Quand le carbone coûtera cher

Quand le carbone coûtera cher

Synchromie cosmique (Cosmic Synchromy), 1913-1914, Russell Morgan (1883-1953), États-Unis, Utica (NY), Munson-Williams Proctor Arts Institute Photo © Munson-Williams Proctor Arts Institute, dist. RMN-Grand Palais / image Munson-Williams Proctor Arts Institute

 

Préface

Les alertes quant à l’impact de la croissance des émissions de gaz à effet de serre liées aux activités humaines sur les équilibres de la planète (climat, biodiversité, eau, niveau des océans, …) et sur la santé se multiplient. Les conséquences, notamment sur le climat, sont de plus en plus tangibles, avec une multiplication des évènements extrêmes – vagues de chaleur, sécheresses, forces des ouragans, incendies – partout sur la planète. Pour limiter ses effets, le monde doit viser la neutralité carbone avant la fin du siècle. Plusieurs pays européens, dont la France et l’Union Européenne, envisagent ou ont déjà inscrit dans la loi cette neutralité climatique d’ici à 2050. De nombreuses entreprises de par le monde, et particulièrement en Europe, s’inscrivent désormais dans une telle trajectoire – Saint-Gobain a fait ce choix.

Mettre un prix au carbone est un élément essentiel pour orienter les comportements et les choix techniques vers des options à moindre intensité en carbone. Ce prix du carbone peut prendre plusieurs formes – systèmes de quotas, taxes à l’émission, taxes à la consommation, réglementation s’appuyant, ou non, sur un prix implicite du carbone. Les pays de l’Union Européenne ont adopté des approches qui combinent ces différents outils. Dans tous les cas, avec un prix du carbone autour de 100 à 150 euros/tC02, la plupart des process industriels peuvent être décarbonés tout en restant compétitifs.

Pour fonctionner correctement, il est généralement admis que les points suivants sont importants :

‒ La trajectoire du prix du carbone doit être définie à l’avance : le signal de long terme est essentiel pour orienter les investissements. Un four verrier construit aujourd’hui l’est pour au moins les 30 prochaines années.

‒ Dans un contexte où il sera très difficile d’obtenir un accord international sur des prix du carbone à l’émission, l’approche doit être différentiée selon que les produits sont locaux ou font l’objet de flux internationaux. Pour les produits faisant l’objet de flux internationaux, la mise en place d’un prix du carbone à l’émission sur un territoire donné doit alors s’accompagner de mécanismes aux frontières.

Cette étude de la Fabrique de l’Industrie démontre que la visibilité sur la trajectoire est de toute première importance. Les décisions prises par l’Union européenne à partir du milieu des années 2000 ont incité les entreprises européennes à faire des choix pour préparer l’avenir :

Via des investissements, avec d’ores et déjà des effets notables sur la réduction de leurs émissions ;

Via le développement de leur R&D, avec une croissance significative du nombre de brevets dans le domaine des solutions décarbonées.

Tout ceci, sans que la démonstration soit faite que ces choix aient eu des conséquences directes en termes de désindustrialisation en Europe.

Cette note fournit une synthèse de l’impact économique de la tarification carbone et notamment du marché européen du carbone depuis sa mise en place, avec un prix du quota de carbone qui est resté relativement faible jusqu’en 2018. Ses conclusions pourraient changer avec un prix significativement plus élevé. Il convient donc, sans attendre, d’étudier et de mettre en place les dispositifs qui permettront, le cas échéant, de préserver la compétitivité de l’industrie européenne, avec en premier lieu, un mécanisme d’ajustement carbone aux frontières de l’Union Européenne.

Il convient, par ailleurs, de faire de cet objectif de neutralité carbone un levier de réindustrialisation en France et en Europe. Le soutien à l’investissement bas carbone contribue sans nul doute à moderniser notre appareil productif et à restaurer la compétitivité des entreprises.

La transition écologique ne permettra pas à elle seule une relocalisation massive de l’emploi industriel en France. Nous devons continuer de travailler sur les causes de la désindustrialisation dont la taxation des facteurs de production. Le coût du travail sur les salaires intermédiaires continue de peser lourdement sur la compétitivité des entreprises françaises exposées à la concurrence internationale. Les efforts entrepris par ce biais pour la relocalisation des sites industriels auront à leur tour un effet positif sur l’empreinte carbone européenne, ceux-ci ayant dans bon nombre de cas des procédés de fabrication plus sobres en carbone que leurs concurrents extra-européens. C’est comme cela que nous renforcerons la résilience de notre système industriel face aux crises sanitaires ou climatiques, particulièrement mis à l’épreuve par la crise récente du Covid-19.

Pierre-André de Chalendar
Coprésident de La Fabrique de l’industrie

Remerciements

Ce travail a bénéficié des échanges avec les membres de La Fabrique de l’industrie et de son Conseil d’orientation. Nous remercions Damien Dussaux (OCDE), Philippe Quirion (CIRED), Sylvain Sourisseau (Ademe) et Francesco Vona (OFCE) ainsi que les industriels et les fédérations professionnelles pour leur relecture précieuse.

Résumé

La France vise aujourd’hui la neutralité carbone en 2050, c’est-à-dire zéro émission nette tous gaz à effet de serre (GES) confondus. Des discussions sont par ailleurs en cours au niveau européen pour que l’Union se dote du même objectif. Cela suppose un changement significatif de notre rythme de décarbonation puisque les émissions françaises n’ont diminué que de 19 % depuis 1990. Pour y parvenir, les pouvoirs publics locaux, nationaux et européens songent à de nouveaux schémas d’action.

C’est une certitude : le coût de la lutte contre le changement climatique va croître dans les prochaines années en France et en Europe. Diverses politiques publiques sont destinées à évoluer, notamment la tarification des émissions de carbone, qui regroupe la taxe carbone nationale et le marché européen des quotas d’émission, couvrant à eux deux la quasi-totalité des émissions du pays. Cela fait logiquement naître des inquiétudes sur la compétitivité de l’industrie, en concurrence avec des entreprises localisées dans des pays ayant une politique climatique à ce jour moins ambitieuse, en particulier les États-Unis, la Chine et les grands émergents.

Dans ce contexte, l’objectif de cette note est de fournir une synthèse de la littérature économique empirique relative à l’impact de la tarification carbone sur la compétitivité industrielle. Elle propose également une réflexion sur les mesures d’accompagnement, de soutien à la compétitivité et de limitation des fuites de carbone, qui pourraient être envisagées. Le parti pris des auteurs n’est pas de s’interroger sur la pertinence de la tarification du carbone en elle-même mais de la prendre comme donnée et d’examiner ses conséquences prévisibles pour l’industrie.

Le marché européen du carbone a une importance particulière pour notre analyse car il inclut la plupart des secteurs industriels exposés à un risque de perte de compétitivité et fortement consommateurs d’énergie : ceux qui sont à la fois très émetteurs de CO 2 et exposés à la concurrence extra-européenne. En France, il s’agit principalement du raffinage, de la production et de la transformation d’acier, de fer, d’aluminium et des autres métaux ferreux et non ferreux, d’une partie de la chimie, de la production de ciment, de chaux, de plâtre, de verre, de céramique et de papier-carton. La taxe carbone nationale concerne quant à elle tous les autres secteurs et les ménages.

De multiples études économétriques ex post convergentes fournissent une vision solide de l’impact du marché européen du carbone depuis son lancement en 2005. Il a permis de réduire les émissions des secteurs directement concernés, même en mettant de côté les effets concomitants de la récession puis de la stagnation économique qui a suivi. Cette diminution a peut-être été partiellement compensée par des fuites de carbone, c’est-à-dire un transfert des émissions vers des concurrents extra-européens et des sites de production relocalisés à l’étranger. Mais les évaluations disponibles suggèrent que ces fuites sont restées très limitées.

La plupart des études empiriques montrent également que, avec un prix du carbone n’ayant dépassé 10 €/tCO 2 que de manière épisodique jusqu’en 2018 et une allocation de quotas restés gratuits pour de nombreux secteurs industriels, ce dispositif n’a pas pesé significativement sur le profit des entreprises, sur les importations nettes, ni sur l’emploi. Cela vaut pour l’ensemble des secteurs couverts par le dispositif, y compris les secteurs hors production d’énergie qui sont, eux, exposés à la concurrence internationale. A contrario , il a induit une nette augmentation de l’innovation privée ciblée sur les technologies bas carbone.

Dans ses premières phases de fonctionnement, le marché européen du carbone a donc réduit les émissions à un coût économique faible et a incité les entreprises à préparer l’avenir. Les résultats les plus utiles pour la prospective sur l’industrie proviennent des études récentes portant sur les effets du prix de l’énergie : elles permettent en effet des projections à des niveaux de prix du carbone plus élevés que ceux observés jusqu’à présent. Elles sont toutefois peu nombreuses et ne prennent malheureusement pas en compte les bouclages macroéconomiques pouvant toucher l’ensemble de l’économie française : l’augmentation de l’activité des entreprises qui fournissent des solutions bas carbone, la redistribution des recettes d’une taxe carbone ou encore l’investissement dans l’innovation qui permet à moyen terme de réduire le coût de réduction des émissions. En d’autres termes, ces évaluations sont par construction assez précises sur les effets négatifs de la tarification et muettes sur ses conséquences favorables.

Sur cette base de connaissance encore ténue, on peut avancer qu’une augmentation du prix du carbone à des niveaux ne dépassant pas 100 €/tCO 2 n’aurait pas d’effet moyen très sensible sur la compétitivité industrielle. Elle induirait toutefois des réallocations significatives de l’emploi à l’intérieur des entreprises et des secteurs industriels, ainsi que des effets plus marqués dans quelques secteurs fortement consommateurs d’énergie et exposés à la concurrence internationale (notamment le secteur de la fabrication de produits métallurgiques de base, de produits alimentaires, de boissons et d’articles d’habillement1). Cette augmentation tendrait à pénaliser les emplois peu qualifiés au profit d’emplois plus qualifiés et demandant des compétences techniques et scientifiques. Les incertitudes sont trop grandes pour prédire aujourd’hui de manière fiable l’ampleur des effets à attendre lorsque le prix du carbone dépassera le seuil de 100 € par tonne, ce qui sera a priori nécessaire pour atteindre la neutralité carbone en 2050.

Un futur incertain se dessine ainsi à moyen terme pour les entreprises fortement utilisatrices d’énergie et exposées à la concurrence internationale, justifiant des mesures d’accompagnement en faveur de leur compétitivité. De telles mesures ne viseraient pas uniquement à préserver l’emploi mais également à augmenter l’impact climatique des politiques nationales et européennes puisqu’elles limiteraient par ricochet les fuites de carbone.

L’ajustement carbone aux frontières est l’un des dispositifs aujourd’hui en discussion entre partenaires européens. Son principe est d’appliquer un prix au carbone importé en Europe, de manière à compenser tout écart de tarification du carbone entre le pays partenaire et l’Union européenne. Cette mesure fait sens économiquement. Selon les estimations disponibles, elle réduirait de moitié les fuites de carbone induites par l’asymétrie des politiques climatiques – ce qui signifie qu’elle serait plus efficace sur ce plan que l’allocation de quotas gratuits aux entreprises exposées. Une telle mesure peut également être utile dans les négociations internationales, comme moyen d’inciter les pays tiers à relever l’ambition de leurs engagements climatiques, puisque cela reviendrait pour eux à modérer (ou récupérer) la taxation de leurs exportations vers l’Europe. Elle est toutefois complexe à mettre en œuvre et présente des risques de non-conformité avec les règles de l’Organisation mondiale du commerce si elle est mal conçue. En outre, sa mise en place nécessitera un consensus au sein de l’Union, notamment l’accord de l’Allemagne, qui craint aujourd’hui qu’elle ne déclenche de nouveaux conflits commerciaux.

Pour accompagner l’industrie, l’Union européenne et la France peuvent également soutenir l’innovation « verte », afin de modérer le coût économique de la politique climatique et de fournir des opportunités à l’exportation. L’effort budgétaire de l’État français est déjà significatif puisqu’il s’élève à près de 4,6 milliards d’euros en 2019. Cette somme intègre les dépenses pré-affectées à la transition écologique dans le cadre du Grand plan d’investissement et une part du coût budgétaire du crédit d’impôt recherche. Elle représente environ le quart du soutien total public à l’innovation privée. On ne sait pas aujourd’hui mesurer l’effet de ces dépenses budgétaires et fiscales sur l’innovation et la compétitivité des entreprises. On peut toutefois relever que la France a plus intensément réorienté son effort d’innovation vers les technologies bas carbone que la moyenne des pays de l’OCDE depuis les années 2000. Notre pays représente aujourd’hui 6 % des inventions bas carbone brevetées au niveau mondial, soit nettement plus que son poids économique, de l’ordre de 3 % du PIB mondial.

  • 1. Le redéploiement est estimé en pourcentage des effectifs du secteur. Dussaux (2020).

Introduction

En l’espace de quelques mois seulement, nous avons été témoins d’événements déterminants pour la conduite future des politiques climatiques. Les discussions sur les instruments des politiques climatiques ont été mises en suspens en raison de l’état d’urgence sanitaire déclaré pour faire face à la pandémie de Covid-19 mais cette crise conforte l’idée que la transition écologique doit s’accélérer. Nous publions cet ouvrage dans le cadre de réflexions de moyen terme sur le prix du carbone qui continueront une fois que le pays aura géré en priorité l’urgence sanitaire. Le lancement de discussions européennes en vue d’une tarification du contenu en carbone des importations, la sortie des États-Unis – le quatrième partenaire commercial de la France – de l’Accord de Paris, les réticences de nombreux pays, exprimées lors de la COP 25 en décembre 2019, à rehausser l’ambition de leurs engagements… Tous ces éléments laissent présager un monde durablement marqué par des engagements climatiques asymétriques et invitent alors à étudier l’effet des politiques climatiques sur la compétitivité de l’industrie française.

Cette réflexion est motivée par des considérations non seulement économiques mais également environnementales. En effet, si elle déplaçait la production de biens dans des pays à faible contrainte carbone, une politique climatique ambitieuse en France et en Europe pourrait paradoxalement augmenter les émissions mondiales de gaz à effet de serre (GES). Or, la nécessité de réduire fortement ces dernières ne fait aucun doute ; il est donc essentiel d’anticiper les scénarios qui mènent à ce résultat.

L’objectif national consistant à atteindre en 2050 un niveau nul d’émissions nettes2 de GES directement liées aux activités du territoire présuppose un coût du carbone beaucoup plus élevé qu’aujourd’hui. La commission dite Quinet II estime, pour sa part, qu’un tel objectif correspond à un coût de l’action pour le climat de 250 € par tonne de CO 2 en 2030. Ce coût ne sera pas uniquement atteint avec une tarification du carbone, les subventions et les normes joueront également un rôle important. Il est tout de même très nettement supérieur au prix du quota d’émission sur le marché du carbone – d’environ 25 € par tonne au début de 2020 –, et au taux de la taxe carbone française sur les combustibles – d’environ 45 € par tonne. Ces quelques chiffres suffisent à exprimer l’importance du changement qui s’annonce.

Certains préféreraient peut-être s’interroger sur la pertinence de cet objectif national de « zéro émission nette en 2050 », d’une part parce qu’il réclame des mesures plus coûteuses que celles qui permettraient des économies équivalentes dans d’autres territoires, y compris européens, et d’autre part parce qu’il n’inclut pas les « émissions importées », c’est-à-dire les émissions générées par la production des biens que nous importons. Le parti pris de cette note est au contraire de considérer ce choix politique comme une donnée et de s’interroger sur ses conséquences pour la compétitivité de l’industrie. Elle se concentre sur l’impact du marché européen des quotas d’émission dont le périmètre inclut l’essentiel des secteurs industriels à la fois fortement émetteurs de CO 2 et exposés à la concurrence extra-européenne, et sur la taxe carbone. Le chapitre 2 étudie l’impact sur la production industrielle, le profit, la balance commerciale et l’emploi d’un prix du carbone allant jusqu’à 100 €/tCO 2 . Le chapitre 3 développe ensuite une réflexion sur les mesures de soutien à la compétitivité ou de limitation des fuites de carbone qui pourraient accompagner la mise en place de cette tarification. Ces deux chapitres sont précédés par une brève présentation des principes généraux de la tarification du carbone et des mécanismes économiques associés.

  • 2. En faisant le solde des émissions nationales et de l’absorption dans les puits de carbone, qu’ils soient naturels (forêts, sols) ou artificiels (captage et stockage de CO2 dans le sous-sol). L’objectif de neutralité carbone en France se traduit pour l’industrie par une diminution de 81 % des émissions par rapport à 2015 selon la Stratégie Nationale Bas Carbone.

Chapitre 1

La tarification des émissions de carbone en France

Deux instruments de tarification du carbone coexistent en France

Un prix explicite du carbone est appliqué à la quasi-totalité de l’économie française au moyen de deux dispositifs réglementaires, l’un national et l’autre européen. La taxe carbone nationale est une composante, introduite en 2014, de la taxe intérieure de consommation sur les produits énergétiques. Son taux a été gelé à 44,60 € par tonne de CO 2 depuis le mouvement des gilets jaunes. Elle est intégrée au prix final de l’essence, du gazole, du fioul et du gaz naturel. Elle est ainsi payée par les particuliers et par les entreprises dont les installations ne sont pas soumises au système européen d’échange de quotas d’émission. À titre illustratif, elle représente environ 11 centimes d’euro par litre d’essence.

De son côté, le marché du carbone européen – Système d’échange de quotas d’émission (SEQE) ou Emissions Trading Scheme (ETS) en anglais – limite les émissions des installations industrielles grandes consommatrices d’énergie. Dans les faits, cela concerne la production et la transformation d’acier, d’aluminium et des autres métaux ferreux et non ferreux, le raffinage, une partie de la chimie, la production de ciment, de chaux, de verre, de céramique et de papier-carton. Le secteur de production d’électricité est également couvert par le dispositif, mais il est peu touché en France puisque l’électricité provient principalement de centrales nucléaires et hydrauliques, non émettrices de carbone. Tel n’est pas le cas dans d’autres pays européens comme l’Allemagne, où l’électricité est principalement produite à partir des sources d’énergie fossiles. Enfin, le marché couvre aussi les émissions du secteur aérien sur les vols intra-européens. Au total, ce périmètre représente environ 45 % des émissions européennes de gaz à effet de serre.

Comment fonctionne le marché du carbone européen ?

Le SEQE est conçu comme un système cap and trade . Le régulateur définit pour une période donnée – de 2013 à 2020 actuellement – un plafond d’émissions, cap en anglais. Il crée ensuite une quantité correspondante de quotas d’émission qui donnent droit à leur détenteur d’émettre une tonne de CO 2 . Ces quotas sont soit mis aux enchères soit distribués gratuitement ; nous reviendrons plus loin sur les modalités de cette allocation gratuite initiale. Chaque installation est ensuite libre d’utiliser les quotas reçus pour émettre du carbone, de les vendre à une autre entreprise qui émettra à sa place ou de les conserver pour une utilisation ultérieure, ce que l’on appelle le banking . Elle peut aussi acheter des quotas supplémentaires à d’autres entreprises pour émettre au-delà de son allocation initiale.

Il est important de comprendre que les échanges de quotas ne modifient pas le niveau global des émissions , qui reste déterminé par la quantité totale de quotas initialement distribués. Ces échanges ne font que déplacer à l’intérieur du marché européen les efforts de réduction des émissions, les vendeurs de quotas s’obligeant à les réaliser à la place des acheteurs. La fonction de ces échanges est donc d’aider à atteindre l’objectif global à moindre coût , puisque les vendeurs ne céderont leurs quotas que s’ils s’estiment capables de diminuer leurs émissions à un coût plus faible que le prix du marché, et à plus forte raison que celui d’une réduction équivalente de la part des acheteurs.

Le prix du quota d’émission est donc déterminé par le marché et varie constamment. Depuis le démarrage du marché, il n’a qu’épisodiquement dépassé 20 €/tCO 2 , stagnant même sous les 10 € de 2010 à 2018. S’il a fortement cru depuis, pour atteindre environ 25 €/tCO 2 en décembre 2019, il reste toutefois nettement inférieur au taux de la taxe carbone française et de la taxe équivalente que l’on trouve dans d’autres États membres (Tableau 1). Comment interpréter ces évolutions ?

 

Tableau 1 – Prix du carbone du système européen d’échanges de quotas d’émission et de taxes carbone nationales pour certains pays en Europe

Source : I4CE – Institute for Climate Economics (2017).

 

Dans un marché du carbone, le prix d’échange du quota révèle à chaque instant le coût marginal d’abattement d’une tonne supplémentaire de CO 2 supporté en moyenne par les entreprises concernées. Le prix observé de 2010 à 2018 indique donc que les émissions pouvaient en moyenne être réduites à un coût faible. La crise économique qui a démarré en 2008 et qui a durablement déprimé l’activité industrielle au cours des années suivantes en constitue la principale explication. La production industrielle européenne (UE 28) a en effet baissé de 11,6 % en volume entre 2005 et 20183. Combinée à la mise en place concomitante de subventions généreuses en faveur des énergies renouvelables, la diminution de la production a facilité l’atteinte du cap par les entreprises. Cela s’est traduit par un surplus de quotas échangeables sur le marché et, par conséquent, une diminution du prix de la tonne de carbone. Comme nous l’avons mentionné plus haut, les entreprises peuvent conserver leurs quotas pour une utilisation ultérieure. Pendant cette période, le prix était tellement bas qu’elles ont été nombreuses à accumuler des quotas jusqu’à dépasser le seuil des 2 milliards de quotas (soit 2 milliards de tonnes de CO 2 ) en 2013, ce qui correspond environ à l’allocation moyenne d’une année d’émissions pour les sites concernés.

Ce niveau de coût n’avait évidemment pas été anticipé par le régulateur lors de la définition du plan d’allocation des quotas au début des années 2010 ; il n’avait notamment pas été envisagé qu’une stagnation puisse s’installer pendant une grande partie de la décennie. Cet imprévu aurait pu justifier une réduction de la quantité de quotas distribués mais, faute de consensus politique au niveau européen, cette réforme n’a pas eu lieu. A contrario, l’augmentation récente du prix du quota reflète en partie l’anticipation par les acteurs d’une allocation totale de quotas plus restreinte pendant la nouvelle période4 qui débutera en 2021, et donc un coût d’abattement de la tonne supplémentaire de CO 2 plus élevé en moyenne en Europe.

Les émissions des installations fixes (sans l’aviation) couvertes par le marché du carbone ont diminué de 16,5 % entre 2005 et 20185. Pour la France, la réduction est même d’environ 26 %6. Si la crise économique de 2008-2009 et la stagnation de l’économie européenne ont contribué à cette évolution, le SEQE a également joué un rôle. Une étude de l’OCDE estime que, toutes choses égales par ailleurs, il a induit une diminution de 10 % des gaz à effet de serre régulés sur les deux premières phases de sa mise en place entre 2005 et 2012 (Dechezleprêtre et al ., 2018).

L’impact du prix du carbone sur les coûts de production

Que ce soit au moyen de la taxe carbone nationale ou du SEQE, la tarification d’une tonne de carbone induit une augmentation des coûts de production d’une entreprise par plusieurs canaux. Le premier correspond au coût direct de réduction des émissions que cette entreprise provoque. À cela s’ajoute un coût financier quand elle paye une taxe sur les émissions résiduelles ou quand elle achète des quotas aux enchères ou à d’autres entreprises sur le marché européen du carbone. Quand l’entreprise a bénéficié d’une allocation gratuite, ce coût se limite à l’achat de quotas supplémentaires si elle émet plus que son allocation initiale.

En fonction des conditions de marché, une partie de ces coûts est répercutée dans le prix de vente des produits, ce que les économistes appellent le pass-through . Cela crée un troisième canal : les acheteurs de ces produits, situés en aval de la chaîne de valeur, verront augmenter le coût de leurs intrants. Répercuter le prix du carbone dans les prix de vente est structurellement difficile pour les entreprises exposées à la concurrence internationale extra-européenne, notamment face à des unités de production localisées dans des régions où le prix du carbone est nul ou plus faible, lorsque le coût du transport international des produits est faible au regard de leur valeur.

En résumé, les entreprises les plus affectées par la tarification du carbone sont celles dont les émissions directes et indirectes sont les plus élevées et qui ne peuvent pas répercuter facilement le coût du carbone dans leur prix de vente. La Figure 1 positionne les secteurs d’activité7 manufacturiers français selon l’intensité de leurs échanges extra-européens et selon le coût de leurs émissions directes de gaz à effet de serre rapporté à leur valeur ajoutée (la méthode de calcul est précisée dans les notes du graphique). On remarque que, d’un secteur à l’autre, le coût du carbone représente actuellement entre 0,1 et 12,3 points de valeur ajoutée. Dans la nomenclature d’activités française (NAF) agrégée au niveau « division » (2 chiffres), les secteurs principalement soumis au SEQE représentent 37 % de la valeur ajoutée manufacturière8.

 

Figure 1 – Coût des émissions directes de gaz à effet de serre rapporté à la valeur ajoutée par secteur et intensité des échanges extra-UE par secteur manufacturier en France (2017)

Source : Eurostat, Air emissions accounts by NACE Rev. 2 activity.
Note : Les secteurs d’activité sont définis au niveau 2 de la nomenclature d’activités française (NAF). Les gaz à effet de serre pris en compte sont le CO2, CH4 et N2O (en CO2eq). Le coût des émissions directes est évalué en utilisant un prix du carbone de 25 € par tonne de CO2 (prix du quota en février 2020) pour les secteurs soumis au SEQE et un prix du carbone de 44,6 €/tCO2 (taxe carbone nationale en 2018) pour les autres. Ces calculs n’intègrent pas l’allocation de quotas gratuits. Les données sur les émissions, les exportations, les importations et le chiffre d’affaires sont issues d’Eurostat pour 2017 par secteur.

 

Les fuites de carbone

La concurrence extra-européenne induit potentiellement un déplacement d’une partie de la production dans des zones régulées par des politiques climatiques moins contraignantes ou une augmentation de la production des concurrents qui y sont localisés. Apparaissent alors des « fuites de carbone » ( carbon leakage ), à savoir une augmentation des émissions extra-européennes en réaction aux mesures de tarification. Il ne s’agit malheureusement pas d’un simple transfert d’émissions hors d’Europe, qui serait neutre d’un point de vue environnemental. Ce déplacement de la production augmente également le commerce international et donc les émissions du transport de marchandises. Par ailleurs, une politique climatique européenne contraignante entraîne une diminution de la demande de combustibles fossiles, et en conséquence une diminution de leurs prix. Ce prix plus faible induit à son tour une augmentation de leur consommation dans les pays moins régulés. Ces trois mécanismes concourent à dissiper une partie de l’impact environnemental de la politique climatique européenne, une partie seulement car la politique climatique européenne réduit bien les émissions pour la production qui reste en Europe. D’autant que la politique climatique européenne entraîne de l’innovation bas carbone et la diffusion internationale des technologies ainsi générées, contribuant ainsi à la diminution des émissions de gaz à effet de serre hors d’Europe.

Un nombre significatif d’études, qui ne sont pas spécifiques au SEQE, ont cherché à estimer le taux de fuite de carbone, défini comme le ratio entre l’augmentation des émissions dans le reste du monde sur la diminution des émissions dans la zone soumise à la politique climatique. Leurs résultats sont synthétisés par Branger et Quirion (2014) dans une méta-analyse de vingt-cinq études. Les estimations des taux de fuite sont comprises entre 5 et 25 %, avec une moyenne de 14 % pour les secteurs intensifs en énergie et exposés à la concurrence internationale, dans un scénario d’une réduction unilatérale de 20 % des émissions des producteurs européens. Cela signifie que la réduction des émissions en Europe est compensée par une augmentation environ sept fois plus faible des émissions dans le reste du monde, un taux de fuite que l’on peut juger limité, l’augmentation des émissions ne compensant pas le bénéfice environnemental de la mesure.

L’allocation gratuite des quotas d’émission

Jusqu’en 2012, la quasi-totalité des quotas était distribuée gratuitement aux installations, sur la base de leurs émissions historiques. Depuis 2013, les sites de production d’électricité, non confrontés à la concurrence internationale, doivent acheter leurs quotas aux enchères. Pour les autres secteurs, il est toujours possible d’obtenir des quotas gratuits dont la quantité varie selon leur exposition au risque de fuite de carbone.

En effet, les règles d’allocation des quotas gratuits reposent sur la notion, définie dans la législation européenne , de secteur « exposé à un risque de fuite de carbone », une notion qui recoupe en pratique celle de secteur fortement consommateur d’énergie et exposé à la concurrence internationale. Un secteur est considéré comme exposé à un risque « important » de fuite de carbone si au moins l’une des trois conditions suivantes est respectée : (i) les coûts induits (directs et indirects) par le prix du carbone représentent plus de 30 % de la valeur ajoutée, (ii) l’intensité des échanges extra-UE (définie comme la somme des exportations et des importations extra-UE rapportée à la somme du chiffre d’affaires et des importations extra-UE)9 est supérieure à 30 % ou (iii) les coûts induits par la tarification du carbone excèdent 5 % de la valeur ajoutée et l’intensité des échanges extra-UE est supérieure à 10 % (dans l’hypothèse faite dans la législation européenne d’un prix du carbone à 30 €/tCO 2 )10.

Concrètement, plus de la moitié des secteurs couverts par le SEQE sont aujourd’hui dans la liste des secteurs à risque important de fuite de carbone11 (il s’agit de la zone jaune dans le graphique ci-dessous). À ce titre, ils continuent de recevoir des quotas gratuits, à hauteur de 100 % du référentiel d’émissions défini pour leur type de produit. Ce référentiel est lui-même égal à la quantité moyenne de gaz à effet de serre émise par les 10 % des installations européennes les plus efficaces pour fabriquer une tonne de ce produit. Les autres secteurs couverts par le SEQE, ne figurant pas sur la liste des secteurs exposés à un risque important de fuite de carbone, continuent également de recevoir des quotas gratuits mais cette quantité va progressivement diminuer. Ils en ont reçu à hauteur de 80 % du référentiel en 2013 et cette proportion atteindra 30 % en 2020 puis 0 % en 2027. Un autre changement est à noter : jusqu’à présent, le référentiel par tonne produite était multiplié par le niveau historique d’activité de l’installation pour déterminer la quantité de quotas gratuits à allouer pendant toute la période. À partir de 2021, le marché entrant dans sa quatrième phase de fonctionnement, le volume de quotas gratuits sera actualisé en fonction du niveau réel de production de l’installation12.

Nous discuterons dans le troisième chapitre de l’impact de la gratuité des quotas, notamment sur les fuites de carbone.

 

Figure 2 – Coût des émissions directes et indirectes de gaz à effet de serre vs intensité des échanges extra-UE des secteurs soumis au SEQE

Sources : European Commission (2009)
Note : Les données sont issues de l’évaluation des risques de fuite de carbone des secteurs soumis au SEQE par la Commission européenne pour la période 2015-2019. Les secteurs sont définis au niveau 4 de la NACE (Nomenclature statistique des activités économiques dans la Communauté européenne) qui repose sur la classification des marchandises. Les règles de calcul fixées par la Commission européenne sont les suivantes : le coût des émissions directes est évalué en supposant un prix du carbone à 30 € par tonne de CO2 et une allocation de quotas gratuits couvrant 47 % des émissions directes pour tous les secteurs (Ellis et al., 2019). Le coût des émissions indirectes est calculé à partir de la consommation d’électricité du secteur multipliée par l’intensité carbone moyenne européenne (0,423 tCO2/MWh) et le prix du carbone (Ellis et al., 2019).

 

  • 3. Eurostat, données extraites le 19 février 2020. Indice de production en volume de l’industrie manufacturière. Données corrigées des effets de calendrier et non désaisonnalisées. https://ec.europa.eu/eurostat/fr/web/products-datasets/-/STS_INPR_A
  • 4. La réserve de stabilité du marché mise en place en 2015 permet de réduire l’excédent de quotas sur le marché. Des quotas détenus dans la réserve seront définitivement supprimés au-delà d’un certain seuil à partir de 2023.
  • 5. Données extraites du European Union Transaction Log. https://www.eea.europa.eu/data-and-maps/dashboards/emissions-trading-viewer-1. Consulté le 19 février 2020.
  • 6. Ibid.
  • 7. Les secteurs d’activité sont présentés ici au niveau agrégé de la division (2 chiffres) de la nomenclature d’activités française (NAF).
  • 8. Estimation des auteurs en considérant les secteurs de l’agroalimentaire, de la cokéfaction et du raffinage, de la métallurgie, de la fabrication de produits minéraux non métalliques, du papier et du carton et de la chimie soumis au SEQE.
  • 9. Parlement européen (2003), Directive 2003/87/CE du Parlement européen et du Conseil du 13 octobre 2003.
  • 10. Ces critères sont en vigueur pendant la phase 3 (2013-2020) du marché. Ceux-ci seront modifiés à partir de 2021 : un secteur sera considéré comme exposé à un risque important de fuite de carbone si le résultat de l’intensité des échanges extra-UE multipliée par l’intensité des émissions est supérieur à 0,2.
  • 11. 146 sur 236 secteurs (niveau 4 de la NACE) soumis au SEQE sont considérés comme à risque important de fuite de carbone. Source : Commission européenne (2014), Results of carbon leakage assessments for 2015-19 list (based on NACE Rev.2) as sent to the Climate Change Committee on 5 May 2014.
  • 12. Les quotas alloués par installation seront ajustés annuellement si la production augmente ou diminue de 15 % par rapport à une moyenne mobile constituée des deux années précédentes.
Chapitre 2

Les impacts du prix du carbone sur la compétitivité industrielle

Dans cette partie, nous synthétisons les résultats d’études portant sur l’ensemble du secteur manufacturier ou sur les secteurs industriels à la fois intensifs en énergie et exposés à la concurrence extra-européenne. Sont privilégiées les études économiques récentes ayant un périmètre européen ou français. Elles relèvent de deux méthodologies.

D’une part, les analyses dites ex post reposent sur des outils économétriques d’analyse de données. Leur avantage principal est de fournir des résultats – ici sur l’impact du prix du carbone – à partir de comportements observés. Leur inconvénient est qu’elles utilisent des données décrivant des comportements passés alors que notre objectif est de tirer des enseignements pour le futur. La lecture et l’exploitation de ces études appellent donc nécessairement des extrapolations.

D’autre part, l’approche ex ante mobilise des modèles de simulation, eux-mêmes construits à partir d’un modèle théorique de représentation de l’économie qui est ensuite calibré. Leur faiblesse principale est de reposer sur un grand nombre d’hypothèses. Leur avantage est de fournir une analyse plus complète de l’économie, en particulier certains bouclages macroéconomiques induits par la tarification du carbone.

La très grande majorité des études réalisées depuis une décennie relèvent de la première catégorie. En particulier, les études empiriques ex post sur l’impact du système européen d’échange de quotas d’émission (SEQE) sont relativement nombreuses et fournissent une base solide pour juger de l’effet du dispositif sur les entreprises européennes concernées pendant ses deux premières phases de fonctionnement.

Le marché européen du carbone n’a pas significativement pesé sur la compétitivité des entreprises concernées

La mise en place en 2005 du SEQE avait suscité une certaine inquiétude : les parties prenantes ainsi que certains observateurs redoutaient un impact défavorable sur la compétitivité des secteurs industriels soumis à ce mécanisme, situés en amont des chaînes de valeur et consommant beaucoup d’énergie, comme la sidérurgie, l’industrie de l’aluminium, l’industrie papetière, la chimie organique, etc. Les nombreuses évaluations ex post de ce marché (Tableau 2), qui permettent de juger de l’effet du dispositif pendant ses deux premières phases de fonctionnement, ne confirment pas les craintes initiales.

 

Tableau 2 – Synthèse des études analysées sur l’impact du marché européen du carbone sur la compétitivité

 

Aucune des études disponibles n’identifie d’impact statistiquement significatif sur le profit des entreprises régulées. À rebours de l’intuition la plus commune, la mise en place du SEQE a par ailleurs induit une légère augmentation de leur chiffre d’affaires, notamment dans le secteur électrique, dans les secteurs des produits minéraux non métalliques et dans la métallurgie (Dechezleprêtre et al., 2018). Nous reviendrons plus loin sur l’interprétation de ce résultat. La performance à l’exportation et la balance commerciale n’ont pas ou peu été affectées ; deux études récentes (Healy et al., 2018 ; Boutabba et Lardic, 2017) constatent toutefois une faible dégradation pour l’industrie sidérurgique et l’industrie cimentière.

Par ailleurs, le marché du carbone n’aurait pas eu un impact significatif ou a eu un impact très faible sur l’emploi dans les secteurs concernés. L’étude de Wagner et al. (2014) montre toutefois que cette absence d’effet moyen peut masquer des ajustements à un niveau plus désagrégé. À l’aide de données françaises, elle distingue l’évolution de l’emploi au niveau des installations et au niveau des entreprises. Rappelons en effet que le marché du carbone régule des installations : une même entreprise peut donc avoir des installations couvertes par le SEQE et d’autres qui ne le sont pas. Les auteurs de cette étude n’identifient pas d’effet sur l’emploi au niveau de l’entreprise pendant la deuxième phase du marché européen du carbone (entre 2008 et 2012) mais ils notent une diminution de 7 % au niveau des installations régulées, montrant qu’une réallocation des effectifs au sein des entreprises au profit des installations non régulées a permis d’amortir l’impact du marché du carbone. Pour mettre ces résultats en perspective, il est utile de rappeler que l’emploi de l’ensemble du secteur manufacturier a diminué, entre 2008 et 2012, de 10,5 %13. L’étude de Wagner et al. suggère que le marché du carbone n’a pas contribué à cette évolution.

Tous ces résultats indiquent donc que l’impact économique du SEQE sur les entreprises régulées a été jusqu’à présent très faible. Comment expliquer alors qu’il ait eu par ailleurs un réel impact sur les émissions, comme nous l’avons indiqué dans le premier chapitre ? Trois explications sont possibles. En premier lieu, les réductions ont été obtenues à un coût faible (notamment grâce à des solutions déjà disponibles), comme l’indique le faible niveau du prix du quota observé jusqu’en 2018. La deuxième explication tient au mode d’allocation des quotas : ils étaient intégralement gratuits jusqu’en 2012 et le sont très majoritairement restés après 2012 pour les entreprises exposées à la concurrence extra-européenne. En 2016, l’allocation gratuite de quotas couvrait ainsi 99 % des émissions de l’ensemble des installations industrielles françaises régulées14. Cette gratuité n’a pas d’effet sur le prix du carbone – qui reflète pour sa part le coût de la tonne évitée – ni sur le niveau des émissions mais elle évite aux entreprises l’achat de quotas aux enchères qui conduirait ainsi mécaniquement à un profit moins élevé que si elles n’étaient pas soumises au marché.

Cette gratuité ne saurait néanmoins expliquer l’augmentation du chiffre d’affaires des entreprises, puisqu’elle ne joue que sur leurs dépenses. C’est là qu’intervient la troisième explication : une partie des entreprises ont pu répercuter une partie du prix des quotas achetés aux enchères dans leur prix de vente. Cela concerne particulièrement le secteur électrique, non soumis à la concurrence extra-européenne. Fabra et Reguant (2014) ont ainsi estimé que 80 % du prix des quotas aurait été répercuté dans le prix de l’électricité en Espagne. Les secteurs exposés ont évidemment moins de latitude pour le faire mais ils ont pu en partie utiliser ce levier. De Bruyn et al. (2015) estiment ainsi que le pass-through aurait été de l’ordre de 20 à 40 % pour le ciment et de 55 à 85 % pour la sidérurgie.

Si les impacts économiques de court terme ont été limités, le SEQE a pu en revanche préparer les entreprises à un futur plus contraignant. Une étude indique en effet que le marché du carbone a conduit les entreprises régulées à augmenter de 10 % leurs dépôts de brevets portant sur des technologies bas carbone, entre 2005 et 2009 (Calel et Dechezleprêtre, 2016). Elles auraient ainsi interprété la mise en place de ce dispositif comme un signal de long terme sur les politiques climatiques dont la cohérence d’ensemble et la visibilité sont importantes pour orienter l’action des entreprises.

Quelques études sur l’effet du prix de l’énergie pointent également des effets économiques modestes

Les études évoquées au paragraphe précédent portent sur la partie de l’industrie directement couverte par le marché du carbone. Mais le prix du carbone peut également affecter les autres secteurs, comme nous venons de le voir, via l’augmentation induite du prix de l’énergie et des consommations intermédiaires vendues par les secteurs régulés. En France, ces autres secteurs sont également soumis depuis 2014 à la taxe carbone.

Nous analysons donc à présent une seconde famille d’études économétriques, portant cette fois sur l’impact des prix de l’énergie. L’intérêt de ces évaluations est double : d’une part, elles portent sur l’ensemble du secteur manufacturier et, d’autre part, elles fournissent des estimations d’élasticité-prix. En posant quelques hypothèses simples sur la relation entre le prix du carbone et le prix de l’énergie, leurs auteurs peuvent alors prédire les effets d’un prix du carbone plus élevé que celui qui a été observé jusqu’à présent sur le marché du carbone. Ces études, malheureusement, sont moins nombreuses.

Elles identifient des effets modestes sur la compétitivité et l’emploi. L’étude la plus récente vient d’être publiée par l’OCDE (Dussaux, 2020). À l’aide de données françaises, elle estime que doubler le taux actuel de la taxe carbone de 44,6 €/tCO2 – sans modification du coût de l’énergie pour les installations du périmètre du SEQE, et donc sans modification du prix du carbone qui y est appliqué – conduit à une augmentation de 4,3 % du coût moyen de l’énergie. À court terme, les secteurs les plus touchés négativement par cette hausse (en pourcentage des effectifs du secteur) sont les secteurs de la fabrication de produits métallurgiques de base, de produits alimentaires, de boissons, d’articles d’habillement, de matières plastiques, de machines et équipements et de fabrication des produits minéraux non métalliques. Ces effets restent toutefois modestes : environ 0,44 % des effectifs pour la fabrication de produits métallurgiques de base, le secteur le plus touché. En outre, à moyen terme, cet ajustement est sans effet statistiquement significatif sur l’emploi total de l’industrie manufacturière parce qu’il induit un redéploiement des salariés au profit des entreprises et des secteurs consommant moins d’énergie, ce qui suggère une substitution des productions. Par ailleurs, une étude de Marin et Vona (2019a) utilisant les mêmes données suggère des redéploiements entre établissements à l’intérieur des entreprises plus importants que ceux identifiés par Dussaux (2020) qui viendraient réduire l’impact sur l’emploi des entreprises. Une troisième contribution, de Hille et Möbius (2019), n’identifie pas d’effet d’une augmentation de 10 % du prix de l’énergie sur l’emploi manufacturier.

D’autres études exploitant des données internationales et examinant d’autres dimensions de la compétitivité confirment ces ordres de grandeur. Saussay et Sato (2018) estiment qu’une augmentation de 10 % du différentiel de prix de l’énergie entre deux pays accroît de 3,3 % les investissements directs à l’étranger dans le pays dont le prix est le plus faible. En Allemagne, Gerster et Lamp (2019) montrent que la diminution de 30 % du prix de l’électricité induite par l’exemption de la taxe finançant les énergies renouvelables, introduite pour protéger la compétitivité des entreprises, n’a pas eu d’effet significatif sur leurs performances à l’exportation ni sur leurs ventes. Sato et Dechezleprêtre (2015) estiment que la mise en place unilatérale d’une taxe carbone de 40 à 65 €/tCO2 diminuerait les exportations du pays de 0,2 %, l’effet étant deux fois plus important sur les secteurs intensifs en énergie. Dernière illustration, Marin et Vona (2019a) trouvent une diminution de 11 % des émissions de CO2 et de 1,7 % de la productivité totale des facteurs suite à une augmentation de 10 % du prix de l’énergie.

 

Tableau 3 – Synthèse des études analysées sur l’effet du prix de l’énergie sur la compétitivité industrielle

 

Les évaluations ex ante prédisent des impacts un peu plus importants

Les modèles macroéconomiques traitent rarement de la compétitivité industrielle aux niveaux désagrégés qui nous intéressent ici. Toutefois, une vague d’études a été observée depuis 2005, cinquante-sept d’entre elles ayant récemment fait l’objet d’une synthèse (Carbone et Rivers, 2017). Le nombre d’études disponibles a permis aux auteurs de calculer une moyenne statistique des résultats en définissant un scénario commun de référence, à savoir la mise en œuvre unilatérale d’une tarification carbone par un pays ou une coalition de pays – selon les études, l’Europe de l’Ouest, le Canada ou les États-Unis – diminuant de 20 % les émissions des secteurs exposés à la concurrence et intensifs en énergie (rappelons que le marché européen du carbone a jusqu’à présent réduit les émissions des secteurs concernés de 10 %, soit deux fois moins). Selon leurs calculs, ce scénario diminuerait dans ces secteurs l’emploi de 5 %, la production de 5 % et les exportations de 7 %15. Ces études sont relativement anciennes et leurs modèles n’ont pas été, depuis, recalibrés à l’aide des résultats des études ex post discutées précédemment.

Quelles leçons pour l’avenir ?

La base de connaissance constituée depuis quinze ans sur les ressorts de la compétitivité industrielle commence à être solide. Toutefois, l’utiliser pour en tirer des conjectures sur le futur demeure un exercice périlleux. Des résultats utiles pour la prospective proviennent des études ex post récentes portant sur le prix de l’énergie car elles permettent des projections sur des niveaux de prix du carbone plus élevés. Elles sont toutefois peu nombreuses et, surtout, ne prennent pas en compte des bouclages macroéconomiques pouvant impacter le reste de l’économie française : l’augmentation de l’activité des entreprises qui fournissent des solutions bas carbone aux entreprises et aux ménages16 et les effets économiques de la redistribution des recettes d’une taxe carbone. Enfin, elles fournissent des résultats toutes choses égales par ailleurs, et en particulier à mesures d’accompagnement inchangées par rapport à la situation actuelle, notamment une allocation gratuite de quotas pour les secteurs exposés à la concurrence internationale et une absence d’ajustement aux frontières.

Sur cette base encore ténue, on peut toutefois avancer qu’une augmentation du prix du carbone à des niveaux ne dépassant pas 100 €/tCO2 n’aurait pas un effet moyen très sensible sur la compétitivité industrielle, y compris pour la plupart des secteurs énergie-intensifs et exposés à la concurrence internationale et ce, dans un scénario dans lequel seraient maintenues les règles actuelles d’allocation des quotas et sans ajustement aux frontières. Les modalités de distribution des quotas (enchères ou allocation de quotas gratuits proportionnelle à la production courante) et les mesures d’accompagnement comme l’ajustement carbone aux frontières représentent des éléments importants pour préciser l’impact sur la compétitivité d’un prix du carbone plus élevé. Nous reviendrons plus loin sur les mesures d’accompagnement en discussion aujourd’hui.

Elle induirait toutefois des réallocations significatives de l’emploi à l’intérieur de l’industrie et des effets plus marqués pour quelques secteurs. Ensuite, les incertitudes nous semblent trop grandes pour prétendre décrire ce qu’il adviendra quand le prix de la tonne de CO2 dépassera le seuil de 100 €, ce qui sera a priori nécessaire pour atteindre la neutralité carbone en 2050. Et ce, d’autant que cela dépendra des efforts de nos partenaires commerciaux dans la lutte contre le changement climatique.

Encadré 1 – Impact et efficacité d’autres stratégies de décarbonation

Les politiques climatiques ne se limitent pas à des instruments créant des prix expli- cites du carbone via le marché du carbone et la taxe carbone. Le régulateur utilise également des subventions (à la rénovation énergétique des bâtiments, à l’achat de véhicules faiblement émetteurs…), des normes et des instruments informationnels qui, de manière plus indirecte, conduisent à un prix implicite du carbone. Malheureusement, les études peu nombreuses ne nous permettent d’évoquer que quelques cas particuliers, dans le secteur automobile. Ce secteur émet directe- ment peu d’émissions de CO2. Il consomme notamment de l’acier comme matières premières dont la production est fortement émettrice de CO2 et le véhicule est lui-même une source d’émissions de CO2. Nous abordons ici les normes qui impactent l’achat de véhicules.

Sur le marché automobile français, les acheteurs de véhicules neufs émettant moins de 137g de CO2 par kilomètre en 20201 reçoivent une subvention (le bonus) tandis que ceux qui achètent des véhicules au-delà du même seuil paient un malus, dont le montant dépend du niveau d’émission. Ce système était conçu pour être neutre d’un point de vue budgétaire mais il est apparu mal calibré, occasionnant un déficit public, et donc une subvention nette d’environ 500 millions d’euros en 2009 et en 2010. D’Haultfœuille, Givord et Boutin (2014) ont calculé que cette subvention avait induit en 2008 une augmentation de 13% des ventes de véhicules, plutôt au profit des fabricants français, mieux positionnés que leurs concurrents sur le segment des véhicules «bonussés». Ils ont en outre estimé que, en accroissant ainsi la taille du parc automobile français, cette injection d’argent public avait augmenté les émissions associées à la consommation de carburant et à la production des véhicules neufs par rapport au scénario de référence sans bonus-malus. Rappelons que ce système n’a été que transitoire puisque le bonus est maintenant réservé aux seuls véhicules électriques.

Ces dispositifs créent indirectement un prix du carbone que l’on peut tenter d’estimer d’au moins deux manières possibles. On compare d’abord l’achat d’un véhicule électrique neuf (moyennant un bonus de 6000€ actuellement en vigueur) et celui d’une grosse cylindrée émettant plus de 212 gCO2/km (moyennant un malus de 20000€). En supposant que le véhicule thermique émette 40t de CO2 sur son cycle de vie, le solde bonus-malus équivaut à 650€ par tonne de CO2 évitée2. Comparons maintenant l’achat de la même grosse cylindrée avec celui d’un véhicule classique, émettant 137 gCO2/km (donc sans bonus ni malus). Dans ce cas, le malus revient à 1429€ par tonne de CO2 évitée. Quel que soit le scénario contrefactuel que l’on se donne, les prix implicites induits par le système de bonus-malus sont donc bien plus élevés que le prix du carbone sur le marché des quotas et que la taxe carbone nationale. Toutefois, la finalité de ces dispositifs n’est pas uniquement d’obtenir une réduction des émissions à court terme. Il s’agit également de faire évoluer la structure de l’offre, d’encourager l’innovation afin de réduire les coûts futurs de la technologie.

En outre, la réglementation européenne impose aux constructeurs automobiles un seuil de 95gCO2/km en moyenne sur 95% de la flotte qu’ils mettent sur le marché communautaire, puis sur 100% à partir de 2021. La pénalité prévue par le dispositif s’élève à 95 € par véhicule et par gramme de CO2 au-dessus du seuil. Cet outil normatif a un effet incitatif important sur le comportement des constructeurs qui ont ajusté leur offre et proposé de nouveaux modèles. Évaluer les effets sur la compétitivité de ces approches alternatives à la tarification du carbone apparaît comme une priorité pour l’avenir.

1. Barème du malus écologique au 1er mars 2020 basé sur le cycle d’homologation WLTP.

2. Calculs réalisés à partir de chiffres cités et de la méthode utilisée dans l’intervention de Christian Gollier lors du colloque « L’automobiliste doit-il payer pour la transition écologique ? », CCFA – Les Rencontres de Presbourg du 4 décembre 2019.

  • 13. Calculs réalisés à partir des données EU KLEMS.
  • 14. Ministère de la Transition écologique et solidaire, «Marchés du carbone». https://www.ecologique-solidaire.gouv.fr/ marches-du-carbone. Site consulté le 26 février 2020.
  • 15. Chateau et al. (2018) modélisent un équilibre général portant sur de nombreux pays et couvrant toute l’économie avec un bouclage macroéconomique. Leur étude montre que malgré des impacts importants sur certains secteurs spécifiques, l’impact global sur l’emploi des politiques bas carbone est généralement faible et positif (compte tenu des objectifs de réduction des émissions de carbone considérés et des hypothèses faites de l’utilisation des revenus de la taxe carbone).
  • 16. Par exemple, si les recettes liées à la vente de quotas ou à la taxe carbone sont investies dans la transition énergétique et permettent de créer des emplois dans ces filières.
Chapitre 3

Limiter les fuites de carbone

La meilleure façon de mettre fin aux fuites de carbone serait bien sûr d’obtenir un accord mondial en vertu duquel le coût marginal d’émission de dioxyde de carbone serait le même pour tous les émetteurs. Dans le monde d’aujourd’hui, cela semble utopique pour diverses raisons – politiques, économiques et institutionnelles. Ce chapitre passe en revue quelques options qui restent possibles pour diminuer les émissions européennes tout en limitant les fuites de carbone hors d’Europe : des ajustements unilatéraux à la frontière pour le carbone, d’une part, et des mesures internes de réduction des coûts, d’autre part, telles que l’attribution gratuite de quotas carbone, des crédits d’impôt ou encore des subventions à l’innovation bas carbone.

Le mécanisme d’ajustement aux frontières

L’ajustement aux frontières de l’Union est aujourd’hui au centre de l’attention depuis que la nouvelle présidente de la Commission européenne, Ursula von der Leyen, a promis au Parlement européen en juin 2019 de travailler à sa mise en place. Cette promesse s’ajoute au souhait de la Commission européenne d’atteindre la neutralité carbone en 2050 et de renforcer les objectifs de réduction des émissions de gaz à effet de serre à l’horizon 2030.

Son principe général est d’appliquer un prix du carbone aux importations de biens produits dans des pays tiers, prix lui-même calculé en fonction du niveau de tarification du carbone dans ces derniers17. Il pourrait dans un premier temps s’appliquer aux secteurs couverts par le système européen de quotas exposés à la concurrence internationale. Le terme générique de « taxe carbone aux frontières » désigne en réalité deux instruments possibles.

Le premier est une taxe stricto sensu sur le contenu en carbone des produits importés, combinée éventuellement à une détaxation des exportations des entreprises européennes à destination des pays tiers. Le second est une obligation pour les importateurs d’acheter des quotas sur le marché européen. Symétriquement, les exportateurs pourraient vendre leurs quotas correspondant aux volumes exportés dans les pays tiers. Ce dispositif est identifié dans la législation européenne sous la dénomination de « mécanisme d’inclusion carbone » (MIC).

Du point de vue des mécanismes économiques qu’ils mettent en jeu, les deux instruments sont très similaires : il s’agit dans les deux cas de faire payer aux importateurs le différentiel de coût entre le carbone importé et son équivalent émis localement. Dans le contexte européen, ils ont toutefois des implications institutionnelles différentes. Une taxe sur le contenu en carbone des produits importés relève de la politique fiscale de l’Union et requiert à ce titre l’unanimité des États membres pour être adoptée alors que le MIC s’inscrit dans le dispositif du marché du carbone. En effet, sur proposition du gouvernement français de l’époque, la directive européenne de 2009 sur le marché du carbone envisageait déjà la mise en place d’un MIC comme alternative à l’allocation de quotas gratuits aux secteurs exposés à la concurrence internationale : « Une autre solution consisterait à introduire un système efficace de péréquation pour le carbone afin de mettre sur un pied d’égalité les installations situées dans la Communauté présentant un risque important de fuite de carbone et les installations des pays tiers. Un système de ce type pourrait imposer aux importateurs des exigences qui ne seraient pas moins favorables que celles applicables aux installations de l’Union, par exemple en imposant la restitution de quotas18. »

Un instrument compliqué à paramétrer

En théorie, l’ajustement aux frontières doit traiter sur un pied d’égalité les importateurs et les producteurs européens, de sorte qu’ils paient le même prix pour une quantité de carbone émise en Europe ou dans le pays d’origine de l’import. L’idéal théorique est donc un tarif, calculé comme le produit d’un prix du carbone et d’une assiette – autrement dit d’un « contenu en carbone ». Le prix doit être égal à la différence de prix constatée entre l’Europe et le pays d’origine du bien. Cette différence est spécifique à chaque pays d’origine, voire à chaque région, puisque, dans un pays comme les États-Unis, il n’existe un marché du carbone que dans certains États. Cette différence a par ailleurs vocation à varier dans le temps pour s’ajuster à des prix qui, à l’image du marché du carbone européen, peuvent être très volatils. À cela s’ajoute une exigence supplémentaire pour les nombreux pays qui n’ont pas de prix explicite du carbone, c’est-à-dire pas de taxe carbone ni de marché de permis, mais des normes ou des subventions créant des prix implicites beaucoup moins faciles à observer pour le régulateur européen.

Toujours en théorie, l’assiette de ce tarif doit être le contenu en carbone de chaque produit, c’est-à-dire la quantité de carbone émise par l’installation industrielle qui l’a fabriqué. Là aussi, la mise en œuvre peut s’avérer compliquée puisque chaque producteur a une performance carbone spécifique pouvant justifier des assiettes individualisées. Se pose également la question de la prise en compte des émissions indirectes, notamment celles contenues dans l’électricité consommée par le producteur.

Dans la pratique, et dans un souci de faisabilité, seraient vraisemblablement appliqués des prix fixés administrativement et des assiettes calculées sur la base d’estimations standardisées du contenu en carbone19 – sauf à imaginer des dispositifs sophistiqués de traçabilité des émissions dans les chaînes de valeur dont la mise en œuvre serait discutable et discutée. Au niveau national, des réflexions sont en cours pour définir une valeur par défaut de l’intensité carbone des produits importés20. De grandes entreprises réalisent en parallèle des analyses de cycle de vie de leurs produits pour évaluer leur contenu en carbone.

En tout état cause, la mise en œuvre pratique du dispositif suppose des simplifications qui ont de multiples conséquences, comme nous allons le voir.

Un instrument compatible avec les règles de l’OMC sous des conditions strictes

La première de ces conséquences tient à la compatibilité de cet ajustement avec les règles de l’Organisation mondiale du commerce. En théorie, il est compatible : un rapport publié par l’OMC et le Programme des Nations unies pour l’environnement (PNUE) l’a rappelé en 2009 : « La jurisprudence de l’OMC a confirmé que les règles de l’OMC ne l’emportent pas sur les prescriptions environnementales […]. Une mesure à la frontière liée au changement climatique pourrait être justifiée […] au titre des exceptions générales prévues à l’article XX du GATT. »

Mais le rapport insistait sur deux conditions : « justifier clairement lesdites mesures (c’est-à-dire comment évaluer précisément la fuite de carbone et la perte de compétitivité) ; […] déterminer un prix “équitable” pour les produits importés afin de tenir compte du coût, au niveau national, du respect du système d’échange de droits d’émission ».

En d’autres termes, le respect des règles de l’OMC exige un paramétrage de l’instrument ne créant pas de distorsion de la concurrence au détriment des importateurs. En la matière, le diable est dans les détails et un mécanisme d’ajustement rendu concevable grâce à des hypothèses et des benchmarks, forcément conventionnels, serait confronté à un risque juridique ouvrant la voie à la contestation de la mesure (Weber, 2015)21. Une analyse approfondie de la compatibilité des différentes options avec les règles de l’OMC est donc nécessaire.

Un instrument qui diminuerait de moitié les fuites de carbone

D’après la méta-analyse de Branger et Quirion (2014)22 déjà évoquée dans le premier chapitre, le taux de fuite de carbone passerait de 14 % en moyenne sans ajustement aux frontières à 6 % avec ajustement, pour les secteurs intensifs en énergie et exposés à la concurrence internationale et dans un scénario de réduction unilatérale de 20 % des émissions des producteurs européens23.

Le fait que l’ajustement ne réduise que partiellement les fuites de carbone peut paraître décevant. Cela résulte de plusieurs facteurs. En premier lieu, l’ajustement ne soumet pas l’ensemble des émissions des concurrents extra-européens au même régime réglementaire que celui qui est en vigueur en Europe ; il ne fait que taxer la fraction de leur production exportée vers l’Europe. L’effet sur leurs coûts de production est donc moindre que celui d’une politique domestique ciblant toutes les émissions dans le pays concerné. De ce fait, un producteur extra-européen conserve un avantage concurrentiel dans les marchés tiers, à moins que les exportations extra-européennes ne soient « détaxées ». En second lieu, la simplification du mode de calcul du contenu en carbone érode l’incitation des entreprises extra-européennes à réduire leurs émissions. En effet, si l’assiette ne prend pas en compte les émissions individuelles de la firme étrangère exportatrice mais seulement des émissions moyennes de référence, cette dernière n’a aucune incitation à les réduire puisque le coût de l’ajustement auquel elle sera confrontée ne changera pas2425. Le même raisonnement s’applique à l’importateur de biens en Europe qui n’a aucune incitation à importer des produits ayant un contenu en carbone moins élevé que la valeur de référence.

De manière cohérente avec ces résultats, les quelques études évaluant l’impact d’un ajustement aux frontières sur la production montrent qu’il ne compenserait pas totalement leur perte de production. Par exemple, Böhringer et al. (2012)26 estiment que la perte de production des secteurs énergie-intensifs et exposés à la concurrence internationale passerait de 2,8 % sans ajustement aux frontières à environ 1 % avec ajustement aux frontières et exemptions sur les exportations, pour un objectif de réduction des émissions de carbone de 20 % par rapport aux émissions de 200427.

Un instrument à inscrire dans les négociations internationales

Si l’ajustement carbone aux frontières crée peu ou pas d’incitation au niveau des entreprises, il encourage toutefois les gouvernements des pays d’exportation à mettre en place des solutions pour réduire leurs émissions domestiques, notamment via l’instauration d’un prix du carbone. En effet, ces politiques domestiques viendront réduire l’ampleur de l’ajustement, soit en rapprochant les prix du carbone constatés dans l’Union européenne et dans le pays d’origine du bien, soit en diminuant la teneur en carbone du bien en question.

L’instrument peut alors s’inscrire dans un processus de négociation internationale, afin de réduire l’asymétrie des engagements nationaux pris dans le cadre de l’Accord de Paris (les NDC pour Nationally Determined Contributions). Cette stratégie conduira-t-elle nos partenaires commerciaux à prendre des engagements significatifs ? Ou, au contraire, peut-elle être perçue comme une menace et crisper les pays concernés, limitant ainsi les chances d’un accord et créant des conflits commerciaux ? C’est la crainte du second scénario qui avait conduit les États membres les plus libres-échangistes, l’Allemagne au premier chef, à s’opposer au mécanisme d’inclusion carbone (MIC) pourtant rendu possible par la Directive du SEQE de 2009, au profit des quotas gratuits. Cette réticence subsiste aujourd’hui, dans un contexte rendu plus inflammable par les conflits commerciaux initiés par les États-Unis. À ce sujet, on peut se rappeler du conflit créé en 2012 avec la Chine et les États-Unis, quand l’Union européenne a tenté d’inclure les vols internationaux dans le marché européen du carbone.

Un instrument plus efficace que l’allocation gratuite de quotas pour réduire les fuites de carbone

Jusqu’à présent, l’Union a donc eu recours à l’allocation gratuite de quotas pour protéger ses secteurs les plus exposés. Ce choix a d’abord été déterminé par des considérations juridiques, institutionnelles et politiques. C’est en effet une approche très simple et sans risque – puisqu’elle porte sur le paramétrage d’un outil de la politique climatique en vigueur –, ne ciblant directement que les émetteurs de carbone européens. Son impact économique est toutefois ambigu.

Comparée à une mise aux enchères, l’allocation gratuite de quotas préserve indubitablement le profit des entreprises régulées par le marché du carbone en leur évitant l’achat initial de quotas. L’étude de Dechezleprêtre et al. (2018) citée précédemment montre même qu’une allocation généreuse aurait permis à certains secteurs d’augmenter leur profit par rapport au statu quo.

En revanche, et contrairement à un ajustement aux frontières, les quotas gratuits (alloués sur la base d’une production de référence et non de la production réelle) découragent peu, voire pas du tout, la délocalisation de la production vers les pays à faible contrainte carbone. C’était particulièrement vrai jusqu’en 2020, puisque les entreprises qui optaient pour cette stratégie pouvaient revendre leurs quotas (établis en fonction d’un niveau de production historique) puis réimporter leur production délocalisée sans avoir à acquitter la différence de prix du carbone avec ces pays. Au final, l’allocation de quotas gratuits apparaît donc comme un instrument moins efficace que l’ajustement aux frontières pour réduire les émissions (Monjon et Quirion, 2011).

Comme le montrent Monjon et Quirion (2011), l’allocation des quotas gratuits en fonction de la production courante des installations, qui entre en vigueur dès 2021, vient répondre à cette défaillance, réduisant d’autant l’intérêt à délocaliser la production hors d’Europe. Toutefois, en se concentrant sur les secteurs de production d’électricité, d’acier, de ciment et d’aluminium, Monjon et Quirion montrent que l’ajustement carbone aux frontières reste plus efficace pour empêcher les fuites de carbone. Il décourage en effet la consommation en Europe de produits ayant un contenu élevé en carbone, ce que la deuxième mesure ne permet pas.

Les propositions du gouvernement français

Comme suite à l’engagement pris par Ursula von der Leyen en 2019, les autorités françaises réfléchissent aux différentes options d’un mécanisme d’inclusion carbone (MIC), tel qu’il est rendu possible par la directive européenne de 2009 sur le système européen d’échange de quotas d’émission. Il concernerait dans un premier temps les secteurs de l’acier et du ciment, qui représentent 39 % des émissions des secteurs exposés à un risque de fuite de carbone28.

Le MIC pourrait contraindre les importateurs d’acier et de ciment à acheter des quotas sur le marché européen du carbone (ou des quotas spécifiques). Une valeur par défaut de l’intensité carbone des importations serait définie pour déterminer le nombre de quotas à acheter par l’importateur. Celle-ci pourrait être égale à l’intensité moyenne des produits européens similaires, ou à l’intensité du produit fabriqué par les entreprises européennes les plus émettrices, ou encore à l’intensité moyenne mondiale du secteur29. Si l’importateur prouve que le contenu en carbone de ses biens importés est plus faible, la valeur de référence serait alors actualisée à son profit.

Si ce MIC est mis en œuvre, il augmentera les coûts de production des entreprises situées en aval de la chaîne de valeur qui, sans être couvertes par le marché de quotas, utilisent l’acier et le ciment comme intrants dans leurs processus de fabrication. Ces secteurs subiraient une perte de compétitivité sur le marché européen et les marchés extra-européens. Des études d’impact supplémentaires sont nécessaires pour en apprécier l’ampleur ; des réflexions sont par ailleurs en cours pour imaginer des mécanismes de compensation appropriés.

Cette position française n’est pas nécessairement celle des autres États membres, ce n’est notamment pas celle de l’Allemagne, qui craint que le MIC puisse déclencher des conflits commerciaux néfastes pour les entreprises exportatrices du pays. Les chambres de commerce et le patronat allemands, en particulier, sont très opposés à cette idée30.

Des options alternatives à l’ajustement aux frontières à approfondir

Depuis l’engagement de la présidente de la Commission en juillet 2019 à travailler sur l’ajustement aux frontières, la discussion en Europe se concentre principalement sur cette option. Il existe pourtant d’autres instruments qui peuvent remplir la même fonction. L’un d’eux consiste à taxer en aval la consommation de certains matériaux dont la production émet beaucoup de carbone (tel l’acier, le plastique, le papier, le ciment). L’assiette serait calculée à partir de leur empreinte carbone. L’un des avantages de cette stratégie est de tarifer l’ensemble des quantités vendues en Europe, qu’elles soient produites dans ou hors de l’Union européenne. Elle serait donc plus aisément compatible avec les règles de l’OMC. Böhringer et al. (2015) montrent que sa combinaison avec une allocation de quotas gratuits basée sur la production courante, telle qu’il est prévu à partir de 2021, aurait des effets sur la production et les fuites de carbone équivalents à ceux d’un ajustement carbone aux frontières. Neuhoff et al. (2016) propose une variante dans laquelle l’achat de ces matériaux serait, à l’image du MIC, incluse dans le marché du carbone.

Le soutien public à l’innovation bas carbone des entreprises

Environ 4,6 milliards d’euros de dépenses budgétaires et fiscales en 2019

La France et l’Union européenne peuvent également soutenir l’innovation verte pour modérer le coût des politiques climatiques nationales et européennes et fournir des opportunités à l’exportation. L’effort public soutenant l’innovation bas carbone des entreprises est déjà important en France : nous en estimons le montant à environ 4,6 milliards d’euros en 201931. Ce total intègre les dépenses pré-affectées à la transition écologique dans le cadre du Grand plan d’investissement, mis en œuvre sur la période du quinquennat, et dont un tiers est affecté à l’enjeu de la neutralité carbone, soit environ 4 milliards d’euros par an. Il intègre également 10 % du crédit d’impôt recherche qui, dans la pratique, subventionne des dépenses privées de R&D visant à lutter contre le changement climatique32, ce qui correspond à environ 600 millions d’euros.

Un dispositif qui semble aujourd’hui cohérent et complémentaire de la tarification du carbone

Il est difficile d’évaluer avec rigueur si ces montants sont à la hauteur des besoins. C’est toutefois un niveau d’effort public significatif. Globalement, l’État consacre au thème du climat environ le quart de son effort budgétaire de soutien à l’innovation privée33. Autre indice : en se limitant aux seules dépenses de R&D publiques consacrées à l’énergie bas carbone (énergies renouvelables, capture et stockage de CO2, énergie nucléaire, efficacité énergétique) recueillies par l’Agence internationale de l’énergie, la France fait nettement plus que d’autres pays européens.

Est-ce pour autant efficace ? Là non plus, il n’existe pas d’étude apportant une réponse définitive à cette question mais un faisceau d’indices plaide pour une réponse affirmative. Tout d’abord, de nombreuses études étrangères montrent que le soutien public à l’innovation privée fonctionne, que ce soit sous forme de crédit d’impôt ou de subventions ciblées (Bloom et al., 2019). La Commission nationale d’évaluation des politiques d’innovation (CNEPI) a récemment commandité trois études académiques pour étudier l’impact du crédit d’impôt recherche34. Ces études montrent notamment qu’un euro de crédit d’impôt recherche entraîne approximativement un euro supplémentaire de R&D de la part des entreprises bénéficiaires.

En outre, les statistiques sur les dépôts de brevets suggèrent que la France a plus intensément réorienté son effort d’innovation vers les technologies bas carbone que d’autres pays développés depuis les années 2000. La figure 3 montre ainsi qu’elle est aujourd’hui nettement plus spécialisée dans l’innovation bas carbone que la moyenne de l’OCDE, la part des inventions bas carbone dans le total des inventions nationales y étant supérieure d’environ 2 points. Elle représente aujourd’hui 6 % des inventions bas carbone brevetées au niveau mondial35, soit nettement plus que son poids économique (3 % du PIB mondial).

Il est toutefois nécessaire de souligner que ces soutiens ne profitent souvent qu’indirectement aux entreprises soumises à des risques de perte de compétitivité et à la tarification des émissions de carbone. Ces innovations sont en effet davantage développées par leurs fournisseurs, en particulier les fournisseurs d’équipements : par exemple par des fabricants d’éoliennes et non par les entreprises électro-intensives elles-mêmes.

 

Figure 3 – Évolution des inventions bas carbone en pourcentage du nombre total des inventions brevetées en France et dans l’ensemble de l’OCDE

Source : Calculs des auteurs à partir des données PATSTAT.

 

Les politiques de formation

Si les évaluations discutées plus haut évoquent des impacts limités sur l’emploi total, elles annoncent des réallocations de main d’œuvre entre entreprises et entre secteurs, au profit notamment des entreprises ou activités les plus performantes en matière de consommation d’énergie. L’analyse de Marin et Vona (2019b), portant sur quatorze pays européens et quinze secteurs industriels, suggère que ces transferts s’accompagneront d’une évolution marquée des compétences. En effet, ils estiment que l’augmentation de près de 75 % du prix de l’énergie observée sur la période 1995-2011 a contribué à hauteur de 9 à 17 % à l’augmentation de la part des techniciens dans la main d’œuvre industrielle et de 4 à 8 % à la diminution de la part des ouvriers36. D’autres études sur données américaines suggèrent de même que la transition écologique exige un renforcement des compétences techniques et est défavorable aux salariés les moins qualifiés (Vona et al., 2018 ; Chateau et al. 2018). Cet effet différencié par niveau de qualification suggère que, pour accélérer la transition écologique à coût économique inchangé, il peut être efficace d’orienter l’effort de formation en direction des employés les moins qualifiés.

  • 17. European Commission (2020).
  • 18. Parlement européen (2009), Directive 2009/29/CE du Parlement européen et du Conseil du 23 avril 2009 modifiant la directive 2003/87/CE afin d’améliorer et d’étendre le système communautaire d’échange de quotas d’émission de gaz à effet de serre. https://eur-lex.europa.eu/legal-content/FR/TXT/PDF/?uri=CELEX:32009L0029&from=EN
  • 19. Par exemple le référentiel utilisé dans le cadre du marché du carbone.
  • 20. DGE (2019), « Réflexions autour du mécanisme d’inclusion carbone », Note d’octobre 2019.
  • 21. Monjon et Quirion (2011) discutent les moyens disponibles pour limiter ce risque.
  • 22. Cette étude ne porte pas seulement sur le périmètre des installations soumises au marché du carbone.
  • 23. La mise en place d’exemption aux exportations et l’inclusion de tous les secteurs diminuent davantage le taux de fuite carbone selon cette même étude (diminution de 4 points de pourcentage du taux de fuite carbone pour chaque option).
  • 24. En revanche, les États de ces entreprises productrices et exportatrices sont de ce fait incités à mettre en place des normes plus contraignantes. Nous reviendrons plus loin sur ce point.
  • 25. Un scénario évoqué plus bas serait d’appliquer la moyenne des émissions européennes ou la moyenne des émissions des installations les moins efficaces au contenu en carbone du produit importé. Ce forfait serait ajusté pour les importateurs qui peuvent prouver que le contenu en carbone de leurs produits est inférieur.
  • 26. L’étude de Böhringer et al. (2012) analyse plusieurs modèles qui couvrent les secteurs de la production d’énergie, de la chimie, des minéraux non métalliques, du fer, de l’acier, des métaux non ferreux et du transport. Les pays étudiés sont les pays industrialisés de l’Annexe 1 du protocole de Kyoto ainsi que la Chine, l’Inde, les pays exportateurs d’énergie, les autres pays à moyen et bas revenus.
  • 27. Comme indiqué dans le paragraphe sur les fuites de carbone, ce résidu s’explique en partie par une diminution de la demande en combustibles fossiles, donc de leurs prix, entraînant une augmentation de leur consommation dans les pays moins régulés et une baisse de la demande en biens ayant un contenu en carbone élevé.
  • 28. DGE (2019), « Réflexions autour du mécanisme d’inclusion carbone », Note d’octobre 2019.
  • 29. Ibid.
  • 30. En parallèle, notons que des scénarios alternatifs cherchent à pallier certains inconvénients des systèmes évoqués ci-dessus ainsi, pour éviter de différencier le prix du carbone appliqué à chaque pays exportateur, une solution consisteraità taxer au niveau européen le carbone importé, à charge pour l’importateur de demander à son pays de lui restituer d’éventuelles taxes CO2 qu’il y aurait payées (comme le feront les exportateurs européens). C’est le schéma utilisé pour la TVA (payée dans le pays de consommation et remboursée au pays de production).
  • 31. Ce montant est estimé en additionnant une dépense fiscale et une dépense extrabudgétaire.
  • 32. Ministre de la Transition écologique et solidaire (2019), Lutte contre le changement climatique, Document de politique transversale. Projet de loi de finances pour 2019.
  • 33. L’effort budgétaire de soutien à l’innovation privée est estimé ici en ajoutant le montant du Grand plan d’investissement alloué pour un an au montant du crédit d’impôt recherche. Cela correspond à 11,4Mds€ du Grand Plan d’Investissement (dont le total pour 5 ans est de 57 Mds€) ajoutés aux 6,2 Mds€ du crédit d’impôt recherche en 2019. Source : Ministre de la Transition écologique et solidaire (2019).
  • 34. France Stratégie (2019), L’Impact du crédit d’impôt recherche, Avis de la Commission nationale d’évaluation des politiques d’innovation. Évaluation. Mars 2019. De nouvelles études en cours vont compléter ces résultats.
  • 35. Il s’agit ici des inventions dites à haute valeur définies comme celles brevetées dans au moins deux offices de brevet. Ces statistiques ont été estimées par les auteurs à l’aide des données PATSTAT.
  • 36. Marin et al. (2019b).

Conclusion

Pour atteindre la neutralité carbone visée par la France en 2050, des politiques climatiques ambitieuses vont devoir être mises en œuvre. À plus ou moins long terme, l’augmentation du prix du carbone apparaît notamment inévitable. Cela suscite logiquement des inquiétudes sur la compétitivité des entreprises industrielles.

Une littérature économique robuste quantifiant l’impact de la taxe carbone et du marché européen des quotas sur l’emploi, le profit, l’innovation et les échanges commerciaux des entreprises industrielles est maintenant disponible. Elle fournit les réponses suivantes. La tarification du carbone, déjà en place avec un prix explicite d’environ 25 €/tCO2 pour les secteurs fortement consommateurs d’énergie et de 45 €/tCO2 pour les autres secteurs, n’a pas eu jusqu’à présent d’effet significatif sur la compétitivité industrielle. Les fuites de carbone sont également restées limitées. La seule réponse clairement identifiée est favorable : il s’agit d’une hausse de l’innovation bas carbone par les entreprises couvertes par le SEQE (Système d’échange de quotas d’émission). Ces études, notamment celles qui portent sur l’impact du prix de l’énergie, suggèrent par extrapolation que les impacts resteront modestes tant que le prix du carbone sera inférieur à 100 €. Au-delà de ce seuil, les incertitudes sont aujourd’hui trop grandes pour pouvoir décrire les effets induits par la tarification.

Ces résultats présentent plusieurs limites. D’une part, ils ignorent les effets a priori positifs des bouclages macroéconomiques, de l’usage qui serait fait des recettes de la taxe, de la réduction des coûts induite par l’innovation et des effets d’apprentissage. Ces évaluations ne peuvent pas non plus apprécier les effets économiques indirects de la transition énergétique (nouveaux marchés, pertes évitées de capital naturel et de services écosystémiques…).

Outre le marché européen des quotas et la taxe carbone sur les émissions diffuses de CO2, les entreprises sont soumises à des contraintes réglementaires et des taxes sur l’énergie (TICPE, CSPE) ou bénéficient au contraire directement ou indirectement de subventions publiques qui contribuent fortement à la réduction des émissions de CO2. Leur effet n’a pas été examiné dans cette note ; c’est une question importante à traiter dans le futur. Et l’exercice sera difficile, notamment parce que ces normes, taxes et subventions ont des effets hétérogènes sur la compétitivité selon les secteurs. Dans le secteur automobile par exemple, les constructeurs ont pour obligation d’atteindre le seuil moyen de 95 gCO2/km sur leur flotte vendue en Europe à partir de 2020. Cette contrainte contribue fortement à la réorientation de la stratégie des constructeurs vers le véhicule électrique, entraînant une transformation importante de la chaîne de valeur et des emplois.

Des mécanismes d’ajustement carbone aux frontières sont envisagés pour préserver la compétitivité des industriels européens face à des concurrents qui ne sont pas soumis aux mêmes contraintes climatiques et, par la même occasion, pour limiter les fuites de carbone. La discussion porte en particulier sur le mécanisme d’inclusion carbone (MIC), un système articulé au SEQE rendant obligatoire l’achat de quotas par les importateurs de certains biens intermédiaires produits en amont des chaînes de valeur. Cela pourrait concerner dans un premier temps l’acier et le ciment. Il s’agit d’un outil pertinent dans son principe puisqu’il vise à soumettre les biens vendus en Europe au même prix du carbone, même s’ils sont importés de pays ayant une contrainte climatique plus faible. Il est en outre compatible avec les règles de l’OMC s’il est paramétré de manière adéquate. Il est toutefois compliqué de connaître précisément l’empreinte carbone des produits manufacturés qui intègrent de nombreux composants. Enfin, et surtout, cet outil nécessite un accord européen : certains pays comme l’Allemagne s’y opposent, craignant qu’il ne déclenche des conflits commerciaux, d’autres rappellent que la TVA et le règlement REACH ont pu être mis en place avec succès37 en dépit de premières réserves analogues.

N’oublions pas enfin qu’il existe une concurrence intra-européenne et que les politiques climatiques nationales sont encore hétérogènes, justifiant une réflexion commune qui n’est qu’à peine entamée.

  • 37. La TVA est perçue dans le pays d’importation sur l’ensemble de la valeur du bien ou produit importé et récupérée à son taux dans le pays d’importation, et déduite dans le pays d’exportation sur cette même valeur au niveau de son taux d’exportation. L’importateur n’a donc pas à se préoccuper des taux prélevés (puis remboursés) par le pays d’origine. Le règlement REACH contraint des entreprises même de petite taille à une traçabilité complète de certaines substances, ce qui était considéré comme d’une complexité rédhibitoire par les industriels concernés, mais a été mis en place avec succès.

Limiter notre empreinte carbone au nom des générations futures – Point de vue

Pour la CFE-CGC Métallurgie

Gabriel Artero, président Bruno Azière et Eric Vidal, Secrétariat national à l’industrie Cyrille Vincent et Thierry Préfol, Secrétariat national à l’Europe et international

À la lecture de la note de La Fabrique de l’industrie « Quand le carbone coûtera cher, l’effet sur la compétitivité industrielle de la tarification du carbone », la CFE-CGC partage l’état des lieux présenté et plus largement exhorte à la nécessité de limiter notre empreinte carbone au nom des générations futures.

Le chapitre 3 de la note de La Fabrique « Limiter les fuites de carbone » passe en revue quelques options qui pourraient être possibles pour diminuer les émissions européennes tout en limitant les fuites de carbone hors d’Europe : des ajustements unilatéraux à la frontière pour le carbone, d’une part, et des mesures internes de réduction des coûts, d’autre part, telles que l’attribution gratuite de quotas carbone, des crédits d’impôts ou encore des subventions à l’innovation bas carbone.

La CFE-CGC pointe ici quelques préconisations au regard des principales idées formulées dans la note.

Concernant les ajustements aux frontières

Le déploiement d’actions d’ajustement permettra l’atteinte des objectifs de la Conférence de Paris en termes de réduction des émissions de CO2 aux frontières. En effet, de nombreux pays n’ont pas mis en place de système de comptabilisation (ou de suivi du CO2 avec l’aide d’un mécanisme équivalent à celui dont s’est dotée l’Europe), et d’autres restent politiquement dans le déni pour permettre à leur économie d’être plus compétitive (et donc favoriser les emplois et leur industrie dans leur pays).

Il faut aujourd’hui introduire plusieurs règles au niveau européen, sur le transfert de produits finis comme pour les demi-produits (exemple acier), pour permettre à nos produits d’être concurrentiels, et à nos entreprises de rester compétitives sur l’espace européen, mais aussi au niveau international.

Ces règles sont de deux natures :

1/ À l’entrée du périmètre européen (importations)

‒ Application d’une taxation carbone correspondant au différentiel entre la valeur du CO2 du pays et de la zone Europe, en prenant en compte pour chaque produit la valeur moyenne de l’impact carbone dudit produit connu. À celui-ci, on pourrait rajouter la fuite moyenne (qui créerait un excédent de taxe entrée/sortie) pour financer les initiatives d’amélioration sur le CO2 émis dans les entreprises européennes et pour aider les entreprises à exporter en étant compétitives sur le marché hors Europe ;

‒ Définition d’une règle claire sur le CO2 à l’entrée de la zone Europe pour permettre aux entreprises vertueuses de développer leur R&D, les expérimentations terrain (FABLAB) tout en sanctionnant les pollueurs qui souhaiteraient vendre leurs produits sur la zone Europe.

2/ À la sortie du périmètre européen (exportations) en finançant le différentiel du coût par rapport aux pays ne respectant pas les exigences environnementales sur le CO2 (avec à la clé un gain de compétitivité) aux entreprises.

Ce plan d’action nécessite une volonté politique européenne et ce sujet est actuellement sur la table de la nouvelle Commission européenne. Il vise à défendre les compétences, les métiers, les industries mais surtout l’emploi dans l’espace européen, tout en affichant clairement les enjeux environnementaux forts pour aujourd’hui et pour demain.

Concernant les mesures de réduction des coûts

Celles-ci pourraient être générées par plusieurs facteurs :

‒ Des gains en termes de productivité car bénéficiant de financements sur les innovations et les investissements en R&D, axés principalement sur les gains de production de CO2 ;

‒ Des exportations soutenues bénéficiant d’une aide (venant des répercussions des produits importés) ;

‒ Mais aussi par des investissements qui favoriseraient les financements ainsi payés en partie par l’Europe (grâce au différentiel de taxe entre les importations et les exportations). Cette piste offrirait de nouvelles perspectives pour les entreprises souhaitant faire évoluer leur outil de production vers une industrie plus propre en termes de CO2, tout en maintenant la compétitivité et les emplois locaux,

‒ Des réflexions en termes d’impacts sur les territoires. Il ne s’agit plus seulement d’avoir des stratégies de gains uniquement basées sur les coûts salariaux (entre les différents pays d’Europe versus Monde pour les multinationales). Il faut viser la recherche de compétitivité grâce au CO2 non produit conduisant à des améliorations de compétences et d’adaptabilité des salariés dans la zone Europe ;

‒ Enfin, le gain ne serait plus seulement sur le lieu d’implantation, mais surtout dans les capacités des installations actuelles à pouvoir être plus vertueuses sur la production de CO2, site par site, et produit par produit.

Concernant l’attribution de quotas carbone

L’attribution de quotas carbone a conduit, pendant la dernière décennie, à des comportements aux antipodes de ce qui était attendu : stockage des droits présents en un gain économique futur (avec l’espoir que la valeur de la tonne de CO2 soit plus élevée à l’avenir), peu d’efforts pour produire sans subir de sanctions financières, rendant de ce fait inutile un investissement massif dans l’amélioration des procédés pour diminuer l’impact carbone.

Pour ces raisons, l’attribution de quotas carbone a dérégulé le marché et les actions des entreprises. Celles-ci bénéficiaient des effets de fuite, sans avoir à prendre de risques industriels, et sans se poser la ou les questions sur les investissements nécessaires pour être plus respectueuses de leurs engagements.

Il est temps de mettre fin à l’attribution de quotas carbone inefficaces, et de proposer enfin plusieurs dispositions pour favoriser l’atteinte de l’objectif de la convention de Paris en 2050, à savoir un prix du CO2 augmentant par paliers successifs tous les cinq ans, laissant aux entreprises le temps de s’adapter et d’investir pour réaliser un plan d’actions ambitieux.

Les paliers définis à l’avance et anticipés auraient plusieurs intérêts. En effet, le principal frein à l’investissement dans les entreprises est la volatilité des décisions fiscales et de taxation des États voire des villes. Sans visibilité, les entreprises attendent donc le dernier moment pour investir.

‒ Favoriser les entreprises qui investissent pour améliorer leur empreinte carbone. Ces gains de compétitivité permettraient aux entreprises de maintenir l’emploi local dans la zone Europe. Ces gains obligeraient aussi les multinationales à regarder leurs choix de développement non seulement sur le gain court terme (masse salariale et donc délocalisations) mais surtout sur la qualité des emplois proposés et sur leur capacité à innover et développer des projets permettant de réduire l’impact CO2, tant sur les sites que sur les produits, rendant ceux-ci plus compétitifs.

‒ Prendre en compte les enjeux d’amélioration et de développement de la R&D pour devenir plus compétitif, si l’on veut réaliser les objectifs de la convention de Paris. Une pérennité de l’emploi dans les bassins d’activité actuels (limitant d’autres investissements qui n’avaient d’intérêt que le seul gain salarial par les multinationales) pourrait ainsi être assurée.

Concernant la subvention à l’innovation carbone

La subvention à l’innovation carbone doit être un des piliers des prochaines décennies. Elle doit offrir aux entreprises européennes les moyens de leur développement, en étant financée par l’écart entre les valeurs d’importation et d’exportation. Les barrières douanières n’entreraient plus en compte pour rendre les produits européens plus compétitifs seulement grâce à des gains salariaux. Elles agiraient sur des choix de stratégies environnementales, tout en respectant les règles de l’OMC et en introduisant l’impact carbone dans les échanges internationaux. Les entreprises faisant ce choix auront un avantage concurrentiel certain qui pourra être financé, tout ou partie, grâce à l’innovation carbone.

Concernant une « taxe sur la consommation »

Pour la CFE-CGC, la taxe sur la consommation ne semble pas la voie royale pour permettre le changement. En effet, elle implique l’acceptation, par la population, de devoir payer plus cher son accès aussi bien à l’énergie qu’aux produits ou biens achetés.

Même si aujourd’hui des mesures sont mises en application, nous constatons les limites de l’exercice, car ce n’est pas le risque du paiement de la taxe élevée qui dissuade le client de faire le choix du produit « générateur » de CO2. C’est bien à l’entreprise de faire évoluer les produits pour qu’ils soient moins générateurs de CO2 et non au client consommateur de s’adapter. Les entreprises ont donc cette responsabilité de développer leur compétitivité par des actions environnementales innovantes et pérennes.

Par ailleurs, c’est en obligeant les multinationales, mais aussi le tissu industriel français et européen à prendre des mesures fortes en termes d’implication, d’innovation et de développement des sites actuels, que nous pourrons soutenir l’emploi, les compétences et donc valoriser notre savoir-faire.

Cet enjeu majeur de la réduction de notre empreinte carbone permettra de déployer des emplois plus responsables dans nos territoires et au plus proche de nos sites actuels.

Il est temps désormais de changer de dimension
Saint-Gobain et la neutralité carbone – Point de vue

Emmanuel Normant, Directeur du développement durable, Saint-Gobain

Saint-Gobain a fait le choix depuis plusieurs années déjà de mettre la question du changement climatique au cœur de sa stratégie. Bon nombre de matériaux fabriqués ou distribués par les entreprises du groupe Saint-Gobain, notamment pour la construction, permettent d’améliorer l’efficacité énergétique – c’est le cas du vitrage ou de l’isolation, par exemple – ou de réduire la consommation de matériaux fortement carbonés – c’est le cas des systèmes à base de plaques de plâtre qui permettent de réduire la consommation de béton dans la construction, par exemple.

Or, 40 % des émissions de gaz à effet de serre (hors agriculture) peuvent être reliées au monde du bâtiment, une grande partie de ces émissions est liée au chauffage, à l’eau chaude sanitaire ou à la climatisation de ces bâtiments. Les solutions techniques existent pour réduire de manière significative ces émissions :

‒ En Europe, c’est déjà souvent le cas pour les bâtiments neufs, avec des réglementations performantes. Par contre, la plupart des bâtiments existants ont été construits avant ces réglementations, ils doivent être rénovés pour améliorer leur performance énergétique. Le rythme actuel moyen de rénovation en Europe est inférieur à 1 %, ce qui signifie qu’il faudra plus de 100 ans pour correctement rénover le stock actuel. Il faut donc tripler ce rythme – or, les prix bas de l’énergie n’incitent pas à réaliser des travaux, il faut une action résolue des pouvoirs publics ;

‒ En dehors de l’Europe, bon nombre de pays, notamment émergents, n’ont pas encore mis en place de réglementation thermique performante pour les bâtiments.

Les matériaux fabriqués par Saint-Gobain nécessitent souvent toutefois de l’énergie pour être produits, c’est notamment le cas des produits verriers. Même si nous avons fait la démonstration que les émissions évitées par l’utilisation des matériaux pour isoler des bâtiments compensent en 3 mois les émissions liées à la consommation d’énergie pour les produire, la responsabilité d’un groupe comme Saint-Gobain est également de tout faire pour que son impact soit le plus faible possible.

Au moment de la COP21 qui a conduit à la signature de l’Accord de Paris, Saint-Gobain s’est engagé à réduire ses émissions directes et indirectes de 20 % en 2025 par rapport à 2010. Fin 2019, ces émissions ont été réduites de près de 15 %, soit en avance sur la trajectoire. Les principaux outils mis en œuvre ont été :

‒ L’engagement fort et visible de notre CEO, Pierre-André de Chalendar, et du Conseil d’Administration de Saint-Gobain ;

‒ Des objectifs partagés avec l’ensemble du management de Saint-Gobain, y compris via l’intégration de ces objectifs dans les rémunérations de long terme ;

‒ La mise en place d’un prix interne du carbone ( shadow price )

• De 30 €/tCO 2 pour les principaux investissements, pour améliorer la rentabilité de solutions techniques décarbonées ;

• De 100 €/tCO 2 pour notre R&D, pour accélérer les projets qui préparent le futur.

Les efforts réalisés par Saint-Gobain sont notamment reconnus par le CDP (Carbon Disclosure Project) qui a inclus ces 2 dernières années Saint-Gobain dans sa liste A pour le climat.

Le prix interne du carbone est une composante essentielle de la démarche engagée. Les choix que nous avons faits anticipent ceux qui pourraient et devraient être faits dans les différentes régions du monde. L’Union Européenne a pris les devants dès le milieu des années 2000 avec la mise en place de l’ETS ( Emission Trading Scheme ) et plusieurs pays en Europe ont complété ce système par des mécanismes mettant un prix au carbone pour les émissions non couvertes par l’ETS. Force est de constater, néanmoins, que d’une part, peu de pays dans le monde ont adopté une démarche analogue et que, d’autre part, pour ce qui concerne l’Europe, les prix des échanges de quotas au sein de l’ETS sont restés durablement bas.

Il est temps désormais de changer de dimension et de s’assurer que le prix du carbone augmente de manière significative dans toutes les régions du monde, et particulièrement en Europe. Ceci, sans créer, toutefois, de distorsion de concurrence entre les régions concernées via un mécanisme d’ajustement aux frontières.

Pour un groupe comme Saint-Gobain, les bénéfices à attendre d’un prix élevé au carbone sont multiples :

‒ Il permet de rendre plus rapidement compétitive des solutions à moindre intensité carbone et donc de limiter les efforts à réaliser en termes de R&D ;

‒ Il permet d’accélérer sur les marchés le déploiement de ces solutions, par exemple en termes d’efficacité énergétique ;

‒ Il permet d’aligner les efforts de Saint-Gobain avec ceux de leurs principaux fournisseurs.

Les premiers succès engrangés nous ont conduits l’an dernier à engager Saint-Gobain sur une trajectoire de neutralité carbone à horizon 2050. Cet engagement a été pris dans le cadre d’un pledge élaboré par le Global Compact de l’ONU et la « Science Based Target initiative » et rendu public lors du sommet sur le climat organisé par le Secrétaire Général de l’ONU en septembre 2019, ceci conjointement avec une centaine d’autres entreprises.

Cette neutralité couvre non seulement nos émissions directes et indirectes (scope 1 et 2), autour de 11 Mt en 2019, mais également les émissions le long de notre chaîne de valeur (scope 3), notamment les émissions liées au transport de nos matières premières et de nos produits finis et les émissions liées à l’extraction et à la transformation de nos matières premières avant que nous ne les utilisions. Notre volonté est de les réduire autant que techniquement et économiquement faisable, et de rechercher des solutions de séquestration, notamment dans les matériaux de construction, pour les éventuelles émissions résiduelles.

Des feuilles de route plus précises sont en cours d’élaboration. Elles passent par :

‒ Une amélioration significative de l’efficacité énergétique de nos procédés ;

‒ La possibilité de passer à une énergie décarbonée – électricité, lorsque techniquement faisable ou gaz décarboné dans certains cas ;

‒ L’allègement de nos produits et l’augmentation en contenu recyclé.

Dans la plupart des cas, les solutions techniques existent mais ne sont pas économiquement accessibles aujourd’hui. Dans certains cas, les solutions techniques restent à inventer.

Pour les émissions de notre chaîne de valeur, des travaux sont engagés avec nos principaux fournisseurs pour élaborer des feuilles de route conjointes.

Le choix que nous avons fait permet de nous donner de la visibilité. Il est possible de faire ces changements radicaux en 30 ans pour une entreprise industrielle comme Saint-Gobain. La plupart de nos investissements ont un cycle de 20 à 30 ans – un four verrier est reconstruit tous les 20 ans, par exemple. D’une certaine manière, nous nous donnons 10 ans pour identifier les technologies de demain et les 20 années suivantes pour les mettre en place. Bien entendu, tout en continuant dans l’intervalle à réduire les émissions par les solutions techniquement et économiquement accessibles.

Cette visibilité est également essentielle à avoir de la part des pouvoirs publics. Tout particulièrement pour le prix du carbone. C’est grâce à cette visibilité que les entreprises comme Saint-Gobain peuvent faire les choix aujourd’hui qui les engagent sur le long terme.

Plus que des expérimentations, nous avons besoin d’innovations concrètes – Point de vue

Julien Blanchard, Président, Hoffmann Green Cement Technologies

La notion de carbone est au cœur de notre projet d’entreprise. Nos nouveaux ciments permettent de diviser par quatre les émissions de CO2 par rapport aux ciments traditionnels. La production de ciment représente à elle seule 5 % des émissions de CO2 dans le monde. Ce seul chiffre permet de juger de l’urgence d’agir. Depuis 2016, nous développons ainsi des ciments décarbonés pour répondre à cet enjeu : contribuer à réduire l’impact environnemental de la construction.

Aujourd’hui, Hoffmann Green Cement Technologies n’est soumis ni à la taxe carbone, ni au marché européen du carbone. Cependant le prix du carbone est un de nos indicateurs pour évaluer et prévoir les évolutions de notre secteur. Face à l’urgence et aux enjeux, la fiscalité carbone doit permettre d’aider les acteurs de la construction à se transformer. La présente note montre les effets positifs sur la baisse des émissions de CO2 imputables aux dispositifs mis en place. On observe bien depuis quelques années sur le terrain, la multiplication des expérimentations pour diminuer l’empreinte environnementale du ciment et de la construction. La hausse des brevets sur des projets bas carbone, identifiée dans la note, en est une autre illustration.

Aujourd’hui, pour répondre à l’urgence climatique, plus que des expérimentations, nous avons besoin d’innovations concrètes. La note montre qu’une augmentation du prix du carbone pourrait entraîner une réallocation d’une partie de la production vers les entreprises les moins émettrices. Mais ces solutions sont encore trop rares au niveau industriel. Il faut maintenant transformer les brevets en projet industriel. Ce que nous avons fait chez Hoffmann Green. Et aujourd’hui, nous ne parlons pas fiscalité carbone avec nos clients, mais de diminution significative de leur empreinte environnementale grâce à nos solutions.

D’un point de vue plus général, nous pensons qu’il est nécessaire de clarifier et/ou de simplifier les mécaniques de fixation du prix pour le CO 2 . Alors que le prix du CO 2 sur le marché européen était à la hausse ces derniers mois, la crise actuelle a fait chuter son cours. La note montre bien la corrélation entre fiscalité carbone et innovation. Dans un contexte instable, les innovations bas carbone seront-elles toujours une priorité pour tous demain ? La question d’un prix plancher se doit d’être réellement posée si nous voulons inciter tous les acteurs à réduire leurs émissions.

Au niveau européen, des dispositifs d’ajustement aux frontières apparaissent de plus en plus comme tout à fait nécessaires. Pour le ciment traditionnel, la production de clinker (extraction de calcaire et d’argile cuits dans des fours à 1 450° puis broyés) est la partie la plus émettrice de CO 2 . Depuis quelques années, on observe des initiatives pour délocaliser cette production vers des pays où la législation environnementale est plus souple et ne garder sur le sol européen que le broyage. Une fiscalité forte aux frontières permettrait de mieux encadrer ces pratiques. Et de remettre tous les acteurs sur un pied d’égalité.

Chez Hoffmann Green nos équipes sont aujourd’hui à 2000 % dans l’action, concentrées sur notre développement et nos clients pour avoir un impact immédiat. La fiscalité carbone est un de nos indicateurs d’évaluation du marché. Aujourd’hui, elle peut paraître peu lisible et les discussions qui l’entourent un peu éloignées de notre activité quotidienne. Nous espérons cependant que des décisions fortes soient prises afin de réellement atteindre les objectifs de neutralité carbone prévue pour 2050 en donnant notamment un prix réel et stable au CO2.

L’ajustement carbone aux frontières est indispensable – Point de vue

Pour l’association BRIDGE (Bâtir le renouveau industriel sur la démocratie et le génie écologique)

Joël Decaillon, ancien secrétaire général adjoint de la Confédération européenne des syndicats (CES), Philippe Morvannou, expert auprès des syndicats et des comités d’entreprise

La note intitulée « Quand le carbone coûtera cher. L’effet sur la compétitivité industrielle de la tarification du carbone » est le résultat d’un travail extensif et rigoureux.

Il fait état d’une certaine littérature qui examine l’ajustement carbone aux frontières dans la perspective d’une continuité des politiques économiques qui aujourd’hui doivent être remises en cause sous plusieurs aspects.

La période d’application du système ETS en Europe coïncide avec la gestion des conséquences économiques et sociales de la crise financière de 2008 et où la lutte contre le changement climatique est passée au second rang très rapidement après la défense de l’euro, le respect des règles du pacte de stabilité…

Ce n’est plus le cas aujourd’hui.

1. La lutte contre le changement climatique devient prioritaire

Aujourd’hui la lutte du changement climatique est au sommet de l’agenda politique et plus aucune politique économique ne peut être menée sans sa prise en compte à court terme. Le relèvement à 50 %-55 % des objectifs de réduction des émissions de CO2 annoncé par la Commission européenne par la voix de sa présidente en décembre 2019 en est l’illustration. Et parmi les mesures phares, figure la hausse du prix du carbone dans des proportions bien plus grandes que celles que nous avons connues à ce jour, afin de modifier sensiblement les termes des fonctions de production des industries émettrices de CO238. Une hausse du prix du carbone qui doit cependant être menée sous contrainte industrielle et sociale c’est-à-dire qui ne provoque pas la poursuite de la désindustrialisation des pays de l’UE par la multiplication des délocalisations pleines de fuites carbone. Pour identifier et mesurer la menace, nous avons estimé le montant des fuites carbone dans les industries de l’acier et de l’aluminium.

La fuite carbone est estimée à 29 Mt de CO2 en 2019 soit 720 M€ à 25 €/t. Ce calcul est basé sur un écart d’émissions de CO2 par tonne d’acier produite de 0,89 t en moyenne en 2019 entre les productions européennes et les importations d’acier en provenance de pays tiers. Soit une fuite carbone égale à 10,4 % des émissions de CO2 contenues dans les aciers consommés en Europe en 2019.

D’autre part, pour mesurer les émissions de CO2 issues de la production d’aluminium il convient de prendre en compte les émissions directes émanant de l’électrolyse de l’alumine et les émissions indirectes provenant de la production de l’électricité nécessaire à l’électrolyse39. L’estimation de la fuite carbone due aux importations d’aluminium en Europe est de 27 Mt de CO2 en 2017 et 30 Mt en 2018 du fait de l’augmentation des importations en provenance de Chine.

Dans ces deux secteurs aucun « pass through » ne peut être envisagé sur le marché européen pour cause de détermination du prix européen par les marchés mondiaux.

L’ajustement carbone aux frontières est donc la mesure indispensable pour engager cette mutation, pour entamer dès maintenant la transformation bas carbone des industries de matières premières industrielles couvertes par l’ETS. À ce titre nous sommes d’accord avec vous pour considérer que la taxe aux frontières n’est pas la solution.

2. La question de la complexité doit être relativisée

Notre proposition s’appliquerait dans un premier temps aux produits et secteurs couverts par le système ETS. Et dans ces domaines les données sont d’ores et déjà disponibles et leur homogénéité garantie en Europe. Un résultat identique devrait être obtenu pour les pays exportateurs étant donné la relative simplicité de leurs calculs. Des estimations sont d’ores et déjà disponibles auprès des firmes de consultants internationaux.

Il est vrai que la complexité ira croissante au fur et à mesure que le périmètre des produits concernés par leur contenu carbone s’étendra. Mais l’évolution des connaissances exhaustives et de plus en plus précises dans toutes les phases de fabrication, transport et distribution, notamment grâce à l’extension du numérique, permettra de les renforcer. Cette nouvelle grammaire des échanges, que nous appelons de nos vœux, progressera dans le temps au fur et à mesure des négociations internationales.

3. La question de la négociation avec les pays tiers

Nous sommes d’accord pour considérer l’ajustement carbone aux frontières conforme aux engagements des pays européens à l’OMC, ce qui constitue une base juridique et politique solide.

Nous convergeons également dans votre appréciation des rapports de force internationaux qui souligne le fait que l’UE est un nain politique à l’échelle internationale et qu’elle ne peut rien imposer qui soit contraire aux intérêts des grandes puissances, États-Unis et République populaire de Chine, comme vous le rappelez dans le cas des émissions de CO2 de l’aviation commerciale.

Au sein de l’UE, la position allemande semble évoluer si on en juge par l’acceptation récente de l’ajustement carbone aux frontières par le secteur de l’acier (Eurofer représentant le patronat de la sidérurgie) et par le syndicat IG Metall du même secteur, les deux officialisés depuis le début de l’année 2020. IndustriAll Europe qui réunit les syndicats des secteurs de la métallurgie y compris l’automobile, de la chimie-pharmacie et du textile défend également l’ajustement carbone aux frontières à partir du début de l’année 2020.

4. Un risque pour la compétitivité des industries en aval ?

Ce risque nous apparaît à la fois logique mais quelque peu théorique. Le calcul fait sur l’impact du prix de revient d’une automobile serait compris entre 100 et 130 € pour un prix du CO2 de 30 €/t.

Le risque pourrait être plus élevé pour des produits peu transformés réalisés dans des matières premières industrielles couvertes par ETS tels les clous, les câbles, les ressorts… Leur intégration pourrait être promue au sein du système ETS car ils répondraient aux critères élaborés par la Commission européenne pour qualifier le risque de fuite carbone.

5. En guise de conclusion

Nous ne pouvons qu’adhérer à votre conclusion qui s’avère favorable à l’ajustement carbone aux frontières comme outil de protection de nos industries lourdes le plus efficace, en tous cas plus efficace que les quotas gratuits qui ont été l’outil privilégié de la Commission européenne pour faire face aux risques de fuite carbone et par conséquent lutter contre le changement climatique.

De manière plus générale, nous pensons que l’ajustement carbone aux frontières est l’outil le plus adapté40, certains diraient le moins mauvais tant les mesures économiques sont toujours suspectes d’entraîner des effets pervers, pour adresser la question des fuites carbone et la désindustrialisation qu’elles entraînent avec leurs cortèges de chômage et d’appauvrissement de régions entières.

  • 38. Les études basées sur le prix du CO2 inférieures à 10 €/t soit de 2008 à 2018 ne peuvent rendre compte de son impact futur pour des raisons à la fois contextuelles et technologiques.
  • 39. Il conviendrait d’ajouter les émissions liées à la production d’alumine et plus en amont de la bauxite extraite mais l’une comme l’autre ne sont pas localisées en Europe très majoritairement.
  • 40. “The A-B-C of BCAs: An overview of the issues around introducing Border Carbon Adjustments in the EU ” publié par Sandbag, 2019.

 

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