Nouveaux modes de management et d’organisation : six pratiques récurrentes et leurs limites

Nouveaux modes de management et d’organisation : six pratiques récurrentes et leurs limites

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RÉSUMÉ

Cherchant à se déhiérarchiser, se « désiloter » et s’agiliser pour être plus réactives, mieux répondre aux besoins des clients et mieux satisfaire les attentes des salariés, les entreprises se tournent massivement vers de nouveaux modèles de management et d’organisation (NMMO) tels que les méthodes agiles, l’entreprise libérée, l’holacratie, l’organisation opale ou encore la société à mission. À partir de l’étude d’une vingtaine d’organisations allant d’entreprises autogérées à des divisions de grands groupes, nous avons identifié six pratiques récurrentes qui caractérisent ces NMMO. Si les salariés s’expriment souvent en faveur de ces nouveaux modes de travail (Malakoff Humanis, 2022), force est de constater qu’ils ne sont pas faciles à implanter et que les entreprises butent sur de nombreuses difficultés de conception, d’adoption ou de mise en œuvre.

PRATIQUE No1 — REDESIGN ORGANISATIONNEL

La plupart des entités qui cherchent à faire évoluer leur mode d’organisation procèdent à une reconfiguration de leur organisation sous forme de petites unités opérationnelles polyvalentes aux noms variés : unités de production autonomes, mini-usines, communautés, squads, cercles, cellules, comités. Cette taille permet aux équipes d’assurer leur auto-organisation, en limitant les coûts de transaction (coordination-communication) entre leurs membres. Cependant, ces reconfigurations ne garantissent aucune transformation profonde. La multiplication des équipes autonomes peut au contraire désorganiser le fonctionnement général si les processus d’articulation et de coordination interéquipes ne sont pas soigneusement pensés.

PRATIQUE No2 — ZONES D’AUTONOMIE DANS LES DÉCISIONS

L’objectif est d’inverser la pyramide traditionnelle de décision selon un principe de large délégation ou de subsidiarité1. Les équipes disposent d’une latitude plus ou moins grande pour prendre les décisions qui les concernent, ou solliciter le niveau supérieur. Le principe de subsidiarité doit permettre de raccourcir considérablement la ligne de décision, donnant ainsi rapidité et souplesse à la structure. La définition de ces zones d’autonomie nécessite souvent une expérimentation pour voir de quelles dimensions les équipes veulent et sont capables de se saisir. En effet, tous les salariés ne sont pas spontanément désireux d’élargir leur périmètre de décision : les enthousiastes se surinvestissent avec des risques d’épuisement; les réfractaires perçoivent la montée en autonomie comme une contrainte additionnelle sans contrepartie ; enfin, les suiveurs craignent de ne pas en être capables ou ont simplement perdu l’habitude de prendre des décisions. Il n’est pas rare que le climat social se détériore.

PRATIQUE No3 — ÉVOLUTION DE LA POSTURE MANAGÉRIALE

Les NMMO impliquent une évolution assez radicale de la posture des managers de proximité. Ils sont priés de devenir « manager coach » ou « servant leader » dans une double dimension de soutien professionnel et psycho-affectif. Il ne s’agit plus de dire aux équipiers comment travailler, mais de les aider à faire un travail de qualité selon leurs propres méthodes. Le manager doit supprimer le microcontrôle de tâches, savoir fixer des objectifs et contrôler seulement les résultats, identifier les « irritants » et fluidifier les interfaces, assurer une participation équitable de tous, renoncer à vouloir résoudre tous les problèmes, trouver des ressources et faire confiance à ses équipes.

La difficulté réside dans le fait que les managers perdent parfois tout ou partie de leurs prérogatives, sans compensation et souvent sans accompagnement ni soutien de leur direction. Les nouveaux attendus managériaux ne s’accompagnent ni d’une révision des objectifs, ni de nouvelles ressources ni de marges de manœuvre dans la reconnaissance financière des collaborateurs, ni d’outils mis à jour. Comment s’étonner dès lors qu’ils soient souvent les premières victimes des NMMO, soit en étant poussés vers la sortie, soit en s’auto-excluant ?

  • 1. Avec le principe de délégation, la responsabilité de l’action reste entre les mains d’une figure hiérarchique qui peut décider de la transférer en tout ou partie à ses subordonnés dans un cadre et des modalités prédéfinis. Avec la subsidiarité en revanche, la responsabilité appartient au subordonné qui peut solliciter l’aide ou l’avis de l’échelon hiérarchique supérieur.

67 %

des salariés souhaitent un management davantage axé sur la confiance, l’encouragement, la prise d’initiatives, la coopération, le droit à l’essai, le droit à l’erreur, et moins sur le contrôle et la mise en compétition, d’après le baromètre annuel Télétravail et Organisations hybrides 2022 de Malakoff Humanis.

PRATIQUE No4 — ESPACES DE DISCUSSION SUR LE TRAVAIL

Les NMMO s’accompagnent de l’intensification des discussions collectives sur l’organisation du travail pour assurer l’autorégulation des équipes. Elles sont souvent formelles et très régulières (quotidiennes ou hebdomadaires). Le temps de réunion tend alors à exploser, pesant sur la productivité à court terme, car le travail délibératif empiète sur le temps productif. En outre, la participation active dans ces instances nécessite souvent des compétences en communication qui sont inégales chez les salariés, créant parfois un sentiment d’injustice, si le manager ne veille pas à faire participer tout le monde. Le psychologue Kurt Lewin (1890-1947) avait déjà montré que le leadership de type démocratique nécessite un temps d’apprentissage qui fait d’abord baisser l’efficacité du groupe par rapport au management de type autoritaire. Toutefois, les compétences réflexives et créatives acquises par le groupe permettent ensuite une meilleure efficacité collective à long terme.

PRATIQUE No5 — NOUVELLES PRATIQUES RH

Les NMMO s’accompagnent, surtout depuis la crise sanitaire, de nouvelles pratiques RH assez diverses : tendance au full flexible, impliquant travail à distance, horaires plus flexibles (contrôle des résultats plutôt que présentéisme) et réaménagement des espaces de travail ; recrutement plus collectif (en le déléguant aux équipes ou en les associant aux recrutements) ; accent mis sur la diversité dans la composition des équipes et sur le cultural fit ; évaluations plus régulières ou en continu, basées sur le feedback, mais aussi plus ouvertes (360°) ; mobilités non plus seulement ascendantes mais aussi latérales ou internationales ; intensité des formations (soft skills, tech skills, hard skills), souvent différentes de la formation traditionnelle (pairs, coachs, communautés de pratiques, Afest2) ; opportunités de développement personnel (intrapreneurship, temps ou moyens donnés à l’investissement associatif ou citoyen, etc.).

Mais des effets pervers peuvent apparaître : le feedback se révèle difficile à exercer lorsqu’il comporte une dimension négative ; les évaluations par les pairs tendent à être indulgentes ; le sentiment d’appartenance à l’entreprise se délite. En outre, toutes ces mesures sont parfois réservées à celles et ceux que les entreprises qualifient de « talents », créant ainsi des sentiments d’injustice.

PRATIQUE No6 – OUVERTURE DES SYSTÈMES D’INFORMATION

La délégation ou subsidiarité des décisions au plus près du terrain nécessite en contrepartie d’ouvrir les SI pour permettre à chacun de disposer des données nécessaires à son action. La transparence informationnelle offerte par les outils numériques stimule les effets d’apprentissage et, en principe, l’efficacité. Toutefois, la multiplication des outils numériques, en particulier depuis la crise sanitaire, se traduit par un mille-feuille souvent chaotique, occasionnant une importante surcharge cognitive chez les salariés.

  • 2. Action de formation en situation de travail.

CONCLUSION

L’évolution vers les NMMO n’est pas un long fleuve tranquille, ça secoue souvent, ça fait mal parfois. La montée en autonomie, les changements dans les frontières de responsabilité, la disparition des routines antérieures, les difficultés de coordination, le sentiment de chaos qui s’ensuit, peuvent entraîner une montée des risques psychosociaux ainsi que des effets de retrait ou des démissions, entachant le climat social et l’efficience, à rebours des effets espérés. Seule une approche systémique, patiente, prudente, itérative et incluant les acteurs de terrain, peut permettre d’ancrer durablement le changement et d’obtenir les bénéfices escomptés tant en termes d’amélioration continue que de respect des parties prenantes.

En résumé

En savoir plus
Canivenc, S. (2022). Les nouveaux modes de management et d’organisation : innovation ou effet
Lewin, K., Lippitt R., & White R. (1939). Patterns of aggressive behavior in experimentally created “social climates”, The Journal of Social Psychology, n° 10, pp. 271-299.
Malakoff-Humanis (2022), Baromètre annuel Télétravail et Organisations hybrides. Regards croisés salariés et dirigeants du secteur privé, 24 février.
Weil, T., et Dubey, A-S. (2020). Au-delà de l’entreprise libérée. Enquête sur l’autonomie et ses contraintes. Les Notes de La Fabrique, Presses des Mines.
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