Retour du protectionnisme : quels effets ?

Retour du protectionnisme : quels effets ?

© gopixa/Shutterstock.com

 

La France est-elle exposée au risque protectionniste ?

L’arrivée au pouvoir de Donald Trump sur la base d’un programme souverainiste, les annonces de hausse des droits de douane sur de nombreux produits ou encore la dénonciation des pratiques commerciales chinoises ont remis sur le devant de la scène la question du protectionnisme et de ses conséquences sur le commerce international. Tous les pays ne sont pas égaux face à cette menace. La France a la chance d’être bien insérée dans un marché européen qui l’en protège en partie. Au-delà des frontières de l’Union, l’examen de l’insertion de nos entreprises industrielles dans les chaînes de valeur mondiales révèle que, pour l’instant du moins, les risques viennent bien davantage de l’est que de l’ouest.

Anne-Sophie Alsif, Vincent Charlet, Clément Lesniak

Résumé

Afin d’apprécier l’exposition de l’industrie française au risque protectionniste, nous exploitons la toute dernière édition de la base de données TiVA de l’OCDE, qui comptabilise les échanges internationaux en valeur ajoutée. Hormis la diminution récente des prix des matières premières énergétiques, les chaînes de valeur mondiales ne montrent pas de signe de ralentissement entre 2005 et 2015 ; il n’y a donc pas lieu de parler de ralentissement de la mondialisation, que ce soit sous l’effet du protectionnisme ou pour d’autres raisons. La France continue de bénéficier au premier ordre de l’ouverture et de la stabilité du marché européen et les termes de ses échanges avec les États-Unis n’ont pas beaucoup changé non plus. La Chine en revanche occupe un statut à part dans la mesure où elle se recentre rapidement sur son marché intérieur tout en gagnant en capacité à répondre à la demande étrangère. Ce n’est pas qu’elle se désengage des chaînes de valeur mondiales ou au contraire qu’elle s’y installe, c’est plus simplement qu’elle s’affirme comme puissance industrielle de tout premier plan. Une puissance non coopérative, faut-il ajouter : l’importance croissante de la valeur ajoutée chinoise dans la demande manufacturière occidentale n’a d’égale que notre propre incapacité à pénétrer le marché chinois. Si le sujet du protectionnisme s’invite souvent dans l’actualité à la faveur des déclarations de la présidence américaine, c’est bien à l’égard de la Chine que la question de la réciprocité mérite d’être posée.

 

Le relâchement apparent des chaînes de valeur mondiales

L’insertion d’un pays dans les chaînes de valeur mondiales peut notamment s’évaluer en mesurant la part de ses exportations brutes qui relèvent en fait d’importations étrangères réexportées. En 2015, la valeur ajoutée importée depuis l’étranger comptait pour 9 % des exportations américaines, 17 % des exportations chinoises et 12 % des exportations extracommunautaires de l’Union européenne (en considérant cette dernière comme un pays à part entière). Bien sûr, cet indicateur est partiellement lié à la taille du pays considéré : plus celui-ci est grand, plus il dispose de ressources propres et moins il dépend de l’extérieur. La France ou l’Allemagne, par exemple, comptent 21 % d’intrants étrangers dans leurs exportations, et apparaissent donc comme plus insérées dans les chaînes de valeur que les deux superpuissances mondiales.

Le phénomène le plus frappant est la diminution sensible du contenu étranger des exportations depuis 2011, pour tous les pays étudiés. À première vue, cela pourrait accréditer la thèse d’un « ralentissement » de la mondialisation voire poser la question des premiers effets des mesures protectionnistes récentes. En réalité, en Europe comme aux États-Unis, cette désintégration apparente de chaînes de valeur mondiales s’explique presque uniquement par la diminution du prix des matières premières énergétiques. La situation est très différente en Chine, où ce phénomène se double d’une tendance plus ancienne à la régionalisation, le pays ayant pour stratégie de privilégier son marché intérieur et de réduire sa dépendance aux importations étrangères. Dès lors, on ne peut parler d’un phénomène de « démondialisation » à l’échelle globale mais davantage d’un fort développement du régionalisme chinois.

Figure 1. Part de valeur ajoutée étrangère contenue dans les exportations brutes (2005-2015, en %)

Source : TiVA, OCDE.

La Chine réussit un double exploit : fournir toujours plus de valeur ajoutée aux marchés étrangers tout en gagnant en autosuffisance

La valeur ajoutée chinoise contenue dans la demande finale manufacturière française n’a cessé d’augmenter entre 2005 et 2015, passant de 2,5 % à 6,9 %. Cela vaut d’ailleurs pour tous les pays européens, ce qui a permis à la Chine de passer devant les États-Unis au tournant des années 2010 comme premier fournisseur des industries européennes. Cette hausse n’est en rien propre à un secteur particulier mais est commune à tous les secteurs importateurs européens et à tous les secteurs d’exportation chinois. À l’inverse, les valeurs ajoutées européenne et française contenues dans la demande finale manufacturière chinoise n’ont cessé de décroître sur la même période. De façon similaire, la Chine fournit aujourd’hui plus de valeur ajoutée que l’Union européenne à la demande manufacturière américaine.

La domination commerciale chinoise, loin de se limiter aux produits de consommation de masse, se vérifie donc également pour les matières premières, les biens d’équipement et les produits intermédiaires entrant dans la constitution des chaînes de valeur industrielles. En outre, l’idée popularisée un temps selon laquelle la valeur ajoutée proprement chinoise n’interviendrait qu’aux étapes low cost de montage et d’assemblage a fait long feu. La Chine parvient au contraire à être toujours plus présente sur les marchés extérieurs et de moins en moins dépendante du reste du monde pour répondre à sa propre demande.

 

Les produits métalliques particulièrement exposés aux barrières douanières

Depuis 2005, les industries européennes (Royaume-Uni excepté) ont vu progresser leur exposition internationale, mesurée par le nombre moyen d’étapes de production restant à franchir à l’étranger avant d’atteindre le consommateur final (de 0,52 en 2005 à 0,61 en 2015 étape étrangère en moyenne à partir des producteurs français). A contrario, cet indicateur a vivement diminué en Chine (passant de 0,40 en 2005 à 0,31 en 2015 étape étrangère en moyenne). Le secteur des produits métalliques est une variable explicative importante de ce phénomène : en effet, ces produits de base passent plus souvent que les autres par des étapes de production étrangères avant d’atteindre leurs marchés, mais ce nombre est en repli plus ou moins marqué dans tous les pays depuis 2008-2010. On ne sait dire si les mesures tarifaires sur l’acier et l’aluminium y sont significativement pour quelque chose, notamment par comparaison avec les effets de la crise qu’a connue le secteur de l’acier en 2008 et aux gigantesques surcapacités entretenues en Chine dans ce secteur. Quoi qu’il en soit, aux États-Unis, cette particularité du secteur de la métallurgie est tellement marquée qu’elle suffit à faire fléchir l’indicateur général d’externalisation de l’ensemble de l’industrie manufacturière, alors qu’elle ne parvient pas à inverser la tendance moyenne en France et en Allemagne. En Chine, c’est encore différent : comme tous les secteurs se réorientent vers leur marché intérieur depuis 2008, le recentrage général n’en est que plus flagrant.

Conclusion

L’examen des données les plus récentes met en exergue le statut tout à fait particulier de la Chine. Ce pays s’insère dans les chaînes de valeur mondiales en tant que fournisseur des marchés extérieurs, tout en augmentant rapidement sa capacité d’autosuffisance. En d’autres termes, la Chine s’affirme comme une puissance industrielle de tout premier plan.

Dès lors, s’il convient de parler de risque protectionniste et, plus encore, s’il convient de chercher les outils d’une réciprocité commerciale, c’est essentiellement vis-à-vis de la Chine que la question se pose.

 

En savoir plus

• Alsif AS., Charlet V., Lesniak C., 2019 « La France est-elle exposée au risque protectionniste ? », La Fabrique de l’industrie – Presses des Mines, octobre.

Pour réagir à cette note, vous pouvez contacter Anne-Sophie Alsif : anne-sophie.alsif@la-fabrique.fr