Réindustrialisation : la France devra former 100 000 soudeurs dans les années à venir pour relancer ses usines
En pleine course à la réindustrialisation, la France devra former ou recruter 100 000 soudeurs dans les prochaines années pour faire tourner ses usines. Le manque de bras freine déjà les chantiers du nucléaire, du naval. Et sans action rapide de la part de l’État, de l’écosystème, notre souveraineté industrielle est en péril.
Soudage : un métier vital, délaissé
Le dernier rapport de l’Observatoire de la Métallurgie[1] (mars 2023) est sans appel : le métier de soudeur figure parmi les trois métiers les plus en tension de l’industrie, avec la chaudronnerie et la maintenance. Et cette pénurie n’est pas théorique : elle freine déjà des projets majeurs. Dans le secteur naval, par exemple, 7 000 postes seront vacants d’ici 2030 si rien n’est fait. À l’échelle nationale, nous estimons qu’il faudra former ou recruter 100 000 soudeurs dans les prochaines années alors que le nombre de soudeurs diminue continuellement. Il est passé de 45 000 en 2009 à 34 400 aujourd’hui (chiffre 2019, DSN/Insee).
Cette pénurie menace directement notre compétitivité industrielle, notre souveraineté et même notre crédibilité. Faute de vivier suffisant, certains chantiers prennent du retard. D’autres, comme celui de l’EPR de Flamanville, n’ont eu d’autre choix que de faire appel à de la main-d’œuvre étrangère : des soudeurs américains ont été mobilisés sur site. Un comble, dans un pays qui revendique sa souveraineté industrielle.
Et pourtant, les besoins ne cessent de croître. Les Chantiers de l’Atlantique, emblèmes de l’excellence industrielle tricolore, viennent de signer un contrat historique de 3,5 milliards d’euros pour la construction de deux nouveaux paquebots géants, livrables en 2029 et en 2030. Ce succès, soutenu par l’État, repose sur une chaîne de compétences de haut niveau dont le soudage est un maillon central. Mais comment maintenir cette dynamique, sans soudeurs formés sur le territoire ? La situation est claire : un savoir-faire stratégique est en train de se perdre, alors même que les projets industriels repartent. Il est urgent d’en faire un sujet de politique publique.
L’État ne peut plus fuir ses responsabilités
Les raisons de cette pénurie de main-d’œuvre qualifiée sont connues, la première est démographique : une hémorragie de compétences liée aux départs à la retraite des soudeurs en poste. D’ici 10 ans, les besoins de remplacement des départs en retraite dépasseront 10 000 postes pour les soudeurs. La seconde est structurelle : les centres de formation sont trop peu nombreux et les formations du secteur ne sont pas valorisées.
Selon l’Observatoire de la Métallurgie, les formations professionnelles ne couvrent que 50 % des besoins en recrutement jusqu’à 2030 pour les métiers de chaudronnier, soudeur et technicien de maintenance. Les certifications dans des secteurs stratégiques (nucléaire, aéronautique) sont chères. Et l’accès à la formation est freiné par les réformes récentes du CPF : les formations pratiques certifiantes ne sont plus éligibles depuis décembre 2022, et une contribution financière est désormais obligatoire pour les salariés[2].
Résultat : les centres de formation ne produisent pas assez de diplômés. Face à l’inaction de l’État pour remédier à cette pénurie, les industriels ont pris le relais. C’est le cas d’EDF, Orano, Naval group et CMN qui ont fondé l’école HEFAÏS (Haute École de Formation Soudage) en 2021 ou de celui d’Eiffage qui a lancé sa propre académie du métal. Mais former nos propres soudeurs dans l’urgence ne peut pas devenir la norme. L’État doit reprendre la main et arrêter d’être un simple observateur.
Le soudeur d’aujourd’hui : un technicien du futur
Le métier souffre également d’une image vieillissante. Pourtant, le soudeur d’aujourd’hui est un expert de la précision, qui manie l’acier comme d’autres manient les lignes de code. Il travaille avec des cobots, sur des cellules de soudage intelligentes. Il faut le dire, le montrer. Et surtout le revaloriser : par le salaire, par les conditions de travail, par l’évolution de carrière. Le soudage est une porte d’entrée vers des métiers d’avenir !
Agir maintenant, ou risquer le blocage de l’industrie française
Nous n’avons plus le droit d’attendre. Sans plan massif pour les compétences, la réindustrialisation est un mirage. Et le soudage, colonne vertébrale de notre industrie, en est la preuve : sans soudeurs, pas de navires, pas de réacteurs, pas d’indépendance. Il est temps de parler d’une seule voix. Industriels, formateurs, élus, syndicats : rassemblons-nous pour un Grenelle des métiers industriels. Pas pour constater l’urgence, mais pour bâtir des solutions concrètes : quotas de formation, accès facilité au CPF, équipements modernisés, campagnes de valorisation. La souveraineté industrielle ne se décrète pas, elle se construit autour des savoir-faire. Et sans celles et ceux qui soudent, fabriquent, façonnent… il n’y aura pas de relance.
[1] Rapport final – mars 2023 : Analyse des tensions de recrutement sur 3 métiers : chaudronnerie, maintenance et soudage dans le cadre du plan de réduction des tensions de recrutement – Observatoire de la Métallurgie / OPCO2i
[2] https://www.cdsoudage.fr/comment-financer-vos-formations/