Start-up nation : la France passe un cap !

Start-up nation : la France passe un cap !

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RÉSUMÉ

L’objectif gouvernemental de faire de la France une « start-up nation » a plusieurs desseins. D’abord, faire naître les grandes entreprises de demain qui créeront de l’emploi et de l’activité économique. Ensuite, s’assurer souveraineté et légitimité technologiques à long terme. Enfin, véhiculer à l’étranger l’image d’un pays dynamique et innovant et modifier la perception qu’ont d’eux-mêmes les Français sur le terrain économique.
Notamment, la faculté des start-up françaises à irriguer tous les secteurs d’activité est régulièrement mise en doute. Les services à la consommation ou à la personne ne sont pourtant pas les seuls à produire des start-up : l’industrie est également un terrain très fertile pour ces jeunes pousses.
Autres idées reçues tenaces : seuls les investisseurs étrangers rachètent des start-up et, lorsque ces acquisitions concernent nos jeunes entreprises, ce sont des pertes sèches pour la France. En réalité, les flux de rachats entrants et sortants sont au contraire très équilibrés et les acquisitions de start-up françaises par des étrangers alimentent un cercle vertueux pour l’économie nationale et son « écosystème start-up ».

L’objectif de hisser la France au rang des grandes « start-up nations » semble en passe de se réaliser. En témoigne la forte croissance des montants investis en capital-risque en France dans ces jeunes entreprises : les start-up ont levé 5,4 milliards d’euros en 2020, contre 1,8 milliard d’euros en 2015 (EY, 2021). Autre progression éloquente : en juillet 2021, la France comptait 18 licornes – des start-up dont la valorisation excède un milliard d’euros – contre seulement 5 en 2020.

10 % DES START-UP SONT À VOCATION INDUSTRIELLE

Derrière ces chiffres ne figurent pas uniquement des réseaux sociaux ou des sites Internet révolutionnant les marchés B2C traditionnels, comme l’hôtellerie avec Luckey Homes (racheté par Airbnb) ou le transport avec BlaBlaCar. La progression du nombre de start-up tient au fait que leur caractère intrinsèquement innovant profite aujourd’hui à tous les secteurs d’activité, dont celui de l’industrie manufacturière. Parmi les 12 938 start-up répertoriées en juin 2020 par la French Tech1 se situant en phase d’amorçage et de démarrage, plus de 10 % ont un business model de type manufacturier2. Cette proportion est la même parmi les firmes en phase de croissance plus avancée, avec 314 entreprises sur 3 147. En outre, le Next403 comprend 3 firmes en 2021 ayant un business model de type manufacturier (Ynsect dans l’agroalimentaire, Bioserenity dans la santé, Exotec dans la logistique) et le French Tech 120 en compte 32. En résumé, il n’y a pas de biais sectoriel : l’industrie occupe au sein de l’écosystème start-up un poids comparable à ce qu’elle représente dans l’économie en général.

Parmi ces start-up, certaines développent des innovations de rupture, les plaçant parfois en situation de concurrence des acteurs traditionnels (c’est le cas de Hoffman Green Cement Technologies qui développe un ciment décarboné). D’autres leur apportent des innovations notamment issues du numérique, en faveur de la réduction des dépenses énergétiques, de l’augmentation de la productivité ou encore de la diminution des coûts de maintenance. Ces innovations interviennent depuis la phase de conception et de R&D (réalité augmentée et réalité virtuelle, IA ou impression 3D) jusqu’à la commercialisation (grâce au e-commerce, aux logiciels de relation client fondés sur l’exploitation du big data et de l’IA), en passant par la phase d’industrialisation (IoT, blockchain) et les fonctions support (cybersécurité, solutions digitales).

LES RACHATS ÉTRANGERS, SYMPTÔMES ET REMÈDES DE LA FRAGILITÉ DE L’ÉCOSYSTÈME FRANÇAIS

Pour autant, ces start-up n’ont pas encore réussi à devenir les « nouveaux géants » de notre base industrielle, faute de financements suffisants – dans l’industrie comme dans les autres secteurs d’ailleurs. L’écosystème français parvient aujourd’hui à proposer aux start-up un niveau de financement satisfaisant sur la phase dite early stage (premières levées de fonds, le plus souvent sous la barre des 50 millions d’euros). Cependant, lorsque les jeunes pousses en croissance ont besoin de davantage de fonds pour consolider leur activité, les investissements français en late stage se raréfient. Selon la DG Trésor, les capitaux investis4 entre 2016 et 2020 restent très majoritairement français pour les levées en capital-risque inférieures à 50 M$ mais sont principalement d’origine européenne pour les levées de fonds plus importantes : 21 % pour la tranche 50-100 M$, 31 % pour la tranche 100-250 M$ et 80 % pour les levées supérieures à 250 M$.

Ce phénomène se confirme au niveau des exits5 ; entre 2015 et 2021, seuls 36 % des rachats de start-up françaises provenaient d’acquéreurs nationaux (données Dealroom). Même si la France n’est pas en déficit de start-up puisqu’elle en importe autant qu’elle en exporte, ses plus belles pépites passent entre les mains d’acquéreurs étrangers, notamment américains, faute d’une offre domestique attractive. La maturité de l’écosystème US permet en effet aux acquéreurs américains d’investir des montants en moyenne trois fois supérieurs à ceux proposés par leurs homologues européens (100 millions d’euros contre 30 millions d’euros respectivement par exit).

Il faut cependant cesser d’y voir une mauvaise nouvelle. En effet, ces rachats étrangers sont souvent perçus par le public comme une prédation de nos technologies et de nos talents. Ils amènent même certains observateurs à contester la pertinence des investissements dans des start-up françaises, qui ne serviraient finalement qu’à consolider les positions d’acteurs étrangers. Cette crainte est heureusement démentie par les faits. Ces rachats ont en fait plusieurs vertus – en plus d’être une source de revenus pour l’État. La plus évidente est qu’ils assurent la survie des start-up, dont 60 à 90 % meurent faute d’avoir réussi à dépasser la phase critique de la « vallée de la mort »6. En outre, et contrairement à ce que l’on entend souvent, ces rachats s’accompagnent très rarement d’une délocalisation des activités; ils permettent au contraire le développement de la start-up et la création d’emplois sur le sol français. Par exemple, Logmatic qui employait 10 personnes lors de son rachat en 2017 par Datadog compte aujourd’hui 400 employés à Paris.

Un autre effet de ces rachats, plus indirect mais plus important encore, est le recyclage des capitaux et des talents dans l’économie française. Les entrepreneurs ayant trouvé un acquéreur deviennent très souvent, grâce au revenu de la vente, des business angels investissant au capital de jeunes start-up. Certains se relancent également dans l’aventure à l’instar de Bruno Maisonnier qui, depuis la vente de sa start-up Aldebaran Robotics à Softbank en 2012, a participé à la création de 17 start-up en France dont AnotherBrain, une start-up d’intelligence artificielle figurant au classement French Tech 120.
Ces rachats et les réinvestissements qu’ils permettent dans de nouveaux projets constituent donc le meilleur moyen de renforcer l’écosystème français et de réduire l’écart de maturité persistant avec l’écosystème américain.

CONCLUSION

La France est désormais un incubateur de jeunes pousses irriguant tous les domaines d’activité. Elle importe en outre autant de start-up qu’elle n’en exporte mais la relative jeunesse de son écosystème ne lui permet pas de conserver ses plus belles pépites, souvent tentées ou contraintes de traverser l’Atlantique. Ces rachats étrangers représentent certes un risque de perte technologique mais la balance bénéfices/risques reste largement favorable. Et ce, notamment parce qu’ils renforcent l’écosystème français d’investisseurs au profit de nouvelles générations de start-up françaises, plus robustes et ambitieuses que la génération précédente. Face aux rachats étrangers, il convient donc de faire usage avec discernement de l’arsenal défensif dont l’État s’est nanti et de privilégier des registres d’action plus offensifs, afin notamment de développer le marché de l’investissement late stage et la maturité des places boursières européennes. C’est en poursuivant dans cette voie que la France et l’Europe pourront réserver le meilleur accueil aux start-up les plus prometteuses.

  • 1. La French Tech représente à la fois un écosystème d’acteurs et un label pour les entreprises qui veulent être considérées comme des start-up. Contrairement aux usages statistiques, ce sont ici les acteurs – principalement les start-up et les financeurs – qui décident de la qualification de start-up.
  • 2. Le modèle manufacturier comprend le hardware, l’impression 3D, les procédés de fabrication industriels, les robots et les drones.
  • 3. Le « French Tech Next40 » est un label créé en 2019 par le gouvernement désignant les 40 start-up françaises les plus prometteuses et pouvant bénéficier à ce titre d’un accompagnement dédié pour lever les freins à leur croissance. Le French Tech 120 est composé du Next40 et de 80 scale-up innovantes à fort potentiel.
  • 4. La France a investi 19 milliards de dollars (16,2 milliards d’euros) en capital-risque entre 2016 et 2020.
  • 5. L’exit désigne la phase de rachat ou d’entrée en Bourse de la start-up.
  • 6. La « vallée de la mort » désigne la période délicate pendant laquelle les jeunes start-up en croissance doivent trouver des financements pour soutenir leur développement, leur modèle ne leur permettant pas de dégager les bénéfices nécessaires à la couverture de leurs besoins. Selon le site d’informations Wydden, en 2019, 60 à 90 % des start-up ont cessé leur activité faute d’avoir franchi cette phase.

En savoir plus

Direction générale du Trésor (2021), Levées de fonds et licornes : où en est la France ? disponible sur https ://www.tresor.economie.gouv.fr/Articles/2021/06/04/ levees-de-fonds-et-licornes-ou-en-est-la-france.
EY (2021), Baromètre EY du capital-risque en France – Bilan annuel 2020, disponible sur https ://www.ey.com/fr_fr/services-aux-entrepreneurs/frenchtech-bilan-des-investissements-en-2020
Granier C. (2021), Industrie et start-up : des destins liés ?, Les Docs de La Fabrique, Presse des Mines.
Piet J. et Revol M. (2021), Rachat des start-up. Des racines françaises, des ailes étrangères. Les Docs
Wydden (2019), « Les chiffres clés des startups en France », disponible sur https ://wydden.com/ chiffres-cles-startups-france/

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