Refaire de l’industrie un projet de territoire

Refaire de l’industrie un projet de territoire

Sans titre, Kandinsky Vassily (1866-1944), Paris, Centre Pompidou - Musée national d'art moderne - Centre de création industrielle Photo © Centre Pompidou, MNAM-CCI, Dist. RMN-Grand Palais / Georges Meguerditchian

Préface

Industrie et territoires : une alliance pour l’avenir

Après avoir longtemps dédaigné l’industrie, notre pays semble enfin avoir compris que la renaissance industrielle était la clé de notre avenir, et que les territoires, à diverses échelles, constituaient des réservoirs d’initiative et de créativité essentiels pour cette renaissance. C’est dans le tissu dense et informel des territoires que se construisent et se reproduisent « les sucres lents de la compétitivité », les ressources de longue durée comme les compétences et les réseaux relationnels qui permettent d’affronter des environnements changeants. Ces idées ont été développées par les chercheurs depuis de longues années, notamment à partir de l’exemple emblématique des « districts » de l’Italie centrale, qui dès les années 1980 ont semblé offrir une alternative à l’hégémonie des méga-firmes et du modèle de croissance qu’on appelait alors « fordiste ». Mais force est de reconnaître que la diversité des trajectoires économiques locales reste en grande partie une énigme. Pourquoi tel territoire réussit-il à maintenir l’activité et l’emploi industriel, y compris dans la crise ? Pourquoi tel autre, très bien doté en apparence par la géographie et les facteurs de production, s’enfonce-t-il dans une spirale dépressive ? Au grand dam des chercheurs, des administrations et des élus locaux qui aimeraient des réponses carrées à ces questions, il faut se résoudre au constat d’une complexité qui semble échapper à toute recette reproductible. C’est ce constat qui constitue le point de départ de la présente étude, et c’est cette complexité qu’explore avec une grande richesse Caroline Granier, en résumant les conclusions de quatre études de terrain et du cycle de séminaires de l’observatoire des Territoires d’industrie, piloté par Thierry Weil.

En 2019, l’observatoire des Territoires d’industrie avait publié une étude économétrique cherchant à lier la performance des territoires industriels à toute une série de facteurs objectifs comme la spécialisation, la taille (les effets d’agglomération), les conjonctures sectorielles, etc. Le résultat principal, et surprenant, de cette étude était qu’aucune corrélation vraiment forte n’émergeait pour expliquer l’étonnante disparité des territoires industriels (Carré, Levratto et Frocrain, 2019). Une autre étude, menée par Laurent Davezies, a montré que, même pendant les années noires qui ont suivi la crise financière de 2008-2009, le recul massif de l’emploi industriel, loin d’être homogène sur l’ensemble du territoire national, avait coexisté avec des poches très localisées de croissance, certes minoritaires, mais significatives. L’industrie ne recule pas continûment comme dans l’imagerie courante de la « désindustrialisation » : elle se renouvelle en permanence. Au cours des dernières années, la volonté de réindustrialiser pour regagner de la maîtrise sur notre destin et augmenter la valeur ajoutée du site France a constitué une évolution très positive, chez nos dirigeants mais aussi dans l’opinion en général. Dans les faits, le rebond manufacturier a été encourageant. En 2021, malgré le Covid, le nombre d’ouvertures de nouveaux sites industriels a battu un record. Mais la recette du succès ou du déclin des territoires reste manifestement difficile à agripper. Caroline Granier l’affirme d’entrée de jeu : il est vain de chercher une forme de déterminisme en cette matière.

Bien sûr, si l’on regarde les choses de très haut, au niveau international, des macro- logiques sont à l’œuvre. Le recul massif des industries très intensives en main-d’œuvre, comme celle de l’habillement, enregistré pendant la phase d’hyper-mondialisation, en est une illustration. Les salaires, la fiscalité, les réglementations, continuent de peser sur la répartition internationale des activités, y compris au sein de l’Europe. La politique de baisse des impôts de production et la protection efficace offerte par la puissance publique durant le Covid ne sont pas étrangères à la bonne santé relative de notre tissu industriel. Mais ces macro-logiques ne sont pas mécaniques, et ne l’ont jamais été. De nombreux contre-exemples montrent que l’on peut produire en France, de manière rentable, des biens qui ont été massivement délocalisés. Alors que les constructeurs automobiles français ont arrêté de produire des petits modèles en France, Toyota Valenciennes qui produit la Yaris a battu des records en 2022. Les exemples de production rentable, y compris dans des secteurs considérés il y a peu comme incompatibles avec les contraintes du territoire national, se multiplient.

On sait aussi que si on resserre le zoom sur l’espace national, l’industrie n’est pas distribuée au hasard. De grandes différenciations persistent. Les industries de base très intensives en énergies et très émettrices de GES sont par exemple très concentrées sur quelques plateformes (Dunkerque, Basse Seine, Fos et Étang de Berre, Sud lyonnais…). Les vieilles régions industrielles du Nord et de l’Est ont été plus affectées que d’autres par les crises sectorielles successives. Certains territoires restent aussi très marqués par des spécialisations sectorielles fortes, comme le décolletage dans la vallée de l’Arve, la serrurerie dans le Vimeu, la prothèse médicale en Haute-Marne – spécialisations qui étaient la norme jusqu’à la Seconde Guerre mondiale, avant d’être laminées par les profonds bouleversements des Trente Glorieuses. Mais, lorsqu’on rapproche encore le zoom, et lorsqu’on considère le tissu manufacturier ordinaire, qui est soumis aux mêmes contraintes structurelles (fiscalité, prix des intrants, de l’énergie, normes sociales et environnementales) quelle que soit sa localisation dans l’espace national, tout se passe comme si la trajectoire des territoires relevait surtout d’alchimies spécifiques où l’histoire et la sociologie jouent le premier rôle. C’est ici que l’étude que vous allez lire prend le relais, résolument qualitatif, de l’économétrie défaillante.

« Qualitatif » ne veut pas dire déstructuré ou purement narratif. L’étude nous raconte quatre histoires de territoires, très différentes, mais elle ne se borne pas à en étaler la diversité. La question de fond est : que peut-on apprendre de ces histoires, dès lors que l’on abandonne l’idée d’en tirer des recettes, immédiatement transférables à d’autres territoires ? Pour ordonner l’analyse, Caroline Granier propose d’abord l’application d’une grille « structure, comportements, performance », empruntée aux disciplines de gestion et adaptée à l’économie géographique par Denis Carré et Nadine Levratto. Dans une deuxième partie, très riche en exemples variés, l’ouvrage passe en revue les grands ingrédients du développement local – organisation des acteurs, formation des compétences, qualité de vie, accès au foncier, innovation, financement.

Que ressort-il de ce tour d’horizon ? Je retiens trois points principaux. Le premier est l’extraordinaire variété des initiatives locales, dans une multitude de domaines. Une fois de plus, le contraste entre la morosité du tableau national, tel qu’il est dressé tous les jours par les grands médias, et le bouillonnement créatif des actions locales, passant sous les radars de la communication nationale, est frappant. La multiplication des dispositifs et labels nationaux (Territoires d’industrie, Territoires d’innovation, Contrats de relance et de transition, sans parler des actions davantage ciblées sur l’urbanisme telles que Cœur de ville, Petites villes de demain, etc.) a le mérite de révéler ces projets locaux, de les catalyser ou de les booster. Mais on voit bien que si le terreau n’est pas fertile, ce n’est pas l’acteur national, ni même régional, qui va permettre d’engager la dynamique de fond (au passage, si on pouvait simplifier un peu la sédimentation des dispositifs, et les inscrire vraiment dans la durée, tout le monde serait gagnant).

Le deuxième point essentiel qui émerge de cette moisson d’expériences que rapporte l’ouvrage est l’importance décisive de la capacité des acteurs locaux à se fédérer. Il n’y a pas de recette générale, mais s’il fallait ne retenir qu’un seul mot-clé, ce serait celui de coopération : coopération entre collectivités locales, entre acteurs économiques, mais aussi et surtout coopération entre ces deux mondes encore trop souvent cloisonnés, associant également les représentants de l’État local, de la formation, les instances multiples de la société dite civile. Les succès emblématiques, comme celui souvent évoqué de Vitré, sous l’impulsion de Pierre Méhaignerie, reposent toujours sur la capacité à se parler, à anticiper collectivement les mutations ou les crises, à chercher ensemble des solutions aux problèmes. Le design de ces dispositifs de coopération peut évidemment varier, selon la culture historique du territoire concerné. Mais il me semble que les choses marchent d’autant mieux que les acteurs trouvent, avec souplesse, la bonne distance avec les institutions formelles et les exigences opérationnelles : ni trop près, pour préserver la possibilité d’explorer de manière flexible des solutions innovantes sans rester prisonnier des jeux de rôle, des formalismes résultant de la multiplication des « schémas » en tous genres imposés par l’État, avec leurs calendriers contraignants, et des intérêts institutionnels spécifiques forcément divergents ; ni trop loin, dans une posture de pur accompagnement ou de prospective lointaine. Bien entendu, tout est aussi, toujours, affaire de leadership.

Une autre conclusion majeure est qu’il n’y a pas de fatalisme. Certains territoires ont plus de mal que d’autres, parce qu’ils ont moins d’atouts, mais il n’y a pas de territoire condamné. La récolte d’initiatives du livre en donne des exemples. Elle est trop riche et trop diverse pour être enfermée dans quelques formules. Un grand mérite de l’ouvrage, à mon sens, est de mettre l’accent sur les contraintes les plus pragmatiques et concrètes du développement, sans se contenter des discours ronflants et généraux sur l’industrie 4.0, en particulier. La question de la technologie et de l’innovation numérique est abordée, et elle n’est certes pas secondaire. Mais des chapitres passionnants sont aussi consacrés à la question du foncier et des réglementations d’urbanisme, ou encore au cadre de vie des salariés et de leurs familles (logement, mobilités). Quiconque a travaillé sur le terrain avec le monde industriel sait que ces questions, loin d’être anecdotiques, sont fondamentales pour le développement. Si nous voulons un pays « amical pour l’industrie », il faut avoir cette vision globale où la dimension culturelle (image de l’industrie et des formations qui y mènent) et les dimensions pratico-pratiques de l’accueil sont cruciales.

Quelques remarques, pour finir, sur les changements en cours : comment pourraient évoluer, dans les années qui viennent, les grandes thématiques du développement local recensées dans l’ouvrage ?1

Le premier point est qu’il faut, à mon sens, sortir de la focalisation trop exclusive sur le manufacturier et les usines. Certains économistes pensent que la présence physique de la fabrication sur le sol national n’est pas essentielle : ce n’est absolument pas mon avis. Nous avons besoin d’usines. Mais il est vrai que l’industrie est déjà, et sera de plus en plus, dépendante du tissu de services qui l’irriguent, en amont, en aval, et latéralement. La fabrication sera de plus en plus automatisée, les emplois dans les usines de moins en moins nombreux, et de plus en plus qualifiés. Les emplois seront surtout créés à la périphérie de la fabrication proprement dite (conception des produits et des process, maintenance, services aux clients, logistique, etc.). Industrie et services s’entremêlent dans des complexes continus d’activités que j’appelle « hyper-industriels ». Les modèles économiques, en outre, sont de plus en plus « serviciels ». Ils basculent doucement vers la vente de fonctionnalités, le soutien à des usages, et ne se borneront plus, comme hier, à la livraison d’objets physiques plus ou moins sophistiqués. C’est donc cet ensemble hyper-industriel que le développement territorial doit considérer, et pas uniquement sa composante usinière.

Le deuxième point concerne les modifications de fond de la demande et notamment le basculement, flagrant dans les pays riches, vers des biens et des services directement liés aux corps, aux cerveaux, aux émotions des personnes, comme la santé, le bien-être, l’alimentation de qualité, l’éducation, le divertissement, la sécurité, ainsi qu’à des systèmes collectifs comme ceux de la mobilité ou de l’habitat. Ce sont là les nouvelles frontières de l’industrie. Elles préparent un monde assez différent de celui de l’accumulation compulsive d’objets qui a été le moteur de la croissance depuis la deuxième moitié du vingtième siècle (l’économie que j’appelle « garage-salon-cuisine », que Perec avait magistralement décrite dans Les Choses). On notera au passage que la dimension territoriale locale jouera un rôle essentiel dans cette nouvelle économie : la santé, l’éducation, par exemple, s’appuieront de plus en plus sur le territoire comme échelle pertinente d’innovation et de mise en œuvre, sans parler des biens-systèmes de la mobilité ou de l’habitat, objets territoriaux par nature.

Troisième aspect majeur du changement : les dimensions géopolitiques et géo-économiques, dont on voit bien à quel point elles sont aujourd’hui incertaines. Je me borne à quelques hypothèses. Une bonne nouvelle pour les pays riches dont nous faisons partie est que la numérisation et l’automatisation permettent de plus en plus de dissocier la performance industrielle du coût du travail – et même, à l’inverse, favorisent les contextes de main-d’œuvre hautement qualifiée. La technologie devrait donc faciliter le retour de la production physique à proximité des marchés les plus solvables et des tissus de services les plus sophistiqués. Cette production relocalisée pourra être « customisée » à la demande, et mise en œuvre de manière flexible, en utilisant notamment les jumeaux numériques. L’automatisation tant redoutée pourrait ainsi devenir, en réalité, un vecteur pour une géographie mondiale de l’industrie resserrée sur les zones les plus riches, les pays pauvres perdant l’avantage comparatif des bas ou très bas salaires. Ceci va de pair avec la tendance actuellement observée d’une régionalisation de l’économie mondialisée autour de trois grands ensembles : Amérique du Nord, Europe et surtout Asie de l’Est. Chacune de ces zones semble d’autre part s’organiser entre pays cœurs et périphéries proches : dans le cas de l’Europe, on constate ainsi que le rebond industriel, sensible en France ou en Allemagne, est particulièrement fort en Europe de l’Est (ex-RDA comprise), dans les Balkans, ou en Afrique du Nord. Les cartes régulièrement publiées par Trendeo2 montrent qu’en France ce sont surtout les zones frontalières du Nord et de l’Est, avec la vallée du Rhône, et les pourtours de quelques métropoles, qui semblent aujourd’hui accueillir les nouvelles implantations, parmi lesquelles, du reste, on trouve beaucoup de centres logistiques.

Mais il y a aussi beaucoup de nuages. Le plus sombre aujourd’hui concerne évidemment le coût de l’énergie. Nos entreprises industrielles vont avoir beaucoup de mal à vivre avec une énergie trois fois plus chère qu’aux États-Unis et deux fois plus chère qu’en Chine. Est-ce passager, ou structurel ? On peut se demander si la géographie industrielle ne va pas se réorganiser autour de quelques grandes logiques très différentes et en partie divergentes : celle de l’accès à la compétence humaine, qui va dominer les localisations industrielles courantes, avec peut-être deux niveaux (les pôles de forte innovation, autour des métropoles, et ceux de la production courante) ; celle de l’accès à une énergie peu chère et décarbonée, pour les industries très gourmandes en énergie. Le basculement d’une partie des secteurs électro-intensifs (acier, aluminium, cloud) vers les zones arctiques de la Scandinavie est significatif à cet égard. À terme, en combinant les ressources éoliennes de la mer du Nord, hydroélectriques de la Scandinavie, solaires de l’Europe du sud et de l’Afrique du Nord, le « quartier d’orange » des longitudes européennes devrait ainsi pouvoir bénéficier d’une énergie décarbonée et souveraine. Mais avant d’arriver à ce stade, le chemin sera périlleux.

L’accès au foncier, largement évoqué dans l’ouvrage, est un autre point de préoccupation. Au-delà des réglages nécessaires à court terme du ZAN (zéro artificialisation nette des sols), et en endossant clairement la nécessité de la sobriété dans l’usage du sol, la question est, comme l’ouvrage le montre bien, celle de l’acceptabilité globale par nos sociétés, entièrement tournées vers le bien-être résidentiel, des inévitables contraintes de la production matérielle – ceci valant en particulier pour les nouvelles énergies renouvelables qui, contrairement aux énergies fossiles, devront être produites localement. La question de la localisation des éoliennes et du solaire aura valeur de test à cet égard.

Plus problématique encore pourrait être, à moyen terme, la question des compétences et des ressources humaines. À court terme, la « grande démission » ou la « grande flemme » relèvent du buzz médiatique plus que d’analyses sérieuses. Ainsi, les taux de démission et de turn-over dans les entreprises sont élevés ; mais pas plus qu’ils ne l’étaient autour de l’année 2000, quand la demande des entreprises était aussi très forte. Mais nous savons bien qu’il reste de très gros progrès à faire pour redresser l’image de l’industrie dans l’esprit des jeunes et des familles et faire de notre système éducatif l’acteur central qu’il devrait être dans la construction du monde industriel nouveau. Les lycées techniques et professionnels sont à l’épicentre de la bataille pour la renaissance hyper-industrielle. Il est vraiment urgent d’en finir avec le dédain dont ils sont l’objet de la part des « élites » exclusivement formées au moule des formations générales. Ajoutons que, y compris dans les filières considérées comme nobles, le désintérêt croissant pour les sciences, chez les filles mais pas seulement, est très inquiétant. Aux États-Unis, les sciences et les technologies sont largement développées par les étudiants et des professionnels étrangers, asiatiques notamment. Devrons-nous en arriver là ? Redonner le goût des sciences, par une pédagogie profondément repensée, devrait être une grande cause nationale (à cet égard, j’ai trouvé l’exemple de Joseph Puzo, dirigeant d’Axon’, enseignant les sciences en usine, particulièrement fascinant).

Le quatrième grand sujet qui est devant nous, et qui est intimement relié à ceux qu’on vient d’esquisser, est celui du verdissement de notre industrie. À l’heure où le gouvernement prépare un plan « usines vertes », il faut souligner que c’est toute l’industrie – et pas seulement quelques secteurs – qui doit être verdie, services compris. C’est une question de responsabilité écologique, mais aussi de compétitivité, à l’heure où nos concurrents mettent les bouchées doubles en la matière, comme on le voit avec le plan Biden. Bien entendu, les trajectoires devront être pesées avec soin, pour ne pas créer de ruptures trop brutales. Mais la trajectoire doit être accélérée. Du point de vue technologique, beaucoup de recherches sont aujourd’hui menées sur la décarbonation de la production des grands matériaux, intrants essentiels du tissu manufacturier et de la construction. Le basculement vers des énergies propres est aussi, bien entendu, un élément clé. Il se traduira par une électrification accrue, qui va demander des investissements importants, car il faudra renouveler une partie des machines. Enfin, de nombreux industriels ont commencé à repenser leurs process pour les rendre plus éco-efficients, moins carbonés, et moins polluants. Mais le point essentiel est celui-ci : une industrie verte n’est pas la somme d’usines émettant moins de GES. Le défi est plus large. Car il faut aussi repenser les produits, pour les rendre plus simples, plus réparables, plus durables. Il faut raisonner sur les chaînes de valeur, et pas sur les unités isolées. Il faut envisager les cycles de vie complets, et sortir autant que possible des modèles linéaires pour circulariser les flux. On comprend tout de suite que ces objectifs sont collectifs, et impliquent des tissus d’entreprise, et pas seulement des entités juxtaposées. En réalité, au-delà de la décarbonation des usines, l’enjeu est celui de l’émergence d’un nouveau paradigme global pour l’industrie, et l’hyper-industrie. Dans ce nouveau paradigme, les interdépendances à longue distance et les effets d’échelle et de spécialisation ne seront pas abolis : on ne fabriquera pas des puces partout, dans des usines de proximité ! Mais la dimension territoriale reprendra une nouvelle vigueur. Ces chantiers vont être ceux de la nouvelle génération. Leur réussite dépendra dans une large mesure de notre capacité à redonner de la vitalité et de la vision aux territoires, dans l’esprit que présente cette nouvelle et importante publication de l’observatoire des Territoires d’industrie et de la Fabrique de l’industrie.

Pierre Veltz, Ingénieur, économiste et sociologue

Professeur émérite à l’école des Ponts ParisTech, membre de l’Académie des technologies et président du conseil scientifique de l’Institut des hautes études pour le développement et l’aménagement des territoires en Europe

  • 1. Je me permets ici de reprendre quelques réflexions présentées plus en détail dans P. Veltz, Bifurcations. Réinventer la société industrielle par l’écologie ? Éditions de l’Aube, 2022
  • 2. Voir l’Observatoire de l’emploi et de l’investissement de Trendeo.

Résumé

Certains territoires industriels sont réputés pour leur capacité à créer des emplois, parfois même à rebours d’une conjoncture nationale difficile. Ainsi par exemple, le dynamisme de Vitré ou des Herbiers est bien documenté3. Sans que leur action soit aussi connue, beaucoup d’autres territoires cherchent également à redynamiser leur tissu industriel, avec plus ou moins de succès, avec ou sans impulsion des pouvoirs publics ou de grands acteurs nationaux ou régionaux. Cet ouvrage rend compte de diverses initiatives de développement de l’industrie, déployées un peu partout sur le territoire français.

Le point de départ de l’analyse est le suivant : l’explication de l’évolution de l’emploi industriel se heurte aux limites des statistiques qui ne parviennent pas – ou du moins pas suffisamment – à rendre compte des dynamiques territoriales, également liées à des facteurs locaux comme l’état d’esprit ou l’intensité des coopérations. Il faut donc aller à la rencontre des acteurs locaux pour mieux comprendre ce qui permet à certains d’obtenir de bons résultats. Cet ouvrage est construit à partir de témoignages que l’observatoire des Territoires d’industrie a recueillis dans le cadre des séminaires mensuels qu’il organise et des études de terrain qu’il a diligentées.

Les études approfondies menées dans les quatre territoires d’Angoulême-Cognac, Alsace centrale, Nord Poitou et Seine Aval-Mantes, présentées dans la première partie de cet ouvrage, illustrent la diversité des tissus industriels, des collectifs d’acteurs et des leviers qu’ils actionnent. Le premier de ces territoires est un écosystème formé autour d’un produit, le cognac, tandis que le deuxième est un tissu d’entreprises innovantes, majoritairement d’origine allemande. Le troisième peut être assimilé à un district industriel de PME dotées du fameux « esprit vendéen ». Le quatrième est un territoire en déprise dépendant de l’avenir du secteur automobile et du renouveau imaginé autour de la Seine.

Ces territoires si différents illustrent l’absence de déterminisme dans les trajectoires industrielles. Les facteurs tels que la spécialisation industrielle et l’agglomération géographique des activités n’expliquent qu’en partie le développement ou le décrochage d’un territoire industriel. Il devient nécessaire de considérer plus généralement les conditions héritées de la géographie (la localisation frontalière ou les dotations naturelles, par exemple), de l’histoire (comme les conflits politiques et le passé industriel), de l’environnement socio-économique (les politiques de rééquilibrage territorial), du capital social (l’esprit entrepreneurial, les liens locaux de solidarité) et de la construction antérieure des ressources par les acteurs locaux. Cependant cet héritage ne détermine pas seul le dynamisme industriel d’un territoire. D’une part, les stratégies individuelles des entreprises y contribuent également, directement et par les effets d’entraînement que leur activité génère. D’autre part, les stratégies collectives jouent un rôle de plus en plus significatif, pouvant aller jusqu’à la mise en place d’une gouvernance territoriale favorisant les activités productives.

Dans un certain nombre de cas, les acteurs locaux se mobilisent aujourd’hui autour d’un projet commun incarnant leur volonté de faire ou de refaire de l’industrie un élément fort de l’identité du territoire. La gouvernance territoriale se construit autour d’industriels, d’élus, de services des collectivités territoriales ou de l’État, parfois de chercheurs ou d’associations de riverains, qui définissent collectivement des objectifs à atteindre, une feuille de route et des leviers d’actions. Ces derniers agissent sur l’entretien et le renouvellement des ressources (les compétences, le capital technologique et social, le foncier, les infrastructures, l’accès au financement) ainsi que sur la mise en relation des acteurs et sur tout ce qui permet d’assurer une bonne qualité de vie afin de conserver et d’attirer les compétences nécessaires.

Pour donner à voir les combinaisons spécifiques des territoires, formées par des conditions de base, une structure industrielle et des comportements d’acteurs, qui contribuent à leur performance, nous recourons au schéma « structure-comportement-performance » introduit dans les années 1950 et récemment adapté par Nadine Levratto et Denis Carré. Ceci permet de dépasser une lecture privilégiant les seules conditions locales favorables ou au contraire l’engagement des acteurs.

Dans la seconde partie de cet ouvrage, nous décrivons les dispositifs mis en place pour construire ou régénérer un territoire industriel. Cela peut aller d’une modeste enquête auprès des industriels sur les actions qu’ils jugent pertinentes de mener à la construction d’un réseau institutionnalisé d’entreprises locales. D’autres actions illustrent le renouvellement de dispositifs existants, comme des écoles de production ou des clubs d’entreprises. D’autres encore visent à rendre le territoire plus attractif, en veillant à bien accueillir les détenteurs de compétences et leur famille, avec un pack de services qui les aide à se loger, trouver un emploi pour le conjoint et les accompagne dans leurs démarches administratives.

Certaines ressources ne peuvent être construites à partir des seules forces locales, comme les infrastructures de transport, dont l’empreinte géographique dépasse le périmètre d’action des décideurs. Les acteurs cherchent alors des solutions à l’échelle interterritoriale, afin de mutualiser leurs forces ou de tirer profit du dynamisme des autres territoires. C’est ce qui a motivé l’Euro-accélérateur visant à faire coopérer les industriels de la Lorraine, de la Wallonie, du Luxembourg et de la Sarre.

Le programme Territoires d’industrie, à l’origine de nos travaux, en soutenant des projets portés à la fois par des industriels et des élus locaux, a encouragé un dialogue fécond, essentiel pour mettre l’industrie au cœur des projets de territoire.

  • 3. On renvoie ici au livre de P. Méhaignerie (2021) sur Vitré ou la « petite Allemagne » et à celui de V. Grimault (2020) qui raconte les transformations des Herbiers.

Remerciements

Cette Note présente une synthèse des études de terrain et du cycle de séminaires conduit dans le cadre de l’observatoire des Territoires d’industrie.

Nous remercions avant tout l’ensemble des acteurs locaux de s’être prêtés au jeu des entretiens et des tables rondes.

Merci à Etienne Fouqueray et à Emmanuel Nadaud, chercheurs associés à la fédération de recherche Territoires de l’université de Poitiers pour leur travail de terrain sur Angoulême-Cognac, Alsace centrale et Seine Aval-Mantes. Nous remercions également Marie Ferru, professeure des universités en géographie et directrice de la fédération depuis janvier 2023, Pascal Chauchefoin, Olivier Coussi et Matthieu Lee pour avoir mis à notre disposition leur étude réalisée sur le territoire Nord Poitou.

Nous remercions l’ensemble des partenaires de l’Observatoire et leurs représentants pour avoir soutenu ce projet : Guillaume Basset (Business France), Antoine Battistelli (Fondation Mines Paris), François Blouvac (Banque des Territoires), Floriane Boulay (Intercommunalités de France), Annabelle Boutet (ANCT), Didier Célisse (Banque des Territoires), Vincent Charlet (La Fabrique de l’industrie), Lucas Chevrier (Intercommunalités de France – école des Ponts ParisTech), Aurore Colnel (ANCT), Philippe Frocrain (Agence d’urbanisme de la région nantaise), Jean-Baptiste Gueusquin (ANCT), Isabelle Laudier (Institut CDC pour la Recherche), Diane de Mareschal (Institut CDC pour la Recherche), Nicolas Portier (Sciences Po), Charlotte Sorrin-Descamps (Intercommunalités de France), Mickaël Vaillant (Régions de France) et Thierry Weil (Mines Paris-PSL, pilote de l’Observatoire).

Que les membres du conseil scientifique de l’Observatoire soient aussi remerciés : Olivier Bouba-Olga (région Nouvelle Aquitaine), Coline Bouvart (France Stratégie), Gilles Crague (école des Ponts ParisTech), Denis Carré (université Paris Nanterre), Pierre-Noël Giraud (Mines Paris-PSL), Nadine Levratto (université Paris Nanterre), Magali Talandier (université Grenoble Alpes) et Pierre Veltz (Institut des hautes études pour le développement et l’aménagement des territoires en Europe, école des Ponts ParisTech).

Nous remercions aussi Michel Berry, fondateur de l’École de Paris du management avec laquelle des séminaires communs sont organisés, ainsi qu’Élisabeth Bourguinat, rédactrice des comptes rendus des séminaires.

Cet ouvrage résulte d’une dynamique collective : merci à Mathilde Jolis et à Hélène Simon, l’équipe Fabrique du cycle mensuel de séminaires, à Émilie Binois, Vincent Charlet et Thierry Weil pour le suivi éditorial des ouvrages et à Sharif Abdat pour la réalisation des maquettes des comptes rendus.

Introduction

Le programme Territoires d’industrie, lancé en 2018 dans un contexte de rebond de l’industrie manufacturière et avant que la crise sanitaire ne vienne fragiliser cette reprise, a permis de reconnaître le rôle de l’industrie comme vecteur de cohésion territoriale. Pour les deux premiers délégués du programme, Olivier Lluansi et Guillaume Basset, Territoires d’industrie a favorisé la sélection et la labellisation des actions locales afin que « les territoires soient mis en avant, à l’échelle nationale, pour le potentiel d’avenir qu’ils représentent » (Basset et Lluansi, 2023).

De notre point de vue, il a surtout constitué une occasion de mettre sur le devant de la scène les initiatives locales qui existaient sur des territoires sans que leurs voisins n’en aient connaissance. L’observatoire des Territoires d’industrie a alors trouvé sa raison d’être : aller à la rencontre des acteurs locaux pour révéler le contenu de leur projet de territoire en matière de revitalisation industrielle.

Néanmoins, on reste frappé par cette observation empirique chaque jour confirmée : des territoires réussissent alors que d’autres rencontrent plus de difficultés. Les géographies des territoires industriels, telles qu’elles sont décrites par un certain nombre de travaux récents (voir Figure I), révèlent en effet une forte hétérogénéité des situations en matière d’emploi industriel. Cette hétérogénéité peut s’apprécier au regard des activités qui sont actuellement dominantes dans les territoires, dessinant ainsi une carte des spécialisations industrielles. Une autre manière de l’appréhender est d’examiner les dynamiques de croissance des territoires entre les années 1960-1970 et aujourd’hui ou sur une période plus courte marquée par la crise liée au Covid-19 ; elles font ressortir les territoires qui ont su se renouveler et ceux qui sont plus résilients face aux crises.

Figure I – Les géographies des territoires industriels en France : une synthèse des typologies récentes

 

L’explication de cette disparité se heurte dans un premier temps aux limites des modèles statistiques, qui ne parviennent pas – ou du moins pas suffisamment – à rendre compte de la diversité des dynamiques territoriales. Ils traitent les régularités statistiques mais échouent à prendre en compte des éléments plus idiosyncrasiques ou non mesurables comme l’état d’esprit ou l’intensité des coopérations, qui sont des déterminants importants du succès des territoires mais sont difficiles à évaluer sans risque de circularité (Carré, Levratto et Frocrain, 2019). L’approche symétrique consistant à examiner le détail des dotations et des projets met en évidence le caractère irréductiblement singulier de chaque territoire (Granier et Ellie, 2021) et la difficulté de transposer sans précaution à l’un ce qui a permis le succès d’un autre. Nous nous limiterons ici à une description d’initiatives intéressantes mises en œuvre dans certains territoires et chacun appréciera la manière dont il peut éventuellement s’en inspirer en l’adaptant à un contexte différent.

Quiconque veut expliquer l’origine des disparités territoriales sur la base d’études de cas est confronté au dilemme suivant : est-ce la trajectoire du territoire qui explique sa dotation en ressources ou est-ce le contraire ? Autrement dit, les territoires sont-ils dynamiques parce qu’ils sont riches ou inversement ? L’ambition de cet ouvrage est de dépasser cette recherche de causalité unidirectionnelle et de montrer comment les trajectoires territoriales se déploient – et se singularisent – de manière dynamique. En effet, certains territoires (mais pas tous, en tout cas pas identiquement) parviennent à forger un projet et à se mobiliser pour tirer parti de leurs ressources initiales. Ce faisant, ils infléchissent leur trajectoire et renouvellent ce « stock » de ressources, pour mieux les exploiter encore à l’avenir. Pour illustrer ce processus complexe, nous donnons la parole aux acteurs des territoires qui œuvrent au quotidien pour redynamiser leur tissu industriel, en observant quels sont leurs leviers d’action opérationnels.

Cet ouvrage se compose de deux parties. Dans la première, une lecture transversale de quatre études de terrain approfondies permet d’illustrer la diversité des trajectoires4, en exploitant une grille de lecture basée sur le triptyque structure-comportement-performance.

La seconde partie expose les dispositifs et les solutions mis en place par les acteurs locaux dans le but de revitaliser leur tissu industriel. Elle constitue une boîte à outils dans laquelle les acteurs du développement local pourront piocher des idées pour en adapter certaines à leur territoire.

Cet ouvrage se focalise principalement sur des territoires qui ont été labellisés Territoires d’industrie, donc dotés d’une forte identité industrielle, passée ou présente. L’industrie y est entendue comme l’ensemble des activités manufacturières, extractives et liées à la production d’énergie et à la gestion de l’eau.

Figure II – Carte des territoires d’étude

Notes : réalisée avec QGIS. Les comptes rendus des séminaires sont disponibles sur le site Internet de La Fabrique de l’industrie.
La Lorraine, désormais intégrée dans la région Grand Est, et les départements de la Haute-Savoie (Auvergne-Rhône-Alpes), de la Sarthe et de la
Mayenne (Pays de la Loire) ont également été cités.

  • 4. D’autres outils de suivi des territoires ont été mis en place depuis 2020 et permettent également d’appréhender la diversité des territoires tels que l’Observatoire des impacts territoriaux de la crise et la Dataviz Territoires d’industrie. Créé initialement pour cartographier les effets de la crise liée au Covid-19 sur les territoires, l’Observatoire des impacts territoriaux de la crise a depuis élargi son activité à l’analyse de la reprise et aux conséquences du renchérissement des prix de l’énergie. Ses fondateurs Olivier Portier, consultant, et Vincent Pacini, professeur associé au Conservatoire national des arts et métiers (Cnam), travaillent avec Intercommunalités de France, l’Institut pour la recherche de la Caisse des Dépôts, le Cnam et l’Association des directeurs généraux des communautés de France (voir le séminaire de l’Observatoire du 9 décembre 2020). Dataviz Territoires d’industrie a quant à lui été créé par la Banque des Territoires en partenariat avec la Délégation Territoires d’industrie de l’ANCT et Intercommunalités de France. Il offre un service de data visualisation et de cartographie des Territoires d’industrie. On peut y trouver des indicateurs du marché du travail, les projets territoriaux financés par le plan de relance ou encore une analyse des fiches actions du programme Territoires d’industrie (voir le séminaire de l’observatoire des Territoires d’industrie du 26 janvier 2022).

PARTIE 1 – Pourquoi les territoires suivent-ils des trajectoires différenciées ?

Pourquoi certains territoires parviennent-ils à créer des emplois industriels tandis que d’autres connaissent un effritement continu de leur tissu productif ?

La littérature montre que ces disparités ne sont qu’en partie expliquées par la spécialisation sectorielle des territoires et le contexte macroéconomique (Carré, Levratto et Frocrain, 2019). Les politiques industrielles ne peuvent pas être construites à partir d’une vision purement sectorielle (Durand-Raucher et al., 2020 ; Basset et Lluansi, 2023) qui élude la question des relations intersectorielles et interentreprises. Elle montre également que les effets d’agglomération ne sont pas spontanés et qu’ils ne contribuent pas systématiquement à l’amélioration des performances des territoires (Bouba-Olga, Grossetti et Pumain, 2022). Ni la spécialisation ni l’agglomération ne suffisent à expliquer les performances des territoires industriels.

Une approche complémentaire (Crague, 2020 ; Granier et Ellie, 2021) consiste à mettre en avant les « ingrédients », c’est-à-dire les ressources matérielles et humaines (compétences, foncier, capital technologique et social, infrastructures, financement) que les territoires activent et combinent pour se développer. Il apparaît cependant assez vite que chacune de ces constructions est unique, et qu’il serait vain de chercher une recette miracle s’appliquant à l’ensemble des territoires.

L’enjeu méthodologique de notre questionnement est le suivant : il s’agit, pour dépasser les limitations des approches évoquées ci-dessus, d’expliciter les trajectoires de développement industriel des territoires, de sorte à faire ressortir à la fois leur singularité et l’exemplarité des outils ou des leviers mobilisés, qui peuvent en inspirer d’autres. À la manière d’un livre de cuisine composé de diverses recettes, nous en décrivons plusieurs, sans volonté d’être exhaustifs mais en nous attachant à être précis sur les étapes et les ingrédients.

Pour ce faire, nous mobilisons les études de cas de quatre territoires à forte spécificité industrielle5 labellisés Territoires d’industrie : Alsace centrale, Angoulême-Cognac, Nord Poitou et Seine Aval-Mantes6. Nous nous appuyons également sur une grille de lecture adaptée du paradigme structure-comportement-performance (SCP), originellement développé par Edward S. Mason en 1939 et par Joe S. Bain en 1959 pour analyser les performances sectorielles, puis adapté par D. Carré et N. Levratto (2011, 2020) pour décrire les déterminants des performances des territoires (voir encadré ci-après).

L’objet de cette grille de lecture est d’expliciter les facteurs qui construisent la trajectoire singulière d’un territoire ainsi que leurs liens. En particulier, elle nous permet de comprendre les performances en matière d’emploi industriel (P) à partir des conditions de base (un ensemble de ressources hérité de la géographie et de l’histoire), de la structure du territoire (S, décrite notamment par la spécialisation et l’agglomération des activités, la concentration des entreprises et leurs relations) et du comportement des acteurs locaux (C, qu’il s’agisse des industriels, des collectivités territoriales ou des collectifs d’acteurs).

Une grille de lecture renouvelée des performances des territoires

Dans le modèle SCP originel utilisé par des économistes industriels pour décrire la dynamique d’un secteur d’activité, les conditions de base (caractéristiques de l’offre, de la demande, l’environnement économique et la réglementation) influent sur la structure (S) du secteur (monopole, situation concurrentielle…), qui va déterminer à son tour les comportements (C) à l’origine des niveaux de performance (P) observés.

D. Carré et N. Levratto (2011, 2020) s’appuient sur cette démarche pour proposer une grille d’analyse de la performance des territoires. Des conditions de base macroéconomiques stables à court terme (infrastructures, cadre réglementaire, capital social, histoire et géographie des territoires…) influencent localement la structure sectorielle et la concentration géographique des activités, lesquelles peuvent expliquer les différences de croissance entre territoires.7 Pour D. Carré et N. Levratto, les comportements des firmes du territoire sont également influencés par leur âge, leur taille ou leur structure actionnariale. Les auteurs considèrent enfin l’influence des territoires avoisinants pour expliquer les performances d’un territoire.

Une critique adressée au schéma SCP originel est qu’il rend insuffisamment justice aux stratégies des firmes : les situations de monopole peuvent résulter de leurs stratégies d’innovation par exemple. Les comportements des firmes agissent donc sur la structure, voire (à long terme) sur les conditions de base, et ne sont pas simplement déterminés par elles. C’est pourquoi des boucles de rétroaction sont habituellement ajoutées entre les différents éléments du triptyque SCP. Ces relations causales simultanées ou décalées soulèvent des problèmes de circularité dans l’estimation empirique des modèles. Elles nécessitent aussi l’apport de compléments au cadre de base.

Au cadre défini par D. Carré et N. Levratto, la grille que nous proposons ici ajoute les décisions autonomes des industriels et des collectivités territoriales ainsi que les stratégies adoptées par les collectifs d’acteurs (industriels et collectivités, associations, etc.). Nous prenons aussi en compte l’intervention des pouvoirs publics qui agissent à une échelle plus large que celle du territoire (Régions, État).

Le développement local revêtant la forme d’un processus inscrit dans la durée, nous nous attachons également à cerner et décrire les différentes temporalités des phénomènes à l’œuvre. Ainsi, par exemple, l’effet des comportements sur les performances peut se faire sentir sur quelques mois ou des années selon l’action et le territoire considérés, tandis que les conditions de base évoluent lentement, selon un rythme de transformation qui s’exprime plutôt en décennies. Nous faisons donc apparaître des repères temporels dans le texte pour exprimer cette dimension qui n’était pas prise en compte dans le schéma SCP initial.

  • 5. Le poids du secteur industriel dans l’emploi en 2018 est en effet plus important dans ces territoires qu’à celui de l’échelle nationale.
  • 6. Les trois premiers territoires, sur lesquels une série d’entretiens a été réalisée par Etienne Fouqueray et Emmanuel Nadaud pour l’observatoire des Territoires d’industrie entre septembre 2020 et mars 2021, ont été sélectionnés sur la base de plusieurs indicateurs : l’indice de spécificité du territoire, l’évolution de l’emploi industriel sur la période 2007-2016 et 2016-2018, l’évolution de l’emploi total sur ces mêmes périodes et la présence ou non d’un effet local (voir le working paper écrit par E. Fouqueray, « À la recherche des Territoires d’industrie à effet local dominant »). Le travail sur le Nord Poitou a été réalisé à la demande du territoire par la fédération Territoires de l’université de Poitiers en 2020 et 2021.
  • 7. L’agglomération des firmes génère en effet des externalités positives qui expliquent de meilleures performances. Les firmes peuvent bénéficier d’externalités plus grandes quand elles sont localisées sur un territoire caractérisé par une spécialisation sectorielle (externalités de localisation ou de Marshall-Arrow-Romer) ou par une diversité de secteurs (externalités d’urbanisation ou de Jacobs).
Chapitre 1

Les territoires : un cadre d’action préexistant aux acteurs

La première étape de l’analyse des déterminants des performances des territoires passe par la mobilisation d’acteurs dans un cadre donné, la « structure », elle-même en partie déterminée par des conditions de base, largement inertes, qu’il est difficile de transformer et qui présentent une forte dépendance au sentier (David, 1985). Ces conditions recouvrent notamment la localisation géographique, les infrastructures, les représentations sociales partagées (la « culture » du territoire) ou encore l’environnement socio-économique.

Nous décrivons ici ces éléments pour Alsace centrale, caractérisée par une activité industrielle importante et diversifiée ; Seine Aval-Mantes, vallée fluviale historiquement organisée autour du secteur automobile et dans une moindre mesure l’aéronautique ; Cognac dont le produit du même nom est au cœur du développement territorial ; et Nord-Poitou, organisé autour des activités agroalimentaires et de sous-traitance automobile.

Les conditions de base façonnant la spécialisation

Les avantages liés à la localisation géographique et leur activation

La géographie peut être un facteur explicatif du développement de l’industrie.

L’Alsace se situe ainsi au cœur de l’Europe, sur la « dorsale européenne » s’étendant de Londres à Milan et englobant des espaces densément peuplés et très urbanisés. Elle est mitoyenne de l’Allemagne et située le long du Rhin. Cette localisation frontalière lui offre un accès à différentes sources d’approvisionnement et aux marchés. La construction d’infrastructures de transport permet de tirer parti de cette localisation. On peut citer l’axe ferroviaire qui va de Strasbourg à Bâle en passant par Sélestat, Colmar et Mulhouse ; l’autoroute A35, reliant l’ensemble de l’Alsace à l’Allemagne et à la Suisse, qui est devenue un axe routier majeur pour les camions; le fleuve Rhin, aménagé de telle sorte qu’il constitue aujourd’hui une voie de transport vers la mer du Nord très utilisée.

Le territoire Seine Aval-Mantes est quant à lui non seulement une terre automobile mais également le lieu d’implantation d’une partie du secteur aéronautique français. Des acteurs de l’aéronautique se sont installés aux Mureaux dès le début du xxe siècle en raison de la topographie de la Seine qui offrait à cet endroit une ligne droite utile au décollage et à l’atterrissage d’hydravions. Depuis 1976, le site accueille des activités aérospatiales (fusée Ariane, drones et satellites).

Des dotations naturelles aux compétences

Des territoires ont aussi su tirer profit des ressources naturelles de leur sous-sol et de leur sol en développant des savoir-faire spécifiques, à l’instar de Cognac où l’existence de terres fertiles favorables à la culture de vignobles est au fondement de la production de cognac, une eau-de-vie obtenue par distillation de vin8. Le cognac et les savoir-faire associés – la distillation et le vieillissement des eaux-de-vie, l’assemblage et la commercialisation – ont été développés au xvie siècle par les Hollandais dont le pays était alors une des premières puissances commerciales. Les activités connexes liées à la commercialisation du cognac se sont structurées dès les xvii e et xviiie siècles, autour des comptoirs de négoce, appelés plus tard maisons de Cognac, qui collectent les eaux-de-vie sur le territoire pour les exporter au nord de l’Europe.

Un autre exemple est le développement des activités de confiserie en Alsace. Dès le début du xixe siècle, l’Alsace cultive la betterave à sucre ; aujourd’hui encore cette culture demeure une activité importante en Alsace avec environ 6 300 hectares cultivés9. La production de betterave donne naissance à l’industrie de la confiserie en France et au développement de savoir-faire associés. Par ailleurs, la proximité du territoire avec l’Allemagne et la Suisse a pu également contribuer au développement des activités de fabrication de produits en chocolat.

La contrainte foncière

La disponibilité du foncier est un des facteurs à l’origine de l’implantation de l’industrie automobile à Poissy, sur le territoire Seine Aval-Mantes. La fermeture du marché aux bestiaux de Poissy, décidée en 1867 par la ville de Paris et le gouvernement qui le déplacent à la Villette, libère du foncier, ce qui a favorisé l’implantation des premières usines industrielles, dont les établissements Grégoire en 1902 spécialisés dans l’automobile. Ce site sera ensuite racheté par différents constructeurs dont le dernier est Stellantis. Aujourd’hui, le foncier a toujours un effet sur la structure industrielle du territoire dans la mesure où la rareté et le prix du foncier en région parisienne découragent le développement local d’activités industrielles. Par ailleurs, l’artificialisation, très forte sur le territoire, a atteint 28,2 % de l’occupation du sol en 2018, ce qui la situe à un niveau très supérieur à la moyenne nationale (5,3 %). Le territoire est également marqué par une pénurie de terrains de plus de 100 hectares.

Une culture ancrée historiquement

Une partie du Territoire d’industrie Nord Poitou est fortement imprégnée d’une culture spécifique, caractérisée par « l’esprit bocage » ou « l’esprit vendéen », à savoir un esprit à la fois entrepreneurial, indépendant et solidaire. Cet esprit qualifie plus généralement la « plaque Sud Loire » : celle-ci regroupe six Territoires d’industrie (Nord Poitou, Vendée Est, Choletais-Mauge, Saumur Val de Loire, Grand Châtellerault, Niortais-Haut Val de Sèvre) et résulte de l’histoire des territoires qui appartenaient à la province du Poitou sous l’Ancien Régime et à la Vendée militaire durant la Révolution française, ce qui favorise les relations de coopération et le sentiment d’appartenance à un même espace.

L’Alsace centrale n’échappe pas non plus à la prégnance de la culture présente dans toute l’Alsace, réputée pour être un territoire d’innovation. Dès les années 1870, l’université de Strasbourg, alors allemande, travaille avec l’industrie (Levy, 2005) et les structures de collaboration ont perduré lorsque la région est redevenue française. Elles sont même développées dès 1920 avec des fondations privées soutenant la recherche universitaire. Ces coopérations historiques et la proximité culturelle avec l’Allemagne expliquent peut-être une acceptabilité et un intérêt pour les nouvelles technologies plus fort en Alsace que dans le reste du territoire national ainsi que l’investissement qu’y consacrent les firmes locales.

Le poids des événements politiques et militaires

En Alsace centrale, les conflits militaires opposant la France et l’Allemagne ont contribué eux aussi à façonner le tissu industriel du territoire. En particulier, les appartenances successives de l’Alsace à l’un et l’autre pays ont influencé les stratégies des entreprises qui ont dû s’adapter aux deux législations. Certaines ont choisi de créer des sites des deux côtés de la frontière pour pénétrer les marchés nationaux et éviter les droits de douane pour la commercialisation de leurs produits. C’est ce qui explique l’implantation de nombreuses entreprises allemandes en Alsace après la Seconde Guerre mondiale, elles se sont développées et constituent aujourd’hui les principaux employeurs du territoire, notamment Liebherr à Colmar (installée en 1961), Mercedes-Benz à Molsheim (1967), Schmidt à proximité de Sélestat (1957), Bürkert à Strasbourg (1957) puis à Triembach-au-Val (1967).

De son côté, sous l’effet notamment des politiques de rééquilibrage régional, comme une grande partie de l’Ouest parisien (Delfaud et al., 1985), Seine Aval-Mantes va accueillir dans la seconde partie du xxe siècle un nombre de plus en plus élevé de sièges sociaux et de centres de R&D. Cela explique que les fonctions d’encadrement et d’ingénierie soient plus nombreuses que les emplois ouvriers. L’Île-de-France accueille ainsi 50 % des effectifs des équipes de recherche des constructeurs automobiles et des équipementiers et 30 % des effectifs des équipes en charge de la gestion des sièges sociaux, des fonctions supports et de l’administration des ventes ; les activités de production sont celles qui emploient localement le moins de personnes – un salarié sur cinq travaille à la production (Petit, 2019). L’installation massive de cadres dans l’Ouest parisien depuis les années 1980 (Beckouche, 1993) est d’ailleurs liée à ce phénomène.

Le renouvellement des conditions de base : le cas des nouvelles infrastructures

Sur le territoire de Seine Aval et plus largement le long de la vallée de la Seine, la stratégie de développement du tissu économique s’appuie sur le renouvellement des infrastructures de transport. Elle vise à désengorger la ligne A (selon le site de la RATP) et à faciliter la mobilité domicile-travail des habitants du territoire en diminuant le temps de déplacement et en augmentant la fréquence des trains. Les acteurs du territoire et les dirigeants d’entreprises espèrent également que cette nouvelle infrastructure permettra de réduire les difficultés de recrutement des cadres dans l’industrie de la partie ouest du territoire Seine Aval caractérisée par un manque d’attractivité.

Mais le principal projet du territoire concerne l’association entre les ports du Havre, de Rouen et de Paris au sein de l’établissement public à vocation industrielle, Haropa, créé en 2021. L’objectif est de promouvoir le développement du transport fluvial et de la logistique pour accroître le trafic de marchandises et de faire des zones industrialo-portuaires des lieux privilégiés de redéveloppement industriel de la France tout en assurant le caractère durable du projet. Pour cela, Haropa gère la location de terrains et fournit des services logistiques. Il constitue aujourd’hui le premier port pour le commerce extérieur de la France et le quatrième port nord-européen en tonnage. Deux projets d’aménagement sont en particulier menés par Haropa sur Seine Aval : l’extension de 32 hectares du port de Limay et la construction d’un port à Achères dédié à l’activité BTP et aux secteurs associés (activité de centrale à béton et de ciment, etc.). Ce port permettra notamment de réceptionner les matériaux et d’évacuer les déblais des chantiers du Grand Paris.

Cette stratégie s’inscrit dans un cadre plus large, celui de la politique interrégionale menée dans le cadre du contrat de plan interrégional État-Région « Vallée de la Seine ». Le rôle central de la Seine et de l’Île-de-France dans le commerce extérieur français, à travers la connexion de Paris au port du Havre via le fleuve, est une des raisons d’être de ce contrat. Toutefois, la stratégie d’Haropa se heurte à la rareté du foncier qui caractérise le territoire Seine Aval et plus largement les régions Île-de-France et Normandie.

Des conditions de base à la formation d’une structure industrielle

Ces conditions de base déterminent en partie la structure industrielle des territoires, décrite par le degré de spécialisation des activités et leur agglomération, ainsi que par la nature des firmes qui sont présentes (PME ou grandes entreprises, entités indépendantes ou filiales de groupes)10.

Commençons par Cognac, territoire le plus spécialisé parmi les quatre territoires d’étude. Il est caractérisé par la prédominance du secteur de la production de boissons alcooliques distillées et des services associés. Parmi elles, le cognac bien évidemment, mais aussi d’autres spiritueux comme la vodka, le gin, le whisky, des liqueurs. Le marché est dominé par quatre maisons de Cognac présentes à l’international : Hennessy, Maison Martell, Maison Rémy Martin, Courvoisier. Elles appartiennent à des groupes mondiaux du secteur des spiritueux (respectivement LVMH, Pernod-Ricard, Rémy-Cointreau, Suntory), leur permettant d’investir dans les réseaux de distribution mondiaux. Ces quatre grandes maisons se partagent ainsi 80 % du marché mondial en volume. Elles coexistent avec de nombreuses maisons de négoce (271 comptabilisées en 2018 par le Bureau national interprofessionnel du cognac, BNIC) localisées à Cognac et à Jarnac en Charente. Autour de ces maisons existe un écosystème dense, formé dans les domaines de la tonnellerie, la verrerie ou encore les étiquettes et l’emballage.

À l’inverse de Cognac, Alsace centrale11 présente un tissu d’entreprises hétérogènes aussi bien sur le plan de la taille que du secteur d’activité économique. Les activités clés du territoire sont nombreuses : la fabrication de machines et équipements, la production de matériels de transport, les activités agroalimentaires et brassicoles, les industries du papier et du carton, la fabrication de meubles de cuisines et la fabrication de matériels électriques et électroniques. Comme à Cognac, les entreprises y sont nombreuses. L’Alsace centrale est très orientée vers l’international avec de nombreux groupes à capitaux étrangers, allemands comme Liebherr, Mercedes-Benz ou Hager, américains comme Mars ou danois comme Kronenbourg (propriété du groupe Carlsberg). À la fin des années 1990, plus de 42 % des effectifs industriels alsaciens étaient employés par des firmes à capitaux étrangers (Robert, 1998). Le dynamisme commercial du territoire s’appuie notamment sur la puissance commerciale des groupes : deux tiers des exportations alsaciennes seraient imputables aux filiales étrangères implantées dans la région (Gras, 2009).

Le territoire Nord Poitou présente des caractéristiques similaires à Alsace centrale. Cette zone est caractérisée par un tissu industriel dense de petites entreprises familiales comme en Vendée ou dans le Choletais et peut être associée à un « pays d’usines à la campagne » ou à une « nébuleuse industrielle ». Les trois principaux secteurs en matière d’emplois industriels sont la métallurgie, l’agroalimentaire et dans une moindre mesure les industries du bois, du papier-carton, de l’ameublement et de la menuiserie. Les acteurs de la métallurgie servent une diversité de secteurs (agriculture, agroalimentaire, aéronautique, aéroportuaire, ferroviaire, etc.). Les activités agroalimentaires concernent principalement l’élevage avec la valorisation des viandes de volaille et de boucherie ainsi que les productions à partir de lait, notamment le fromage de chèvre. Le territoire Nord Poitou compte quelques établissements ou filiales de groupe (Lisi Aerospace ou Marie, filiale du groupe alimentaire LDC), et surtout des PME à actionnariat familial, sous-traitants des secteurs automobile, aéronautique ou BTP.

Seine Aval-Mantes se distingue des trois autres territoires par la composition de son tissu industriel. Il est dominé par les sièges sociaux et les centres de R&D du secteur automobile, du secteur aéronautique, de l’environnement (gestion des déchets, dépollution et mesures, gestion de l’eau) et de la fabrication de matériaux pour le BTP12. Alors même que la chute de l’emploi industriel se révèle importante au cours de la période 2007-2016, on observe une hausse sur 2016-2018 liée à première vue à des facteurs locaux. Les constructeurs mondiaux Renault et Stellantis, dont les volumes de ventes mondiales les classent derrière l’Allemand Volkswagen et le Japonais Toyota, concentrent l’essentiel de l’emploi industriel local du secteur. Concernant les autres secteurs d’activité, les sièges sociaux d’ArianeGroup (aéronautique et spatiale), Sarp Industries appartenant au groupe Veolia et Envea (environnement), Ciments Calcia, filiale du second producteur mondial de ciment Heidelberg Cement et Etanco Group (fabrication de matériaux et éléments pour le BTP) sont présents. Ce territoire abrite également les leaders mondiaux de la fabrication d’instruments à vent, Buffet Crampon et Henri Selmer Paris.

  • 8. La distillation consiste à chauffer le vin pour en récupérer les composés volatils les plus parfumés et les plus aromatiques.
  • 9. Quant à la région Grand Est, elle constitue aujourd’hui la seconde région productrice de betterave à sucre après les Hauts-de-France.
  • 10. La présence d’établissements appartenant à des groupes est par ailleurs introduite comme un élément de la structure car elle participe à la caractérisation du profil productif des territoires.
  • 11. Bien que l’étude ait porté sur le Territoire d’industrie Alsace centrale, la plupart des caractéristiques identifiées par les chercheurs sont communes à toute l’Alsace.
  • 12. Plus de la moitié de ces établissements sont des sièges sociaux d’entreprises multi-établissements ou de groupes. Le secteur automobile concentre plus d’un tiers des emplois industriels du territoire Seine Aval-Mantes en 2019 et représente 11 910 emplois. Les autres secteurs qui pèsent sur l’emploi industriel du territoire sont l’aéronautique, le spatial (3 500 emplois), l’environnement : gestion des déchets, dépollution et mesures, gestion de l’eau (2 300 emplois), la fabrication de matériaux et éléments pour la construction et le bâtiment (2 150 emplois) et la facture instrumentale (770 emplois).
Chapitre 2

L’action déterminante des acteurs : combiner les ressources du territoire au service de la performance

L’industrie ne tombe pas du ciel, pas plus qu’elle n’est léguée une fois pour toutes en héritage du passé. Bien au contraire, elle est en permanence façonnée par les entreprises, par les collectivités territoriales ou par des collectifs d’acteurs. On étudie ici l’effet de leurs stratégies et de leurs actions sur les performances du territoire (qui en renouvellent au passage la structure et les conditions de base).

Un tissu industriel ne se crée pas ex nihilo, de même qu’il n’est pas uniquement le résultat du passé. Sa nature et ses caractéristiques évoluent de manière continue sous l’action des entreprises et des politiques publiques de soutien à l’économie et aux entreprises qui sont mises en œuvre par l’État et les collectivités territoriales. C’est aux liens entre les choix opérés et les décisions adoptées par les entreprises d’une part et les performances du territoire de l’autre que s’intéresse ce chapitre.

Les stratégies des firmes industrielles

Le poids des grandes entreprises

La dépendance de certains territoires à de grands groupes, maisons mères, filiales ou donneurs d’ordres, les rend vulnérables aux décisions prises par les têtes de groupe ou à leurs difficultés. Le territoire Nord Poitou a ainsi subi la défaillance d’Heuliez13 en 2013, un sous-traitant automobile dont l’effectif approchait les 2000 salariés au début des années 2000. Une société d’économie mixte, la Fabrique régionale du Bocage, a été créée à l’initiative de la Région pour reprendre les activités et continuer à faire fonctionner l’outil productif, le temps que de nouveaux industriels rachètent les différentes activités du nouveau site, dénommé Technypôle. Ainsi, les initiatives des acteurs publics et privés ont limité les conséquences de cette fermeture pour l’emploi sur le territoire14, même s’il ne reste désormais que quatre ETI15 : autrement dit, le comportement des acteurs a, tout à la fois, soutenu la performance du territoire et rétroagi sur sa structure.

À l’inverse, des territoires peuvent bénéficier de décisions individuelles, comme dans le cas de Seine Aval-Mantes dont la dynamique positive de l’emploi industriel entre 2016 et 2019 a été largement portée par la décision de Stellantis de rassembler ses effectifs de la région parisienne sur ce site. Cette situation résulte de la rationalisation des activités franciliennes du groupe. Les sites de Poissy et de Carrières-sous-Poissy ont en effet bénéficié du transfert de 1 500 salariés lors de la fermeture du siège social historique de PSA avenue de la Grande Armée à Paris, et de 2 000 salariés lors de la fermeture du centre technique et R&D de la Garenne-Colombes en 2018. Cette concentration des activités sur le site de Poissy se poursuit aujourd’hui avec la fermeture du site de Vélizy (Richardson, 2021) et la création d’un campus vert qui regroupera les activités tertiaires, la R&D et les moyens d’essais. Il est prévu que le site de Poissy regroupe 11 000 personnes, ce qui devrait consolider au moins à court terme la spécialisation automobile du territoire Seine Aval-Mantes, malgré un fort déclin global du secteur au niveau de la région.

L’autre poids lourd automobile de Seine Aval-Mantes, Renault, a décidé de réorganiser l’activité de l’usine de Flins autour du recyclage de véhicules et de pièces automobiles. L’usine de Flins a compté jusqu’à 21 000 salariés dans les années 1970, elle n’en recense plus que 2 018 en 2021. Le projet, intitulé Refactory, s’inscrit dans la stratégie du Groupe. Il se positionne sur le marché de l’occasion pour prolonger la durée de vie des véhicules, en particulier sur la réparation de la carrosserie des véhicules accidentés, la réparation et le recyclage de pièces automobiles, en particulier les batteries électriques. La mise en place de ces activités sera accompagnée par la création d’un pôle de formation et d’un incubateur de start-up car il s’agit de former les salariés à ces nouvelles activités. L’effet sur l’emploi industriel devrait être faible, les effectifs étant a priori conservés, et devrait générer une montée en compétence16. On voit ainsi que derrière l’amélioration de la dynamique industrielle observée sur la période 2016-2018 se poursuit la tendance structurelle à la déprise industrielle du territoire, liée notamment au déclin du secteur automobile national.

Le territoire cognaçais évolue également au gré des décisions de grands comptes et, notamment, de la stratégie de distribution des grandes maisons de cognac. Le cognac est un produit exporté à 98 %. Il a toujours été un produit d’exportation puisqu’il était destiné initialement aux Pays-Bas. En 2019, 216,5 millions de bouteilles ont été vendues sur les marchés internationaux – dont près de 100 millions aux États-Unis –, générant un chiffre d’affaires de 3,6 milliards d’euros. Il contribue aux performances positives du territoire et à la balance commerciale de la France, dont il incarne un des rares secteurs excédentaires. Le succès du cognac sur les marchés mondiaux est lié depuis le milieu des années 2000 à la croissance très forte du marché américain et à la stratégie commerciale proactive des grandes maisons. En effet, Hennessy est présent aux États-Unis depuis la première moitié du xxe siècle – Courvoisier et Rémy Martin lui emboîteront le pas – dans les clubs de jazz, et aussi au travers d’actions de soutien aux associations de défense des droits civiques après la Seconde Guerre mondiale, du financement d’activités culturelles, sportives et éducatives, etc. Le cognac y est devenu progressivement le produit des minorités, face aux whiskies et aux brandies de la communauté « blanche », et est associé aux chanteurs de rap les plus connus.

Des réseaux d’acteurs pour entretenir le capital social des territoires

Sur le territoire Nord Poitou, Parthenay compte un de s clubs d’entreprises les plus anciens de France – créé en 1977 –, et celui du Bocage bressuirais est présenté comme le plus grand de la région Nouvelle Aquitaine. Ces lieux favorisent l’échange d’informations sur des sujets d’actualité, la création de liens informels et la découverte des activités des entreprises sur le territoire à travers l’organisation d’ateliers. Des organisations se sont créées autour des secteurs clés, telles que France Parthenaise en 1983 qui fédère les acteurs du monde agricole et de l’industrie agroalimentaire autour de la valorisation de la Parthenaise, race bovine dont la viande est labellisée Label Rouge. Ce territoire est également caractérisé par des relations interpersonnelles fortes. Les dirigeants d’entreprise sont majoritairement issus du territoire et se connaissent depuis l’enfance ; ils s’y sont installés avec leur famille, ce qui contribue à pérenniser les relations, à travers le partage des loisirs et des activités des enfants. Ces relations de nature plus informelle que les clubs d’entreprises – que ces derniers contribuent cependant à renforcer – favorisent l’émergence de nouvelles relations d’affaires et une forme de solidarité entre les acteurs pour défendre les emplois locaux. Par exemple, il est arrivé que des entreprises qui ne pouvaient pas honorer un contrat fassent appel à des entreprises locales concurrentes mais dirigées par leurs connaissances personnelles pour le faire. Ces pratiques sont illustratives de ce que l’on nomme parfois « l’esprit bocage » et contribuent en retour à le renforcer17. Le reste du territoire est quant à lui plutôt marqué par de « petits conflits » selon les acteurs locaux.

Des effets d’entraînement

Les territoires organisés autour de la production d’un produit principal et dépendant des marchés mondiaux ont été particulièrement sensibles aux différentes crises économiques qui ont marqué les années 1990. Pour y faire face, les petites maisons de Cognac ont mis en place une stratégie de diversification de produits en fabriquant des spiritueux autres que le cognac – vodka, gin, whisky, brandy, liqueurs –, stratégie déjà adoptée par les grandes maisons, qui appartiennent à des groupes mondiaux de spiritueux disposant de ce type de produits dans leur portefeuille. Ces stratégies de diversification ont divisé les acteurs de la filière entre ceux qui ne souhaitaient pas fabriquer de nouveaux produits et ceux qui poussaient à la diversification ; les discussions au sein de la filière ont abouti à une stratégie de diversification sur l’apport de nouveaux produits s’inscrivant dans la tradition de qualité et de savoir-faire du territoire. C’est ainsi que les acteurs locaux produisent désormais une gamme complète de spiritueux, avec une spécialisation sur le haut de gamme18, renouvelant les sources de performance économique. En 2020, 50 % de la production mondiale de spiritueux super-premium en volume et 80 % de la production française de spiritueux en valeur étaient produits sur le territoire englobant les bassins économiques des villes d’Angoulême, de Saintes et de Cognac19. Cette diversification de produits a permis en retour le développement de l’ensemble des activités de la chaîne de valeur (bouchonniers, verriers, imprimeurs, transporteurs, etc.) (Bouba-Olga, Ferru et Guimond, 2012). Elle a également fait émerger de nouveaux produits et de nouvelles activités, ciblant toujours le marché haut de gamme, tels le vinaigre Baume de Bouteville produit par la Compagnie de Bouteville ou le décor sur verre de l’entreprise Bernadet pour des parfums.

Les collectifs d’acteurs public-privé à l’origine de nouvelles dynamiques locales

Des dispositifs de coordination entre acteurs publics et privés favorisent la mise en place de stratégies en faveur du développement territorial, et non plus seulement d’entreprises ou de groupes. Certains d’entre eux ont été imaginés au cours du xxe siècle et contribuent à expliquer les performances observées durant les années 2010. D’autres ont été créés après 2019, avec l’ambition de redynamiser leur territoire.

Des outils de gouvernance parfois anciens mais renouvelés

L’écosystème cognaçais est structuré autour d’un acteur clé, le Bureau national interprofessionnel du cognac (BNIC) et de la labellisation AOC (appellation d’origine contrôlée), forme de cluster spécifique (Pecqueur, 2007). L’origine du BNIC remonte à 1946. Sa création est alors motivée par le besoin de représenter la filière et de favoriser le dialogue entre les viticulteurs et les négociants. Depuis son rôle s’est élargi. Il est désormais en charge de la planification de la production de cognac afin de sécuriser les approvisionnements des maisons de Cognac et de garantir des débouchés en adéquation avec les volumes produits pour la viticulture ; il gère également le cahier des charges lié à l’AOC. Le label AOC, qui réglemente depuis les années 1930 les conditions de production des eaux-de-vie ouvrant droit à l’appellation Cognac et la définition d’une aire d’appellation par commune et par cru, confère non seulement au cognac une image de qualité mais permet également de conquérir un segment particulier de marché tout en favorisant l’ancrage des firmes sur le territoire (Bouba-Olga, Ferru et Guimond, 2012). Par ailleurs, afin de mettre la diversification des activités au cœur de la stratégie de territoire, un réseau s’est constitué autour des producteurs de Cognac, de Saintes et d’Angoulême en 2016, Spirits Valley, dont les objectifs sont notamment de favoriser les relations d’affaires entre les acteurs, d’adapter la formation aux besoins du territoire et de participer à l’attractivité de ce dernier.

En Alsace, c’est l’objectif de réindustrialisation du territoire après la Seconde Guerre mondiale qui a favorisé l’instauration des espaces d’échanges et de coopération des acteurs locaux. Cette stratégie s’est matérialisée par la création du premier comité d’expansion français en Alsace20, le Comité d’étude et d’action pour l’économie alsacienne (CEAEA) en 1950 autour de Pierre Pflimlin, député du Bas-Rhin et ministre de l’Agriculture. Ce comité prend le nom d’Association de développement et d’industrialisation de la région Alsace (ADIRA) en 1968. Parfois scindée en deux organismes entre Bas-Rhin et Haut-Rhin selon les époques, cette institution visait à accompagner les entreprises dans leurs projets d’implantation et de développement, en cherchant à lever les divers freins (autorisations administratives diverses, ressources humaines et financières), en mobilisant les acteurs publics, parapublics et privés adéquats et en facilitant l’accès aux ressources humaines, matérielles et financières (foncier, immobilier, main-d’œuvre, etc.). Pendant longtemps, l’ADIRA a été un acteur de prospection internationale, notamment aux États-Unis, au Japon et dans les pays européens limitrophes, en charge d’identifier, d’attirer et de faciliter l’implantation d’entreprises internationales. La quasi-totalité des grandes entreprises internationales implantées en Alsace a ainsi été accompagnée par l’ADIRA. Cette agence joue le rôle de facilitateur en se positionnant comme un intermédiaire entre acteurs publics et acteurs économiques et en cherchant à établir des relations de confiance21. Aujourd’hui, l’ADIRA propose toujours des terrains et des locaux aux entreprises, les accompagne pour trouver des financements aux projets et joue le rôle d’interface avec les services de l’État et les collectivités locales, toutefois sa compétence en matière de prospection internationale a été transférée à une nouvelle agence, Grand E-Nov+, créée à l’échelle de la région Grand Est en 2018. L’ADIRA a désormais pour rôle de favoriser le seul développement économique endogène sur le territoire alsacien.

Des nouvelles collaborations public-privé qui renforcent les performances et la culture industrielle

En Alsace centrale, la culture de l’innovation irrigue et stimule les coopérations. Par exemple, Bürkert a porté le projet SMARTLab en 2016, un système miniaturisé d’analyse en ligne de la qualité de l’eau, avec comme partenaires la société 3D Plus (une entreprise de la région parisienne spécialisée dans la miniaturisation et l’empilage de composants électroniques) et l’École supérieure de biotechnologies de l’université de Strasbourg. Cette stratégie de collaboration s’inscrit dans l’histoire du territoire alsacien et participe aussi plus généralement aux stratégies d’investissement des firmes alsaciennes dans l’industrie 4.0, ce qui renforce leur culture industrielle et leur confère une certaine résilience.

On assiste également à l’émergence de nouvelles formes de coopération territoriale en Alsace centrale. Une réflexion a commencé en 2016-2017 concernant une dynamique territoriale de mobilisation des entreprises, afin de partager les expertises et les connaissances et pour que les techniciens des collectivités établissent de nouvelles collaborations. De cette réflexion est né à la fin de 2021 le réseau inter-entreprises AC:TIONS (territoires d’industries et organisations novatrices et solidaires). Il réunit une quarantaine de membres pour échanger sur des actions concrètes relatives à la transition énergétique, à la gestion des déchets industriels, à la qualité de vie au travail, au foncier, etc.

De nouveaux dispositifs de mise en relation ont également vu le jour sur le territoire Nord Poitou. En 2018, le Pôle Métal 2S a été créé pour réfléchir aux problèmes de recrutement rencontrés par les entreprises de la filière métallurgique. Il est devenu un espace de concertation et de dialogue autour de problématiques communes et rassemble des industriels et des acteurs institutionnels partenaires (GRETA, Chambre de métiers et de l’artisanat, Union des industries et des métiers de la métallurgie, lycées, Maison de l’emploi du Bocage bressuirais). Des dispositifs mêlant acteurs public-privé existent comme le réseau Recto-Verso, créé par la communauté d’agglomération du Bocage bressuirais et animé par une association d’entreprises, dans le but d’inciter les acteurs locaux à mettre en place des actions d’économie circulaire. Dans la continuité des réunions organisées dans le cadre du programme Territoires d’industrie et pour faire face aux nouvelles problématiques rencontrées avec la crise sanitaire et économique liée au Covid-19, des échanges entre les personnels des intercommunalités ont été organisés plus fréquemment. Deux nouvelles structures ont ainsi émergé : un « G8 des intercommunalités des Deux-Sèvres » pour les présidents d’intercommunalités et un groupe des développeurs économiques des Deux-Sèvres.

De nouvelles formations au service de l’industrie

Une solution à la croisée de la mise en réseau et de la formation a été imaginée par la société iXblue, spécialisée dans la conception et la fabrication d’équipements de haute technologie pour les secteurs maritime et spatial. L’iXcampus, localisé à Saint-Germain-en-Laye (Yvelines), a pour objectif de créer un écosystème d’innovation ayant l’état d’esprit d’un campus pour favoriser les échanges entre ingénieurs issus de start-up et de PME de haute technologie et le monde universitaire et ainsi stimuler l’innovation et la construction des savoir-faire. Pour y parvenir, le campus propose différentes offres : centre de conférences, centre sportif, écoles pour enfants, etc. L’étape suivante est l’implantation de l’école de design rattachée à CY Cergy Paris Université en 2021.

Sur d’autres territoires, de nouvelles écoles s’implantent et proposent des formations adaptées aux stratégies industrielles. L’école de commerce Audencia de Nantes a ainsi ouvert en 2019 un bachelor « Culture et management des spiritueux » et un Master of Science in Cognac and Spirits Management. La communauté d’agglomération du Grand Cognac travaille également à l’implantation d’une antenne du Conservatoire national des arts et métiers (Cnam) sur le territoire. Ces formations complètent celles qui existaient depuis les années 1980, l’Université des spiritueux (rattachée à l’université de Poitiers), implantée à Segonzac depuis 1988 et dispensant une formation de niveau master en droit et en commerce, et le Centre international des spiritueux (CIDS), une association de professionnels de la filière des spiritueux créée en 2001, dont l’une des missions est de proposer une offre de formation continue au service des professionnels travaillant dans le secteur des spiritueux.

Les coopérations avec les territoires voisins

La création de la technopole Eurekatech en 2018 illustre une nouvelle forme de coopération des acteurs cognaçais avec le territoire voisin d’Angoulême dans l’optique de créer des synergies et d’améliorer leurs performances en matière d’innovation et d’emploi. Historiquement, ces deux territoires, qui ont des spécialisations et des performances très différentes – Cognac se caractérise par une croissance industrielle tandis que le second est en déclin depuis une trentaine d’années – ne dialoguent pas ensemble. Eurekatech associe Grand Angoulême, Grand Cognac, la région Nouvelle Aquitaine, les chambres consulaires, l’union patronale et le Pôle Image Magelis pour dépasser les cadres habituels d’intervention et faciliter les interactions entre les entreprises les plus importantes du territoire en matière d’emploi. La technopole remplit trois missions principales : l’accompagnement des porteurs de projets innovants (de la création à la phase de développement) et le développement de la culture de l’entrepreneuriat (ex : lycées, écoles, etc.) ; l’animation auprès des acteurs du territoire sur les questions d’innovation et d’entrepreneuriat (organisation d’évènements) ; et le soutien aux trois filières majeures sur les deux territoires, à savoir les spiritueux, la mécatronique et les activités liées à l’image et aux industries culturelles et créatives.

L’intervention publique via le programme Territoires d’industrie : une impulsion au renouveau industriel des territoires ?

Outre la réglementation (AOC) et les politiques antérieures de rééquilibrage national, le programme Territoires d’industrie, lancé en novembre 2018, est un exemple d’intervention publique qui peut jouer un rôle sur le comportement des acteurs locaux et la structure des territoires. Bien qu’il soit trop tôt pour en évaluer les effets, on décrit ici les premiers retours de ce programme tels qu’ils ont été rapportés par les acteurs locaux. Nos quatre territoires d’étude illustrent les effets décrits par Granier et Ellie (2021) : le dialogue entre des acteurs qui ne se parlaient pas auparavant, ou du moins pas régulièrement, et la volonté d’accélérer le déploiement des projets déjà existants.

Le pilotage du programme par un binôme élu-industriel et le regroupement d’intercommunalités qui fonde le périmètre des Territoires d’industrie ont favorisé l’émergence de nouvelles interactions. Un représentant d’intercommunalité de Seine Aval-Mantes rapporte ainsi : « Mettre autour d’une même table des industriels, des structures publiques et des équipes, et des territoires côte à côte et franchement c’est une très bonne chose juste pour ça. C’est horrible car normalement on devrait le faire facilement mais nous on n’y arrive pas. Je pense que ça peut être un ciment assez important sur des territoires qui sauront s’en saisir. C’est un mérite assez énorme. Le programme Territoires d’industrie, ça a permis des rencontres et de montrer que des gens étaient capables de se mobiliser si besoin pour un projet. » Ces interactions ne se sont pas concrétisées pour l’instant sur ce territoire, en raison notamment de dynamiques économiques et de visions politiques très différentes d’une intercommunalité à une autre. Notons qu’une des limites du périmètre des territoires labellisés Territoires d’industrie est de regrouper parfois ensemble des territoires aux spécialisations industrielles et aux performances différenciées, comme dans les cas de Seine Aval-Mantes et d’Angoulême-Cognac. Le territoire Nord Poitou pourrait être décomposé en deux : d’un côté Thouars et Parthenay, de l’autre Bressuire, qui partage la même culture que la Vendée et le Choletais. En Alsace centrale, les intercommunalités n’ont pas réellement compris la finalité du programme et n’y ont pas adhéré initialement, il n’y a donc pas eu d’effet mobilisateur.

Les fiches actions déposées par les territoires dans le cadre du programme peuvent concerner des dispositifs existants et viser leur déploiement. C’est par exemple le cas d’iXcampus et de la technopole Eurekatech, qui ont été créés respectivement en 2016 et 2018. Pour l’iXcampus, l’objectif est de devenir un pôle régional d’innovation ; en 2022, il accueille quinze start-up et PME et deux écoles. Pour Eurekatech, les actions consistaient en la création d’un fablab Krysalide et la construction de parcours « innovation », « grands comptes » et « start-up ». Ces deux dispositifs existent aujourd’hui. Le programme est également venu consolider des dispositifs nouvellement créés comme le réseau AC:TIONS et qui ne figuraient pas initialement dans les fiches actions. Il a notamment permis de financer le recrutement d’un animateur de réseau. Si l’effet du programme sur ces résultats est difficile à quantifier, il a eu le mérite, à tout le moins, de mettre en lumière ces projets et de renforcer la dynamique de dialogue entre les acteurs.

Surtout, les fiches actions produites par chaque territoire dans le cadre du programme Territoires d’industrie et les échanges entre élus et industriels ont favorisé le signalement des projets viables et éligibles au plan de relance. Ainsi, l’absence initiale de dotation budgétaire – largement rapportée par les acteurs des quatre territoires comme un manque d’incitation à la participation à ce programme – a été partiellement compensée par France Relance et l’adossement au programme Territoires d’industrie du fonds d’accélération des investissements industriels dans les territoires, doté de 900 millions de subventions en décembre 2022. Bürkert en Alsace, Leroy-Somer à Angoulême, Revico (spécialisé dans la valorisation et la dépollution des résidus organiques de la distillation des eaux-de-vie) à Cognac ont été lauréats de ce fonds par exemple. Par ailleurs, d’autres entreprises localisées sur les Territoires d’industrie ont pu bénéficier du fonds relocalisation dans les secteurs critiques au titre de leur activité exercée (automobile, santé, agroalimentaire, électronique, 5G, intrants essentiels de l’industrie comme la chimie) comme Stellantis à Poissy et Lohr industrie en Alsace. D’autres encore ont obtenu un financement des fonds de modernisation aéronautique et automobile comme Lisi Aerospace à Parthenay et l’équipementier automobile Advanced Comfort Systems à Bressuire. Plus généralement, « Territoire s d’industrie, c’est une caution, un label qui facilite l’accès aux financements pour les entreprises. Et nous, on a mis de l’ingénierie derrière. Ça a permis de financer des projets par la Région et l’État », selon un représentant d’une intercommunalité de Seine Aval-Mantes.

Ainsi, à court terme et sur les quatre territoires d’étude, le programme a principalement permis le financement de projets individuels de modernisation de sites industriels et la consolidation de dispositifs de collaboration récemment créés comme Eurekatech ou AC:TIONS ; il reste à savoir si cela aura un effet à moyen terme sur le développement des territoires.

  • 13. La fermeture d’Heuliez est liée à la fin de la production de la Peugeot 206 CC et au manque de succès de l’Opel Tigra Twin- Top. Heuliez demeure sur le territoire avec une usine produisant des bus électriques.
  • 14. L’opération n’a pas entraîné de pertes financières pour les actionnaires de la SEM dont la région Nouvelle-Aquitaine (Le Courrier de l’Ouest, 2018).
  • 15. Le territoire compte seulement dix établissements de 100 à 500 salariés dont seulement 4 entre 249 et 500 (Chauchefoin et al., 2022).
  • 16. On notera que ce souci pour l’avenir du site de Flins, qui n’est plus compétitif pour la fabrication d’automobiles, montre que les stratégies des groupes peuvent prendre en compte leur empreinte territoriale.
  • 17. De telles pratiques de solidarité des acteurs du territoire sont également documentées dans divers systèmes productifs locaux comme les décolleteurs de l’Arve ou les plasturgistes de la vallée d’Oyonnax.
  • 18. Le créneau premium dont les produits sont vendus entre 22,5 et 30 dollars et celui du super-premium vendu entre 30 et 45 dollars.
  • 19. Selon le site de Spirits Valley.
  • 20. D’autres ont suivi comme à Alès (voir partie 2).
  • 21. À ce sujet, voir les travaux de Bourdin, Nadou et Raulin (2019) sur la méthanisation ; Levy, Navereau et Triboulet (2020).

Synthèse – Quatre territoires, quatre recettes

La grille de lecture jusqu’à présent mobilisée a pour objectif de mieux comprendre les performances des territoires en matière d’emploi industriel et leur diversité.

Globalement, les quatre territoires étudiés s’inscrivent dans le mouvement de désindustrialisation de la France qui s’est notamment traduit par un net recul de l’emploi industriel entre 2007 et 2016 (−13,7 %)22. Par ailleurs, la spécialisation des territoires dans des activités en déclin explique une partie de leurs mauvaises performances.

Mais, outre la conjoncture nationale et le portefeuille sectoriel d’activités, d’autres facteurs plus informels contribuent à modeler la trajectoire d’un territoire comme la capacité des acteurs à coopérer, la cohésion des agents et la gouvernance du territoire. Ces facteurs forment « l’effet local ». Les territoires caractérisés par un effet local positif sont ceux qui parviennent à tirer leur épingle du jeu, même quand ils sont intégrés dans un environnement macrorégional difficile.

C’est le cas pour le territoire Alsace centrale, dont la baisse de l’emploi industriel est plus faible que celle observée à l’échelle nationale, ce qui révèle une certaine résilience (Nadaud, 2021). Nord Poitou parvient plus difficilement à limiter la baisse de l’emploi industriel induite par le contexte national et sa spécialisation sur des secteurs en déclin grâce à une dynamique locale.

En ce qui concerne Cognac, les effets négatifs de la spécialisation sont principalement dus aux activités connexes à la production de spiritueux ; la production elle-même est toujours créatrice d’emplois, renforcée par une forte dynamique locale (Fouqueray et Nadaud, 2021). Enfin, le territoire Seine Aval-Mantes illustre l’influence des grands groupes puisque l’effet local positif observé sur la période 2016-2019 est le résultat de la stratégie d’optimisation foncière de Stellantis à Poissy. Cependant, ce territoire se trouve globalement en déprise, avec une baisse très marquée de l’emploi industriel, proche des 20 %, entre 2007 et 2019.

Finalement, ces quatre terrains d’étude illustrent à la fois la diversité des territoires industriels en France, en matière de spécialisation industrielle, de stratégie d’acteurs ou encore de performance, et l’absence de déterminisme entre ces éléments.

  • 22. Ou entre 2007 et 2019 (−12,7 %).

Partie 2 – Comment les territoires redynamisent-ils leur tissu industriel ?

Les deux chapitres précédents, qui forment la première partie de l’ouvrage, montrent combien les acteurs d’un territoire doivent se mobiliser pour tirer parti de leurs ressources, conjurer les effets négatifs de certains traits structurels et, en fin de compte, améliorer leur performance industrielle. Les moyens d’y parvenir sont d’une très grande diversité. En nous appuyant sur une trentaine de territoires, nous proposons ici un florilège raisonné des outils mis en œuvre.

Ces dispositifs, présentés au cours des séminaires de l’observatoire des Territoires d’industrie, ont été imaginés et mis en place par les acteurs locaux afin de développer leur territoire industriel. Certains ont été répliqués sur d’autres territoires, d’autres sont devenus des dispositifs nationaux. D’autres encore, plus anciens, ont été redécouverts par les acteurs locaux à la recherche de solutions.

Nous commençons par les actions mises en place pour concevoir le projet de territoire en faveur de l’industrie puis nous déclinons les moyens conçus par les acteurs locaux pour construire « sur le terrain » ce projet. Nous reprenons ici individuellement les éléments qui constituent les recettes de développement territorial énoncés par Granier et Ellie (2021) : les compétences et les leviers d’attractivité de la main-d’œuvre, le foncier industriel, le capital humain, l’innovation, le financement, les infrastructures. Nous laissons pour de travaux futurs la question de la hiérarchisation de ces ingrédients dans les recettes, simplement nous actons le fait que l’accès aux compétences et au foncier constitue actuellement les points de cristallisation des inquiétudes des industriels.

Sans prétendre à l’exhaustivité, cette partie se veut une source d’inspiration pour les acteurs qui la liront.

Chapitre 3

Fédérer et animer les acteurs du territoire

Un territoire industriel est avant tout un lieu dans lequel un collectif d’acteurs (productifs, associatifs, particuliers, pouvoirs publics, collectivités territoriales) se constitue autour d’une représentation d’un futur commun et se met en action pour le construire. On s’intéresse ici aux instruments de gouvernance territoriale, en d’autres termes aux instruments qui concourent à la coordination de ces acteurs, « aux ressources asymétriques, réunis autour d’enjeux territorialisés et contribuant avec l’aide d’outils et de structures appropriés à l’élaboration, parfois concertée, parfois conflictuelle, de projets23 communs pour le développement des territoires » (Torre et Traversac, 2011).

Fédérer autour d’un projet et d’une identité

Cette production totémique est évidente dans le cas de Cognac ; elle l’est également pour la vallée de l’Arve dont l’identité est clairement liée au décolletage par exemple. Mais d’autres manières, moins évidentes, de représenter un territoire émergent depuis peu : Dunkerque est ainsi devenu un territoire de référence en matière d’écologie industrielle24, Grand-Orly Seine Bièvre (GOSB) se veut celui de la « ville productive ». Dans ce dernier cas, le projet et l’identité sont le fait d’une cinquantaine d’acteurs – entreprises industrielles, aménageurs, promoteurs, Banque de Territoires, chambres consulaires, associations – réunis pour établir une feuille de route du développement des activités productives en ville. Ce projet est défini dans le « Manifeste pour un territoire industriel et productif » qui expose les actions et les nouveaux outils à mettre en place.

La définition d’un projet autour de l’industrie suppose en effet la création d’espaces de dialogue et de concertation, pour permettre la construction d’un dessein commun, tenant compte des différentes contraintes, visions et intérêts des parties prenantes. Les conflits font partie de la dynamique de construction du projet.

Des instances de concertation, qui favorisent la répétition des échanges entre acteurs dans le temps, ont été mises en place sur les territoires. On peut citer le comité de développement à Vitré, instauré par Pierre Méhaignerie dès la fin des années 1970. Ce comité comprenait des élus, des associations et des chefs d’entreprise qui se réunissaient tous les ans en septembre pour se consulter sur un certain nombre de sujets, comme convaincre la SNCF de prévoir un arrêt de TGV à Vitré ou les moyens pour faire accéder les ouvriers et les employés à la propriété. Cette initiative s’est pérennisée avec la loi Engagement et proximité de 2019, imposant aux établissements publics de coopération intercommunale (EPCI) de plus de 50 000 habitants la mise en place d’un conseil de développement, instance consultative sur des projets visant le développement du territoire, qu’ils concernent le logement, l’attractivité du territoire ou le développement économique.

Les agences de développement économique constituent également des instances de concertation entre différents acteurs locaux (chefs d’entreprise, élus, représentants syndicaux), dans lesquelles ces derniers définissent des stratégies et des actions pour leur territoire. Alès Myriapolis25, créé dans les années 1990 et à ce titre précurseur de ce type d’agence en France, joue un rôle clé dans la stratégie menée par Alès pour résorber le chômage (dont le taux s’élevait à 25 % en 1995).

Plus généralement, l’enjeu majeur de la gouvernance territoriale réside dans le fait que les différentes parties prenantes du territoire peuvent contribuer à son pilotage, qu’il s’agisse des pouvoirs publics, des collectivités, des entreprises, des associations, ou de différents groupes d’habitants (Leloup et al., 2005). Un attrait du programme Territoires d’industrie, souligné par nombre d’acteurs rencontrés, tient ainsi au pilotage par un binôme élu-industriel. Outre que cela permet à des gens qui ne se connaissaient pas de se rencontrer, ce pilotage met surtout en relation le monde économique et les problématiques sociales, comme le souligne Thibaut Duchêne, administrateur général adjoint du Cnam. La collectivité Lamballe Terre & Mer, par exemple, a entamé, dès le début de sa participation au programme Territoires d’industrie, une démarche partenariale en envoyant aux industriels du territoire un questionnaire visant à identifier les actions pertinentes à mettre en place dans le cadre du programme Territoires d’industrie. Au total, 26 sociétés, représentant 5 000 salariés, ont répondu à ce questionnaire.

La concertation publique peut encore prendre d’autres formes : réunions, ateliers d’information, rencontres avec les habitants, voire création d’une structure dédiée. C’est le cas du Laboratoire territorial industrie qui a été lancé en octobre 2022 et qui constitue un outil de concertation sur la zone industrialo-portuaire (ZIP) de Fos et le pourtour de l’étang de Berre. Placé sous l’autorité du préfet de région, son objectif est de créer une « culture industrielle positive » (Barla, 2022) et de co-construire avec la population le déploiement de l’industrie sur le territoire afin d’en accroître l’acceptabilité sociale. L’État et aussi les élus, les associations, les représentants de salariés, les industriels ainsi que les fédérations professionnelles participent à ce laboratoire. Des collèges représentant chaque partie prenante seront créés et des ateliers seront organisés pour définir les axes et les critères de succès d’une industrie soutenable sur le territoire.

Un observatoire participatif pour construire un territoire productif

Dans le cadre du projet «Une industrie intégrée et connectée à son territoire» porté par la Métropole de Lyon labellisée Territoires d’innovation de grande ambition, l’agence d’urbanisme de Lyon et le laboratoire de recherche en sciences de la statistique informatique décisionnelle de l’université Lyon 2, ERIC, ont créé un dispositif d’observation participative appelé OOCIT. Ce dernier cherche à faciliter l’interconnaissance et le dialogue entre les habitants, les acteurs industriels et les acteurs publics et à développer les collaborations entre eux. L’objectif final est la construction d’un territoire productif, solidaire et résilient grâce à la prise en compte des préférences de chacune des parties prenantes au territoire.

Le dispositif, qui se présente sous la forme d’une application, permet à l’utilisateur 1) de découvrir les enjeux issus d’entretiens conduits auprès des acteurs (se déplacer, se loger, travailler/se former, s’alimenter, bénéficier d’un environnement sain et d’activités de loisirs); 2) d’examiner une série d’indicateurs liés à ces enjeux; 3) d’exprimer l’importance relative qu’ils leur accordent; 4) de comparer leur avis à celui des autres; 5) enfin, de visualiser certaines actions en cours sur le territoire et d’y ajouter leurs propres projets.

Animer les projets : la nécessaire implication des parties prenantes

Bien souvent, il faut des structures, du temps et des animateurs pour amorcer des échanges et des collaborations, gérer les relations entre les parties prenantes, trouver des financements et mener les projets. Dans ce processus d’intermédiation (Nadou et Talandier, 2020), des individus ou des organisations peuvent remplir les rôles de pilote ou d’animateur.

Comme le souligne Alain Verna, P.-D.G. de Toshiba TEC Imaging Systems et président du groupement d’entreprises de Vialog et de la filière régionale Logistique Seine Normandie : « Il est très important aussi que les chefs d’entreprise s’impliquent dans la mise en place des actions collectives, à la fois parce qu’ils ont un leadership naturel et légitime, et parce que, de par les responsabilités qu’ils exercent dans un contexte de concurrence implacable, ils font preuve de réalisme économique et de capacités d’adaptation rapide. » D’autres industriels jouent un rôle similaire dans d’autres territoires, comme Joseph Puzo, dirigeant d’Axon’Cable, implantée à Montmirail dans la Marne, qui est à la fois le fondateur du club des chefs d’entreprise de Montmirail, l’ancien président du pôle de compétitivité Materalia et le vice-président de la FIEEC (Fédération des industries électriques, électroniques et de communication). De tels « entrepreneurs territoriaux », transposant à leur territoire l’ambition de développement, la créativité et la capacité à mobiliser les talents dont ils ont fait preuve pour leur entreprise, jouent souvent un rôle important dans la construction et la mise en œuvre d’un projet collectif.

L’intermédiation territoriale peut aussi reposer sur des chefs de projet recrutés par des collectivités ou des agences locales. Pour Cédric Le Tacon, directeur du développement économique et de l’attractivité à la communauté d’agglomération Lamballe Terre & Mer, « l’une des retombées importantes du programme est de nous avoir permis de nous doter, à travers le recrutement d’Émilie Morin, d’une capacité d’ingénierie, de recherche de financements et aussi d’accompagnement des entreprises pour les aider à répondre aux appels à projets dans le cadre du plan de relance. » Même constat du côté de la Mecanic Vallée : « C’est la proximité entre les représentants de l’État, de la Région et des structures comme Mecanic Vallée et le fait que tous ces acteurs communiquent étroitement qui font l’efficacité de ces dispositifs, ainsi que la présence, sur le terrain, de chargés de mission comme Minoï Marchand et des agents de l’agence de développement économique. » Alain Mathieu, directeur du Pôle d’équilibre territorial et rural Auxois Morvan, rappelle que « dans un Pôle d’équilibre territorial et rural comme le nôtre, chaque communauté de communes ne dispose pas forcément d’agents de développement économique, et n’a pas nécessairement la capacité à traiter ces sujets. L’une des vertus des Territoires d’industrie est justement de permettre d’identifier les difficultés des uns et des autres et de chercher ensemble des solutions transversales et complémentaires. »

Si l’implication des industriels à toutes les étapes d’une politique de revitalisation du tissu industriel, y compris la formation, paraît primordiale, l’animation d’un projet n’est pas forcément compatible avec leur activité ni leur équilibre vie privée-vie professionnelle. Cette limite est observable à l’échelle même des actions visant à revitaliser l’industrie. Concernant l’animation et la gestion de la zone industrielle Espace Vie Atlantique (EVA) en périphérie d’Aizenay (Vendée), Antoine Poupelin, agent au développement économique de la communauté de communes Vie et Boulogne, relève que « tous les acteurs industriels souhaitent mieux communiquer entre eux et coordonner leurs actions, mais nous avons du mal à trouver, parmi eux, des volontaires pour être les référents des différentes zones vis-à-vis de l’administration. Nous allons donc probablement nous orienter vers des dispositifs légers, tels qu’une réunion annuelle ou bisannuelle pour chaque zone d’activité (en plus du suivi des projets en cours), des groupes WhatsApp par zone, etc. ».

L’absence d’animation peut mener à l’interruption du projet. Magali Denoyelle, chargée de mission Fonds régional des territoires et Projet alimentaire territorial au PETR Auxois Morvan, évoque cette difficulté : « Le numérique permet de développer l’interconnaissance entre différents acteurs et différents secteurs d’activité, mais la difficulté est toujours la même : la nécessité d’animer les plateformes si on veut qu’elles vivent et se pérennisent. C’est ce qui a bloqué notre projet de place de marché local. »

Romans-sur-Isère, un cas original d’outil de gouvernance autour de l’industrie de la chaussure

Aux côtés des grappes d’entreprises (comme Vialog), des systèmes productifs locaux (le Pôle mécanique d’Alès ou la Mecanic Vallée autour d’Aurillac Figeac et Rodez) et des pôles de compétitivité (Materalia dans le Grand Est pour les matériaux), les pôles territoriaux de coopération économique (PTCE) constituent une solution innovante de gouvernance. Ils ont été créés afin d’être au service d’une industrie particulière, la chaussure, et surtout avec l’objectif de répondre à des besoins sociaux.

Ville renommée pour la fabrication de chaussures jusqu’aux années 1960, Romans sur Isère a ensuite connu une phase de déclin qui s’est soldée au milieu des années 2000 par la fermeture de deux des trois grandes entreprises du territoire, Stéphane Kélian et Charles Jourdan. Comme le souligne Marjolaine Gros Balthazard, maîtresse de conférences en géographie à l’université de Grenoble, ces fermetures ont entraîné non seulement une crise économique et sociale, mais aussi une crise identitaire auxquelles les acteurs locaux ont cherché à répondre en relançant l’industrie de la chaussure. « Des acteurs privés réunis autour d’une entreprise de l’économie sociale et solidaire, l’association Archer, sont parvenus à capter des financements publics en répondant à des appels à projets. Ils ont ainsi créé le modèle des pôles territoriaux de coopération économique (PTCE), institué par la loi du 31 juillet 2014. Depuis, ils continuent à entretenir des relations étroites avec les collectivités territoriales. Par exemple, c’est la collectivité locale qui a cédé au PTCE un ensemble de propriétés contiguës afin qu’il puisse s’y installer », explique t elle.

Ce PTCE, baptisé Pôle Sud, a été créé pour regrouper dans un même lieu les acteurs de l’économie sociale et solidaire, les acteurs du développement économique local et des acteurs publics. Il a pour objectif de promouvoir l’activité industrielle locale et s’appuie pour cela sur l’association Romans Cuir, fondée en 2012 pour fédérer les petites entreprises toujours présentes sur le territoire. Cette association a mis en place un label, Véritable chaussure de Romans (VCR), pour assurer la promotion des chaussures et leur distribution. Elle permet par exemple aux entreprises de prendre des commandes en commun ou de participer de façon mutualisée aux différents salons nationaux et internationaux.

À la suite à la création du PTCE, des soirées Start up de territoire ont été organisées une fois par an à partir de 2016 par l’association Archer afin de rassembler la population en un même lieu pour réfléchir collectivement aux besoins du territoire et faire émerger des idées de start up autour d’activités à impact. L’édition de 2016 avait rassemblé 200 personnes, celle de 2018 en a attiré 1 500. L’obtention du label Territoires d’innovation de grande ambition du Programme d’investissements d’avenir (PIA) leur a permis de pérenniser cette démarche et de prévoir la création de 100 start up de territoire et de 1 500 emplois.

  • 23. On rappellera ici que formellement, un projet de territoire est à la fois un document et un guide d’action publique locale.
  • 24. Une démarche d’écologie industrielle est ici définie comme la construction d’un territoire productif en vue de renforcer la soutenabilité des processus de production, en diminuant notamment les flux de matière et d’énergie (Beaurain et Brullot, 2011).
  • 25. Alès Myriapolis a remplacé l’ADIRA, l’Association pour le développement industriel de la région alésienne, mise en place par l’État en 1967, à la suite de la fermeture des mines de charbon.
Chapitre 4

La priorité : l’accès aux compétences

« Le programme Territoires d’industrie conduit ceux qui y participent à se demander comment former les compétences dont ils ont besoin pour monter leurs projets, alors qu’il y a cinq ans, ils se seraient juste demandé où s’implanter à l’étranger pour trouver ces compétences. » Cette assertion de T. Duchêne, administrateur général adjoint du Cnam, est révélatrice d’un changement qui s’opère en faveur du développement de l’industrie sur le territoire français et du rôle majeur joué par les compétences dans ce processus. La question des compétences est aussi centrale que problématique tant le recrutement s’avère difficile. Il existe néanmoins des actions locales pour aller chercher de nouveaux profils, former davantage aux métiers de l’industrie et revaloriser l’image d’un secteur souvent peu attractif pour les jeunes.

Les difficultés de recrutement : un état des lieux

En juillet 2022, pour la première fois depuis la création de son enquête trimestrielle sur l’industrie, l’Insee annonce un niveau jamais atteint des difficultés de recrutement.

Le résultat est similaire si l’on regarde l’enquête sur les besoins en main-d’œuvre (BMO) des entreprises françaises réalisée tous les ans par Pôle emploi et le Crédoc, et qui révèle les projets et les difficultés de recrutement des entreprises.

Sur la période 2013-2022, la part de recrutements difficiles dans l’industrie a globalement augmenté comme dans les autres secteurs d’activité. Ces difficultés concernent tous les postes dans l’industrie, des opérateurs aux cadres. À titre d’exemple, dans le secteur de la métallurgie, 30 000 postes (chaudronnier, tuyauteur, technicien d’atelier d’usinage, etc.) n’ont pas été pourvus en 2022 selon l’Union des industries et métiers de la métallurgie. Cette difficulté dans les recrutements n’est pas liée à une évolution particulière de l’industrie, dans la mesure où la part de cette dernière est stable dans le nombre total de projets de recrutement. Deux raisons sont avancées par Pôle emploi pour l’ensemble des secteurs d’activité : le nombre insuffisant de candidats et leur profil non adapté.

Dans le cas de l’industrie, il est possible de pointer plus spécifiquement le fait que les dispositifs de formation initiale et de formation continue sont parfois inadéquats et en tout cas insuffisants, ce qui s’ajoute à un manque d’attractivité d’une partie des métiers de l’industrie d’une part, et au degré d’implication variable des parties prenantes à la formation, d’autre part.

Les initiatives locales de formation

L’inadaptation des compétences des candidats aux besoins des entreprises peut se résoudre par la mise en place d’actions sur l’offre de formation dès le collège puis tout au long de la vie active, par exemple l’ouverture de nouvelles formations et la transformation des contenus des cursus existants. Bien sûr, ce processus s’inscrit à long terme, notamment pour les compétences nécessaires au développement de l’industrie 4.0 comme le note Fabien Nadou, professeur à l’EM Normandie : « La reconstitution d’une main-d’œuvre adaptée à l’appareil productif et qualifiée dans les nouveaux métiers de l’industrie 4.0 et du numérique prendra au moins une dizaine d’années, si ce n’est davantage. »

Aux établissements de formation installés depuis longtemps26 s’ajoutent aujourd’hui les écoles de production et les écoles mises en place par les entreprises elles-mêmes.

Les écoles de production

« Faire pour apprendre » est le credo des écoles de production. L’idée est ancienne mais leur développement a été favorisé par le programme Territoires d’industrie. Ces écoles forment des jeunes à la sortie du collège pour les préparer au CAP et au bac professionnel. Les écoles sont des établissements privés d’enseignement technique qui préparent à des diplômes professionnels d’État (CAP, bac pro ou certifications professionnelles) pour l’industrie mais aussi pour les secteurs du bâtiment, métiers du bois, des métiers paysagers, de la restauration, du maraîchage primeur. Elles constituent également des centres de production ou des sous traitants dans la mesure où les jeunes fabriquent des produits pour répondre aux commandes des entreprises locales. Le fait que l’école de production travaille pour des entreprises lui permet également de s’autofinancer partiellement. L’objectif est de couvrir environ un tiers du budget, le reste étant financé par des subventions ou du mécénat. En novembre 2021, on dénombrait en France 55 écoles de production – elles n’étaient que 25 en 2018. L’objectif est d’atteindre le nombre de 70 d’ici 2023.

Un frein à l’engagement des jeunes dans un cursus de bac professionnel, souligné par Patrick Pirrat, ancien expert industriel aux Chantiers de l’Atlantique, tient à leur refus de s’engager dans un cycle de formation de trois ou quatre ans. Ce qui est mieux accepté aujourd’hui est le parcours suivant : une formation de six mois, suivie d’une période de travail en entreprise permettant au jeune en formation d’avoir un revenu et, si cela lui plaît, de continuer. C’est pourquoi les Chantiers de l’Atlantique à Saint-Nazaire ont créé leur propre école pour former notamment des chaudronniers et des soudeurs. Ce type de parcours suppose en retour une adaptation de l’entreprise : les Chantiers de l’Atlantique conservent par exemple des travaux de soudure simples pour la formation des alternants et, au fur et à mesure que ceux-ci progressent, ils se voient confier des travaux de soudure plus complexes.

En 2015, l’entreprise niortaise Canametal spécialisée dans la construction métallique a elle aussi fondé sa propre école. Dispensant une formation diplômante aux candidats (environ une douzaine) durant six mois puis un contrat de professionnalisation, l’entreprise peut proposer un CDI si elle est satisfaite. 50 % des personnes sont embauchées à la fin du cycle de formation et 30 % restent dans l’entreprise à moyen terme. Malgré ces bons résultats, elle doit faire face aujourd’hui à une pénurie de candidats.

La nouvelle offre de formation doit aussi concerner l’enseignement supérieur, comme le souligne Gérard Lefevre, vice-président de la communauté d’agglomération du Niortais. En effet, la hausse des compétences dans l’industrie tout comme la nécessité de recruter des cadres dans les entreprises industrielles rendent indispensables la création de formations dans les universités du territoire et l’instauration de partenariats avec des universités et des écoles d’autres territoires. L’École supérieure des technologies industrielles avancées (ESTIA) de Bayonne a ainsi décidé de s’implanter à Niort, tandis qu’Audencia, école de commerce basée à Nantes, a choisi le territoire cognaçais. En novembre 2022, Centrale Lyon, l’École nationale des travaux publics de l’État (ENTPE), l’Institut national des sciences appliquées de Lyon (Insa Lyon) et Mines Saint-Étienne ont annoncé la création du Collège d’ingénierie Lyon Saint-Étienne, afin de dispenser des diplômes d’assistant ingénieur niveau bachelor (Corbier, 2022).

Une manière d’attirer les jeunes vers la formation aux métiers industriels est de proposer une pédagogie et des contenus qui diffèrent de ceux des formations traditionnelles, en mettant en valeur les applications pratiques. L’entreprise Axon’ Cable, implantée à Montmirail, fabricant de câbles pour des industries de pointe comme le spatial, a mis en place une formule de « classe en entreprise » pour les élèves de 3e, dans le cadre du stage d’une semaine qui leur est demandé, et pour les enseignants. Cette formule a été préparée pour que les enseignements vus en classe soient transposables dans cette entreprise, afin de démontrer leur utilité. En 1996, J. Puzo, le dirigeant, a organisé des réunions de préparation avec les professeurs du collège. « Au professeur de mathématiques, j’ai proposé de recourir à la trigonométrie pour faire calculer aux élèves le bon angle de rubanage des câbles. Au professeur de physique, de montrer l’application de la loi d’Ohm (U = R×I) pour contrôler la qualité des conducteurs. Aux professeurs de français, de faire rédiger des brevets aux élèves avec, dans la première partie, la description de la technologie antérieure, dans la deuxième, la description de l’invention, et dans la troisième, le récapitulatif des avantages de l’invention. Quand les élèves ont rendu leur travail, c’était tellement clair et bien écrit que j’en ai fait des copies pour tous mes ingénieurs, qui rechignent toujours à rédiger des brevets, en leur disant “Si des élèves de 3e peuvent le faire, vous devriez y arriver également en tant que Bac+5 !” », raconte le dirigeant. Ces classes ont depuis été adaptées pour faire découvrir l’industrie 4.0 aux élèves.

Toutefois, certaines formations souffrent d’une image négative auprès des jeunes et de leurs parents, comme en témoigne P. Méhaignerie, ancien maire de Vitré et ancien ministre de la Justice : « La hiérarchie sociale est très forte dans notre pays et, lorsque les jeunes se font orienter vers l’enseignement technique et l’apprentissage en fin de troisième, la plupart d’entre eux, ainsi que leurs familles, éprouvent un sentiment de déclassement. »

Un autre frein à l’attraction des jeunes dans les formations industrielles est leur méconnaissance. Répondant à une question sur la tendance des conseillers d’orientation à adresser à la formation professionnelle les élèves en difficulté, Antoine Beaussant, président de l’Institut de formation technique de l’Ouest, a remarqué : « Si tel était le cas, ce serait merveilleux, car cela signifierait que les conseillers d’orientation nous connaissent. En réalité, nous devons aller chercher nos élèves nous-mêmes, en nous appuyant sur le bouche-à-oreille, en poussant parfois la porte des collèges (lorsqu’on nous y autorise), ou encore en passant par la Maison de l’orientation qui a été créée par la ville de Cholet afin de suppléer le mauvais fonctionnement d’autres structures… » Pour attirer les jeunes, il faut donc passer par d’autres structures. En décembre 2002, l’UIMM a signé un partenariat national avec l’Union nationale des missions locales (UNML) afin d’orienter les jeunes de 16-25 ans vers les métiers de la métallurgie.

Les nouvelles méthodes de recrutement dans l’industrie

Outre les groupements d’employeurs27 qui se sont développés dans de nombreux secteurs d’activité et la plateforme de prêt de main-d’œuvre mise en place par l’UIMM durant la crise liée au Covid-19, divers dispositifs locaux ont été mis en place pour trouver de la main-d’œuvre et favoriser l’appariement entre offre et demande d’emploi. France Industrie Occitanie en collaboration avec l’État, la Région et les organisations professionnelles, a créé Passerelles industries. Ce dispositif permet le prêt de main-d’œuvre, facilite le recrutement face à une augmentation d’activité, aide à reclasser les salariés d’une entreprise en difficulté par la diffusion de leur profil. Non seulement il facilite les recrutements et les reclassements, mais il permet surtout de conserver les compétences au niveau local. La région Pays de la Loire a également lancé sa plateforme de prêt de main-d’œuvre gérée par l’agence régionale de développement économique.

Une autre solution consiste à étendre le vivier aux personnes éloignées de l’emploi, c’est-à-dire aux personnes dont la probabilité de retrouver rapidement un emploi est considérée comme faible28, avec des dispositifs adaptés pour les rendre employables. Sur certains territoires comme à Saint-Nazaire, « les personnes les plus faciles à réinsérer l’ont déjà été, et nous avons affaire maintenant à des personnes très éloignées de l’emploi. Or, comme chacun sait, les emplois industriels exigent des qualifications importantes », souligne Vivien Duthoit, directeur général adjoint de Saint-Nazaire Agglomération. Il s’agit alors de favoriser leur insertion grâce à l’alternance de périodes de formation et de travail, tout en les accompagnant durant ce temps. L’objectif est de les qualifier pour ensuite faciliter leur recrutement dans le monde industriel.

Le dispositif du Pass’Industrie a été imaginé en 2017 par Yves Monteillet, aujourd’hui directeur d’Alter-Média pro, en coordination avec le groupement d’employeurs pour l’insertion et la qualification (GEIQ) local, pour répondre à la pénurie de main-d’œuvre au sein du territoire de Château-Thierry, spécialisé dans l’IAA, la métallurgie à destination du secteur automobile et le secteur chimie-caoutchouc et plastique. Alors qu’à l’époque étaient recensés 3 000 chômeurs, l’idée a été d’apparier des personnes en recherche d’emploi et n’ayant pas nécessairement d’expérience dans l’industrie avec les besoins des entreprises industrielles. Pour cela, les offres d’emploi ont été reformulées en évitant des mots évoquant une expérience antérieure dans l’industrie ou une qualification précise, et en mettant l’accent sur les compétences personnelles telles que la minutie ou la débrouillardise. Une rencontre a ensuite été organisée entre des candidats et des salariés « ambassadeurs » exerçant le métier ciblé depuis longtemps, capables d’en parler de façon positive et valorisante. Les entreprises ne recrutaient pas immédiatement les candidats mais leur proposaient un stage de cinq à sept semaines29 pour qu’ils découvrent le métier et surtout qu’ils connaissent mieux leurs envies en matière professionnelle. Ceux qui terminaient la période de stage et qui candidataient à une offre d’emploi se voyaient proposer un contrat de professionnalisation soit par l’entreprise soit par le GEIQ pour travailler dans les entreprises adhérentes. Les personnes étaient aussi accompagnées pour trouver un logement ou un médecin. Pour Y. Monteillet, trois types d’actions sont nécessaires pour favoriser le recrutement des personnes éloignées de l’emploi : « Le conseil pour les aider à résoudre des problèmes qui ne sont pas directement liés à l’emploi et concernent, par exemple, la mobilité, le logement ou la santé, les faire monter en compétence, qu’il s’agisse de révéler des compétences préexistantes ou de leur apprendre des savoirs techniques, la mise en situation de travail sous différentes formes : immersions, stages, contrats courts, etc. »

Par la suite, le Pass’Industrie a été étendu à d’autres secteurs – on parle alors du Pass’Recrutement – et ses principes ont été repris par certains OPCO (opérateurs de compétences)30 qui l’ont étendu au niveau national. Il est devenu le Pass Industries et est proposé dans sept régions (Hauts-de-France, Grand Est, Bretagne, Auvergne-Rhône-Alpes, Normandie, Bourgogne-Franche-Comté et Nouvelle-Aquitaine).

La création de compétences par l’immersion en entreprise est importante. Comme le souligne Y. Monteillet, « lorsqu’une personne en recherche d’emploi effectue des passages en entreprise qui lui font découvrir des activités qu’elle ne connaissait pas et des métiers auxquels elle n’aurait jamais pensé, il se produit tôt ou tard un déclic qui fait que la personne se sent “au bon endroit” et peut se projeter dans cette entreprise. De même, près de la moitié des salariés qui sont passés par ces agences ont été embauchés par des entreprises qui n’avaient pas déposé d’offres d’emploi, mais qui, ayant vu la personne travailler, souhaitaient la recruter et créaient un emploi pour elle. » Comme l’ont écrit Bourdu et al. (2014) à propos des GEIQ et de l’ensemble des méthodes dites d’intervention sur l’offre et la demande (IOD)31, le Pass Industries inscrit les employeurs potentiels et les candidats à l’emploi dans un processus dynamique d’apprentissage et d’interconnaissance.

Les compétences, une construction mobilisant de nombreux acteurs

Une pluralité d’acteurs locaux participe à la formation de la main-d’œuvre industrielle en plus des établissements de formation et des entreprises. L’entreprise niortaise Canametal a fondé son école en collaboration avec Pôle emploi et l’Institut de soudure de Niort. Pôle emploi sélectionnait les candidats qui, d’après leur CV, semblaient les plus à même de répondre aux besoins de l’entreprise. Dans les dispositifs dédiés aux personnes éloignées de l’emploi comme le Pass Industrie, les opérateurs tels que les missions locales, Pôle emploi ou les SIAE (structures d’insertion par l’activité économique) interviennent pour conseiller sur des problèmes concernant la santé, le logement ou la mobilité.

Toutefois, le dialogue entre les différents acteurs est parfois difficile à établir car chacun peut agir de manière cloisonnée. Ainsi, les entreprises n’échangent que trop peu avec les structures d’insertion et les organismes de formation ; les opérateurs tels que Pôle emploi et les missions locales agissent souvent isolément les uns des autres. C’est pourquoi le Pays de Vitré a mis en place une maison de l’emploi, de l’entreprise et de la formation (MEEF) qui regroupe sur un même lieu les structures dédiées à l’emploi (la chambre de commerce et d’industrie, la chambre de métiers et de l’artisanat, le centre d’information et d’orientation, la mission locale, Pôle emploi, etc.) afin de favoriser les rencontres quotidiennes. Sa direction est assurée par un chef d’entreprise, assurant ainsi un lien avec les entreprises.

Concernant le lien entre les entreprises et les écoles, citons les Campus des métiers et des qualifications, un réseau d’établissements d’enseignement secondaire et supérieur, d’organismes de formation, de laboratoires de recherche, d’entreprises et d’organisations professionnelles, qui ont comme point commun d’intervenir sur le même secteur d’activité. Celui des Hautes-Pyrénées, en particulier autour de Tarbes, fédère ces différents acteurs autour de la transition énergétique. Le Territoire d’industrie Lacq-Pau-Tarbes prévoit par ailleurs de mettre en place un continuum de formation, une « chaîne de valeur de toutes les compétences et de tous les métiers autour de la transition énergétique », selon Audrey Le-Bars, cheffe de projet Territoires d’industrie au pôle métropolitain du Pays de Béarn. Les acteurs de cette chaîne de valeur sont notamment « l’école de production qui va être réorientée vers le numérique et la transition énergétique, le CFAI (centre de formation des apprentis de l’industrie) qui envisage de basculer de la maintenance aéronautique vers la maintenance pour la transition énergétique, l’université de Pau et des Pays de l’Adour qui a obtenu le label I-Site grâce à son projet E2S (Energy Environnement Solutions) et, bien sûr, le Campus des métiers ».

L’implication des entreprises est importante pour que les institutions en charge de l’emploi connaissent leurs besoins. C’est pourquoi les Pays de la Loire, et en particulier Saint-Nazaire, ont lancé une démarche baptisée Compétences 2020, dès 2014, qui demande aux principaux donneurs d’ordre de trois filières clés du territoire (aéronautique, filière navale et énergies marines renouvelables) de décrire leurs besoins de main-d’œuvre auprès de la Région pour qu’elle y réponde en mettant en place des programmes de formation de courte ou de moyenne durée. Pour T. Duchêne, l’implication des entreprises serait plus forte si elles avaient la possibilité de faire apparaître en comptabilité leurs dépenses de formation en tant qu’investissement dans leur capital humain, au même titre que leurs investissements dans leur capital matériel. Cette recommandation avait déjà été évoquée par Toubal et Bidet-Mayer (2014). Certains groupements d’employeurs prennent à leur charge les contrats de professionnalisation, comme le groupement d’employeurs agricoles dans la Somme. Ils deviendraient alors, selon Y. Monteillet, des « outils de GPEC (gestion prévisionnelle des emplois et des compétences) territoriale » chargés de la gestion à la fois des carrières des salariés et des besoins de compétences des entreprises adhérentes.

En outre, l’implication des entreprises dans la formation elle-même est primordiale. Y. Monteillet et A. Beaussant recommandent d’organiser la formation technique initiale autour des entreprises et d’impliquer ces dernières dans la formation continue. Par ailleurs, les référentiels de formation qui font l’inventaire des compétences visées, des contenus pédagogiques et des critères de réussite associés aux formations devraient davantage résulter d’un dialogue entre le monde académique et les entreprises. Ce rapprochement est d’autant plus souhaitable qu’il ne s’agit plus simplement de former les jeunes à des techniques mais aussi de les aider à acquérir des compétences transversales comme la maîtrise d’une langue étrangère, la capacité à résoudre des problèmes, et des compétences de savoir-être (soft skills) comme la capacité d’adaptation et ou la montée en autonomie.

Malheureusement, les acteurs territoriaux impliqués se heurtent aux délais de mise en place de ces nouvelles formations. T. Duchêne32 évoque un délai de trois ans pour mettre en place un BTS de tourisme, supposant d’interagir avec le rectorat qui est le représentant local de l’Éducation nationale. Dans le cas des certifications, le délai est raccourci. Le Cnam est ainsi en mesure de mettre en place des formations en six mois, grâce à sa politique de diplômes et de certificats propres à l’établissement. Ces certifications sont au fondement du dispositif « Au cœur des territoires », adossé aux programmes Action cœur de ville et Territoires d’industrie, qui vise à déployer une offre de formation dans les villes moyennes comme à Saint-Omer par exemple.

Il faut en outre garder à l’esprit que la création et le renouvellement des compétences s’inscrivent dans un écosystème plus large. Ils peuvent être freinés entre autres par la difficulté des étudiants à se loger ou à se déplacer, ou encore par leur volonté de ne pas s’éloigner de leur ville d’origine. Pour A. Beaussant, les établissements de formation comme les écoles de production ont une dimension intrinsèquement locale.

Changer l’image de l’industrie auprès des jeunes

Même si l’industrie connaît des difficultés de recrutement comme l’ensemble des autres secteurs d’activité, elle représente le second secteur d’activité derrière le commerce qui compte le plus grand nombre de jeunes commençant leur vie active selon l’enquête du Crédoc sur les jeunes sortis de la formation initiale en 2017. Elle bénéficie également d’une image renouvelée auprès des jeunes. Le sondage OpinionWay pour Arts et Métiers ParisTech révèle qu’en 2021 80 % des lycéens en série S ou technologique ont une bonne opinion de l’industrie, soit une hausse de 11 points entre 2013 et 2021. Cette opinion est liée à la reconnaissance du rôle joué par l’industrie dans l’économie nationale et dans l’innovation. Les conditions de travail peu attrayantes, la pollution que certaines activités engendrent et les fermetures d’usines et les licenciements sont les principaux facteurs donnés par les lycéens pour expliquer leur mauvaise opinion de l’industrie.

Différents dispositifs ont été mis en place localement pour valoriser l’industrie. Par exemple, le Pays de Vitré a créé une association appelée L’académie des métiers visant à fédérer les entreprises industrielles locales autour de l’image de l’industrie. Des événements sont ainsi organisés comme une remise de prix aux jeunes ayant obtenu un CAP ou un bac technique et une exposition photos autour de soixante-dix jeunes qui montraient que leur emploi dans l’industrie était satisfaisant. Une initiative récente consiste à développer « l’intelligence des mains » des jeunes de 18-25 ans en recherche d’emploi et sortis de l’école, et ce par la mobilisation d’artisans retraités. Dans la même veine, La Fabrique de l’industrie, l’UIMM et l’École de Paris du management ont réalisé en 2023 un mook (format hybride entre magazine et livre) destiné au jeune public pour découvrir l’industrie33. Autre initiative à Lamballe : un bus des métiers circule sur le territoire pour valoriser les métiers de l’industrie.

Enfin, même si on ne peut pas révolutionner le métier de soudeur, il existe des moyens de le rendre plus attractif pour les jeunes, grâce aux outils du numérique. Les nouvelles cabines de formation n’ont plus rien à voir avec les anciennes : l’opérateur est face à un écran et s’entraîne sur des images en 3D, ce qui permet, au passage, de réaliser des économies de matière et de ventilation.

  • 26. À partir de l’âge de 16 ans, les jeunes peuvent faire le choix d’entrer dans un des 1 330 CFA ou un des 137 Pôles formation de l’UIMM qui proposent des formations professionnelles, en apprentissage ou en alternance.
  • 27. Reconnus par la loi du 25 juillet 1985, les groupements d’employeurs ont été développés initialement dans le secteur agricole et permettent à des employeurs de se constituer en association afin de recruter ensemble des salariés qu’ils se partagent en fonction de leurs besoins au fil de l’année.
  • 28. Le périmètre des personnes incluses dans cette catégorie peut varier selon les institutions, nous retiendrons ici celle du Crédoc : les demandeurs d’emploi parmi les jeunes, les seniors, les personnes handicapées et les personnes faiblement qualifiées, les bénéficiaires de minima sociaux et les minorités visibles (COE, 2014).
  • 29. C’est le dispositif du POE (préparation opérationnelle à l’emploi) collective, c’est-à-dire la mise en place d’une formation de préparation à la prise de poste.
  • 30. Les OPCO sont en charge du financement de la formation professionnelle. Depuis la loi du 5 septembre 2018 pour la liberté de choisir son avenir professionnel, ils ont remplacé les OPCA (organismes paritaires collecteurs agréés) en charge de la collecte de l’argent versé par les entreprises pour la formation professionnelle.
  • 31. Ces méthodes agissent sur les modes de recrutement des entreprises en intervenant notamment sur la définition des besoins et sur les pratiques de recrutement des entreprises, de manière à éviter une surévaluation des compétences demandées (Bourdu et al., 2014). De ce point de vue, le Pass Industrie constitue une IOD.
  • 32. Exemple pris dans un ouvrage écrit avec Olivier Faron, administrateur général du CNAM, Former (Éditions de l’Aube, 2019).
  • 33. On peut également ajouter les autres publications de La Fabrique de l’industrie : Osez la voie pro, L’industrie racontée à mes ados…qui s’en fichent.
Chapitre 5

Attirer les industriels et les familles

La capacité à attirer et à conserver la main-d’œuvre est apparue au gré des séminaires comme indispensable à la construction et à la pérennisation d’un territoire industriel. Cela passe notamment par la facilitation de la mobilité entre le domicile et le lieu de travail et l’amélioration de la qualité de vie.

Améliorer la mobilité des travailleurs

Comme le rappelle André Broto, ancien directeur de la stratégie de Vinci Autoroutes la problématique de la déconnexion domicile-travail n’est pas nouvelle, elle remonte à la période qui a suivi la Seconde Guerre mondiale. Pour cette raison, les difficultés d’accès à la mobilité constituent un frein à l’emploi, souligne Sergio Capitao da Silva, directeur général d’ID4CAR : « Nous avons été approchés par une société d’intérim dont quatre offres d’emploi sur dix n’étaient pas pourvues et, dans trois cas sur quatre, c’était pour des raisons liées à la mobilité. Le recours aux transports en commun s’avérait impossible, à la fois en raison des horaires de travail en 2×8 ou 3×8, fréquents dans l’industrie, et du fait de l’éloignement des établissements industriels par rapport aux axes desservis par les transports en commun. Il s’agit d’une difficulté structurelle, car les entreprises industrielles s’implantent souvent dans des zones où le coût du foncier est faible et qui sont éloignées des lieux d’habitation. Les candidats identifiés par l’agence d’intérim disposaient généralement d’un moyen de locomotion mais le coût du déplacement s’avérait trop élevé et, par ailleurs, le véhicule, vétuste, était parfois inadapté à la distance à parcourir. Plus on s’écarte des agglomérations, plus le nombre de véhicules par foyer augmente (deux voitures et parfois trois, lorsqu’un jeune vit encore à la maison) mais, bien souvent, il s’agit de véhicules diesel de plus de dix ans. » La faible mobilité est aussi un frein pour les demandeurs d’emploi. Selon A. Broto, 55 % des demandeurs d’emploi vivent dans les zones éloignées de l’urbain et du périurbain, caractérisées par une quasi-absence de transports en commun. En raison du prix élevé d’une voiture individuelle, une nouvelle offre de services de mobilité se développe « visant à améliorer l’offre de transports publics ou encore à optimiser l’information et la tarification à travers une couche numérique permettant d’aller vers une “mobilité sans couture” ou MaaS (Mobility as a Service) ».

Plus généralement, sont proposés au niveau local un ensemble de systèmes de mobilité alternatifs à la voiture, dans un contexte de déploiement de l’intermodalité. Si les premiers dispositifs mis en place localement étaient surtout des lignes de bus et des parcobus, ils concernent aujourd’hui le covoiturage, les vélos, l’autopartage (voir Cerema, 2022)34.

Les lignes de bus pour des déplacements courts et longs sont développées au sein des territoires mais elles restent bien moins nombreuses que celles qu’on peut trouver dans des pays voisins comme l’Espagne, selon A. Broto. En Nord-Franche-Comté, les besoins de mobilité sont importants en raison de la dispersion des entreprises et du grand nombre de déplacements à effectuer en voiture. C’est pour cette raison que l’EPCI de Montbéliard a investi 100 millions d’euros dans le développement d’un réseau de bus. De Paris, des lignes express desservent la gare de Massy-Palaiseau depuis 1995, et, à Grenoble, trois lignes couvrent des distances de 30 à 40 kilomètres. On en trouve également entre Aix-en-Provence et Marseille, à Nice, à Albi et à Gaillac. L’ouverture de nouvelles lignes suppose d’implanter des gares routières dotées de parkings relais, d’un bâtiment chauffé, du WiFi, etc.

Une fois arrivés au lieu de dépose du bus, les travailleurs peuvent se retrouver confrontés au problème du dernier kilomètre. Des vélos à assistance électrique à disposition ou des véhicules électriques en autopartage sont autant de solutions expérimentées dans la Sarthe ainsi que dans la Loire-Atlantique, à Châteaubriant, pour permettre aux travailleurs de se déplacer jusqu’à leur lieu de travail. Une maison de mobilité a d’ailleurs été créée à Châteaubriant en 2019 pour la mise à disposition de vélos, l’inscription à la station libre-service d’autopartage électrique, et l’offre de différents services à la population (vente de billets de train, etc.).

Toujours dans la région Pays de la Loire, la communauté de communes des Vallées de la Braye et de l’Anille a décidé de louer des scooters électriques à prix modique pendant quelques mois à des jeunes en formation qui n’avaient pas de moyen de transport. La Région propose également la location de voitures électriques sans permis, utilisables à partir de l’âge de 14 ans, à l’attention des jeunes et des personnes éloignées de l’emploi souhaitant reprendre une activité professionnelle. Ces véhicules leur permettent de couvrir une distance plus importante qu’avec un scooter, à l’abri des intempéries. Ces solutions permettent de combiner mobilité à faible émission de carbone et coût réduit pour l’utilisateur.

Le covoiturage est une solution alternative, qui se heurte encore à des freins culturels – partager un espace fermé avec des inconnus ne va pas de soi – et des freins liés à l’usage (acheter des cartes pour chaque moyen de transport, retrouver le covoitureur, etc.), selon S. Capitao da Silva. À Nantes par exemple, il est possible de s’abonner au dispositif de covoiturage Klaxit au moment de l’achat de la carte de transport mensuelle. L’application Ecov permet quant à elle d’utiliser les véhicules de covoiturage « comme des sortes d’autobus, avec des arrêts prévus d’avance » dans les villes de Nantes, Lyon, Paris et Strasbourg35.

Des pistes cyclables sont réalisées ou réaménagées sur différents territoires industriels, comme le Pays de Montbéliard Agglomération ou la communauté de communes Vierzon-Sologne-Berry pour favoriser la mobilité des populations. Il est à noter que ce type d’aménagement peut entrer en contradiction avec d’autres intérêts des industriels : par exemple, la voie ferrée entre Dieppe et Arques-la-Bataille a été transformée en piste cyclable pour augmenter la fréquentation touristique alors même que les industriels souhaitaient son utilisation pour transporter des marchandises.

Bien vivre quand on travaille dans l’industrie

Un des facteurs clés de l’attractivité des territoires à l’égard de la main-d’œuvre est la garantie d’une bonne qualité de vie. Pour cela, il faut « rassurer [les personnes qu’on voudrait attirer] sur le fait qu’elles trouveront facilement un logement à acheter ou à louer, un emploi pour leur conjoint, des écoles ou des lycées pour leurs enfants, ou encore une offre culturelle, sportive et de loisirs » explique Gérard Lefevre, vice-président la communauté d’agglomération du Niortais.

L’accès au logement est au cœur des enjeux de qualité de vie et d’attractivité des territoires. Par endroits, le prix des logements est tellement élevé qu’il est impossible pour les actifs de devenir propriétaires. C’est le cas en Haute-Savoie, où les logements se vendent en moyenne 5 000 euros le mètre carré habitable et parfois jusqu’à 15 000 euros, ce qui les rend inaccessibles pour ceux qui ne travaillent pas en Suisse ou ne sont pas cadres supérieurs en France. La Foncière de Haute-Savoie a le statut d’organisme de foncier solidaire : elle consacre une partie de son activité à l’achat du foncier pour produire des logements en bail réel solidaire. Ce dispositif permet aux ménages (sous conditions de ressources) de devenir propriétaires en dissociant le foncier du bâti : le ménage devient propriétaire de sa maison ou de son appartement, mais reste locataire de son terrain, ce qui lui permet d’accéder à la propriété pour un prix inférieur à 3 000 euros du mètre carré.

Pour d’autres territoires, la pénurie de logement est un facteur obérant leur attractivité, aussi bien du point de vue des entreprises que des travailleurs. Le projet Habiflex, en cours d’expérimentation sur le territoire vendéen et porté par le bailleur social Podeliha (Pour le développement ligérien de l’habitat)36, prévoit la construction de logements de type T3 sur des terrains temporairement vacants, avant de les déplacer vers leur site définitif. Ces logements sont construits en matériaux renouvelables (principalement du bois) et répondent à la réglementation RE 2020 en matière de performance énergétique, émissions carbone et confort. Le délai entre la prise de décision et la livraison des logements est de quatorze mois maximum, largement inférieur au délai requis pour un projet classique de construction ou de rénovation. Ce dispositif permet de loger les travailleurs arrivant d’une autre région ou la main-d’œuvre d’une usine qui vient d’ouvrir.

Pour les personnes en alternance ou en apprentissage, la problématique du logement est différente selon qu’ils réalisent ou non leur formation et leur stage dans la même ville. Si les deux sont éloignés, alors il leur faut trouver deux logements. La région Pays de la Loire, et en particulier la Sarthe, ont mis en place une solution d’hébergement temporaire chez l’habitant. Proposé par des personnes seules, souvent à la retraite, habitant à proximité des lieux de stage en alternance ou d’apprentissage et disposant de chambres libres, le logement est loué à un prix abordable à l’apprenti. Dans la même région, il est possible pour les communes de rénover des bâtiments pour en faire des logements de taille réduite et répondant aux normes énergétiques à destination des alternants et des apprentis.

Bien d’autres facteurs participent à l’amélioration de la qualité de vie d’un territoire. En Nord Franche-Comté, des sections internationales ont été créées dans les écoles primaires, les collèges et les lycées d’enseignement général pour accueillir les enfants des salariés étrangers. Ces créations ont été pensées au moment où General Electric a racheté la partie Énergie d’Alstom. Toujours à Belfort, le parc d’activités Techn’Hom accueille une maison de santé dédiée aux 4 500 salariés du site. Cette mutualisation des services est également au cœur de la stratégie de la communauté de communes Vierzon-Sologne-Berry qui souhaite mettre en place une offre de restauration et proposer une vente de paniers de légumes aux salariés sur le Parc technologique de Sologne. Mais, comme l’indique Victor Teixeira, directeur du développement économique de la communauté de communes Vierzon-Sologne-Berry, cette offre de services dans les zones industrielles peut entrer en concurrence avec les commerces situés en centre-ville. La licorne Ledger, qui est implantée sur le Parc et emploie 110 salariés, a mis en place un système où les salariés vont chercher les plateaux-repas auprès des restaurateurs qui ont signalé au préalable à l’entreprise les possibilités de réservation.

Outre cette offre directe de services, il s’agit d’accompagner l’arrivée des nouveaux salariés industriels et de leur famille. À Montbéliard, des référents sont nommés pour accompagner les ingénieurs qui s’installent, et le service de développement économique de Pays de Montbéliard Agglomération organise régulièrement des soirées avec les nouveaux arrivants pour s’enquérir de demander ce qui va et ce qui ne va pas. Le territoire Niortais-Haut Val de Sèvre a quant à lui mis en place une « box d’accueil ». Elle inclut un accompagnement des nouveaux salariés dans la recherche d’un logement. Une CVthèque a été créée sur le site internet de l’agglomération de Niort afin de favoriser l’appariement entre les besoins des entreprises et les conjoints en recherche d’un emploi. L’accompagnement inclut aussi la recherche d’établissements scolaires, pour les enfants des travailleurs, et de médecins en cas de maladie chronique. Notons que les transports en commun sont gratuits pour toute la population installée sur le territoire.

Reste à résoudre la question du financement de ces services. Un exemple est donné par la communauté de communes de Vierzon-Sologne-Berry qui a voulu mettre en place au cours des années 2010 une crèche interentreprises dotée de douze lits. Un partenariat entre l’intercommunalité et une société privée a été créé afin que cette dernière prenne en charge le coût de construction. Une fois la crèche construite, le budget annuel était de 10 000 euros par lit, financé à la fois par les entreprises, par la CAF (Caisse d’allocations familiales) et par la collectivité, qui prenait en charge deux lits. Mais le nombre d’entreprises prêtes à s’engager dans ce projet était trop faible pour que le projet voie le jour.

La qualité de vie dépend également des aménités du territoire. Selon M. Talandier (2014), les aménités – entendues comme l’ensemble des dotations qui rendent un endroit agréable à « habiter » (même ponctuellement dans le cas du tourisme) –, constituent un déterminant de plus en plus important du développement local. Il y a les aménités naturelles (plans d’eau, proximité du littoral, montagne, paysages, etc.), patrimoniales (liées à l’histoire du territoire) et récréatives (liées aux activités sportives et culturelles). Un des atouts mis en avant par la ville de Port-Jérôme-surSeine (Caux Seine Agglo) pour attirer de la main-d’œuvre réside dans les horaires aménagés de son conservatoire (voir le mook Faiseurs-Faiseuses, janvier 2023). Un projet de Saint-Nazaire consiste en la transformation d’un ancien parking, situé en front de mer, en une place avec des bars et des restaurants ; un hôtel quatre étoiles à l’entrée du port est également en projet.

  • 34. Notons que ces évolutions inscrivent l’industrie dans une trajectoire de plus en plus servicielle (voir P. Veltz, 2022).
  • 35. Voir le compte rendu du séminaire Management de l’innovation du 17 novembre 2021, organisé par l’École de Paris du management.
  • 36. Podeliha est une filiale du groupe Action Logement, qui gère la participation des employeurs à l’accompagnement des salariés dans leur mobilité résidentielle et professionnelle et à la construction et au financement de logements sociaux, dans le respect d’objectifs d’écohabitat et de mixité sociale.
Chapitre 6

Le foncier, fondement de la réindustrialisation

Comme l’a rappelé Benoît Mangenot, chargé de projets à la Délégation Territoires d’industrie à l’Agence nationale de la cohésion des territoires (ANCT), « les sites industriels sont vraiment à la croisée des défis : réindustrialisation, sobriété foncière, transition écologique, attractivité de l’industrie française à l’international et attractivité des métiers de l’industrie dans notre pays ».

L’enjeu de la disponibilité du foncier, initialement absent du programme Territoires d’industrie, est désormais affiché, au sein de ce programme et de France Relance, comme un élément majeur pour atteindre l’objectif de réindustrialisation. Dans le même temps, la contrainte de zéro artificialisation nette des sols vient peser sur cette disponibilité : pour protéger les sols naturels, l’idée est de limiter leur consommation par les activités humaines dont l’habitat, les infrastructures et les activités économiques. Or, le foncier constructible est déjà en voie de raréfaction. Dès lors, il s’agit de réfléchir aux leviers d’action qui permettent de mettre à disposition des industriels le foncier dont ils ont besoin, sans compromettre la possibilité d’une transition écologique.

Une raréfaction croissante du foncier

Les sites industriels (auxquels on pourrait ajouter les sites logistiques) réclament beaucoup d’espace, présentent un degré de risque non négligeable et sont moins facilement acceptés par la population. En outre, ils n’offrent pas les mêmes rendements que le logement pour les promoteurs et les investisseurs, du moins à court terme. Selon l’étude réalisée auprès de 136 intercommunalités en 202237 par Intercommunalités de France, le Cerema et la Délégation Territoires d’industrie, on observe une raréfaction croissante du foncier économique sur l’ensemble des territoires, qu’ils soient ruraux ou urbains. Cette raréfaction concerne principalement les grands sites.

Principaux résultats de l’enquête menée par Intercommunalités de France, le Cerema et la Délégation Territoires d’industrie

28 % des zones d’activités économiques sont saturées en 2022, 41 % le seront à l’horizon 2025 et 93 % à l’horizon 2030. Près de deux tiers des territoires refusent des projets d’implantation et subissent des déménagements d’entreprise faute de place pour les conserver. La pénurie porte en particulier sur les grands sites : moins de 10 % des intercommunalités peuvent accueillir une activité nécessitant une surface supérieure à 100 hectares, et seules 27 % des intercommunalités peuvent accueillir une activité nécessitant une surface supérieure à 50 hectares. L’immobilier industriel représente presque la moitié des besoins exprimés par les intercommunalités.
Source : Chevrier, Gillio et Jaaïdane (2022)

Le degré de disponibilité du foncier varie d’un territoire à un autre. Le bassin d’Alès ou Rochefort ne disposent ainsi que de quelques hectares pour implanter de nouvelles activités économiques. À l’inverse, des terrains sont disponibles à Château-Thierry38 ou à Dunkerque, sur la zone du Grand Port où 1 500 hectares sont commercialisables. D’autres territoires sont, par leur localisation, soumis à des contraintes réglementaires qui limitent la disponibilité de foncier constructible. La Haute-Savoie est soumise à la loi Montagne du fait de la présence du massif du Mont-Blanc et à la loi Littoral aux abords du lac Léman, ce qui entraîne une pression considérable sur le foncier.

Le prix du foncier est également une variable différenciante entre les territoires. Qui dit raréfaction du foncier dit augmentation des prix. Certains terrains ont des prix de revente très nettement supérieurs à leur prix d’achat. Certains industriels participent d’ailleurs à cette hausse des prix quand, propriétaires, ils refusent de les céder aux collectivités ou à d’autres entreprises. Comme le souligne Thierry Petit, « de nombreuses emprises industrielles peuvent être conservées, quitte à n’être utilisées que dans vingt-cinq ans ». Surtout, certains acteurs intermédiaires de la chaîne de valeur du foncier comme les promoteurs, les commercialisateurs et les investisseurs « achètent du foncier et de l’immobilier dans des zones considérées comme rentables, mais ne l’investissent pas pour des activités productives. En l’occurrence, l’analyse que nous avons conduite sur trois territoires, Valence Romans Agglo, Est Ensemble et Boucle Nord de Seine, fait ressortir une tendance à la multiplication des acteurs intermédiaires, et une déconnexion progressive entre l’offre et la demande foncière et immobilière des activités productives. En outre, les entreprises futures utilisatrices sont tributaires des intérêts et des exigences de ces acteurs », souligne Paulette Duarte, maîtresse de conférences à l’université de Grenoble. Ce qui contribue à la rareté du foncier économique et à l’augmentation du prix du foncier existant.

Mais d’autres facteurs jouent également. Toujours en Haute-Savoie, le revenu élevé des actifs (35 à 40 % des actifs gagnent plus de 4 000 euros nets par mois) et la pression résidentielle liée au choix des actifs suisses de venir vivre en France sont tels que les terrains industriels se négocient désormais à 250 euros le mètre carré en moyenne.

La disponibilité et le prix du foncier ne sont pas les seuls déterminants de l’implantation d’une entreprise. Les sites doivent aussi être adaptés à ses besoins : le recrutement de la main-d’œuvre, la possibilité d’extension face à un accroissement de l’activité, l’intégration dans un écosystème de fournisseurs et de clients, la rapidité de l’implantation. Une enquête menée sur un échantillon de 265 implantations d’entreprises industrielles en Île-de-France entre 2017 et 2021 montre que la demande foncière concerne principalement des locaux ou des terrains existants en raison de l’immédiateté de la réponse aux besoins39. Cette adaptation aux besoins s’évalue également au regard des services proposés sur le site en matière de conciergerie, de restauration collective, de services à la personne ainsi qu’en matière de fourniture d’électricité, d’eau, de gaz.

Repérer le foncier pour l’activité économique

Un des enjeux actuels concernant le foncier économique réside dans son recensement. Plusieurs organismes répertorient les terrains ou le bâti disponibles pour implanter une activité :
• l’enquête Teruti­Lucas du ministère de l’Agriculture et les fichiers fonciers à l’échelle des parcelles ;
• la base CORINE Land Cover (Coordination of information on the environment Land Cover) de l’Agence européenne de l’environnement, fondée sur des données satellitaires de l’occupation des sols ;
• les observatoires régionaux comme l’observatoire des friches de Bourgogne­ Franche­Comté ou celui de l’Institut Paris Région sur les friches en Île­de­France ;
• Cartofriches qui recense les parcelles en friche et UrbanSimul qui répertorie les zones potentiellement constructibles (ou gisements fonciers) du Centre d’études et d’expertise sur les risques, l’environnement, la mobilité et l’aménagement (Cerema) ;
• la base OCS GE de l’Institut national de l’information géographique et forestière, pour compléter d’ici 2024 sa base OCS GE (occupation du sol à grande échelle) pour le territoire français ;
• Dataviz Territoires d’industrie de la Banque des Territoires ;
• les différents observatoires du foncier et les outils de recensement développés par les agences d’urbanisme (Agence d’urbanisme de la région nantaise, etc.).

Recycler le foncier

En avril 2022, Cartofriches recensait 7 200 friches dans les territoires touchés par le déclin industriel. Ces friches représentent à la fois un repoussoir et une ressource à recycler et à valoriser pour les collectivités et les industriels. Il existe des dispositifs facilitant la réhabilitation de ces friches ainsi que des exemples notables de réalisation.

Par exemple, lorsque PSA a souhaité vendre une partie de ses terrains et de ses bâtiments de Sochaux en 2013, l’entreprise s’est tournée vers la SEM PMIE (société d’économie mixte Pays de Montbéliard immobilier d’entreprises) qui les a rachetés et modernisés. Cette dernière a investi 20 millions d’euros pour réaliser les travaux, puis a loué les terrains aux fournisseurs de PSA.

Un dispositif appelé « tiers demandeur » a été créé par la loi Alur du 24 mars 2014 pour faciliter la réhabilitation des anciens sites industriels (installations classées pour la protection de l’environnement ou ICPE). Ce dispositif permet à un tiers (un aménageur, un promoteur immobilier, un établissement public foncier, etc.) de se substituer à l’exploitant du site pour faire la réhabilitation du site40. C’est le cas de Brownfields, spécialiste de la dépollution de sites, qui a réhabilité le site de l’ancienne raffinerie Petroplus (Davesne, 2022a).

On peut encore citer les sites industriels clés en main, immédiatement disponibles ou offrant du moins des délais d’implantation réduits pour accueillir une activité industrielle ou logistique. Chevrier et al. (2022) évaluent le délai moyen d’implantation à trois ans et demi sur leur échantillon d’intercommunalités. Ici, le gain de temps vient du fait que les procédures liées à l’urbanisme, l’archéologie préventive et l’environnement41 ont été déjà réalisées ou engagées. L’idée est de préparer les terrains en amont, de telle sorte que l’administration ne réexamine pas l’intégralité des conditions à respecter lorsque seule une parcelle d’un terrain est concernée par un projet. Il reste à obtenir toutes les autorisations liées au projet industriel comme la procédure 42, le permis de construire, etc. Selon Nicolas Forain, chef du département Développement logistique et industriel au GPMD, la durée pour constituer son dossier de permis de construire et le dossier ICPE est comprise entre trois et six mois ; il faut ensuite attendre environ sept mois pour que les dossiers soient instruits. Cette durée peut être rallongée de cinq mois pour un site classé Seveso pour lequel il faut demander une autorisation d’exploiter (AS) auprès du préfet, s’appuyant sur une étude d’impact et une étude des dangers43.

En 2022, il existait 127 sites labellisés « sites industriels clés en main » dont la candidature a été portée principalement portée par les collectivités territoriales. Ces sites figuraient parmi les recommandations du rapport Kasbarian (2019), lequel préconisait aussi la création d’un portail numérique unique qui permette de suivre l’ensemble des demandes concernant un projet (études d’impact, permis de construire, etc.) et dispense un projet en cours ayant déjà entamé des démarches de recommencer lors d’un changement de réglementation. La mobilisation du pouvoir de dérogation du préfet et de sa capacité à coordonner les services administratifs nécessaires à l’instruction des projets figure également parmi les recommandations. L’exemple du Grand Port maritime de Dunkerque (GPMD) ou encore l’aménagement de deux zones (la zone Grandes Industries et la zone Dunkerque logistique international) sont éclairants de ce point de vue (voir encadré).

Les démarches préalables à l’implantation d’activités industrielles : le cas du Grand Port maritime de Dunkerque

Les inventaires faune, flore et habitat ont été lancés dès 2012­2013. Les demandes d’autorisation liées aux activités ayant un impact sur les milieux aquatiques et relevant de la Loi sur l’eau ont été déposées en 2013 et 2014, tout comme les demandes de dérogation sur la destruction d’espèces protégées. Les réponses, sous la forme d’arrêtés préfectoraux et prévoyant des mesures compensatoires, ont été obtenues en 2015 et 2016. Les mesures compensatoires ont été réalisées immédiatement : il s’agit de contrebalancer les atteintes à la biodiversité en menant des actions telles que l’entretien de haies ou de lisières ou la création de milieux semi­aquatiques sur le site. Dans le même temps, les acteurs ont envoyé une demande auprès de la Direction régionale des affaires culturelles (DRAC) pour savoir si le site se trouvait sur une zone de vestiges archéologiques et s’il fallait mener des fouilles préventives. La réponse étant positive, il a fallu mener un diagnostic archéologique par anticipation en 2017 et 2018. Le coût de l’opération, appelé redevance d’archéologie préventive (RAP) est de l’ordre de 55 centimes d’euro par mètre carré de terrain aménagé. Cette somme peut toutefois être répercutée sur le loyer des terrains commercialisés, dans la mesure où l’investisseur est, en contrepartie, dispensé de la verser au moment où il fait instruire son permis de construire. Comme les deux zones aménagées sont situées en bord de mer, leur remblaiement a été demandé. Par ailleurs, de nouveaux accès routiers et ferroviaires ont été créés. Enfin, compte tenu des longs délais d’instruction des gestionnaires de réseaux d’électricité et d’eau, des démarches ont été engagées afin que les terrains soient immédiatement raccordés au réseau électrique et bénéficient d’une puissance suffisante.

Un fonds national pour le recyclage des friches a été lancé, à l’initiative du programme Territoires d’industrie et de France Relance. Initialement doté de 259 millions d’euros, puis de 750 millions depuis 2022, il vise à financer : primo, des « opérations d’aménagement urbain, de revitalisation des cœurs de ville et de périphérie urbaine, et des projets de requalification à vocation productive », secundo des friches polluées issues d’anciens sites industriels ICPE ou miniers, et tertio le développement d’outils de recensement du foncier tels que Cartofriches, UrbanSimul et le service public UrbanVitaliz pour accompagner les acteurs dans le recyclage. Le Grand Chalon a notamment été sélectionné pour réhabiliter un ancien site de fabrication de lampes néon et de LED, afin d’y accueillir des PME industrielles. Toutefois, comme noté dans Charlet et Granier (2022), seul un petit nombre de friches issues d’anciens sites industriels ou de sites miniers ont comme objectif de réinstaller des activités industrielles (6 projets sur 36 lors du premier appel à projets et 3 sur 21 lors du second), les porteurs de projets privilégiant le logement et les activités commerciales et de bureaux. Par exemple, le Territoire de Belfort bénéficie de ce fonds pour réhabiliter l’ancienne manufacture horlogère Japy aux Fonteneilles, et veut y accueillir une école de police et des logements. Surtout, les coûts de réhabilitation des friches au regard des prix de sortie du foncier industriel rendent très compliqué la réimplantation d’activités productives sur des sites industriels historiques.

Les documents d’urbanisme, un levier d’action réglementaire

Les collectivités peuvent jouer un rôle dans la disponibilité du foncier auprès des industriels à travers les documents d’urbanisme. Ces derniers apparaissent comme le premier outil mobilisé par les collectivités pour sécuriser le foncier productif, et le foncier économique en général, selon Chevrier et al. (2022). En particulier, le plan local d’urbanisme (PLU) détermine l’évolution future de l’urbanisme, des parcelles, de l’environnement, des équipements et des réseaux d’une ville ou d’une intercommunalité (PLUi). Le PLU précise notamment les zones d’implantation de chaque type d’activité (industrielle, tertiaire, artisanale, commerciale). Il peut aussi interdire l’implantation d’activités qui génèrent des nuisances environnementales à proximité des espaces résidentiels et réserver à des activités précises certaines zones jouxtant de grandes infrastructures de transport ou énergétiques. Il fixe également la hauteur des bâtiments.

Densifier le bâti

La loi Climat et Résilience du 22 août 2021 a inscrit deux objectifs à atteindre en matière d’occupation des sols : d’une part, la réduction de 50 % du rythme de consommation de l’espace en 2031 et, d’autre part, l’absence de toute artificialisation nette des sols en 2050, c’est-à-dire un solde égal à zéro entre les sols artificialisés et les sols renaturés. Cette contrainte de zéro artificialisation nette des sols (ZAN) va accentuer la tendance à la densification du bâti, à savoir l’augmentation du nombre d’habitants par kilomètre carré dans une zone géographique donnée. Avant la définition de l’objectif ZAN, la densification était principalement utilisée pour lutter contre l’étalement urbain. Plusieurs moyens peuvent être mobilisés pour densifier : la construction en hauteur ou « verticalisation », l’occupation des dents creuses (ces espaces non construits entourés de parcelles bâties), la réhabilitation de bâtiments existants.

Les hôtels industriels implantés à Paris44 sont de bons exemples de verticalisation, tout comme la nouvelle ferme verticale de production d’insectes à destination animale de la licorne Ynsect dans la Somme ou le bâtiment de production de ciment bas carbone d’Hoffmann Green à Bournezeau. Comme l’explique François Simon, prescripteur pour Hoffmann Green, cette forme de bâti est la plus efficiente pour des activités manipulant des poudres et limite leur emprise foncière. Elle constitue une solution pour maintenir ou attirer des activités productives dans des milieux urbains denses comme à Grand-Orly Seine Bièvre. Cela suppose toutefois des changements dans les documents d’urbanisme, rappelle Georges Lingenheld, le patron du club des ETI du Grand-Est, dans un article de L’Usine nouvelle : « Beaucoup de plans locaux d’urbanisme limitent encore à 12 mètres la hauteur des bâtiments. Il faudrait aller au-delà, jusqu’à 20 mètres. » (Davesne, 2022b).

Les nouveaux outils de portage foncier

Traditionnellement, les collectivités locales se donnaient déjà pour mission de récupérer des friches industrielles et d’essayer de les recommercialiser. Avec les réductions budgétaires, elles ont dû inventer de nouveaux modèles d’action.

Le portage foncier associé à l’action des établissements publics fonciers consiste à faire financer et gérer par un organisme extérieur aux collectivités tout ou partie des dépenses d’acquisition des terrains nécessaires à la réalisation d’une opération, sur une durée allant de quatre à dix ans. Cette technique leur permet de disposer des biens au moment opportun, prêts à être aménagés, sans apport financier immédiat. L’établissement public foncier (EPF) de Haute-Savoie, créé en 2003, réalise 50 millions d’euros d’acquisitions foncières annuelles au bénéfice des collectivités territoriales, dont 40 % sont dédiées aux activités économiques, 40 % à la mixité sociale et 20 % aux équipements publics. C’est un outil de portage qui se charge d’acheter le foncier, le gère pendant une durée convenue puis le revend à la collectivité, à un aménageur de ZAC ou à un bailleur social. Afin d’assurer la maîtrise du foncier dans le temps, l’EPF a créé La Foncière en 2019, un outil de gestion de patrimoine dont la fonction est de mutualiser les moyens pour constituer un patrimoine public pérenne mobilisé au profit des projets décidés par les collectivités. Elle utilise notamment des baux à construction et des baux emphytéotiques, consistant en une cession des droits de propriété sur un terrain pour une durée limitée (jusqu’à 99 ans) en autorisant la construction d’un bâtiment dont le statut est défini à l’avance. L’entretien du bâti et du terrain est à la charge de l’acquéreur. Ce bail permet au bénéficiaire de faire figurer la location au titre des charges plutôt que de devoir investir ; à la fin du contrat, le foncier et le bâti reviennent à la collectivité. Le second type de bail permet l’acquisition d’un foncier déjà bâti.

La mise à disposition de terrains industriels à travers des baux à construction ou des baux emphytéotiques permet aux collectivités de ne pas se retrouver avec des friches puisque l’acquéreur a l’obligation de garder en bon état le foncier et le bâti (Villedieu, 2022). Elle favorise aussi la mise en place de services mutualisés pour les acquéreurs et permet ainsi de gagner de la place.

Un exemple d’action menée par La Foncière concerne une entreprise de cravates et d’ écharpes de luxe qui, avant l a pandémie de Covid-19, vendait 80 % de sa production au Printemps Haussmann et aux Galeries Lafayette. En difficulté durant la crise, elle a dû mettre en vente son atelier devenu trop grand, avec des charges trop lourdes. La Foncière a racheté l e local et a accordé à cette entreprise un bail précaire pour ce même atelier. Parallèlement, la Foncière a réalisé des travaux dans un autre terrain, situé à deux kilomètres de distance, ce terrain sera divisé en trois lots, dont l’un sera destiné à cette entreprise. Le prix de rachat de l’ancien local va permettre à cette dernière de préparer son déménagement, de se restructurer dans ses nouveaux locaux et de retrouver de la trésorerie pour faire évoluer son modèle économique et son système productif. Deux autres entreprises vont pouvoir s’installer avec elle dans les nouveaux locaux, et toutes les trois mutualiseront les frais de parking, d’entretien des espaces verts et des locaux tertiaires. L ’ancien site de l’entreprise textile va faire l’objet d’un appel à manifestation d’intérêt auprès d’entreprises du territoire pour leurs besoins de développement.

Et demain ?

Des voix s’élèvent déjà pour protester contre une application uniforme des lois et règlements touchant le zéro artificialisation nette des sols. Comme le souligne Françoise de Palmas, secrétaire générale de la Fédération des entreprises d’outre-mer (FEDOM), « il est nécessaire d’adapter aux particularités des DROM les nouvelles contraintes législatives et réglementaires, que ce soit en matière de ZAN ou encore de rénovation énergétique, plutôt que de les calquer sur le modèle métropolitain ». D’autres territoires appellent de leurs vœux une adaptation de la réglementation aux situations très diverses des intercommunalités en matière de consommation des sols. Réduire de 50 % son rythme de consommation des sols en 2031 ne représente pas le même effort pour un territoire auquel il reste 8 hectares de foncier disponible pour des activités économiques que pour un territoire doté de 200 hectares. Plus généralement, les territoires vont se heurter à des problèmes difficiles, à l’image de La Réunion Est : « La problématique de la ZAN relève de la quadrature du cercle à laquelle nous nous heurtons très souvent dans nos territoires. La résilience alimentaire supposerait de développer la part des espaces agricoles, mais comment accroître, en même temps, le poids de l’industrie, et notamment de l’industrie agroalimentaire qui sera nécessaire pour transformer ces produits agricoles ? »

Par ailleurs, le logement étant à l’origine de la moitié de l’artificialisa tion des sols (Charlet et Granier, 2022), la contrainte de ZAN va peser sur les poli tiques locales et intensifier les difficultés d’accès au logement ainsi que les conflits d’usage entre logement et activité écono mique. On peut en redouter un effet indi rect sur l’industrie.

L’application de la loi ZAN suppose en réalité que les collectivités s’inscrivent dans une vision prospective, selon la Fabrique prospective « Sites industriels de demain » et l’enquête menée par Intercommunalités de France, la Délégation Territoires d’industrie et le Cerema en 2022. Il ne sera pas efficace de s’attacher à traiter uniquement la question de la reconversion du bâti existant : il faut aussi, dès à présent, concevoir des bâtiments et leur mutabilité à long terme, tout en évitant leur transformation en friche dans le futur.

Malgré les apparences, les sites industriels d’aujourd’hui ne se ressemblent pas et sont caractérisés par des contraintes et des problématiques différentes : certains sont bâtis sur l’emplacement d’anciennes usines, d’autres sont situés dans une zone environnementale protégée, etc. Dans l’idéal, le site industriel de demain devrait être paré de toutes les vertus : intégré dans son environnement urbain et naturel, connecté et accessible, mixte (pas uniquement implanté dans un secteur industriel et mêlant du résidentiel), agréable et attractif, compact et optimisé, écologique et bas carbone, circulaire, réversible et mutable, collaboratif, positionné dans une stratégie globale de développement économique à l’échelle du territoire. Mais en pratique, sa concrétisation soulève immédiatement des contraintes : la disponibilité du foncier, l’acceptation par les riverains du projet d’implantation industrielle, l’insuffisance des ressources humaines et financières des collectivités.

Pour conclure, il serait souhaitable qu’œuvrent en collaboration l’ensemble des professionnels de l’architecture et de l’aménagement (architectes, urbanistes, paysagistes, ingénieurs du bâtiment, juristes, énergéticien, chercheurs…), comme le préconise l’ANCT (2023), et utile d’aborder le foncier comme « une politique industrielle à part entière. De fait, il est une forme de soutien à l’industrie, au même titre que les aides à la modernisation des usines ou à l’exportation – outre la dimension d’aménagement du territoire » (Philippe Frocrain, chargé d’études à l’agence d’urbanisme de la région nantaise).

  • 37. L’enquête a été réalisée en ligne entre mars et juin 2022 et a recueilli les réponses de 136 intercommunalités (128 intercommunalités, un EPA, quatre PETR, une DREAL, un syndicat mixte, un technopôle). Elle a été envoyée aux 1 265 intercommunalités françaises. Il peut y avoir un biais dans l’enquête, les territoires qui ont des pénuries cherchant à se faire entendre.
  • 38. Voir le site de la mairie de Château-Thierry, en particulier la page dédiée à la zone industrielle de L’Omois.
  • 39. Voir les résultats du projet « La demande foncière et immobilière des activités productives : quelle prise en compte par les territoires urbains ? Les cas de l’Île-de-France et de Valence Romans Agglo », lauréat du programme Ville productive du PUCA, en partenariat avec La Fabrique de l’industrie et l’Institut pour la recherche de la Caisse des Dépôts.
  • 40. En dehors de cette procédure, c’est le dernier exploitant qui est responsable de la remise en état du site pendant un délai de trente ans à compter de la cessation de l’activité.
  • 41. Parmi ces procédures figurent la vérification dans les PLUi que le terrain se situe sur une zone où l’on peut installer une usine, l’étude sur la faune et la flore menée pour les quatre saisons, la vérification que le terrain ne se situe pas sur une zone abritant des vestiges archéologiques potentiels.
  • 42. Cette procédure inclut pour les gros sites une phase d’instruction par les services de la DREAL (Direction régionale de l’environnement, de l’aménagement et du logement), une étude d’impact environnemental, une enquête publique, et éventuellement la consultation du CODERST (Conseil départemental de l’environnement et des risques sanitaires et technologiques) avant la prise de décision par le préfet. L’ensemble de la procédure prend de neuf à dix mois environ, à condition que la situation initiale du terrain soit bien connue et maîtrisée. Source : ANCT (2023).
  • 43. L’objectif de ces études est d’examiner respectivement « les répercussions du site industriel en situation d’exploitation normale sur son environnement et l’ensemble des phénomènes dangereux qui peuvent survenir sur les installations et conduire à un incident ».
  • 44. Mentionnons le projet Binet dans le 18e arrondissement, Métropole 19 dans le 19e arrondissement. Les hôtels industriels sont nés de la volonté de la ville de Paris, dans les années 1970, de soutenir les activités productives en ville, dans un contexte où les anciens grands locaux industriels étaient plutôt réservés à l’activité résidentielle ou tertiaire. La ville souhaitait conserver des industries modernes, peu consommatrices d’espaces et peu nuisibles comme la chimie de laboratoire non polluante ou les activités électroniques.
Chapitre 7

Favoriser la formation de capital social

On a vu que la mise en relation des acteurs et la formation de réseaux formels et informels participent à la conception du projet de territoire (cf. chapitre 3) et à améliorer la création des compétences (cf. chapitre 4). Elles sont plus généralement au cœur du développement local en ce qu’elles permettent la transmission d’informations, la création de relations de confiance ou encore la naissance de nouvelles collaborations (Callois, 2004). Nous nous focalisons ici sur les relations concernant l’activité de production même.

Lier les industriels

Deux industriels localisés dans un même territoire ne se connaissent pas forcément. C’est la raison pour laquelle des clubs de dirigeants ou d’entrepreneurs ont fleuri dans un grand nombre de villes et d’intercommunalités afin d’organiser des échanges plus ou moins répétés (petits-déjeuners mensuels…) entre industriels sur l’actualité ou sur les problématiques rencontrées au quotidien. Ces clubs peuvent aussi favoriser l’interaction avec les élus : le club de la ville de Montmirail organise un dîner tous les deux mois avec les entrepreneurs et le maire. C’est l’occasion pour les entrepreneurs d’exposer la situation de leur entreprise et de demander des conseils sur des problèmes rencontrés.

Parfois, les dispositifs recherchent la création de liens entre les salariés d’entreprises différentes. la communauté de communes Vie et Boulogne souhaite mettre en place dans la zone industrielle Espace Vie Atlantique (EVA), des tournois de sport interentreprises et des challenges sportifs comme l’IndusRun.

Faire grandir les liens

Les interactions entre firmes peuvent mener à l’établissement de relations plus formelles entre les entreprises et les conduire à se rassembler dans des structures plus grandes. L’histoire de la grappe d’entreprises Vialog, qui rassemble des entreprises couvrant toute la chaîne de valeur du produit en Normandie, est éclairante de ce point de vue. « Après avoir créé l’association La Sphère avec nos sous-traitants, nous nous sommes associés à un groupement d’entreprises de la région de Dieppe et du Tréport, puis nous avons constitué le CIEL (Club interentreprises du littoral), qui organisait des dîners entre chefs d’entreprise pour échanger sur les sujets les plus variés, et enfin, nous avons commencé à constituer nos grappes d’entreprises et clusters. Un jour de septembre 2008, alors que j’étais en train de prendre une bière à la terrasse d’un café avec mon ami Bruno Béliard, patron d’une entreprise de logistique, et que nous nous demandions comment compenser le fait que Dieppe est un peu à l’écart de l’Axe Seine qui était en train de se constituer entre Paris, Rouen et Le Havre, nous avons eu l’idée de construire un réseau qui nous permettrait d’apporter de la valeur ajoutée à l’ensemble du tissu industriel de la région de Dieppe. En réunissant à la fois des intégrateurs comme Toshiba, des sous-traitants industriels et des logisticiens au sein d’une même grappe d’entreprises, nous pourrions apporter des compétences et une valeur ajoutée qui nous permettraient de nous démarquer par rapport aux flux massifiés qui allaient circuler sur l’Axe Seine. Voilà comment est né le projet Vialog », raconte A. Verna.

L’Euro-accélérateur pour une coopération industrielle transfrontalière

L’Euro­accélérateur industriel (Lorraine, Sarre, Luxembourg) constitue un dispositif original de mise en relation d’entreprises dépassant les cadres administratifs nationaux. Lancé en mars 2022, il vise à créer des collaborations entre entreprises transfrontalières, ainsi qu’avec les pouvoirs publics et les fournisseurs de services. Ce dispositif est né de la réflexion des membres de l’UIMM Lorraine, durant la crise sanitaire, qui cherchaient des solutions pour réindustrialiser le territoire. Une charte de douze engagements, dont celui de « travailler avec nos voisins étrangers pour devenir le centre névralgique de l’industrie ouest-européenne en créant une euro-zone industrielle », a été signée à la suite de cette réflexion. Six grands domaines technologiques et industriels clés ont été identifiés : l’automobile, le spatial, les matériaux et procédés, notamment dans le domaine de l’aciérie et de la métallurgie, la santé, le bois et l’énergie. Dans chacun de ces domaines, l’objectif est de favoriser l’émergence de projets industriels en mobilisant les acteurs, les compétences et les ressources pour les accélérer et les mener à la réussite.

La cellule d’intermédiation comprend pour chaque grand territoire (Lorraine, Luxembourg et Sarre), une personne chargée de mettre en mouvement les acteurs locaux susceptibles d’apporter des contributions, par exemple un laboratoire universitaire, un IRT (institut de recherche technologique) ou encore une organisation experte. L’objectif est de mettre en commun les ressources et les moyens pour accélérer les différents projets, qu’ils soient situés d’un côté ou de l’autre des frontières.

Ces projets bénéficient d’une diversité d’expertises représentées par sept collèges : expertise académique et scientifique, transfert de technologies, expertise industrielle, accompagnement de projets, interventions institutionnelles (auprès la Région et des territoires), interventions financières (auprès de Bpifrance et des banques), compétences/recrutement/qualification/requalification. Les porteurs de projets ayant souvent tendance à se concentrer uniquement sur les aspects techniques, ces différentes expertises aident le dirigeant à identifier les sources de financement ou les programmes de développement des compétences.

Chapitre 8

Différents types d’innovation au service des territoires

La création de réseaux examinée dans les chapitres précédents est depuis longtemps au cœur de la réflexion autour des liens entre innovation et développement local. Dans cette réflexion, l’accent est mis sur la dimension technologique de l’innovation (Torre, 2018). Or, certaines activités manufacturières sont moins intensives en R&D et en technologies numériques que d’autres45. De plus, l’innovation technologique est la plupart du temps importée et plutôt réalisée dans un nombre restreint de territoires (Torre, 2018). Cela ne signifie pas que les innovations ne sont pas présentes sur les territoires mais qu’elles sont plutôt de nature sociale, organisationnelle et institutionnelle.

Renouveler son capital technologique par l’innovation

Comme le souligne Marie Ferru, professeure en géographie à l’université de Poitiers, « dans les années 2000, l’innovation technologique, qu’elle porte sur les produits, les procédés ou les hautes technologies, est apparue comme l’un des antidotes aux crises. Vers la fin de la décennie, des politiques publiques ont permis la création de parcs technologiques, de pôles de compétitivité, de fablabs, orientés surtout vers les hautes technologies, mais aussi vers des problématiques environnementales. » En d’autres termes, les politiques publiques ont mis l’accent sur les mises en réseau et les collaborations via le rassemblement des acteurs dans une même zone géographique. Aujourd’hui, l’innovation apparaît également déterminante chaque fois que sont encouragées les relocalisations : ces dernières « présentent nécessairement une dimension d’innovation car, lorsque les activités ont été délocalisées, c’était généralement pour une question de surcoût de la main-d’œuvre ou de disponibilité des matières premières », précise Vincent Labarthe, vice-président d’Occitanie et président du Grand Figeac.

Le cas de Seine-Aval-Mantes illustre bien la prédominance de l’Île-de-France comme localisation privilégiée des centres de R&D46. Pour autant, en dehors de l’Île-de-France, certains territoires présentent un dynamisme important. C’est le cas de Figeac, s’inscrivant dans la Mecanic Vallée, labellisée système productif local (SPL) par la DATAR à la fin des années 1990. La métallurgie et la mécanique sont les deux spécialisations de ce territoire dont l’entreprise Ratier Figeac est l’un des fleurons. Ce groupe mondial, fabricant et principal fournisseur d’hélices pour les avions civils et militaires, a mis en place un centre d’excellence pour fabriquer des produits de nouvelle génération. Ce centre regroupe les ingénieurs et les techniciens, pour les phases de recherche, de tests et de qualification, à proximité de la fabrication et de la maintenance.

Des lieux propices à l’innovation technologique

Différents types de lieux existent pour réunir sur un même territoire l’ensemble des acteurs participant au processus industriel et créer des synergies en favorisant les rencontres en face-à-face.

Située dans le quartier de la Sucrerie à Chalon-sur-Saône, l’Usinerie se veut, selon les termes de S. Martin, « un pôle numérique qui soit un véritable outil au service du territoire » et non un « un énième “hangar à start-up” ». Ce lieu s’adresse aussi bien aux entreprises traditionnelles qui souhaitent faire leur transformation numérique qu’aux entreprises innovantes. Des salles de formation, un fablab pour la phase de prototypage et une salle équipée d’un écran 3D sont mis à leur disposition. Le site accueille une pépinière d’entreprises mais aussi le Cnam et l’UIMM qui proposent des formations du niveau collège jusqu’au niveau doctorat. L’objectif de ce lieu est de jouer « un rôle transversal entre le monde de l’industrie et celui de la formation, entre les grands groupes et les petites entreprises ».

À Alès, une pépinière et un hôtel d’entre- prises, baptisés Innov’Alès, ont été créés afin d’accompagner les porteurs de projets et les créations d’entreprises dans le do- maine de l’innovation technologique. Ils forment le Science Park, avec les centres de recherche de l’École des mines d’Alès et l’Institut des sciences des risques. Les start-up du numérique bénéficient aussi d’un espace de coworking et de locaux au- près de Digit’Alès. L’objectif est de créer un environnement propice à la croissance des entreprises et à l’accélération des pro- jets par la mise en relation des personnes et de leurs compétences tout en leur of- frant des conditions favorables en matière d’équipement et de foncier.

Certains territoires s’organisent peu à peu en écosystèmes innovants au service de la transition écologique. C’est le cas de Pays de Montbéliard Agglomération qui a décidé de faire de l’hydrogène un projet structurant en accueillant les activités de R&D de Faurecia dédiées aux réservoirs à hydrogène ainsi que l’Institut national du stockage hydrogène (un centre de recherche).

Enfin, des dispositifs comme les fablabs, les espaces de coworking et les tiers-lieux47 peuvent aussi accompagner les entreprises dans leur processus d’innovation, notam- ment dans la phase d’émergence des pro- jets. C’est le cas du quart-lieu à Saint-Céré dans le Lot qui réunit à la fois un espace de coworking, un fablab équipé de machines de pointe et un hôtel d’entreprises48.

Innover autrement

Ces fablabs et ces espaces de coworking sont aussi propices à l’innovation organisationnelle et à l’innovation sociale. À propos du Lab’Innovation implanté à Lamballe, Jacky Le Cam, directeur de CIP Automation, exprime sa volonté que « dans ce lieu puissent se croiser à la fois des dirigeants, des cadres, des représentants syndicaux, des porteurs de projets souhaitant tester leurs idées et recevoir des conseils, des jeunes qui cherchent du travail ou veulent créer leur propre entreprise ». « Tout l’intérêt du Lab’Innovation sera de nous permettre d’échanger sur nos expériences, nos réussites, nos difficultés. De notre point de vue, le terme innovation ne renvoie pas seulement à la technologie ou à la stratégie d’une entreprise. Il s’agit aussi d’innover dans la façon de recruter, de former, de se positionner dans un environnement en mutation permanente, de faire face aux risques tels que les cyberattaques, ou même à une crise sanitaire comme celle du Covid-19. »

L’innovation sociale49 vise quant à elle l’inclusion sociale et la réponse aux besoins humains non satisfaits, ce qui renforce le capital social à l’échelle locale. Le PTCE, mentionné précédemment dans le cas de Romans-sur-Isère, qui permet de nouvelles formes de collaborations entre acteurs dans le but de redynamiser des territoires sinistrés, en est un exemple.

L’innovation sociale et l’innovation technologique peuvent être complémentaires. Par exemple, l’entreprise Plaxtil, basée à Châtellerault, les combine. En transformant des fibres textiles en plastique, cette entreprise fabrique des cintres et d’autres fournitures de magasins pour des clients comme Lacoste et Kiabi. Pendant la pandémie du Covid-19, elle s’est mise à recycler les masques jetables et en tissu. Cette activité est née du constat que les entreprises textiles locales expédiaient très loin leurs déchets pour les faire recycler. Plaxtil a obtenu des financements pour tester la possibilité d’intégrer du textile dans du plastique et a pu assez rapidement en démontrer la faisabilité, le plastique en question s’avérant non seulement résistant mais aussi biodégradable. Elle fait appel à des structures de l’insertion par l’activité économique pour collecter, trier et délisser les textiles et désormais pour les opérations de recyclage. Les actionnaires de Plaxtil ont créé l’entreprise Essaimons en 2021 qui produit des objets tels que des fournitures scolaires à partir de masques usagés. Cette entreprise forme les salariés au recyclage tout en incluant des ateliers sur l’estime de soi ou l’informatique.

Plus généralement, l’innovation ne doit plus être pensée seulement en fonction de critères d’efficacité technologique ou économique mais aussi selon des objectifs sociaux et écologiques (voir l’économie humano-centrée de P. Veltz, 2021, 2022).

  • 45. Les secteurs manufacturiers les plus intensifs en R&D sont la pharmacie, l’automobile, l’aéronautique, l’électronique, l’électrique et la fabrication de machines (Bogliacino et Pianta, 2016).
  • 46. En France, 59,5 % des demandes de brevet émanent de déposants situés en Île-de-France. Auvergne-Rhône-Alpes arrive loin derrière avec 12,5 % et l’Occitanie avec 4 % (INPI, 2021).
  • 47. Les tiers-lieux sont considérés comme «des laboratoires de redynamisation correspondant aux besoins spécifiques de chaque territoire et de ses habitants. Ils ne peuvent être appréhendés comme des espaces à réglementer ou à déployer sur un modèle unique », selon France Tiers-Lieux.
  • 48. Le quart-lieu accueille également la Maison des services de la communauté de communes Cauvaldor, qui permet d’accéder à un ensemble des services publics (CAF, Pôle emploi, La Poste) grâce à un guichet unique.
  • 49. En même temps que l’innovation technologique et le modèle de la Silicon Valley s’imposaient dans les politiques économiques des pays européens dans les années 1990, il y a eu une prise de conscience croissante du rôle joué par l’innovation sociale dans les stratégies des entreprises (Hillier et al., 2004).
Chapitre 9

Les solutions locales au financement du développement industriel

La mise en place des différentes actions évoquées précédemment suppose des financements. Les banques sont les principaux financeurs des TPE, PME et des petites ETI industrielles50, tandis que les fonds d’investissement sont davantage orientés vers les grandes ETI et les grandes entreprises. Néanmoins, cette offre peut ne pas suffire ; c’est pourquoi des dispositifs sont mis en place par des acteurs locaux pour financer des projets industriels.

En effet, le secteur manufacturier se caractérise par une forte intensité capitalistique, de longs délais d’amortissement du capital physique et une exposition à des réglementations contraignantes, en raison des nuisances, des émissions et des dangers liés à l’exploitation du site. Ces réglementations allongent les délais d’implantation. La croissance de l’activité peut imposer l’extension des sites, l’innovation accroît l’incertitude des débouchés et la commercialisation à l’export entraîne des coûts supplémentaires. Pour toutes ces raisons, le financement de l’activité industrielle peut se révéler incompatible avec les objectifs à court terme des grands fonds d’investissement, comme avec l’aversion au risque des banques (surtout quand elles centralisent à Paris l’examen et l’arbitrage des projets).

Les modes alternatifs de financement privé

Parce que General Electric devait créer 1 000 emplois en France en contrepartie de son rachat de la branche énergie d’Alstom en 2015 et qu’elle ne l’a pas fait, elle a dû payer une pénalité de 50 millions d’euros. Cette somme a été allouée à un fonds créé à cette occasion, le fonds de réindustrialisation de Nord FrancheComté. Les entreprises financées par ce fonds doivent remplir un certain nombre de critères, parmi lesquels la création d’emplois pérennes, la pertinence du projet industriel, sa dimension et son influence prévisible sur l’évolution du tissu industriel. On y retrouve les équipementiers Faurecia et Welp, le fabricant de groupes électrogènes à hydrogène H2SYS, le producteur de fils de bobinage Delle Fil, l’entreprise de matériaux composites Isola Composite ou encore le chaudronnier Macplus.

Des projets industriels peuvent être financés par des familles, dont l’objectif de transmission à la génération future s’inscrit en adéquation avec le temps long de l’industrie. Gruau à Lamballe, les aciéries Hachette et Driout à Saint-Dizier… sont autant d’exemples d’entreprises familiales.

Le financement participatif, régulé depuis 2014, peut également être utilisé pour des projets territoriaux : le porteur de projet recourt alors à une plateforme de financement en ligne pour collecter de l’argent auprès d’une communauté, dans des conditions préalablement définies. Le territoire dieppois s’est appuyé sur ce type de financement pour sa future plateforme éolienne par exemple : 958 épargnants ont investi des sommes allant de 10 à 2 000 euros dans le consortium Éoliennes en mer Dieppe-Le-Tréport entre avril et juin 2019 pour financer des mesures de vent en mer. Le capital de chaque épargnant est placé pour une période de trois à quatre ans, à un taux brut annuel de 5 %, moyennant des intérêts versés chaque semestre. La moitié des épargnants résidaient en Seine-Maritime ou dans la Somme, les deux départements qui bordent le futur parc – le reste du capital étant apporté par les populations d’autres départements français. Le consortium dont les principaux actionnaires sont Engie, la Caisse des Dépôts, EDP Renewables a souhaité impliquer les citoyens alors que le projet avait subi des oppositions, notamment de la part des pêcheurs côtiers. Le financement participatif a donc constitué un moyen de favoriser l’acceptabilité sociale du projet (Garnier, 2019). Comme Sébastien Bourdin, professeur en géographie économique à l’EM Normandie, le souligne, « les gens ne sont pas opposés aux énergies renouvelables et sont même désireux que leur territoire s’engage dans cette voie, mais la plupart d’entre eux ne veulent pas que les installations correspondantes soient implantées près de chez eux ». Caux Seine Agglo a également mis en place ce type d’outils pour le financement de projets locaux.

Les industriels peuvent également s’aider mutuellement, comme le rapporte P. Pirrat : « Quand un industriel comme les Chantiers de l’Atlantique cherche à passer une commande, il commence par étudier la solidité financière des sociétés qui répondent à l’appel d’offres. Or, lorsque l’entreprise est en création, elle ne peut pas répondre à ce critère. Si nous voulons que les jeunes entreprises se développent, c’est à nous de les aider en leur réservant une partie de nos contrats avec une vision à long terme. Par exemple, nous pouvons nous engager à confier à un agenceur un certain type de locaux sur des bateaux successifs pendant trois ou quatre années d’affilée. Les jeunes entreprises rencontrent également des problèmes de fonds de roulement. Dans les métiers que nous souhaitons aider à se développer, il faut acheter beaucoup de matière première pour réaliser une commande. Nous devons donc nous mettre autour de la table avec les banquiers afin d’aider ces entreprises à se constituer des fonds de roulement, par exemple en leur accordant des avances. Pour nous, cela ne représente pas un gros risque, car la matière première en question n’est pas perdue : nous pourrons toujours la réutiliser. »

Il est à noter que, s’il existe des fonds d’investissement locaux dont le portefeuille est principalement régional, rares sont ceux qui y associent une dimension sectorielle. Les modèles de gestion financière prônent en effet la diversification des portefeuilles plutôt que la double spécialisation. On peut citer le Fonds régional d’investissement Rhône-Alpes, géré par Siparex, qui investit en fonds propres dans les entreprises industrielles et les services à l’industrie, pour des opérations de développement et de transmission ou pour traverser des difficultés conjoncturelles et surmontables. Des fonds régionaux sont créés à l’image du fonds Breizh Ma Bro, qui investit principalement dans les PME et ETI de Bretagne et de Loire Atlantique et dont les deux sociétés de gestion Arkea et La Financière d’Orion sont historiquement implantées en Bretagne51. Arkea est également présent dans la société de gestion Aquiti, qui investit en capital-risque et en capital-investissement dans des entreprises de Nouvelle-Aquitaine.

Quel financement public local pour les territoires industriels ?

D’autres régions ont mis en place des outils publics de financement à destination des firmes de leur territoire. En juin 2020, la région Bourgogne Franche-Comté a créé un Fonds régional des territoires, conçu comme une déclinaison régionale du plan de relance mais pas uniquement tourné vers l’industrie. Lorsqu’une communauté de communes accorde 1 euro d’aide directe aux TPE en difficulté, le fonds ajoute 3 euros supplémentaires. La région PACA s’est également dotée de son fonds d’investissement pour les entreprises régionales. D’autres dispositifs régionaux tels que Start’Oc Progrès ou Crealia Occitanie visent le financement de sociétés innovantes52. Ces fonds régionaux financent à la fois des entreprises industrielles et des services. Un certain nombre d’aides sont orientées quant à elles selon la catégorie d’entreprises : c’est le cas du fonds Foster de la région Occitanie à destination des TPE et PME53, ou du fonds de la région Auvergne-Rhône-Alpes associé à son Pacte régional pour l’économie de proximité pour les TPE.

Les collectivités locales peuvent également aider les entreprises individuellement, en fonction du budget dont elles disposent. C’est le cas de la ville de Vitré qui a racheté les locaux d’entreprises en difficulté afin de leur donner de la trésorerie. Les collectivités peuvent aussi se tourner vers la Banque des Territoires, filiale de la Caisse des Dépôts créée en 2018 et dédiée au financement du développement local, opérateur du programme Territoires d’industrie. Implantée localement, celle-ci propose une offre de prêts, d’investissements et de conseils54. La Banque des Territoires participe également aux grands projets industriels locaux comme celui de Verkor à Dunkerque (avec un montant investi de 5,3 millions d’euros), l’école de production de Béthune (200 000 euros) ou le nouveau site d’Ynsect dans la métropole d’Amiens. Ces projets sont par ailleurs financés par d’autres partenaires, publics ou privés.

L’impulsion donnée par le financement public : l’expérience de Vialog (Normandie)

Pour Alain Verna, « les pouvoirs publics ont un rôle à jouer. Pour la constitution de la grappe d’entreprises Vialog, nous avons été accompagnés à la fois par l’Agglomération (Dieppe Maritime), par la Région, et même par l’Europe à travers les fonds FEDER, grâce à la labellisation de notre projet par le pôle de compétitivité Novalog. […]. Aujourd’hui, Vialog s’autofinance complètement, grâce aux adhésions de ses membres et aux commissions prélevées sur le chiffre d’affaires réalisé grâce au responsable commercial. »

Les solutions public-privé d’accès au financement

Un financement relevant d’un partenariat public-privé a été mobilisé sur le Territoire d’industrie Vitry-le-François-Saint-DizierBar-le-Duc-Bassin de Joinville, où les entreprises peuvent demander des subventions au GIP (groupement d’intérêt public)55 Objectif Meuse. Fondé en 2000 à la suite de la création d’un laboratoire souterrain de recherches par l’Andra à Bure pour installer un centre industriel de stockage géologique (Cigéo) des déchets nucléaires, il octroie des aides qui répondent à un des quatre objectifs suivants : le développement d’un tissu industriel et économique local performant à l’échelle départementale avec un accompagnement renforcé en lien avec le projet Cigéo ; la contribution à l’émergence d’un écosystème d’innovation et de formation ciblé et exemplaire ; l’accompagnement de la transition énergétique dans le domaine public et dans les entreprises, et la promotion des nouvelles technologies de l’énergie ; le renforcement de l’aménagement du territoire et le développement d’un cadre de vie attractif particulièrement à proximité immédiate du projet Cigéo. Un groupement d’intérêt public a également été créé par l’intercommunalité de La Réunion Est, avec la Région et la commune de Saint-André en 2015, pour financer les premières études de faisabilité de l’éco-technoport. Cette forme a également été choisie par La Foncière de Haute-Savoie (voir supra) pour financer les projets des collectivités en matière de foncier. A contrario, Pays de Montbéliard a, à l’instar d’autres agglomérations, privilégié une SEM (société d’économie mixte)56 pour la gestion de ses friches industrielles. La participation d’investisseurs privés dans les SEM peut parfois mener ces entités à poursuivre un objectif de rentabilité au détriment de l’intérêt général, conduisant certaines collectivités à privilégier le statut de GIP.

Une autre possibilité est de travailler sur des projets collaboratifs avec d’autres industriels et des structures comme les instituts de recherche technologique (IRT). C’est le cas de Gaming Engineering, start-up spécialisée dans des procédés d’assemblage multi-matériaux qui a financé les premières phases de son produit de cette façon57.

Comme le souligne N. Levratto, directrice de recherche CNRS à l’université Paris Nanterre58, il existe 6 000 dispositifs d’aide auxquels les entreprises peuvent être éligibles. Le problème ne réside pas tant dans les montants accordés que dans leur multiplicité, qui peut constituer une barrière à l’entrée : quelle entreprise ou quelle intercommunalité a les moyens humains et financiers pour collecter de l’information sur ces aides et pour constituer les dossiers ? Dans le cas des aides régionales en Occitanie, la visibilité des financements publics est assurée par la présence d’une agence de développement régional dans chaque département. Pour le reste, il faut s’en remettre aux moyens de communication courants pour espérer que les porteurs de projets soient informés de l’existence d’outils adaptés à leur situation. Les accélérateurs comme l’Euroaccélérateur en Lorraine peuvent également mettre en relation les entreprises avec les bons interlocuteurs pour les conseiller sur leur financement.

  • 50. Voir Rapport du CNI (2014).
  • 51. Ce fonds bénéficie par ailleurs du label Relance lancé en 2020, visant à canaliser l’épargne des Français vers des fonds qui investissent dans les entreprises françaises (et respectant un certain nombre de critères ESG) et à contribuer ainsi à la relance économique du pays.
  • 52. Le dispositif Start’Oc Progrès a pour but de soutenir les start-up dans leur phase d’accélération en les aidant à financer l’accroissement de leur activité et à pénétrer leur marché le plus rapidement possible pour se positionner comme leaders. L’intervention est prévue sous forme d’avance remboursable (taux d’intervention à 50 % des dépenses HT), avec un plafond de 200 000 euros. Le prêt d’honneur innovation Crealia Occitanie a pour objectif de renforcer les fonds propres des entreprises innovantes lors de leur phase d’amorçage. Il s’agit d’un prêt personnel aux associés, sans intérêt ni prise de garantie.
  • 53. Le fonds Foster met trois solutions à la disposition des TPE et PME régionales : une garantie d’emprunts bancaires, un prêt innovation à taux zéro et une prise de participation au capital d’entreprises, via des opérateurs ou intermédiaires financiers (banques, associations de prêt aux entreprises, sociétés d’investissement) sélectionnés à la suite de l’appel à candidature.
  • 54. Selon le rapport de la Cour des comptes sur les activités de la Banque des Territoires de 2022, les investissements ont connu une forte croissance, passant d’un flux annuel de l’ordre de 392 millions d’euros à 1 291 millions d’euros en 2021 (CDC Habitat exclu) mais présentant une rentabilité limitée.
  • 55. Un GIP est une structure juridique permettant de mettre en commun des moyens publics et privés pour la mise en œuvre de missions d’intérêt général.
  • 56. Les SEM ont été créées durant la Première Guerre mondiale afin de permettre aux communes de ravitailler les populations et donc d’intervenir dans le domaine économique ; elles constituent un moyen privilégié par les collectivités territoriales dans leurs actions depuis les lois de décentralisation (Cour des comptes, 2019).
  • 57. L’IRT en question est M2P (matériaux, métallurgie et procédés) en Lorraine.
  • 58. Intervention de N. Levratto à la table ronde « Quel rebond pour les ETI ? », Journées de l’économie à Lyon, 16 novembre 2022.
Chapitre 10

Les infrastructures, ressources hors de portée des territoires ?

Nous finissons notre tour d’horizon par les infrastructures. Ce terme fait ici référence à un ensemble d’installations, d’équipements. « Souvent constituées en réseaux, les infrastructures représentent l’ensemble des actifs principalement dédiés à la mobilité ainsi qu’au transport des marchandises, de l’eau, de l’énergie ou de l’information. […] Elles ont généralement le statut de facilité essentielle, c’est-à-dire d’actifs nécessaires à la vie économique et sociale. » (Arav, 2020). Ce sont les systèmes de transport routiers, ferrés, fluviaux, aériens, énergétiques, numériques ou multimodaux. Leur particularité réside dans le montant très important de capitaux nécessaire à leur construction et dans leur durée de vie très longue. Dans ces conditions, un petit nombre d’acteurs publics59 voire un acteur unique dessert le marché en raison de coûts fixes élevés et de la nécessité de réaliser des économies d’échelle. Par conséquent, ces infrastructures ne sont généralement pas issues de stratégies locales, elles s’inscrivent au contraire très souvent dans des stratégies nationales. En revanche, les acteurs locaux peuvent mettre en place des dispositifs qui facilitent leur bon fonctionnement.

Améliorer la mobilité des marchandises

Certains territoires choisissent d’agir sur le transport de marchandises en facilitant le report modal. Le Territoire d’industrie Aix-Marseille-Provence prévoit ainsi de proposer un service public de fret ferroviaire depuis le port de Marseille-Fos pour se substituer au transport par camion. Notons au passage que le gouvernement a mis en place un plan de 1 milliard d’euros d’ici à 2024 pour le développement du fret ferroviaire, afin d’atteindre les objectifs inscrits dans la loi Climat et Résilience60. Certaines lignes ont été rouvertes à l’image de la ligne de fret ferroviaire Rungis-Perpignan. Certains territoires proposent d’optimiser l’usage de ces lignes à l’instar de Port-Jérôme-sur-Seine. L’idée est d’utiliser les lignes en service sur le site industriel Port-Jérôme pour le transport de travailleurs le jour et le transport de marchandises la nuit. Cela suppose d’investir dans la signalétique, les lignes de fret et de voyageurs répondant à des réglementations différentes sur ce sujet.

Même si, aujourd’hui, peu de place est faite aux stratégies autour des infrastructures routières et autoroutières en France – ces dernières étant bien établies –, on peut citer l’exemple de Vitré pour se rendre compte de l’enjeu qu’elles représentent pour les territoires : lorsque l’autoroute entre Le Mans et Rennes était en construction à la fin des années 1970, des zones proches des échangeurs ont été acquises par la collectivité pour en faire des réserves foncières et ainsi anticiper des opérations d’aménagement futures. Quelque temps après, des industriels comme Thales s’y sont implantés.

Les infrastructures énergétiques

Les sites industriels les plus gourmands en énergie sont ceux qui appartiennent aux secteurs du ciment, de la sidérurgie, de la fabrication d’aluminium, de la chimie, de la pharmacie, de l’agroalimentaire. L’accès à l’électricité – c’est aussi vrai pour le gaz et l’eau – est un déterminant de l’implantation de ces activités. C’est pourquoi les sites sélectionnés dans le cadre des sites clés en main mentionnent le type de raccordement possible et la compatibilité de la puissance avec les activités industrielles. Plus généralement, l’aménagement de zones industrielles prévoit ces accès, selon le modèle du Grand port maritime de Dunkerque (GPMD) : « certains projets industriels nécessitent des puissances électriques importantes et il ne sert à rien d’avoir résolu les problèmes liés au foncier si nous n’apportons pas à l’investisseur les réseaux d’électricité dont il a besoin dans les délais souhaités. Or l’instruction des dossiers inhérents au déploiement des réseaux peut prendre plusieurs années. […] La politique actuelle de certains gestionnaires de réseaux veut que le premier occupant d’une zone industrielle dont le besoin de raccordement nécessite un investissement lourd soit aussi celui qui le paie, alors que les suivants en profiteront également. Par exemple, si un industriel a besoin de 10 MW de puissance électrique et que cela nécessite la création d’un transformateur de 40 MW, c’est cet industriel qui financera l’équipement. Cette disposition peut s’avérer assez dissuasive, d’autant que la réalisation de l’équipement peut prendre quatre ou cinq ans », explique N. Forain, chef du département Développement logistique et industriel au GPMD.

Les projets de réseaux vapeur sur les territoires de Dunkerque ou de Marseille-Fos visent à connecter les entreprises qui produisent de la chaleur fatale avec d’autres entreprises qui utiliseraient cette source d’énergie pour leur activité. L’objectif est de réduire les émissions de gaz à effet de serre et d’offrir des gains d’énergie aux industriels.

Comme l’énonce Dominique Mockly, P.-D.G. de Teréga qui gère le réseau de transport du gaz naturel dans le quart sud-ouest de la France, le transport de l’énergie (gaz et électricité) est confronté à trois transitions majeures, écologique, digitale et sociétale. Le développement des énergies renouvelables, qui multiplie les lieux de production de l’énergie, et l’augmentation des usages électriques liée, entre autres, aux véhicules électriques, supposent une adaptation dans la gestion des flux entre producteurs et consommateurs d’énergie. De ce point de vue, le développement du numérique, notamment des smart grids, constitue une solution d’optimisation. Les nouvelles attentes de la population à l’égard des gestionnaires de réseau en matière d’émissions de gaz à effet de serre poussent également ces acteurs à repenser leur activité.

  • 59. À l’exception du déploiement de la fibre dans le cadre du plan France Très Haut Débit.
  • 60. Les volumes du fret ferroviaire ont subi une impressionnante baisse de 40 % entre 2000 et 2017. Le plan national vise le doublement de la part modale du fret ferroviaire d’ici à 2030.

Conclusion

Cette Note donne la parole aux industriels, aux élus et l’ensemble des acteurs qui œuvrent à la redynamisation industrielle de la France.

On y apprend que si la performance d’un territoire dépend en partie des ressources héritées du passé, de la géographie et de la structure de son tissu industriel, elle est aussi le résultat des stratégies des entreprises ainsi que d’initiatives collectives des acteurs du territoire et de leur capacité à concevoir un projet mobilisateur qui combinera et régénérera les ressources en fonction des objectifs poursuivis.

Les acteurs locaux, fédérateurs et animateurs, jouent un rôle essentiel pour construire un projet de territoire partagé et le décliner en actions concrètes. Celles-ci portent notamment sur la mise en relation des acteurs du territoire, la formation et la pérennisation des compétences, la gestion du foncier, la stimulation de l’innovation technologique et sociale, ainsi que tout ce qui améliore la qualité de la vie sur le territoire et son attractivité. Des dispositifs publics comme le programme Territoires d’industrie peuvent les encourager, tandis qu’une concertation avec des politiques portant sur un territoire plus étendu est nécessaire, par exemple pour le développement des infrastructures de transport. C’est notamment l’objet des contrats de plan État-Région.

L’industrie que la France veut redévelopper sur son territoire devra être beaucoup plus respectueuse de l’environnement. C’est pourquoi l’ANCT annonce que la transition écologique sera au cœur du programme Territoires d’industrie sur la période 2023-2026. Plus largement, le nouveau contrat de relance et de transition écologique (CRTE), créé en 2020, vise à Il constitue un moyen de signaler les initiatives locales qui peuvent bénéficier d’un regrouper les démarches contractuelles existantes pour en faciliter l’accès : Action cœur de ville, Petites villes de demain, Territoires d’industrie, Territoire d’innovation de grande ambition. Souhaitons qu’un tel dispositif permette de concilier les objectifs en matière de transition écologique, d’aménagement du territoire et de politique industrielle.

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Annexe – La boîte à outils

Nous attirons l’attention du lecteur sur le fait que les dispositifs ne demandent pas le même investissement, ni la même capacité d’ingénierie. Ils sont ici présentés par thématique, par échelle de l’initiative et par date de création. Tous les dispositifs ne sont pas détaillés dans le texte, le lecteur peut se référer aux rendus des séminaires de l’Observatoire, disponibles sur le site de La Fabrique de l’industrie.

(p) : état de projet n r : non renseigné

Caroline Granier, Refaire de l’industrie un projet de territoire, Paris, Presses des Mines, 2023.
ISBN : 978-2-35671-974-4 ISSN : 2495-1706

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