Comment l’industrie de défense française concilie-t-elle supériorité technologique et compétitivité
L’ industrie française de défense se présente sous la forme d’un ensemble d’acteurs qui interagissent et forment un écosystème bien coordonné autour d’un impératif commun : préserver l’autonomie stratégique de la France et sa sécurité. La relation qu’ils entretiennent avec le ministère des Armées et sa Direction générale de l’armement (DGA) se présente comme un cas particulier de politique industrielle réussie, révèle une nouvelle étude de La Fabrique de l’industrie.
En 2024, la France se hissait au deuxième rang mondial et au premier rang européen des exportations d’armement. Cette performance dans un contexte de vive concurrence témoigne de la capacité de l’industrie de défense française à se démarquer sur les marchés internationaux par la qualité, la fiabilité et la compétitivité de son matériel. Pour comprendre les raisons de ce succès industriel, Marie Desjeux est allée à la rencontre des différents acteurs de ce secteur d’activité. Elle en tire un ensemble d’observations dans la nouvelle Note de La Fabrique de l’industrie, L’industrie de défense au service des ambitions françaises. De la maîtrise à la supériorité.
Un marché contraint et tiré par la commande publique
Le marché de la défense se compose d’abord d’une base industrielle et technologique de défense (BITD) qui regroupe 9 grandes entreprises appelées « maîtres d’œuvre industriels » (MOI)* et plus de 4 000 PME et ETI exerçant des activités de recherche et de production pour les différents milieux d’opération (aérospatial, naval, terrestre et cyberespace). Ensuite, ce marché ne compte qu’un seul acheteur légal, l’État, qui confie à la DGA la gestion de la commande publique et la maîtrise d’ouvrage (la DGA est le principal interlocuteur des MOI) avec l’objectif – partagé par tous – d’assurer « l’autonomie stratégique » du pays. Néanmoins, pour préserver les capacités industrielles en cas d’affaiblissement des dépenses militaires (ce qui était le cas entre la fin de la guerre froide et 2019), tout en renforçant sa politique étrangère, l’État peut autoriser la vente des produits militaires sur d’autres marchés. Ainsi, en plus d’une diversification sur le marché civil pour assurer leur rentabilité, les entreprises du secteur se saisissent pleinement de ce complément d’affaires : en 2021, le commerce extérieur de la BITD représentait près de 10 % des exportations françaises.
Maintenir un double impératif : compétitivité et supériorité technologique
La performance des entreprises françaises à l’export s’explique d’abord par leur compétitivité. Une bonne manière de l’illustrer est de souligner qu’en moyenne, sur la période 2015-2024, la France consacre 2 % de son PIB à la dépense militaire, ce qui est très proche du Royaume-Uni par exemple, mais représente plus de 9 % des exportations mondiales de matériel, ce qui est plus du double de notre proche voisin. Ce succès tient aussi à l’impératif de supériorité technologique auquel sont tenues les entreprises du secteur pour assurer aux armées un rapport de force favorable. Pour développer des équipements de pointe, les MOI ont alloué entre 2 % et 11 % de leur chiffre d’affaires à la R&D civile et militaire entre 2015 et 2022.
Veiller à la robustesse de la chaîne d’approvisionnement
S’impose aussi la nécessité de privilégier la production nationale dans un double intérêt : conserver les savoir-faire sur le territoire et s’affranchir des politiques des autres pays. Toutefois, il existe des vulnérabilités sur la chaîne d’approvisionnement. L’interdépendance internationale reste forte (certains composants et matériaux essentiels proviennent de l’étranger), les ETI et PME de la BITD affichent une santé fragile et la concentration des fournisseurs certifiés par la DGA limite les sources d’approvisionnement alternatives. Face aux risques de rupture, plusieurs contrefeux ont été mis en place. On peut notamment citer l’obligation pour les entreprises de constituer des stocks stratégiques pour les produits les plus critiques ou la création de la direction de l’industrie de défense (DID) au sein de la DGA, qui a pour mission d’établir des liens plus directs avec les PME et les ETI. Les MOI sont aussi incités à prendre des participations au capital d’un fournisseur stratégique fragilisé ou aux prises d’un rachat par des acteurs étrangers.
Une organisation collective portée par des intérêts communs
Cette stratégie est aussi le résultat de la formation d’un écosystème solidaire, où organismes nationaux, syndicats de filière et clusters territoriaux ancrent des habitudes coopératives à tous les stades de la chaîne de valeur. Cette dynamique de coopération s’étend aujourd’hui au cadre européen, quand la convergence d’intérêts entre les acteurs français et leurs partenaires le permet.
(*) : Les 9 MOI sont Airbus, ArianeGroup, Arquus, Dassault Aviation, KNDS, MBDA, Naval Group, Safran et Thales.
Julie Celeste Meunier
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