombreux facteurs limitent l’activité des entreprises début 2021, Note de conjoncture, mai.

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