Data : l’Internet industriel des objets à l’épreuve du réel

Data : l’Internet industriel des objets à l’épreuve du réel

© Peshkova

 

RÉSUMÉ

Les projets dits d’Internet industriel des objets (IIoT) développés par les entreprises manufacturières utilisent les données de production comme matière première dont ils extraient de la valeur. Reposant sur un continuum de technologies qui rend possible l’alignement des flux physiques et des flux de données, l’IIoT constitue l’ossature de l’industrie 4.0. Au cœur de ces technologies, la data est donc souvent présentée comme le carburant du futur.

Les promesses de l’IIoT sont très ambitieuses. Dans l’industrie manufacturière, les progrès liés à l’efficacité opérationnelle des usines, à la maintenance prédictive, ou à la gestion de la supply chain constituent un levier puissant pour générer des gains de productivité ou de flexibilité, notamment pour les PME et les ETI. Parce que ces projets sont complexes à mettre en œuvre, la logique de progressivité et de petits pas reste l’une des clés de leur réussite. L’examen de quelques bonnes pratiques permet en outre de contourner les obstacles les plus courants. Certains freins sociétaux, portant sur l’organisation du travail ou sur l’impact environnemental de la transformation numérique, doivent également être analysés et pris en considération par les responsables d’entreprise.

La crise du Covid-19 est récemment venue démontrer l’utilité de ces technologies en permettant par exemple le pilotage des sites à distance. Elle pourrait inciter ceux qui hésitent à sauter le pas.

L’IIoT, CLÉ DE VOÛTE DE L’INDUSTRIE 4.0

Quel est le point commun entre Kone, L’Oréal, Somfy, PSA et la SNCF ? Toutes ces entreprises manufacturières tirent parti des données qu’elles produisent et qu’elles analysent dans le cadre de projets dits d’Internet industriel des objets (IIoT) : Somfy pour piloter sa performance industrielle; l’Oréal pour connecter ses lignes de production et aider les opérateurs à optimiser les changements de série ; la SNCF pour passer de la maintenance préventive à la maintenance prédictive ; KONE pour surveiller les ascenseurs dont elle assure l’entretien ; PSA, enfin, pour optimiser les flux logistiques en traçant et en géolocalisant les déplacements de ses containers de pièces détachées1.

En investissant dans l’IIoT, ces entreprises tirent un avantage concurrentiel de leurs données, et leur donnent de ce fait de la valeur. Elles ont aussi franchi une étape décisive vers l’industrie 4.0, en rendant possible l’alignement des flux physiques et des flux de données au sein d’une usine ou d’un groupe d’usines. L’IIoT constitue l’ossature de cette nouvelle organisation : un continuum de technologies variées – des capteurs jusqu’à l’intelligence artificielle, en passant par les réseaux de télécommunications et les plateformes d’analyse et de stockage – sur lequel ces entreprises se sont appuyées pour extraire, identifier et suivre le « voyage » de leur data, avant de la transformer en information utile, aujourd’hui pour elles-mêmes, demain pour leurs clients.

D’une portée considérable, les promesses de l’IIoT peuvent être regroupées en grandes catégories : améliorer l’efficacité opérationnelle directe et indirecte d’une fonction, d’un site, ou d’un système industriel global, des fournisseurs jusqu’aux clients ; créer de la valeur additionnelle sur des produits existants (amélioration de la qualité, traçabilité…) ; créer de nouvelles sources de revenus – voire susciter de nouveaux modèles d’affaires – en monétisant les données collectées ou en créant des services innovants à partir de cette data.

Une façon pragmatique pour un industriel d’entrer dans l’IIoT consiste à partir de ses besoins plutôt que des technologies. Les choses deviennent en effet plus claires dès lors qu’on évoque ses enjeux « business ». De ce point de vue, la recherche d’efficacité opérationnelle, la continuité des processus dans l’usine et aux interfaces de l’usine, le pilotage de la production par des flux d’informations, la capacité à produire des séries courtes de façon rentable, ou encore la productivité, la sécurité, la traçabilité et la qualité des process et des produits restent les sujets les plus prometteurs.

L’efficacité opérationnelle constitue par ailleurs le champ qui offre le plus d’opportunités de transformation et de progrès pour les ETI et PME dans le cadre d’une démarche lean. La plupart du temps, les opérateurs, comme les directeurs de production, ne savent pas avec exactitude d’où proviennent les pertes qu’ils subissent, ou les raisons précises qui déclenchent un arrêt de ligne. En faisant « parler les machines », les solutions IIoT objectivent les sources de problèmes : la lecture directe des données et le pilotage par les faits – plus que par l’intuition – accélèrent la mise en œuvre de solutions. Une fois ces données agrégées, il est ensuite possible « d’historiser » les incidents et d’en tirer des enseignements.

Le pilotage centralisé par la donnée permet également de mieux gérer la réduction de la taille des lots – une tendance lourde dans de nombreux secteurs industriels. L’objectif consiste ici à diminuer le temps de passage d’une série à une autre, en guidant les opérateurs et en proposant des réglages instantanés depuis leur smartphone ou leur tablette, afin d’arriver plus vite à un produit «bon du premier coup». Si ces changements sont plus courts et plus rapidement efficients, les taux de rendement synthétiques s’améliorent et les consommations de matières baissent.

LES CONDITIONS DE MISE EN ŒUVRE D’UN PROJET IIoT

La logique de progressivité et de petits pas reste l’une des clés de la réussite du déploiement de ces projets. Compte-tenu de leur complexité, ceux-ci commencent souvent par une expérimentation sur un périmètre très circonscrit, puis s’enchaînent jusqu’à concerner toute une usine, voire tout un système productif. En règle générale, les projets réussissent mieux lorsqu’ils s’inscrivent dans une vision stratégique et un projet global de transformation digitale de l’entreprise, avec une feuille de route précise. Le ROI de ces projets, toutefois, est encore mal connu. Les investissements nécessaires pour produire des effets visibles doivent être cumulés entre trois et cinq ans, et certains bénéfices indirects sont plus difficiles à mesurer (qualité de vie au travail, satisfaction des collaborateurs, attractivité de l’usine). La mesure du retour d’expérience (RETEX ou REX), dont la méthodologie doit être définie en amont, semble plus appropriée à ce stade. Elle donnera des indicateurs pour corriger, poursuivre ou abandonner l’action, ou encore l’élargir à un nouveau périmètre.

Enfin, l’Internet industriel des objets suscite des préoccupations sociales et sociétales qui ne peuvent être ignorées. L’IIoT peut en effet être perçu comme un système de surveillance généralisée, au détriment de l’autonomie des travailleurs. Il facilite aussi l’intégration de personnel peu qualifié, battant ainsi en brèche le discours sur la montée en compétence des opérateurs dans l’usine numérique. La résolution de cette ambivalence dépendra du contexte dans lequel les projets sont lancés et des objectifs poursuivis par l’entreprise. Sur le plan environnemental, ensuite, la consommation énergétique de l’Internet des objets et des data centers pose la question de la compatibilité entre transition énergétique et transition numérique. Paradoxalement, les technologies numériques elles-mêmes pourraient apporter des éléments de réponse en permettant de collecter plus facilement les données concernant les façons de produire et leurs impacts environnementaux.

Comme souvent, la technologie est porteuse d’autant de risques que d’opportunités. Les solutions IIoT ont toutefois démontré leur intérêt dans la crise de la Covid-19 en permettant le pilotage à distance des machines ou des lignes de production. Cette crise est par ailleurs venue confirmer les fragilités du tissu industriel français, dont la base trop resserrée ne permet plus d’assurer notre autonomie en cas de ruptures des chaînes mondiales. Loin d’accélérer la désindustrialisation, la transformation numérique permet aux entreprises de s’adapter à la complexité et de sortir de cette crise vivantes voire renforcées.

CONCLUSION: LES FACTEURS CLÉS DE SUCCÈS

Les projets IIoT sont assurément complexes. L’examen des bonnes pratiques à mettre en œuvre et des points de vigilance à garder en tête aidera les industriels à contourner les difficultés les plus fréquemment observées.

Organiser et gérer : l’organisation et la gestion de projet restent des défis majeurs pour la réussite des projets IIoT. La réflexion amont autour d’une feuille de route digitale visant à transformer l’entreprise pour maintenir sa compétitivité est souvent un gage de succès.

Partir des usages plutôt que des technos : passer en revue les besoins et les usages métiers de l’entreprise permet de délimiter le périmètre des premiers projets.

Prioriser : les projets peuvent être filtrés selon trois critères : désirabilité, faisabilité et viabilité.

Embarquer les équipes : associer les différents métiers de l’entreprise au projet et « sortir » le projet des murs de la DSI, faire appel à des « passeurs culturels ».

Choisir les technos et les partenaires : si le choix du Make or Buy dépend de nombreux paramètres, il est conseillé aux entreprises qui démarrent d’opter pour des solutions « sur étagère ».

Intégrer les enjeux de cybersécurité : l’IIoT constitue une source potentielle de vulnérabilité des systèmes et des réseaux. L’ANSSI a publié un guide « d’hygiène numérique » qui intègre ces menaces.

Mesurer les résultats : le retour d’expérience, mesuré méthodiquement sur une boucle PDCA (Plan, Do, Check, Act), semble un bon outil d’analyse.

  • 1. Les projets de ces entreprises sont détaillés dans l’étude complète « Vos données valent-elles de l’or ? L’Internet industriel des objets à l’épreuve du réel » (2021).

 

En savoir plus

Mandon R., Bellit S. (2021). Vos données valent-elles de l’or ? L’Internet industriel des objets à l’épreuve du réel, Paris, Presse des Mines.
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