Angoulême-Cognac : appréhender la diversité des territoires industriels

Angoulême-Cognac : appréhender la diversité des territoires industriels

 

Avant-propos

Lancé en novembre 2018 par le gouvernement, le programme Territoires d’industrie vise à apporter des réponses concrètes aux enjeux de soutien à l’industrie. Présenté comme « une stratégie de reconquête industrielle par les territoires », ce programme s’articule autour de quatre enjeux majeurs : favoriser l’attractivité des territoires et des métiers de l’industrie, faciliter la formation, le recrutement et la mobilité des salariés afin de répondre aux besoins en main-d’œuvre des entreprises, accompagner les entreprises et les territoires dans les transitions numérique et écologique et accélérer les procédures administratives.

Ce document est le fruit d’un questionnement autour des conditions locales qui mènent certains territoires à se distinguer des autres en matière d’emploi industriel et qui a mené La Fabrique de l’industrie à participer à la création et à l’animation de l’observatoire des Territoires d’industrie. Il explore ainsi un des 148 territoires labellisés Territoires d’industrie qui présente des caractéristiques spécifiques du point de vue des effets locaux, celui d’Angoulême-Cognac. Issu d’un regroupement d’intercommunalités qui n’avaient pas l’habitude de coopérer, le territoire présente des dynamiques d’emplois variées selon les secteurs d’activité et les zones d’emploi considérés. Un écosystème ancré dans le Cognaçais s’est organisé autour du produit cognac et constitue sans aucun doute la force du territoire. D’autres industries comme la mécatronique coexistent sur le territoire mais présentent un moindre enracinement local. Le positionnement émergent des entreprises sur le secteur de l’image et du digital offre quant à lui une perspective de coopération entre les territoires cognaçais et angoumoisin : le programme « Territoire d’industrie », s’il est saisi par les acteurs locaux, pourrait-il faire naître un nouvel avantage comparatif pour le territoire ?

Nous espérons que ce document offrira aux industriels, aux collectivités locales et aux décideurs publics des pistes de réflexion sur la revitalisation des territoires industriels et sur les pratiques locales. Nous recueillerons avec grand intérêt vos retours dans ce domaine.

La collection des « Docs de La Fabrique » rassemble des textes qui n’ont pas été élaborés à la demande ni sous le contrôle de son conseil d’orientation, mais qui apportent des éléments de réflexion stimulants pour le débat et la prospective sur les enjeux de l’industrie.

L’équipe de La Fabrique

Résumé

Parmi les 148 territoires labellisés Territoire d’industrie, celui d’Angoulême-Cognac est caractérisé par deux pôles industriels majeurs. D’une part, l’industrie du cognac incluant l’ensemble des activités connexes reliées (agriculture, emballage, cartonnage, verrerie, etc.), principalement localisée sur la zone d’emploi de Cognac. D’autre part, les industries du process et de la mécatronique (stockage de l’énergie, moteurs, armement naval, fabrication de machines et équipements, etc.) sur la zone d’emploi d’Angoulême. Or, ces deux bassins d’emplois présentent des dynamiques opposées : Cognac bénéficie d’une dynamique économique favorable avec des secteurs en fort développement (la production de cognac et le secteur du packaging et de l’emballage principalement) tandis qu’Angoulême pâtit de secteurs industriels majoritairement en déclin à l’échelle territoriale comme à l’échelle nationale. Ces différences sont en partie liées à « des effets locaux », c’est-à-dire à certaines particularités du territoire et de ses acteurs (entreprises, institutions, habitants) qui influent positivement ou négativement sur la dynamique des emplois industriels. Ces effets locaux peuvent être l’histoire, les stratégies d’entreprises, le rôle des leaders, la qualité de la gouvernance ou encore la coopération entre les acteurs territoriaux.

À fabrication de denrées alimentaires, de boissons et de produits à base de tabac

Les origines du dynamisme de l’industrie du cognac

Les effets locaux positifs observés pour l’industrie du cognac trouvent pour beaucoup leur origine dans l’histoire du cognac et du Cognaçais. Né de l’idée des commerçants hollandais (au XVIe siècle) de distiller le vin importé de Cognac pour faciliter sa conservation puis son transport, le cognac a toujours été un produit destiné aux marchés internationaux et a fait du Cognaçais un territoire traditionnellement tourné vers l’extérieur. Aujourd’hui, 98 % des ventes de cognac se font ainsi à l’export, dont la moitié sur le marché nord-américain.

Par ailleurs, au cours de son histoire, le Cognaçais a traversé des crises qui se sont révélées très structurantes pour la filière du cognac. On peut notamment citer la crise du phylloxéra (insecte qui attaque la vigne en suçant la sève de ses racines) qui a détruit la majeure partie du vignoble charentais à la fin du XIXe siècle. Pour soutenir la reconstruction du vignoble, les familles de la viticulture et du négoce ont renforcé leur coopération dès 1888 (par la création d’un comité de viticulture) et fait naître une véritable logique de filière qui s’est structurée peu à peu. Ces relations entre la viticulture et le négoce constituent aujourd’hui la pierre angulaire de la gouvernance territoriale sur le Cognaçais. Depuis 1946, elles sont structurées au sein du Bureau national interprofessionnel du cognac (BNIC), le « cœur du réacteur » en charge des décisions stratégiques pour la filière.

En parallèle, afin de faire face au développement de la contrefaçon suite aux pénuries liées à la crise du phylloxéra, une première législation a été instaurée en 1909 pour mieux encadrer l’appellation « Cognac ». Elle a été renforcée dans les années 1930 par deux décrets majeurs. Un qui a ouvert droit à l’appellation d’origine contrôlée (AOC) « Cognac » et l’autre qui a défini l’aire d’appellation, par commune et par cru. Cette appellation, qui suppose un strict respect des process de production du cognac, a permis le succès et la reconnaissance du cognac comme un produit de tradition et de haute qualité dans le monde. Cette exigence de qualité constitue désormais une caractéristique intrinsèque du territoire et est ancrée dans la pratique de tous les acteurs, même ceux qui interviennent dans les activités connexes (tonnellerie, verrerie, emballage, etc.). Les tonneliers cognaçais, par exemple, sont réputés pour leur production haut de gamme et font partie des leaders à l’échelle mondiale.

Cette appellation génère en outre une interdépendance très forte entre les acteurs, l’obligation de production de la quasi-totalité des activités sur l’aire d’appellation d’origine du cognac les obligeant à être colocalisés sur cet espace territorial. Elle préserve enfin le territoire d’une éventuelle délocalisation des activités. Ce dernier point est d’autant plus essentiel que les grandes maisons de Cognac ainsi que de nombreuses maisons de petite taille, sont aujourd’hui la propriété de groupes mondiaux de spiritueux.

Cette appartenance des maisons de Cognac aux grands groupes mondiaux de spiritueux leur confère une force de frappe considérable pour investir dans les réseaux de distribution et atteindre le consommateur final avec des stratégies marketing particulièrement affûtées. Cela se manifeste notamment aux États-Unis où les maisons de négoce ont réussi à intégrer un système de distribution complexe et à imposer le cognac comme produit identitaire pour les Afro-Américains. Ce travail est doublé aujourd’hui par un gros effort d’investissement des grandes maisons de négoce au niveau de la production afin de sécuriser les approvisionnements en eau-de-vie.

Enfin, les connaissances et les savoir-faire accumulés grâce au cognac ont permis aux acteurs locaux de mener depuis les années 2000 des stratégies de diversification payantes à travers deux axes. Premier axe, la production par les maisons de Cognac d’autres spiritueux haut de gamme (whisky, gin, vodka, liqueurs, brandies, etc.) en mobilisant les savoir-faire présents sur le territoire (dans la distillation et le vieillissement des eaux-de-vie notamment). Selon le cluster Spirits Valley, né en 2016 de la diversification des acteurs vers la production de spiritueux, plus de 50 % de la production mondiale des spiritueux super premium est produite aujourd’hui dans la vallée de la Charente. Deuxième axe, la recherche d’autres débouchés (en dehors de l’industrie du cognac) pour les acteurs de la filière en développant de nouveaux produits ou en offrant de nouvelles prestations. Les activités connexes au cognac, y compris les plus spécifiques comme la chaudronnerie pour la fabrication d’alambics charentais par exemple, ont élargi leur gamme leur permettant de se positionner sur de nouveaux marchés en France et à l’international. La part du cognac dans le chiffre d’affaires des entreprises a ainsi diminué, jusqu’à devenir minoritaire pour certaines.

Une industrie du process et de la mécatronique souffrant d’un manque d’ancrage local

Sur le bassin angoumoisin, les sous-secteurs les plus spécifiques de l’industrie du process et de la mécatronique ont en commun d’être chacun représentés par une ou deux entreprises principales qui regroupent l’essentiel des emplois. Cette forte concentration de l’emploi semble présenter un risque pour le territoire et expliquer une partie des effets locaux négatifs, dans la mesure où les choix stratégiques de quelques entreprises influencent la dynamique totale de l’emploi industriel local.

Ce risque est particulièrement important dans le secteur fabrication d’équipements électriques qui reste le principal employeur malgré une baisse des emplois depuis plusieurs décennies (également observée à l’échelle nationale). Positionnées dans des chaînes de valeur mondialisées, les principales entreprises industrielles de ce sous-secteur sont la propriété de firmes multinationales, parfois étrangères, dont le siège social est éloigné du territoire. Les décisions, qu’elles soient stratégiques ou financières, ne se prennent donc pas sur le territoire, qui subit plus qu’il n’agit sur les décisions de ces groupes multinationaux à l’inverse de ce qui a pu être observé sur le site de Toshiba à Dieppe (Verna, 2021). Cela est renforcé par le fait que les activités locales ne constituent pas nécessairement les activités les plus dynamiques de ces groupes. Par exemple, les unités de Schneider Electric implantées sur le territoire sont spécialisées dans l’automatisme industriel, l’activité la moins importante et la moins dynamique du groupe. Ainsi, malgré la forte implication du directeur du site de Schneider Electric dans l’écosystème local (Joël-Denis Lutard est président de la technopole Eurekatech et référent industriel du Territoire d’industrie Angoulême-Cognac), le groupe a réduit ses effectifs sur le Territoire d’industrie comme ailleurs en France.

Les autres secteurs inclus dans l’industrie du process et la mécatronique pèsent moins en termes d’emplois mais présentent des effets locaux positifs. C’est le cas notamment du sous-secteur construction de navires et de structures flottantes qui ne compte qu’une entreprise sur le territoire : Naval Group. Le site Naval Group de Ruelle-sur-Touvre (environ 800 salariés) est un des dix établissements français du groupe international qui conçoit, réalise, intègre, maintient en service, démantèle et déconstruit des sous-marins et des navires de surface et propose un panel de solutions dans les énergies marines renouvelables. En se positionnant comme équipementier du groupe (fabrication de simulateurs, lanceurs de missile, mâts, etc.), le site charentais a renforcé sa position dans la chaîne de valeur interne, à un moment où sa légitimité était remise en cause.

Autre particularité de l’industrie du process et de la mécatronique sur le territoire : les liens limités entre les grandes entreprises du secteur et le territoire. En effet, ces organisations verticales pilotées par des sièges localisés hors du territoire ne favorisent pas forcément les coopérations avec le tissu local. Il existe bien de la sous-traitance avec des entreprises locales mais pas de vrais partenariats ayant pour objectif de créer du business commun. Les différents témoignages et les données collectées sur les entreprises du territoire révèlent pourtant un potentiel de développement pour l’industrie, notamment lorsque des coopérations entre entreprises sont mises en œuvre.

Les coopérations territoriales et sectorielles à l’origine de futurs effets locaux positifs ?

Historiquement, des liens ténus existaient entre les différentes industries localisées sur le bassin de Cognac et sur le bassin d’Angoulême. Le développement d’une économie de plus en plus mondialisée puis financiarisée au cours du XXe siècle a eu des conséquences sur la géographie des coopérations et des échanges. Surtout, pendant longtemps, ces relations ne se sont pas matérialisées par des coopérations interinstitutionnelles entre les deux territoires.

La création de la technopole Eurekatech en 2018 et, dans une moindre mesure, la labellisation nationale « Territoire d’industrie Angoulême-Cognac » qui a suivi, symbolisent le développement d’une nouvelle ère de coopération industrielle entre les deux territoires. La technopole remplit trois missions principales : l’accompagnement des porteurs de projets innovants et le développement de la culture de l’entrepreneuriat (ex : lycées, écoles, etc.), l’animation auprès des acteurs du territoire sur les questions d’innovation et d’entrepreneuriat et le soutien aux filières (spiritueux, mécatronique, image, industries culturelles et créatives). La technopole identifie également les filières et les entreprises qui sont de nature à faire émerger « le nouveau champion » de demain. Les dirigeants d’entreprises du territoire participant avec plus ou moins d’intensité à la vie de la technopole ont un regard globalement positif sur celle-ci. Les actions engagées par Eurekatech sont saluées par l’ensemble des acteurs mais la capacité à animer les projets dans la durée et le financement durable de la structure posent parfois question. Que ce soit dans ou en dehors d’Eurekatech, les dirigeants des entreprises déjà implantées souhaitent voir se développer des rencontres et des relations orientées business. Par exemple, certains dirigeants rassemblent de leur propre initiative d’autres chefs d’entreprises locales lorsqu’ils reçoivent un client important afin de présenter l’ensemble des compétences du territoire et signifier leurs complémentarités. Pour favoriser ces relations sociales, certains acteurs industriels attendent qu’il y ait un pilotage et une animation plus forte du réseau de dirigeants locaux, notamment au niveau des PME.

S’appuyant sur le développement de la technopole Eurekatech, le programme Territoires d’industrie s’est imposé aux acteurs locaux tout en facilitant le rapprochement entre les différentes EPCI qui le constituent : Grand Angoulême, Grand Cognac, Rouillacais, La Rochefoucauld-Porte du Périgord. Le lancement du programme, son caractère descendant et sa finalité ont dès le départ interrogé les acteurs locaux, notamment institutionnels. La question du budget alloué au programme et des financeurs apparaît aujourd’hui comme cruciale pour ses pilotes locaux, notamment pour permettre la continuité de l’implication des entreprises. Ainsi, fin 2020, l’essentiel du travail réalisé dans le cadre du programme avait consisté dans l’écriture de dix fiches actions, dont quatre sont finalisées sans avoir été mises en œuvre opérationnellement faute de moyens suffisants. Ces fiches ciblent davantage des actions d’animation territoriale et économique que des projets structurants d’envergure (tel que le financement d’un projet industriel ou l’aménagement routier, etc.).

Pourtant, il existe des besoins d’une gouvernance forte et structurante. C’est par exemple le cas pour l’industrie de l’image et du digital, très présente à Angoulême. Sans être encore très pourvoyeuse d’emplois, cette industrie pourrait à terme faire émerger « le nouveau champion » du territoire grâce aux stratégies de diversification opérées par certains de ses acteurs. En effet, depuis deux ou trois ans une digitalisation de l’économie est à l’œuvre localement, se matérialisant par un rapprochement entre les industries historiques du territoire et l’industrie de l’image et du digital, à travers notamment le développement de l’apprentissage par immersion via la réalité virtuelle ou la réalité augmentée. Un exemple de rapprochement entre industries est le projet porté par Naval Group qui a développé un outil immersif avec la société Studio Nyx, sur la formation des marins (formation continue en petits modules). Studio Nyx a été créée et s’est développée historiquement autour du jeu vidéo avant d’évoluer petit à petit vers une cible de clients industriels. La manière dont le pôle image Magelis et Eurekatech vont pouvoir se coordonner et coopérer est un enjeu important pour favoriser la mobilisation des compétences digitales issues de l’image vers l’industrie.

Introduction

Depuis 2018, les communautés d’agglomérations de Grand Angoulême et du Grand Cognac (ainsi que les communautés de communes La Rochefoucauld Porte du Périgord et du Rouillacais) ont été réunies pour figurer parmi les 148 Territoires d’industrie nationaux. Est né ainsi le nouveau Territoire d’industrie Angoulême-Cognac.

Comme les autres, ce Territoire d’industrie se caractérise, par définition, par une surreprésentation des activités industrielles. En effet, grâce à son industrie du Cognac et des spiritueux, le Cognaçais est une référence mondialement reconnue. Le bassin angoumoisin accueille aussi de son côté des industries majeures comme celle de la mécatronique, mais, d’un point de vue marketing, Angoulême rayonne davantage grâce à son festival de la bande dessinée et ses activités émergentes autour du digital.

En dehors de ce point commun, Angoulême et Cognac ont-ils des atomes crochus ? L’union d’Angoulême et de Cognac relève-t-elle du « mariage forcé » ou répond-elle au contraire à l’identification de points de jonction existants et potentiels permettant de renforcer les industries du territoire ?

L’analyse de ce qui fait localement la force ou au contraire la fragilité de chacune de ces industries permet de répondre en partie à ces questions.

Nous avons donc effectué une analyse des dynamiques à l’œuvre sur le territoire par un travail qualitatif de terrain auprès d’acteurs économiques, principalement des dirigeants d’entreprises. Nous nous sommes également appuyés sur les résultats de nombreuses recherches et études qui sont consacrées, en totalité ou en partie au territoire d’étude, à savoir les zones d’emploi d’Angoulême et surtout de Cognac. Ces deux territoires ont fait l’objet d’études et d’analyses bien distinctes jusqu’ici du fait d’histoires économiques et politiques mais aussi de spécialisations bien différentes. Le programme Territoires d’industrie et notre travail ont pour originalité de proposer une lecture des dynamiques des territoires à une échelle atypique.

Pour une lecture complète, nous effectuons dans une première partie un état des lieux de l’emploi industriel sur le Territoire d’industrie à l’aide d’une analyse statistique. Nous identifions ensuite dans une deuxième partie ce qui fait le dynamisme de l’industrie du cognac, et dans une troisième partie, quelles sont les menaces qui pèsent sur la mécatronique et les industries du process. Dans une dernière partie, nous mettons en évidence que des croisements industriels et l’émergence de nouvelles filières d’excellence – notamment celle de l’image et du digital – sont possibles à condition, entre autres, d’une gouvernance territoriale unifiée.

Figure 1 – Le Territoire d’industrie Angoulême-Cognac

Source : Observatoire des territoires, ANCT, 2021
Note : Le Territoire d’industrie Angoulême-Cognac est localisé le long de la vallée de la Charente, dans le département de la Charente.

Note aux lecteurs : les propos cités « entre guillemets » dans le texte sont, en l’absence d’auteurs dûment cités, des verbatim issus des entretiens réalisés. Il s’agit d’une reproduction intégrale des propos prononcés par l’interviewé dans le souci d’un compte rendu fidèle. Par souci de confidentialité, les sources ne sont pas citées.

PARTIE I – Les multiples visages de l’emploi industriel dans le territoire

Le Territoire d’industrie Angoulême-Cognac se caractérise par la présence de quatre secteurs industriels clés présentant des dynamiques d’emploi très diverses. Les plus dynamiques sont situés sur le bassin d’emploi de Cognac quand les secteurs en déclin sont davantage présents sur le bassin d’emploi angoumoisin. Dans les deux cas, ces résultats sont liés à des effets locaux, positifs pour l’un et négatifs pour l’autre.

Chapitre 1

Des secteurs industriels aux dynamiques contrastées

Le Territoire d’industrie Angoulême-Cognac se caractérise par la présence de plusieurs secteurs industriels majeurs caractérisés par des effets locaux différenciés.

Les quatre secteurs clés du Territoire d’industrie

Les secteurs clés d’un territoire sont les secteurs à la fois spécialisés et spécifiques. Les secteurs spécialisés sont ceux qui pèsent le plus dans l’emploi d’un territoire. Par exemple, dans le bassin d’emploi1 Angoulême-Cognac, le secteur commerce ; réparation d’automobiles et de motocycles arrive en tête des secteurs les plus pourvoyeurs d’emploi avec 13 % de l’emploi total (à 13 251 emplois). Les secteurs spécifiques, eux, sont les secteurs qui pèsent plus sur le territoire d’étude que ce qu’ils pèsent sur un ensemble de référence plus large, ici le territoire national. Sur ce Territoire d’industrie, deux secteurs apparaissent particulièrement spécifiques (sur 12 secteurs identifiés comme spécifiques) : la fabrication d’équipements électriques (3 239 emplois) et le travail du bois, industries du papier et imprimerie (3 264 emplois). Ces deux secteurs sont respectivement 7,7 fois et 4,1 fois plus présents dans l’économie du territoire qu’ils ne le sont dans l’économie française.

C’est le croisement de ces deux indicateurs qui permet de déterminer les secteurs clés. Ainsi, en croisant les deux indicateurs précédents, huit secteurs apparaissent comme des secteurs clés pour le territoire (figure 1.1). Parmi eux, trois secteurs industriels sont identifiés comme des secteurs clés (en NACE A38) pour le Territoire d’industrie Angoulême-Cognac :

• la fabrication d’équipements électriques ;

• le travail du bois, industries du papier et imprimerie ;

• la fabrication de denrées alimentaires, de boissons et de produits à base de tabac.

Le secteur agriculture, sylviculture et pêche peut être associé à cette liste du fait de l’importance de la viticulture sur le territoire et du lien très étroit avec les activités de fabrication de boissons.

Figure 1.1 – Les secteurs clés du Territoire d’Industrie Angoulême-Cognac en 2016

Source : RP, NAF A38, calculs des auteurs
Lecture : Le secteur Fabrication d’équipements électriques par exemple emploie 3 239 personnes sur le territoire. Il s’agit d’un secteur très spécifique (classe de spécificité 4) mais à faible spécialisation (classe de spécialisation 1).

Une étude plus approfondie des données Acoss sur l’emploi privé (nomenclature d’activité A732) permet d’affiner ces résultats. En se concentrant sur les secteurs industriels, 26 secteurs apparaissent à la fois spécialisés et spécifiques (figure 1.2).

Figure 1.2 – Les secteurs industriels clés du Territoire d’industrie Angoulême-Cognac en 2018

Source : Acoss, NAF A732, calculs des auteurs

À partir de cette analyse, les secteurs industriels caractéristiques du Territoire d’industrie Angoulême-Cognac peuvent être synthétisés en quatre catégories :

la production de boissons alcooliques distillées, secteur le plus spécifique du territoire, qui pèse 95 fois plus à l’echelle du Territoire d’industrie Angoulême-Cognac que sur l’ensemble du territoire français ;

• le secteur de l’emballage (industries du bois, du papier – carton et de l’imprimerie) avec les secteurs de la fabrication de cartonnages, la fabrication d’articles de papeterie, la fabrication d’emballages en bois et la fabrication de verre creux ;

• la fabrication d’équipements électriques avec la fabrication de moteurs, génératrices et transformateurs électriques, la fabrication de piles et d’accumulateurs électriques et la fabrication de matériel de distribution et de commande électrique ;

• la construction de navires et de structures flottantes.

Des secteurs clés où les dynamiques de l’emploi sont diverses

Le Territoire d’industrie Angoulême-Cognac est caractérisé par une faible croissance de 0,17 % du nombre d’emplois sur la période 2007-2016 (données RP, Insee) à comparer aux 2 % de croissance nationale sur la même période. Cela représente une hausse en valeur absolue de 178 emplois sur la période 2007-2016. Cette vue d’ensemble masque des variations très différentes selon les secteurs. À l’échelle du Territoire d’industrie, 20 secteurs d’activité ont gagné des emplois (sur 38 secteurs en NAF A38) dont certains contribuent très positivement à la dynamique de l’emploi : hébergement médico-social et social et action sociale sans hébergement (+2 503 emplois), agriculture, sylviculture et pêche (+1 359 emplois), notamment. Inversement, certains secteurs d’activité ont subi des pertes d’emplois importantes et notamment deux secteurs industriels clés du territoire : la fabrication d’équipements électriques (−1 077 emplois) et le travail du bois, industries du papier et imprimerie (−1 092 emplois).

Un territoire qui résiste globalement mieux à la crise de l’industrie que l’ensemble du territoire national

Globalement, l’emploi industriel a baissé de 12,94 % sur le Territoire d’industrie Angoulême-Cognac entre 2007 et 2016. Ceci représente une destruction de 2 797 emplois. Cette baisse est cependant inférieure à celle observée à l’échelle nationale (−15,44 %). Le Territoire d’industrie montre, de ce fait, une certaine résilience. Ce constat est illustré par la décomposition des effets à l’œuvre sur la dynamique d’emploi. La baisse de l’emploi industriel est ainsi le fait d’effets de composition très négatifs (−3 785 emplois) liés aux spécialisations sectorielles du territoire. Elle est compensée par un effet macroéconomique (+446 emplois) et un effet territorial (+541 emplois) tous deux positifs. Ce dernier témoigne de la capacité du territoire à mieux résister à la crise du secteur considéré dans son ensemble.

C’est particulièrement remarquable pour un autre des secteurs clés du Territoire d’industrie, la fabrication de denrées alimentaires, de boissons et de produits à base de tabac. C’est le secteur d’activité qui a gagné le plus d’emplois sur la même période (+258 emplois) grâce à un effet territorial très positif (+471 emplois) qui permet de compenser une dynamique sectorielle nationale négative. Ce secteur présente sur le territoire une dynamique positive, opposée à celle constatée à l’échelle nationale.

Cette dynamique s’observe aussi pour le secteur Travail du bois, industries du papier et imprimerie qui a perdu des emplois mais les effets territoriaux positifs (+88) n’ont pas permis de compenser les difficultés sectorielles très fortes rencontrées à l’échelle nationale.

Parmi les secteurs clés, seul le secteur fabrication d’équipements électriques pâtit d’effets sectoriels et d’effets territoriaux négatifs (figure 1.3) qui renforcent les baisses observées dans ce secteur à l’échelle nationale.

Qu’entend-on par « effet local » ?

L’analyse structurelle-résiduelle (ASR), également appelée shift-share analysis est un travail statistique qui conduit à décomposer la dynamique de l’emploi observé sur un territoire en trois facteurs et mettre ainsi en lumière les effets intervenant dans l’évolution de l’emploi sur le territoire : i) des effets macroéconomiques (national share) qui mesurent l’évolution de l’emploi du territoire liée à l’évolution de l’emploi constatée sur un territoire de référence plus large, le plus souvent le territoire national dans le cas français ; ii) des effets de composition (industrial mix) qui sont liés à la composition sectorielle du territoire et mesurent l’évolution de l’emploi liée à la structure sectorielle du territoire ; iii) des effets géographiques ou résiduels (regional shift) qui comptabilisent tous les effets non expliqués par la dynamique macroéconomique et la spécialisation sectorielle. Ils mesurent la part de l’évolution de l’emploi liée à d’autres facteurs. On parle ici plus communément d’effet local ou d’effet territorial.

L’effet local intègre des éléments nombreux, propres à l’histoire et aux spécialisations économiques des territoires. L’effet local peut être positif. Dans ce cas, soit il a un effet entraînant sur l’économie (la dynamique locale est supérieure à ce qu’elle devrait être si elle suivait la dynamique nationale), soit il démontre une capacité de résilience du territoire (l’économie locale résiste mieux que l’économie nationale). L’effet local peut aussi être négatif. Dans ce cas, les caractéristiques territoriales présentent un effet de ralentissement (la dynamique est inférieure à ce qu’elle devrait être) ou un effet aggravant (la dynamique à la baisse est encore plus marquée) pour le territoire.

Figure 1.3 – Contribution de l’industrie à l’évolution de l’emploi du territoire entre 2007 et 2016

Source : RP, Insee, NAF A38, calculs des auteurs

Un zoom sur les secteurs clés identifiés à l’échelle plus fine de la NAF A732 (figure 1.4) apporte des éléments d’informations complémentaires.

• Le secteur de la production de boissons alcooliques distillées est le secteur le plus dynamique. Sa croissance est positive sur l’ensemble des périodes d’étude avec une hausse significative sur la période 2016-2018. Ce secteur est caractérisé par des effets territoriaux très positifs (+91 sur la période 2007-2016 et +146 sur la période 2016-2018).

• Tous les sous-secteurs de l’emballage et des industries du bois, du papier et de l’imprimerie sont marqués par des baisses d’emplois sur la période 2007-2016 mais la situation est diverse sur la période 2016-2018. Ainsi, les secteurs de la fabrication d’emballage en bois, la fabrication de cartonnage et la fabrication de verres creux sont en hausse tandis que la fabrication de cartons ondulés et d’articles de papeterie est en baisse. Une décomposition des effets à l’œuvre montre que tous les secteurs pâtissent d’effets sectoriels négatifs sur les deux périodes mais que la hausse observée sur certains secteurs est le fait d’effets territoriaux positifs. Ces effets territoriaux ont permis une certaine résilience des secteurs d’activité sur la période 2007-2016 et ont renforcé la croissance de l’emploi sur la période 2016-2018.

• Les sous-secteurs de la fabrication d’équipements électriques subissent tous des pertes d’emplois sur les deux périodes d’étude. Ce constat est le fait d’effets sectoriels et territoriaux combinés. Les caractéristiques locales ont pour effet d’accentuer la baisse de l’emploi constatée dans ces secteurs au niveau national. Seul le secteur de la fabrication de piles et d’accumulateurs électriques a bénéficié d’effets territoriaux positifs (+38) sur la période 2007-2016.

• Le secteur de la construction de navires et de structures flottantes bénéficie d’une dynamique d’emplois positive sur les deux périodes d’étude. Le secteur bénéficie d’effets sectoriels positifs, renforcés sur la période 2007-2016 par des effets territoriaux très positifs (+147). Ces derniers s’atténuent sur la période 2016-2018 mais ne contraignent pas la dynamique globale observée.

Figure 1.4 – Contribution de l’industrie à l’évolution de l’emploi du territoire entre 2007 et 2018

Source : Acoss, NAF A732, calculs des auteurs

  • 1 – Ce travail d’identification est mené à plusieurs niveaux de la nomenclature d’activité française (NAF A38, NAF A88 et NAF A732) et avec deux sources de données : les données issues du recensement de la population de l’Insee et les données produites par l’Urssaf collectées auprès des employeurs (données Acoss). Ces sources de données sont complémentaires (la première regroupe l’ensemble des emplois tandis que la seconde, plus précise d’un point de vue sectoriel, se concentre uniquement sur l’emploi salarié privé mais exclut l’agriculture).
Chapitre 2

Angoulême et Cognac : deux zones d’emploi industriel aux performances opposées

Les différences sectorielles observées s’accompagnent de différences géographiques fortes. En effet, le Territoire d’industrie Angoulême-Cognac est à cheval sur deux zones d’emploi : Angoulême et Cognac. La zone d’emploi d’Angoulême compte trois fois plus d’emplois que celle de Cognac. Sur le plan industriel, ce rapport entre les deux zones d’emploi diminue. Angoulême compte, en 2016, deux fois plus d’emplois industriels que Cognac. Les deux zones d’emploi ont des dynamiques industrielles totalement opposées : Angoulême perd des emplois industriels depuis 2007 – et même depuis au moins le début des années 19902 – tandis que Cognac connaît une croissance industrielle depuis cette même année.

Figure 2.1 – Concentration de l’emploi sur le Territoire d’industrie Angoulême-Cognac

Source : Observatoire des territoires, ANCT, 2021

Angoulême : une baisse de l’emploi industriel matérialisée par des effets locaux négatifs

La zone d’emploi compte 106 502 emplois en 2016 (source RP Insee) soit une diminution de 2,3 % par rapport à 2007. Selon la même source de données, l’industrie a perdu 21,3 % de ses effectifs sur la période (−15,3 % au niveau national) pour atteindre 16 393 emplois en 2016. La diminution des emplois dans l’industrie a pour effet une diminution de la spécificité sur le territoire qui se maintient à un niveau bas : en 2016, l’industrie pèse 1,26 fois plus dans l’économie de la zone d’emploi qu’en moyenne en France. La diminution des emplois industriels observée sur le territoire est principalement le résultat d’effets sectoriels et donc commune à tous les territoires. Toutefois, elle est accentuée par des effets territoriaux négatifs sur cette période 2007-2016 laissant augurer un contexte local défavorable à l’industrie. Sur une période plus récente, la dynamique se poursuit. Selon les données Acoss sur l’emploi salarié privé, l’industrie a connu une décroissance de 1,9 % sur le territoire entre 2016 et 2018 (+0,45 % au niveau national), contrairement à l’ensemble de l’emploi salarié privé d’ailleurs (+1,5 %). Paradoxalement, la spécificité industrielle du territoire sous l’angle de l’emploi salarié privé a légèrement crû entre 2007 et 2016 puis est restée stable en 2018 (1,4 en 2007, 1,5 en 2016 et 1,5 en 2018) car le nombre total d’emplois salariés privés a diminué de façon plus prononcée que le nombre d’emplois salariés privés industriels. Les raisons de cette décroissance locale de l’emploi industriel depuis 2016 sont des effets industriels et territoriaux négatifs que ne compensent pas les effets macroéconomiques positifs.

Bien entendu, la crise du Covid-19 va avoir un impact sur la dynamique économique et industrielle du territoire, notamment par les effets macroéconomiques négatifs qui la caractérisent. Cependant, le territoire figure parmi ceux pour qui l’impact du Covid-19 est inférieur à la moyenne nationale (Bouba-Olga, 2020), sur le premier semestre 2020.

Cognac : une croissance industrielle portée par des effets locaux historiques positifs

La zone d’emploi compte 34 459 emplois en 2016 (source RP), soit une diminution de 0,3 % par rapport à 2007. Selon la même source de données, l’industrie a gagné 0,4 % de ses effectifs sur la période (−15,3 % au niveau national) pour atteindre 8 048 emplois en 2016. La croissance des emplois dans l’industrie a permis un accroissement de la spécificité : en 2016, l’industrie pèse 1,9 fois plus dans l’économie de la zone d’emploi qu’en moyenne en France. La quasi-totalité de la croissance des emplois industriels observée sur le territoire est le fruit d’effets territoriaux très positifs dans un contexte sectoriel très dégradé. Sur une période plus récente, la dynamique s’est poursuivie. Contrairement à la zone d’emploi d’Angoulême, Cognac a vu une poursuite de la croissance de l’emploi industriel. Selon les données Acoss sur l’emploi salarié privé, l’industrie a connu une croissance de 1,6 % sur le territoire entre 2016 et 2018 (+0,45 % au niveau national), inférieure toutefois à l’ensemble de l’emploi salarié privé (+3,3 %). La spécificité industrielle du territoire sous l’angle de l’emploi salarié privé n’a cessé de croître entre 2007 et 2018 (1,96 en 2007, 2,17 en 2016 et 2,19 en 2018). Les raisons de cette croissance locale de l’emploi industriel depuis 2016 sont des effets macroéconomiques et territoriaux positifs qui compensent des effets sectoriels négatifs.

Comme pour Angoulême, la crise du Covid-19 semble avoir eu moins d’impact sur Cognac qu’en moyenne en France (Bouba-Olga, 2020) : la perte d’activité sur le premier semestre 2020 est estimée à 18 % au 27 mai.

Une dualité qui se manifeste également sur le marché local du travail

Premier indicateur de référence pour évaluer la dynamique du marché local du travail, le taux de chômage est le rapport (en %) entre le nombre d’actifs inoccupés (chômeurs) et la population active totale, les deux étant estimés au lieu de résidence. Nous proposons une comparaison de l’évolution du taux de chômage à trois échelles territoriales : la zone d’emploi de Cognac, la zone d’emploi d’Angoulême et la région Nouvelle-Aquitaine (figure 2.2). Les données mobilisées sont issues des estimations localisées de l’Insee.

Figure 2.2 – Évolution du taux de chômage (en %) dans les zones d’emplois de Cognac et d’Angoulême entre 2007 et 2020

Source : Insee, estimations de taux de chômage localisés, calculs des auteurs

L’évolution du taux de chômage depuis 2007 aux différentes échelles géographiques met en évidence le poids du contexte macroéconomique. En effet, aux différentes échelles géographiques, nous observons les mêmes variations conjoncturelles : croissance du chômage liée à la crise économique de 2008 puis diminution du chômage en 2015 liée à la reprise économique globale. Toutefois, il semble exister de façon continue et historique des différences liées aux territoires. Ainsi, la zone d’emploi de Cognac a un taux de chômage inférieur à celle d’Angoulême sur le temps long. Lorsque la conjoncture est favorable, l’écart entre le taux de chômage de ces deux territoires se resserre. Lorsqu’elle est défavorable, l’écart s’accroît. Juste avant la crise générée par le Covid-19, le taux de chômage était de 7,4 % sur la zone d’emploi d’Angoulême, de 6,3 % sur la zone d’emploi de Cognac et de 6,8 % en Nouvelle-Aquitaine. Ces résultats mettent en évidence que le potentiel de main-d’œuvre disponible, notamment pour l’industrie, est plus fort sur la zone d’emploi d’Angoulême que sur celle de Cognac. Dans les deux cas, le taux de chômage de ces deux territoires reste relativement moyen, voire bas, comparativement aux autres zones d’emploi françaises (rang 186/302 pour Angoulême, rang 91/302 pour Cognac).

Outre le taux de chômage, un autre indicateur peut être mobilisé pour analyser la dynamique du marché local du travail : les projets et les difficultés de recrutement des entreprises sur un territoire qui rendent compte d’éventuelles tensions. Chaque année Pôle emploi réalise avec l’ensemble des directions régionales et le concours du Crédoc une enquête sur les Besoins en Main-d’œuvre (BMO) des entreprises françaises. Cette enquête mesure les intentions de recrutement des employeurs pour l’année à venir, qu’il s’agisse de créations de postes ou de remplacements, y compris à temps partiel et saisonnier. L’utilisation des données issues de cette enquête (voir tableau en annexe II) permet d’identifier les besoins et les problématiques de recrutement sur les territoires, de manière absolue et relative par rapport à des territoires de référence plus étendus.

La comparaison des projets de recrutements à l’échelle du Territoire d’industrie et à celle de la France met ainsi en évidence plusieurs résultats fondamentaux.

• La structure des projets de recrutement par famille de métiers est significativement3 différente entre le territoire Angoulême-Cognac et le reste de la France. Sont surreprésentés sur le territoire d’étude, les projets de recrutement dans les secteurs autres métiers (essentiellement agricultures, sylviculture, pêche) et ouvriers des secteurs de l’industrie. Ces surreprésentations sont en accord avec les caractéristiques sectorielles du territoire.

• La part des projets de recrutement difficiles n’est pas significativement différente sur le bassin Angoulême-Cognac de ce qu’elle est au niveau national. Cependant, il existe des disparités importantes d’une famille de métiers à l’autre selon l’échelle territoriale retenue. Nous notons, en particulier, que les difficultés de recrutements d’ouvriers des secteurs de l’industrie sont significativement moins élevées sur Angoulême-Cognac (46 %) que pour la France entière (59 %). Un résultat similaire s’observe concernant les projets de recrutements sur des fonctions d’encadrement : 32 % sont jugés difficiles sur le territoire d’étude contre 41 % au niveau national. Il faut noter toutefois que 60 % des projets de recrutements de cadres/ingénieurs de l’industrie sont jugés difficiles sur le territoire.

• La part des projets de recrutement saisonniers est significativement plus élevée sur Angoulême-Cognac (43 %) que dans la France entière (34 %). La forte présence de métiers agricoles saisonniers sur le territoire (viticulture) et des métiers de l’image en est la raison principale.

  • 2 – Le tissu économique du Grand Angoulême est caractérisé par une croissance plus faible de ses emplois privés par rapport à celle observée au niveau national entre 1993 et 2010. L’écart entre les deux est de −15,66 points. Cet écart peut s’expliquer à hauteur de −8,99 points par des effets structurels et pour −6,66 points par des effets résiduels. En 1993, le tissu économique du Grand Angoulême est fortement positionné sur des secteurs qui vont connaître un déclin de leurs effectifs au niveau national. Ces secteurs sont la fabrication d’équipements électriques (15 % des emplois locaux en 1993, −27 % de taux de croissance des effectifs nationaux) et l’industrie du papier et du carton (8 % des emplois locaux et un taux de croissance national de −32 %). Cette situation entraîne un écart structurel négatif. En matière d’effets locaux, les résultats sont plus mitigés car parfois difficiles à être interprétés du fait d’effets statistiques (changement de secteur pour certaines unités venant perturber les taux de croissance locaux) (Guimond et Chauchefoin, 2011).
  • 3 – Un test du khi-deux indique que les variables «famille métiers» et «territoire» (Angoulême-Cognac d’une part et reste de la France d’autre part) ne sont pas indépendantes.

 

PARTIE II – Cognac : un produit, une histoire, un esprit

L’industrie du cognac bénéficie d’un dynamisme qui trouve ses origines dans de nombreux facteurs plus ou moins liés les uns aux autres. Comprendre l’effet local positif perçu notamment sur le Cognaçais requiert de s’intéresser à un ensemble de caractéristiques allant de l’histoire jusqu’à l’analyse de l’organisation et des interactions entre les différents acteurs du territoire.

Chapitre 3

Un produit et des acteurs qui brillent à l’export

Si le cognac est un produit d’appellation d’origine à l’accent charentais très marqué, le travail marketing mené par les maisons de négoce (ou désignées maisons de Cognac) a permis d’en faire un emblème du savoir-faire français à travers le monde.

Le cognac : moteur des exportations françaises de spiritueux

Sur le marché mondial des spiritueux4, dominé par le whisky, la vodka et le rhum, le cognac reste un petit acteur avec seulement 3 % environ de parts de marché. Le cognac est néanmoins un moteur pour les ventes de spiritueux français. En 2019, il s’est vendu 216,5 millions de bouteilles de cognac à travers le monde, ce qui représente une hausse de 6 % quand l’ensemble des volumes de ventes de spiritueux français a stagné (+0,1 %). En valeur ensuite, les ventes de spiritueux ont progressé de 8,8 % en 2019 à 4,8 milliards d’euros dont 3,6 milliards générés par le seul cognac (+11,1 %).

Au global, les exportations françaises de vins et spiritueux ont atteint en 2019 un montant de 14 milliards d’euros, marquant une hausse de 6 % par rapport à 2018. Le secteur des vins et spiritueux constitue un acteur clé pour la balance commerciale française. Avec 12,7 milliards d’euros d’excédent commercial, il se classe deuxième derrière l’aéronautique et devant le luxe et les cosmétiques.

Le cognac s’impose comme un acteur majeur de la filière en ce qui concerne les exportations avec plus de 98 % de son chiffre d’affaires réalisés à l’export (sur les 3,6 milliards d’euros). À titre de comparaison, les exportations de vins et de champagne représentent respectivement un chiffre d’affaires de 9 et 3 milliards d’euros en 2019. Il faut en outre noter que le montant de 3,6 milliards d’euros correspond uniquement à celui réalisé par les maisons de Cognac. Une part importante de la valeur créée par le cognac l’est aussi par les filiales de distribution. Les maisons de Cognac vendent aux filiales de distribution internalisées au sein des groupes qui génèrent à leur tour de la valeur en réalisant des marges importantes. Le chiffre d’affaires global est estimé à 12 milliards d’euros selon le Bureau National Interprofessionnel du Cognac (BNIC, voir chapitre 4).

En termes de qualité, 53 % des cognacs vendus dans le monde sont des cognacs VS (2 ans d’âge), 37 % des cognacs VSOP (4 ans d’âge) et 10 % des cognacs XO (10 ans d’âge) et de qualité supérieure.

Les marques de cognac sont présentes dans plus de 160 pays à travers le monde mais le principal marché du cognac est les États-Unis avec près de 100 millions de bouteilles vendues. Viennent ensuite la Chine (20 millions de bouteilles vendues) et Singapour (18 millions de bouteilles vendues). Sur le marché européen, les principaux clients sont le Royaume-Uni (8 millions de bouteilles vendues), la France, la Lettonie et l’Allemagne. Bien que le marché français ne représente que 2 % des volumes vendus, la France reste le cinquième pays consommateur de cognac.

Entre 2018 et 2019, les ventes de cognac continuent de s’accroître sur son principal marché, les États-Unis. Des hausses de 16,5 % des volumes et de 24 % en valeur ont été observées à l’échelle de l’ALENA (États-Unis, Canada, Mexique). Les volumes vendus en Asie sont en légère baisse mais ont généré une valeur supérieure (baisse de 0,9 % des volumes et hausse de 3,3 % en valeur). Enfin, le marché européen est en légère baisse : −4,1 % des volumes et −1,5 % de la valeur générée.

Figure 3.1 – Expéditions de Cognac dans ses principaux marchés en 2019

Source : BNIC, 2020

Les données record » enregistrées pour l’année 2019 s’inscrivent dans une tendance à la hausse des ventes de cognac dans le monde depuis la reprise au milieu des années 2000 (malgré une baisse de courte durée suite à la crise de 2008). Mais la crise du Covid-19 pourrait mettre un coup de frein à cette croissance. La fermeture des frontières liée au Covid-19 a nécessairement eu un impact sur les ventes de cognac dans le monde. Ainsi, en septembre 2020, le BNIC faisait le constat d’une baisse de 17,1 % des volumes vendus dans le monde sur les 12 derniers mois (183,4 millions de bouteilles vendues sur les 12 derniers mois). Les plus fortes baisses concernent le marché asiatique (−33,2 % en volume) et le marché européen (−13,2 % en volume). Le marché nord-américain résiste un peu mieux avec une baisse de −8 % seulement (soit 97,8 millions de bouteilles vendues sur 12 mois). Les données sur la situation du marché américain sont, cependant, nuancées par des « achats de précaution » réalisés par crainte d’une hausse des droits de douane par l’administration Trump. Ce dernier avait, en effet, entamé une guerre commerciale avec l’Europe suite au conflit lié à l’interprétation des subventions reçues par Airbus et Boeing des deux côtés de l’Atlantique. Cela s’est traduit par une surtaxe de 25 % pour certains produits entrants sur le marché américain. La taxe a été appliquée aux vins français en octobre 2020 (ce qui a entraîné une baisse significative des ventes dans les mois suivants) mais pas au cognac5.

Des tendances de consommation favorables au cognac

Le cognac se positionne comme un produit haut de gamme (sur les segments de marché premium et super premium6) en valorisant une identité liée à son terroir et son histoire. Il bénéficie ainsi de la dynamique actuelle sur les marchés autour de la tendance « craft », un mouvement de consommation vers des produits artisanaux et authentiques (on parle de « craftérisation » pour désigner ce phénomène). Le cognac valorise son authenticité et son caractère artisanal grâce à des savoir-faire ancestraux et une production viticole locale de qualité (contrainte de fait par l’AOC Cognac). Sur ce segment, il dispose d’une avance certaine bien que d’autres produits et territoires commencent à s’inscrire sur cette tendance : le whisky écossais ou la tequila mexicaine.

L’autre grande tendance actuelle sur le marché des spiritueux est le développement de la consommation en cocktail qui offre une dynamique nouvelle au cognac sur certains marchés (même si le premier cocktail à base de cognac, le Mint Julep, aurait été créé en 1800 aux États-Unis selon le BNIC). Alors qu’il reste ancré à l’image d’un digestif de fin de repas en France (une mode de consommation déclinante, ce qui explique le déclin du cognac sur le marché national) le cognac est consommé en cocktail sur les grands marchés du spiritueux (États-Unis, Chine, Angleterre, etc.) et constitue un enjeu stratégique pour les maisons de Cognac. Le BNIC estime que 80 % du cognac est consommé en cocktail dans le monde.

Des maisons de négoce toutes orientées vers l’export

283 maisons de négoce sont comptabilisées en 2020 (BNIC, 2020) sur l’aire d’appellation de Cognac (voir figure 4.1). La très grande majorité est localisée au cœur ou dans l’environnement proche des villes de Cognac et de Jarnac. Malgré le nombre apparent de maisons de Cognac, le négoce est une activité fortement concentrée (Bouba-Olga, Guimond et Perrier, 2010). L’essentiel du marché au niveau mondial est détenu par quatre grandes maisons de négoce se partageant plus de 80 % du marché en volume et 90 % du marché en valeur.

Les « quatre grands »

La maison Hennessy est, de loin, le premier acteur du cognac dans le monde, avec un chiffre d’affaires de 1,6 milliard d’euros en 2018. Hennessy possède plus de 50 % de part de marché. Elle est l’une des plus anciennes maisons de Cognac, fondée en 1765 par l’officier militaire irlandais Richard Hennessy, engagé dans la brigade irlandaise du roi de France. Huit générations de la famille Hennessy se sont succédé à la tête de la maison Hennessy. En 1997, Henri de Pracomtal, dernier représentant de la famille dans la direction opérationnelle de l’entreprise, a quitté ses fonctions. Son départ a marqué la fin du rôle des familles dans Moët-Hennessy, le pôle vins et spiritueux du groupe LVMH. En effet, en 1971, la maison Hennessy se rapproche des champagnes Moët & Chandon pour fonder le groupe Moët Hennessy puis s’allie à Louis Vuitton en 1987, donnant naissance au groupe LVMH, aujourd’hui premier groupe de luxe mondial. La maison Hennessy a vendu plus de 8 millions de caisses en 2019, dont 99 % sont exportées. Elle est la première exportatrice du secteur des vins et spiritueux en France. Elle se présente comme la première marque de spiritueux premium au monde.

La maison Martell est le deuxième acteur du marché, avec un chiffre d’affaires de 623 millions d’euros en 2018. Elle a été fondée en 1715 par Jean Martell, un entrepreneur originaire des îles Jersey. Martell se présente comme la première maison à avoir exporté ses fûts aux États-Unis dès 1783 et a un positionnement sur les grands marchés mondiaux (les marchés asiatiques dès le milieu du XIXe siècle), une présence sur les grandes tables (couronnement du roi George V d’Angleterre en 1911) et dans les grands évènements du monde (voyage inaugural du Queen Mary de Southampton à New York en 1936). En 1987, Martell devient la propriété du groupe canadien Seagram, lui-même racheté par le groupe français Pernod-Ricard en 2001. Moins présent aux États-Unis que ses principaux concurrents, Martell est numéro un sur le marché chinois. L’entreprise a investi avant les autres sur ce marché et en récolte les fruits : « Martell a fait le choix de la Chine, a ouvert le marché chinois et a gardé une avance. Cela est un atout extraordinaire. Mais le marché chinois s’est avéré pour le moment moins rémunérateur et moins simple qu’être présent aux États-Unis ».

La maison Rémy Martin est le numéro trois du secteur avec un chiffre d’affaires de 278 millions d’euros en 2018. Elle a été fondée en 1724 par un viticulteur de la région qui commence à vendre du cognac sous son propre nom. L’entreprise se développe au XIXe siècle et s’internationalise au début du XXe siècle avec une présence en Russie, en Chine et aux États-Unis. L’entreprise est restée dans les mains des familles, d’abord celle de la famille Rémy Martin, puis à partir de l’entre-deux-guerres, celles d’André Renaud et ses descendants, la famille Hériard-Dubreuil. En 1991, Rémy Martin fusionne avec l’entreprise Cointreau pour former le groupe Rémy-Cointreau. La famille Hériard-Dubreuil est actionnaire majoritaire du groupe Rémy-Cointreau.

La maison Courvoisier est la quatrième maison de Cognac avec un chiffre d’affaires de 184 millions d’euros en 2018. Elle a été fondée en 1809 par Emmanuel Courvoisier, associé à Louis Gallois, négociant en vins et eaux-de-vie et maire de Bercy. Au cours du XIXe siècle, la réputation de Courvoisier s’accroît en France et en Europe du Nord. À la fin du XIXe siècle sous la direction des frères Curlier, puis au cours du XXe siècle sous la direction de la famille Simon, l’entreprise s’est développée fortement et s’est notamment positionnée comme leader sur le marché anglais. À partir de 1964, Courvoisier est passé dans les mains de plusieurs groupes anglo-saxons jusqu’au rachat en 2014 par le groupe familial japonais Suntory. Après une période difficile, Courvoisier bénéficie de la dynamique du marché américain et fait partie des marques attractives auprès de la clientèle afro-américaine.

Les grands groupes mondiaux des spiritueux

Le marché des spiritueux est dominé par trois grands groupes à l’échelle mondiale : l’anglais Diageo, le français Pernod-Ricard (qui possède Martell) et le caribéen Bacardi (qui possède la maison Otard). Viennent ensuite les américains Brown-Forman, Constellation Brands et Fortune-Brands, le japonais Suntory (qui possède Courvoisier), le sud-africain Distell. Ces grands groupes mondiaux cherchent à posséder l’ensemble des spiritueux existants sur le marché afin de disposer d’une offre complète et le cognac constitue un produit haut de gamme dans leur portefeuille de produits.

D’autres groupes, qui ne sont pas des concurrents directs et dont le portefeuille de produits est surtout centré sur les bières, constituent des grands acteurs de la filière « vins et spiritueux » à l’échelle mondiale : le groupe belge Anheuser-Busch InBev et le groupe néerlandais Heineken sont les deux leaders sur cette gamme de produits. En termes de chiffre d’affaires et de volume, il existe aussi plusieurs groupes asiatiques spécialisés sur des alcools principalement destinés aux marchés locaux en Asie : les groupes japonais Kirin Holdings et Asahi Breweries, le groupe chinois Kweichow Moutai. Plusieurs groupes français possèdent également une valorisation financière et une gamme importante : LVMH, dont la branche Moët-Hennessy constitue la branche spécialisée dans les vins et spiritueux (détenteur du cognac Hennessy), Rémy-Cointreau (dont le cognac Rémy Martin constitue l’activité principale), la Martiniquaise ou encore Marie Brizard Wine & Spirits.

Les maisons de taille intermédiaire

Deux maisons sont aujourd’hui considérées de taille intermédiaire : la maison Camus, qui se rapproche du top 4 grâce à sa stratégie sur le marché chinois, et le Château de Cognac (propriété de la maison Otard) qui a accompagné le développement du cognac du rappeur Jay-Z sous la marque d’Ussé.

La maison Camus est présentée comme le cinquième acteur du marché avec un chiffre d’affaires de 120 millions d’euros en 2018. Distancée par les quatre grands du secteur mais avec une certaine avance sur les autres « petites » maisons de négoce, elle est citée comme « la plus petite des grandes maisons » ou « la plus grande des petites maisons ». Créée en 1863 par Jean-Baptiste Camus, un viticulteur local associé à un consortium de vignerons locaux, la maison Camus est restée la propriété de la famille Camus depuis cinq générations. Très présente sur le marché chinois où elle possède sa propre filiale de distribution, l’entreprise y réalise 25 % de son chiffre d’affaires.

La maison Otard-Château de Cognac était jusqu’aux années récentes une petite maison de négoce. Sa forte croissance sur le marché américain ces dernières années la positionne comme un acteur émergent du secteur avec un chiffre d’affaires de 33 millions d’euros (2018). La maison Otard a été fondée en 1795 par Jean-Baptiste Antoine Otard qui a acheté la même année le Château de Cognac (le château natal de François Ier à Cognac.) pour y installer sa société. L’entreprise commercialise des cognacs sous les marques « Baron Otard » et « Château Royal de Cognac ». La maison Otard devient la propriété du groupe italien Martini & Rossi en 1991, puis par rachats successifs celle du groupe caribéen Bacardi (l’un des leaders mondiaux des spiritueux). En 2012, la maison Otard – Château de Cognac lance le cognac d’Ussé, présenté comme le cognac du rappeur américain Jay-Z. Grâce à la stratégie de Bacardi et la renommée de Jay-Z, le cognac d’Ussé a connu une ascension fulgurante jusqu’à devenir le quatrième acteur sur le marché américain (données Impact Databank 2020) et serait en passe de devenir le cinquième acteur sur le marché du cognac devant la maison Camus.

Les petites maisons

Les petites maisons sont nombreuses. Leurs caractéristiques (histoire, positionnement marketing et géographique) sont si multiples qu’il s’avère relativement difficile d’en tirer une liste exhaustive et une typologie précise. Les noms les plus couramment cités sont les maisons Louis Royer, Meukow, Thomas Hine, Augier, Frapin, Bache-Gabrielsen, Larsen, Bisquit, Léopold Gourmel, Delamain, Boinaud, etc. Par ailleurs, un grand nombre de petites maisons sont en réalité une émanation d’entreprises viticoles réalisant de la vente directe (Bouba-Olga, Guimond et Perrier, 2010). Les cognacs Frapin, par exemple, sont issus exclusivement de la propriété familiale et sont commercialisés dans plus de 75 pays (dont une part plus significative en France). Certaines maisons sont très anciennes : la maison Delamain fait, par exemple, partie des premières maisons de Cognac créé en 1759, tandis que d’autres sont relativement récentes : la maison Léopold Gourmel a été créée par un viticulteur charentais en 1972. Certaines maisons sont positionnées sur des niches en termes de qualité (par exemple, Thomas Hine ne commercialise que des qualités supérieures) ou géographiques (par exemple, Bache-Gabrielsen est présent essentiellement dans les pays scandinaves qui représentent 60 % de son chiffre d’affaires7).

Les PME et les maisons familiales sont dans des situations variables. Elles ne possèdent pas la même force commerciale que les grandes maisons du fait d’une insertion moins importante dans les grands réseaux de distribution et une capacité marketing moins importante : « Certaines ont une bonne dynamique qui suit celles de la filière. D’autres se cherchent un peu plus. Cela n’est pas lié à la taille de la maison de négoce ». Il y a des situations diverses en fonction des stratégies commerciales. Certains producteurs orientés vers des marchés en décroissance ont plus de difficultés. Dans la conjoncture actuelle et les difficultés liées à la crise du Covid-19, les maisons très exposées sur le duty free connaissent, par exemple, une année difficile du fait de la fermeture des aéroports. D’autres maisons positionnées sur des marchés de niche très haut de gamme continuent à se développer bien que les volumes commercialisés restent bien plus faibles que ceux des grandes maisons. Certaines maisons se sont diversifiées et proposent, par ailleurs, des spiritueux autres que le cognac.

L’ancrage des maisons de cognac sur le marché afro-américain

Le succès du cognac sur les marchés mondiaux est lié ces dernières années à la croissance très forte du marché américain, dont le principal bénéficiaire est la maison Hennessy (61 % de parts du marché nord-américain). Or, sur ce marché caractérisé par sa segmentation ethnique, le cognac s’est imposé auprès de la communauté afro-américaine comme un produit identitaire. Il s’est en effet présenté en alternative au whisky du fait de certaines similarités (degré d’alcool, goût, couleur) et de son absence de consonance raciale (le whisky est considéré comme la boisson des blancs et porte la connotation du travail des esclaves noirs dans les champs). La population afro-américaine s’est appropriée l’eau-de-vie charentaise avec l’envie de se démarquer de la « suprématie blanche » consommatrice de whisky. Par voie d’extension, le cognac se présente aujourd’hui aux États-Unis comme le produit des minorités.

Ce positionnement n’est pas lié au hasard mais est le fait de stratégies commerciales travaillées de manière minutieuse depuis plusieurs décennies par les grandes maisons de Cognac. Celles-ci se sont fortement ancrées dans la vie quotidienne de la communauté afro-américaine en sponsorisant de nombreuses associations, d’abord sur les droits civiques, puis sur des activités culturelles, sportives ou éducatives. Cette stratégie auprès de la communauté afro-américaine a perduré et s’est renforcée depuis le début des années 2000 avec des partenariats dans le monde du hip-hop et les grands noms du rap. Hennessy et les autres maisons de cognac mènent un travail de fond en sponsorisant des soirées et en fournissant en bonnes bouteilles les fêtes des stars du rap. Cette stratégie est fructueuse et s’amplifie encore aujourd’hui avec des partenariats dans le sport de haut niveau. Hennessy est devenu sponsor officiel, partenaire « spiritueux » exclusif, de la NBA, la ligue de basket américaine. En réponse, le cognac d’Ussé de la maison Otard s’est associé à l’image d’un joueur des Lakers de Los Angeles, Danny Green. Dans un autre domaine, la maison Hennessy a fait appel en 2019 au réalisateur américain Ridley Scott pour la réalisation d’un spot commercial (un court-métrage « The Seven Worlds » de 4 minutes) valorisant la marque Hennessy et son cognac XO. Une version courte de 60 secondes avait été, de plus, diffusée lors de la 91e édition des Oscars en 2019. Les outils marketing mobilisés et les enceintes de diffusion (NBA, Oscar) témoignent de la « force de frappe » des grands groupes de cognac et de l’image véhiculée du cognac aux États-Unis (une image, par ailleurs, très éloignée de celle véhiculée en France).

Au-delà du marché américain, les grandes maisons de Cognac, grâce à la force commerciale des grands groupes, cherchent à développer leurs ventes partout où les communautés afro-américaines ou afro-caribéennes existent et regardent ce qui se passe aux États-Unis. Une attention plus récente est enfin portée à la communauté latino-américaine aux États-Unis en s’appuyant sur les mêmes leviers de développement que ceux qui ont fonctionné pour la communauté afro-américaine. L’approche est un peu similaire mais nettement moins marquée pour le moment.

Figure 3.2 ‒ Top 5 des marques de cognac aux États-Unis, 2018-2019

Source : Impact Databank 2020

Le positionnement du cognac sur le marché américain n’est néanmoins pas sans risques, soulignent certains acteurs. D’abord, parce que son positionnement de produit identitaire constitue un facteur de risque en cas de retournement du marché ou d’un désintérêt non-anticipé de la communauté afro-américaine pour le cognac. Ensuite parce que les plus gros volumes sont réalisés avec du cognac VS (le moins qualitatif). Enfin, parce que Hennessy représente plus de 60 % de ce marché et près de 50 % du marché mondial. Pour autant, le poids de Hennessy n’est le plus souvent pas perçu comme un problème pour la filière qui lui voue une certaine reconnaissance du fait qu’il a été l’un des seuls à tirer la filière vers le haut au début des années 2000, tandis que les ventes étaient à la baisse pour tous depuis la crise du Japon. Le succès de Hennessy a eu un double effet d’entraînement : un effet positif sur les autres maisons de Cognac qui ont bénéficié de la dynamique du marché américain ; un effet positif pour l’ensemble des acteurs de la filière qui ont indirectement bénéficié de la hausse des ventes de cognac.

« Pass the Courvoisier »

Les marques de cognac sont citées à de très nombreuses reprises par les rappeurs américains qui leur dédient même des morceaux entiers. Les grands noms du rap américain mettent en scène les bouteilles de cognac dans leurs clips vidéo valorisant ainsi non seulement le nom mais aussi l’image du produit. La chanson la plus souvent citée est celle du rappeur Busta Rhymes qui en 2001 chante « Pass the Courvoisier » dont les paroles font référence aux grands noms du cognac : « Give Me The Henny, You Can Give Me The Cris/ You Can Pass Me The Remi, But Pass The Courvoisier » dont la traduction peut être : « Donne-moi le Henny (Hennessy), tu peux me donner le Cris (champagne Cristal de Roederer, NDLR), tu peux me passer le Remi (Rémy Martin), mais passe-moi le Courvoisier ». Le titre, valorisé par un clip qui met en avant une bouteille de Courvoisier, aurait fait grimper les ventes de Courvoisier de 30 %. Depuis, les rappeurs américains multiplient les références aux marques de cognac dans leur chanson offrant une visibilité aux maisons de Cognac sans précédent. Hennessy, et ses différents surnoms affectueux « Henny », « Hen » ou encore « Henn-dog », seraient le plus souvent cités par les rappeurs américains ; Drake dans son tube « One Dance » : « That’s why I need a one dance, got a Hennesy in my hand » ou encore Kanye West : « Cry, who needs sorry when there’s Hennesy?

La force de frappe de grands groupes internationaux

La présence de grands groupes mondiaux des spiritueux sur le marché du cognac confère une force particulière aux maisons de Cognac qui sont dans leur giron et profite à l’ensemble du Cognaçais. Comme on l’a vu précédemment, les grandes maisons de Cognac, mais aussi de nombreuses petites, sont aujourd’hui adossées à un groupe de spiritueux : Hennessy au groupe français LVMH (numéro 1 mondial du luxe), Martell au groupe français Pernod-Ricard (numéro 2 mondial des spiritueux), Rémy Martin au groupe Rémy-Cointreau, Courvoisier au groupe japonais Suntory, Otard-Château de Cognac au groupe caribéen Bacardi (numéro 3 mondial des spiritueux). Le leader mondial des spiritueux, Diageo, ne possède pas de marque de cognac dans son portefeuille, ce qui constitue à première lecture une curiosité considérant la force commerciale du groupe. Néanmoins, Diageo est engagé sur le cognac grâce à un partenariat avec Moët-Hennessy, la branche vins et spiritueux du groupe LVMH. Les deux groupes forment une alliance pour gérer la distribution de leurs produits, via une filiale de distribution commune, Moët-Hennessy-Diageo, leurs gammes de produits étant complémentaires : LVMH dispose d’une gamme dont les produits phares sont le champagne et le cognac, tandis que Diageo possède une large gamme de spiritueux haut de gamme, leader ou parmi les leaders dans leur catégorie (le whisky écossais Johnnie Walker, la vodka Smirnoff, la bière Guinness, le rhum Captain Morgan, etc.).

Bien que l’attrait des petites maisons soit moins important pour les grands groupes mondiaux, elles sont nombreuses à avoir intégré un groupe français ou étranger : la maison Louis Royer a appartenu au groupe Suntory entre 1989 et 2015, date de la revente de l’entreprise au groupe français Terroirs Distillers (la décision de Suntory a été prise après l’acquisition du groupe Beam qui incluait Courvoisier dans son portefeuille) ; la maison Bisquit est la propriété du groupe italien Campari (elle était auparavant entre les mains du groupe sud-africain Distell), et encore avant dans celles de Pernod-Ricard. Les petites maisons indépendantes et familiales, comme la maison Bache-Gabrielsen, font désormais office d’exception dans le paysage cognaçais.

La présence de grands groupes d’envergure mondiale, leader sur leurs segments de marché, constitue une force pour le Cognaçais. Ces groupes possèdent des capacités financières très fortes et une présence sur les marchés mondiaux qui facilitent la distribution et la commercialisation du cognac dans le monde entier. Ils investissent en outre de manière considérable sur le Cognaçais. Pendant longtemps, leurs investissements visaient à développer des stratégies marketing pour conforter leurs marques de cognac sur les marchés internationaux. Aujourd’hui, ce travail est doublé d’un gros effort d’investissement au niveau de la production. Cela se traduit par des investissements de « plusieurs centaines de millions [d’euros, NDLR] »8 sur le territoire. Les grandes maisons ont conscience qu’il y a un gros enjeu d’augmentation de la production de raisins et de vins par l’extension du vignoble mais aussi par l’augmentation de la productivité à l’hectare, « tout en conservant un caractère durable ». Il y a de plus une dimension logistique essentielle car « produire nécessite d’avoir des chais, des distilleries, des transports efficients ». Il y a une volonté de la filière de continuer à investir, avec des budgets déjà mobilisés. Cela « touche un sujet de risque pour la filière : la problématique du manque d’espace du fait de l’évolution de la réglementation foncière ».

De plus, l’appartenance aux grands groupes mondiaux, disposant d’une capacité financière et humaine très forte, constitue un atout pour permettre aux maisons de Cognac d’intégrer les réseaux de distribution dans chaque pays. Les grands groupes sont en effet présents sur tous les marchés via des filiales de distribution. Ils ne vont pas jusqu’au consommateur final (via les supermarchés et les détaillants) mais vont jusqu’à l’avant-dernier niveau dans la distribution. Le cas du marché américain est significatif de l’importance de la capacité de pénétration des marchés et de la force des groupes. C’est un marché complexe avec trois niveaux de distribution bien distincts (appelé « système des 3 tiers ») : importateur/distributeur/détaillant. Il faut d’abord importer le produit via une société d’importation qui ne peut pas distribuer elle-même le produit mais doit le vendre à un réseau de distribution intérieur au pays qui va à son tour vendre les produits aux détaillants. Les maisons de négoce doivent être capables d’investir dans plusieurs réseaux de distribution pour atteindre le consommateur final. L’appartenance des maisons de Cognac à des groupes d’envergure mondiale leur confère une capacité d’entrée sur ces réseaux de distribution. Ainsi, si Hennessy venait à perdre le marché américain, il serait difficile pour une autre maison de Cognac de le remplacer du fait de la complexité des réseaux de distribution. Les petites maisons, qu’elles soient des PME indépendantes ou qu’elles appartiennent à des groupes, ont plus de mal à rentrer sur le marché américain car il est difficile de rentrer dans les réseaux de distribution du fait du coût élevé que cela représente.

Les groupes possèdent, de plus, une force de conviction significative du fait de leur poids sur les marchés mondiaux et de l’offre mise à disposition dans leurs réseaux de distribution. Grâce à la richesse de leur portefeuille, ils sont en mesure de proposer aux distributeurs une offre de produits très large incluant du cognac mais aussi tout une gamme de spiritueux et de vins (whisky, champagne, etc.).

L’appartenance des maisons de Cognac aux grands groupes mondiaux du luxe et des spiritueux n’est cependant pas sans poser question sur la stratégie de long terme de la filière. Jusque dans les années 1980-1990, ces maisons étaient dans les mains des familles, le plus souvent les héritiers, même lointains, des fondateurs ou de leurs proches qui ont fait perdurer la gestion familiale des entreprises du Cognaçais. L’absence d’héritiers intéressés à reprendre l’entreprise familiale, les difficultés liées aux crises ou encore les besoins de financement nouveaux ont amené un basculement d’une gouvernance familiale des maisons de Cognac à une gouvernance actionnariale. Les décideurs sont désormais des salariés des grandes maisons « qui n’ont pas les mêmes intérêts » que les dirigeants familiaux et les postes stratégiques (finance, marketing, commerce) ne sont plus nécessairement localisés à Cognac où il ne reste que la partie amont liée à la production et au packaging.

Cela se manifeste également dans la stratégie des maisons de Cognac. Le cognac est un produit qui se construit sur le temps long et n’est pas compatible avec des exigences financières de court terme. Ce constat se doit cependant d’être relativisé face au constat des investissements de long terme consentis par les grands groupes sur le Cognaçais et le statut exact de ces groupes qui obligent à ne pas voir une corrélation entre « appartenance à un groupe » et « logique actionnariale de court terme ». Les grands groupes mondiaux qui possèdent les grandes maisons de Cognac sont sous le contrôle de familles : le groupe LVMH par Bernard Arnault, le groupe Pernod-Ricard est dirigé par Alexandre Ricard, Rémi Cointreau appartient majoritairement à la famille française Hériard-Dubreuil, qui n’est autre que l’héritière de Rémy Martin. L’objectif financier de court terme a surtout pénalisé la maison Courvoisier depuis sa reprise dans les années 1980 par des groupes anglo-saxons capitalistiques. L’acquisition de Courvoisier par le groupe japonais Suntory est supposée mettre fin à cette logique de court terme, le groupe étant présenté comme un groupe familial avec une gouvernance de long terme (les dirigeants sont les héritiers du fondateur de l’entreprise Suntory créée à la fin du XIXe siècle).

Enfin, l’appartenance des maisons de Cognac à de grands groupes internationaux a permis d’attirer sur le territoire des cadres venant d’autres milieux économiques et d’autres territoires en France. Cela constitue un point fort pour certains qui y voient une attractivité du territoire avec la possibilité d’apporter une dynamique nouvelle. Cela constitue aussi, pour d’autres, un facteur de risque avec des dirigeants et des cadres moins attachés à la vie locale et dont la maison de Cognac constitue, parfois, une étape dans leur carrière.

  • 4 – La catégorie des spiritueux regroupe les boissons alcoolisées dont le degré d’alcool est d’au moins 15 % et qui ont été obtenues par le processus de distillation.
  • 5 – En janvier 2021, D. Trump a annoncé la mise en place d’une surtaxe sur le cognac. En pratique, seuls les cognacs d’une valeur supérieure à 22,80 dollars la bouteille de 75 cl (prix de cession aux filiales de distribution lors des opérations de dédouanement) étaient assujettis à la taxe de 25 %, ce qui n’impactait pas les cognacs VS et VSOP, les plus jeunes et les plus vendus aux États-Unis. En mars 2021, l’administration Biden, récemment élue, annonce une suspension des « taxes Trump » pour quatre mois laissant envisager un apaisement des tensions entre les deux continents.
  • 6 – Cette catégorisation est fournie par l’ISWR, la revue américaine de référence spécialisée des boissons alcoolisées, qui identifie en tout 7 segments de produits (valeurs 2019) : Prestige Plus (200 $ et plus), Prestige (100 $ ‒ 200 $), Ultra Premium (45 $ ‒ 100 $), Super premium (30 $ ‒ 45 $), Premium (22,50 $ ‒ 30 $), Standard (10 $ ‒ 22,50 $) et Value (moins de 10 $).
  • 7 – La maison Bache-Gabrielsen réalise un chiffre d’affaires situé entre 10 et 15 millions d’euros.
  • 8 – Cela est, par exemple, le cas d’Hennessy qui a annoncé un plan d’investissement d’un milliard d’euros en Charente en 2018 (Ménard, Sud-Ouest, 26 novembre 2018). Cela inclut des travaux dans une usine d’embouteillage, la construction de chais, de barriques et un réaménagement du siège d’Hennessy.
Chapitre 4

De la naissance d’un produit à celle d’un réseau

Né au XVIe siècle, le cognac est un produit devenu « iconique » grâce à la manière dont les acteurs qui sont à l’origine de sa production et de sa commercialisation ont choisi de s’organiser pour traverser les grandes crises, notamment économiques.

Une filière au dynamisme enraciné dans son histoire

Si l’attrait des grands groupes de spiritueux et du luxe pour le cognac explique en partie le dynamisme actuel de la filière, c’est néanmoins son histoire qui lui a permis de multiplier ses forces et ses atouts. Les caractéristiques de l’économie locale depuis l’Antiquité sont encore celles qui font sa force aujourd’hui : un terroir riche, des activités économiques tournées vers l’international, le sens du commerce, la force des maisons de négoces, un état d’esprit d’entrepreneur, une capacité de résilience et de rebond, etc.

La Charente, au cœur du développement économique du territoire

Le Val de Charente possède une longue tradition de production et de commercialisation du sel. Ce produit constituait pendant plusieurs siècles une denrée stratégique servant à conserver les aliments. La Charente permettait le transport du sel des marais salants le long des côtes à destination des terres intérieures. Ce commerce a permis la constitution des premiers foyers urbains le long de la Charente en raison des haltes nécessaires aux embarcations et du paiement de taxes commerciales (Bouba-Olga, Guimond et Perrier, 2010). À partir du milieu du Xe siècle, les hommes se fixent sur le site même de la ville de Cognac et créent le port saunier qui va prospérer durant cinq siècles. Le stockage et le commerce du sel deviennent les activités principales de la ville. Ces activités constituent une première étape dans l’affirmation de Cognac comme cité marchande. Le bassin de la Charente acquiert dès cette époque une mentalité propice aux échanges commerciaux.

Au Moyen-Âge, le commerce du sel attire également dans la région des commerçants étrangers. Les vins locaux (la production de vin dans la région est attestée depuis l’Antiquité ; Bouba-Olga, Guimond et Perrier, 2010) sont réputés être appréciés des commerçants qui les consomment et débutent alors leur transport. À partir du XIIe siècle, le développement du commerce du sel entre la Saintonge (ancienne province en Aquitaine) et l’Europe du Nord favorise ainsi le commerce des vins vers les mêmes zones, le commerce « mondial » étant à l’époque dominé par les navires hollandais. À l’époque de la Renaissance, du XIVe au XVIe siècle, le commerce connaît un essor important. Les Hollandais, commerçants très actifs, appelés par Henri IV pour apporter leur aide à l’aménagement du marais poitevin, sont amateurs des produits de la région : le sel, le papier d’Angoulême et les vins du Cognaçais. Les produits régionaux font face à une forte demande et la hausse des ventes de vins entraîne une expansion du vignoble. À cette époque, Cognac devient une ville prospère où la classe des marchands est très active.

La naissance d’un produit mondial et la mise au point des savoir-faire de production

C’est au XVIe siècle que naît le cognac. Il découle d’une stratégie des Hollandais pour répondre au problème de conservation des vins de la région qui présentent la caractéristique d’être peu alcoolisés. Les Hollandais décident en effet de distiller les vins locaux à leur arrivée en Hollande pour améliorer leur conservation. Il s’agit de chauffer le vin pour en extraire les composés volatils les plus parfumés et les plus aromatiques. L’eau-de-vie ainsi créée, appelée « Brandwijn » (vin brûlé) par les Hollandais, rencontre un succès important dans les tavernes des villes portuaires du nord de l’Europe. Par la suite, les Hollandais jugent plus intéressant de faire distiller le vin sur le lieu de production, ce qui contribue à diminuer les volumes à transporter. Ils installent donc les premières distilleries dans la région. Ils imposent que les alambics, utilisés pour la distillation, soient fabriqués avec le cuivre d’Amsterdam. Les producteurs charentais s’emparent de cette technologie nouvelle et l’améliorent. Jusqu’au XVIIe siècle, la distillation ne consistait qu’en une seule chauffe qui permettait d’obtenir le « brouillis », un liquide agrémenté de plantes aromatiques pour sa consommation. Puis, au début du XVIIe siècle, les producteurs charentais mettent au point le procédé de la double distillation, également appelée « distillation charentaise », qui permet au produit de voyager sous forme d’eau-de-vie inaltérable, et apparaît bien plus concentrée que le brandwijn.

Un autre procédé clé du processus de production est également mis au point à cette époque : le vieillissement en fût de chêne. L’histoire raconte qu’à cause de retards dans les chargements des bateaux, il fut découvert que l’eau-de-vie se bonifiait en vieillissant en fûts de chêne (bois qui provenait de la forêt du Limousin) et qu’elle pouvait ainsi se consommer pure (les Hollandais avaient pris avant cela l’habitude de la couper avec de l’eau). Les savoir-faire de la distillation et du vieillissement ont traversé les époques. Si des améliorations ont été apportées grâce aux innovations techniques et technologiques, le processus de production reste le même depuis cette époque. Le cognac est jugé comme l’un des spiritueux les plus complexes et les plus longs à produire dans le monde.

Le cognac possède dès son origine des caractéristiques très spécifiques qui ont traversé les siècles et sont toujours les mêmes aujourd’hui.

• Le cognac est un produit créé pour le commerce mondial et destiné aux marchés internationaux. Son origine même témoigne d’une capacité d’adaptation aux différents marchés. Ceci est encore présent aujourd’hui avec des différences de goût par exemple selon les marchés.

• Le cognac est un produit né de la volonté des commerçants étrangers, et non des producteurs. La production n’a pas d’autonomie. Les viticulteurs en charge de la production sont des fournisseurs pour des négociants.

• Le cognac est un produit qui nécessite une ouverture d’esprit considérable pour des idées venues de l’extérieur du territoire. Il a inscrit dans l’ADN du territoire l’idée qu’il faut être ouvert sur l’extérieur et s’adapter au marché.

• Le cognac a permis l’ancrage de savoir-faire en matière de distillation et de vieillissement des eaux-de-vie. Ceux-ci sont complétés par des savoir-faire en matière de culture de la vigne et de vinification en amont, d’assemblage et de commercialisation en aval.

La consolidation des marchés et la structuration des relations commerciales par les maisons de négoce

Aux XVIIe et XVIIIe siècles, les eaux-de-vie de Cognac commencent à acquérir une très grande réputation qui engendre une augmentation des quantités produites, une spécialisation agricole croissante de la région et une organisation plus structurée du commerce. La première maison de négoce voit le jour en 1643 : la maison Augier, fondée par Philippe Augier, un héritier d’une famille de notaires et juristes de Châteauneuf-sur-Charente qui épousa Elizabeth Janssen en 1650, fille de négociants et commerçants flamands.

Des comptoirs de négoce sont créés dans les principales villes de la région (Cognac et Jarnac seront les deux centres pour le commerce du fait de leur positionnement le long de la Charente). Des négociants collectent les eaux-de-vie dans les campagnes environnantes pour les expédier vers les pays du nord de l’Europe. Les premières maisons de Cognac sont créées. Elles sont le fait de commerçants et négociants étrangers, de viticulteurs locaux ou encore de Français émigrés puis revenus faire affaire dans le Cognaçais (principalement des protestants émigrés dans les pays réformés). Ces négociants sont pour la plupart anglo-saxons ou entretiennent des liens familiaux ou professionnels avec les pays anglo-saxons. À cette époque, les Anglais ont supplanté les Hollandais dans le commerce des eaux-de-vie. Cette transition s’inscrit dans le contexte d’une perte d’influence globale de la marine hollandaise dans le commerce international au profit de la marine anglaise et du développement du marché anglais pour le cognac (Bouba-Olga, Guimond et Perrier, 2010). Sous l’impulsion de leurs dirigeants, les maisons de négoce établissent des relations commerciales régulières avec l’Europe du Nord et de nouvelles se développent vers deux nouveaux marchés : l’Amérique et l’Extrême Orient.

Au XIXe siècle, de nombreuses maisons de commerce sont créées : la maison Courvoisier, la maison Camus, la maison Royer en 1853 par Louis Royer, un maitre de chai local, la maison Meukow en 1862 par Auguste-Christophe et Gustav Meukow, deux frères originaires de Silésie, envoyés en France par le Tsar Alexandre II afin d’approvisionner la Cour de Russie en eau-de-vie de Cognac, etc. Des Scandinaves se sont également installés à Cognac : la maison Bache-Gabrielsen fondée en 1905 par Thomas Bache-Gabrielsen, un jeune sous-lieutenant Norvégien issu d’une famille de distributeurs de vins et de spiritueux, ou la maison Larsen fondée en 1926 par Jens-Reidar Larsen, un jeune Norvégien qui s’installa à Cognac par mariage après avoir débarqué à Bordeaux en 1919.

Des crises structurantes

Le XXe siècle marque l’organisation de la filière, la réglementation de la production, l’encadrement de l’appellation « Cognac » et le développement vers de nouveaux marchés.

C’est la crise du phylloxéra (insecte qui attaque la vigne en suçant la sève de ses racines) à la fin du XIXe siècle qui oblige la filière cognac à s’organiser sur le territoire. Le phylloxéra détruit la majeure partie du vignoble charentais qui passe alors de 280 000 ha en 1877 à 42 000 hectares à la fin du siècle (85 % des vignes ont été arrachées). Un comité de la viticulture est créé en 1888 et suivi par une station viticole, destinée à soutenir la reconstruction du vignoble, en 1892. Ces créations marquent le début d’une forte coopération entre les familles de la viticulture et du négoce sur le Cognaçais. En 1921, une première ébauche d’organisation de la filière voit le jour pour faire face à une situation économique tendue (liée notamment à la prohibition aux États-Unis). En 1941, pour préserver les stocks, un Bureau national de répartition des vins et eaux-de-vie de Cognac est créé. Le Bureau National Interprofessionnel du Cognac (BNIC) est, enfin, créé en 1946. La station viticole lui est rattachée en 1948. L’interprofession est constituée d’une commission consultative dont les membres sont désignés parmi les professionnels de la filière. Le BNIC se voit confier trois missions principales : veiller au respect de l’appellation et des conditions de production, gérer la production et soutenir la filière.

Par ailleurs, afin de faire face au développement de la contrefaçon suite aux pénuries liées à la crise du phylloxéra, une législation est instaurée pour mieux encadrer l’appellation « Cognac ». Un décret de 1909 consacre les « usages locaux, loyaux et constants » du Cognac. Une carte de huit crus de l’appellation « Cognac » est produite sur la base des travaux d’Henri Coquand, un géologue qui avait travaillé sur les caractéristiques des sols charentais au XIXe siècle et qui avait abouti à la délimitation des différents crus de l’appellation « Cognac » en 1860. Durant les années 1930, le socle réglementaire est renforcé par deux décrets majeurs : le décret du 15 mai 1936 qui définit les conditions de production des eaux-de-vie ouvrant droit à l’appellation « Cognac » et le décret du 13 janvier 1938 qui définit l’aire d’appellation, par commune et par cru. Ce dernier retient 6 crus qui sont toujours en vigueur aujourd’hui : Grande Champagne, Petite Champagne, Borderies, Fins Bois, Bons Bois et Bois ordinaires (ou Bois à Terroirs).

Missions et organisation du BNIC

Créé en 1946, initialement on le rappelle pour veiller au respect de l’appellation et des conditions de production, c’est à la fin des années 1980 que le Bureau National Interprofessionnel du Cognac (BNIC) est reconnu officiellement en tant qu’interprofession. Il est ensuite, en 2010, reconnu organisme de défense et de gestion (ODG) confortant ainsi l’institution dans son rôle de défense de l’appellation AOC. Sa mission est de s’assurer du respect du cahier des charges de l’appellation et de mettre en œuvre un plan de contrôle associé. Cette reconnaissance fait du BNIC la première interprofession à devenir ODG.

À cette mission, s’ajoutent celles de gérer la production et de soutenir la filière.

Pour répondre à l’ensemble de ses missions, le BNIC emploie 115 personnes : des juristes sur la partie protection de l’appellation, lobbying et défense des intérêts de la profession sur les marchés ; des ingénieurs sur la partie recherche ; des communicants pour les campagnes de presse, pour former des écoles hôtelières, pour le contact avec les journalistes ; des personnes à la saisie des données en lien avec la mission de réception des déclarations obligatoires des viticultures ; des auditeurs en charge sur le terrain du respect par les producteurs et les négociants du cahier des charges de l’appellation ; des personnes pour faire tourner la structure ( informaticiens, comptables…).

Figure 4.1 – Carte des crus du cognac

Source : BNIC, 2019

La période suivant la Seconde Guerre mondiale marque l’envol des ventes de cognac. Les réglementations sur la production et le vieillissement, d’une part, et l’encadrement de l’appellation, d’autre part, constituent un gage de qualité qui stimule les ventes de cognac à travers le monde. Les certificats d’origine et d’âge délivrés par le BNIC sont une garantie de la provenance et de la qualité des eaux-de-vie de Cognac. À partir des années 1950, les ventes à l’exportation sont en progression constante. Une taxe spéciale sur les eaux-de-vie à destination du marché américain est instaurée et permet de financer la « propagande du Cognac à l’étranger » (Belot, 1973).

Le BNIC est en charge de mener des campagnes de propagande collective en complément des campagnes publicitaires menées par les négociants de manière individuelle. Cette mission repose « sur l’idée que le Cognac est la propriété collective de toute la région et, qu’en conséquence, les produits n’étant pas suffisamment différenciés, l’union des moyens peut bénéficier à tout le monde et en particulier aux petits et moyens négociants qui sans cela n’ont pas une dimension suffisante pour travailler commercialement les marchés extérieurs » (Belot, 1973). Des campagnes commerciales sont organisées aux États-Unis et en Europe (notamment en Allemagne et en Italie). Des centres d’information du cognac, chargés de la promotion du cognac, ouvrent à New York (1968) et Hambourg (1969), puis dans d’autres villes en Europe et dans le monde (Paris, Londres, Tokyo, Milan, Bruxelles). Cette stratégie a pour effet d’accroître les ventes de manière spectaculaire. Chaque campagne marketing fait bondir les ventes de cognac dans le pays visé. Les ventes de cognac sont multipliées par trois aux États-Unis entre 1952 et 1967 et ont continué d’augmenter à la fin des années 1960 malgré des difficultés économiques et l’instauration de restrictions tarifaires sur les produits européens (+45 % lors de la campagne de 1967-1968 par exemple). Chaque campagne commerciale amène également un doublement ou un triplement des ventes en Allemagne et en Italie.

Cette expansion des ventes est freinée brutalement au cours des années 1970 durant lesquelles la filière fait face à une double crise. D’une part, une crise des ventes dans les pays industrialisés liée à la crise économique naissante (conséquence des chocs pétroliers). D’autre part, une crise de surproduction : plusieurs récoltes pléthoriques, dues au climat, à l’amélioration des pratiques culturales et à la mécanisation de la vendange, font gonfler les volumes alors même que le marché marque un fort retrait. Cette situation conduira l’interprofession à fixer des quotas de production et à encourager l’arrachage des vignes pour inciter les viticulteurs à la reconversion.

Dans les années 1980, les ventes repartent à la hausse. Les exportations progressent sur tous les marchés. Le Japon où les ventes triplent durant cette décennie devient à la fin des années 1980 le premier marché pour les maisons de négoces de Cognac. Mais les années 1990 marquent un nouveau tournant. Le marché américain décline à partir de la fin des années 1980 du fait de campagnes contre l’alcoolisme et des mesures protectionnistes. En Asie, les crises financières du Sud-Est asiatique impactent les ventes de cognac. La crise financière, économique et immobilière du Japon marque un coup d’arrêt brutal des ventes de cognac dans le pays. Le cognac, associé à la période fastueuse, est délaissé par les nouvelles générations qui lui substituent des boissons plus légères (la bière notamment). Les ventes de cognac baissent fortement et l’ensemble de la filière est touché. Le point culminant est atteint en septembre 1998 avec le blocus de la ville de Cognac par les viticulteurs qui réclament des aides face aux baisses conséquentes en volume et en prix des eaux-de-vie de Cognac.

Dans les années 2000, la croissance repart à la hausse, portée par le marché américain et l’affirmation du cognac comme un produit identitaire chez les Afro-Américains. Depuis, les ventes de cognac ne cessent de progresser, portées par le marché américain mais aussi, plus modestement, par le marché chinois.

Pendant les périodes de crise, les acteurs locaux ont fait preuve de résilience et de créativité. Ce sont pendant ces périodes que des stratégies de diversification sont apparues avec notamment la production d’autres spiritueux par des maisons de Cognac (voir chapitre 5).

Une filière marquée par l’interdépendance de ses acteurs

L’histoire du cognac et de son process de production complexe, marquée par l’établissement de l’appellation d’origine contrôlée et la naissance d’une aire d’appellation par commune et par cru (voir figure 4.1), a généré une interdépendance très forte entre les acteurs.

Figure 4.2 – Schéma simplifié de l’élaboration de l’eau-de-vie de Cognac et des opérateurs

Source : Bouba-Olga, Guimond et Perrier, 2010

La filière cognac a en effet pour caractéristique une décomposition très forte de la chaîne de valeur. S’intéresser uniquement aux acteurs industriels en charge de la transformation et la commercialisation du produit fini n’aurait, dans le cas du Cognaçais, que peu de sens tant les entreprises qui transforment et vendent sur les marchés – les maisons de négoce – sont liées de manière très étroites à ceux qui produisent le raisin et le vin – les viticulteurs – et ceux qui le distillent – les distillateurs ou bouilleurs de crus –en amont. Considérer les viticulteurs et les distillateurs comme de simples « fournisseurs » des maisons de Cognac ne permet pas de comprendre la dynamique industrielle locale observée dans les statistiques. L’économie du cognac est très dépendante de la relation entre les viticulteurs et les négociants. Les distillateurs, eux, constituent une activité intermédiaire qui est organisée de manière diverse bien que son caractère soit extrêmement stratégique dans la production. Cette structuration de la filière constitue un élément historique sur le territoire (Béteille, 1980).

Comprendre la dynamique industrielle locale requiert ainsi d’identifier que l’ensemble des parties prenantes (les viticulteurs, les distillateurs, les maisons de négoce, mais aussi l’ensemble des activités connexes regroupées sous l’appellation des fournisseurs de matières sèches : bouteilles, cartons, étiquettes, bouchons, décor sur verre, design, etc.) est tourné de manière collective vers un seul et même objectif, la réponse à la demande de cognac sur les marchés mondiaux.

La viticulture

Le cognac est une eau-de-vie obtenue par distillation de vin. La viticulture est donc en charge des deux premières grandes étapes de la production de cognac : la production de raisins et la vinification, c’est-à-dire la transformation des raisins en vin (en pressant les raisins pour obtenir un moût, puis en laissant ce moût fermenter en cuve). La vinification transforme le sucre contenu dans les raisins en alcool. Le viticulteur veille autant à la quantité qu’à la qualité de l’alcool fermenté.

Sur le Cognaçais, on parle de la « famille de la viticulture » pour désigner les 4 276 viticulteurs (d’après le BNIC en 2020) producteurs de raisins destinés à la production de cognac. Le nombre de viticulteurs a fortement diminué et, par corollaire, la taille des exploitations a fortement augmenté. En 2000, par exemple, 6 785 viticulteurs étaient comptabilisés pour une surface moyenne de 12 hectares, contre 19 hectares aujourd’hui. Ces données suivent ce qui peut être observé dans le monde agricole d’une manière générale avec un phénomène de concentration lié aux difficultés de reprise des exploitations familiales. Les rendements des vignes ont également augmenté de manière spectaculaire grâce à la motorisation des travaux viticoles, l’extension des vignes hautes et larges ainsi que l’usage des engrais et désherbants chimiques (Bessière, 2011).

Les cépages cultivés par les viticulteurs sont encadrés par le cahier des charges de l’AOC. Le cépage majoritaire est l’ugni Blanc, un cépage originaire de Toscane (Italie), qui représente plus de 98 % du vignoble de l’appellation « Cognac ». L’ugni blanc a été privilégié depuis la crise du phylloxéra du fait de sa capacité à résister aux maladies et pour sa productivité (son rendement est de l’ordre de 120 à 130 hectolitres volumes par hectare). Les autres cépages utilisés sont le colombard, le montils, la folle blanche (majoritaire avant la crise du phylloxéra), le sémillon et le folignan.

Le vignoble cognaçais s’étend sur une superficie de 78 000 hectares (BNIC, décembre 2019), ce qui représente 10 % du vignoble français. Il s’agit du premier vignoble de vin blanc en France. Sans bénéficier de la protection d’une zone d’appellation, le vignoble est néanmoins très encadré du fait de sa filiation forte avec le produit cognac. Des mesures relatives à la conduite du vignoble sont intégrées au cahier des charges de l’AOC. En outre, depuis 2018, une réglementation européenne a interdit la pratique de la replantation qui consistait à arracher des vignes d’autres vignobles français pour les planter dans le Cognaçais, ce qui leur permettait de contourner la réglementation sur les droits de plantation. Cette réglementation a donné un statut spécifique aux vins aptes à la distillation des eaux-de-vie de Cognac. Par ailleurs, depuis 2016, la finalité de chaque parcelle doit être bien identifiée (pour le cognac, le pineau, le vin de table, etc.). Cette nouvelle réglementation a mis fin à la pratique dite de la « double fin » qui permettait aux viticulteurs de destiner le raisin produit sur une parcelle à plusieurs produits. Cette décision vise ainsi à mieux adapter la production aux besoins du marché.

Les surfaces plantées sont aujourd’hui calculées « de manière scientifique » à partir d’un outil commun partagé avec la famille du négoce : le business plan de la filière. La viticulture reste, néanmoins, très dépendante des prévisions et des réalités des ventes des maisons de négoces. La bonne santé de la viticulture est ainsi intrinsèquement liée à celle des ventes de cognac sur les marchés mondiaux.

La distillation et le vieillissement

La distillation constitue l’étape de production qui fait la spécificité du produit cognac. Elle est suivie par une période obligatoire de vieillissement des eaux-de-vie dans des fûts en bois de chêne. Différents acteurs peuvent intervenir lors de ces deux étapes du process de production.

La « distillation charentaise », comme elle est plus communément appelée, doit être effectuée selon la méthode traditionnelle dans un alambic en cuivre (3 000 alambics sont en production sur l’aire d’appellation du Cognaçais). Elle consiste en une succession de deux étapes appelées « chauffes » : une première chauffe désigne la distillation du vin et permet d’obtenir le brouillis ; la deuxième chauffe, appelée aussi « repasse », ou « bonne chauffe », désigne la distillation du brouillis et permet d’obtenir l’eau-de-vie de Cognac. 9 litres de vins permettent de produire 1 litre d’eau-de-vie. La distillation doit être achevée au plus tard le 31 mars de l’année qui suit la récolte.

Le vieillissement des eaux-de-vie de Cognac est réalisé sans interruption exclusivement dans des fûts en bois de chêne. Le vieillissement confère à l’eau-de-vie ses arômes, sa couleur et sa saveur, sa « signature organoleptique ». Les eaux-de-vie doivent être élevées pendant au moins deux ans suivant ce procédé. La durée du vieillissement, désignée en « compte d’âge », confère au cognac différentes appellations. Les désignations sur l’étiquette les plus couramment utilisées (il en existe plus de 30 dans les faits) sont le cognac VS en compte d’âge 2 (2 ans de vieillissement minimum), le cognac VSOP en compte d’âge 4, le cognac Napoléon en compte d’âge 6, le cognac XO en compte d’âge 10, le cognac XXO en compte d’âge 14 et plus. Dans la pratique, un cognac commercialisé sous une mention spécifique peut contenir des eaux-de-vie de compte d’âge différent. Un VS doit vieillir au minimum 2 ans mais peut inclure aussi des eaux-de-vie qui ont vieilli plus longtemps (3 ans, 6 ans, ou plus) selon les processus d’assemblage des maisons de négoce.

Différents acteurs interviennent aujourd’hui dans les processus de la distillation et du vieillissement. Cela répond des choix des viticulteurs et des maisons de négoce.

La distillation est réalisée par des bouilleurs de crus ou des bouilleurs de profession. Le bouilleur de cru est un viticulteur qui distille ses propres vins ou les fait distiller à façon (par un bouilleur de profession). Il existe 3 518 bouilleurs de crus sur le Cognaçais. Le bouilleur de profession est un distillateur professionnel. Il achète des vins et revend ensuite les eaux-de-vie, ou il peut distiller à façon pour le compte d’autrui. Il existe 117 bouilleurs de profession sur le territoire.

Plusieurs options s’offrent ainsi aux viticulteurs pour la distillation des vins après l’étape de vinification. Premièrement, le viticulteur possède un alambic et distille le vin sur son exploitation. Deuxièmement, le viticulteur fait distiller le vin à façon, en recourant aux services d’un prestataire externe (une coopérative ou un bouilleur de profession) mais conserve la propriété de sa production. Il récupère les eaux-de-vie immédiatement après la distillation puis il stocke, fait vieillir et vend l’eau-de-vie aux maisons de négoce. Troisièmement, le viticulteur vend le vin à un bouilleur de profession qui se charge de la distillation et de la vente aux maisons de négoce. Les distillateurs de profession sont le plus souvent sous contrat exclusif avec les maisons de négoce (notamment les plus grandes). Le choix du bouilleur de profession (que ce soit pour la vente ou pour un service de prestation à façon) est guidé par le contrat liant le viticulteur et la maison de négoce.

Enfin, le vieillissement des eaux-de-vie est assuré soit par le viticulteur soit par la maison de négoce. Les viticulteurs peuvent stocker et faire vieillir les eaux-de-vie plusieurs années dans leurs propres chais (lieu où sont stockés les fûts contenant les eaux-de-vie) jusqu’à la vente destinée à des maisons de négoce. Le vieillissement peut durer plus ou moins longtemps selon les capacités de stockage du viticulteur et des crus distillés. L’objectif pour le viticulteur est de faire une plus-value sur le stockage. Cela requiert néanmoins une capacité d’investissement et d’immobilisation importante. L’équivalent de 1,7 milliard de bouteilles (BNIC, stock de juillet 2019) est actuellement stocké en fût de chêne dans le Cognaçais. En 2015, il était estimé que 29 % des stocks étaient détenus par les viticulteurs, 7 % par des distillateurs (des grandes coopératives organisées autour de l’activité de distillation) et 64 % par les maisons de négoce (Arribard, 2015).

La distillation et le vieillissement des eaux-de-vie sont des étapes stratégiques pour la création de valeur du produit cognac, les vins restant eux « relativement banals et non vieillis » (Bouba-Olga, Guimond et Perrier, 2010). Ces étapes permettent aux acteurs de se différencier et de créer de la valeur grâce à la qualité du produit. Elles requièrent néanmoins des investissements conséquents et des immobilisations capitalistiques fortes du fait que le fruit de la production n’intervient que lors de la vente des eaux-de-vie, soit après deux ans de vieillissement en fût au plus tôt.

L’activité du négoce

La commercialisation du cognac est assurée par les maisons de négoce. Historiquement, il s’agissait d’intermédiaires entre les viticulteurs charentais et les négociants étrangers qui commercialisaient les eaux-de-vie sur leurs marchés intérieurs. La crise du phylloxéra et l’utilisation de bouteilles pour la commercialisation (avec une meilleure identification des marques sur les étiquettes des bouteilles), dans la première partie du XXe siècle, a permis une montée en puissance de ces acteurs dans le process de production et de commercialisation des eaux-de-vie de Cognac. Les maisons de négoce sont aujourd’hui au centre du jeu et sont les acteurs forts de la filière. En amont de la commercialisation, les maisons de négoce mènent une série d’activités clés dans le process de production.

La première mission d’une maison de négoce est l’approvisionnement. Celui-ci peut se faire en amont de la distillation, la maison de négoce se charge alors de la distillation des vins. L’achat peut concerner des eaux-de-vie jeunes tout juste distillées et la maison de négoce s’occupe du vieillissement des eaux-de-vie dans ses propres chais. L’achat peut sinon porter sur des eaux-de-vie déjà vieillies et la maison de négoce les utilise pour l’assemblage ou poursuit leur vieillissement dans ses installations. Ces différentes approches coexistent au sein des maisons de négoce. L’approvisionnement constitue un élément stratégique pour les maisons de Cognac, considérant de fait que sans la production de raisins, de vin puis d’eau-de-vie, il n’est pas possible de produire du cognac. L’approvisionnement constitue un élément clé du processus pour les maisons de Cognac, ce qui a expliqué aussi leur installation au XIXe siècle sur les terres charentaises.

Vient ensuite l’assemblage qui consiste à assembler des eaux-de-vie de compte d’âge et de notes aromatiques différentes pour conférer au cognac la véritable signature de la marque. L’assemblage n’est pas requis par l’appellation d’origine contrôlée mais répond d’une tradition de travail des producteurs locaux. L’objectif est de conférer au cognac une « signature organoleptique », une flaveur valorisant les sensations gustatives et olfactives du produit et qui correspond à l’histoire de la marque, au message qu’elle souhaite véhiculer à travers ses produits et surtout au marché auquel la maison de négoce destine ses produits. Le cognac est en effet différent en goût selon le marché, s’inscrivant dans la capacité des acteurs de la filière à s’adapter au marché. Un acteur joue un rôle clé au sein des maisons de Cognac dans des étapes d’achat, de stockage, de vieillissement et d’assemblage : le maître de chai. Il est le garant des choix aromatiques et des styles de chacune des maisons de Cognac. Il supervise la production du cognac, de la sélection des eaux-de-vie jusqu’à l’assemblage, surveille et élève les eaux-de-vie tout au long de leur vieillissement, déguste régulièrement les eaux-de-vie afin d’identifier celles qui sont prêtes à être assemblées et celles qui ont encore besoin de temps. Le maître de chai compose des assemblages subtils d’eaux-de-vie d’âges et de crus différents permettant de donner « toute la richesse aromatique » au cognac. Le maître de chai est un actif clé au sein d’une maison de Cognac au même titre que le stock d’eau-de-vie et de la marque. « C’est l’équivalent d’un designer dans une boîte de haute couture ou un grand chef dans un restaurant. »

Une fois finalisées, les eaux-de-vie de Cognac sont conditionnées pour être commercialisées. Il s’agit ici d’une étape clé pour la création de valeur du produit et de la filière cognac.

Les maisons de Cognac ont enfin pour missions de trouver des marchés pour leurs produits à court terme et de pérenniser leur relation avec le consommateur sur le long terme. Les maisons de Cognac interviennent à trois niveaux :

• sur la qualité du produit afin de toujours proposer un produit haut de gamme en adéquation avec l’image véhiculée par la filière et les attentes des consommateurs ;

• l’image du produit en travaillant sur des stratégies marketing pour valoriser le produit et la marque ;

• les réseaux de distribution pour sécuriser la présence de la marque sur les marchés mondiaux.

La « grappe cognaçaise9 »

De nombreuses activités connexes se sont progressivement développées pour accompagner la production et la commercialisation du cognac. La première à voir le jour est celle, dès le XVIIe siècle, de la tonnellerie. Les fûts sont utilisés pour le transport des produits ainsi que pour leur stockage en cave durant leur maturation (Bouba-Olga, Guimond et Perrier, 2010). Cette activité donnera naissance à plusieurs tonnelleries sur le territoire qui fabriquent des tonneaux haut de gamme vendus dans le monde entier. Au XIXe siècle, les maisons de négoce prennent l’habitude d’expédier l’eau-de-vie en bouteilles sur lesquelles elles apposent leur nom, et non plus en fûts, afin de mieux valoriser leur marque. Cette nouvelle forme de commerce donne naissance à de nombreuses activités : la verrerie, la fabrique de caisses, de bouchons et l’imprimerie pour la conception d’étiquettes notamment.

Au XXe siècle, le marketing joue un rôle accru dans les stratégies commerciales des maisons de négoce. Les activités de fabrication d’étuis, de bouteilles, d’étiquettes et de décor sur verre se développent avec pour objectif d’identifier, de valoriser et de différencier les marques de cognac sur les marchés mondiaux. Des activités plus récentes autour du design et du digital jouent un rôle de plus en plus important.

À ces activités liées au conditionnement, s’ajoutent des industries liées aux activités viticoles comme la fabrication d’engins agricoles spécialisés ou encore la chaudronnerie pour la fabrication des cuves et des alambics utilisés dans les étapes de distillation et de stockage des vins et des eaux-de-vie.

Mais si le développement de la grappe cognaçaise a été permis par le développement de la production de cognac, inversement, les acteurs de la viticulture et surtout du négoce ont bénéficié très fortement des savoir-faire développés et acquis par les acteurs du packaging du territoire pour améliorer leur position sur les marchés internationaux. La création du procédé de production de bouteille semi-automatique de Claude Boucher a, par exemple, permis aux maisons de négoce de valoriser leurs produits et surtout leur marque sur les marchés internationaux, renforçant leur rôle stratégique dans la filière. Le développement et la spécialisation des tonnelleries sur des productions haut de gamme ont également contribué à l’image haut de gamme du cognac avec des savoir-faire hautement qualifiés. Néanmoins, toutes ces activités connexes, très liées au cognac, se sont également diversifiées et ont acquis avec le temps une certaine autonomie.

Figure 4.3 – Nombre d’emplois dans les secteurs d’activités liés au conditionnement des spiritueux et à la production des eaux-de-vie en 2018

Source : Acoss, NAF A732, calculs des auteurs

L’interconnaissance des acteurs et la force des réseaux, formels ou informels, trouvent également une traduction dans la capacité des acteurs à innover. Au contraire d’un processus de création-production segmenté où un produit serait d’abord imaginé par un designer avant d’être soumis aux prestataires pour la phase de production en suivant un cahier des charges, les réflexions en matière d’innovation, de création et de faisabilité des produits intègrent, le plus souvent, l’ensemble des acteurs de la filière. Il y a une réflexion générale avec l’ensemble des parties prenantes dès la phase amont du processus de création. L’entreprise de décoration sur verre Bernadet témoigne en citant l’exemple de la création de la bouteille XO de Rémy Martin (une carafe avec une impression en chromographie). Rémy Martin a rassemblé autour de la table les différents partenaires (designer, décorateur, verrier) au stade de l’idée de projet. Cela permet de classer l’idée et la proposition selon la classification dite de la Technology readiness level (TRL), un système de classification utilisé notamment par l’Union européenne pour évaluer le niveau de maturité technologique d’un produit. La participation de l’ensemble des parties prenantes permet d’évaluer la faisabilité du projet dès l’émergence de l’idée. Des réflexions plus générales ont également parfois lieu. Un travail collectif a, par exemple, été mené sur les tendances à venir chez Bernadet. Ce temps de travail incluait « des gens de l’entreprise, mais aussi une implication des écoles, des clients, des fournisseurs, une agence de design ».

La tonnellerie au cœur du process de fabrication du vin et des spiritueux

La tonnellerie constitue un secteur clé du territoire bénéficiant d’une reconnaissance mondiale en termes de qualité. C’est aussi et surtout une activité stratégique pour la fabrication du cognac. Le savoir-faire très spécifique des tonneliers dans le travail du bois et de la chauffe confère aux fûts un rôle stratégique pour donner aux eaux-de-vie leurs notes aromatiques, leur couleur et leur saveur. Du fait de ce caractère stratégique, cette activité était historiquement intégrée aux maisons de Cognac (les plus grandes tout au moins). Cette activité a été ensuite externalisée et a donné naissance à de nombreuses entreprises sur le territoire.

Leur activité principale est la production de fûts à destination des spiritueux et des vins. Et bien que la tonnellerie soit une activité dite traditionnelle, l’innovation de procédés et de produits occupe une place importante. La tonnellerie Taransaud, par exemple, travaille au développement de barriques pour mieux préserver la fraîcheur des vins, des barriques spécialisées pour les vins blancs, des fûts vieillis avec des bois plus longs pour des apports œnologique différents, ou encore des barriques connectées liées à l’environnement du chai pour savoir ce qu’il se passe dedans. « Avec le réchauffement climatique, les vins sont de plus en plus riches en alcool et ont besoin de barriques mieux adaptées. » La tonnellerie Seguin-Moreau s’est, de son côté, distinguée en proposant ces dernières années des produits innovants comme une cuve en bois équipée de douelles transparentes permettant d’en visualiser l’intérieur, conçue pour le célèbre château Mouton Rothschild en 2013.

La question de l’approvisionnement en bois est stratégique pour la tonnellerie. Le grain du bois est déterminant car il conditionne la porosité du bois à l’air. À chaque typologie, correspond un potentiel organoleptique différent. Un grain fin permet les meilleurs échanges gazeux (des arbres hauts à croissance lente sont privilégiées) et est privilégié pour les vins. Le bois issu des chênes à gros grain est privilégié pour le cognac (il est le fruit d’arbres qui ont grandi et grossi plus vite). Le marché du cognac est, par exemple, limité par le fait qu’il est difficile de s’approvisionner en bois gros grain.

Une organisation territoriale au service d’un produit

La gouvernance de la filière du cognac est extrêmement structurée et les relations entre la viticulture et le négoce constituent la pierre angulaire de la gouvernance territoriale sur le Cognaçais. Elles sont structurées au sein du BNIC qui constitue le « cœur du réacteur » sur le territoire. Dans son sillage, d’autres organisations interprofessionnelles et territoriales ont vu le jour et constituent des acteurs clés sur le territoire.

Dans le cas du Cognaçais, l’analyse des relations entre les acteurs du territoire et leur capacité à s’organiser collectivement démontre l’importance de la gouvernance territoriale comme un facteur clé de réussite du territoire. Les acteurs reconnaissent qu’ils ont intérêt à collaborer pour atteindre une situation optimale, répondre à une problématique donnée et élaborer des projets permettant un développement territorial conjoint. La coopération territoriale suppose dès lors que les parties prenantes décident de mettre le bien-être collectif au-dessus de leurs intérêts individuels considérant que l’optimum territorial est supérieur à la somme des intérêts individuels. Les parties prenantes d’une démarche coopérative deviennent des partenaires partageant une intention et un objectif commun (Nadaud, 2019).

C’est vrai pour les relations entre les acteurs dépendants les uns des autres mais aussi pour les relations entre les maisons de Cognac. Bien qu’elles soient concurrentes sur les marchés internationaux, elles sont « collègues » localement. Et malgré des désaccords, les relations entre les grandes maisons de Cognac sont dites « collaboratives ». Elles répondent d’un « jeu collaboratif intéressé ».

Les relations contractuelles entre le négoce et la viticulture

La première forme de relations entre la viticulture et le négoce sur laquelle il est nécessaire de revenir avant de s’intéresser aux aspects de gouvernance de la filière est la relation contractuelle. Il existe des relations contractuelles fortes entre les viticulteurs et les maisons de négoce visant à sécuriser les débouchés pour les premiers et sécuriser les approvisionnements pour les seconds.

Les maisons de Cognac et les viticulteurs sont liés par des contrats pluriannuels glissants. Il y a une reconduction tacite tous les ans pour trois ans ou six ans. « Cela sécurise les deux parties. » Ces contrats comportent des clauses de baisse et des variations de prix maximum ainsi qu’une notion de volume. « Cela dépend des maisons. » Il y a parfois une notion de prix minimum garanti. Certains viticulteurs livrent directement les maisons de Cognac, d’autres passent par des coopératives. Le conseil d’administration de la coopérative prend alors des décisions sur les prix et les volumes. Enfin, les eaux-de-vie stockées et vieillies sur l’exploitation sont vendues plus cher que lorsque la vente a lieu à la sortie de l’alambic. « Cela dépend des cours et des besoins de la maison de négoce. » Les évolutions tarifaires sont dites plutôt favorables à la viticulture actuellement du fait de la hausse importante des ventes et de l’enjeu pour les maisons de Cognac de s’approvisionner en eau-de-vie.

Outre ces relations contractuelles établies sur le long terme, il existe un second marché dit « marché spot » sur lequel des contrats de gré à gré sont passés entre les viticulteurs et les maisons de négoce selon les besoins et les opportunités. Cela permet aux maisons de négoce d’augmenter leurs stocks d’eau-de-vie déjà vieillis par les viticulteurs. Une partie des volumes est ainsi non contractualisée et répond d’accords de principe liés à des habitudes de travail entre les viticulteurs et les maisons de négoce.

Par exemple, l’exploitant agricole Anthony Brun travaille avec trois maisons de Cognac : deux grandes et une petite. Anthony Brun vend aussi des volumes à des maisons sans contrat. C’est un contrat de principe c’est-à-dire sans contrats écrits : « C’est une relation de confiance ». Ce sont des volumes réguliers mais les volumes contractualisés restent prioritaires. En cas de demande plus importante sur cette partie, les volumes non contractualisés pourraient être impactés. Mais depuis 15 ans qu’Anthony Brun dirige l’exploitation, il n’y a jamais eu de soucis pour répondre aux demandes.

Bache-Gabrielsen, pour prendre l’exemple d’une petite maison de Cognac, travaille avec 150 bouilleurs de crus, des viticulteurs-distillateurs. L’entreprise a des contrats sur trois ans pour les eaux-de-vie jeunes, juste distillées. Cela garantit une quantité d’achat à un certain prix. Bache-Gabrielsen achète ensuite des eaux-de-vie déjà vieillies sur le marché spot. Ce sont des contrats de gré à gré selon les besoins et les opportunités, si cela convient en termes de prix et de qualité. Ainsi, 75 % des approvisionnements sont sous contrat tandis que 25 % sont sur le marché spot pour répondre aux besoins et profiter des opportunités du marché ; cela constitue une variable d’ajustement pour la maison.

Le fait pour les viticulteurs de travailler pour plusieurs maisons est courant. Certaines maisons demandent à avoir des contrats exclusifs, d’autres non, et encouragent même cette diversification de la clientèle pour les viticulteurs. Cette diversification est, par exemple, encouragée par Courvoisier pour assurer la viabilité économique des viticulteurs sur le long terme. Dans les faits, cela est lié à l’histoire des exploitations et des maisons de négoce, ainsi qu’aux habitudes de travail.

L’organisation de la filière autour du BNIC

La filière cognac est fortement structurée sur le territoire et notamment autour du BNIC. Celui-ci constitue l’organisme clé en charge de la stratégie au niveau de la filière et se présente comme « un lieu de dialogue, de concertation et de décision pour l’ensemble des professionnels de la filière cognac » (viticulteurs, bouilleurs de professions et maisons de négoce). Il est fondé sur trois principes fondamentaux : « la parité entre les familles Viticulture et Négoce », « le dialogue, les échanges et la concertation au sein de l’interprofession » et « l’adoption de décisions collectives, par les deux familles du BNIC ».

Les organes représentatifs sont composés de manière paritaire entre les deux familles. Chaque mandature, d’une durée de trois ans, est présidée alternativement par un représentant issu de la famille du négoce ou de famille de la viticulture. Chaque famille est représentée par un syndicat : la viticulture est regroupée au sein de l’Union Générale des Viticulteurs pour l’AOC Cognac (UGVC) et les maisons de négoce au sein du Syndicat des Maisons de Cognac (SMC). Cette situation est relativement récente. La viticulture a longtemps été dispersée dans différents syndicats avant de se regrouper en deux puis un syndicat unique en 2011 (aujourd’hui, l’UGVC regroupe 2 200 viticulteurs et représente 65 % de la superficie du vignoble de l’appellation « Cognac »). Le même regroupement a été observé dans le cas des maisons de négoce lors de la fusion en 2008 des trois syndicats précédents en un seul. Les élections de 2011 au BNIC ont été les premières où un seul syndicat représentait chaque famille.

L’objectif de dialogue et de concertation au sein de la filière se traduit dans le champ lexical des acteurs de la filière, quel que soit leur positionnement dans la chaîne de valeur. Tous parlent de « partenariat », de « collaboration », de « collectif ». Derrière les mots se cachent des actions concrètes et une organisation pensée pour optimiser l’adéquation entre la production (les raisins produits dans le vignoble) et la commercialisation du produit fini (les bouteilles de cognac sur les marchés internationaux).

L’observation de la gouvernance de la filière actuelle s’avère très positive, et assez atypique en comparaison des tensions actuelles existantes sur la majorité des grandes filières agricoles françaises. La capacité des acteurs à se coordonner est aussi liée à la bonne santé de la filière car l’histoire de la filière cognac montre que cet équilibre est néanmoins fragile. L’exemple le plus récent est le blocus de la ville de Cognac par les viticulteurs en 1998 pendant quatre jours. Les viticulteurs faisaient alors face à des difficultés financières très importantes, confrontés à la baisse des ventes du cognac pendant les années 1990, du fait notamment de la crise sur les marchés asiatiques (Japon principalement). L’annonce par le négoce d’une réduction des contrats et une baisse du prix des eaux-de-vie avait alors créé l’étincelle qui avait révolté les viticulteurs.

Le business plan de la filière cognac

L’enjeu principal pour la filière est de trouver le bon équilibre entre la production de raisins et les ventes de cognac sur les marchés internationaux. La difficulté tient au fait que le cognac est un produit qui se consomme vieilli en fût de chêne et qu’il se passe plusieurs années entre la récolte de raisins et la commercialisation des eaux-de-vie qui en seront issues. De plus, décider de produire plus de raisins requiert un délai entre la décision de plantation et les premières récoltes effectives (les vignes ne produisent pas les deux premières années).

Pour sécuriser les approvisionnements des maisons de Cognac d’une part, et garantir des débouchés en adéquation avec les volumes produits pour la viticulture d’autre part, la filière s’est dotée en 2008 d’un outil stratégique : le business plan du cognac. Il s’agit d’un « outil économique, économétrique et statistique » qui, de manière très simplifiée, vise à « déduire des hectares de vignes à planter à partir des perspectives de vente ». L’outil repose sur des prospectives au niveau des marchés, de la production et des stocks à horizon 15 ans.

Derrière un énoncé court et simple se cache en réalité une modélisation complexe. Le modèle du business plan repose sur trois modules : un module de demande qui a pour objectif de déterminer ce que la région doit produire, un module de production qui a pour objectif de déterminer ce que la région peut produire et un module dit de dispersion qui sert à procéder à des ajustements techniques.

• Le module de demande est lié à la famille du négoce : ce sont les prévisions de ventes de cognac (en quantité et en qualité) à 15 ans. La famille du négoce transmet au BNIC ses prévisions de ventes en précisant le mix qualité (VS, VSOP, XO, etc.) et sa grille d’éclatement qualité (les comptes d’âge qui seront utilisés pour produire les différentes gammes de cognac). Ces caractéristiques permettent d’adapter la production en tenant compte de certains paramètres techniques, notamment le fait que 2 % des volumes s’évaporent chaque année lors du vieillissement des eaux-de-vie en fûts (la fameuse « part des anges »). Ceci a un impact significatif sur la quantité d’eau-de-vie stockée dans les chais. Le modèle peut ainsi calculer le volume qui sera sorti par compte d’âge si les prévisions de vente sont exactes. Les taux de croissance anticipés par la famille du négoce reposent essentiellement sur les perspectives de consommation et de vente des spiritueux de l’ISWR, revue américaine de référence spécialisée sur les boissons alcoolisées, et sur les perspectives de croissance des indicateurs économiques mondiaux : le PIB et le volume du commerce mondial.

• Le module de production calcule à partir de ces données plusieurs paramètres : les rendements agronomiques sur 15 ans, la production globale de la région, les besoins en plants pour les pépiniéristes et les besoins en main-d’œuvre (le BNIC connaît le temps moyen pour l’entretien d’un hectare de vigne et en déduit le nombre d’emplois en équivalent temps plein nécessaire).

• Un module de dispersion : il s’agit d’un module technique qui vise à trouver le bon niveau de rendement réglementaire qui permette d’atteindre l’objectif de la région. Ce module est basé sur le fait que tous les viticulteurs n’ont pas les mêmes rendements et que ceux qui produisent plus ne sont pas autorisés à compenser ceux qui produisent moins du fait de la réglementation. Il permet de déterminer le rendement annuel Cognac et les limitations de plantation nouvelles. Ce rendement annuel est calculé sur la base du rendement de chaque exploitation sur les six dernières années. Le module repose sur la dispersion (les différences de rendements) autour de la moyenne des six dernières récoltes.

Le business plan est aussi un outil de pilotage de la filière sur le long terme car derrière ces modules, il y a des indicateurs de pilotage avec des alertes et des seuils d’alerte. Le BNIC suit les prévisions sur les marchés, sur la production, sur les stocks et sur les achats. En cas d’écart trop important par rapport aux prévisions, il y a une alerte qui donne lieu à une réunion du comité permanent et l’adoption de mesures correctives si nécessaire. De plus, le BNIC possède un tableau de bord de la filière incluant de multiples indicateurs qui constituent des aides à la décision pour la profession : suivi des tendances des autres spiritueux, suivi des ventes par région, suivi des stocks détaillés, suivi des prix moyens d’achat du négoce à la viticulture, etc. Ces suivis ont lieu, en temps normal, sur une base annuelle. Dans la période actuelle, la filière suit de manière beaucoup plus précise et régulière l’ensemble de ses indicateurs et des alertes peuvent être lancées plus régulièrement pour faire face à la situation exceptionnelle rencontrée.

Malgré l’apparente rigueur quasi-scientifique du business plan, certains aspects continuent de faire débat sur le territoire, notamment la justesse de calcul des perspectives de vente des maisons de négoce qui auraient tendance à annoncer des perspectives favorables du fait qu’elles ne supporteraient pas les risques en cas de défaillance du marché. « Le plan est faussé par le fait que les perspectives de ventes viennent des négociants, alors que ces derniers ont toujours des perspectives très favorables pour montrer qu’ils sont sur des marchés très dynamiques et demander aux viticulteurs de planter des hectares de vigne. Les viticulteurs n’ont pas d’esprit critique là-dessus. Le risque n’est pas pris par le négociant mais est supporté par le viticulteur dans le cas où le négociant n’achèterait pas les volumes », explique un acteur.

Des innovations bordées par le cadre réglementaire de l’AOC

Le respect du cahier des charges et, par conséquent, le respect des process de production strict du cognac, ont permis son succès et sa reconnaissance comme un produit de haute qualité dans le monde. Ce cadre rigoureux constitue le garant de l’exigence et de la qualité du cognac, toute déviation du cahier des charges étant formellement interdite.

L’AOC constitue aussi un facteur d’ancrage. L’obligation de production de la quasi-totalité des activités sur l’aire d’appellation d’origine du cognac oblige l’ensemble des acteurs à être colocalisés sur cet espace territorial. Cela apparaît d’autant plus stratégique dans un contexte où les maisons de Cognac, dont les plus grandes, appartiennent à des groupes français et internationaux. Cela préserve le territoire d’une éventuelle délocalisation des activités comme cela peut être observé sur d’autres secteurs d’activité, mais aussi les acteurs d’une concurrence externe sur ce produit spécifique (les concurrents du cognac sont en fait les producteurs d’autres spiritueux).

Au-delà du cadre réglementaire, cette dépendance au cahier des charges et l’exigence de qualité sont ancrées dans les pratiques des acteurs locaux à toutes les étapes de la filière, tant au niveau des viticulteurs, des distillateurs, du négoce, que des parties prenantes intervenant dans la fourniture de produits et services connexes (verrerie, décor sur verre, imprimerie, design, tonnellerie, etc.).

Cet attachement strict au cahier des charges relève d’une volonté des acteurs de conserver leur spécificité et d’ancrer l’image du cognac comme un produit de tradition et de haute qualité, au contraire d’autres spiritueux qui « prennent le risque » d’expérimenter de nouvelles techniques de production au risque de perdre leur consommateur. Il existe néanmoins deux visions sur le territoire : une vision moderniste, qui soutient le progrès et l’expérimentation, et une vision traditionnelle, conservatrice, qui ancre la production du cognac dans son process de production historique. Ces deux visions, opposées à première lecture, se confrontent au sein du BNIC. Via son rôle d’organisme de défense et de gestion de l’appellation, le BNIC est en effet le garant du respect du cahier des charges. Mais au-delà, il constitue l’espace de discussions des acteurs pour réfléchir et travailler sur d’éventuelles modifications du cahier des charges et prendre des décisions sur l’acceptabilité de modifications demandées par les acteurs de la filière. Cet encadrement multipartite de l’AOC permet également d’éviter certaines dérives d’un côté de la filière qui viendrait pénaliser l’autre.

Les innovations de produit en aval de la filière

Les innovations de produit pour le cognac sont quasi-impossibles du fait de l’encadrement de l’appellation « Cognac » et de ses procédés de production par le cahier des charges. Néanmoins, des réflexions et des travaux sont en cours au BNIC pour statuer sur la mise au point de nouvelles techniques pour l’avenir.

Cela a par exemple concerné récemment la question du finishing, un procédé qui consiste à affiner le vieillissement d’une eau-de-vie déjà mature dans un fût ayant servi au vieillissement d’autres vins ou spiritueux auparavant (bourbon, whisky, porto, etc.). C’est une pratique courante pour certains spiritueux comme le whisky mais le cahier des charges de l’AOC Cognac interdit cette pratique pour la production de l’eau-de-vie charentaise. Plusieurs maisons, dont les plus grandes, ont cherché pour se diversifier à innover en proposant des cognacs ayant bénéficié d’un finishing dans des fûts ayant servi à d’autres vins ou spiritueux. Depuis début 2020, tous ont l’interdiction officielle d’utiliser l’appellation « Cognac » pour ces boissons. Cette interdiction n’empêche toutefois pas le succès de ces nouveaux produits. Par exemple, le Blue Swift de Martell (un cognac qui a bénéficié d’un finishing en fûts de bourbons du Kentucky) rencontre un succès important aux États-Unis (2 millions de bouteilles se seraient vendues en 201810) et contribue à la bonne croissance de Martell sur le marché américain.

D’autres innovations de procédés viennent questionner l’appellation « Cognac ». Ainsi, la maison Bache-Gabrielsen soulève la question de l’utilisation d’autres essences de bois pour le vieillissement des cognacs en fûts. Aujourd’hui, seuls les fûts fabriqués à partir de chêne français sont utilisés (historiquement, le chêne provenait du Limousin). Or, si le cahier des charges de l’appellation « Cognac » impose un élevage en fût de chêne, il ne précise pas son origine, ce qui a amené la maison Bache-Gabrielsen à proposer un cognac vieilli en fût de chêne américain. Le cognac American Oak de Bache-Gabrielsen bénéficie ainsi d’une double maturation : un vieillissement en fût de chêne français issu du Limousin combiné à un minimum de six mois en fût de chêne neuf américain importé du Tennessee. Cette innovation soulève la question plus large de l’utilisation d’autres essences de bois (acacias, merisier, châtaignier, etc.) pour la fabrication des fûts servant au vieillissement du cognac. Cette question est en cours de réflexion au sein du BNIC autour de deux aspects : l’aspect gustatif et l’aspect éthique et dogmatique. C’est la station viticole du BNIC, « le bras armé du BNIC en matière de recherche et développement », qui mène des essais et des expériences pour mesurer, le plus objectivement possible, si l’utilisation d’autres essences de bois altère le goût de l’eau-de-vie charentaise.

Les innovations de procédé en amont de la filière

Des travaux sont aussi conduits en amont de la filière au niveau du vignoble, de la distillation et du vieillissement. La station viticole conduit notamment des recherches sur la vigne afin de la rendre plus productive, plus saine et plus résistante aux maladies. Ces dernières années, ces travaux ont conduit à l’adoption en 2005 dans le cahier des charges de l’appellation d’un nouveau cépage : le folignan, issu de deux cépages traditionnels de l’appellation (l’ugni blanc et la folle blanche).

La question de l’impact du changement climatique sur la production de cognac et son industrie interroge également les acteurs locaux. Jean-Pascal Goutouly, chercheur à l’INRA de Bordeaux, alerte notamment sur l’impact du réchauffement climatique sur le vignoble cognaçais : « Le réchauffement climatique pourrait empêcher, à terme, la fabrication des eaux-de-vie à Cognac si rien n’est fait » (Carbonnel, Sud Ouest, 2012). Des études conduites en partenariat avec le BNIC démontrent que la température a augmenté dans la région de 1° sur le siècle passé avec des températures plus élevées l’été (+6° à +8°), ce qui a pour conséquence une avancée des vendanges plus tôt dans l’année (21 jours d’avance par rapport à 1976) et une modification des arômes des raisins servant à la production de l’eau-de-vie charentaise. Un plus grand ensoleillement modifie la concentration en sucre et le degré d’acidité, ce qui pose ensuite un problème pour la production et la conservation des eaux-de-vie. Cette problématique est considérée de près par le BNIC qui mène des études sur les cépages pour s’adapter au réchauffement climatique. Cette problématique trouve aussi un écho chez les tonneliers. Ces derniers travaillent au développement de fûts adaptés aux caractéristiques des vins impactés par le réchauffement climatique.

Des réflexions sont également menées pour améliorer les pratiques culturales des viticulteurs et tendre vers une production « bio ». L’UGVC a conduit une démarche pour commencer des pratiques plus respectueuses de l’environnement et a mis au point une certification environnementale « Cognac » alignée sur la réglementation HVE (Haute Valeur Environ-nementale). La certification environnementale de la filière cognac (l’UGVC parle d’une « double certification environnementale Cognac & HVE ») intègre ainsi des critères spécifiques au vignoble charentais en plus des exigences de la certification HVE du ministère de l’Agriculture et de l’Alimentation. L’ambition régionale est d’emmener tous les viticulteurs à ce niveau de certification d’ici 2030. En 2020, 150 viticulteurs l’ont obtenue. Malgré une volonté naissante de la filière d’améliorer ses pratiques, le « cognac bio » reste un produit très minoritaire dans la région. Les « cognacs bio » référencés sur le marché ont été développés par des petites maisons de Cognac familiales, dont certaines possèdent leur propre vignoble : la Distillerie du Peyrat, la distillerie des Moisans, la maison Hardy, la maison Planat, etc. L’enjeu d’approvisionnement en eau-de-vie reste prioritaire pour répondre aux marchés qui s’intéressent à l’image d’un produit associé au terroir charentais sans prêter, pour le moment, une attention particulière à ses caractéristiques environnementales. Les travaux menés au BNIC démontrent une volonté d’anticiper cette demande afin de modifier progressivement les pratiques vers une viticulture plus durable.

Enfin, des travaux sont également menés à l’étape de la distillation du process de production. Un travail est, par exemple, mené sur des techniques nouvelles de distillation en utilisant la distillation vapeur afin de faire des économies d’énergie. Chaque recherche fait l’objet d’un « process d’expérimentation calé au niveau interprofessionnel avec une vérification sur la qualité et une validation par les administrations ».

La problématique du transport au sein des stratégies de réduction de l’empreinte carbone

Les réflexions environnementales menées par les acteurs de la filière dépassent le champ de l’appellation AOC et portent notamment sur le transport. La question du fret ferroviaire est celle qui suscite le plus de débats sur le territoire. Les expéditions de cognac dans le monde se font principalement à partir du port du Havre (équipé pour cela, au contraire du port commercial de La Rochelle, pourtant plus proche). Cela requiert une logistique particulière : « Les maisons de Cognac envoient des camions à Bordeaux pour qu’ils partent ensuite au Havre pour être exportés ». Il y a une volonté des maisons de Cognac de travailler avec la région Nouvelle-Aquitaine pour améliorer « l’interconnexion du rail pour le transport des marchandises ». Des projets innovants et plus atypiques voient également le jour. La maison Hennessy a annoncé fin 2020 son engagement d’utiliser des « cargos voiliers » en cours de construction par un armateur de Nantes (la société Neoline) pour une partie du trafic vers les États-Unis (avec un objectif de 4 millions de bouteilles exportées par transport par voilier, soit environ 4 % du volume actuel)11.

  • 9 – L’idée de grappe cognaçaise a été introduite par O. Bouba-Olga, B. Guimond et B. Perrier (2010) pour décrire l’ensemble des activités connexes à la production et à la commercialisation du Cognac.
  • 10 – Données issues de Reynaud S., Le Figaro, 19 septembre 2019.
  • 11 – Voir Ménard P., Sud-Ouest, 7 décembre 2020.
Chapitre 5

Des diversifications qui mobilisent les savoir-faire historiques

Les connaissances et les savoir-faire accumulés grâce au cognac ont permis aux acteurs locaux de mener depuis les années 2000 des stratégies de diversification payantes à travers deux axes. Premier axe, la production d’autres spiritueux haut de gamme. Deuxième axe, le développement de nouveaux produits ou de nouvelles prestations en valorisant l’expérience acquise avec le cognac.

Une diversification cohérente vers les autres spiritueux et la naissance de Spirits Valley

En réponse aux crises et pour anticiper les cycles à la baisse du marché du cognac, les acteurs, internes et externes au territoire, ont mené des stratégies de diversification en développant des gammes de spiritueux haut de gamme, autres que le cognac : vodka, gin, whisky, brandy, liqueur, etc. Ce développement s’appuie sur la mobilisation des savoir-faire ancestraux mobilisés dans le cadre de la production de cognac, notamment ceux relatifs à la distillation et vieillissement. Le développement des spiritueux autres que le cognac connaît depuis une forte croissance sur le territoire, entraînant avec lui l’ensemble de la filière.

Les premières initiatives ont vu le jour dans les années 1980 : la liqueur Alizé, à base de cognac, puis Hpnotiq, un spiritueux issu d’un assemblage de vodka, de cognac et de jus de fruit créé par un américain en partenariat avec la maison Merlet. Ces boissons, qui existent toujours, ont connu un succès limité, mais ont le mérite d’avoir apporté une inspiration nouvelle sur le territoire. Deux success stories ont ensuite montré le potentiel des savoir-faire cognaçais pour la fabrication de spiritueux haut de gamme : la vodka Grey Goose produite depuis 1997 « qui se vend aujourd’hui à plus 50 millions de bouteilles dans le monde » et la vodka Cîroc, une vodka produite à partir de raisins.

La vodka Grey Goose a été élaborée comme un produit de luxe par le milliardaire américain Sidney Frank qui s’est associé à un maître de chai de la maison de Cognac Henri Mounier. L’intuition de son fondateur est qu’il n’existait pas de vodka haut de gamme à destination du marché américain. Sidney Frank, « une sorte de Steve Jobs des spiritueux, un petit génie du marketing, qui avait réussi à faire d’une marque de liqueur allemande “Jägermeister” un produit international », a cherché à capitaliser sur le prestige de l’image française et des savoir-faire du Cognaçais. Face au succès, Grey Goose a attiré les investisseurs et la marque est devenue la propriété du groupe Bacardi en 2004.

La vodka Cîroc a été créée par la maison Villevert, une maison de spiritueux qui est une émanation d’un portail de vente de vins et spiritueux sur internet EuroWineGate créé par Jean-Sébastien Robicquet, un œnologue et distillateur. Au début des années 2000, Jean-Sébastien Robicquet expérimente des distillations de vins. Ses recherches aboutissent à la création de la vodka Cîroc, en collaboration et pour le compte du groupe Diageo. La maison Villevert a depuis développé plusieurs alcools haut de gamme premium : vodka, gin, cognac, etc.

Le développement de ces produits a mis en lumière les savoir-faire présents sur le Cognaçais et l’exigence en matière de qualité qui permet aux productions locales de se positionner sur les créneaux premium et super-premium sur les marchés mondiaux (le premier désigne les spiritueux vendus entre 22,5 et 30 dollars, le second désigne les spiritueux vendus entre 30 et 45 dollars).

À partir de là, les petites maisons de Cognac ont pris conscience qu’elle pouvait diversifier leur gamme avec un portefeuille plus large (gin, vodka, whisky, liqueur, brandy, etc.). C’est le cas, par exemple, de la maison de Cognac Ferrand qui a créé le Gin Citadelle dès 1996, puis s’est diversifié dans la production de liqueur (liqueur Curaçao, liqueurs de fruits) et dans la production de rhum (la maison Ferrand fait notamment vieillir des rhums des Caraïbes en fûts de cognac). D’autres produisent aussi du whisky comme la société Bellevoye. La maison Bache-Gabrielsen produit un brandy, une eau-de-vie de vin, plus simple que le cognac, sourcé à partir de différents raisins provenant d’ailleurs en Europe. Le prix de revient est beaucoup moins cher et constitue un produit d’entrée de gamme pour certains marchés.

Cette stratégie de diversification est principalement le fait des petites maisons de Cognac. Les grandes maisons, du fait de leur appartenance à de grands groupes mondiaux de spiritueux qui comptent déjà dans leur portefeuille d’autres spiritueux, ne s’inscrivent pas dans cette stratégie.

En revanche, la crise du cognac des années 1990 et le développement de nouveaux spiritueux sur le Cognaçais ont permis une prise de conscience collective sur le territoire de la capacité des acteurs à se diversifier vers d’autres produits et d’autres marchés. Cela a fait naître ou a accéléré une stratégie de diversification pour les entreprises du territoire à travers des produits qui s’inscrivent dans une logique de « spécialisation cognitive » du territoire12.

C’est ainsi que de nouvelles activités ont émergé. On peut citer le vinaigre Beaume-de-Bouteville13 ou le décor sur verre de l’entreprise Bernadet pour des produits aussi divers que des parfums ou de la lessive. La trajectoire des entreprises du Cognaçais est, à ce titre, particulièrement intéressante. Historiquement majoritaire, la part du chiffre d’affaires des entreprises du packaging, de la valorisation du cognac et de l’accompagnement de la viticulture réalisée avec les maisons de négoce du cognac a diminué et est, certaines fois, devenu minoritaire. La tonnellerie Taransaud, par exemple, qui ne travaillait que pour les maisons de négoce de Cognac (et surtout Hennessy) ne réalise aujourd’hui que 25 % de son chiffre d’affaires sur le Cognaçais. Ce rééquilibrage est lié à une stratégie de diversification de produits (vers les fûts à vins pour Taransaud) qui a permis une diversification des marchés, y compris à l’international. Les activités, y compris les plus spécifiques comme la tonnellerie ou la fabrication d’alambics, ont su se diversifier et trouver des débouchés en dehors du Cognaçais.

Atlanpack, un cluster né des besoins de nouveaux débouchés pour les acteurs de l’emballage

Atlanpack est un cluster réunissant les professionnels de l’emballage en région Nouvelle-Aquitaine. Il se présente comme le « cluster Graphic et Packaging » et le « pôle de compétences régional de référence dans le domaine de l’emballage ». Le cluster regroupe des entreprises liées à différentes filières (alimentaire, pharmaceutique, etc.) et traitant différents matériaux : bois, papier, carton, verre, métal, plastique. La filière bois, papier, carton est prédominante. Les principales entreprises du secteur sont concentrées sur le Cognaçais et sur le Bordelais. La structure a été créée en 1998 à Cognac à partir des réseaux fortement ancrés sur le territoire. Elle visait alors à répondre au besoin de diversification des débouchés des acteurs du packaging impactés par la crise du cognac des années 1990.

Depuis, le cluster s’est développé et s’est structuré autour de plusieurs missions : i) la coopération entre les entreprises, les organismes de R&D et les centres de formation afin de développer l’innovation technique et matériaux ; ii) la communication, la représentation et la promotion des entreprises membres ; iii) l’animation de la filière afin d’identifier les besoins, de saisir les opportunités sur des marchés porteurs et faciliter la mise en relation entre les fournisseurs et les donneurs d’ordres en France et sur les marchés internationaux.

Atlanpack organise également des salons et des rencontres professionnelles dont l’objectif est de promouvoir l’attractivité du territoire, le savoir-faire et la notoriété de ses adhérents. Le cluster contribue enfin au développement et à l’accompagnement de formations diplômantes du supérieur en Charente (Bac +3 à Bac +5).

Spirits Valley et la naissance d’une filière spiritueuse à Cognac

Cette prise de conscience de la richesse et de la diversité des activités de production de spiritueux et des activités connexes a eu lieu sur le territoire au cours des années 2000. La Chambre de Commerce et d’Industrie (CCI) s’est emparée du sujet au début des années 2010 amenant des réflexions sur l’idée d’une filière des spiritueux au-delà du cognac. De ces réflexions est né le cluster Spirits Valley en 2016 qui se définit comme « le cluster des spiritueux super premium ».

D’un point de vue sectoriel, le cluster Spirits Valley inclut toutes les activités « de la distillation jusqu’à la consommation » avec un ciblage sur les produits finis. La viticulture et les activités connexes ont été exclues du champ de Spirits Valley du fait que la viticulture sur les terres du cognac est déjà très encadrée et accompagnée. D’un point de vue géographique, le cluster Spirits Valley s’inscrit à l’échelle de la vallée de la Charente intégrant de fait les bassins d’emplois d’Angoulême, de Cognac, de Saintes et de Rochefort. La naissance du cluster Spirits Valley a révélé la difficulté à reconnaître et à soutenir le développement d’autres spiritueux sur le Cognaçais. On retrouve ici les considérations prêtées à toute innovation qui sort des limites de l’appellation « Cognac ». Cette évolution qui constitue un changement drastique, a nécessité une acculturation du territoire à l’idée d’une filière des spiritueux à Cognac.

Le cluster Spirits Valley a trois missions principales.

• Le développement économique via « la création d’un lien et d’une communauté autour des spiritueux ». Spirits Valley accompagne les entreprises et cherche à créer du dialogue et de l’échange pour se connaître et travailler sur des problématiques plus globales. Cela passe par l’organisation de rencontres B٢B, de points d’information réguliers, de visites d’entreprises, d’organisations d’évènements comme le café de l’adhérent, ainsi qu’un peu de veille et d’accompagnement.

• La formation. L’objectif est de préserver les savoir-faire présents sur le territoire et de participer au travail de lobby des acteurs du travail pour attirer de nouvelles formations sur le territoire. Une action de Spirits Valley vise, par exemple, à mettre en place un Spirits forum pour présenter les savoir-faire (illustrés par des témoignages d’entreprises) et les formations en adéquation pour arriver à ces métiers et l’acquisition de ces compétences.

• L’attractivité du territoire. L’objectif est d’accompagner la promotion du territoire en travaillant avec les acteurs locaux sur la question des infrastructures, des connectivités, du cadre de vie, de l’immobilier, du tourisme et de la formation. Certains points constituent un atout pour le territoire (le cadre de vie par exemple) tandis que d’autres sont considérés comme des points faibles à travailler (les infrastructures ferroviaires par exemple).

Selon le cluster Spirits Valley, le Cognaçais, et plus largement le Val de Charente produit 50 % de la production mondiale de spiritueux super premium en volume et 80 % de la production française de spiritueux en valeur. En 2016, 800 à 900 entreprises ont été recensées sur la vallée de la Charente et 12 000 emplois directs ont été comptabilisés. 90 % des entreprises sont des TPE-PME avec moins de 10 salariés, voire des entreprises individuelles. Le cluster Spirits Valley estime le chiffre d’affaires cumulé de la filière à 8 milliards d’euros, dont 4 milliards sont générés par les spiritueux (cognac et autres spiritueux) et 4 milliards par le reste de la filière en amont.

Un vaste dispositif de formation

Le Cognaçais dispose d’une offre de formation initiale et continue répondant pour partie aux besoins de la filière cognac et spiritueux du territoire, y compris sur sa partie amont pour la viticulture et pour les activités connexes en lien avec le packaging. Ce niveau d’offre se révèle atypique pour un territoire de cette taille et témoigne de sa forte dynamique économique. Rappelons que le Cognaçais est un territoire à dominante rurale (18 000 habitants pour la ville de Cognac et 26 000 habitants pour son agglomération) au sein d’un département, la Charente, lui-même très rural et dont la principale ville, Angoulême, est une ville de taille moyenne (40 000 habitants environ pour la ville et 140 000 habitants pour son agglomération). Les formations de l’enseignement supérieur post-bac existant sur le territoire démontrent une spécificité du territoire et témoignent de son attractivité pour des acteurs de la formation.

La formation initiale et l’Université des spiritueux

L’Université des spiritueux est un campus universitaire localisé à Segonzac, une commune d’environ 2 000 habitants située en plein cœur de l’appellation « Cognac ». Le campus est une antenne délocalisée de l’Université de Poitiers. Elle mène des activités de formation et de recherche en lien avec la filière des spiritueux.

L’origine du site date de 1988. À l’époque, une formation universitaire de niveau Bac +5 est créée à la demande du maire de Segonzac, Paul Hosteing. L’histoire raconte que celui-ci était parti en vacances à Suze-la-Rousse (Drôme) où des formations universitaires sur le domaine du vin avaient été créées au milieu du vignoble. Paul Hosteing a souhaité faire une réplique de cette formation sur les eaux-de-vie.

L’Université des spiritueux dispense maintenant des formations de niveau Bac +5 dans les domaines du droit et de la gestion des entreprises des spiritueux. L’offre de formation inclut une formation de niveau master 2 : un master en Droit : « Droit, gestion et commerce des spiritueux », en couplage avec un master de commerce international sous la responsabilité de l’Institut d’Administration des Entreprises (IAE), le master « Commerce international des spiritueux ». Depuis 2015-2016, la formation est ouverte à l’alternance en contrat de professionnalisation ou en contrat d’apprentissage. Ces formations forment « des cadres et des cadres intermédiaires polyvalents » répondant aux besoins des entreprises vitivinicoles dans les secteurs du négoce, du conseil ou du commerce.

L’offre universitaire est complétée en amont par une licence professionnelle « droit et commerce des vins et spiritueux » dispensée au lycée agro-viticole de l’Oisellerie à Angoulême et un BTS agricole viticulture – œnologie. Il existe également un diplôme niveau Bac +3 spécialisé sur les métiers du packaging.

Malgré un premier constat positif, il apparaît que l’offre de formation sur le territoire est insuffisante et manque de cohérence. « Le tissu de formation n’est pas si mal, mais il n’est pas assez connu et il y a le problème du continuum de formation. Un jeune qui veut se former peut faire un BTS viti-œnologique, une licence commerce des vins et spiritueux, ensuite il n’y a pas de Bac +4 et enfin un master 2 en droit. Il n’y a pas assez de cohérence : on commence sur de la viticulture – œnologique, du commerce pour finir en droit », souligne un acteur. Un autre regrette l’absence de formation sur la qualité , « sur le lean manufacturing, sur les enjeux de développement durable, sur les process RSE, etc. ». « Les grandes boîtes ont des cabinets externes et des cadres spécialisés. Mais, pour les entreprises de taille plus modeste, il n’y a rien. Il y a un enjeu de pérenniser les savoir-faire, d’assurer les besoins des entreprises », explique-t-il.

Les acteurs locaux, notamment la communauté d’agglomération de Grand Cognac, qui dispose désormais d’une compétence sur l’enseignement supérieur (un schéma local a été travaillé avec Grand Angoulême pour avoir une logique de territoire), soutiennent le développement de l’offre de formation sur le territoire. Il y a la volonté de développer les formations autour de l’axe universitaire existant avec l’idée d’une « Spirit University » en offrant un continuum de formation. Cela pourrait se traduire, à terme, par la création d’un DEUST (Diplôme d’études universitaires scientifiques et techniques, à niveau Bac +2) spécialisé sur les spiritueux et d’un master 1 lié au master 2 existant. Cette volonté d’un continuum universitaire est confrontée à la lenteur des pratiques administratives universitaires. Il y a, malgré son implication de longue date et la mobilisation des directeurs de la formation, une certaine méconnaissance entre le siège de l’Université de Poitiers et l’antenne délocalisée de Segonzac : « Il y avait une méconnaissance réciproque entre les acteurs locaux dans le Cognaçais et l’Université de Poitiers. L’Université de Poitiers connaissait peu la formation de Segonzac. Inversement, les gens en local ne savaient pas qu’il y avait un portage par l’Université de Poitiers ».

En l’absence de réponse de l’Université, d’autres acteurs privés commencent à investir sur le territoire, encouragés par les acteurs locaux désireux de voir se développer l’offre de formation locale et de proposer une offre cohérente avec un besoin territorial. L’école de commerce de Nantes, Audencia, a ainsi ouvert un bachelor « Culture et Management des Spiritueux » et un « Master of Science in Cognac and Spirits Management ». La communauté d’agglomération du Grand Cognac travaille également à l’implantation d’une antenne du Conservatoire national des arts et métiers (CNAM) sur le territoire.

La formation continue et le Centre international des spiritueux (CIDS)

Le Centre international des spiritueux (CIDS) est une association de professionnels de la filière des spiritueux localisée à Segonzac. Il a été créé par Sébastien Dathané dans les années 2000, pour répondre au besoin de l’Organisation internationale de la vigne et du vin (OIV) de s’appuyer sur un observatoire des eaux-de-vie. Le CIDS est né dans le sillage de l’Université des spiritueux pour répondre également à un besoin de formation continue dans le domaine des spiritueux : « L’idée était de développer une association sur des activités non prises en charge par l’Université ».

Le CIDS assure plusieurs missions : un travail de veille avec la collecte et la diffusion de toutes les informations ayant trait au monde des vins et spiritueux ; la dispense de formations relatives à la connaissance de la filière et aux techniques de dégustation, de ventes et de production ; la production de données et d’études concernant les spiritueux, les marchés, les entreprises et les marques. 19 formations sont disponibles dans le catalogue de formation du CIDS, organisées selon quatre axes : les fondamentaux, l’élaboration d’un spiritueux, la dégustation et la vente, et l’organisation et la gestion. Plus spécifiquement, le CIDS dispense des formations, par exemple, sur la connaissance des produits, sur l’animation d’une dégustation, sur la connaissance des arômes alimentaires, sur les parcours de création d’une micro-distillerie, etc.).

Le CIDS accueille des professionnels de la région, des personnes en reconversion, des visiteurs venant du monde entier pour se former sur un aspect des spiritueux. Le CIDS a pour particularité de posséder une vision et une reconnaissance internationale dans le domaine des spiritueux avec une connaissance de l’ensemble des spiritueux et des acteurs agissant à l’échelle mondiale. En 2019, 348 personnes y ont été formées.

Une convention de partenariat a été signée en 2020 entre le CIDS et l’Université afin de mieux délimiter les champs d’intervention de chacun. L’Université est plus spécifiquement en charge de la formation initiale et possède une entrée plus théorique, tandis que le CIDS s’adresse plus spécifiquement à la formation continue avec une approche plus opérationnelle et plus technique. Néanmoins, malgré cette distinction, il peut y avoir des croisements à la marge qui sont acceptés par les deux structures. Par exemple, le CIDS propose des formations en marketing, tandis que l’Université dispense des cours techniques (présentation des produits et formation sensorielle par exemple). Il y a, de plus, un partage des intervenants, du réseau professionnel et des installations techniques. Le CIDS met notamment à disposition de l’université de Poitiers ses installations techniques : possibilité de disposer de l’alambic pédagogique, accès à la spirithèque, partage de la documentation, partage d’outil technique pour le travail au quotidien.

Cette dynamique locale autour de la formation et la volonté d’élaborer une offre complémentaire répondent d’un besoin de promouvoir l’offre de formation sur le long terme. Cette disponibilité de l’offre de formation est saluée par les entreprises du territoire malgré les manques pointés par ailleurs.

  • 12 – Le processus d’accumulation « de savoir-faire spécifiques sur les territoires implique une spécialisation et une cohérence cognitive forte et conduit ainsi à l’existence non pas d’un système productif local (logique de spécialisation sectorielle), mais plutôt d’un système local de compétences » (Ferru, 2009). Le développement de nouveaux produits ne repose plus seulement sur un secteur spécifique mais sur un type de compétences. Voir aussi Granier et Ellie (2021).
  • 13 – La Compagnie de Bouteville est la première entreprise hors spiritueux qui mobilise les savoir-faire historiques de la distillation et du vieillissement du cognac pour produire des produits agroalimentaires non alcoolisés. Elle produit un vinaigre balsamique : le Baume de Bouteville, décliné dans une gamme comprenant cinq références selon le type de vieillissement et le type de barrique utilisée pour son vieillissement.

 

PARTIE III – Mécatronique et industries du process, des colosses aux pieds d’argile

Autre secteur clé du Territoire d’industrie Angoulême-Cognac, la mécatronique et les industries du process montre une tout autre dynamique que l’industrie du cognac et des spiritueux.

La surreprésentation des emplois dans quelques entreprises appartenant à des groupes mondiaux de moins en moins engagés localement fait peser un risque sur les emplois dans le territoire, notamment dans le bassin angoumoisin.

Chapitre 6

Un grand secteur, un petit nombre d’acteurs

Le secteur de la mécatronique et de l’industrie des process recouvre de nombreux sous-secteurs d’activités où l’emploi se concentre dans une poignée d’entreprises.

Quelles activités du territoire sont concernées ?

La mécatronique se définit comme une discipline alliant la mécanique, l’électronique, l’informatique et l’automatique pour concevoir, fabriquer et entretenir des systèmes de production industrielle. Dans les faits, toutes les entreprises du territoire classées dans ce secteur ne conjuguent pas l’ensemble de ces caractéristiques. Selon certains acteurs, « le terme mécatronique pour qualifier une frange de l’industrie du territoire est très généraliste et un peu galvaudé : c’est une facilité de parler de mécatronique ». C’est pour cette raison que le terme de « mécatronique et industries du process » est dorénavant utilisé par les institutions locales pour décrire cette partie du tissu industriel.

Au sein de ce terme générique de mécatronique et d’industries du process, le dénominateur commun le plus fort entre les principaux industriels du territoire, hors cognac, est l’énergie : SAFT est spécialisé dans le stockage de l’énergie avec batterie, Nidec Leroy-Somer fabrique des moteurs, Schneider Electric est spécialiste des contrôles commandes et des bornes de recharge, etc. Cet objet commun ne se matérialise pas pour autant par des relations d’affaires entre ces grandes entreprises.

Au-delà des industries tournées vers l’énergie, d’autres secteurs industriels du territoire peuvent également, pour une part tout du moins, être considérés comme appartenant à l’industrie du process et de la mécatronique par les méthodes de production mobilisées. C’est le cas du secteur fabrication de machines et équipements (non compris ailleurs) auquel appartient notamment Naval Group, anciennement DCNS. C’est aussi le cas du secteur autres industries manufacturières ; réparation et installation de machines et d’équipements qui référence notamment la société Conception Industrielle et Technologies Futures (CITF) localisée à Saint-Cybardeaux et spécialisée dans les domaines de la robotique, de l’automatisme, de l’électricité et de la mécanique pour la conception industrielle. Les sociétés Airbus Flight Academy Europe située à Cognac et Safran Aerosystems Services Europe localisée à Ars, toutes deux spécialisées dans la gestion de la maintenance des avions, appartiennent également à ce secteur.

Des dynamiques d’emplois contrastées

Du point de vue de la nomenclature des activités économiques A38 et au vu des connaissances accumulées sur l’histoire industrielle du Territoire d’industrie Angoulême-Cognac, on peut regrouper au sein de la mécatronique et des industries du process les trois secteurs évoqués précédemment – fabrication d’équipements électriques, fabrication de machines et équipements (non compris ailleurs), autres industries manufacturières ; réparation et installation de machines et d’équipement – auxquels s’ajoute le secteur fabrication de matériels de transport.

Totalisant le plus d’emplois, le secteur fabrication d’équipements électriques est également le plus spécifique des secteurs appartenant aux industries du process et de la mécatronique. Il est 7,8 fois plus présent sur le territoire qu’en moyenne en France (figure 6.1). Cependant, malgré cette position dominante et un ancrage historique, ce secteur est en forte décroissance sur le territoire en termes d’emplois sur la période 2007-2016 mais également sur le temps long (Chauchefoin et Guimond, 2013). Cette décroissance s’explique par un effet local négatif s’ajoutant à un effet sectoriel négatif.

Les autres secteurs inclus dans l’industrie du process et la mécatronique, même s’ils pèsent moins en termes d’emplois, présentent à l’inverse des effets locaux positifs, y compris le secteur autres industries manufacturières ; réparation et installation de machines et d’équipements en décroissance sur la période étudiée. Pour ce dernier, les effets locaux positifs ne parviennent pas en totalité à combler des effets sectoriels négatifs.

Figure 6.1 – Évolution de l’emploi dans les industries du process et de la mécatronique sur le Territoire d’industrie Angoulême-Cognac

Source : RP, Insee, NAF A38, calculs des auteurs

À partir d’une nomenclature plus fine telle que la NAF 732 (figure 6.2), 11 sous-secteurs (A732) peuvent être considérés comme appartenant à l’industrie du process et de la mécatronique. Parmi eux, 5 sont très spécifiques au Territoire d’industrie : fabrication de moteurs, génératrices et transformateurs électriques (indice de spécificité de 31), fabrication de matériel de distribution et de commande électrique (indice de spécificité de 9), construction de navires et de structures flottantes (indice de spécificité de 12), fabrication de piles et d’accumulateurs électriques (indice de spécificité de 28), fabrication d’autres machines d’usage général (indice de spécificité de 7). Or, mis à part le secteur construction de navires et de structures flottantes (dont la dynamique locale positive est à mettre au crédit de Naval Group) et le secteur fabrication d’autres machines d’usage général sur la période 2016-2018, ces secteurs très spécifiques ont comme point commun de connaître un déclin de l’emploi plus marqué sur le territoire que dans la France entière.

À l’inverse, les croissances d’emploi de ces dernières années et les effets locaux positifs au sein des industries du process et de la mécatronique s’observent dans les secteurs les moins spécifiques ou même non spécifiques.

Sans surprise, l’analyse de l’évolution de l’emploi à cette échelle sectorielle fine corrobore celle réalisée au niveau A38, à savoir :

• une chute des emplois dans la fabrication d’équipements électriques à cause d’effets sectoriels négatifs accentués par des effets locaux négatifs ;

• une croissance ou un maintien des emplois dans la fabrication de matériels de transport, la fabrication de machines et équipements (non compris ailleurs), autres industries manufacturières ; réparation et installation de machines et d’équipements grâce à des effets locaux très positifs dans un contexte sectoriel morose.

Figure 6.2 – Évolution de l’emploi salarié privé dans les industries du process et de la mécatronique sur le Territoire d’industrie Angoulême-Cognac

Source : Acoss, NAF A732, calculs des auteurs

Des emplois fortement concentrés

Une partie des effets locaux négatifs pesant sur la mécatronique et l’industrie du process peut s’expliquer en partie par la forte concentration de l’emploi dans quelques entreprises. En effet, en 2020 les sous-secteurs les plus spécifiques de l’industrie du process et de la mécatronique ont tous en commun d’être chacun représentés sur le territoire par une ou deux entreprises principales qui regroupent l’essentiel des emplois.

Ainsi le sous-secteur fabrication de moteurs, génératrices et transformateurs électriques est constitué principalement des différents établissements du groupe Nidec Leroy-Somer (environ 1 800 salariés) spécialisé dans la fabrication de moteurs électriques et d’alternateurs. Viennent ensuite loin derrière les entreprises Eagle ABC Technology (entre 100 et 199 salariés) fabriquant des bobines surmoulées pour les industries de l’automobile, du médical et de l’énergie, et BAC Bobinage (20 à 49 salariés) spécialiste en bobinage de selfs, transformateurs, et autres produits spécifiques pour les secteurs aéronautique, militaire, maritime, ferroviaire, spatial, et médical.

Le sous-secteur fabrication de matériel de distribution et de commande électrique est en quasi-totalité représenté par le groupe Schneider Electric à travers plusieurs établissements (environ 900 salariés) qui contribuent à la fabrication de contrôles de commandes et de bornes de recharge. Beaucoup plus à la marge apparaissent ensuite deux entreprises du groupe Ex-tech, fabricant de produits électroniques et électromécaniques et fournisseur de solutions adaptées pour les zones dangereuses en atmosphères explosives.

Le sous-secteur construction de navires et de structures flottantes ne compte qu’une entreprise sur le territoire : Naval Group. L’établissement de Ruelle-sur-Touvre a pour vocation la conception et le développement d’équipements pour les bâtiments de surface et les sous-marins sur deux secteurs : l’informatique et les activités mécaniques d’une part et l’électronique d’autre part.

Le sous-secteur fabrication de piles et d’accumulateurs électriques est quant à lui constitué sur le territoire de deux entreprises totalisant un nombre d’emplois assez proche et toutes les deux localisées dans la même zone industrielle à Nersac : Arts Energy et SAFT. Les deux entreprises sont expertes des solutions de stockage de l’énergie (batterie).

Le sous-secteur fabrication d’autres machines d’usage général concentre deux entreprises principales : OMIA (100 à 199 salariés) à L’Isle d’Espagnac spécialisée dans la fabrication de cabines de peinture automobiles et industrielles et Chalvignac Process Distillation (50 à 99 salariés) à Châteaubernard, près de Cognac. Cette dernière, directement liée à l’industrie du cognac, conçoit, réalise, installe et assure la maintenance de tous systèmes de production de spiritueux haut de gamme.

Comme nous l’avons mis en évidence précédemment, les sous-secteurs des industries du process et de la mécatronique en croissance sont les moins spécifiques. Leur dynamisme est souvent porté par un petit nombre de PME locales indépendantes, et parfois par de petites unités de grands groupes.

Chapitre 7

Semer des chênes et des roseaux

Sur le territoire, la mécatronique et les industries du process se caractérisent par deux types d’acteurs dont les dynamiques sont le plus souvent opposées : d’une part, des grandes entreprises du secteur de la fabrication d’équipements électriques notamment dont les effectifs décroissent et qui appartiennent à des multinationales, d’autre part, des PME locales en croissance. Ces tendances opposées – auxquelles échappent Naval Group – ne signifient pas pour autant que les entreprises appartenant à de grands groupes n’apportent rien au territoire et que seules les PME locales ont un effet positif sur l’économie. Potentiellement, même si, majoritairement, elles réduisent leurs volumes d’emplois et d’activités sur le territoire, ces grandes entreprises peuvent être vectrices de dynamiques pour les PME, à condition que des transferts de savoir-faire, de compétences et de technologies, ainsi que des collaborations aient lieu avec le tissu local.

La fabrication d’équipements électriques, une activité clé peu enracinée

La fabrication d’équipements électriques est une activité clé du territoire (et notamment sur le bassin angoumoisin) du point de vue de l’emploi (3 239 emplois en 2016). Cependant, elle tend depuis plusieurs décennies à perdre de son importance en termes d’emploi alors que, paradoxalement, le développement des véhicules mobilisant l’énergie électrique est en plein développement. Globalement, en France, il y a plus de destructions que de créations d’emplois dans ce secteur depuis au moins 30 ans. Au-delà de cette tendance nationale, le territoire semble particulièrement touché. Afin de comprendre ce phénomène, il convient d’identifier le positionnement des entreprises locales sur leurs marchés, leurs organisations et leurs stratégies14.

Une internationalisation des grandes entreprises aux dépens de leur ancrage local

Les principales entreprises du secteur (Nidec Leroy-Somer, Schneider Electric, SAFT) sur le Territoire d’industrie ont leur siège social ailleurs en France ou à l’étranger. Surtout leur capital est de plus en plus, voire totalement pour certaines, international et à dominante étrangère ; Leroy-Somer est détenue par le groupe japonais Nidec et les deux actionnaires principaux de Schneider Electric sont des sociétés de gestion nord-américaines (Sun Life Financial et BlackRock à hauteur respectivement de 8,5 % et de 6,2 % du capital au 31 décembre 2019 ; Les échos, 2018).

Les décisions financières ne se prennent donc pas sur le territoire, qui subit plus qu’il n’agit sur les décisions de ces groupes multinationaux. « Pour Nidec Leroy-Somer et Schneider Electric, il y a un risque pour qu’un jour il y ait de la casse sociale », concèdent les acteurs territoriaux.

Cela est renforcé par le fait que les activités locales ne constituent pas nécessairement les activités les plus dynamiques de ces groupes. Par exemple, en Charente, Schneider Electric est spécialisée dans l’automatisme industriel, l’activité la moins importante (6 milliards d’euros contre 21 milliards d’euros pour l’activité gestion de l’énergie en 2019) et la moins dynamique du groupe (+1 % de croissance organique contre +5,2 % pour la gestion de l’énergie).

Schneider fabrique à Angoulême et L’Isle d’Espagnac des cartes électroniques de petites et moyennes séries et réalise l’assemblage de produits finis électroniques et électromécaniques, de petites et moyennes séries également. Depuis 2006, Schneider Electric a fait de son usine des Agriers à Angoulême son pôle européen de compétences électronique. Néanmoins, dans un contexte de forte croissance pour le groupe durant ces 15 dernières années15, Schneider Electric a réduit ses effectifs sur le Territoire d’industrie Angoulême-Cognac16 comme ailleurs en France « car si la France est le berceau historique du groupe, elle ne représente plus que 6 % du chiffre d’affaires mondial de Schneider Electric (24,7 milliards d’euros en 2016), tout en y concentrant encore plus de 10 % des effectifs » (Le Billion, Les Echos, 2017). Pourtant, Schneider Electric est impliqué dans l’écosystème local, notamment par la voie de Joël-Denis Lutard son directeur local qui est président de la Technopole Eurekatech (voir chapitre 9) et référent entreprise du Territoire d’industrie Angoulême-Cognac.

L’évolution de Leroy-Somer sur le territoire témoigne également des transformations inhérentes à la mondialisation des chaînes de valeur industrielles et à la financiarisation de l’économie. Entreprise historique du territoire, Leroy-Somer a été créée en 1919 en Charente par Marcellin Leroy et a marqué la vie sociale du territoire (Leroy-Somer avait sa propre équipe de football, un centre de formation, etc.). Depuis sa création, l’entreprise axe son développement et son activité sur la fabrication du moteur électrique. C’est après la seconde guerre mondiale que l’entreprise connaît son plus fort développement sur le territoire et à l’international. Au début des années 1990, la mondialisation économique et financière bat son plein et la concurrence internationale s’intensifie. La recherche d’une taille critique pour l’atteinte de nouveaux marchés est la nouvelle norme (mode), favorisant les fusions entre groupes. Dans ce contexte, Leroy-Somer est achetée en 1990 par le groupe américain Emerson (multinationale de 111 000 salariés en 2015) qui en devient l’actionnaire unique. Emerson cède en 2017 Leroy-Somer au constructeur de moteurs électriques japonais Nidec (140 000 salariés dans le monde) pour 1,2 milliard d’euros. Selon le groupe Nidec, Leroy-Somer compte 6 200 salariés à travers le monde.

Les marchés des moteurs électriques et des alternateurs, les deux cœurs de métier de Nidec Leroy-Somer, offrent de belles perspectives de développement selon le groupe. Il a ainsi créé une coentreprise avec PSA en 2017 dédiée à la fabrication de tractions électrifiées (Loeillet, Capital Finance, 2017). Il prévoit en outre de poursuivre l’implantation de sites industriels en Europe, en Amérique du Nord et du sud, au Mexique, en Inde, et en Chine (en plus de la trentaine de sites de production de l’entreprise Nidec Leroy-Somer).

En France, Nidec Leroy-Somer a réalisé en 2019 un chiffre d’affaires de 550 millions d’euros17, soit 4 % du chiffre d’affaires du groupe Nidec (13,7 milliards d’euros) (Le Petit économiste, 2019). En 2019, l’entreprise employait 1 800 salariés sur sept sites localisés autour d’Angoulême (Ortavent, Sud Ouest, 2019). Le changement d’actionnaire de l’entreprise s’accompagne depuis 2019 d’un projet d’investissement et de restructuration des activités dans l’objectif de diminuer les coûts de structure selon des propos de son président (ibid.). En particulier les établissements charentais sont concernés par la fermeture sans licenciement de trois des sept sites présents sur le territoire (Champniers, Agriers et Rabion). Les activités vont être renforcées sur les sites de Sillac (siège de l’entreprise où 30 millions d’euros vont être investis pour moderniser le site), Mansle et Gond Pontouvre. L’activité fonderie (Nidec Leroy-Somer possède sa propre fonderie lui permettant de fabriquer ses moteurs) sera préservée sur le site de Rabion où des investissements ont déjà eu lieu18. Toutefois, la crise économique générée par le Covid-19 fait peser des craintes chez les partenaires sociaux sur la manière dont cette restructuration va avoir lieu. Dans une interview à la plateforme actu.fr en date du vendredi 23 octobre 2020, la CGT Métallurgie de Charente indique que « la situation est compliquée chez Leroy-Somer. On perd de l’argent, la réorganisation industrielle (décidée en 2019, NDLR) se met en place difficilement » (Bonnet, Actu.fr, 2020). Le syndicat craint que l’ensemble des salariés ne puissent être reclassés dans un contexte de baisse d’activité de 40 % sur l’année 2020 pour l’entreprise, qui fin 2020 bénéficiait toujours de mesures de chômage partiel et négociait un accord d’activité partielle de longue durée.

Le positionnement des unités locales dans les chaînes de valeur mondialisées de ces groupes – et de leurs marchés/secteurs – et les facteurs d’ancrage au territoire représentent des éléments d’explication sur la dynamique passée (effets territorial et sectoriel négatifs) et des indicateurs pour les dynamiques futures.

L’Airbus de la batterie, un arbitrage entre compétences territoriales et stratégies d’entreprises

Le territoire possède grâce aux activités des entreprises SAFT (filiale du groupe Total) et Arts Energy une expertise et un savoir-faire reconnus dans la fabrication des batteries. Selon un acteur local, les trois technologies les plus utilisées dans la production de batteries sont présentes sur le territoire. C’est notamment pour cette raison que le site de SAFT à Nersac a été choisi comme usine pilote dans le cadre du projet « Airbus de la batterie » pour expérimenter la fabrication d’accumulateurs dédiés aux voitures électriques. Toutefois, il ne s’agira pour le territoire que d’un projet pilote qui ne sera pas suivi de l’implantation d’une usine pour la production en grande série de ces batteries. En effet, ce sont les sites du groupe Stellantis à Douvrin (PSA) en France et Kaiserlautern (Opel) en Allemagne qui accueilleront deux « gigafactories » en charge de la production en grande série.

Ce choix se justifie par la présence de Stellantis dans le consortium à l’initiative du projet aux côtés de SAFT/Total. Il interroge toutefois quant à la compatibilité entre les compétences nécessaires pour la fabrication de batteries électriques et celles actuellement mobilisées sur le site de Douvrin par PSA où sont actuellement fabriqués et assemblés des moteurs thermiques. À ce niveau, des enjeux politiques et stratégiques se mêlent aux logiques de spécificités économiques et de compétences territoriales. En particulier, dans un contexte d’évolution de la stratégie des groupes automobiles français vers le tout électrique, sur le modèle de leurs voisins allemands, avec l’intégration de la conception des batteries dans leurs systèmes productifs, le choix de Stellantis de localiser une gigafactory à Douvrin, aux portes du bassin automobile allemand et de ses nombreux sous-traitants, prend sens. Selon Bernard Jullien, maître de conférences en économie et spécialiste de l’industrie automobile, « contrairement à ce que disaient certains constructeurs il y a deux ou trois ans, la batterie est maintenant au cœur des compétences. En ce sens, ce n’est pas un problème si le site de Douvrin n’a pas d’expérience dans la batterie avant le développement de celles-ci. La batterie sera au cœur de la valeur du produit et fera la différence par rapport à la concurrence ». Cette évolution vers le tout électrique des constructeurs devrait s’accompagner d’une clusterisation de l’industrie automobile avec, en France, deux zones propices à ce développement : le Nord (Douvrin, Douai) et l’Est (Sochaux, Mulhouse).

Dans ce contexte, et malgré le projet de l’Airbus de la batterie, les effectifs du secteur de la batterie sont en décroissance forte depuis de nombreuses années, en France comme sur le territoire, notamment pour SAFT. Le marché de la batterie connaît une progression continue qui s’accentuera dans les années à venir mais la compétition mondiale demeure féroce pour se positionner dans la chaîne de valeur de ce produit qui lui-même occupe une place de premier ordre dans la valeur ajoutée d’autres produits (ex : automobiles). Partout dans le monde des « gigafactories » se développent pour répondre à cette demande forte et pour diminuer les coûts de production. La manière dont les groupes européens, de l’énergie et de l’automobile, et les pouvoirs publics (Union Européenne, États, Régions) vont se coordonner pour développer une stratégie visant à capter une part importante de la valeur des produits nécessitant des batteries aura un impact sur la dynamique industrielle des territoires spécialisés dans ces secteurs.

Naval Group et les PME, principaux vecteurs de croissance

Les fabricants de machines, notamment en lien avec les activités agricoles et industrielles de Cognac, connaissent une dynamique locale plutôt positive sur la période 2016 – 2018. Toutefois, leur poids dans l’emploi demeure bien inférieur à celui de Naval Group dont l’établissement situé à Ruelle-sur-Touvre est le principal moteur de la croissance locale de l’emploi des industries du process et de la mécatronique. Autrement dit, l’effet local positif de cette industrie sur le territoire est principalement le résultat d’une stratégie de groupe dans un contexte historique favorable plutôt que celui d’un système local de coopération entre acteurs du secteur ou de gouvernance particulier.

La croissance des activités d’Airbus Flight Academy Europe (Mirkovic, Ouest-France, 2019) et de Safran Aerosystems Services Europe semble suivre la même logique même si la crise sanitaire du Covid-19 qui touche particulièrement le secteur aéronautique est susceptible d’avoir des conséquences négatives sur ces entreprises. Ces stratégies de groupe qui impactent positivement la dynamique du secteur sur le territoire – au moins jusqu’à la crise du Covid-19 – ne doivent néanmoins pas occulter le rôle positif joué par des PME locales innovantes comme CITF.

Le site charentais fortement ancré au sein de Naval Group

Présent dans le monde entier (18 pays) à travers des bureaux de représentations, des filiales et des joint-ventures, Naval Group conçoit, intègre, maintient en service, démantèle et déconstruit des sous-marins et des navires de surface et propose un panel de solutions dans les énergies marines renouvelables. D’ores et déjà leader européen de l’activité navale de défense, le groupe qui emploie près de 14 860 personnes a l’ambition de devenir le numéro un mondial du secteur. Son chiffre d’affaires est en constante augmentation depuis 2014 et a atteint 3,7 milliards d’euros en 2019. Les prises de commandes (5,3 milliards d’euros en 2019) et les carnets de commandes (15 milliards d’euros 2019) sont également en croissance depuis plusieurs années. « Naval Group réalise plus de la moitié de son chiffre d’affaires sur les constructions neuves de navires, et un tiers environ sur les activités de services », selon le rapport RSE 2019 du groupe. Selon ce même rapport, le groupe a pour objectif d’atteindre environ 5 milliards d’euros de chiffre d’affaires dans 10 ans, via « une croissance à l’international ».

Société de droit privé, son capital est détenu en 2019 à 62,25 % par l’agence des participations de l’État, à 35 % par Thales, à 1,88 % par les salariés du groupe, et à 0,86 % par Naval Group.

Le site Naval Group de Ruelle-sur-Touvre est un des dix établissements français du groupe. Il est né en 1750 sous l’impulsion de Montalembert qui décida de convertir une ancienne papeterie en forge afin de produire des fournitures d’artillerie, notamment des canons pour la marine royale. À cette époque, plusieurs villes, le plus souvent maritimes, ont développé des activités d’armement naval dont certaines émanations sont également dans le giron de Naval Group. Historiquement, sous Colbert, les bateaux étaient fabriqués à Rochefort et les canons à Ruelle. Ces derniers étaient acheminés via la Charente. Tout au long de son histoire l’entreprise a produit des éléments d’artilleries et d’armement à partir de ses fonderies, quel que soit le régime politique en place.

Aujourd’hui, le site de Ruelle-sur-Touvre s’inscrit dans la politique équipementière du groupe. D’autres sites fabriquent également des équipements mais le site de Ruelle est le seul à avoir son activité quasi exclusivement tournée vers l’activité d’équipementier renforçant ainsi sa position dans la chaîne de valeur interne. Selon le directeur du site, l’entreprise produit un ensemble d’équipements avec toutefois deux technologies qui ressortent particulièrement : l’informatique au sens large (fabrication de simulateurs) et la mécatronique (lancement de missile, des mâts, etc.). Selon l’entreprise, 1 000 personnes19 travaillent sur le site de Ruelle. Il y a un certain équilibre entre les ouvriers, les techniciens/agents de maîtrise et les ingénieurs. Ces différentes catégories pèsent chacune environ pour un tiers des effectifs. Le directeur ne voit pas ce qui, à long terme, empêcherait le maintien de cet équilibre mais reconnaît que si le plan de charges évolue, il peut y avoir des besoins ponctuels plus importants de tels ou tels profils, notamment des ouvriers.

En termes de gouvernance, Naval Group a un fort pouvoir sur ses différents établissements. Selon le directeur, c’est bien le groupe qui pilote l’ensemble. Ensuite chaque entité à des marges de manœuvre. Cette logique de groupe pose la question des interactions entre les établissements et leurs environnements locaux. « Que ce soit à Ruelle ou ailleurs, les problématiques sont les mêmes. L’inscription dans le tissu local n’est pas plus forte ou moins forte qu’ailleurs. Tous les établissements du groupe ont un ancrage historique sur le territoire. »

La question des compétences locales qui seraient spécifiques et adaptées au secteur naval et qui justifieraient la localisation et le développement futur du site ne trouve pas de réponse au sein de l’entreprise. Selon la direction, tous les sites ont une ancienneté forte sur les territoires dans lesquels ils s’inscrivent. Elle n’imaginerait pas déplacer le site de Ruelle ailleurs pour des raisons politiques, historiques et sociales.

Des PME locales à l’image du potentiel et de la vulnérabilité de la mécatronique et de l’industrie des process sur le territoire

Dans ce contexte général de l’industrie de la mécatronique et des process sur le territoire, des PME locales20 poursuivent leur développement et tirent avantage des compétences présentes (notamment concernant la main-d’œuvre21) grâce au bassin industriel et aux grandes entreprises, même si les connexions avec ces dernières restent mesurées.

C’est le cas par exemple de Luxor Lighting, située à Angoulême et spécialisée dans l’éclairage automobile. Après une période de décroissance liée à la crise de 2008, la société a retrouvé le chemin de la croissance depuis 2016 « par un effet de sortie de crise combinée au démarrage de nouveaux produits ». Elle comptait alors 96 salariés contre 127 aujourd’hui. « Depuis 2018 la croissance est continue et permet d’atteindre en business acquis les 17 millions d’euros en 2020. » Elle devrait atteindre 23 millions d’euros de chiffre d’affaires en 2021 et 27 millions d’euros en 2022, avec l’ambition de « monter à 30 millions d’euros en utilisant la même surface » grâce à une stratégie axée sur l’innovation et le développement de l’usine 4.0 (accompagnement de la Région dans le cadre du projet Usine du Futur).

Luxor Lighting est parfaitement intégrée dans son environnement. Elle fait partie du conseil de développement du Grand Angoulême et a toujours eu, historiquement, des relations avec Grand Angoulême. Elle contribue notamment aux réflexions sur ce que sera le Grand Angoulême dans cinq ou dix ans. L’entreprise a également participé à la première promotion de l’accélérateur PME de la région Nouvelle-Aquitaine, grâce aux conseils de la BPI. Forte de cette expérience « très riche », elle a intégré le 27 octobre 2020 l’accélérateur PME national dédié aux PME de la filière automobile.

La société CITF est un autre exemple de PME locale intéressant, notamment parce qu’elle est née et s’est développée à partir de l’étude des besoins des industriels du territoire. Après dix ans d’expériences dans des entreprises industrielles locales, François Lalut22 crée, en 2009, l’entreprise de conception industrielle CITF à Saint-Cybardeaux dans une ancienne ferme familiale. La création intervient après la crise économique de 2008 à partir du constat que le territoire est composé essentiellement d’usines de 100 à 300 salariés spécialisées dans les préséries (petites et moyennes), dépendant quasiment toutes de grands groupes industriels. Ces grands groupes produisent ensuite les grandes séries dans d’autres territoires et d’autres pays. Il identifie alors des besoins d’innovation auxquels il propose de répondre.

CITF propose des projets personnalisés sur mesure comme l’optimisation de lignes de production, la modification de process ou encore l’intégration de robots. Elle conçoit également des machines innovantes en s’appuyant, notamment, sur une activité de recherche et développement d’ampleur. Le digital occupe une place de choix dans les services et produits de l’entreprise. CITF propose des solutions pour contrôler et gérer les systèmes de production centrées sur l’outil informatique dans le milieu industriel, afin de permettre l’analyse et le regroupement de données informatiques. Historiquement tournée quasi exclusivement vers les industriels charentais (cognac, électricité, mécatronique, etc.) dont de grands comptes du territoire (Nidec Leroy-Somer, Hennessy, etc.), l’entreprise réalise aujourd’hui 40 % de son chiffre d’affaires en dehors du bassin charentais, principalement dans les départements limitrophes.

L’entreprise a connu trois phases dans son développement. D’abord la proposition de services aux entreprises suite à la crise économique de 2008. Ensuite la conception et la production de nouveaux produits grâce à une forte politique d’innovation ensuite. Enfin des investissements sous la forme de croissances externes entre fin 2017 et début 2020. Ces différentes phases se sont accompagnées d’une croissance très forte notamment sur les deux dernières années ayant précédé la crise économique générée par le Covid-19. Pour y répondre, l’entreprise a ouvert des sites à Rouillac (en 2017) et à l’Isle d’Espagnac (en 2018). De 36 salariés en 2015, l’entreprise est montée à 104 salariés en août 2020 avec une moyenne d’âge de 34 ans, s’appuyant notamment sur la construction d’une véritable politique d’emploi et de formation en lien avec les universités, les collèges et les lycées du territoire et de la Région. En 2018, l’entreprise réalisait 4,4 millions d’euros de chiffre d’affaires. Le dirigeant considère que cette croissance est plutôt atypique pour une entreprise de la taille de CITF.

Cette belle réussite a toutefois été très fortement mise à mal par la crise économique liée au Covid-19. Le volume de nouvelles commandes a été divisé par six, revenant à un niveau équivalent à celui de 2014. Étant très dépendante des investissements de ses clients qui représentent entre 80 % et 90 % de son chiffre d’affaires, l’entreprise a été très impactée par la crise globale. En effet, les investissements ont été suspendus dans tous les secteurs hormis chez certains acteurs du cognac et du luxe. L’entreprise avait pourtant conduit une stratégie commerciale orientée sur plusieurs secteurs d’activité avec une très large clientèle (aucun client ne pèse plus de 10 % du chiffre d’affaires) pour limiter les risques. Dans ce contexte, l’entreprise a procédé à une réduction de ses effectifs via des départs volontaires (ruptures conventionnelles) et des licenciements (Plan de Sauvegarde de l’Emploi concernant une vingtaine de personnes signé en août 2020). L’entreprise a par ailleurs été placée en procédure de sauvegarde le 5 novembre 2020. Elle envisage de retrouver un équilibre autour de 30 à 50 salariés en gardant notamment les compétences stratégiques en robotisme et en mécanique.

La trajectoire de CITF met en exergue l’impact du contexte macroéconomique sur le tissu local de l’industrie des process et la mécatronique. Hormis le tissu cognaçais qui résiste bien grâce à la spécificité de son produit et aux marges réalisées depuis plusieurs années, les grandes entreprises du Territoire d’industrie sont touchées par la crise du Covid-19, impactant en cascade les sous-traitants locaux. Cependant, l’histoire de CITF avant cette crise met en évidence le rôle des ressources locales, notamment en termes de compétences dans la mécatronique et les industries du process, comme facteur de développement pour le territoire.

De spécialisations locales aux chaînes de valeurs mondialisées : moteurs et freins des coopérations locales et gisements de croissance

Positionnées dans des chaînes de valeur mondialisées, les principales entreprises industrielles du Territoire d’industrie, y compris les maisons de Cognac, sont dorénavant la propriété de firmes multinationales, parfois étrangères (Nidec Leroy-Somer, Schneider Electric, etc.). Dans les secteurs de la mécatronique et des industries du process, les entreprises du territoire représentent, pour les groupes multinationaux qui les détiennent, des actifs inclus dans de larges portefeuilles d’activités. Au-delà du risque d’absence d’ancrage territorial et de faible engagement de ces groupes sur le long terme – les logiques financières tendent à favoriser sur le court terme la valorisation des entreprises – ces organisations verticales pilotées par des sièges localisés hors du territoire ne favorisent pas forcément les coopérations avec le tissu local. Il existe bien de la sous-traitance avec des entreprises locales mais pas de vrais partenariats ayant pour objectif de créer du business commun.

Naval Group est souvent pris en exemple par les acteurs locaux comme étant une entreprise active envers son environnement mais les échanges avec le directeur du site de Ruelle-sur-Touvre apportent de la nuance à cette vision. En effet, la direction reconnaît que l’établissement travaille avec les entreprises locales, mais ni plus ni moins que les autres entreprises de Naval Group avec leurs écosystèmes locaux. Finalement, dans les choix de sous-traitance et d’achats (fournitures, prestations), « le poids de l’histoire joue dans les relations » et pas nécessairement en faveur du tissu local. Sous l’angle de l’innovation, la direction reconnaît en revanche que « les entreprises locales pèsent un peu ». Mais là encore, les stratégies d’innovation en œuvre à Ruelle-sur-Touvre sont les mêmes que celles développées dans tous les établissements du groupe. Seule la façon de les mettre en œuvre peut différer d’un site à l’autre : sur le site de Ruelle, il y a eu le développement d’un bâtiment « Innov’Factory23 » dédié à l’innovation, au travail collaboratif et à l’échange. Par ailleurs, au travers de l’innovation, Naval Group a développé quelques relations avec de grandes entreprises de cognac mais aucune avec les autres grands comptes du territoire que sont Nidec Leroy-Somer et Schneider Electric.

Du point de vue des acteurs publics locaux qui portent une politique volontariste en matière d’innovation et de rapprochement entre les industries de l’image, d’une part, et les industries du process et de la mécatronique (voir chapitre 10), d’autre part, l’analyse est différente : « Naval Group s’est spécialisé sur la simulation en fédérant quelques entreprises autour d’elle. Il n’y a pas toutes les ressources en interne mais l’entreprise s’appuie sur l’écosystème local. Naval Group met en avant le socle de compétences en local qu’on ne retrouve pas ailleurs ».

D’autres relations sociales construites entre des responsables de Naval Group et des acteurs locaux (entreprises, collectivités, etc.) depuis plusieurs années favorisent les collaborations et leur ancrage dans le temps, au-delà de l’implication de la direction.

Pour l’écosystème local, ces relations construites dans le temps sont bénéfiques et répondent à la fois aux enjeux des grands comptes et des autres entreprises locales (ex : ETSA est sous-traitant de Naval Group). Les grands groupes bénéficient de l’agilité, de la réactivité et de la capacité d’innovation des PME, tout en maîtrisant mieux leurs coûts. La crise du Covid-19 semble avoir permis un changement de paradigme dans la manière dont les gestionnaires et acheteurs des grands comptes opèrent. Selon des acteurs économiques interrogés, les grands groupes du territoire sont historiquement très verticaux mais commencent à comprendre l’intérêt d’avoir un écosystème d’entreprises locales qui produisent et offrent des produits et des services dont ils ont besoin. La logique traditionnelle d’achat « sur un prix » plus que « sur un service » portée par les grands groupes présente des limites (coûts indirects, délais d’approvisionnement, etc.), qui justifient le recours à des entreprises de proximité même si la main-d’œuvre coûte plus cher que dans d’autres pays.

Pour les entreprises locales, le choix de travailler avec de grands comptes présente plusieurs avantages. D’une part, d’un point de vue financier, ces clients sécurisent les entreprises. D’autre part, les grands comptes permettent aux petites entreprises locales de progresser car ils ont des exigences très élevées.

Dans son ensemble, le territoire offre « un écosystème riche et diversifié ». Bien que le contexte macroéconomique et les choix stratégiques des majors du territoire impactent fortement la trajectoire économique de celui-ci, les différents témoignages et données collectées sur les entreprises du territoire révèlent un potentiel de développement pour l’industrie, notamment lorsque des coopérations entre entreprises sont mises en œuvre. « Par exemple, sont fabriquées sur le territoire des batteries à partir des trois principales technologies présentes sur le marché. Il y a une diversité d’industries classiques, il y a des sous-traitants automobiles, il y a aussi du développement chez Naval Group… On a des majors du cognac qui ont de l’argent, investissent et qui vont sur des démarches favorables à l’environnement. Tout le CAC ٤٠ a des filiales ici. Il y aurait quelque chose à faire sur la petite série et l’innovation. »

Par exemple, pour la mise en place de son projet industrie 4.0, l’entreprise Luxor Lighting a travaillé avec des consultants de la société Smart industry localisée sur le territoire. Elle a également « échangé avec l’entreprise Courvoisier (Cognac) qui avait pas mal avancé sur le sujet, ainsi qu’avec deux ou trois autres entreprises », explique son dirigeant. Ce partage d’expériences a du sens au regard des process industriels mobilisés dans les deux industries : « Le cognac, c’est de la grande série. Ils ont besoin de machines automatiques. Nous c’est de la grande série automobile et on a besoin d’automatisme ». L’organisation Lean Manufacturing de Luxor Lighting a été construite avec Schneider Electric Consulting : « Schneider est notre voisin. J’ai utilisé Schneider, qui a une cellule consulting, pour le lean manufacturing. Ça a permis à beaucoup de personnels de Luxor d’aller voir comment fonctionnait Schneider et ça leur permettait de visualiser comment je voulais faire. Ça a aidé à faire avancer les choses ». En retour de ce premier échange, Luxor Ligthing a réalisé « des études d’optiques pour Schneider Electric concernant la signature lumineuse d’un bouton mais ça reste anecdotique par rapport à l’activité de l’entreprise ». Luxor Lighting a aussi fait appel à des PME locales pour développer son outil de production : « CITF est un des fournisseurs de l’entreprise depuis un bon bout de temps qui a de bonnes compétences en automatisme et en robotique ».

  • 14 – Les principales entreprises du territoire positionnées sur le secteur fabrication d’équipements électriques, à savoir Schneider Electric, Nidec Leroy-Somer, SAFT et Arts Energy ont été contactées et relancées mais aucune n’a répondu positivement à notre demande d’entretien. Notre analyse se nourrit donc essentiellement du discours d’autres acteurs du territoire, de ressources journalistiques, et d’autres types d’informations (sites internet, analyses sectorielles, rapports financiers, etc.).
  • 15 – Le groupe a mis en œuvre une stratégie de croissance interne et externe ayant conduit, jusqu’à la crise du Covid-19, à une progression du titre de 26 % en trois ans, de 11 % en cinq ans et de 178 % en dix ans, hors dividendes (Dion, 2019). Au 1er décembre 2020, l’action valait 116,85 euros, bien plus que sa valeur d’avant crise 101,65 euros et que sa valeur la plus basse atteinte au début de la crise sanitaire le 20 mars 2020 (69,72 euros). La forte croissance de Schneider Electric ces 15 dernières années est le résultat d’une forte stratégie de croissance externe. Entre 2004 et 2014, Schneider Electric a procédé au rachat de 130 entreprises pour un montant de 15 milliard d’euros.
  • 16 – Le site de Merpins près de Cognac a été fermé en 2012 et le plan de sauvegarde de l’emploi (PSE) a été invalidé en 2016 par décision de justice.
  • 17 – Sur l’ensemble de son activité internationale, Leroy-Somer réalise un chiffre d’affaires bien supérieur. Les dernières données disponibles à ce sujet datent de 2011. À l’époque l’entreprise française détenue par Emerson générait près d’1,3 milliards d’euros de chiffre d’affaires.
  • 18 – Le 5 décembre 2019, Nidec Leroy-Somer a inauguré de nouveaux investissements réalisés à la fonderie dans la lignée de son plan de transformation et de modernisation des sites.
  • 19 – Les dernières statistiques de l’URSSAF datant de 2018 font état de 743 salariés privés. La différence entre le nombre de salariés recensés par l’URSSAF et les emplois annoncés par Naval Group réside sans doute dans la mobilisation d’intérimaires et la présence sur le site de salariés appartenant à des sous-traitants. Au plus fort de son histoire, lors de la première guerre mondiale, le site de Ruelle-sur-Touvre employait 6 000 personnes.
  • 20 – Nous approfondissons ici le cas de deux entreprises mais nous pourrions en ajouter d’autres. Il y a par exemple Black Swan Technology (et sa filiale ETSA) que l’on pourrait positionner entre d’une part les industries mécatronique et du process et d’autre part le digital. Le groupe intervient sur l’ensemble de la chaîne de valeur allant de la conception, la réalisation, la maintenance de process et systèmes induisant des technologies avancées à la production de cartes électroniques « embarquées » dédiées aux objets connectés, de simulateurs et dispositifs immersifs de formation et de maintenance, et d’équipements informatiques industriels dédiés aux systèmes robotiques, en passant par l’offre de dispositifs de supervision interactifs dans le cadre des programmes usine du futur.
  • 21 – Grâce à sa culture industrielle et à la présence encore significative de grandes entreprises (Nidec Leroy-Somer, Schneider Electric, Naval Group) des industries du process et de la mécatronique, le Territoire d’industrie Angoulême-Cognac se caractérise par la présence d’une main-d’œuvre locale dont les compétences sont en adéquation avec les besoins des entreprises. Le territoire et la Région au sens large possèdent également la particularité d’offrir des formations adaptées aux besoins des entreprises.
  • 22 – François Lalut est également référent industriel du Territoire d’industrie Angoulême- Cognac.
  • 23 – «Cette Innov’Factory surfe sur la mode des “Lab” et doit permettre aux effectifs de Naval Group d’accélérer les processus d’innovation grâce à 4 700 m2 dédiés à la recherche et la coopération avec les partenaires du groupe. Ce site aura largement recours aux technologies de l’industrie dite “4.0” : réalité virtuelle et augmentée, impression 3D… En plus de ces presque 13 millions d’euros investis dans la modernisation et l’agrandissement du site (45 millions d’euros au total ces dernières années), un centre de formation sera prochainement construit, grâce à 33 millions d’euros supplémentaires » (Schumacher, 2019).
Chapitre 8

La résilience de l’emploi local

Les entreprises du secteur peuvent s’appuyer sur un marché du travail adapté aux besoins des entreprises. Toutefois, en raison de la crise liée à la pandémie de Covid-19, les perspectives économiques des entreprises se sont obscurcies. Le territoire dispose-t-il des forces nécessaires pour faire face à cette crise ?

Un marché local du travail adapté

D’un point de vue quantitatif, et en cohérence avec les résultats de l’enquête BMO (Annexe II), les dirigeants des grandes entreprises du territoire interrogés abondent dans le sens d’un bassin d’emploi suffisant pour répondre aux besoins des entreprises, notamment sur les métiers d’opérateurs.

Par exemple, le directeur du site de Ruelle de Naval Group considère que son entreprise n’est pas concernée par des problèmes liés aux ressources humaines qui viendraient contraindre sa pérennité et l’activité. La pyramide des âges n’est, par exemple, pas un problème. Paradoxalement, le discours d’autres acteurs territoriaux est quelque peu contradictoire avec ces observations : « Il reste la question de l’attractivité des emplois industriels même sur les bas niveaux de qualification. C’est peut-être même pire sur les bas niveaux de qualification. Ça va dépendre des métiers. C’est un serpent de mer ». Cette attractivité semble davantage liée aux entreprises elles-mêmes qu’au territoire. Un dirigeant enquêté est convaincu qu’« il faut créer de l’appétence sur sa propre boîte » car le territoire est déjà attractif, et ce d’autant plus depuis la crise Covid-19.

Les compétences recherchées chez les opérateurs varient d’une entreprise à l’autre. Pour autant, un dirigeant local souligne que « chez les opérateurs, on va retrouver dans notre entreprise les mêmes compétences qu’il peut y avoir à droite et à gauche ». Plus que des compétences spécifiques, les recrutements d’opérateurs par les entreprises sont principalement conditionnés par des comportements plutôt que par des aptitudes. La plupart des entreprises du territoire forment leurs recrues sur les outils qu’ils mobiliseront et sur les outils qu’ils fabriqueront. Le développement des usines 4.0 nécessite la maîtrise d’outils digitaux comme les tablettes. Ces dernières permettent notamment aux cadres et aux responsables de l’entreprise de bénéficier de remontées d’informations rapides de la part des ouvriers sur ce qui se passe dans les ateliers. Afin de faciliter les recrutements, certaines entreprises ont mis en place un travail partenarial avec Pôle Emploi grâce à « des tests empiriques ». En effet, Pôle Emploi bénéficie d’un ensemble d’outils nationaux déclinés dans les territoires pour faciliter ces étapes préalables à l’embauche favorisant la rencontre entre une offre et une demande d’emploi (Période de Mise en Situation en Milieu Professionnel). Un dirigeant ayant expérimenté cette démarche affirme que « ça a été assez efficace ».

Pour la main-d’œuvre du territoire, le potentiel global d’emplois industriels ouvriers tend à se réduire au fil des années du fait des réductions d’effectifs sur le long terme dans les principales entreprises du territoire (Nidec Leroy-Somer, Schneider Electric). Le projet de l’Airbus de la batterie, portée localement par SAFT, représente une opportunité d’emplois pour le territoire. Toutefois la conjoncture actuelle inquiète quelque peu les acteurs locaux : « À la sortie du confinement, il y aura un gel des embauches pour les grandes entreprises. La SAFT avait tout mis sur son projet “batteries” dans le cadre de l’“Airbus de la batterie”, elle avait réalisé des recrutements pour ce projet. S’il n’y a pas de nouveaux projets, il n’y aura pas de recrutements ».

La crise du Covid-19 et les perspectives de développement

Le climat d’incertitude qui règne actuellement à l’échelle internationale et qui rejaillit sur les acteurs économiques locaux n’empêche cependant pas certaines entreprises d’être confiantes quant à leurs perspectives de développement quand d’autres ont dû réduire considérablement la voilure (ex : CITF) ou suscitent des inquiétudes (ex : Nidec Leroy-Somer). Il est difficile d’établir des prévisions fiables actuellement sur les conséquences économiques de la crise. Certains propos recueillis auprès de dirigeants d’entreprises du territoire traduisent une vision raisonnablement optimiste pour 2021. Ces points de vue dépendent bien évidemment de la santé initiale des entreprises, des marchés sur lesquels elles sont positionnées et des cycles commerciaux qui les caractérisent. Il est probable que cette nouvelle crise économique, comme les précédentes, sera fertile à l’établissement de nouvelles stratégies d’entreprise et de coopération sur le territoire.

À titre d’illustration, l’entreprise Luxor Lighting a connu trois semaines d’arrêt de production en avril à cause du Covid-19 puis des mois de mai et de juin 2020 à 50 % du potentiel de production. L’activité est repartie très fortement en juillet/août et le second confinement n’empêche pas la production. L’entreprise réalisera en 2020 un chiffre d’affaires proche de celui réalisé en 2019 mais en deçà du budget prévisionnel. Le soutien de l’État aux entreprises a été essentiel pour le dirigeant. « Le gouvernement a beaucoup aidé les entreprises et ça n’est pas suffisamment mis en avant. Le gouvernement a mis en place des actions pour soutenir les entreprises et ça a été d’une efficacité redoutable. Par contre, il y a une limite à cela, pour ceux qui n’étaient déjà pas bien avant ça peut être fatale. Là on est un peu sous perfusion, le jour où ça redémarre il y a un besoin de fonds de roulement qui est énorme. Nous, sans le PGE, on n’aurait jamais pu redémarrer. Car en plus tout le monde cherche le cash, donc si vous n’êtes pas à jour au niveau de la dette fournisseur alors vous n’êtes pas livrés. Si vous n’êtes pas livrés, vous ne produisez pas et la machine s’arrête. » Selon lui, l’activité de son entreprise et du secteur pour lequel elle produit, à savoir l’automobile, devrait être forte en 2021. « Normalement il y aura un effet de rattrapage. 2021 sera une année très forte pour le secteur de l’automobile. Cela peut poser problème en matière de défaillance car dans l’automobile il n’y a jamais de stocks et il suffit qu’il y ait un grain de sable pour que ça freine le système. Par contre, ceux qui produisaient sur des marchés franco-français sur du diesel ont perdu 30 % de chiffre d’affaires. »

Le cas de Naval Group est un autre exemple permettant de comprendre l’effet de la crise sanitaire et plus largement d’un choc macroéconomique sur une entreprise. L’activité de Naval Group n’est pas impactée à court terme par la crise sanitaire et économique, mis à part le retard pris dans la production. Aucun contrat n’a été suspendu sur le site de Ruelle-sur-Touvre. Il s’agit d’une activité d’armement lié au budget des États avec des cycles de programme long. À long terme, le directeur du site estime qu’il y aura peut-être des effets négatifs pour l’entreprise car les États seront moins riches et ne pourront peut-être pas se fournir comme ils le souhaitent. Hors Covid-19, l’activité navale de défense au niveau mondial est plutôt en croissance : les tensions géopolitiques ont fait émerger des besoins un peu partout dans le monde. Reste à savoir si les États auront les moyens de financer ces besoins. Cette spécificité du marché de l’activité navale de défense représente, au même titre que le poids de l’histoire, un facteur positif d’ancrage territorial de l’entreprise.

À l’inverse de ces deux exemples de relative stabilité, la situation économique de CITF détaillée antérieurement est fortement mise en difficulté à cause de la crise du Covid-19. Là encore, la structure des marchés desquels dépendent les entreprises et le positionnement qu’elles occupent dans les chaînes de valeur influencent leur degré de vulnérabilité et de résilience face à la crise économique.

PARTIE IV – Des coopérations territoriales et sectorielles récentes

Historiquement, des liens ténus existaient entre les différentes industries du territoire, notamment entre celles localisées sur le bassin de Cognac et celles localisées sur le bassin d’Angoulême. Par exemple, les premiers moteurs fabriqués par Leroy-Somer étaient destinés en partie à faire fonctionner les machines de l’industrie locale de l’emballage, dont la production est destinée aux maisons de Cognac.

La rivière Charente a longtemps été le lien entre toutes ces industries, à la fois comme voie de communication nécessaire à l’acheminement des produits et à la commercialisation, et comme ressource nécessaire à la production (forges, énergie motrice, etc.). Le développement d’une économie de plus en plus mondialisée puis financiarisée au cours du XX e  siècle a eu des conséquences sur la géographie des coopérations et des échanges.

En outre, pendant longtemps, ces relations ne se sont pas matérialisées par des coopérations interinstitutionnelles entre les deux territoires. Les entretiens conduits auprès de différents acteurs du territoire (entreprises, institutions, universitaires, etc.) ont mis en évidence le caractère récent des échanges et des coopérations institutionnelles et politiques entre les territoires de Grand Angoulême et de Grand Cognac. Celles-ci ont d’ailleurs permis d’enclencher de nouvelles coopérations entre les entreprises du territoire. Aujourd’hui une stratégie volontariste de développement du Territoire d’industrie pourrait profiter à la croissance du secteur local de l’image et du digital à travers des coopérations avec les industries historiques. Et cela dans un double intérêt. D’une part, les solutions digitales développées localement peuvent favoriser l’efficience technologique et économique des industries clés du territoire. D’autre part, les croisements industriels sont des facteurs de cohésion et d’ancrage des activités du territoire.

Chapitre 9

Vers une gouvernance territoriale unifiée

La création de la technopole Eurekatech en 2018 et, dans une moindre mesure, la labellisation nationale « Territoire d’industrie Angoulême-Cognac » qui a suivi, ont joué un rôle important dans la dynamique de rapprochement entre les industries du territoire et surtout entre ses deux bassins d’emplois.

Eurekatech : un outil pour le rapprochement institutionnel entre Angoulême et Cognac

La technopole Eurekatech a été fondée en 2018 par les chambres consulaires, l’union patronale, la Région Nouvelle-Aquitaine, le pôle image Magelis (syndicat mixte et instrument institutionnel et politique de l’industrie de l’Image du territoire), Grand Angoulême et Grand Cognac avec trois missions principales :

• l’accompagnement des porteurs de projets innovants (de la création à plus 3/4 ans) et le développement de la culture de l’entrepreneuriat (ex : lycées, écoles, etc.) ;

• l’animation auprès des acteurs du territoire sur les questions d’innovation et d’entrepreneuriat (organisation d’évènements) ;

• le soutien aux filières (spiritueux, mécatronique, image, industries culturelles et créatives).

Les principaux financeurs de la structure, dont le budget annuel est de 600 000 euros, sont les agglomérations d’Angoulême et de Cognac, le pôle image Magelis24 et la Région Nouvelle-Aquitaine. En contrepartie de l’adhésion des grands comptes qui est payante, la technopole leur offre une action d’innovation collaborative : « On propose de sourcer des start-up locales accompagnées dans les parcours Eurekatech qui pourraient répondre aux cahiers des charges des entreprises sur des projets innovants ».

Eurekatech est constitué d’une équipe de huit personnes : trois personnes sont salariées de l’association « technopole » et cinq personnes de Grand Angoulême sont mises à disposition de la technopole à temps partiel. Malgré cette composition à dominante angoumoisine, la technopole « peut accompagner des entreprises basées à Cognac même si pour le moment, il n’y a pas de lieu dédié à Cognac », explique le dirigeant d’Eurekatch. « La création d’un lieu d’accueil à Cognac fait d’ailleurs partie d’une fiche “Territoire d’Industrie” qui n’est pas mature pour l’instant », poursuit-il.

La technopole intervient notamment dans une logique exploratoire afin d’identifier les spécialisations de demain « pour créer le nouveau champion ». « Pour l’instant c’est toujours Nidec Leroy-Somer en termes d’emplois. Dans 20 ou 30 ans, ça sera peut-être autre chose… Nous apportons une contribution à ce que le champion de demain émerge, peut-être sera-t-il issu de la rencontre de deux secteurs comme la formation immersive ? », note le dirigeant de la technopole. Le rôle de Eurekatech est également d’accompagner la diversification des entreprises en place.

Selon un acteur local « depuis trois ou quatre ans, les lignes ont bougé » grâce à la création en 2018 de la technopole. « Les dirigeants d’entreprises s’impliquent plus. La technopole permet aux entreprises d’échanger. Naval Group est le premier à avoir montré la voie en travaillant avec des consortiums d’entreprises en local autour de la passerelle du futur. Et ensuite Schneider Electric… Nidec Leroy-Somer va y venir… Ça bouge un peu. Avant c’était très classique avec une union patronale très forte. Les quatre représentants de nos majors arrivent à se parler. Ils viennent à des temps d’échange. Il ne faut pas qu’on attende les institutionnels (organisations patronales), ce sont les industriels qui viennent d’eux-mêmes. La création de la technopole vise à dépasser les cadres classiques (consulaires, agglomérations, organisations patronales). Les entreprises commencent à y voir leur intérêt, notamment grâce aux financements proposés par la région Nouvelle-Aquitaine. »

Un besoin d’interaction orientée vers les relations d’affaires

Les dirigeants d’entreprises du territoire participant avec plus ou moins d’intensité à la vie de la technopole Eurekatech ont un regard globalement positif sur celle-ci. « C’est un bon outil pour le territoire » selon un dirigeant, notamment pour « soutenir la création d’entreprises sur le territoire, pour les sociétés qui vont à l’export, et tenter de créer des synergies entre différents acteurs du territoire… ». Il mentionne également « le soutien aux petites entreprises pour faire des salons, pour les accompagner dans le développement à l’international, ça a de la pertinence, ça va servir à certaines boîtes ». Un autre dirigeant souligne que la « technopole Eurekatech des agglomérations Grand Angoulême et Grand Cognac [nous] aide sur les volets “recherche” et “conseils”, et [nous] accompagne pour des évènements et des salons ». Les actions engagées par la technopole sont saluées par l’ensemble des acteurs mais la capacité à animer les projets dans la durée et le financement durable de la structure posent parfois question.

D’autres dirigeants observent avec un peu plus de distance ce nouvel instrument institutionnel : « Eurekatech ? Je connais, j’y participe un petit peu mais je ne suis pas très actif. Eurekatech pourrait rapprocher les industriels du territoire ? Ça peut et je ne l’utilise pas assez ». Même si la technopole se veut être opérationnelle, neutre politiquement et adaptée au fonctionnement des entreprises, certaines voix constatent « un manque de rapidité dans Eurekatech » propres aux « institutions gouvernées par des politiques ». « Ils n’ont pas la fibre business. C’est un jouet de représentation. Ils font des webinaires sur l’industrie 4.0 alors que ça fait dix ans que les entreprises qui sont invitées ont mis en place l’industrie 4.0 ». Que ce soit dans Eurekatech ou en dehors, les dirigeants des entreprises déjà implantées souhaitent voir se développer des rencontres et des relations orientées « business » : « Il faut créer des rendez-vous business. Il faut que des grands comptes s’implantent ici. Il faut faire venir des entrepreneurs, faire visiter les établissements de formation, etc. ». Par exemple, certains dirigeants rassemblent des entreprises locales lorsqu’ils reçoivent un client important afin de lui présenter l’ensemble des compétences du territoire et leurs complémentarités dans la chaîne de valeur. Ces observations de terrain mettent une fois encore en lumière l’encastrement des activités économiques dans les relations sociales (réseaux, etc.) comme l’ont démontré des chercheurs comme Granovetter (1985) ou plus récemment Grossetti (2004a ; 2004b) et Grossetti et al. (2006).

Pour favoriser ces relations sociales, certains acteurs industriels attendent qu’il y ait un pilotage et une animation plus forte du réseau de dirigeants locaux, notamment au niveau des PME : « Il manque des échanges entre dirigeants et un réseau plus actif au niveau industriel. Le Medef ne joue pas bien son rôle. Grand Angoulême et Grand Cognac pourraient faire plus. Je ne sais pas s’ils sont tournés autant que cela vers l’industrie. Il y a des relations avec les très grosses entreprises, avec le cognac, mais pour moi le gisement de croissance est dans les PME ». À titre d’illustration, le dirigeant de Luxor Lighting aimerait reproduire au niveau local (Angoulême-Cognac) ce qu’il a vécu dans le cadre de l’accélérateur PME : « On se connaît, on apprend ensemble, il y a des cas concrets, on trouve des solutions, la démarche est très bonne, si elle était locale il y aurait un effet encore plus fort, comme on est à côté les échanges seraient encore plus forts. Quand on se connaît, ça va mieux [pour faire des affaires]. Et c’est souvent ceux qu’on ne connaît pas qui sont intéressants car ce sont ceux qui ont du potentiel ».

La mise en place du programme Territoire d’industrie

Institutionnellement, le Territoire d’industrie Angoulême-Cognac rassemble les collectivités de Grand Angoulême, de Grand Cognac, du Rouillacais et de La Rochefoucauld – Porte du Périgord, ainsi que quelques industriels. « La technopole Eurekatech a joué le rôle de secrétariat du comité de pilotage de Territoire d’industrie. » Elle a un rôle de médiation et est facilitatrice entre les territoires. Selon un dirigeant d’entreprise, « le programme Territoire d’industrie est une très bonne idée, ça a bousculé. C’est arrivé comme un cheveu sur la soupe. Ça vient du national. C’est tombé au bon moment sur les opérationnels du Grand Angoulême et du Grand Cognac ». Cette vision de vecteur de coopération du programme est partagée par les institutionnels locaux : « Ça nous a permis de nous rapprocher, de travailler entre les deux bassins Angoulême et Cognac, de renforcer les initiatives qui étaient déjà à l’œuvre, il y a eu des réunions de comité de pilotage, c’est à mettre au crédit de Territoire d’industrie car je ne pense pas qu’on l’aurait fait autrement ».

Pour autant, le lancement du dispositif, son caractère descendant et sa finalité questionnent les acteurs locaux, notamment institutionnels : « On ne voit pas bien à quoi sert la labellisation Territoire d’industrie. On nous a dit vous êtes Territoire d’industrie sans que nous ayons été questionnés sur le sujet. Quelqu’un a dû traiter quelques statistiques dans un ministère… Au début, il y avait des budgets, ça s’est dégonflé depuis. Les budgets n’existaient pas, ou plutôt, il s’agissait d’une réallocation de moyens. La demande a été faite aux régions de financer les projets des Territoires d’industrie ». Cette forte implication demandée aux régions crée des inégalités territoriales quant à la mise en œuvre du programme puisque toutes ne lui accordent pas le même crédit. En l’espèce, la Nouvelle-Aquitaine a pris du retard au lancement du programme : « Au début, Alain Rousset [président de la Région, NDLR] ne croyait pas du tout à Territoires d’industrie. Au bout d’un moment, il y est allé et il a mis en place une organisation pour que ça se mette en œuvre ».

Dans ce contexte, petit à petit, les pilotes du Territoire d’industrie Angoulême-Cognac ont travaillé au cours de l’année 2019 sur le projet à travers la production de fiches « action » et surtout la mise en œuvre d’une gouvernance locale. Le contrat Territoire d’industrie a été signé fin 2019/début 2020.

Le contrat du Territoire d’industrie Angoulême-Cognac présente pour ambitions :

• d’assurer la cohérence de l’écosystème de l’innovation en favorisant l’échange et l’animation territoriale ;

• de densifier les infrastructures à vocation économique (offre immobilière et foncière, réseau haut débit, etc.) ;

• d’amplifier les créations d’emplois par un soutien à l’entrepreneuriat, l’innovation et la diversification des entreprises ;

• de développer l’offre de service en matière de programmes de recherche et de transfert de technologie ;

• de favoriser la structuration des filières et le développement de pôles d’excellence économique ;

• d’amplifier l’attractivité du territoire au service de l’emploi et de la création de valeur ajoutée.

Ces objectifs généraux se déclinent ensuite en un plan d’actions sur le territoire. Fin 2020, l’essentiel du travail réalisé avait consisté dans l’écriture des fiches sans mise en œuvre de celles-ci, faute de moyens alloués selon les acteurs locaux : « On ne voit pas bien à quoi ça va servir car il n’y a toujours pas de budget derrière ».

Au total, dix fiches actions25 accompagnent la mise en œuvre du contrat du Territoire d’industrie dont quatre sont considérées finalisées par les acteurs locaux et attendent d’être financées (figure 9.1). Ces fiches ciblent d’avantage des actions d’animation territoriale et économique que des projets structurants d’envergure (ex : financement d’un projet industriel, aménagement routier, etc.). Elles s’inscrivent dans la continuité des échanges récents sur la technopole Eurekatech et l’emploi entre Angoulême et Cognac, notamment sur l’animation entre les deux territoires. Aujourd’hui, la problématique rencontrée par les acteurs locaux, signataires du contrat Territoire d’industrie concerne le financement des projets décrits dans les fiches : « Qui nous finance ? C’est valable pour l’action usine du futur, pour le groupement d’employeurs, etc. Ce qui nous freine, c’est aussi l’absence de réponses claires de la part de la région ». Dans ce contexte les projets Territoire d’industrie sont en suspens : « Il n’y a aucune raison de remobiliser les acteurs ».

Figure 9.1 – Les fiches « action » finalisées du Territoire d’industrie Angoulême-Cognac 26

Source : contrat du Territoire d’industrie Angoulême-Cognac, 2019

  • 24 – Magelis finance la technopole sur l’aspect « parcours entrepreneurial » car dans la structure Magelis, il n’y a pas de responsable du développement économique et la technopole joue ce rôle.
  • 25 – Intitulés des dix fiches «action» : 1) plate-forme technologique KRYSALIDE, 2) parcours innovation et PME, 3) renforcer les ressources humaines du territoire, 4) offre de formation et besoin des entreprises sur le territoire, 5) identifier et communiquer sur les conditions de l’attractivité des entreprises du territoire, 6) requalifier les sites industriels et conserver leurs vocations économiques, 7) amélioration des infrastructures de desserte favorisant le développement économique, 8) agriculture raisonnée, 9) accompagner le développement de la notion d’entreprise inclusive et apprenante, 10) innovation sociale : l’insertion par l’activité économique et la RSE.
  • 26 – «Ce technoparc aspire à développer des filières relais de croissance et à favoriser l’accompagnement des entreprises dans l’épanouissement de leurs projets innovants. L’opération consiste à construire un bâtiment regroupant à la fois des locaux d’accueil et d’échange, des bureaux et des laboratoires d’essais avec des ateliers de montages divers. Dans cette continuité d’innovation et d’expérimentation en matière de développement durable et de gestion de l’énergie, un processus expérimental du système de production électrique à zéro émission polluante est installé grâce à l’utilisation d’une pile à hydrogène. Cette pile à combustible consomme de l’hydrogène et de l’oxygène et rejette de l’eau, c’est un système non polluant pour l’environnement. Nexeya est à l’origine de ce processus. La société est spécialisée dans la conception et le développement d’équipements électroniques pour les secteurs de l’aéronautique, de l’énergie, du ferroviaire et du spatial notamment » (http://www.grandangouleme.fr/projets-de-territoire/krysalide/).
Chapitre 10

L’industrie de l’image et du digital comme vecteur de coopération

Le Territoire d’industrie, en particulier la ville d’Angoulême et son agglomération proche, a vu se développer depuis les années 1990 le secteur de l’image et du digital. En outre, depuis deux ou trois ans une digitalisation de l’économie est à l’œuvre sur le territoire, se matérialisant par un rapprochement entre ses industries historiques et cette industrie locale de l’image et du digital. Néanmoins, ces activités – qui se présentent comme un vecteur de coopération entre Angoulême et Cognac – sont encore peu représentatives en termes d’emplois à l’échelle du territoire et ces « croisements industriels » restent ponctuels.

Des emplois en forte croissance sur le territoire

Sur le Territoire d’industrie Angoulême-Cognac, les secteurs constituant tout ou partie de l’industrie de l’image et du digital27édition, audiovisuel et diffusion, activités informatiques et services d’information et arts, spectacles et activités récréatives – ne sont pas caractéristiques du territoire. En revanche, et c’est une dynamique qui semble récente, ils connaissent une forte croissance de l’emploi sur le Territoire d’industrie, bien supérieure à la moyenne d’évolution de l’emploi du territoire et dans des proportions nettement plus élevées que leurs dynamiques à l’échelle nationale. Ces trois secteurs sont parmi les sept secteurs du territoire ayant connu la plus forte croissance de l’emploi entre 2007 et 2016, loin devant certains secteurs industriels historiques. Les statistiques révèlent donc un effet local très positif pour l’industrie de l’image et du digital sur le territoire (voir figure 10.1).

Figure 10.1 ‒ Évolution de l’emploi dans les industries de l’image et du digital entre 2007 et 2016 sur le Territoire d’industrie Angoulême-Cognac

Source : RP, Insee, NAF A38, calculs des auteurs

À partir d’une nomenclature plus fine telle que la NAF 732 (figure 10.2), et uniquement sous l’angle de l’emploi salarié privé (données Acoss), nous pouvons affiner ces résultats pour une période plus large (entre 2007 et 2018). Cette nomenclature met en avant un premier résultat, celui de la place de premier ordre occupée par les activités du cinéma et de la télévision (production et postproduction) dans le secteur de l’image et du digital. En les regroupant, ces activités représentaient 367 emplois salariés privés en 2007 sur le territoire et 434 en 2018, soit une croissance de +18 %. Sur la même période, ces activités ont perdu 9 904 emplois sur l’ensemble du territoire national (−17 %). Ces statistiques confirment les observations des acteurs de terrain : « Notre croissance (celle de l’industrie de l’image, NDLR) est liée à notre croissance de part de marché, elle n’est pas liée à la croissance du marché ». Ces résultats mettent en évidence l’existence d’un effet local favorable à l’origine du développement de ces activités sur le territoire. Sans doute en lien avec l’évolution de ces activités, le sous-secteur activités de soutien au spectacle vivant (techniciens) connaît une croissance locale forte depuis 2006, bien supérieure à la tendance nationale.

Un autre résultat clé ressort de l’analyse de ces données, la prépondérance des sous-secteurs Traitement de données, hébergement et activités connexes et Programmation informatique accompagnée d’une croissance locale bien supérieure à la croissance sectorielle nationale sur la période 2007–2016. Ces analyses statistiques mettent en évidence l’existence d’un effet local comme facteur explicatif de cette dynamique. Surtout elles soulignent une dynamique positive sur le territoire allant au-delà des industries culturelles et de l’image puisque ces deux sous-secteurs ont un champ d’intervention plus large. Le terme de secteur du digital serait sans doute plus approprié pour ces activités.

Figure 10.2 – Évolution de l’emploi dans les industries de l’image et du digital sur le Territoire d’industrie Angoulême-Cognac entre 2007 et 201828

Source : Acoss, NAF A732, calculs des auteurs28

L’industrie de l’image et du digital, icône marketing du territoire

L’industrie de l’image s’est construite au fil du temps sur Angoulême à partir d’une conjonction de projets plus ou moins liés les uns aux autres. Le lancement en 1974 du Festival International de la Bande Dessinée29, auparavant dénommé salon international de la bande dessinée, a été un déclencheur important (Badulescu et De La Ville, 2018 ; Guimond et Chauchefoin, 2011). Les activités de l’école des beaux-arts d’Angoulême, devenue aujourd’hui l’École européenne supérieure de l’image Angoulême-Poitiers suite à un rapprochement avec Poitiers, commencées au début des années 1990 et la création sur le territoire de quelques dessins animés, contribuent également à l’émergence d’une industrie sur le territoire. Tout du moins, les acteurs politiques locaux se sont saisis de l’opportunité offerte par l’existence de ces différentes activités et projets autour du dessin pour développer un écosystème (formations, soutien à la création d’entreprises, Pôle Image Magelis, etc.) autour du secteur de l’image et notamment de l’animation (Badulescu et De La Ville, 2018). En particulier, en 1997, les élus du territoire, au premier rang desquels ceux du département, lancent le Pôle Image Magelis sous la forme d’un syndicat mixte afin d’accompagner sous un versant institutionnel le développement de cette industrie. Après des premières années difficiles (Cour régionale des comptes, 2012), la structure, qui est aujourd’hui pilotée par le Conseil Départemental de la Charente (principal financeur à hauteur de 60 %), la Région Nouvelle Aquitaine (20 %), la ville d’Angoulême (10 %) et la Communauté d’Agglomération du Grand Angoulême (10 %), s’appuie sur des résultats positifs du secteur pour poursuivre son action. Elle regroupe environ 100 entreprises, 200 auteurs de bande dessinée, une trentaine de studios, 12 écoles et 1 300 étudiants.

Au même titre que l’ont souligné plusieurs chercheurs, les acteurs locaux sont conscients que l’industrie de l’image reste d’abord une vitrine avant d’être un secteur qui influence fortement l’emploi du territoire. Il est nécessaire d’avoir toutefois à l’esprit que le tissu d’écoles, dont l’Université de Poitiers, dédié à l’image génère des effets indirects et induits pour le territoire, non pris en compte dans les calculs d’emplois directs au sein du secteur. Et bien que cette industrie ne soit pas spécifique au sens statistique, sa dynamique est inverse à celle des industries historiques du territoire. L’image pourrait bien devenir dans les années à venir un secteur plus important que certaines entreprises historiques du territoire.

Sur le segment des activités du cinéma et de la télévision (production et postproduction), cette croissance est portée par le « boom » des exportations des dessins animés français. « La France est le troisième pays au monde producteur de films d’animation. Il y a une véritable french touch au niveau international. Ça a boosté l’économie locale. » Malgré le succès commercial des films d’animation français qui rejaillit sur les entreprises du territoire et auquel elles contribuent, il n’en demeure pas moins que ce secteur d’activité reste fortement subventionné par les pouvoirs publics comme le soulignaient déjà Chauchefoin et Guimond (2013) et un rapport de la chambre régionale des comptes rédigé en 2012.

Certains acteurs du territoire font en outre observer que cette dynamique n’assure pas pour autant la pérennité des activités sur le territoire. Le cas de Neuroplanet, studio spécialisé dans les dessins animés qui embauchait 80 personnes à Angoulême, et qui avait déposé le bilan en 2001 à cause des difficultés économiques de sa maison mère belge, est une illustration des risques inhérents à l’industrie de l’image sur le territoire (Roquecave, Les Echos, 2001). La stratégie de Magelis et des collectivités qui soutiennent la structure, malgré une riche offre de formations locales, a toujours été et demeure axée sur un développement exogène du secteur de l’image. Les principales structures (entreprises et organismes de formation) localisées sur le territoire sont des antennes ou des établissements d’organisations plus vastes situées hors du territoire dont l’implantation locale a été permise par un travail de prospection de la part des acteurs locaux.

Du divertissement à l’industrie : l’ébauche d’une diversification cohérente des activités digitales

Parallèlement, au-delà du rôle qu’elle peut avoir en matière de marketing territorial et de ses perspectives de croissance, l’industrie de l’image représente également une opportunité d’évolution pour l’ensemble des activités du territoire.

Plusieurs entreprises locales mettent en place des stratégies de diversification s’appuyant sur la diffusion de plus en plus forte des outils numériques et digitaux dans l’ensemble de l’économie. Les acteurs locaux constatent, depuis deux ou trois ans, une digitalisation de l’économie qui se matérialise par un rapprochement entre les industries historiques du territoire et l’industrie de l’image et du digital, à travers notamment le développement de l’apprentissage par immersion par le biais de la réalité virtuelle ou de la réalité augmentée. La concrétisation récente de ces « croisements industriels » s’inscrit dans une volonté et une stratégie politique locale de plus de 20 ans, selon plusieurs acteurs, et dans des coopérations interterritoriales récentes entre Grand Angoulême, Grand Cognac et les acteurs économiques. « En 2014, les sociétés de Cognac (les grands industriels) ne connaissaient pas le monde de l’image à Angoulême. Cela s’est beaucoup amélioré dans les trois ou quatre dernières années : on est de plus en plus identifié. Je soupçonne que la raison de cela soit que le Pôle Image Magelis et Grand Angoulême ont fait des efforts pour aller vers ces sociétés-là et leur parler de nous (des sociétés du numérique et de l’image) […] Des projets ont été commencés et cela a créé une petite dynamique. Les grands industriels de Cognac – clairement là où se trouvent l’argent et les capacités d’investissements – connaissent désormais petit à petit les sociétés d’Angoulême et commencent à travailler avec elles. Du coup, il y a de plus en plus d’opportunités là-bas pour nous. Notre entreprise travaille avec deux sociétés industrielles de Cognac. Il y a aussi des sociétés qui ont fait des projets (Iteca qui a travaillé avec Hennessy, Studio Nyx avec Martell, etc.). Des projets ont été initiés et ça a créé une petite dynamique », témoigne un dirigeant du digital.

En dehors de Cognac, un exemple de ce croisement des filières concerne Schneider Electric et des entreprises locales de l’image et du digital. Le groupe a mis en place, dans ses établissements locaux, une expérimentation de formation immersive (immersive learning) pour préparer ses nouveaux salariés ou intérimaires aux tâches de travail qu’ils rencontreront. La stratégie du groupe qui forme environ 10 000 personnes chaque année en France de s’orienter vers la formation immersive n’est pas propre au territoire charentais. Toutefois, le tissu charentais et angoumoisin en particulier représente un potentiel de collaboration important pour répondre à cette stratégie. Ces collaborations ont abouti à la création d’une salle équipée de casques de réalité virtuelle située dans l’atelier qui est une forme de sas pour un intérimaire qui arrive.

Un second exemple de rapprochement entre industries est le projet porté par Naval Group qui a développé un outil immersif, avec notamment la société Studio Nyx, sur la formation des marins (formation continue en petits modules). Cette société a été créée et s’est développée historiquement autour du jeu vidéo avant d’évoluer petit à petit vers une cible de clients industriels : « Ils ont démarré sur le jeu vidéo. Puis petit à petit on leur a demandé des activités différentes. Ils se sont spécialisés dans d’autres domaines et aujourd’hui ils ont une activité qui n’est plus du tout dans le jeu vidéo et qui est complètement dans l’industrie ». Selon le dirigeant de Studio Nyx, « ça n’a pas de sens aujourd’hui de séparer les activités jeux vidéo pures de divertissement et le reste. C’est important de le séparer sur le modèle d’affaires (ça demande des choses complètement différentes en termes de business model, de promotion, etc.). Par contre sur les méthodes de production, sur l’outil de production, sur le savoir, sur la formation, ça n’a plus de sens de les séparer. Ce sont les mêmes compétences pour fabriquer des simulateurs de formation que pour faire des jeux vidéo ». Cette diversification impulsée par plusieurs entreprises locales de l’image s’explique parfaitement par le cadre théorique évolutionniste et cognitiviste, qui met au cœur de la trajectoire économique des territoires le rôle des compétences.

On peut encore citer l’exemple de l’agro équipementier Grégoire, spécialisé dans la production de machines à vendanger et situé à Cognac. L’entreprise a commencé un projet de simulateur avec Studio-Nyx dont l’objectif premier était l’animation commerciale sur les salons. Le projet s’est étendu avec l’idée de développer un outil pédagogique à destination des instituts de formation qui sont en manque d’outils afin de permettre aux étudiants d’apprendre à conduire du matériel agricole. Le projet a débuté en 2019. La première phase pour l’animation de salon est finalisée. La seconde phase pour l’usage pédagogique est en cours de développement.

Pour les industriels de l’image et du digital, les réalisations effectuées au fil des différents projets viennent nourrir le capital des entreprises et la capacité à proposer d’autres services dans le futur. Selon un professionnel en charge du développement économique sur le territoire, ces rapprochements entre industries sont les premiers pas vers le développement potentiel d’un véritable secteur sur le territoire.

Une mutation qui nécessite une véritable politique de soutien et de développement

La façon dont les acteurs locaux vont s’engager ou non dans une véritable politique de soutien et d’animation de cette nouvelle activité digitale au service de l’industrie aura sans doute un effet sur la trajectoire que suivra le secteur de l’image et du digital sur le territoire. Car les premiers projets décrits plus hauts ne sont pas encore synonymes d’une véritable transformation locale selon un acteur local : « Je n’ai pas encore la démonstration que les grosses industries charentaises, hormis le cognac, se tournent vers les compétences locales dans le monde du digital… Leroy Somer, Schneider Electric et autres, il faut encore du temps avant de bosser pour eux sur un véritable programme de digitalisation qui va être utilisé pendant cinq ans (au-delà d’un concept ou d’un petit budget digital pour faire un effet d’affichage). Ces entreprises ne sont pas prêtes pour ça. Pour moi, c’est juste de la politique ».

D’autres acteurs économiques locaux confirment cette vision : « Avant 2015, le croisement de l’image et de l’industrie, c’était juste une volonté politique ». « De 2015 à 2018, des choses se sont mises en place à travers de premiers projets. Depuis 2019, c’est un peu moins présent, la dynamique est un peu retombée par manque de pilotage. Il faut que ça soit porté par quelqu’un. Dans la globalité, ce n’est pas dynamisé. Il pourrait y avoir des besoins mais ce sont deux mondes (l’image et l’industrie) qui doivent se trouver avec des façons de travailler et des objectifs différents. Des choses ont été faites avec des PME locales (CITF, Solicis, Solidanim, Black Swam Technology, Iteca…) pour de grands groupes. Ça ne prend pas une ampleur pour faire un vrai business. Il manque d’argent pour industrialiser ces projets émergents. Il n’y a pas d’essaimage de la part des majors du territoire rattachées à de grands groupes. »

Le Pôle Image Magelis, a recentré son activité sur son cœur de cible, à savoir l’image pour le divertissement. Eurekatech pourrait donc être l’acteur de référence et l’instrument pour catalyser et animer cette politique économique territoriale endogène. D’ailleurs, Badulescu et De La Ville dans un article de 2018 présenté lors d’un colloque abordant la technopole Eurekatech et ses défis, affirment que « parvenir à transformer les représentations des institutions pionnières ayant contribué à cette première construction identitaire du territoire (le secteur de l’image, NDLR) afin, d’une part, d’élargir cette dernière à de nouveaux enjeux dans le contexte de la région Nouvelle-Aquitaine et, d’autre part, d’impulser de nouvelles hybridations de savoir-faire locaux portés par les 90 TPE et PME productrices de contenus culturels, est le défi auquel la technopole Eurekatech doit prendre part et apporter sa contribution ».

La manière dont Magelis et Eurekaetch vont pouvoir se coordonner et coopérer est un enjeu important pour favoriser la mobilisation des compétences digitales issues de l’image vers l’industrie. Toutefois, au vu de la composition économique du territoire, et notamment de la forte présence de groupes multinationaux, l’implication et l’ouverture de ces derniers sur le territoire et ses acteurs économiques via les relations sociales (réseaux) semblent être davantage nécessaires à la réussite de cette dynamique récente que le pilotage institutionnel de celle-ci.

Les enjeux de recrutement pour les activités de l’image et du digital tournées vers l’industrie

Les ressources humaines et les compétences mobilisées par les entreprises locales de l’image et du digital peuvent être identiques quand bien même les marchés diffèrent. Bien entendu, certaines compétences ne sont pas mobilisables d’un secteur à l’autre mais le socle commun représente une force pour le territoire et ses entreprises, notamment dans une perspective de diversification cohérente. L’analyse qualitative du territoire ne permet pas d’avoir une vision objective de l’ensemble des besoins et des difficultés de recrutement du secteur. Cela étant, il ressort de celle-ci une caractéristique forte du territoire qui influence grandement le marché local du travail et le fonctionnement du secteur : l’existence d’un tissu dense de formations dédiées à l’image et au digital. Magelis identifie 12 écoles30 publiques et privées dédiées à l’image sur le territoire auxquelles s’ajoutent d’autres organismes comme l’école d’ingénieur du CESI. Plusieurs projets d’implantation de nouvelles écoles privées, portés par Magelis, sont en outre en cours de mise en œuvre. C’est le cas de l’école 4231 qui illustre parfaitement le lien ténu qui existe entre les activités de l’image tournées vers le divertissement et les activités digitales dont les applications dépassent largement ce secteur.

Selon le directeur de Magelis, un tiers des étudiants des écoles de l’image travaillent localement. Sans juger de l’importance de ce taux, ce résultat signifie que l’activité de formation sur le territoire est principalement tournée vers l’extérieur et qu’elle représente une activité économique à part entière non connectée, pour partie, au tissu local. Le tiers d’étudiants poursuivant leur parcours professionnel sur le territoire alimente le système local de compétences autour des métiers de l’image et du digital, et contribue à la trajectoire cognitive et économique du territoire.

Les entreprises de l’image et du digital qui ont fait le choix de diversifier leur activité vers l’industrie sont constituées de différents professionnels parmi lesquels les principaux sont les développeurs, les chefs de projet et les UX designer (expérience utilisateur, ergonomie, optimisation de l’application). L’essentiel des salariés a un diplôme allant du Bac +3 au Bac +5. Malgré la présence d’écoles et d’organismes de formation sur le territoire, les entreprises locales ont parfois des difficultés à recruter. À titre d’exemple, un dirigeant a indiqué qu’une offre d’emploi a été déposée récemment pendant six mois et n’a reçu que trois réponses. Ce constat a obligé l’entreprise à se tourner vers des pôles économiques plus importants. Elle possède une antenne à Toulouse où le recrutement est facilité : « Nous avons reçu cinq réponses deux jours après l’émission de l’offre ».

Les acteurs institutionnels du territoire ont conscience de cette problématique et de la difficulté à attirer des profils qualifiés sur le territoire. Cela concerne notamment les développeurs et les métiers autour du digital. Dans ce contexte, l’ouverture sur le territoire d’écoles portant sur le digital (école 42, etc.) pourrait répondre en partie à cette problématique. Certains dirigeants, même s’ils reconnaissent l’utilité et l’intérêt de ces formations diplômantes locales, ne focalisent néanmoins pas leur recrutement sur des personnes détenant un diplôme. « Les diplômes sont là pour rentrer dans les cases mais ce n’est pas ce que nous recherchons en priorité. Notre lead développeur à un diplôme de CAP Chaudronnier. Une fois recruté, on lui a demandé de faire une VAE “licence en ingénierie de logiciel” et nous avons espoir de l’amener sur un diplôme d’ingénieur. Le diplôme ne fait pas la compétence : nous pouvons recruter un boulanger si sa passion est de faire du développement le soir chez lui. Il est très rare de trouver un jeune diplômé qui soit véritablement compétent, ce qui fait que malgré l’offre de formation locale, les recrutements ne sont pas évidents. Nous recherchons des compétences techniques et de l’autonomie. »

La crise du Covid-19 ainsi que les changements de stratégie RH des entreprises contribuent également à faciliter les recrutements sur le territoire comme l’observe un acteur local : « Ça commence à changer pour recruter les bons profils dans les boîtes informatiques : elles reçoivent de plus en plus de CV et elles ont moins de problèmes pour recruter et trouver les bons profils. Le problème pour les entreprises locales concernait l’offre salariale (enjeux de l’attractivité des entreprises, du poste, des salaires) ».

  • 27 – Historiquement, le secteur de l’image (industries culturelles, créatives et image numérique) angoumoisin a toujours été scindé en trois activités assez hermétiques : la bande dessinée, le jeu vidéo et les films (principalement l’animation). Ces activités mobilisent des ressources et des compétences issues du digital (informaticiens, développeurs, graphiste, etc.) et des arts. Dans cette recherche, nous proposons une analyse de l’industrie sous l’angle des compétences qu’elle nécessite plus que sous celui des débouchés ou bien encore des choix politiques quant à son périmètre. De fait, nous privilégions les termes d’industrie de l’image et du digital à ceux d’industrie de l’image seuls.
  • 28 – Les données Acoss ne permettent pas d’identifier les auteurs de bande dessinée localisés sur le territoire. Ces derniers exercent le plus souvent leur métier en tant qu’entrepreneur individuel et n’apparaissent, de fait, pas dans les données sur l’emploi salarié privé. Il est également probable qu’un nombre important de petits éditeurs de bande dessinée soit également dans cette situation.
  • 29 – La création du festival est le fruit de relations sociales : les initiateurs étant des amateurs locaux de bande dessinée impliqués dans des réseaux nationaux d’adeptes de bande dessinée et dans des réseaux locaux associatifs et politiques.
  • 30 – CEPE (IAE de Poitiers), CNAM-ENJMIN, École d’Art du GrandAngoulême, EESI, EMCA, CREADOC, Human Academy, IUT d’Angoulême, L’ATELIER, LISA, Mediaschool Angoulême, Objectif 3D.
  • 31 – Les écoles 42 sont des établissements supérieurs d’autoformation créés et financées par Xavier Niel et d’autres associés. Elles ne sont pas reconnues par l’État et ont pour objectif de former des développeurs à Paris, Lyon, Nice, Fremont en Californie, Lisbonne au Portugal et donc prochainement à Angoulême.

Conclusion

Le Territoire d’industrie Angoulême-Cognac montre une forte dualité entre ses deux bassins d’emplois industriels. Cognac bénéficie d’une dynamique économique favorable avec des secteurs en fort développement (la production de cognac et le secteur du packaging et de l’emballage principalement) tandis qu’Angoulême abrite des secteurs industriels majoritairement en déclin (la fabrication d’équipements électriques notamment). En outre, la croissance à Cognac est le produit d’un écosystème qui s’est construit et organisé au fil des siècles autour du cognac aujourd’hui largement exporté et dont les performances bénéficient aussi à l’ensemble des activités connexes comme la tonnellerie. À l’inverse, les grandes entreprises de la mécatronique présentent un ancrage local modéré qui peut être à l’origine des effets locaux négatifs enregistrés sur le territoire angoumoisin. Les coopérations entre les grandes entreprises et les PME sont aujourd’hui trop faibles pour qu’émergent des effets d’entraînement qui bénéficient à l’ensemble du tissu économique local.

Le découpage du Territoire d’industrie Angoulême-Cognac semble donc ne pas s’appuyer sur une logique de croisements industriels puisque, s’ils existent, ils restent encore ponctuels. Certains acteurs rencontrés disent regretter ce mariage non concerté. Des opportunités peuvent pourtant se dégager. Les premiers rapprochements entre les entreprises du territoire, permis par la création récente de la technopole Eurekatech, montrent qu’il est possible pour les acteurs économiques de trouver des synergies et de gagner en efficience. Des rapprochements sont aussi observés entre le secteur local de l’image et du digital et les industries historiques. Toutefois, ces coopérations ne pourront fonctionner sans une gouvernance à l’échelle territoriale qui parvienne à concilier les intérêts divergents des acteurs et des territoires et à accompagner une stratégie volontariste ; sous cette condition, cette industrie émergente pourrait devenir une nouvelle filière d’excellence.

Les secteurs industriels clés du Territoire d’industrie Angoulême-Cognac pourraient donc tirer profit de cette nouvelle organisation à condition qu’elle favorise notamment les coopérations pour plus d’ancrage et de cohésion. Mais faire émerger des champions mérite peut-être de regarder au-delà du territoire pour réfléchir sur l’intérêt des coopérations entre Territoires d’industrie où des complémentarités pourraient être encore plus génératrices de gains de compétitivité.

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Annexe I – Liste des entretiens réalisés

Annexe II – Besoin de main-d’œuvre en 2020 sur le bassin de vie Angoulême-Cognac et en France

Les résultats de l’enquête BMO sont fournis par Pôle Emploi selon un découpage géographique propre à l’institution, ne correspondant ni aux zones d’emploi, ni aux Territoires d’industrie. Par ailleurs, les données publiques n’étant pas disponibles à l’échelle des communes, il n’est pas possible de reconstituer les résultats sur un territoire d’étude choisi a posteriori (hors départements et régions). De fait, les résultats présentés dans le tableau incluent des territoires du sud de la Charente non compris dans le découpage Territoire d’industrie. Les principaux bassins d’emplois étant Angoulême et Cognac, cette différence d’échelle ne bouleverse pas les résultats qui seraient observés sur le Territoire d’industrie Angoulême-Cognac stricto sensu.

En 2020, 1 657 projets de recrutement d’ouvriers des secteurs de l’industrie ont été recensés sur le bassin Angoulême-Cognac, soit 13 % du total des projets de recrutement du territoire. 46 % des projets de recrutement d’ouvriers des secteurs de l’industrie sont jugés difficiles par les entreprises et 22 % sont saisonniers.

À l’échelle nationale, 227179 projets de recrutement d’ouvriers des secteurs de l’industrie ont été recensés en 2020, soit 8 % du total des projets de recrutement nationaux. 59 % des projets de recrutement d’ouvriers des secteurs de l’industrie sont jugés difficiles par les entreprises et 22 % sont saisonniers.

Source : Pôle Emploi et Credoc, enquête BMO, 2020, calculs des auteurs32

  • 32 – Cette catégorie recouvre les professions i) d’ingénieurs et cadres d’étude, recherche et développement en informatique, chefs de projets informatiques (30 projets de recrutement) et de ii) Graphistes, dessinateurs, stylistes, décorateurs et créateurs de supports de communication visuelle (401 projets de recrutement).

Remerciements

Nous remercions très chaleureusement les équipes de La Fabrique de l’industrie pour leur confiance, leur disponibilité et leurs précieux conseils pendant la conduite de ce travail. Un merci particulier à Caroline Granier, cheffe de projet, Thierry Weil, professeur à Mines ParisTech − PSL et conseiller de La Fabrique de l’industrie, Emilie Binois, chargée de projets éditoriaux et Vincent Charlet, délégué général.

Cet ouvrage de sciences régionales a vu le jour grâce au soutien de l’Observatoire des Territoires d’industrie. Nous adressons notre gratitude à ses différents membres et partenaires (Banque des Territoires, l’Institut pour la Recherche de la Caisse des Dépôts, La Fabrique de l’industrie, l’Agence nationale de la cohésion des territoires, l’Assemblée des Communautés de France, la Fondation Mines ParisTech, Régions de France) pour avoir rendu possible ce travail de recherche sur le Territoire d’industrie Angoulême-Cognac.

Nous remercions vivement l’ensemble des personnes qui ont contribué, via des entretiens, à nourrir notre travail. Leurs connaissances, leur disponibilité et la qualité des échanges sont des matériaux essentiels à la réalisation de cette publication.

Enfin, nous exprimons notre reconnaissance à la Fédération Territoires de l’Université de Poitiers dont nous sommes membres. Le présent ouvrage s’inscrit dans le prolongement des travaux conduits depuis plusieurs années par différents chercheurs et ingénieurs de l’Université, sur ce territoire et sur de nombreux autres. Ceux-ci ont constitué un terreau fertile pour la création de cet ouvrage.

Etienne Fouqueray et Emmanuel Nadaud, Angoulême-Cognac : appréhender la diversité des territoires industriels, Les Docs de La Fabrique, Paris, Presses des Mines, 2021.
ISBN : 978-2-35671-687-3

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