Comprendre la performance et le déclin des territoires industriels

Comprendre la performance et le déclin des territoires industriels

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Comprendre la performance et le déclin

Si l’industrie française a globalement perdu des emplois au cours de la dernière décennie, certains territoires ont connu un développement industriel florissant. Partout en France l’on trouve des territoires qui déjouent les conjonctures régionales et créent nettement plus d’emplois – ou en perdent davantage – que leurs voisins. Nous montrons également que la spécialisation des territoires dans des secteurs plus ou moins porteurs est un prédicteur assez médiocre de leur performance. La diversité des trajectoires industrielles et plus encore les marges de manœuvre dont les territoires disposent pour construire leur stratégie de développement échappent donc souvent aux commentateurs, qui raisonnent plus volontiers selon des grandes tendances : la « puissance des métropoles », le « déclin des grands bassins industriels », la « révolution des nouvelles technologies », le « naufrage des espaces ruraux »…
Rien de tout cela n’est strictement vrai, après examen.

Denis Carré, Nadine Levratto, Philippe Frocrain

Résumé

Cette synthèse présente l’évolution locale de l’emploi industriel sur la période allant de 2009 à 2015 et cherche à mieux comprendre les ressorts de la performance territoriale. L’analyse met en lumière la grande diversité des trajectoires des zones d’emploi : certaines ont bénéficié d’une croissance de leur base industrielle, alors que l’on sait que l’industrie française a globalement perdu des emplois. Elle montre également que les variations du nombre d’emplois dans l’industrie constatées dans les zones d’emploi de France métropolitaine apparaissent indépendantes de l’ampleur de leur base industrielle : il n’y a pas de fatalité frappant les grands bassins industriels, pas plus qu’il n’y a de prime automatique aux grands clusters et aux métropoles.

Enfin et surtout, les résultats obtenus montrent que la spécialisation des territoires dans des secteurs plus ou moins porteurs n’est pas un bon prédicteur de leur performance. Autrement dit, c’est « l’effet local », c’est-à-dire la part de la performance qui ne s’explique pas par leur portefeuille d’activités, qui permet de comprendre leur trajectoire.

Si les caractéristiques structurelles des territoires n’expliquent pas si simplement leur performance, c’est certes parce que ces phénomènes sont de plus en plus multiparamétriques mais plus encore parce que leur « capital social » et notamment l’efficacité des institutions et des coopérations entre acteurs divers jouent un rôle primordial. C’est, enfin, parce que le dynamisme des entreprises et leur capacité à créer des emplois, qui ne dépendent pas exclusivement du territoire, restent le principal moteur du développement local.

La diversité des territoires industriels

Quatre cinquièmes des 304 zones d’emploi de France métropolitaine ont connu un repli de l’emploi industriel depuis la fin de la crise. Seule une cinquantaine d’entre elles, principalement localisées dans l’ouest et le sud, ont vu le volume de leur emploi industriel progresser, quand le quart nord-est du pays enregistre les plus fortes réductions.

Figure 1. Variation de l’emploi industriel entre 2009 et 2015

FIGURE 1. Variation de l’emploi industriel entre 2009 et 2015

Source : INSEE, CLAP. Calculs des auteurs. Réalisé avec Philcarto.

La performance des territoires échappe aux intuitions macroscopiques

L’observation des créations et destructions d’emplois industriels vient démentir plusieurs intuitions que l’on pourrait nourrir à ce sujet.

Premièrement, aucune corrélation claire ne peut être dégagée entre le nombre initial d’emplois industriels sur un territoire et sa variation. On peut donc renvoyer dos-à-dos deux thèses couramment entendues dans le débat public : d’une part, les grands bassins d’emploi industriels ne sont pas particulièrement condamnés au déclin et, d’autre part, on n’observe pas non plus de prime à ceux qui comptent le plus d’emplois sous l’effet des économies d’agglomération.

Ensuite, on observe que la spécialisation sectorielle des territoires n’a souvent, à son tour, qu’un effet limité sur leur trajectoire. La démonstration s’appuie sur une analyse structurelle-résiduelle qui distingue les trois composantes de l’évolution de l’emploi local : la composante nationale qui traduit le dynamisme moyen de l’économie et l’effet d’évolutions supra-locales (taux de change, santé économique de nos partenaires commerciaux, évolution du salaire minimum, changement dans les habitudes de consommation, etc.), la composante structurelle qui résulte de la spécialisation locale dans les différents secteurs d’activité, et la composante locale reflétant la dynamique propre de chaque territoire sous l’effet des conditions particulières qui prévalent. Ces dernières sont de natures très diverses, depuis le prix du foncier et la disponibilité de la main d’œuvre, en passant par le climat et la géographie, jusqu’aux infrastructures de transport, l’accès à la recherche et à l’enseignement, la qualité de la gouvernance et des relations clients-fournisseurs, etc.

Figure 2. Variation de l’emploi industriel due à l’effet local par zone d’emploi (2009-2015)

FIGURE 2. Variation de l’emploi industriel due à l’effet local par zone d’emploi (2009-2015)

Source : Acoss, calculs des auteurs.Réalisé avec Philcarto.

Il apparaît que l’évolution de l’emploi industriel dans les territoires est d’abord déterminée par les conditions macroéconomiques : la composante nationale explique en moyenne 52 % de sa variation locale. La spécialisation sectorielle, quant à elle, n’en explique en moyenne que 10 % et ne domine dans aucune zone d’emploi. Autrement dit, une croissance plus forte de l’emploi industriel dans un territoire n’est jamais le reflet d’une plus forte concentration des secteurs les plus dynamiques ; tout comme des destructions d’emplois importantes au niveau local ne découlent pas nécessairement d’une forte présence des secteurs identifiés comme étant en déclin sur le plan national.

L’effet local explique donc 38 % des variations de l’emploi dans les territoires et domine dans 122 zones d’emploi (soit 40 % de l’échantillon). Ce pourcentage peut s’élever à plus de 70 % pour des zones d’emploi comme Figeac, Longwy, Lunéville, Houdan ou Issoire.

Conclusion

Les conditions locales ont une influence prépondérante sur l’évolution de l’emploi, industriel ou non. Pour mieux comprendre comment encourager les entreprises les plus dynamiques et transformer leurs succès individuels en performance collective, il apparaît donc opportun de multiplier les études de cas qualitatives, ce que feront La Fabrique de l’industrie et l’observatoire des Territoires d’industrie.

En savoir plus

• Denis Carré, Nadine Levratto, Philippe Frocrain, L’étonnante disparité des territoires industriels. Comprendre la performance et le déclin , Paris, Presses des Mines, 2019.

Pour réagir à cette note, vous pouvez contacter Philippe Frocrain : philippe.frocrain@la-fabrique.fr

Ce travail a été financé par l’observatoire des Territoires d’industrie qui associe la Banque des Territoires, l’Institut pour la recherche de la Caisse des dépôts, le Commissariat général à l’égalité des territoires, Mines ParisTech, La Fabrique de l’industrie et l’Assemblée des Communautés de France.