ETI et talents : les clés pour que ça matche

ETI et talents : les clés pour que ça matche

© Tatyana Larina/ iStockphoto

Avant-propos

Née en 2008, la catégorie des entreprises de taille intermédiaire (ETI) est longtemps restée un « objet » statistique. Mais depuis quelques années, et plus particulièrement depuis la crise sanitaire et économique liée au Covid, les ETI semblent bénéficier d’une attention plus appuyée de la part du gouvernement. En témoigne le lancement de la stratégie Nation ETI en 2020, renouvelée deux ans plus tard. Leur fort ancrage territorial, leur capacité d’innovation et leur présence dans plusieurs secteurs clés (santé, énergie, aéronautique, etc.) en font en effet des supports essentiels aux ambitions de souveraineté et de réindustrialisation de la France. La facilitation de leur accès aux compétences et l’amélioration de leur attractivité ont néanmoins été identifiées par le gouvernement comme des axes prioritaires pour les renforcer.

Souffrent-elles davantage que les PME et les grandes entreprises des tensions pesant actuellement sur le marché de l’emploi ? Les ETI diffèrent-elles des autres entreprises par la composition et la dynamique de leurs emplois ? Il n’en est rien, observent les auteurs de cet ouvrage, dont le travail vient répondre à des questions encore peu traitées. Grâce aux données de la chaire etilab, les auteurs le montrent : les ETI ne sont guère plus industrielles que les autres et ne se distinguent pas non plus en matière de dynamique et de composition de l’emploi. En revanche, elles rencontrent bien des obstacles au recrutement qui leur sont propres. Ceux-ci pourraient être en partie levés par les ETI elles-mêmes, en défendant mieux leurs atouts auprès des candidats et en élargissant leur vivier de recrutement, d’après les pistes identifiées par les auteurs.

Nous espérons que ce document apportera aux décideurs publics, aux entreprises et à tous les acteurs de l’emploi et de la formation, un éclairage précieux sur le fonctionnement de cette catégorie d’entreprise et des pistes sur les moyens d’améliorer leur accès aux compétences.

La collection des « Docs de La Fabrique » rassemble des textes qui n’ont pas été élaborés à la demande ni sous le contrôle de son conseil d’orientation, mais qui apportent des éléments de réflexion stimulants pour le débat et la prospective sur les enjeux de l’industrie.

Vincent Charlet, délégué général de La Fabrique de l’industrie et Pierre Fleckinger, professeur d’économie à Mines Paris – PSL et titulaire de la chaire etilab

Résumé

Instituée sur le plan statistique par la loi de modernisation de l’économie en 2008, la catégorie des entreprises de taille intermédiaire (ETI) compte aujourd’hui 5 900 entités aux profils variés. Présentes dans tous les secteurs d’activité, les ETI réalisent près d’un tiers du chiffre d’affaires des entreprises françaises, environ un quart de leurs dépenses en R&D et plus de 33 % du chiffre d’affaires à l’export. Elles représentent enfin 25 % de l’effectif salarié et constituent souvent le noyau économique et d’emploi des territoires où elles tendent à se concentrer.

Encore volontiers assimilées aux entreprises du Mittelstand qui jouent un rôle important dans le tissu industriel de notre voisin allemand, elles en partagent finalement peu de caractéristiques, à l’exception d’une structure de gestion majoritairement familiale et d’un fort ancrage territorial. En dehors d’une légère surreprésentation de l’industrie manufacturière dans leurs effectifs, les ETI ne se distinguent finalement pas véritablement des PME ni des grandes entreprises par la composition et les dynamiques de leurs emplois. L’évolution de l’emploi dans les ETI entre 2009 et 2019 suit des dynamiques avant tout sectorielles qui ne sont pas propres à cette catégorie : du fait du mouvement de désindustrialisation du pays, seules les ETI industrielles sont en perte nette d’emploi – et en l’occurrence les ETI filiales de groupes étrangers. Enfin, les ETI ne dérogent pas à la tendance globale de dynamisme des métropoles et de la façade atlantique, au détriment des bassins du nord et de l’est de la France, où elles étaient pourtant majoritairement implantées. En matière d’emplois, les ETI sont donc des entreprises comme les autres, qui souffrent actuellement des mêmes difficultés de recrutement sur le marché très tendu de l’emploi.

Des problèmes d’attractivité communs

Ces difficultés sont en revanche plus délicates à dépasser pour les ETI en raison de problèmes supplémentaires pesant sur leur attractivité. Elles qui peinent à recruter de nombreux types de profils, souffrent d’abord d’un déficit de notoriété. La catégorie des ETI est peu connue du grand public, et les entreprises qui la composent sont peu médiatisées en tant qu’ETI. En outre, bien qu’elles puissent être des leaders internationaux dans leur domaine, elles sont souvent les fournisseurs de grands groupes davantage mis en lumière. Les ETI sont par ailleurs très étroitement associées à l’industrie, et pâtissent par conséquent du manque d’attrait encore patent des candidats pour ce secteur d’activité. Les ETI industrielles sont d’ailleurs celles qui éprouvent les plus grandes difficultés en matière de recrutement. Enfin, si l’actionnariat le plus souvent familial de l’entreprise peut être gage de stabilité et de stratégie de long terme, cela peut également décourager des candidats y percevant plutôt un certain immobilisme, une inertie stratégique et une hiérarchie sclérosée. Améliorer l’attractivité des ETI – dont l’emploi est un levier essentiel de croissance – est perçu par les pouvoirs publics comme un enjeu de premier plan pour renforcer ces entreprises essentielles au maintien d’une économie forte. L’un des quatre grands axes de la nouvelle feuille de route de la stratégie Nation ETI, adoptée début 2023, consiste ainsi « à développer leur attractivité auprès de tous les publics ».

Au-delà du problème d’attractivité, les ETI ont également quelques problèmes plus structurels qui limitent leur force de frappe en matière de recrutement. Elles allouent notamment aux ressources humaines des moyens sous-dimensionnés au regard de ce qu’y investissent les grandes entreprises. C’est notamment le cas dans l’industrie, la construction, les services et les transports, où elles apparaissent significativement moins dotées en équipes RH, en proportion du salariat total. La plupart des ETI interrogées dans le cadre de cet ouvrage ne disposent pas non plus d’une véritable stratégie de recrutement, tenant compte à la fois des besoins ponctuels et des besoins à venir du fait de l’évolution des marchés. Elles ne profitent pas non plus à plein du vivier de recrutement que constituent certains dispositifs comme l’apprentissage permettant d’intégrer des jeunes en formation.

Des atouts à faire valoir

Les ETI aussi ont de nombreux atouts à faire valoir, qui correspondent d’ailleurs aux attentes des candidats à l’emploi. Concernant d’abord le salaire et les avantages en nature qui demeurent les premiers facteurs d’attractivité d’une offre d’emploi, les ETI se montrent globalement compétitives, notamment quand elles sont exposées à l’international. L’écart avec les grandes entreprises est tangible dans certains secteurs seulement : la construction, les transports et l’industrie. En outre, la taille de leur structure leur permet plus facilement d’expérimenter de nouveaux concepts organisationnels, tenant compte des nouvelles attentes des collaborateurs. On peut citer le cas d’Acorus, spécialisé dans l’entretien et la rénovation immobilière, qui expérimente la semaine de quatre jours dans l’une de ses agences employant près de 70 personnes. L’objectif pour l’entreprise est de rendre ses métiers attractifs, bien qu’ils ne puissent pas être effectués en télétravail. Les ETI ont enfin un mode de gouvernance et de management axé sur la proximité, l’agilité et la responsabilisation des salariés. Elles sont ainsi disposées à faire confiance et à responsabiliser même les profils juniors. Les ETI sont d’ailleurs moins sélectives quant aux établissements et formations suivis par les candidats, et de fait plus ouvertes à faire avancer des profils moins normés, en récompensant le mérite.

Reste aux ETI à le faire savoir aux candidats à l’emploi. Gagner en notoriété et en visibilité auprès d’eux et du grand public est en effet un prérequis à l’attractivité des ETI. Mais cela demande de mobiliser habilement des ressources limitées et de s’appuyer sur les bons acteurs. Cela peut être le Club ETI régional pour le partage de bonnes pratiques et le déploiement d’actions communes, les élus locaux, Pôle emploi, les acteurs de la formation… La diversité et la multiplication des actions mises en place ne pourront que servir à augmenter le rayonnement de la catégorie ETI et de ses « champions cachés »1.

Remerciements

Tout d’abord, nous tenons à chaleureusement remercier la chaire etilab2, et en particulier Antoine Prévet et Pierre Fleckinger, pour leur accompagnement tout au long de ce travail. Ils nous ont été d’une grande aide dans l’étude du sujet et ont apporté un regard critique particulier à nos analyses. L’énergie avec laquelle ils ont contribué à nous extraire des données encore jamais exploitées pour objectiver la question de l’emploi dans les ETI nous a été extrêmement précieuse.

Nous tenons également à remercier Gérard Messanvi, Théanô Gené et Isabelle Hussherr, des Clubs ETI Île-de-France et Grand-Est, pour leur bienveillance et leurs mises en contact. Leurs conseils et leur appui ont été essentiels pour nous permettre de mieux comprendre les enjeux opérationnels liés à ce sujet complexe, sans trop perdre en généralité.

Un grand merci aux élèves de l’Institut national du service public (INSP, ex-ENA) de la promotion Guillaume Apollinaire : Agathe Cavalière, Alexandre David, Alexandre Gueu, Aurélie Feste-Guidon, Charly Chotard, Chinami Kaneko, Dario Degboe, Guillaume Mars, Im Bouheng, Linda Toumi, Nicolas Lançon et Sylvie Guessab, avec qui nous avons travaillé sur un rapport sur commande administratif sur le même sujet. Leurs idées et leur collaboration nous ont permis d’adopter l’angle nouveau des politiques publiques pour étudier l’attractivité de l’emploi dans les ETI en France. Merci également aux équipes de la direction générale des entreprises, et particulièrement à Céline Brunet pour l’encadrement de la rédaction de ce rapport et pour leur disponibilité.

Enfin, nous remercions toutes les entreprises (de taille intermédiaire, mais pas que !) qui ont accepté de partager leurs expériences avec nous, et plus largement les parties prenantes qui se sont prêtées aux jeux de l’audition et de la discussion.

  • 1 – Selon le concept introduit par le consultant allemand Hermann Simon pour désigner certains leaders méconnus dans leur domaine.
  • 2 – etilab est la première chaire de recherche et d’enseignement dont l’objet d’étude est spécifiquement les ETI. Elle a été créée en juin 2022.

Avertissement : les recherches et entretiens ainsi que la rédaction du présent document ont été menés par Louis Gaget et Manon Nguyen Van Mai en qualité d’élèves ingénieurs des mines. Les positions et arguments contenus dans ce manuscrit n’engagent qu’eux et pas leurs employeurs respectifs.

Introduction

Née en 2008, la catégorie statistique des ETI (entreprises de taille intermédiaire), joue un rôle majeur dans l’économie française. Les 5 900 entreprises qui la composent, aux profils très variés, ne représentent que 4 % des entreprises exportatrices mais concentrent 25 % de l’emploi salarié, réalisent près d’un tiers du chiffre d’affaires et des investissements des entreprises françaises et sont à l’origine de plus du tiers des montants exportés.

Surtout, en dépit de leur diversité, les ETI possèdent plusieurs caractéristiques communes perçues comme des atouts essentiels au maintien d’une économie forte et au renforcement de notre souveraineté : plus structurées que les PME, ces entreprises très ancrées sur leur territoire peuvent mobiliser des moyens importants pour innover3 et créer de l’emploi, tout en conservant une réactivité et une flexibilité supérieures à celles des grands groupes.

Néanmoins, comme en témoignent de nombreux dirigeants d’ETI interrogés dans le cadre de cet ouvrage, leur croissance est grandement conditionnée à leur capacité à recruter et à fidéliser leurs salariés. Or, sur un marché de l’emploi actuellement marqué par de fortes tensions, les ETI doivent faire face à la concurrence des PME et des grandes entreprises pour attirer et retenir les talents.

Comment peuvent-elles tirer leur épingle du jeu ? Quels sont les atouts dont elles disposent pour convaincre les trop rares candidats à les rejoindre ? En 2020, lors du lancement par le gouvernement de sa stratégie Nation ETI4, l’exécutif a fait du « développement de l’attractivité et l’accès des ETI aux compétences » un des quatre axes devant guider son plan d’action. Doit-on deviner dans cette décision que l’attractivité des ETI serait moins forte que celle des PME et des grands groupes ? La composition et les dynamiques de l’emploi en ETI sont globalement alignées avec celles des autres catégories d’entreprise, et elles font face aux mêmes difficultés de recrutement. Des difficultés qui trouvent des explications conjoncturelles et structurelles : pénurie des compétences, inadéquation des profils aux besoins de la structure, implantation géographique peu attractive, ou encore conditions de travail inadaptées aux nouvelles attentes des candidats… Alors, la structure souvent familiale des ETI, la jeunesse de cette catégorie d’entreprises ou encore l’image d’entreprise industrielle qui leur colle à la peau sont-elles de nature à nuire plus spécifiquement à l’attractivité des ETI sur le marché de l’emploi ?

Ce sont à ces questions que cet ouvrage cherche à répondre, en s’appuyant notamment sur les données collectées et traitées par la chaire etilab et sur une série d’entretiens menés entre autres auprès des dirigeants d’ETI, de collectivités, de services publics de l’emploi et d’acteurs de la formation.

Dans un premier temps, nous nous attelons donc à analyser plus précisément la structure de l’emploi dans les ETI et la façon dont les difficultés de recrutement touchent les ETI françaises. Nous cherchons également les raisons de ces difficultés afin de vérifier si elles sont propres aux ETI, ou pas.

Dans un second temps, nous interrogeons les leviers dont disposent les ETI pour renforcer leur attractivité et corriger certaines de leurs fragilités identifiées en première partie. Nous proposons également des pistes d’action concrètes en nous inspirant notamment d’initiatives observées sur le terrain.

  • 3 – 23 % de la dépense privée de R&D est réalisée par les ETI, indique le dossier de presse interministériel du deuxième volet de la stratégie Nation ETI du 5 janvier 2022.
  • 4 – Annoncée par le président de la République en janvier 2020, la stratégie Nation ETI vise à mieux faire connaître « le rôle structurant et la contribution des ETI à l’économie française, soutenir leur développement et renforcer la prise en compte de leurs enjeux et de leurs spécificités dans la conception de la politique économique ».
Chapitre 1

ETI : taille intermédiaire mais poids lourds de l’économie

Créée en 2008 pour les besoins de l’analyse statistique et économique, la catégorie des ETI est désormais reconnue comme un moteur de l’économie française et du développement des territoires. Leur structure leur permet d’investir et d’innover davantage que les PME tout en restant généralement plus ancrées dans les territoires que les grandes entreprises.

La notion d’entreprise de taille intermédiaire est récente. La création de cette catégorie d’entreprise a été entérinée par l’article 51 de la loi de modernisation de l’économie du 4 août 2008 visant à « stimuler la croissance et les énergies, en levant les blocages structurels et réglementaires que connaît l’économie de la France ». Cette catégorie est inspirée du Mittelstand allemand, dont la popularité fut à l’origine de débats récurrents au début des années 2000. La délimitation choisie, purement statistique et basée sur l’effectif et le chiffre d’affaires, est toutefois propre à la France, rendant complexes les tentatives de comparaison avec le Mittelstand.

Les ETI correspondent ainsi soit à des entreprises comptant entre 250 et 4 999 salariés et dont le chiffre d’affaires annuel n’excède pas 1,5 milliard d’euros ou dont le total du bilan n’excède pas 2 milliards d’euros (auxquels cas il s’agirait de grandes entreprises) ; soit à des entreprises comptant moins de 249 salariés mais dont le chiffre d’affaires annuel est supérieur à 50 millions d’euros et le total du bilan compris entre 43 millions et 2 milliards d’euros (sinon elles seraient considérées comme des PME).

Figure 1.1 — Critères limites des catégories d’entreprise en France

Source : DGE (2018).

Mittelstand et ETI : des cousines éloignées

Le Mittelstand, signifiant « classe moyenne », renvoie à une réalité sociologique plus qu’à une catégorie statistique. Ses 12 500 entreprises ne coïncident pas avec la définition française de l’ETI mais relèvent principalement, selon l’Institut für Mittelstand (IfM) de Bonn, de critères actionnariaux : détention d’au moins 50 % du capital de la société et exercice de fonctions de direction par une ou deux personnes physiques, ou plusieurs membres d’une même famille. Cette appellation peut donc s’appliquer à ce qui serait qualifié en France de PME, ainsi qu’à certaines grandes entreprises familiales.

Les ETI forment toutefois un ensemble fortement hétérogène. Composée de 5 900 entités en 2021 (Insee, 2022), la catégorie ETI se partage entre entreprises françaises (75 %) et des filiales de groupes étrangers (25 %)5. Elles sont réparties dans des structures de tailles diverses et dans une variété de secteurs : l’industrie et la construction (35 %), le commerce (27 %), les services (27 %) (METI et Mawenzi Partners, 2021). Finalement, il n’y a rien de plus différent d’une ETI qu’une autre ETI. Aussi, pour clarifier le propos dans la suite de l’ouvrage, nous distinguons trois types d’ETI.

Les « petites ETI » comptent moins de 250 employés et remplissent donc les critères financiers d’adhésion à la catégorie. Ces entreprises, qui représentent 31 % des ETI, traitent généralement, à faible marge, des volumes financiers très importants en stock (secteur immobilier) ou en flux (secteurs financier et commercial) mais ne nécessitent pas des effectifs importants6. Elles ont donc des typologies et des contraintes particulières, qui justifient de les isoler.

Les « moyennes ETI » constituent près de la moitié de la catégorie (49 %). Elles comptent entre 250 et 750 employés, ce plafond correspondant à la moyenne du nombre d’employés dans les ETI dont l’effectif est supérieur à 250.

Enfin, les « grandes ETI » ont plus de 750 employés, et naturellement moins de 5 000 employés. Elles représentent 20 % des ETI.

Figure 1.2 — Répartition des ETI en fonction de leur effectif

Source : Insee, FARE, DADS, 2019.
Traitement : etilab.

Une catégorie non reconnue par l’Union européenne

L’Union européenne ne distingue aujourd’hui que deux catégories : les PME (<em »>small caps, moins de 250 salariés) et les grandes entreprises7. Plusieurs ETI interrogées notent que cela les expose à des contraintes réglementaires qu’elles jugent disproportionnées. Des travaux sont d’ailleurs en cours en vue de créer une catégorie intermédiaire mid-caps à l’échelle européenne afin de rendre la réglementation plus progressive et de prévoir des allègements et des exceptions pour les entreprises relevant de ses critères.

Des moteurs de l’économie nationale

Représentant près d’un tiers du chiffre d’affaires des entreprises françaises, les ETI constituent pour l’économie nationale une source importante de compétitivité. En effet, leur forte présence sur des marchés de niche leur confère une forte capacité d’export et l’opportunité de devenir des leaders internationaux : 500 ETI se sont hissées au rang de leader européen ou mondial dans leur domaine (Insee, 2020). C’est le cas par exemple d’Axon’ Cable, leader européen de la conception et de la fabrication de câbles et connecteurs à destination de l’automobile, de la défense et de l’aéronautique, ou de Septodont, leader mondial du marché des produits destinés aux chirurgiens-dentistes. Selon l’Insee (2022), les ETI représentent ainsi 33 % du chiffre d’affaires à l’export (contre 52 % pour les grandes entreprises).

Elles sont également des acteurs essentiels du renforcement de notre souveraineté dans la mesure où elles représentent des actifs stratégiques pour maintenir et développer la production en France. Le plus souvent, elles sont en effet des fournisseurs de rang 1 ou de rang 2 dans des secteurs identifiés comme clés de notre économie et de notre souveraineté (santé, aéronautique, spatial, énergie…)8.

En matière d’innovation, les ETI ont représenté, en 2020, 24,6 % de la dépense intérieure de R&D des entreprises implantées en France (DIRDE) et près d’un tiers des effectifs de R&D. Ces dépenses bénéficient particulièrement à l’industrie puisque 71 % de leurs dépenses de R&D sont industrielles. Elles sont néanmoins celles qui bénéficient le moins du soutien public direct à la R&D, sous forme de subventions ou de commandes publiques : en 2020, les grandes entreprises en ont perçu 73 %, les PME 20 % et les ETI 7 %9.

Elles sont aussi des sources de résilience, grâce à leur structure de gestion familiale : 50 % des ETI sont détenues majoritairement par une famille10 (METI et Mawenzi Partners, 2021).

Elles sont enfin des acteurs essentiels de l’attractivité et de la dynamisation des territoires où elles sont implantées11, et dont elles peuvent constituer le noyau économique et d’emploi. Dans certaines zones d’emploi, comme à Vire en Normandie, elles représentent jusqu’à plus de 40 % de l’emploi total12 (Insee, 2022). Il faut dire que la moitié de l’emploi des ETI est localisée dans 23 zones d’emplois en France, majoritairement dans la moitié nord du pays. À titre de comparaison, il faut 35 zones d’emploi pour accueillir la moitié de l’emploi national en France (Insee, 2022).

Afin d’accompagner au mieux leur développement, les pouvoirs publics se sont dotés de la stratégie Nation ETI lancée en janvier 2020 et pilotée par la direction générale des entreprises13. L’objectif principal de cette stratégie est de faire connaître les ETI et leur contribution à l’économie française. Elle doit également assurer leur meilleure prise en compte dans les politiques publiques. En effet, les grandes entreprises ont des facilités d’accès aux pouvoirs publics car elles concentrent des volumes d’emploi considérables et détiennent de fait un pouvoir de négociation important. Les PME bénéficient quant à elles de dispositifs spécifiques14 et de multiples aides d’État : elles jouissent en particulier d’exemptions aux réglementations européennes sur les aides d’État dans le cadre du régime général d’exemption par catégorie. Enfin, les start-up15 tirent parti d’un écosystème relativement structuré et d’un sponsoring d’État massif symbolisé par la montée en puissance de la French Tech, label ayant vocation à donner une identité visuelle forte et des opportunités d’échanges.

Figure 1.3 — Répartition de différents agrégats selon la catégorie d’entreprise en 2020

Source : Insee (2022).

25 % de l’emploi concentré dans les ETI

Les ETI représentent un quart de l’emploi salarié en France, soit environ quatre millions de salariés16. Leur importance sur le marché de l’emploi est méconnue, principalement parce que la problématique de l’emploi est plus souvent appréhendée sous un angle sectoriel que sous un angle catégoriel.

Affiner la catégorie statistique ETI pour leur meilleure intégration dans les politiques publiques

Compte tenu de la jeunesse de la catégorie statistique, isoler des données propres aux ETI constitue un défi. Les analyses économiques réalisées par les acteurs publics s’appuient encore trop souvent sur une catégorie conjointe « PME/ETI ». Cette association peut s’expliquer par la proximité, réelle, entre les petites ETI et certaines grosses PME, souvent qualifiées de « PME de croissance ». Cet amalgame masque toutefois les disparités internes au sein de la catégorie des ETI.

L’amélioration de la connaissance relative à la catégorie statistique des ETI, particulièrement à des fins de pilotage des politiques publiques en matière d’emploi, pourrait se traduire de la façon suivante : (i) poursuivre le travail engagé auprès des acteurs publics afin de généraliser l’usage de la catégorie ETI dans les analyses socio-économiques, notamment en limitant le chevauchement avec la catégorie PME (Insee, Dares, Bpifrance…) ; (ii) élaborer des indicateurs et des outils de pilotage des politiques publiques dédiées aux ETI (exemple : cartographie partagée des ETI d’un territoire).

Figure 1.4 — Ventilation de l’emploi par secteur et par catégorie d’entreprise

Source : Insee (2022).

Pourtant, les ETI constituent la catégorie d’entreprises qui a créé le plus d’emplois en France depuis 200917 (Insee, 2022). En effet, entre 2009 et 2019, les ETI ont créé 523 400 emplois, loin devant les PME et les grandes entreprises (respectivement 167 800 et 371 200 emplois), quand les microentreprises en ont perdu 154 800. Ces créations d’emplois résultent de deux effets : des créations dans la catégorie (+ 223 200) et des changements de catégorie avec les grandes entreprises et les PME (- 493 300 vers les grandes entreprises et + 752 500 venant des PME). Il faut également noter que ce dynamisme est à mettre au crédit des ETI françaises ; entre 2009 et 2019, ces dernières ont créé 280 600 emplois, quand les ETI étrangères en ont perdu 57 300.

Figure 1.5 — Décomposition de l’évolution de l’emploi dans les ETI entre 2009 et 2019

Source : Insee (2022).
Note de lecture : « Dans les établissements pérennes (c’est-à-dire créés depuis au moins un an au 1er janvier de l’année considérée), les ETI créent 26 500 emplois entre 2009 et 2019. Ce solde faible résulte néanmoins de flux très importants :1 885 000 embauches pour 1 858 500 suppressions d’emplois, sur la base des soldes d’effectif annuel, établissement par établissement.

En créant des établissements, les ETI créent plus d’emplois qu’elles n’en détruisent en fermant des établissements : cela représente entre 2009 et 2019 un solde positif de 196 700 emplois, bien supérieur à celui des établissements pérennes. Ce solde résulte néanmoins de flux moins importants que dans les établissements pérennes : 601 400 embauches pour 404 700 suppressions d’emplois.

Les raisons pour lesquelles les ETI développent leurs emplois via de nouveaux établissements sont diverses : géographiques avec de nouvelles implantations, économiques pour développer de nouvelles activités, etc. Il s’agit presque toujours de la création ou de la suppression d’un établissement au sein d’une même entreprise : il est rare qu’une nouvelle entreprise soit directement une ETI. » (Insee, 2022)

Les ETI constituent par ailleurs la catégorie d’entreprise où l’emploi industriel est le plus représenté, en particulier l’emploi manufacturier. Parmi les 2,7 millions de salariés en ETP travaillant dans l’industrie manufacturière en France, 38 % sont employés par des ETI, soit près d’un million de salariés. Par ailleurs, les ETI industrielles représentent un tiers du stock total d’entreprises de taille intermédiaire.

Figure 1.6 — Répartition de l’emploi dans l’industrie par catégorie d’entreprise

Source : Insee (2022).

(*) : L’industrie représente 23 % du salariat français. La définition éco-nomique des entreprises d’après la loi LME de 2008 conduit donc à intégrer à l’estimation de leur activité celle de leurs filiales non industrielles.

  • 5 – Au sens de l’Insee, une ETI française se caractérise par un centre de contrôle situé en France. Cette notion exclut donc les filiales de groupes internationaux qui correspondent aux critères statistiques d’ETI sur le territoire national, comme Coca-Cola France par exemple. Ces dernières, jouissant de ressources accrues du fait de leur statut de filiale ainsi que d’une notoriété généralement plus importante, ont des problématiques différentes de celles des ETI françaises, et s’approchent donc plus de la dynamique des grandes entreprises. Cet ouvrage a avant tout pour objet les ETI françaises – sans que la distinction ne soit systématiquement explicitée.
  • 6 – Les cinq secteurs les plus représentés dans cette catégorie sont dans l’ordre : (i) Commerce de gros, sauf automobile, (ii) Commerce de détail, sauf automobile, (iii) Commerce et réparation d’automobiles, (iv) Activités immobilières, (v) Industrie alimentaire.
  • 7 – Eurostat, l’autorité statistique communautaire, considère elle aussi les entreprises de plus de 250 salariés comme des grandes entreprises.
  • 8 – Dans le cadre du plan France 2030 notamment.
  • 9 – Source : ministère de l’Enseignement supérieur et de la Recherche.
  • 10 – C’est une donnée importante qui distingue les ETI des grands groupes mais les PME sont évidemment plus souvent encore à capitaux familiaux.
  • 11 – En moyenne, les ETI ont entre 5 et 6 implantations sur le territoire national (METI et Mawenzi Partners, 2021).
  • 12 – Une zone d’emploi est «un espace géographique à l’intérieur duquel la plupart des actifs résident et travaillent », précise l’Insee. Le découpage en zones d’emploi constitue une partition du territoire adaptée aux études locales sur le marché du travail. Il existe 306 zones d’emploi dans le dernier découpage de 2020, outre-mer compris.
  • 13 – Direction rattachée au ministère de l’Économie, des Finances et de la Souveraineté industrielle et numérique, la DGE conçoit et met en œuvre les politiques publiques concourant au développement des entreprises.
  • 14 – Le gouvernement comprend notamment une ministre déléguée chargée des Petites et Moyennes Entreprises, du Commerce, de l’Artisanat et du Tourisme.
  • 15 – Les start-up ne constituent pas une catégorie statistique ; la notion se rapporte plutôt à un imaginaire collectif. Il est donc possible d’être à la fois une ETI et une start-up ; c’est le cas de certaines entreprises s’identifiant comme des start-up industrielles, à l’instar d’Exotec.
  • 16 – 60 % de l’emploi ouvrier des ETI et des grandes entreprises réunies se trouve dans les ETI (Fleckinger et Prévet, 2023).
  • 17 – Nous prenons 2009 comme point de départ car la catégorie des ETI a été créée en 2008, et 2019 comme point de comparaison parce que c’est la dernière année représentative de l’activité économique avant « l’effet Covid ».
Chapitre 2

Des entreprises presque comme les autres

Les difficultés de recrutement qui pénalisent aujourd’hui les entreprises viennent frapper les ETI de la même façon que les PME et les grands groupes. Ces difficultés seront en revanche sans doute plus délicates à dépasser, en raison de problèmes supplémentaires d’attractivité des ETI, dont l’emploi est pourtant un levier de croissance.

Au premier ordre, la répartition des effectifs par secteur d’activité ne présente pas pour les ETI de spécificité notable. On retrouve une légère surreprésentation de l’industrie manufacturière (notamment liée aux ETI étrangères), et une présence un peu plus effacée dans les secteurs des transports et de la construction, respectivement dominés par les grandes entreprises et les PME.

Figure 2.1 — Effectifs en ETP selon le secteur d’activité et la catégorie d’entreprise en 2020

Source : Insee (2022).

En outre, les créations et suppressions d’emploi par secteur ne diffèrent pas non plus entre le périmètre national et celui des seules ETI. Parmi les ETI, les ETI industrielles sont les seules à afficher des pertes nettes (- 63 900 emplois), et cela quasi exclusivement du fait des ETI étrangères18 (voir figure 2.2), le reste des secteurs étant soit proches de l’équilibre (activités immobilières, construction…) soit créateurs d’emplois.

Figure 2.2 — Créations et suppressions d’emplois par secteur d’activité selon la nationalité de l’ETI entre 2009 et 2019

Source : Insee (2022).
Note de lecture : dans l’industrie, les ETI françaises créent 3 080 emplois quand les ETI étrangères en perdent 67 022. Dans le commerce, les ETI françaises créent 28 379 emplois, les ETI étrangères 9 982.

Ce constat est en ligne avec l’évolution nationale de l’emploi, tous types d’entreprises confondus (voir figure 2.3) : sur les dix dernières années (2009-2019), seule l’industrie est en perte nette, la construction étant quant à elle revenue à l’équilibre sur la fin de la période. L’évolution de l’emploi dans les ETI semble donc suivre des dynamiques avant tout sectorielles, notamment un phénomène de désindustrialisation, qui ne sont pas propres à cette catégorie.

Figure 2.3 — Évolution de l’emploi salarié marchand entre 2000 et 2021

Source : Insee (2022).

Enfin, en matière de dynamique territoriale, les ETI ne dérogent pas à la tendance globale de dynamisme des métropoles et de la façade atlantique sur les dix dernières années, au détriment des bassins du nord et de l’est de la France, où elles étaient pourtant majoritairement implantées.

Figure 2.4 — Variation de l’emploi salarié entre 2009 et 2019 dans les ETI, par zone d’emploi

Source : Insee (2022).

La composition et les dynamiques de l’emploi en ETI étant globalement alignées avec celles des autres catégories d’entreprises, il n’y a pas de raison de penser a priori que les ETI soient plus touchées qu’elles par les difficultés de recrutement actuelles (voir ci-après) – et nous n’avons identifié aucune étude qui permettrait de le prouver.

Les entreprises en proie à une hausse des difficultés de recrutement

Au premier trimestre 2023, plus de 60 % des entreprises du tertiaire et de l’industrie se déclaraient confrontées à des difficultés de recrutement19 contre moins de 50 % avant la crise Covid20.

Évolution de la proportion d’entreprises déclarant rencontrer des difficultés de recrutement dans les secteurs de l’industrie et des services

Source : enquêtes trimestrielles de conjoncture de l’Insee.

Ces difficultés apparaissent sur un marché de l’emploi marqué par un taux de chômage historiquement faible (au plus bas depuis 2008). Il a atteint 7,3 % au 3e trimestre de l’année 2022, après une baisse tendancielle depuis 2015 – avec néanmoins des disparités régionales fortes.

Certes, le taux de chômage ne dit rien du type des nouveaux contrats signés, de leur durée, etc. Cela étant, les tendances observées sur d’autres agrégats, comme le taux d’emploi (c’est-à-dire la proportion de personnes disposant d’un emploi parmi celles en âge de travailler, 15 à 64 ans selon l’OCDE), sont convergentes.

Taux de chômage en France métropolitaine

Source : Insee (2022).

Bien sûr, la reprise post-Covid et le choc de demande induit ont contribué à amplifier les besoins des entreprises en personnel, et à renforcer le sentiment de difficulté à recruter. Toutefois, l’étude de la courbe de Beveridge, qui relie le taux de chômage augmenté du « halo » (chômeurs découragés ou temporairement indisponibles) à la proportion d’entreprises éprouvant des difficultés de recrutement confirme que des changements structurels sont survenus autour de 2015-2019, donc antérieurement à la crise Covid (Dares, 2021a). Fin 2019, les difficultés de recrutement ont même atteint un niveau inédit, alors que le taux de chômage était à peu près équivalent à celui de 2005 et de 2011.

Cette hausse structurelle des tensions de recrutement peut être liée à de multiples facteurs : manque de travailleurs ou de compétences, inadéquation géographique, déficit d’attractivité de certains métiers (des métiers en tension ont d’ailleurs été identifiés, s’agissant notamment du développement des filières d’avenir retenues dans le plan d’investissement France 2030), turn-over élevé, etc.

Déplacement de la courbe de Beveridge : corrélation entre les difficultés de recrutement et le chômage étendu au « halo » avant la crise Covid (deuxième trimestre 2003 — quatrième trimestre 2019)

Source : Dares (2021a).

Note de lecture : chaque point correspond à un trimestre. De 2003 à 2015, les déplacements se font à peu près le long de la même courbe (axe noir), montrant que les changements sur le marché de l’emploi sont de nature conjoncturelle. Les phases d’expansion (2006/2007, 2010/2011) se traduisent par une hausse des difficultés de recrutement et une baisse du chômage, tandis que les phases de contraction (2008/2009, 2012/2014) ont des effets inverses, mais toujours le long de l’axe noir. Néanmoins, à compter de 2015, les difficultés de recrutement augmentent nettement, malgré une baisse du chômage modérée. On constate alors un déplacement de la courbe vers la droite (cf. flèche grise, vers l’axe en pointillé), traduisant l’existence de changements structurels. Fin 2019, les difficultés de recrutement sont à un niveau inédit, alors que le taux de chômage est à peu près équivalent à celui des années 2005 ou 2011.

La clé du capital humain

Les ETI réalisent à peu près un tiers de la valeur ajoutée hors taxes alors qu’elles ne disposent que de 26 % des immobilisations corporelles (c’est-à-dire des infrastructures, des machines, etc.). Les grandes entreprises, elles, concentrent largement plus d’immobilisations (58 %) pour réaliser « seulement » 43 % de la valeur ajoutée. Au même titre que les PME, les ETI ont donc bien davantage besoin du capital humain que les grandes entreprises. En dépit d’infrastructures plus limitées, elles font usage des ressources de leur personnel pour créer de la valeur économique. Cette réalité est particulièrement prégnante pour les ETI industrielles, i. e. les entreprises dont les secteurs requièrent le plus de ressources immobilisées ou qui sont actives dans des champs à haute intensité capitalistique.

Figure 2.5 — Ventilation de la valeur ajoutée hors taxe, des effectifs et des immobilisations corporelles par catégorie d’entreprise, moyenne 2017-2019

Source : Insee, Ésane. Traitement : etilab.

Il n’est pas étonnant que ce besoin en capital humain se traduise, sur le terrain, par une perception accrue de difficultés de recrutement : un grand nombre d’ETI considèrent en effet les difficultés de recrutement et de fidélisation de leurs collaborateurs comme l’un des principaux freins à leur croissance. Le recrutement est une préoccupation pour 72 % des ETI, la deuxième priorité « RH » derrière la formation interne (Bpifrance Le Lab, 2018).

De fortes tensions sur certaines compétences spécifiques

Le ressenti général des ETI émanant des entretiens menés est « qu’elles manquent de tout ». Elles déplorent en effet des difficultés généralisées pour attirer et recruter durablement les talents avec des tensions particulièrement prégnantes sur certains types de postes (voir figure 2.6). Les techniciens et ingénieurs de production (notamment dans les entreprises industrielles des filières en tension) mais aussi les commerciaux, les spécialistes du numérique et, pour les ETI éloignées des grandes agglomérations, les profils de cadres (Apec, 2023) correspondent aux profils les plus tendus.

Figure 2.6 — Visualisation des tensions de recrutement dans les ETI françaises
Moyennes mais identifiées Fortes Prégnantes, ayant un impact sur l’activité de l’entreprise

Source : entretiens (voir annexe I).

Cela peut évidemment dissimuler des disparités régionales : par exemple, dans la région Grand-Est, des tensions sont particulièrement ressenties sur des emplois où les qualifications requises sont moindres (BTS à Bac +3), en raison du tassement de la pyramide hiérarchique dans la majorité des ETI et du relatif désintérêt pour les formations de la voie professionnelle.

Une spécificité des ETI remontée par nos entretiens, par rapport aux grandes entreprises, tient à la sous-représentation des grandes écoles dans la formation de leurs salariés. Si certains salariés sont diplômés d’écoles de commerce, la majorité a plutôt suivi une formation au sein d’universités ou d’écoles post-bac. Les grandes ETI rencontrées souhaiteraient avoir davantage accès aux diplômés des grandes écoles, tandis que les moyennes disent généralement ne pas éprouver un besoin spécifique pour ce type de profils.

Des problèmes d’attractivité communs

Entre 2017 et 2022, la part des salariés identifiant les ETI comme la taille d’entreprise dans laquelle ils souhaiteraient travailler a continuellement diminué. En revanche, la part des salariés souhaitant travailler pour un grand groupe a doublé (de 15 % à 30 %) durant la même période21. Ce constat sans appel invite à identifier les facteurs « d’inattractivité » pouvant expliquer ce désamour. Ils sont de plusieurs natures.

D’abord, la catégorie des ETI en tant que telle souffre d’un déficit de notoriété. L’attention médiatique est volontiers centrée autour des start-up et des grands groupes et les entreprises relevant des critères ETI ne se présentent pas systématiquement comme appartenant à cette catégorie. La jeunesse de cette catégorie et l’hétérogénéité des entreprises qui la composent peuvent expliquer en partie ce déficit. En effet, si elles ont rejoint le champ lexical des politiques publiques, elles restent peu connues du grand public.

Ensuite, les ETI sont souvent mono-activité, ou en tout cas mono-secteur, ce qui contrarie la capacité des profils les plus qualifiés ou les plus ambitieux à s’y projeter. En effet, les trois quarts des ETI ont plus de 80 % de leurs effectifs concentrés dans un seul secteur d’activité (Retailleau, 2010), selon la nomenclature en 38 postes de l’Insee, contre seulement la moitié des grandes entreprises (Insee, 2022). Notamment pour les profils cadres, il est moins aisé d’y imaginer une carrière complète, ou même comprenant plusieurs postes différents.

Les ETI ne sont majoritairement pas industrielles mais, rappelons-le, constituent la catégorie d’entreprises où l’industrie est la plus représentée. Elles y sont donc très étroitement associées, et pâtissent de ce fait du désamour de l’industrie, particulièrement sensible parmi les élites (Dufourcq, 2022). Nos entretiens avec un large panel d’ETI ont montré que les ETI industrielles sont d’ailleurs celles qui éprouvent les plus grandes difficultés en matière de recrutement.

Les ETI ont enfin une image parfois vieillissante. À l’inverse des start-up, dont les levées de fonds et les investissements massifs renvoient une très forte image de croissance et de dynamisme, l’ETI souvent largement autofinancée et sur des temps plus longs peut apparaître moins agile. De même, le caractère familial d’un grand nombre d’entre elles – pour rappel, une ETI française sur deux est à capitaux majoritairement familiaux – peut décourager des candidats qui y verraient une hiérarchie fermée aux arrivées externes à la famille, là où les grandes entreprises et les start-up sont reconnues pour identifier et faire monter les hauts potentiels en interne. Déjà en 2011, plus de la moitié de quarante dirigeants d’entreprises familiales de taille significative interrogés à ce sujet mettaient en avant la difficulté à recruter des cadres supérieurs. Cela tenait autant au manque d’attractivité des rémunérations qu’à la difficulté d’intégrer et d’offrir une perspective d’évolution à ces managers dans une entreprise gérée par une famille (PwC, 2011). L’émergence de la Start-up nation n’a fait que renforcer ce phénomène, spécialement auprès des jeunes cadres pour lesquels les perspectives y apparaissent plus attrayantes : croissance rapide des équipes et du marché, entrée au capital, actions gratuites…

En outre, des divergences générationnelles entre employeurs et candidats peuvent apparaître – les premiers accordant une importance déterminante au savoir-être et à des compétences comportementales spécifiques (soft skills), les derniers, conscients de leur position avantageuse sur le marché du travail, tendant à donner la priorité à leur exigence de sens et de flexibilité dans les rapports hiérarchiques. Cette divergence peut constituer un irritant lors des entretiens, et plus généralement, induire des biais et comportements psychologiques qui mettent le recruteur en ETI dans une posture d’échec. Plusieurs chefs d’entreprise interrogés ont en outre fait état de la pratique croissante du ghosting chez les candidats, consistant à ne pas se présenter à un entretien, voire le premier jour de travail suite à un recrutement. En conséquence, plusieurs des ETI rencontrées disent préférer recruter des profils plus expérimentés, et donc plus âgés, sur des postes de niveau débutant, de manière à « éviter la nouvelle génération ». Cette stratégie qui traduit une aversion au risque en matière de recrutement, à l’heure où les grandes entreprises s’autorisent à en prendre davantage, peut générer un appariement sous-optimal.

Ces facteurs communs « d’inattractivité » sont un enjeu de premier plan pour les pouvoirs publics. D’ailleurs, l’un des quatre grands axes de la nouvelle feuille de route de la stratégie Nation ETI, adoptée début 2023, consiste à « favoriser l’accès des ETI aux compétences et développer leur attractivité auprès de tous les publics ».

  • 18 – Les ETI françaises ont créé 280 600 emplois entre 2009 et 2019, quand les ETI étrangères en ont perdu 57 300. Ces destructions d’emplois dans les ETI étrangères ont eu principalement lieu dans les années qui ont suivi la crise de 2008 ; les ETI étrangères n’en ont ensuite supprimé que 16 000 entre 2013 et 2019. Ces pertes d’emplois concernent des effectifs salariés dans les établissements pérennes, particulièrement dans des activités anciennes et en déclin en France : automobile, métallurgie, machines, produits minéraux, bois, papier, etc. (Insee, 2022).
  • 19 – Les difficultés de recrutement sont ici mesurées par l’Insee en mesurant le niveau de difficulté ressenti par les entreprises de façon déclarative. D’autres méthodes plus quantitatives existent : évaluer le nombre d’offres d’emploi non pourvues et son évolution, la durée à pourvoir une offre d’emploi, etc.
  • 20 – Les enquêtes de conjoncture sont des enquêtes qualitatives qui permettent de suivre la situation économique du moment et de prévoir les évolutions à court terme.
  • 21 – Selon les résultats de l’enquête annuelle menée par le cabinet de recrutement et d’intérim PageGroup sur les grandes tendances de l’emploi pour l’année 2022.
Chapitre 3

Les atouts des ETI dans leur stratégie RH

En dépit d’un certain manque d’attrait, les ETI aussi ont de nombreux atouts à faire valoir, qui correspondent d’ailleurs aux nouvelles attentes des candidats à l’emploi.

Les nouvelles attentes des candidats

Les candidats comme les recruteurs ont toujours une idée, même imprécise, de ce qu’ils recherchent. Ces attentes sont documentées et confirmées dans de nombreuses études22.

Si le salaire et les avantages en nature demeurent les premiers facteurs d’attractivité d’une offre d’emploi, les salariés mettent de plus en plus en avant des motivations intrinsèques, telles que la « quête de sens ». Cette expression elliptique traduit un ensemble de préoccupations faisant écho aux nombreuses facettes de l’individu contemporain : le citoyen sensible aux enjeux globaux (transitions écologique, énergétique, sanitaire…) ; le membre d’un ménage soucieux de préserver un équilibre entre vie professionnelle et vie privée ; l’acteur associatif ou politique ; l’expert cherchant à mettre ses savoirs au service du plus grand nombre. Ces attentes des candidats, de plus en plus ouvertement évoquées lors des entretiens d’embauche, se seraient accentuées depuis la crise Covid. Plus généralement, un nombre croissant de salariés désirent avoir un « impact positif, une utilité sociale » (Baléo et Canivenc, 2022) et travailler pour une entreprise source d’épanouissement, ayant volontairement intégré les préoccupations sociales et environnementales à ses activités commerciales et ses relations avec les parties prenantes. La souplesse des modes d’organisation du travail, qui se cristallise particulièrement dans la politique interne du télétravail, est par ailleurs une demande forte et en progression depuis la crise Covid.

Ces nouvelles attentes s’ajoutent à celles, plus classiques, de qualité de vie au travail (ce qui va bien au-delà d’installer un baby-foot à la buvette ou dans l’espace commun) et de perspectives de carrière et de croissance personnelle.

Par ailleurs, l’enjeu du maintien des talents, en plus de celui du recrutement, est particulièrement prégnant dans toutes les entreprises. Dans un contexte de taux de chômage historiquement bas, le rapport de force est devenu plus favorable aux salariés sur le marché de l’emploi. Les entreprises doivent donc absolument réussir à s’adapter aux attentes des salariés qu’elles souhaitent à la fois attirer et fidéliser.

Des rémunérations compétitives, sauf dans l’industrie

Les déterminants du salaire, premier facteur d’attractivité d’une offre d’emploi, ont été longuement discutés et étudiés dans la littérature économique. On trouve par exemple la localisation sur le territoire, le niveau d’études, le niveau de concurrence dans le secteur d’activité, l’âge, l’ancienneté et (encore tristement) le genre.

Ce sont les déterminants géographiques qui ont le plus attiré notre attention dans ce travail sur la catégorie particulière des ETI, car les disparités spatiales des salaires peuvent elles-mêmes avoir de nombreux déterminants (Charruau et Epaulard, 2017). Celles-ci peuvent en effet être liées à la densité du territoire, la proximité d’autres activités économiques générant des gains de productivité et donc des salaires plus importants (par exemple grâce à la diffusion plus aisée de connaissances, un meilleur appariement et une meilleure division du travail sur le marché de l’emploi, l’accroissement de la demande en sous-traitance, etc.). On estime en moyenne que doubler la taille d’une zone urbaine entraîne une augmentation de la productivité du travail et des salaires comprise entre 3 % et 8 % (Ibid.). Pour ces raisons, on pourrait penser que les salaires proposés par les ETI sont comparativement faibles, comme pour tous les établissements situés dans des zones peu denses (Fleckinger et Prévet, 2023a).

Dans les faits, les ETI rémunèrent en moyenne à des niveaux compétitifs, notamment quand elles sont exposées à l’international. Les figures 3.1 et 3.2 montrent en effet que, si le salaire horaire brut moyen des ETI reste légèrement en deçà de celui des grandes entreprises (21,70 euros contre 23,10 euros), il reste attractif face à celui des PME (18,40 euros).

L’écart avec les grandes entreprises devient toutefois plus tangible dans certains secteurs : la construction, les transports et particulièrement l’industrie. Dans les ETI industrielles, le salaire horaire brut moyen (22,60 euros) est en effet nettement moins important que dans les grandes entreprises (28,20 euros), et d’ailleurs plus proche de celui des PME industrielles. Ce constat est globalement vérifié quelle que soit la segmentation d’ETI retenue (grandes ETI, moyennes ETI, petites ETI) et quelle que soit la catégorie socioprofessionnelle (voir annexe III). Par ailleurs, plus une ETI est grande, plus le salaire brut horaire moyen est important, quel que soit le secteur ou la catégorie socioprofessionnelle23. Les cadres disposent globalement d’un traitement confortable en ETI comparativement aux autres catégories : leur salaire horaire brut s’élève à 38,40 euros contre 39,00 euros dans les grandes entreprises et 35,10 euros dans les PME.

Figure 3.1 — Salaire horaire brut en fonction de la catégorie d’entreprise et du secteur agrégé en euros

Source : Insee, FARE, DADS, 2019. Traitement : etilab.

Figure 3.2 — Salaire horaire brut en fonction de la catégorie d’entreprise et de la catégorie socioprofessionnelle en euros

Légende : 4 = Professions intermédiaires, 5 = Employés, 6 = Ouvriers.
Source : Insee, FARE, DADS, 2019. Traitement : etilab.

Il est peu aisé de justifier exhaustivement ces écarts (pouvant provenir de différences d’implantation, de qualification des métiers, d’effets d’expérience, etc.) mais on observe qu’ils s’aggravent avec l’âge (voir annexe V). L’écart de salaire entre les cadres des ETI et des grandes entreprises se creuse davantage dans l’industrie que dans les autres secteurs lorsque l’âge augmente, avec un décrochage net autour de 40 ans. On imagine que cela peut poser des problèmes de rétention des cadres expérimentés au sein des ETI, les grandes entreprises avec leurs nombreux niveaux hiérarchiques leur offrant davantage de perspectives de carrière. Ces hypothèses sont corroborées par les entretiens que nous avons pu mener. Beaucoup d’entreprises se disent peu compétitives face à des grandes entreprises – souvent leurs donneuses d’ordres au sein de filières structurées – qui ont un pouvoir de négociation plus important, dans des secteurs souvent à faible marge. Les DRH ont fréquemment témoigné de leur incapacité à rivaliser face au débauchage de ces grandes entreprises : « Même pour 1 000 à 2 000 euros par an sur un technicien, aujourd’hui je ne peux pas m’aligner », confie la DRH d’une ETI industrielle.

S’agissant des compléments de rémunération, les avantages proposés par les ETI sont importants, notamment sur le sujet du partage de la valeur. Près de la moitié des ETI offrent ainsi à leurs salariés un dispositif d’épargne salariale allant au-delà des obligations légales et 60 % ont mis en place ou ont l’intention de mettre en place un dispositif d’épargne retraite24. Néanmoins, sur le plan de la participation et de l’actionnariat salarié, la situation est plus contrastée. Si 47 % des ETI ont mis en place ou ont l’intention de mettre en place un actionnariat salarié, seules 4 % des ETI non cotées ont développé cette pratique pourtant à même de renforcer leur attractivité25. Beaucoup s’accordent à dire que la complexité et l’instabilité des régimes sociaux et fiscaux, ainsi que le coût de ces dispositifs, accru par la hausse du forfait social à 20 %, en limitent la portée. La réticence ou la crainte d’entreprises familiales à ouvrir leur capital peut également expliquer ce retard.

La réalité n’est donc pas si terne pour les ETI sur le plan de la rémunération, et c’est malheureusement peu connu des candidats qui s’auto-censurent dans leur recherche d’emploi.

Des facteurs d’attractivité sur lesquels les ETI peuvent se différencier

Les ETI peuvent par ailleurs compter sur d’autres facteurs d’attractivité pour attirer et retenir leurs salariés. Dans le cas particulier des ETI industrielles, ceux-ci sont même indispensables pour faire la différence face aux offres des grandes entreprises.

De belles perspectives de carrière

Nombreux sont les dirigeants et DRH d’ETI à témoigner de la richesse des parcours que peut proposer une entreprise de taille intermédiaire. Deux points saillants sont ressortis de nos échanges (en partie biaisés, par construction). D’une part, à qualifications équivalentes, un profil junior se voit confier davantage de responsabilités dans une ETI que dans une grande entreprise. Les ETI sont, d’autre part, globalement moins sélectives quant aux établissements et formations suivis, et de fait plus ouvertes à faire avancer des profils moins normés, en récompensant le mérite.

L’analyse de la pyramide des âges en ETI (Fleckinger et Prévet, 2023) corrobore ce ressenti qualitatif (voir figure 3.3). En effet, les ETI sont en moyenne un peu plus jeunes que les grandes entreprises. Si les classes de 19 à 24 ans ainsi que de 55 à 65 ans sont surreprésentées dans les grandes entreprises, la classe d’âge des 25 à 54 ans est, quant à elle, surreprésentée dans les ETI. Cela est principalement lié à une présence plus importante de cadres en services marchands. La surreprésentation des 55-64 ans dans les grandes entreprises, à l’inverse, tient surtout au poids des effectifs d’ouvriers (voir les chiffres en valeur absolue et par catégorie professionnelle et secteur en annexe IV).

Figure 3.3 — Pyramide des âges des salariés par catégorie (parts en pourcentage dans l’emploi total d’une catégorie donnée pour chaque classe d’âge)

Légende : ETI = barres violettes, GE = barres aux contours noirs.
Source : Insee, FARE, DADS, 2019. Traitement : etilab.

On peut donc penser que, particulièrement dans certains secteurs comme les services marchands, un jeune cadre a davantage de perspectives en ETI (le vivier de postes pourvus étant plus important), quand les ouvriers ont tendance à être débauchés en cours de carrière dans de grandes entreprises, industrielles notamment, où ils finissent leur parcours professionnel.

Cette reconnaissance et cette attention pour les jeunes profils sont également tangibles dans les statistiques sur les débouchés, puisque 30 % des diplômés de grandes écoles travaillent aujourd’hui dans une ETI, contre 39 % dans une PME ou TPE et 31 % dans une grande entreprise26. Néanmoins, les ETI s’entendent à dire qu’elles peinent à aller chercher de jeunes diplômés au sein de grandes écoles très prestigieuses, qui pourraient pourtant être intéressés par les perspectives qu’elles peuvent leur offrir.

Les ETI se présentent volontiers comme des structures résilientes, capables d’innover et de s’adapter rapidement. Ainsi, entre l’avant et l’après crise Covid, les ETI ont enregistré une hausse de l’engagement de leurs collaborateurs de 12 points, plus importante que dans les PME (+7 points) et les grands groupes (+2 points), preuve qu’elles ont réussi à les fédérer et à renforcer leur sentiment d’appartenance malgré les confinements (Supermood, 2020).

Cela passe notamment par la forte proximité des dirigeants avec les collaborateurs, dans des structures à taille humaine, et par la capacité à innover pour prendre en compte leurs nouvelles attentes. À mi-chemin entre les PME qui ont parfois trop peu de ressources et les grandes entreprises qui sont davantage sujettes à l’inertie, les ETI semblent avoir la bonne taille pour expérimenter de nouveaux concepts organisationnels.

Depuis la crise Covid, les ETI ont par exemple proposé de nouveaux modes d’organisation pour attirer des talents dont les attentes en matière de gestion du temps de travail ont radicalement évolué. Elles ont en effet cherché à se démarquer de leurs concurrents et à maintenir l’attractivité de leurs emplois sur le terrain, notamment pour les métiers aux conditions de travail plus difficiles que pour un emploi de bureau et qui ne peuvent pas être exercés en télétravail. Acorus, entreprise spécialisée dans l’entretien et la rénovation immobilière, a par exemple décidé d’expérimenter27 la semaine de quatre jours dans l’une de ses agences (près de 70 personnes). Cette démarche vise à rendre les métiers du bâtiment attractifs, à un moment où le télétravail a révolutionné la vie des employés de bureau sans changer ceux des techniciens d’Acorus. « Pouvoir lancer des initiatives pour repenser les modèles d’organisation, repenser la transition numérique, la décarbonation, est une vraie force de la taille humaine des ETI », souligne Philippe Benquet, président fondateur du groupe Acorus.

Le groupe Manutan, leader de la distribution d’équipements et d’accessoires pour les entreprises et les collectivités, s’est lui aussi heurté au défi de l’inégalité face au télétravail, les manutentionnaires de ses entrepôts ne pouvant obtenir cet avantage. Bien que séduisante, l’option de la semaine de 4 jours était difficilement réalisable car il aurait fallu allonger les journées des manutentionnaires, dont le métier est déjà physique. L’entreprise a donc mené une réflexion sur les moyens d’améliorer leur quotidien et identifié comme principale contrainte celle du manque de flexibilité des horaires, lié à la rotation du personnel. L’entreprise a donc repensé son organisation interne pour fournir plus de flexibilité aux employés en leur permettant de modifier leurs horaires de manière plus fréquente (pouvoir se libérer pour la kermesse de l’école, la visite chez le médecin pour les enfants, etc.).

Pour séduire les nouvelles générations, les ETI devront de la même manière suivre les tendances et les transposer en interne, à leur façon. Les jeunes espèrent par exemple changer plus fréquemment d’emploi et sont en quête de mobilité, interne ou externe. Ce phénomène porte même un nom, le job hopping. Pour y répondre, les ETI peuvent par exemple proposer des stages « bras droit de dirigeants », permettant de découvrir l’ensemble des activités de l’entreprise comme dans les start-up, ou bien créer des graduate programs qui visent à expérimenter plusieurs métiers en temps limité, à la façon des grandes entreprises. Le groupe Socotec, spécialisé dans la gestion des risques dans la construction, a par exemple développé le graduate program Azur pour intégrer de jeunes recrues à fort potentiel. Ces dernières changent d’entité tous les six mois, l’objectif étant de les confronter rapidement à des réalités très différentes de l’entreprise. Le principe est simple : beaucoup de mobilité, un apprentissage à grande vitesse, de nombreuses opportunités et, à l’issue du programme, la possibilité de manager une agence rapidement dans la carrière.

Formation professionnelle continue et mobilité interne

Considérée comme un préalable à la mobilité interne, la formation est encouragée dans les ETI pour que les salariés développent de nouvelles compétences et accèdent à différents métiers au sein de ces entreprises souvent centrées sur une seule activité. Les entreprises du Mittelstand investissent pour leur part très fortement dans la formation continue, subventionnée massivement par le gouvernement fédéral et les Länder : 4,4 millions d’employés allemands ont bénéficié d’une formation continue en 2022, soit près de 52 % des employés des 77 % des entreprises proposant ces formations28.

De nombreux dispositifs de formation peuvent aujourd’hui être financés par le compte personnel de formation (CPF) abondé par l’entreprise. Néanmoins, certaines ETI veulent aller plus loin et sont tentées par la création d’un centre interne, pour faire coïncider au plus près la formation continue et leurs besoins. C’est le cas de Freeland, ETI spécialisée dans l’accompagnement des indépendants et des entreprises, qui a créé son école de formation en 202229 afin de former en interne aux compétences qu’elle vend à ses clients : management, techniques de vente, outils digitaux. Cette démarche est favorisée par la loi dite Avenir professionnel de 201830 et son ambition de simplification et de responsabilisation. Cette loi a notamment créé les opérateurs de compétences (OPCO), acteurs incontournables dans l’animation d’écosystèmes de formation, le conseil aux entreprises et le financement de formations.

Ces initiatives ont par ailleurs des co-bénéfices. Inciter ses collaborateurs à devenir eux-mêmes formateurs au sein de l’entreprise semble par exemple un moyen pertinent de les fidéliser, dont les ETI font volontiers usage. Ainsi, plusieurs d’entre elles nous ont expliqué proposer à leurs collaborateurs expérimentés de devenir formateurs en plus de leur activité – par exemple dans le cadre d’un centre de formation par l’apprentissage (CFA). Ce moyen de casser la routine des salariés et de leur signifier la reconnaissance et l’estime de l’entreprise est très apprécié des salariés.

Pourquoi investir dans la formation continue ?

Dans un contexte de transition numérique et énergétique, le renouvellement technologique engendre une obsolescence rapide des compétences. Les carrières étant souvent moins linéaires, employeurs, syndicats et décideurs politiques s’accordent sur la nécessité de maintenir ces compétences tout au long de la vie.

Les entreprises perçoivent d’ailleurs la formation comme un impératif de leur activité et pas seulement comme une obligation légale31 : former les collaborateurs permet de les fidéliser. De nombreuses études (Dolan et Fujiwara, 2012) ont montré que l’acquisition de nouvelles aptitudes était pour eux une source de bien-être et de satisfaction. En outre, l’actualisation des compétences internes permet à l’entreprise de rester performante et de faire face à la concurrence. La productivité marginale d’un salarié ayant suivi une action de formation serait en moyenne 23 % plus élevée32 que celle d’un collaborateur qui n’en a suivi aucune (Konings et Vanormelingen, 2010).

Les Français sont d’ailleurs parfaitement conscients de l’intérêt de la formation continue pour maintenir leur employabilité : 80 % admettent ainsi que leur métier évolue et leur demande de se former ; 87 % voient la formation continue comme un vecteur d’évolution professionnelle ; 89 % estiment qu’elle permet de combattre la lassitude professionnelle33. Néanmoins, 60 % des Français expriment aussi une difficulté à concilier formation et activité professionnelle. Un employeur qui propose, de lui-même, des formations et aménage le temps de travail en conséquence est donc un employeur qui se distingue auprès de ses salariés.

Les centres de formation internes peuvent par ailleurs être tournés vers des viviers de candidats particuliers, et notamment vers l’insertion sociale. Par exemple, afin de diversifier et augmenter la taille de son vivier de recrutement, le groupe Socotec a décidé de former de nouveaux entrants dans son secteur en créant son propre CFA. Une première formation de vérificateur d’installations électriques, fondée sur l’apprentissage en binôme sur le terrain, a obtenu sa certification et son enregistrement au registre national des compétences professionnelles (RNCP) en octobre 2022. Cette formation est financée par l’OPCO Atlas34 à hauteur de 7 500 euros par apprenant. Grâce à ce CFA, Socotec mène une opération appelée « Rebond favorable », par laquelle l’entreprise s’engage dans l’insertion sociale en y intégrant des jeunes en décrochage scolaire. Les formateurs sont issus de l’entreprise, ce qui leur permet de s’extraire un peu de leur quotidien et de valoriser leurs compétences en les transmettant. Aujourd’hui, l’initiative ne remplit pas encore l’objectif d’élargissement du vivier, car le taux de réussite à la formation est encore faible (autour de 30-35 %). Pour ce qui est de l’objectif de rétention (c’est-à-dire faire en sorte que les apprentis formés restent chez Socotec à l’issue de la formation), Socotec commence juste à surveiller cet indicateur.

  • 22 – On peut notamment citer l’étude Les critères de sélection du candidat: un résumé du processus de recrutement selon le métier, menée par la Dares (Lhommeau et Rémy, 2021).
  • 23 – On retrouve là encore l’exception des petites ETI, citées plus haut, qui, compte tenu de leurs spécificités sectorielles, ont un salaire horaire brut moyen plus important que dans les grandes entreprises.
  • 24 – Données présentées par le METI dans le cadre du lancement par le gouvernement en 2020 de la stratégie Nation ETI.
  • 25 – Selon les calculs d’Equalis Capital, une société de gestion spécialiste de l’actionnariat salarié dans les plus petites entreprises.
  • 26 – Conférence des grandes écoles, Enquête d’insertion, 2018.
  • 27 – Encore en phase de test, l’expérimentation pourrait être généralisée si les premiers résultats positifs sont confirmés.
  • 28 – Office allemand de la statistique, 2022. Nous n’avons pas accédé à ces chiffres pour les ETI françaises.
  • 29 – Pour piloter cette politique de formation, Freeland dispose d’une équipe interne. Elle est principalement financée par l’entreprise, qui y voit une dépense d’investissement, mais également pour certaines formations par les opérateurs de compétences (OPCO) pertinents (Acto et Atlas dans ce cas précis).
  • 30 – La loi Avenir professionnel (Loi n° 2018-771 du 5 septembre 2018 pour la liberté de choisir son avenir professionnel), a profondément réformé l’apprentissage par la simplification de la procédure de conclusion, d’exécution et de rupture du contrat, le relèvement de la limite d’âge permettant d’entrer en apprentissage de 26 à 29 ans révolus ou encore la simplification des conditions de création et de fonctionnement des CFA.
  • 31 – L’employeur fait l’objet de certaines obligations légales du Code du travail en matière de formation, et doit assurer l’adaptation de ses collaborateurs à leur poste et la capacité de ses salariés à occuper leur poste en mettant leurs connaissances et leurs compétences à jour.
  • 32 – Cette analyse est fondée sur les données 1997-2006 de la base de données Belfirst qui agrège les rapports annuels de 170 000 entreprises belges.
  • 33 – Selon le Baromètre 2020 de la formation et de l’emploi réalisé par Harris Interactive.
  • 34 – L’OPCO Atlas est l’OPCO référent des entreprises des services.
Chapitre 4

Renforcer les structures RH

En dépit de structures RH souvent peu étoffées, les ETI peuvent mettre en place un certain nombre d’initiatives et d’expérimentations pour améliorer leurs processus de recrutement et de fidélisation. Pour pallier leurs faibles marges de manœuvre, elles gagneraient aussi à mobiliser leur écosystème en se regroupant autour de certains sujets. Cette coopération entre entreprises de même taille a déjà bien commencé au sein des Clubs ETI.

Les moyens alloués par les ETI à la gestion de leurs ressources humaines sont globalement sous-dimensionnés au regard de ce qu’y investissent les grandes entreprises. C’est notamment le cas dans l’industrie, la construction, les services et les transports, où elles apparaissent significativement moins dotées en personnel RH, en proportion du salariat total. Dans la construction par exemple, quand les grandes entreprises comptent 0,59 % de salariés au sein des fonctions RH, les ETI y emploient en moyenne 0,30 %, soit moitié moins. À titre d’exemple, l’ETI GCC dispose seulement de 12 salariés dans son service RH (hors paye) pour 2 600 collaborateurs.

Cela est d’autant plus pénalisant que, malgré son avènement dans les statistiques françaises, la catégorie des ETI n’est pas prise en compte par le législateur et l’administration, les seuils d’applicabilité étant régulièrement fixés sans lien avec la tranche de 250 à 4 999 salariés qui définit les ETI. Par opposition aux PME qui bénéficient d’exemption, les ETI sont donc souvent soumises aux mêmes obligations administratives que les grandes entreprises. La loi Pacte35 du 22 mai 2019 a d’ailleurs amélioré la lisibilité pour les PME en regroupant sur 3 seuils (11, 50 et 250 salariés) près de 200 obligations jusqu’alors réparties sur 49 seuils. Les ETI n’ont pas bénéficié de cette simplification par seuils.

Figure 4.1 — Proportion de salariés RH dans le salariat total, en fonction de la catégorie d’entreprise et du secteur agrégé

Source : Insee, FARE, DADS, 2019. Traitement : etilab.

Les ETI pourraient dégager des ressources aujourd’hui accaparées par des questions administratives et les dédier à l’attractivité et au recrutement. Une majorité d’ETI souligne par exemple les bénéfices de la réforme du comité social et économique (CSE) de 2017 qui, en regroupant plusieurs entités en une seule36, a permis de faciliter le pilotage des obligations applicables par les ressources humaines. Plus de 60 % des entreprises estiment que cela a simplifié et amélioré la qualité du dialogue social ; pour près de 50 %, cela a permis de réduire le nombre d’emplois temps plein (ETP) mobilisés sur le dialogue social (METI et Mawenzi Partners, 2020).

En attente de tels changements de long terme, les ETI pourraient aussi corriger, sans surcoût, certaines de leurs pratiques pour gagner en efficacité sur le recrutement et la rétention des talents.

Processus de recrutement et communication

Tant qu’elles n’atteignent pas une certaine masse critique, et donc des flux d’embauches importants, les ETI organisent leurs recrutements sur une base ponctuelle, sans véritable stratégie.

À l’inverse, les grandes entreprises qui reçoivent de nombreux candidats chaque année, tout comme les start-up en hypercroissance, se trouvent confrontées à des flux significatifs de recrutements. Elles ont alors tendance à investir pour structurer leurs équipes RH. C’est le cas de Sonergia, start-up de 200 personnes spécialisée dans l’accompagnement de travaux d’économies d’énergie, qui s’est dotée d’un département RH de huit personnes, dont une responsable recrutement et intégration à plein temps. La start-up, qui identifie le recrutement comme un enjeu central, a très vite investi dans la structuration de ce processus pour poursuivre son développement. Si ce n’est évidemment pas une solution miracle, c’est une nécessité pour faire face aux tensions du marché du travail.

Les entretiens menés montrent que le sous-investissement des ETI dans leurs équipes RH conduit en particulier à une relation sous-optimale avec les établissements de formation et à la rédaction d’offres d’emploi insuffisamment attractives pour de jeunes diplômés, deux points qu’elles peuvent corriger. Ainsi, un test réalisé37 par des ETI auprès d’étudiants de l’alliance IMT Grand-Est a souligné que les offres utilisées apparaissent « archaïques » aux jeunes : vouvoiement, absence de témoignage de collaborateurs et de narratif sur l’entreprise (notamment en matière de sens et de qualité de vie au travail), design daté, etc. Cet exercice, quoique non représentatif, souligne le fossé qui peut exister entre les candidats, notamment les plus jeunes, et certaines des pratiques RH des ETI.

Par ailleurs, tandis que les start-up sont très présentes sur les campus d’écoles, dans les forums étudiants par exemple où il est de plus en plus fréquent de trouver un stand dédié, les ETI peinent à se démarquer par ce canal. Il s’agit pourtant de l’une des premières occasions pour les étudiants de rencontrer le milieu professionnel, et donc d’une opportunité pour les ETI de capter au plus tôt de jeunes diplômés ou en voie de l’être. De même, proposer des stages aux écoles permet souvent d’établir un flux régulier, les élèves se succédant dans l’entreprise d’une année sur l’autre par cooptation. Par exemple, les premiers rapprochements entre des ETI d’Île-de-France et l’École des mines de Paris, à travers la chaire etilab, se sont très vite concrétisés par le recrutement d’un flux croissant de stagiaires.

Les ETI pourraient également accentuer leur recours aux juniors entreprises38. Cela les mettrait directement en contact avec des étudiants qui pourraient découvrir ainsi l’entreprise, tout en bénéficiant d’un apport ponctuel là où elles manquent de compétences internes et peinent à recruter, sur le numérique par exemple.

Diffuser un savoir-faire RH au sein de l’entreprise

Nos entretiens mettent également en avant le fait que les interactions entre les équipes RH et les cadres des ETI devraient s’intensifier : des liens trop distendus avec les équipes métiers débouchent en effet sur une connaissance lacunaire du terrain, une formulation incomplète des offres d’emploi, etc. « Ces équipes travaillent souvent en silo », confirme un directeur des ressources humaines d’une ETI du bâtiment.

Réciproquement, le manque de culture et de formation aux problématiques RH des cadres peut jouer sur la rétention des talents. Le rôle du manager est en effet prépondérant pour le suivi et la transmission des compétences des collaborateurs. Il est souvent mieux placé pour les suivre que les équipes RH, généralement dédiées aux sujets administratifs, peu dotées en ressources et éloignées des antennes locales. Or, le cadre d’ETI a généralement appris le management sur le terrain, sans être forcément ni formé ni disposé à réaliser un suivi des compétences des membres de ses équipes, afin d’identifier les meilleurs potentiels, de les faire grandir dans l’organisation, et de projeter l’évolution des compétences de son équipe sur le moyen terme. Les obligations réglementaires sont par ailleurs relativement légères : les entretiens employeur obligatoires, lors desquels doivent être présentés les dispositifs de formation pertinents, peuvent être espacés jusqu’à deux ans.

Il est donc nécessaire d’accentuer la formation des cadres au suivi des carrières et au management, sur la base des méthodes les plus récentes. Ces formations sont généralement disponibles sur étagère et peuvent, pour les plus sommaires, être financées dans le cadre du CPF. Des formations au conseil en évolution professionnelle39 sont également proposées par l’Association pour l’emploi des cadres (Apec)40, afin d’internaliser cette compétence.

La mise à contribution des équipes pourrait même aller plus loin. Les ETI pourraient en effet s’inspirer des pratiques de certains cabinets de conseil qui, lorsque leurs consultants ne sont pas « staffés » sur un projet, les missionnent en interne sur des sujets d’amélioration continue. Il s’agirait ainsi de mobiliser des compétences internes disponibles (par exemple pour des entreprises aux productions saisonnières) sans surcoût, pour résoudre des problématiques RH tout en améliorant la rétention des personnes concernées.

Anticiper les besoins

Rester à la pointe de l’innovation permet de pallier l’obsolescence des produits et services : cela semble évident pour le core business, et devrait l’être aussi pour le capital humain de l’entreprise, pour ses collaborateurs et leurs compétences.

Cette anticipation des besoins concerne deux horizons temporels différents. D’un côté, le court terme et les considérations opérationnelles internes : quels sont les profils clés pour l’entreprise, quelles évolutions prévoir dans leur carrière ? De l’autre, le long terme et la prospective macro : comment va évoluer mon secteur, quels seront mes futurs besoins, quelle transformation des métiers dois-je anticiper ?

Sur la gestion à court terme, les cellules RH des ETI gagneraient à reprendre la main, reconnaît le directeur des ressources humaines d’une ETI ayant travaillé auparavant dans de grandes entreprises. La gestion des talents est à la fois essentielle au maintien des compétences et un facteur d’attractivité très différenciant. L’identification des profils prometteurs par les managers, et leur montée en compétences suit un processus très structuré dans les grandes entreprises : c’est un moyen clé d’identifier les managers de demain et de les fidéliser, tout en anticipant au plus tôt leurs besoins en formation. Cela permet de construire des parcours cohérents et se révèle un atout d’attractivité considérable à valoriser auprès de futurs candidats.

Foliateam et le comité de jeunes à fort potentiel COM’UP

Foliateam, ETI spécialisée dans les réseaux et le cloud, a lancé un comité de jeunes à fort potentiel : le COM’UP. L’objectif initial de ce comité était de challenger l’entreprise sur des sujets transverses (RSE, qualité de vie au travail, etc.). Un comité paritaire de 18 collaborateurs, de la tranche 25-40 ans, ont été sélectionnés pour leur potentiel. Organisés en cinq groupes de travail disposant chacun d’un budget (management, team building, coordination entre les services, simplification des process, intégration et fidélisation des talents), ils constituent une force de proposition active au sein de l’entreprise. Parmi les actions déjà mises en place, on compte par exemple une course solidaire Téléthon, l’aménagement d’une salle de repos conviviale, la création d’un parcours d’intégration digitalisé ou encore un programme « Vis ma vie interservices ». En identifiant ainsi les hauts potentiels de l’entreprise et en leur donnant des responsabilités transverses, l’ETI valorise et fidélise ce groupe de jeunes talents. Elle leur offre une vision à 360° de l’entreprise, tout en les préparant à monter en responsabilité. Elle capitalise par ailleurs sur leurs talents en leur donnant les moyens d’insuffler du changement dans l’entreprise.

Pour la gestion long terme, les moyens à mobiliser sont souvent trop importants pour les ETI. Au sein des petites et moyennes ETI, il s’agit même encore trop souvent d’un impensé. Les entreprises de plus de 300 salariés sont certes soumises à l’obligation triennale de définir leur gestion des emplois et des parcours professionnels (GEPP)41 afin d’anticiper les besoins futurs de l’entreprise et mettre en place les actions nécessaires. Si cette pratique est minutieusement adoptée par les grandes ETI, notamment dans les filières industrielles très structurées (automobile, aéronautique ou nucléaire par exemple), les plus petites d’entre elles peinent à établir un diagnostic très précis. C’est en tout cas ce qu’il ressort des témoignages de plusieurs ETI des secteurs du bâtiment et des infrastructures. La tâche est rendue plus ardue encore dans le contexte que nous connaissons de transition écologique : seules 69 % des ETI disent avoir les idées claires sur les enjeux prioritaires de leur transformation environnementale.

Compte tenu de la difficulté de cette tâche et du manque d’outils à disposition, une piste serait d’encourager les entreprises à se regrouper, pour obtenir une force de frappe plus importante.

La mutualisation des réflexions au sein des Clubs ETI

Les ETI sont représentées depuis 1995 – avant donc qu’on ne les appelle de la sorte – par le Mouvement des entreprises de taille intermédiaire (METI), auparavant dénommé Association syndicale des moyennes entreprises patrimoniales (ASMEP). Homologue de la Confédération des PME (CPME) pour les ETI, son rôle aujourd’hui est triple : connaître et faire connaître les ETI, fédérer l’ensemble du tissu ETI et assurer un rôle de lobbying. Le METI a notamment joué un rôle clé dans la mise en place du pacte Dutreil, en 2003, permettant sous conditions de transmettre une entreprise familiale avec exonération des droits de mutation, dans le cadre d’un héritage ou d’une donation. Aujourd’hui, le METI est perçu par les entreprises comme principalement orienté vers des actions à l’échelle macroéconomique et de long terme, et moins vers des considérations directement opérationnelles comme l’attractivité et l’emploi.

Complétant l’activité du METI, une structure de clubs régionaux destinés à la mise en réseau directe des entreprises s’est peu à peu organisée, à partir de la création d’un premier Club ETI en région Nouvelle-Aquitaine il y a une dizaine d’années. Les Clubs ETI sont désormais présents dans la quasi-totalité des régions. Les membres d’un Club ETI ne sont pas automatiquement affiliés au METI et réciproquement, les deux structures fonctionnant de façon indépendante.

Le Club ETI, une structure ancrée localement

Les Clubs ETI sont aujourd’hui particulièrement utilisés par les entreprises pour partager leurs meilleures pratiques. Mettant en relation les ETI d’un même territoire, ces Clubs sont largement reconnus pour leurs mérites, ce qui se traduit notamment par un nombre croissant d’adhésions.

Rapidement dans l’histoire des Clubs, les sujets de l’emploi, du recrutement et de l’attractivité ont été considérés comme étant de première importance, ce qui a entraîné la création de groupes de travail dédiés. Ces commissions portent des noms différents en fonction des régions, par exemple « commission RH » en Île-de-France ou encore « commission Attractivité » en Grand-Est. Elles articulent leur travail autour de thèmes précis tels que la fidélisation, les négociations annuelles obligatoires (NAO)42 ou bien encore le suivi des hauts potentiels. Les entreprises participantes confrontent leurs retours d’expérience en la matière et bénéficient souvent d’une présentation détaillée d’une bonne pratique par l’un des membres du Club. La grande majorité des ETI que nous avons rencontrées sont extrêmement enthousiastes quant à la valeur ajoutée de ces échanges, d’autant que les frais d’adhésion aux Clubs, quoique variables d’une région à l’autre, sont toujours relativement raisonnables43. En contrepartie, les Clubs disposent de moyens limités et ne comptent en moyenne qu’un à deux employés à temps plein pour gérer la structure.

Le Club ETI Île-de-France, un club particulièrement impliqué dans le sujet du recrutement

Le Club ETI Île-de-France est l’un des plus vieux Clubs ETI en France, dans une région qui accueille un tiers des ETI françaises. Il regroupe environ 150 membres, dont plus de 50 % sont des ETI industrielles (qui sont donc surreprésentées par rapport à la composition de l’économie régionale). Pour sa gestion, il compte deux salariés à temps plein : un(e) délégué(e) général(e) secondé(e) par un(e) adjoint(e), assistés par un bureau d’une dizaine de membres.

Sa commission RH se réunit une fois par mois, pour une session d’environ 1h15 appelée « Vendredi des DRH », et à laquelle les dirigeants et directeurs des ressources humaines peuvent participer. En pratique, une vingtaine d’entreprises sont présentes chaque mois. La séance est ponctuée d’interventions d’entreprises préalablement préparées sur une bonne pratique ou un projet transformant, suivies de sessions de questions-réponses. Voici quelques exemples de sujets qui ont été traités récemment par le Club :

  • bonnes pratiques pour mener les NAO ;
  • la fidélisation des collaborateurs via la constitution de groupes de travail incluant de hauts potentiels chargés de plancher sur des sujets internes liés au fonctionnement de l’entreprise
  • retour d’expérience sur des formations suivies par des managers dans l’entreprise.

Malgré ces retours très positifs, les Clubs ETI pourraient avoir une portée encore supérieure. Tout d’abord, deux régions (Hauts-de-France et Bourgogne-Franche-Comté) ne disposent pas encore de Club. C’est d’autant plus singulier que la région Hauts-de-France est un bastion historique d’ETI et l’une des régions faisant face au plus grand nombre de suppressions d’emplois. Ensuite, les Clubs peinent à maintenir la mobilisation de leurs membres, les représentants des entreprises disposant d’une disponibilité limitée. C’est ce qui explique que les participants aux différentes commissions proviennent souvent des mêmes entreprises et ne représentent qu’une partie des adhérents. Le manque de moyens humains et financiers des Clubs vient certainement renforcer ce phénomène, les privant de marges de manœuvre pour proposer de nouveaux services aux adhérents. Enfin, il existe au sein des membres des Clubs – qui ne représentent qu’une faible proportion des ETI – une surreprésentation des ETI industrielles et familiales, nous a-t-on expliqué. Le Club ETI Île-de-France par exemple ne compte que 10 % des ETI de la région. La surreprésentation des entreprises familiales et industrielles peut créer un certain décalage entre les messages portés par les Clubs et la réalité de la catégorie ETI dans sa diversité. Il en va de même pour les partages d’expérience en commission. Introduire plus de diversité renforcerait sans doute l’intérêt des échanges de bonnes pratiques.

Renforcer les moyens des Clubs et coordonner leurs initiatives

Les Clubs ont été installés de façon progressive, indépendamment les uns des autres. Cela entraîne de fortes disparités dans les actions qu’ils proposent et dans le nombre de leurs membres. Les plus anciens (Nouvelle-Aquitaine et Île-de-France) jouissent d’une organisation plus structurée et d’un nombre plus important d’adhérents, qui leur permet d’organiser de nombreux événements et d’entretenir ainsi une meilleure dynamique.

La structure régionale est évidemment un grand atout des Clubs, qui permettent la rencontre physique de dirigeants d’entreprises partageant des difficultés communes liées aux spécificités de leur territoire (taux de chômage, déficit en cadres spécialisés, problématiques du logement, etc.). Néanmoins, nous avons constaté un certain cloisonnement entre eux, qui ne permet pas d’utiliser au mieux les avantages du maillage territorial. Quelques événements pourraient être organisés pour stimuler davantage la coordination de l’écosystème ETI, notamment sur les sujets relatifs à l’emploi. Il pourrait s’agir de partages thématiques interrégionaux (attractivité, recrutement, cyber…) ou encore d’une conférence annuelle des Clubs dont le lieu d’accueil changerait tous les ans. La nomination au METI en février 2023 d’un délégué général adjoint chargé de la coordination nationale des Clubs est un premier pas vers cette collaboration renforcée.

Renforcer la coopération avec les administrations et collectivités

Les ETI évoluent au sein d’un large écosystème d’acteurs, parmi lesquels on compte les différents services déconcentrés de l’État et les collectivités territoriales. Il est très difficile pour elles, et notamment pour les plus petites, de nouer et d’entretenir des relations particulières avec ces acteurs, pourtant en mesure de les accompagner dans l’appropriation des dernières politiques publiques.

Pour faciliter les échanges avec l’administration et ses très nombreux services, la stratégie Nation ETI a entériné la création de référents ETI au sein des directions régionales de l’économie, de l’emploi, du travail et des solidarités (DREETS)44. Ces derniers ont pour missions d’accompagner les ETI dans leurs demandes administratives, faisant office d’interlocuteur privilégié concernant les dispositifs de soutien mis en place par l’État. Déployés en 2022, les référents ETI ont été des points de contact précieux après la crise du Covid. Par exemple, le Club ETI Normandie créé en novembre 2020 s’est largement appuyé sur le référent ETI de sa région. Ce dernier tient depuis un rôle de facilitateur et de relais d’information quand les entreprises en ont besoin. Parmi les actions mises en œuvre, on peut citer l’orientation des entreprises vers les services en charge de la délivrance de papiers pour des migrants ukrainiens, l’organisation de webinaires sur les aides déployées en 2022 face à la hausse des prix de l’énergie ou encore la diffusion d’informations relatives au plan France 2030 et des dispositifs spécifiques auxquels les ETI peuvent prétendre, notamment sur des sujets liés à la formation.

En vis-à-vis de ce référent unique, le Club ETI pourrait également être un point de passage centralisé des informations échangées entre les entreprises et l’administration. La mise en place de binômes proactifs, comprenant le DG du Club et le référent ETI, voire de trinômes intégrant également un interlocuteur du conseil régional, gagnerait à être généralisée.

Malheureusement, les capacités d’action des référents ETI sont elles aussi contraintes, ce qui ne facilite pas le passage à la vitesse supérieure. La charge de référent ETI a en effet été ajoutée aux missions des agents des DREETS, sans personnel supplémentaire. Si l’ambition affichée par cette réforme est forte, les moyens pour en assurer la réalisation sont donc relativement limités. Certains référents ne disposent d’ailleurs pas d’une liste exhaustive des ETI de leur territoire, mais seulement de celle fournie par chaque Club ETI, comportant ses membres.

Vers une mutualisation des moyens?

La mutualisation des ressources des Clubs ETI (davantage d’ETP en propre, structure repensée, partenariats avec des prestataires de services) permettrait sans doute d’atteindre une taille critique dont ces structures ne disposent pas à ce jour pour porter des projets plus ambitieux. Par exemple, en matière de recrutement, cela pourrait aboutir à la création d’équipes communes chargées d’un pré-screening des candidats. Beaucoup d’ETI constatent en effet un nombre croissant de postulants dont les soft skills ne correspondent pas à leurs attentes (motivation, rigueur, envie, etc.). Un tel partage de ressources serait également ponctuellement utile pour des profils très recherchés, en lien avec des « métiers d’avenir ». C’est par exemple le cas des experts du numérique, particulièrement rares, qui font l’objet d’une forte compétition salariale entre entreprises45. On peut aussi citer les profils spécialisés dans les questions environnementales, indispensables pour prendre en compte les nombreuses conséquences réglementaires et opérationnelles de la transition écologique sur l’activité des ETI : 38 % d’entre elles ont en effet des besoins en compétences non satisfaits dans ce domaine (METI, 2022).

La mise en commun des ressources favoriserait aussi l’accompagnement sur des dépôts de dossier, notamment sur les aspects réglementaires. S’il était relativement facile de bénéficier du plan France relance, soumettre une candidature à France 2030 requiert davantage de démarches administratives, qui peuvent parfois décourager les ETI faute d’accompagnement. En se dotant de moyens, le Club pourrait servir de facilitateur en la matière, notamment grâce à ses relations privilégiées avec le référent ETI.

D’autres coopérations à envisager

Poursuivre exclusivement une logique de consolidation par taille d’entreprise finirait par contrarier d’autres synergies possibles, et notamment par filière ou par secteur. Il y a naturellement des sujets sur lesquels la coopération est plus productive ou plus pertinente avec des entreprises d’autres catégories.

La filière, écosystème à privilégier

La formation continue

Comme nous l’avons vu précédemment, la formation continue est aujourd’hui centrale dans la gestion des compétences par chaque entreprise. Or, créer son propre centre de formation exige plusieurs conditions : préparer un dossier étayé et le déclarer auprès de France compétences46, garantir un financement pérenne, recruter des formateurs, trouver un vivier d’apprenants suffisamment important…

Ainsi, au moins pour les petites et moyennes ETI, une action groupée semble plus pertinente en la matière ; et la filière apparaît clairement comme l’écosystème à privilégier, l’écosystème de la formation étant structuré dans une logique de filière, avec notamment 11 OPCO qui regroupent différentes branches. En effet, notamment dans les métiers de la production, les problématiques de formation d’une entreprise recouvrent souvent en partie celles de ses fournisseurs et donneurs d’ordre. La construction de formations communes, au niveau de chaque filière, présente ainsi l’avantage pour les ETI de leur faire bénéficier d’une appréciation plus fine de leurs besoins, tout en mutualisant les coûts.

Ponticelli et son offre de formation

Ponticelli, ETI industrielle spécialisée dans les métiers de la chaudronnerie, impliquée entre autres dans la filière nucléaire, possède depuis 2009 son propre institut de formation. Ce dernier propose aujourd’hui 160 modules de formation interne, conçus sur mesure. En plus de cet institut, l’entreprise a souhaité créer son propre CFA. Elle s’est néanmoins ravisée et a décidé, plutôt que d’engager seule un projet coûteux en ressources, de s’associer à un projet commun lancé par le Syndicat national de la chaudronnerie, de la tuyauterie et de la maintenance industrielle (SNCT) qui vise à rapprocher la filière de l’Éducation nationale et des lycées professionnels. L’entreprise participe également au plan Excell47, qui associe EDF, chef de file de la filière, et ses sous-traitants pour repenser les métiers du nucléaire.

Les ETI auraient donc intérêt à se rapprocher de leur syndicat professionnel ou de leur filière pour construire et structurer une offre commune de formation continue. Rappelons par ailleurs que ces projets communs, pouvant associer un organisme de formation initiale, sont particulièrement attendus par le secrétariat général pour l’investissement dans le cadre de l’appel à manifestation d’intérêt Compétences et métiers d’avenir, doté de 2,5 milliards d’euros, qui vise à lier formation et débouchés dans des filières identifiées comme stratégiques.

La prospective à long terme

Dans un cadre plus large, les études prospectives exhaustives sur l’emploi, les mutations économiques et les futurs besoins en compétences réclament des moyens importants, que les ETI (y compris les plus grosses) ne peuvent investir individuellement.

Là encore, ces études peuvent être menées à l’échelle de la filière. Le syndicat professionnel du secteur de la cosmétique, Fébéa, en offre une illustration encourageante. Fébéa a en effet réalisé fin 2021 une étude au niveau de la branche chimie sur les métiers en tension et émergents (Boostrs et Katalyse, 2021). Cette étude a notamment permis d’identifier (i) une insuffisance de la formation initiale, (ii) un manque de perméabilité avec les viviers de jeunes talents et (iii) des difficultés structurelles de recrutement sur le numérique, ce qui s’est avéré particulièrement utile pour les ETI du secteur. Fébéa a fait en sorte que toutes les entreprises, y compris les ETI, puissent en tirer profit, en favorisant la représentation de toutes les catégories d’entreprises. Suite à cette cartographie de branche, Fébéa a lancé une étude fin 2022 sur l’offre de formation initiale et continue. Le pilotage de cette étude, comme pour la précédente, est paritaire ; le choix des prestataires et des méthodologies ainsi que le suivi de projets se font de concert par les représentants des syndicats de salariés et ceux de syndicats d’employeurs.

Renforcer la visibilité des ETI au sein des autres organisations patronales

Nous avons également pu constater une sous-représentation des ETI ou de leur écosystème au sein d’instances relativement centrales concernant les politiques d’emploi et d’attractivité. En effet, à la différence de la Confédération des petites et moyennes entreprises (CPME) par exemple, le METI ne s’est pas constitué en organisation représentative, afin de conserver une structure agile ; mais ce choix le rend sans doute moins audible au sein de certaines instances, comme le Conseil national de l’industrie (CNI) et ses comités stratégiques de filières (CSF), qui ont pourtant vocation à dialoguer avec l’administration et l’exécutif sur les sujets de politique industrielle. De la même façon, nos entretiens nous ont montré que les ETI étaient rarement affiliées au Mouvement des entreprises de France (MEDEF), pourtant influent dans l’élaboration des politiques publiques, notamment en matière d’emploi.

Les ETI doivent donc trouver des canaux et moyens d’expression propres, faire entendre leur voix et leurs particularismes, afin qu’ils soient bien pris en compte dans les délibérations et dans les recommandations formulées par les représentants des entreprises.

  • 35 – Le plan d’action pour la croissance et la transformation des entreprises (Pacte) vise à lever les obstacles à la croissance des entreprises et à les encourager à mieux prendre en considération les enjeux sociaux et environnementaux dans leur stratégie.
  • 36 – Le CSE remplace et fusionne les anciennes instances représentatives du personnel (IRP) : le comité d’entreprise (CE), les délégués du personnel (DP), le comité d’hygiène, de sécurité et des conditions de travail (CHSCT).
  • 37 – Le Club ETI Grand-Est nous a expliqué avoir développé des ateliers sur les offres d’emploi, avec un cabinet de recrutement. Ce dernier a souligné que leur modèle d’offres d’emploi était relativement archaïque et des étudiants de l’IMT l’ont confirmé. Depuis, une formation des DRH sur la manière de présenter les profils d’emplois a été mise en place par le club.
  • 38 – Associations étudiantes implantées dans les établissements d’enseignement supérieur ayant pour objectif la montée en compétences des étudiants à travers la réalisation de prestations de service pour des entreprises, sur le modèle de cabinet de conseil.
  • 39 – Le conseil en évolution professionnelle (CEP) permet à un salarié de faire un bilan de compétences et de définir plus clairement son projet professionnel. Un salarié peut en bénéficier dans le cadre de son CPF ; les cadres peuvent même en bénéficier à titre gratuit via l’Association pour l’emploi des cadres.
  • 40 – L’Apec est une association française paritaire et privée, financée par une cotisation obli- gatoire des cadres des entreprises du secteur privé, et jouissant d’un partenariat avec Pôle Emploi.
  • 41 – Une GEPP consiste à établir une photographie des ressources humaines disponibles (emplois, âge et qualification des salariés, personnes détentrices de compétences clés).
  • 42 – Les NAO sont une obligation légale en France pour les entreprises privées de plus de 50 salariés dans lesquelles se trouve au moins un représentant syndical. L’employeur doit engager périodiquement, des négociations portant sur certains thèmes dont la politique salariale.
  • 43 – D’après nos entretiens, les tarifs d’adhésion oscillent entre 1 000 et 3 000 euros selon les régions.
  • 44 – Les DREETS sont les successeures des anciennes DIRECCTE (directions régionales des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l’emploi) ; elles sont entre autres le relais du ministère chargé de l’Économie en région – et en particulier de la direction générale des entreprises.
  • 45 – Selon l’Agence nationale de la sécurité des systèmes d’information (ANSSI), les ETI sont vulnérables en matière de cybersécurité, en raison de moyens limités dans ce domaine et de leur place dans les chaînes de valeur.
  • 46 – France compétences est l’institution chargée d’établir et de garantir la certification des formations enregistrées au sein du registre national des compétences professionnelles (RNCP).
  • 47 – Le Plan Excell a été lancé par EDF au printemps 2020 pour permettre à la filière nucléaire de retrouver « le plus haut niveau de rigueur, de qualité et d’excellence » . Le Plan se décline en 30 engagements visant notamment à renforcer la qualité industrielle, les compétences et la gouvernance des grands projets nucléaires pour regagner la confiance du gouvernement après les retards pris sur la construction de l’EPR de Flamanville.
Chapitre 5

Faciliter le concours de l’action publique

Sur le marché de l’emploi, l’ETI interagit avec des institutions qui structurent l’action publique et l’économie française : Pôle emploi – bientôt réformé en France Travail – est par exemple une « grosse machine » que les ETI disent avoir du mal à appréhender et avec qui elles ont relativement peu de liens. Cela est d’autant plus dommageable qu’il existe de nombreux dispositifs intéressants, éprouvés par d’autres catégories d’entreprises mais que les ETI méconnaissent largement. Certaines initiatives pourraient donc, sans gros investissement, leur donner accès à de nouveaux viviers de candidats et à de nouvelles perspectives de recrutement.

Des liens à renforcer avec l’enseignement

Les ETI sont peu impliquées dans la conception des formations initiales

De manière générale, les ETI ne sont pas suffisamment représentées dans l’écosystème de l’enseignement pour exercer une influence significative sur l’ingénierie des formations.

Sur le plan des instances décisionnaires d’abord, la création et la révision des diplômes professionnels ne prennent pas suffisamment en compte leurs besoins : la composition paritaire de la commission professionnelle consultative n’exige pas de représentation des ETI. Or, les entreprises interrogées nous font part d’un décalage croissant entre les besoins exprimés par de grands groupes, en capacité de déléguer des personnels dans les instances d’écriture des référentiels, et les TPE, PME ou ETI48.

De manière beaucoup plus opérationnelle ensuite, plusieurs ETI affirment n’avoir aucun contact avec les universités, quelles qu’elles soient. Cela constitue un point d’attention majeur, d’autant plus que, d’après nos entretiens, le processus de regroupement des établissements d’enseignement supérieur enclenché par la loi du 22 juillet 2013 tend à limiter la proximité et la coopération directes de ces derniers avec les PME et ETI locales. Les écoles d’ingénieur et les IUT ont des partenariats plus développés avec les ETI, du fait d’une culture historiquement tournée vers les entreprises, et de relations souvent personnelles avec leurs fondateurs. Il est intéressant de noter que les écoles d’ingénieur voient, elles, leurs collaborations avec les entreprises évaluées par la Commission des titres d’ingénieur49 – sans ventilation de taille.

Ce fossé entre les entreprises et les acteurs de la formation n’est pas nouveau, et il ne concerne évidemment pas que les ETI. D’ailleurs, dès 2014, ont été créés les Campus des métiers et des qualifications (CMQ), dispositifs œuvrant au rapprochement entre acteurs de la formation et monde professionnel dans les territoires. Au nombre de 90 environ, ils maillent les régions et réunissent les acteurs locaux, académiques (de l’enseignement secondaire à l’enseignement supérieur) et économiques, autour d’une filière d’excellence. Il ressort de nos échanges que leur bon fonctionnement dépend largement de l’équipe de direction et de la qualité des relations avec le rectorat, qui exerce pour l’État la tutelle de ces dispositifs. Prometteurs, les CMQ sont encore en phase de construction et ont tendance à privilégier les grandes entreprises, ce qui explique qu’ils soient généralement peu identifiés par les ETI qui interviennent sur le même territoire.

Les dispositifs permettant d’intégrer des jeunes en formation

En comparaison avec les grandes entreprises et les PME, les ETI se saisissent peu des dispositifs qui aident à intégrer des jeunes en formation, quel que soit leur niveau d’études. Elles ont pourtant tout intérêt à se saisir davantage de ces leviers de recrutement et d’acquisition de nouvelles compétences.

L’apprentissage

Entre 2017 et 2022, le nombre de contrats d’apprentissage commencés annuellement dans les entreprises a progressé de 170 % à plus de 811 000 nouveaux contrats. Cet essor de l’apprentissage a été favorisé par les mesures de libéralisation et de simplification portées par la loi Avenir professionnel et par l’effet incitatif des aides exceptionnelles à l’embauche d’apprentis. Pour autant, si la part des entreprises de 250 salariés ou plus dans les contrats d’apprentissage commencés est en forte hausse (de 16,4 % en 2012 à 22,5 % en 2022), cette tendance semble davantage portée par les grandes entreprises que par les ETI (figure 5.1). Les statistiques de la Dares, qui n’isolent pas spécifiquement la catégorie ETI, montrent une certaine stagnation dans la part de contrats d’apprentissage commencés par les entreprises entre 250 et 999 salariés, qui représentent la grande majorité des ETI (plus de 80 %, cf. chapitre 1). Les PME (hors micro-entreprises) et les grandes entreprises ont ainsi davantage augmenté leur recours à l’apprentissage que ne l’ont fait les ETI, et ce malgré des retours sur le dispositif très positifs lors de nos entretiens.

Les ETI rencontrées soulignent en effet unanimement que l’apprentissage constitue le meilleur moyen de rapprocher les compétences que les jeunes acquièrent en formation avec les besoins des entreprises. Ce dispositif mêle enseignements pratique et théorique, en intégrant l’étudiant à l’entreprise, ce qui le rend directement employable. Un certain nombre d’étudiants alternants sont ensuite embauchés par l’entreprise d’accueil. Les ETI interrogées considèrent par ailleurs, et c’est sans doute là la clé de la réussite du dispositif, que l’apprentissage a aussi l’avantage de simplifier le processus de recrutement.

Figure 5.1 — Répartition en pourcentage des contrats d’apprentissage débutés par année et par taille d’entreprise

Source : Dares (2023).

Le renouvellement des aides à l’apprentissage annoncé en janvier 2023 devrait permettre aux ETI de renforcer leur accès à ce dispositif. Cela leur donnerait par ailleurs l’opportunité de se rapprocher du monde universitaire50 afin d’y être représentées, notamment au sein des instances de gouvernance et conseils pédagogiques.

Rousseau Automobile et le Garac : l’alternance comme pilier de recrutement

École nationale des professions de l’automobile, le Garac (Groupement d’apprentissage de la réparation automobile et du cycle) est un partenaire historique du groupe de distribution Rousseau Automobile. L’entreprise y recrute chaque année des stagiaires et des alternants. Le Garac est ainsi indispensable tant aux recrutements de l’entreprise qu’au maintien des compétences de la filière. Le taux de conversion de l’alternance n’est que de l’ordre de 30 % : l’investissement de l’entreprise dans l’accueil des alternants va donc bien au-delà de ce qu’elle ferait si elle se contentait de le dimensionner aux retombées qu’elle en attend. Néanmoins, Gilles Rousseau, directeur général de Rousseau Automobile, souligne que « si la filière ne fait pas ça, il n’y a pas de débouchés et les formations se ferment. C’est un effort collectif qu’il faut encourager ».

Le doctorat

Les dispositifs visant à rapprocher les entreprises de la recherche académique sont encore sous-exploités, trop méconnus par les ETI. En particulier, leur recours aux Conventions industrielles de formation par la recherche (Cifre), qui permettent à une entreprise de recruter un doctorant tout en bénéficiant d’un cofinancement51 du ministère de l’Enseignement supérieur et de la Recherche, reste marginal. Les ETI ne représentent que 9 % des Cifre signés, contre 45 % pour les PME et 38 % pour les grandes entreprises52.

Les ETI peuvent également obtenir un soutien financier au recrutement de jeunes docteurs en CDI, grâce au crédit impôt recherche, auquel s’ajoutent parfois des aides régionales au recrutement de docteurs, à l’image de celle proposée par le conseil régional du Grand-Est.

Ces mesures sont malheureusement encore trop souvent perçues par les ETI que nous avons interrogées comme des charges administratives et non comme des leviers d’innovation. Ces recrutements sont pourtant décisifs, à moyen terme, pour permettre aux ETI de conquérir de nouveaux marchés par l’innovation (Martin, 2014).

Recréer des liens avec le milieu éducatif

Enfin, et c’est certainement là que le bât blesse le plus, le parcours scolaire primaire et secondaire en France ne prévoit quasiment aucune interaction directe des élèves avec le monde de l’entreprise. Exception faite du stage de 3e, le milieu éducatif et le secteur privé sont très cloisonnés.

Le collège et le lycée sont pourtant des lieux essentiels pour insuffler des vocations. C’est tout simplement le moment où se forgent les premiers choix pour aboutir notamment à une sélection de spécialités. À cet âge, les élèves sont encore très perméables aux modèles qui leur sont communiqués, dans un fonctionnement souvent reproductif. Leurs choix se basent donc sur l’univers qu’ils connaissent, les détournant naturellement des métiers qui, soit leur sont inconnus, soit font l’objet de préjugés – en particulier la plupart des métiers en tension en France.

En entretenant une porosité entre ces deux mondes, on peut au contraire conduire les élèves à surmonter quelques idées préconçues, et les ouvrir à de nouveaux modèles sortant du cadre familial, des rêves d’enfant ou des séries TV. Pour les ETI, outre la revalorisation de leurs métiers pour attirer des jeunes dans leur filière, le passage dans l’enseignement secondaire est aussi le bon moment pour se faire connaître et capter des élèves dans leur bassin d’emploi (notamment les profils moins mobiles). Générer rapidement, dans la vie d’un élève, un attachement à l’entreprise permet de capter plus facilement des talents.

Axon’ Cable et la classe 4.0 en entreprise

semaine en entreprise pour les élèves de troisième, Joseph Puzo, fondateur d’Axon’ Cable, est contacté par le principal du collège de Montmirail qui lui demande de prendre quelques stagiaires. Joseph Puzo propose d’aller plus loin, et de prendre toute la classe, avec leurs enseignants. Il met au sein de son entreprise une salle à disposition et les professeurs sont invités à structurer leurs cours autour de ce que l’entreprise a à offrir : échanges avec une filiale étrangère pour le cours d’anglais, passage au laboratoire pour parler résistance et conductivité des câbles en physique, etc. À la fin de la semaine, les élèves doivent réaliser une grande restitution devant 200 personnes, dont des chefs d’entreprise locaux. Intéresser les élèves à l’industrie porte ses fruits. Quelques années plus tard, parmi les nouveaux embauchés, certains disent avoir postulé à la suite de ces classes en entreprise ; et c’est sans compter ceux que l’expérience a convertis à l’industrie, partis travailler ailleurs.

Si aller au contact du milieu éducatif est évidemment très chronophage (l’exemple d’Axon’ Cable en encadré le prouve), les ETI ne peuvent pas se permettre d’attendre un changement de paradigme qui surviendrait dans le monde éducatif : elles doivent l’insuffler. Elles ont, à cet égard, un avantage particulier puisqu’« il y a toujours une ETI proche d’un collège », comme nous disait le fondateur d’Axon’Cable, Joseph Puzo.

Pour autant, le sujet est bien identifié par les pouvoirs publics. Le gouvernement a d’ailleurs annoncé en mai 2023 une réforme de l’enseignement professionnel, avec l’objectif de revaloriser l’orientation en lycée professionnel, sujet clé aux yeux de nombreuses ETI rencontrées53. Cela passerait notamment par la mise en place de journées ou demi-journées « Avenir professionnel », destinées à informer les élèves sur le monde du travail en invitant au collège des entreprises pour échanger avec eux sur leurs métiers, leurs besoins en compétences et ce qu’elles peuvent leur offrir. Cette ouverture du collège aux entreprises serait évidemment une opportunité pour les ETI.

Ce rapprochement souhaité reste par ailleurs tributaire d’une meilleure acculturation aux réalités de l’entreprise des personnels de direction, conseillers en orientation et enseignants. Celle-ci pourrait par exemple prendre la forme d’immersions en entreprise dans le cadre de leur formation continue.

Une coopération à repenser avec le service public de l’emploi

Une impression d’éloignement

Nous avons constaté au cours de nos entretiens que les ETI percevaient Pôle emploi comme un acteur peu susceptible de répondre à leurs besoins réels en compétences. Elles déplorent notamment l’inadéquation des profils proposés, en particulier pour des compétences techniques (techniciens de maintenance, électriciens), ainsi que le manque de savoir-être de certains candidats. Nombre d’ETI voient dans cette inadéquation la marque d’une méconnaissance et d’un désintérêt du service public de l’emploi à l’égard des entreprises, et ce malgré les quelque 5 700 conseillers dédiés aux entreprises que compte Pôle emploi. De nombreuses ETI s’étonnent de ne faire l’objet d’aucune prise de contact de la part de l’opérateur alors même qu’elles comptent parmi les principaux employeurs de leur bassin d’activité.

Il en résulte un certain fatalisme, conduisant la plupart des ETI à n’avoir « aucune attente particulière vis-à-vis du service public de l’emploi » et à privilégier le recours à d’autres ressources, jugées bien plus efficaces. Il s’agit des agences d’intérim, perçues comme plus performantes en recrutement de compétences techniques, et des cabinets de recrutement spécialisés dont les ETI exploitent la réputation pour compenser leur propre manque de notoriété, en particulier pour le recrutement de cadres. Il s’agit aussi des associations spécialisées dans l’insertion par l’emploi, qui facilitent le recrutement de candidats éloignés du marché du travail, qu’ils soient chômeurs de très longue durée, originaires de quartiers prioritaires de la ville (« Nos quartiers ont du talent », sollicitée par le Groupe Semin) ou encore réfugiés (« Tout est possible », évoquée par le Club ETI Grand-Est). Les ETI peuvent également faire appel aux entreprises de leur écosystème, avec lesquelles elles élaborent des solutions communes pour pourvoir aux besoins de recrutement. Dans certains cas, il s’agit de leurs donneurs d’ordres, à l’instar d’Enedis qui accompagne ponctuellement ses prestataires dans leurs processus de recrutement. Enfin, elles peuvent se tourner vers leurs élus locaux, à commencer par le maire cité comme un partenaire susceptible de relayer de façon informelle des offres d’emploi ou d’identifier de potentiels candidats.

Les prestations proposées par Pôle emploi peuvent néanmoins être d’une réelle utilité pour les ETI, comme le démontrent les expériences positives rapportées par quelques-unes d’entre elles. Particulièrement adaptée aux profils les moins qualifiés, la méthode de recrutement par simulation (MRS)54 a été utilisée pour recruter des tuyauteurs chez Ponticelli (voir encadré), des programmateurs chez Axon’ Cable, ou encore des conseillers téléphoniques chez Roederer. Elle consiste en une mise en situation reproduisant les conditions du poste de travail, afin d’appréhender les aptitudes pratiques du candidat mais aussi des compétences transverses, souvent présentées par les ETI comme indispensables à l’intégration dans l’entreprise, conformément au « modèle de la compétence » (Zarifian, 2001) : motivation, autonomie, adaptation, respect des consignes.

Ponticelli et la démarche MetalJob : un partenariat réussi avec Pôle emploi

Ponticelli a créé un centre de formation aux métiers du nucléaire s’adressant à des salariés désirant se perfectionner et se spécialiser ou à des personnes en reconversion professionnelle. Pour recruter ces dernières, l’entreprise s’appuie sur sa démarche MetalJob lancée dans le bassin saumurois : selon un calendrier de recrutement fixé par Ponticelli, Pôle emploi mobilise ses moyens pour, d’une part, communiquer sur les offres et organiser conjointement une présentation des postes ouverts et de l’entreprise et, d’autre part, organiser l’évaluation des habiletés attendues via la MRS. Les candidats ayant validé la MRS sont ensuite reçus en entretien par le directeur de l’institut de formation qui décide in fine de les intégrer ou non à la promotion d’élèves formés. En 10 ans, plus de 130 metal jobs ont ainsi été pourvus, grâce à un dispositif qui demande néanmoins un investissement important de l’entreprise pour sélectionner et former les candidats.

Plus généralement, un certain nombre d’initiatives intéressantes sont à considérer. D’une part, des actions de recrutement communes entre ETI et les antennes régionales de Pôle emploi pourraient être développées, qu’il s’agisse d’opérations ponctuelles (job dating, semaines thématiques, etc.) ou de processus courants (« Immersion facilitée »55 de Pôle emploi, MRS, etc.). Ce rapprochement pourrait s’effectuer par l’intermédiaire des Clubs ETI, qui accueilleraient par exemple des conseillers Pôle emploi au sein de leur commission RH. D’autre part, les ETI peuvent accroître la visibilité de leurs offres d’emploi en systématisant leur diffusion sur la plateforme pole-emploi.fr, plateforme sur laquelle elles gagneraient par ailleurs à alimenter leur propre « espace entreprise ». Enfin, ETI et Pôle emploi peuvent encore améliorer leur connaissance mutuelle, notamment en prévoyant des visites de sites ouvertes aux conseillers de Pôle emploi. À cet égard, l’initiative « Rendez-vous en ETI inconnue »56 envisagée par le Club ETI Grand-Est gagnerait à être généralisée. Cette démarche pourrait s’inscrire dans le cadre du programme « Pôle emploi hors les murs », invitant les conseillers à se déplacer dans les entreprises.

En complément de Pôle emploi, les ETI gagneraient également à se rapprocher des acteurs de l’inclusion par l’emploi, qu’il s’agisse d’opérateurs publics ou d’acteurs associatifs et privés, etc. C’est un enjeu de premier plan pour les ETI, à plus forte raison dans un contexte de faible taux de chômage où les entreprises doivent absolument parvenir à s’adresser à de nouveaux publics. Pour le recrutement de personnel moins qualifié, qu’il s’agit de former en interne, l’entreprise de construction GCC évoque par exemple ses contacts réguliers avec le groupement d’employeurs pour l’insertion et la qualification (GEIQ)57 dont elle fait partie. Celui-ci permet, outre un partage de bonnes pratiques, le recrutement en alternance de personnes éloignées de l’emploi bénéficiant alors d’un parcours d’accompagnement et de formation. De son côté, l’entreprise tire parti d’une présélection des candidats, de la possibilité de les tester sans prendre seule le risque d’embauche et d’un accompagnement RH.

À en juger par le retour positif de GCC, les ETI gagneraient à s’intéresser à ce dispositif 58 : on comptait en 2021 un total de 196 GEIQ regroupant plus de 7 400 entreprises adhérentes, et affichant un taux d’insertion de près de 70 %, particulièrement élevé.

Par ailleurs, les cadres que certaines ETI peinent à recruter, notamment pour des raisons géographiques, font aussi l’objet d’une association dédiée : l’Apec. L’Apec travaille en partenariat avec Pôle emploi pour le suivi des cadres et des jeunes diplômés au-delà de BAC +3. Les ETI auraient donc intérêt à se rapprocher davantage de l’Apec, méconnue de la majorité des ETI interrogées, pour bénéficier des nombreux services qu’elle propose (ateliers, conseil, formations…), d’autant plus que ceux-ci sont gratuits, financés par les cotisations obligatoires des cadres.

À horizon plus lointain, le projet de réforme en profondeur du service public de l’emploi, et notamment de création d’un guichet unique France Travail se substituant à Pôle emploi, devrait faciliter la compréhension du rôle de chacun et la collaboration entre acteurs. Du moins est-ce là ce que les entreprises espèrent. Il sera alors primordial que les ETI et leurs instances (Clubs, METI) soient au fait de cette nouvelle organisation pour s’inscrire au plus tôt dans une démarche de coopération pérenne.

À noter que certaines ETI souhaitent explicitement que France Travail ne soit pas uniquement un guichet unique pour les demandeurs d’emploi mais aussi qu’il le soit pour les entreprises, qui cumulent aujourd’hui les interlocuteurs par organisme et par bassin d’emploi et qui peinent à s’inscrire dans une démarche nationale répondant à leurs besoins en compétences plus ou moins répartis sur le territoire.

  • 48 – Ces témoignages sont confortés par les conclusions d’un rapport de l’inspection générale de l’Éducation, du Sport et de la Recherche, publiée en 2021 (IGÉSR, 2021).
  • 49 – Organisme indépendant, chargé par la loi française depuis 1934 d’évaluer toutes les écoles d’ingénieurs françaises (et étrangères sur demande) en vue de leur accréditation, de développer la qualité des formations, de promouvoir le titre et le métier d’ingénieur en France et à l’étranger.
  • 50 – « L’apprentissage constitue, pour sa part, un vecteur de plus en plus puissant de rapprochement entre universités et entreprises en raison du fort développement de l’alternance dans l’enseignement supérieur », souligne la Cour des comptes dans son rapport Universités et territoires publié en février 2023.
  • 51 – Le Cifre, qui représente une aide annuelle de 14 000 euros, permet à l’entreprise de financer plus de la moitié du coût annuel brut chargé du doctorant recruté, dont le salaire minimum est fixé par arrêté à 24 529 euros annuels en 2023.
  • 52 – Ministère de l’Enseignement supérieur et de la Recherche, 2020.
  • 53 – Le taux d’orientation en seconde générale et technologique est encore largement utilisé comme critère d’évaluation, notamment dans les contrats d’objectifs des collèges, pénalisant dès lors les lycées professionnels.
  • 54 – La MRS est une méthode de recherche de candidats qui privilégie le repérage des habiletés nécessaires au poste de travail. Les candidats sont appréciés sur leur capacité à répondre à des consignes et à une organisation de travail lors d’exercices pensés en partenariat avec l’entreprise qui recrute.
  • 55 – Période courte et non rémunérée d’immersion en entreprise (avec convention) pour découvrir un nouveau métier avant, par exemple, de se lancer dans une formation spécialisée.
  • 56 – Dispositif imaginé par le Club ETI Grand-Est (pour le moment non opérationnel), visant à organiser à fréquence régulière la visite d’une entreprise du territoire à destination des professionnels de l’emploi et de la formation.
  • 57 – Association pilotée et gérée par ses entreprises adhérentes, mobilisées pour favoriser l’insertion des personnes éloignées du marché du travail grâce à l’alternance.
  • 58 – Sur la trentaine d’ETI que nous avons rencontrées, seule GCC a mentionné faire partie d’un GEIQ.
Chapitre 6

Miser sur les territoires et les collectivités

La capacité à attirer et à conserver la main-d’œuvre passe notamment par la facilitation de la mobilité entre le domicile et le lieu de travail, et l’amélioration de la qualité de vie. L’attractivité des ETI repose ainsi également sur celle des territoires où elles sont implantées. Cette question mérite donc d’être pensée et travaillée de concert entre les ETI et les acteurs locaux.

Dans certaines zones d’emploi, on l’a vu dans le chapitre 1, les ETI représentent plus de 40 % de l’emploi local et constituent ainsi le cœur du tissu économique (Insee, 2022). C’est le cas par exemple à Vire, en Normandie, aux Herbiers-Montaigu, en Vendée, ou encore à Mont-de-Marsan et Bourgoin-Jallieu.

Par ailleurs, les ETI entretiennent des liens particuliers avec leur territoire historique d’implantation. En effet, 40 % d’entre elles voient leurs effectifs concentrés dans une zone d’emploi seulement ; il peut s’agir de grandes agglomérations aussi bien que de territoires ruraux. C’est moins le cas pour les ETI de plus de 1 000 salariés59, qui sont naturellement plus dispersées : seule 1 sur 7 conserve ses effectifs concentrés dans une seule zone d’emploi. Le lien au territoire est donc moins exclusif pour ces grandes ETI.

En allant plus loin, on constate que les salariés des ETI sont originaires à 38 % du département dans lequel ils travaillent, contre 37 % pour les grandes entreprises et 41 % pour les PME : la catégorie d’entreprise semble dès lors une variable faiblement explicative de l’étendue de leur bassin de recrutement. En revanche, les variations sont nettement plus importantes selon le niveau de qualification et de responsabilité ; là où 21 % des cadres travaillent dans leur département de naissance, ce chiffre s’élève à 42 % pour les non-cadres. Cette gradation s’observe dans toutes les catégories d’entreprise.

Figure 6.1 — Proportion des salariés dont le contrat de travail est signé dans un établissement domicilié dans leur département de naissance, en fonction de la catégorie d’entreprise et de la PCS

Source : Insee, FARE, DADS, 2019. Traitement : etilab.

Note : Le choix du département (comme dans la figure 6.2) correspond à une plus grosse maille que les zones d’emploi, et ne capture pas les effets de bords transfrontaliers, contrairement à ces dernières.

Derrière cette observation se cache un effet sectoriel assez tangible (voir figure 6.2). Le secteur des services est celui où les salariés travaillent le moins dans leur département d’origine (32 %). L’industrie et le commerce sont, à l’inverse, ceux où les salariés travaillent le plus dans leur département d’origine (respectivement 46 % et 45 %). La construction et les transports sont entre ces deux extrêmes (respectivement 41 % et 39 %). Ceci permet notamment d’expliquer que les résultats des petites ETI apparaissent plus proches de ceux des grandes entreprises que des PME, en raison du poids qu’y occupent les secteurs de l’immobilier et du commerce.

Figure 6.2 — Proportion des salariés dont le contrat de travail est signé dans un établissement domicilié dans leur département de naissance, en fonction de la catégorie d’entreprise et du secteur agrégé

Source : Insee, FARE, DADS, 2019. Traitement : etilab.

En somme, les ETI n’ont pas, en tant que catégorie d’entreprises, un lien particulièrement distinctif en matière de recrutement dans leur territoire. Mais ces données nous livrent tout de même deux enseignements. Primo, les salariés du secteur industriel sont moins mobiles que ceux des autres secteurs. Secundo, les non-cadres sont moins mobiles que les cadres. Ceci est particulièrement important pour les ETI industrielles, dont 75 % des sites de production se situent dans les villes moyennes ou des territoires ruraux (Institut Montaigne et METI, 2022). Ce sont ces sites qui sont particulièrement en recherche d’opérateurs et de manutentionnaires. Or, en moyenne, près de 50 % de leur vivier de recrutement est originaire du même département. Cela signifie que les candidats potentiels sont relativement captifs de leur territoire d’origine et donc susceptibles de découvrir l’entreprise dès leur plus jeune âge (par l’école, la famille, la presse locale, par exemple). Cette lecture quantitative a été confirmée au cours de nos entretiens : plus les ETI sont industrielles, plus elles font état de recrutements effectués majoritairement dans leur bassin d’emploi. « On ne recrute pas dans les Ardennes quelqu’un qui n’est pas déjà dans les Ardennes », aux dires d’un responsable des ressources humaines d’une grande ETI rencontrée. Ceci au point qu’il est arrivé à certaines ETI, comme Socotec, de fermer une ou plusieurs implantations, à cause de la difficulté à y pourvoir des emplois spécifiques.

Cultiver l’attractivité de son territoire

L’attractivité de l’entreprise doit donc être cultivée sur deux plans, et ce quelle que soit la taille de l’ETI. Pour attirer les salariés les plus captifs de leur territoire d’origine, l’enjeu des ETI est de se faire connaître localement, en créant des liens avec des acteurs locaux, et d’encourager voire de financer la mobilité de salariés installés dans d’autres zones d’emploi. Le principal enjeu à cet égard est celui du désalignement géographique entre les centres de formation et les entreprises. Alors que 75 % des sites de production des ETI sont localisés dans des villes moyennes et des territoires ruraux, les organismes de formation se situent majoritairement dans les métropoles. Les deux tiers des étudiants sont concentrés dans les 22 plus grandes villes de France, tandis que seulement 0,4 % de l’offre d’enseignement supérieur est implantée en dehors des aires urbaines (Hermelin, 2021). C’est ce qui explique qu’il existe une pénurie de chaudronniers à l’échelle nationale pendant que, en Île-de-France, certains bacheliers professionnels ne trouvent pas d’entreprise pour les accueillir à la fin de l’année 202260. Certaines ETI préfèrent dès lors créer leur propre centre de formation d’apprentis plutôt que de chercher des diplômés sur tout le territoire national et les faire venir à elles. Empiriquement, elles distinguent deux types de profils peu mobiles : les jeunes dits surdiplômés, attachés aux métropoles, et les jeunes peu qualifiés, moins urbains mais plus sédentaires et ancrés dans leur territoire, en partie pour des raisons financières.

Pour se faire connaître sur leur territoire, les ETI disposent de plusieurs moyens. Nous avons d’abord constaté qu’elles étaient fortement impliquées dans le mécénat61 et qu’elles concentraient leur engagement RSE sur leur territoire. Elles sont en effet 84 % à agir au niveau local ou régional, contre 64 % au niveau national et 20 % à l’international. Par ailleurs, la catégorie des ETI est la seule à avoir vu augmenter le nombre de mécènes et le montant global des dons entre 2019 et 2020. D’autres activités en lien avec le monde associatif, comme le sponsoring de clubs sportifs, peuvent être judicieuses. La solidarité des ETI envers leur territoire s’est également illustrée lors de la crise Covid, comme en témoigne la mobilisation de Tournus Équipement (Bourgogne-Franche-Comté), ETI spécialisée dans les équipements en acier inox, pour la fourniture de matériel aux hôpitaux du territoire. Réseau DEF, ETI experte en sécurité incendie, s’est également engagée pour la reconversion de sportifs de haut niveau (voir encadré ci-après).

Une fois le vivier local tari, il semblerait logique d’accompagner les mobilités entrantes. Les dispositifs existants de mobilité interrégionale dans le cours des études, visant à rapprocher les étudiants des bassins d’emploi, sont très faiblement utilisés par les ETI62 (aides au permis de conduire, à l’hébergement, plateformes de mobilité, Mobili-Pass, mobili-jeunes pour les apprentis, aide à la mobilité Parcoursup, aide à la mobilité pour le master, etc.). Un plan de communication sur la mobilité interrégionale comme vecteur d’insertion dans l’emploi, sur le modèle de ce qu’est devenue la marque Erasmus, serait bienvenu.

Réseau DEF et son ambition de formation de Massy

Réseau DEF possède une antenne à Massy, où est par ailleurs implanté le RCME, le Rugby Club Massy Essonne. Dans cette localité, les deux acteurs sontconfrontés à des difficultés. D’un côté, Réseau DEF a de plus en plus de difficultés de recrutement, de l’autre, les joueurs du RCME évoluant en Pro D263 doivent se reconvertir une fois leur parcours en sport de haut niveau achevé, aux alentours de 35 ans.

Réseau DEF cherche à saisir cette opportunité et à installer en partenariat avec le club un centre de formation de l’entreprise formant à ses métiers classiques (notamment installateur de détecteurs d’incendie) ouvert aux futurs reconvertis. Leur objectif est de former 5 à 10 promotions par an.

Aujourd’hui, Réseau DEF cherche également à voir plus loin et à passer son projet bilatéral à l’échelle, en en faisant un projet social de territoire incluant des centres de formation d’autres entreprises ainsi que d’autres clubs sportifs de la localité, comme FLAM 91 (Force Longjumeau Alliance Massy 91, le club de Judo) et le MEHB (Massy Essonne Handball).

Pour les salariés plus prompts à se déplacer, l’enjeu des ETI est d’œuvrer à l’attractivité de leur territoire pour y recréer un vivier de travailleurs mobiles, qui pourront à terme intégrer les entreprises locales. Certaines ETI contribuent ainsi au dynamisme de leur territoire, comme Axon’ Cable, implantée à Montmirail (Grand-Est), une commune rurale de 3 600 habitants située à 40 minutes de l’autoroute la plus proche. En plus d’être un important pourvoyeur d’emplois au sein du territoire, l’entreprise démontre une forte volonté de contribuer à son développement. Axon’ Cable a ainsi pris le parti de se passer de restaurant d’entreprise afin de soutenir l’activité des restaurants de la commune. De même, l’entreprise a lancé le programme Axionate, qui encourage la pratique régulière d’une activité physique au sein des associations locales pour proposer aux employés des séances de découverte de diverses activités : fitness, boxing, sophrologie, ou encore marche nordique intergénérationnelle (incluant des retraités de l’entreprise).

L’ETI participe ainsi au maintien d’une qualité de vie dans sa ville, principal critère de décision et de choix de destination64 des Français considérant la possibilité de déménager (soit un tiers des Français). Les critères varient néanmoins en fonction de la catégorie socio-professionnelle : tandis que les ménages les plus aisés sont soucieux d’accéder aux soins et aux commerces de proximité, les plus modestes recherchent avant tout la facilité à trouver du travail et un logement.

Vers un rapprochement public-privé

Cela ne signifie pas, bien au contraire, que ce regain d’ingénierie locale n’entre pas dans les prérogatives de l’État : il est d’ailleurs réclamé par beaucoup d’acteurs qui en attendent une capacité à mener des projets ad hoc, en dehors des textes de loi, et d’animer des collectifs autour de sujets fédérateurs. Or, il apparaît que l’État a peu à peu perdu cette capacité, notamment du fait de la réduction de ses effectifs en services déconcentrés, tantôt parce qu’il a fait le choix de l’externalisation, tantôt parce qu’il a globalement réduit ses moyens. Certains élus regrettent également le manque d’engagement de certains acteurs publics sur les sujets économiques, notamment les préfets et les maires, dont la compétence ne fait certes pas partie du portefeuille mais qui peuvent néanmoins exercer une influence considérable sur le cours des choses (foncier, mise en relation, etc.).

Néanmoins, au cours de nos entretiens, la confiance et la connaissance mutuelles entre acteurs privés et publics nous ont semblé, de part et d’autre, relativement dégradées, ce qui peut constituer un véritable obstacle au moment de bâtir des écosystèmes attractifs. Le dialogue public-privé doit donc s’intensifier, d’autant que de nombreux autres sujets pèsent aujourd’hui sensiblement sur le développement des entreprises, et des ETI en particulier.

La perspective du zéro artificialisation nette (ZAN)65, lourd de conséquences sur le développement industriel et l’offre de logement, est par exemple revenue à de multiples reprises comme une grande source d’inquiétude, devant faire l’objet d’un travail de concertation. Citons également sur ce plan le renforcement de l’offre en services publics, la mobilité et la promotion du territoire.

Les ETI expriment une très forte préférence pour les dispositifs pilotés à l’échelle locale, car elles y ont davantage de contacts avec les autorités. Elles sont en effet 58 % à considérer que leur statut d’ETI leur confère un atout auprès des pouvoirs publics locaux, contre seulement 29% à avoir la même opinion à l’égard des pouvoirs publics nationaux (METI et Mawenzi Partners, 2020). Ce pilotage régional, essentiel, peut sembler antagoniste avec la stratégie Nation ETI. Peut-être serait-il judicieux à ce titre d’élaborer treize « stratégies Région ETI », dans une dynamique de co-construction territoriale. Il s’agirait de décliner la stratégie nationale au niveau régional, sous la forme de feuilles de route mettant l’accent sur l’attractivité de chaque territoire, et d’y installer une gouvernance fédérant les acteurs locaux pertinents, a minima : services déconcentrés de l’État (notamment la DREETS et le rectorat), le conseil régional, le Club ETI. Cela étant dit, depuis la réforme territoriale de 2015 et le passage à treize régions, certaines ETI relèvent une plus grande difficulté à nouer des liens directs avec les conseils régionaux, du fait d’un accroissement parfois significatif de la distance au chef-lieu.

Cette coopération public-privé doit également s’incarner au niveau infrarégional, compte tenu des dynamiques importantes opérant à l’échelle du bassin d’emploi. C’est d’ailleurs l’échelle choisie par le programme Territoires d’industrie, lancé en 2018, qui mobilise l’ensemble des acteurs locaux, entreprises et collectivités, au service de la valorisation du savoir-faire industriel du territoire et de son attractivité. Les territoires pouvant prétendre au label Territoires d’industrie sont des intercommunalités ou des groupes d’intercommunalités, caractérisés par une forte identité industrielle.

Les grands enjeux ciblés par le programme correspondent très étroitement aux attentes remontées par les ETI rencontrées : favoriser l’attractivité des territoires et des métiers de l’industrie ; faciliter la formation, le recrutement et la mobilité des salariés afin de répondre aux besoins en main-d’œuvre des entreprises ; accompagner les entreprises et les territoires dans les transitions numérique et écologique ; accélérer les procédures administratives, notamment d’implantation des sites industriels. Pourtant, plusieurs ETI que nous avons interrogées, situées en Territoires d’industrie, disent ne pas avoir constaté d’effet immédiat en matière d’attractivité, voire ignorer l’existence du dispositif.

Outre ces deux échelles d’intervention, il reste d’après nos entretiens des marges de progrès pour un renforcement des actions à l’échelle de la commune et de l’agglomération, le maire étant un acteur central dans la mise en place de projets locaux et la création de potentielles synergies en faveur du développement économique. L’exemple de l’implantation de l’ETI Albéa, spécialisée dans l’emballage de produits cosmétiques, à Sainte-Menehould, est très illustratif du rôle que peut jouer le maire. L’entreprise souhaitait déménager et s’unir avec Transalliance, entreprise de transport, pour fonder un véritable pôle logistique. Le maire de Sainte-Menehould s’est alors investi pour garantir le foncier nécessaire au projet, et pour sécuriser l’emprunt lié à la construction du bâtiment, via une garantie de loyer (cruciale dans la réalisation du projet). Le maire s’est également engagé sur d’autres projets pour continuer à dynamiser le pôle économique, comme la construction d’un restaurant interentreprises (RIE). La réhabilitation de bâtiments voisins est également en réflexion, pour en faire des logements qui seraient loués par l’entreprise pour accueillir des stagiaires éloignés du bassin d’emploi d’Argonne (venant souvent de Reims et de Châlons-en-Champagne). Le maire échange toujours régulièrement avec les employés et les cadres du groupe au RIE, où il déjeune un fois par semaine, pour « voir ceux qui décident » et « forcer les gens à mettre des sujets sur la table ».

L’ingénierie territoriale en matière d’emploi : l’exemple de l’expérimentation « Territoires zéro chômeur de longue durée » (TZCLD)

TZCLD est un projet porté par l’association du même nom, dont l’objectif est de montrer que, moyennant mobilisation, « il est possible à l’échelle de petits territoires, sans surcoût significatif pour la collectivité, de proposer à toutes les personnes privées durablement d’emploi, un emploi à durée indéterminée à temps choisi, en développant des activités utiles pour répondre aux besoins du territoire », écrit-elle sur son site Internet.

Ce projet a été porté par le député PS Laurent Grandguillaume66 dans le cadre d’une proposition de loi « d’expérimentation territoriale visant à résorber le chômage de longue durée » adoptée par l’Assemblée nationale en juillet 2015. Cette dernière a permis de lancer des projets d’expérimentation dans dix territoires. Aujourd’hui, le mouvement se structure et passe à l’échelle : 47 territoires sont concernés.

Pour employer des personnes éloignées de l’emploi depuis longtemps, le dispositif s’appuie sur une pluralité d’acteurs comme des associations (ATD Quart-Monde, le Secours catholique, Emmaüs, etc.) et les collectivités territoriales (le maire notamment, à partir d’une certaine taille de ville). Un comité local chargé d’identifier les activités dont le territoire a besoin travaille avec les entrepreneurs du territoire pour monter les projets – qui sont à vrai dire de véritables entreprises, spécifiquement créées pour accueillir les demandeurs d’emploi. Pour ne pas concurrencer les entreprises existantes, ces EBE – entreprises à but d’emploi – deviennent le plus souvent leurs sous-traitants. Elles ont par exemple été créées dans le maraîchage, le recyclage du verre ou la production de biens industriels. Le projet a permis d’accompagner, dans les 10 premiers territoires sélectionnés, 1 200 personnes en CDI qui étaient au chômage depuis quatre ans et demi en moyenne, et en situation de handicap pour un quart d’entre eux. Sans nous prononcer sur le rôle des ETI dans l’accueil des chômeurs de longue durée, le projet TZCLD est intéressant à plusieurs égards. Il montre qu’il est possible de mener des expérimentations assez radicales en France, que l’échelle locale est une maille pertinente pour apparier chercheurs d’emploi et entreprises, et que cela peut s’avérer plus efficace que des programmes nationaux, si tant est que l’on mette les bonnes personnes autour de la table.

  • 59 – La nomenclature retenue par l’Insee n’est pas la même que celle que nous avons précisée dans notre cadrage ; les ETI de plus de 1 000 salariés ne se superposent donc pas avec notre notion de grande ETI.
  • 60 – Face à la pénurie de compétences, les entreprises doivent bousculer leurs méthodes, L’Usine Nouvelle.
  • 61 – Une ETI sur deux selon le Baromètre du mécénat d’entreprise en France de l’IFOP (2022).
  • 62 – Seulement 35 % des ETI ont connaissance de l’existence et du rôle de la plateforme VTE (Volontariat territorial en entreprise). Ce dernier permet d’accompagner les entreprises industrielles et de service à l’industrie situées dans le périmètre de ce dispositif. Pour ce faire, une aide financière plafonnée à 4 000 euros est mise en place pour le recrutement d’un jeune talent sur un poste à responsabilité. Source : METI.
  • 63 – La Pro D2 est la seconde division de rugby ; la plupart des joueurs y sont professionnels.
  • 64 – D’après le sondage réalisé par l’IFOP en mai 2021 sur les Français et les inégalités territoriales.
  • 65 – C’est un objectif fixé pour 2050. Il demande aux territoires, communes, départements, régions de réduire de 50 % le rythme d’artificialisation et de la consommation des espaces naturels, agricoles et forestiers d’ici 2030 par rapport à la consommation mesurée entre 2011 et 2020.
  • 66 – Aujourd’hui directeur général adjoint d’une ETI.
Chapitre 7

Gagner en visibilité

Dernier volet de leur stratégie RH, les ETI doivent encore effectuer un travail sur leur visibilité, sujet complexe et encore trop peu traité. Ce chapitre présente quelques angles d’attaque qui s’offrent aux entreprises en la matière.

Les ETI en grand déficit de visibilité

Si l’avènement de la catégorie statistique des ETI a permis de mettre en lumière les entreprises qui la composent, notamment auprès de la recherche académique et de la puissance publique, plusieurs entreprises rencontrées partagent le sentiment que cette définition opère uniquement «par la négative» (ni PME, ni grandes entreprises), sans éléments d’une identité propre.

Cette impression découle naturellement de la dénomination même de la catégorie, intermédiaire signifiant « qui est entre deux choses et forme transition de l’une à l’autre, qui occupe une position moyenne » selon le Larousse. Les ETI ne seraient alors par nature que « l’amas » des entreprises trop grandes pour être des PME, et trop petites pour être des grandes entreprises.

L’absence d’un imaginaire partagé autour de cette appellation, qui renverrait à des spécificités propres des entreprises à sa simple évocation, nuit évidemment fortement à l’attractivité des ETI. En réalité, seule une mince fraction du grand public semble au fait de l’existence même de la catégorie et de la signification de son acronyme – 11 % à la fin des années 2010 selon une étude interne au METI. Par ailleurs, une part significative des ETI françaises sont des entreprises business to business (B2B), c’est-à-dire qu’elles ont pour clients d’autres entreprises et non des particuliers. Le tissu économique français s’est en effet structuré historiquement autour de grandes entreprises, donneuses d’ordre et très visibles. Dans le domaine industriel notamment, ce sont des assembleurs s’appuyant fortement sur la sous-traitance. Les ETI sont donc pour beaucoup des fournisseurs de rang 1, 2 ou 3, ce qui les rend peu visibles du grand public, au contraire des grands comptes qui sont souvent en business to consumer (B2C). À titre d’exemple, des entreprises comme Urgo ou La Belle-Îloise sont largement connues du grand public, du fait de leurs activités B2C, sans que l’on sache qu’il s’agit d’ETI. En revanche, on connaît beaucoup moins Albéa, spécialisé dans l’emballage cosmétique, ou Septodont, leader mondial de l’anesthésiant dentaire, pourtant deux grandes ETI mais dont les activités sont en B2B.

Malgré tout, le statut de B2B n’est pas un frein insurmontable en matière d’attractivité. De grandes entreprises industrielles comme Airbus, Thales ou Safran sont parvenues à se forger une image de marque en capitalisant sur le destinataire final de leurs produits – le consommateur – et en se présentant comme des acteurs du business to business for consumers (B2B4C). Airbus par exemple vend ses avions aux compagnies aériennes, au service des passagers qui les emprunteront.

Il est donc possible de surmonter les difficultés du B2B en matière de visibilité ; encore faut-il le vouloir, ce qui n’est pas nécessairement le cas de toutes les ETI. Celles-ci font face en effet à une forme d’injonction contradictoire. D’un côté, elles font le constat partagé d’un manque de notoriété nuisant à leur attractivité ; d’un autre, nombre d’entre elles ont cultivé une forme de secret, notamment lié à l’actionnariat familial s’accompagnant même parfois de marques patronymiques. Ces « champions cachés », pour reprendre la terminologie de Hermann Simon (2009), qui les reconnaît précisément au fait qu’ils sont méconnus du grand public en dépit de leurs performances économiques, doivent pour certains accepter de sortir de l’ombre s’ils souhaitent attirer les talents.

Une marque employeur à développer dans plusieurs dimensions

Toute entreprise se développe en milieu contraint ; ne pouvant investir partout, elle doit choisir ses combats, y compris en matière de communication. Chaque ETI doit ainsi construire sa marque employeur. La recherche a en effet démontré les effets positifs de disposer d’une marque employeur forte tels que « l’attraction continue de candidats de qualité, l’amélioration du taux d’engagement des salariés ou encore la réduction du turn-over » (Charbonnier-Voirin et Vignolles, 2015). Définie comme « l’ensemble des avantages fonctionnels, économiques et psychologiques inhérents à l’emploi avec lesquels l’entreprise est identifiée comme employeur », cette marque recouvre l’identité de l’entreprise, son image interne et sa réputation externe.67

Figure 7.1 — Définition de la marque employeur

Source : Bpifrance et Adevea Consulting, Marque Employeur Guide Pratique à destination des dirigeants de PME-ETI.

Cette marque s’incarne dans la politique menée par l’entreprise, sur plusieurs plans : en matière salariale (indemnités, avantages en nature, modalités de partage de la valeur), en matière de qualité de vie et d’environnement de travail, en matière de culture et de valeurs (responsabilité sociale, vision de long terme) ainsi que dans le management (projet collectif, reconnaissance). Ainsi, concevoir une marque employeur ne se limite pas à élaborer une image destinée à attirer les talents : cela requiert aussi d’œuvrer à améliorer et à structurer les parcours. Il s’agit de renforcer l’engagement des salariés pour que ceux-ci deviennent ensuite des ambassadeurs de leur entreprise.

En pratique, toute entreprise, grande ou petite, dispose d’une marque employeur, même si elle n’en a pas conscience. Elle se doit néanmoins de la cultiver pour se rendre attractive. Ce sont d’ailleurs les plus petites entreprises (et notamment les ETI) qui doivent le plus résolument s’appuyer sur leur marque employeur pour compenser un déficit de ressources et faire venir à elles des candidats.

En Allemagne, les entreprises du Mittelstand jouissent
d’une image employeur très positive

Selon le service économique régional de l’ambassade de France à Berlin, les entreprises du Mittelstand ont su capitaliser sur leur image employeur en s’appuyant sur une (i) identité forte, liée à leur ancrage historique, familial et territorial ; (ii) une image interne positive liée à une attention particulière portée aux conditions de travail et aux perspectives de carrière, nourrie par une proximité interpersonnelle forte entre dirigeants et employés ; (iii) une réputation externe positive, associée à leur compétitivité et leur excellence et mise en avant par les pouvoirs publics tant pour la promotion de l’export que pour attirer des talents étrangers (par exemple via le site internet Make it in Germany).

Si la marque employeur est souvent réduite à la réputation externe de l’entreprise, il ne s’agit là en réalité que de son troisième pilier. Il est en effet primordial de commencer par clarifier l’identité de l’entreprise et valoriser sa culture en interne, car les collaborateurs en sont les premiers ambassadeurs. Travailler à une réputation externe qui ne renverrait à rien de concret en interne n’aurait qu’un effet de mirage. Des sites comme Glassdoor, qui donnent aux employés la possibilité d’évaluer anonymement leur environnement de travail, permettent maintenant facilement de les dissiper.

Il existe à ce sujet de très nombreux guides68 et cabinets spécialisés, dont les recommandations incluent entre autres : l’identification de valeurs communes, la mise en place de rituels, le partage de bonnes pratiques, l’obtention de labels tels Great Place to Work, et bien sûr la communication sur tout ce qui précède. L’un des meilleurs moyens d’ancrer ces actions dans la durée consiste à développer un dialogue régulier, en menant des enquêtes récurrentes pour suivre les tendances au sein de l’entreprise. Cela permet d’identifier les points de tension et de les corriger, de s’adapter aux nouvelles attentes, de recueillir des suggestions, etc.

Malgré tout, il est évident que la réputation externe demeure un pilier indispensable du triptyque. Les ETI en B2C (comme Sodebo ou la Maison Lenôtre) sont souvent plus avancées en la matière car elles ont été amenées très tôt à s’interroger sur la façon de se présenter et de présenter leurs produits. Comme nous l’avons relevé plus haut, les autres entreprises peuvent orienter leur marque en direction du B2B4C, c’est-à-dire en mettant en avant le consommateur final que sert l’entreprise et ce qui a pour lui de l’intérêt, de la valeur. Par exemple, Septodont, qui vend des produits pharmaceutiques dentaires aux professionnels de santé, se présente ainsi : « Nous améliorons la vie des patients en leur apportant des solutions innovantes, sûres et efficaces ».

L’image extérieure de l’entreprise doit être développée à plusieurs échelles, selon la cible recherchée. Les profils les moins qualifiés, dont on a montré qu’ils étaient moins mobiles d’un bassin d’emploi à l’autre, prêteront davantage attention à la réputation locale de l’entreprise, tandis que les cadres et les jeunes diplômés seront plus attentifs à la marque de l’entreprise et à ce qu’elle renvoie une fois inscrite sur le CV.

Tournus Équipement, « le fournisseur de Top Chef »

Pierre Marcel est dirigeant de l’entreprise Tournus Équipement, fournisseur de pièces
et meubles en inox pour la gastronomie et l’agroalimentaire, située en Saône-et-Loire à équidistance entre Châlons et Mâcon. Il a très vite compris l’intérêt de développer la marque employeur de son ETI pour parvenir à recruter, sur un territoire théoriquement peu attractif. Depuis 15 ans, ses équipes et lui ont ainsi mis en place une série d’actions ciblées sur la manière de promouvoir et valoriser l’entreprise. D’abord, redonner de l’amour-propre et de la fierté en interne, en travaillant sur l’identité de l’entreprise. Ainsi, chez Tournus, « on n’est pas des plieurs de tôle, mais des équipementiers de la gastronomie française ». Ensuite, valoriser les atouts de l’entreprise en interne et renforcer le dialogue social, avec par exemple des réunions de « parole libre » dans l’usine. Enfin, travailler sur la communication externe. Pour cela, Tournus s’appuie sur quelques marqueurs forts : prix, labels, clients emblématiques comme Top Chef… Surtout, la communication se fait à la fois dans la presse locale, indispensable pour se faire connaître dans le bassin d’emploi, et en ligne pour attirer des profils plus sensibles à l’effet marque, les jeunes diplômés notamment.

Construire une marque ETI collective

Au niveau collectif, la catégorie des ETI dont on a souligné le déficit de notoriété doit elle aussi parvenir à renforcer sa marque employeur. Élaborer une véritable marque «ETI» sera en effet un atout précieux, tant pour se faire connaître et peser politiquement dans la durée que pour recruter certaines typologies de profils (cadres et hauts potentiels), aujourd’hui attirés par des catégories d’entreprises mieux identifiées (start- up et grandes entreprises). Cette marque ETI servira évidemment de complément voire de renfort aux marques employeurs que les ETI sont invitées à définir individuellement. Elle pourrait être particulièrement bénéfique pour les plus petites ETI – qui ont a priori moins de ressources pour mener des opérations de communication en propre – et pour celles qui ont du mal à capitaliser sur leur image B2B. Les plus grandes ETI et les ETI en B2C pourront, elles, lui servir de tremplin en devenant des représentants de premier plan de la catégorie. Des premiers travaux ont été initiés par le METI en vue de la campagne de lancement de la stratégie Nation ETI début 2020, pour façonner une marque ETI cohérente. Ils ont permis d’aboutir à un livret de marque et à une charte graphique que la plupart des Clubs ETI ont reprise pour leur logo69. La crise Covid a toutefois largement ralenti la dynamique engagée par le METI, d’autres sujets étant devenus prioritaires (chômage partiel, etc.).

La poursuite des travaux de construction d’une marque ETI affirmée nécessite également d’identifier un narratif net, facilement partageable. Selon nous, ce narratif doit réunir plusieurs caractéristiques : être suffisamment englobant pour représenter le corps des ETI le plus largement possible, et être suffisamment percutant pour casser l’invisibilité de la catégorie. Ces deux dimensions sont évidemment antinomiques. Par ailleurs, il nous semble qu’un bon narratif doit viser en priorité la mise en visibilité des ETI les moins connues individuellement.

Les arguments clés des ETI

Deux caractéristiques des ETI mériteraient tout particulièrement d’être exploitées pour communiquer positivement sur ces entreprises : leur ancrage territorial et la recherche de pérennité dans leur structure financière.

Les « championnes des territoires »

Nous l’avons vu plus haut : les ETI françaises se caractérisent par un fort attachement à leur territoire. Pour rappel, deux tiers d’entre elles ont un siège social situé hors d’Île-de-France. Les ETI créent 70 % de leurs emplois sur leur territoire d’origine, et concentrent 75 % de leurs sites de production dans des zones rurales ou au sein de villes moyennes. Elles constituent, pour leurs territoires d’implantation, un facteur majeur de cohésion économique et sociale, parfois depuis plusieurs générations. Elles y puisent aussi, souvent, leur identité et leur marque, à l’instar du groupe Laiterie de Saint-Denis-de-l’Hôtel (dit groupe LSDH), de Corse Composites Aéronautiques, ou encore de La Fonte Ardennaise.

Ce message est important en matière d’attractivité car il est aligné avec les différents chantiers et politiques prioritaires du gouvernement : made in France, souveraineté industrielle, transition écologique et économie circulaire, relance des territoires et décentralisation.

Les « entreprises du long terme »70

Structures souvent familiales et soucieuses de leur transmission, les ETI gagneraient certainement à être davantage perçues comme des entreprises résilientes, capables d’une vision à long terme et soucieuses de stabilité. L’objectif de pérennité de l’entreprise y prime sur celui de rentabilité rapide : si les ETI ont 45 ans en moyenne, 8 % d’entre elles ont plus d’un siècle. La littérature académique associe plusieurs caractéristiques à l’ETI familiale – pérennité, indépendance, philosophie des affaires imprégnée de valeurs personnelles et d’humanité (Bertoneche, 2021) – qui sont en effet omniprésentes dans les discours des entreprises rencontrées. L’ETI véhicule d’emblée une image de stabilité dans un monde en crise. La résilience des ETI a d’ailleurs été démontrée par la crise Covid : l’année 2021 a constitué le pic de la décennie en matière de création d’emplois et d’investissement par les ETI (Stanwell, METI et Institut Louis Bachelier, 2022). Ce point tranche avec l’écosystème des start-up qui rencontre aujourd’hui des difficultés avec des investisseurs plus frileux à prendre des risques et à investir, là où les ETI comptent davantage sur elles-mêmes ou sur de l’endettement, en étant moins exposées aux marchés financiers par essence (Adrien Stratégie, 2022).

Lingenheld, une entreprise fièrement familiale

L’entreprise Lingenheld (Grand-Est), spécialisée dans les travaux publics, fait de son histoire et de sa structure familiale des éléments à part entière de sa communication et de sa stratégie de recrutement. Ce positionnement illustré dans son slogan « Une force au service d’un territoire : quatre générations, une aventure humaine », lui a valu le prix national Pérennité et Transmission des ETI en 2013. Valorisant le management de proximité et le souci quotidien de l’humain, le dirigeant de Lingenheld met aussi l’accent sur l’attachement fort de la famille au village de Dabo, qui a vu naître l’entreprise en 1976 et accueille toujours son siège social. L’entreprise ne s’est dotée d’un service de communication, destiné à valoriser ces éléments, qu’en 2019. Tout en reconnaissant un retard en la matière et un besoin de ressources supplémentaires, Lingenheld a su mettre en place des bonnes pratiques, comme la réalisation de témoignages vidéo d’employés sur le sens du travail dans l’entreprise.

D’autres points forts à revendiquer davantage

La taille intermédiaire

La taille des ETI leur permet d’être « assez grandes pour être fortes, assez petites pour être indépendantes » (Gattaz, 2010). Plus généralement, elles sont souvent décrites par leurs dirigeants comme des terrains de jeu idéaux pour inventer et tester : agiles pour expérimenter et capables de passer à l’échelle. Il n’est donc pas contradictoire de voir les entreprises de taille intermédiaire concilier ancrage local et ouverture à la mondialisation. On en compte même qui sont de véritables succès internationaux : 500 ETI sont leader européen ou mondial dans leur domaine et, en 2018, 19 000 filiales d’ETI françaises œuvraient à l’international, soit 41 % du total des filiales françaises présentes à l’étranger (Insee, 2020).

On peut ainsi décrire les ETI comme des entreprises leaders, en croissance, avec de nombreuses opportunités d’emploi.

La structure organisationnelle

Les ETI se caractérisent souvent par un mode de gouvernance et de management axé sur la proximité, l’agilité et la responsabilisation des salariés. Elles sont plutôt disposées à faire confiance et à responsabiliser – potentiellement aussi parce qu’elles ont plus de mal à recruter. Ainsi, « les ETI recrutent, plus fréquemment que les autres entreprises, des jeunes diplômés de moins d’un an d’expérience professionnelle pour leurs postes cadres » (Apec, 2013). Misant avant tout sur le capital humain pour construire leur développement, les ETI sont volontiers présentées par les dirigeants rencontrés comme un lieu privilégié de sens collectif, voire « de brassage social entre cols bleus et cols blancs ». La taille humaine de l’entreprise détermine ainsi un rapport particulier aux salariés, mais aussi aux clients, aux partenaires commerciaux et à la communauté. L’enjeu de la responsabilisation, intimement lié à la qualité du travail, est un critère central dans la recherche d’emploi, notamment pour les plus jeunes profils.

La capacité d’innovation

Nous l’avons vu dans le chapitre 1, les ETI réalisent le quart des dépenses de R&D en France, et concentrent environ un tiers des effectifs de R&D. Cette capacité d’innovation peut résonner auprès de la jeune génération, surtout si les ETI montrent également qu’elles sont durablement investies dans la transition écologique (METI, 2022). Pour l’instant, seules 50 % des ETI se sont engagées dans une démarche de reporting extra-financier (ibid.).

Profiter du nouveau narratif favorable à l’industrie

Enfin, la revalorisation du narratif industriel, notoirement associé aux ETI, devra aller de pair avec les éléments précédents. Ces temps-ci, les opérations de communication en faveur de l’industrie se multiplient ; on peut toutefois regretter que les ETI y soient insuffisamment associées. Par exemple, sur les grilles du Jardin du Luxembourg entre mars et juillet 2023, l’exposition intitulée Beauté cachée de l’Industrie comptait, parmi les 80 photos exposées, seulement 14 ETI françaises.

Les ETI devront pourtant jouer un rôle clé dans la réindustrialisation des territoires. En effet, les emplois dits productifs ne représentent que 37 % des effectifs en ETP dans les grandes entreprises industrielles alors qu’ils représentent 58 % de l’emploi dans les ETI françaises industrielles (Fleckinger et Prévet, 2023).

  • 67 – À lire sur le blog d’Agnès Duroni, Marque employeur et nouveaux enjeux RH.
  • 68 – Voir notamment le guide produit par Bpifrance et Adevea : Marque Employeur Guide Pratique
  • 69 – Le livret de marque et les autres éléments portant sur les premiers travaux du METI sont consultables en ligne sur le site du METI.
  • 70 – Formule qui apparaît d’ailleurs en sous-titre du logo du METI (2023).

Conclusion

Pour citer un DRH rencontré lors de notre travail : « Le problème, c’est que les ETI ont les ambitions des grands groupes avec les ressources des PME ». Les ETI ont en effet des structures RH souvent peu étoffées et sous-dimensionnées compte tenu des moyens à mobiliser pour recruter et fidéliser des talents essentiels à la pérennité et au développement de ces entreprises. Néanmoins, ce n’est pas là que se loge réellement la difficulté à recruter ; elle est surtout liée à des tensions générales sur le marché de l’emploi associées à un problème d’attractivité propre aux ETI. Ces dernières souffrent en particulier d’un manque de notoriété et d’une image parfois vieillissante face à celle que véhiculent notamment les start-up et quelques grands groupes. Au-delà du problème d’attractivité, les ETI pâtissent en outre d’un manque de liens structurés avec les acteurs publics, notamment ceux en charge de l’emploi et de la formation, et d’une intégration perfectible au sein de leur écosystème tant à l’échelle nationale qu’au niveau du territoire.

Les ETI ont pourtant de nombreux atouts de séduction méconnus des candidats à l’emploi. Elles offrent des rémunérations tout à fait compétitives, elles expérimentent des modes d’organisation novateurs et favorisent l’autonomie et la prise de responsabilité des équipes. Préserver un « esprit PME » tout en étant plus structurées et en capacité d’innover permet en outre aux ETI de conserver une réactivité et une flexibilité supérieures à celles des grands groupes.

Travailler sur la visibilité de la catégorie ETI, des entreprises qui la composent – pour certaines leaders internationales sur leur marché – et de leurs points forts semble donc être un axe à prioriser. C’est en tout cas un prérequis à l’amélioration de leur attractivité. Ce travail peut se faire à plusieurs échelles et auprès de différents publics : les scolaires dès le collège, les étudiants dans les écoles, les élus et les acteurs locaux, le grand public, etc. Pour le reste, les ETI ne pourront pas tout faire seules compte tenu de leurs ressources limitées. Elles auront intérêt à mutualiser leurs ressources avec l’aide de leur club local ou du METI pour les actions nationales, et à s’associer judicieusement aux bons acteurs.

Le recrutement des talents, et plus largement de la main-d’œuvre nécessaire aux ETI françaises, participe à leur dynamisme, mais aussi à la solidité du tissu productif français. L’émergence de la régionalisation des chaînes de valeur devient une tendance structurelle, dont les ETI sont un pilier par leur ancrage et leur maillage local. À ce titre, elles peuvent être un moteur pour la réindustrialisation du pays et sa recherche d’autonomie stratégique. Renforcer leur attractivité est essentiel pour passer à la vitesse supérieure.

Bibliographie

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Annexe I – Points méthodologiques, entretiens, données

Une approche terrain couplée à une approche données

Premièrement, une approche bottom-up a été utilisée, en menant des enquêtes sur le terrain et des entretiens avec des employeurs, des employés et des experts du secteur. Nous avons au total rencontré 25 entreprises. Cette méthode a permis de recueillir des données qualitatives détaillées sur l’attractivité de l’emploi dans les ETI en France.

Deuxièmement, la collaboration étroite avec la chaire etilab nous a permis d’accéder à une grande quantité de données statistiques sur les ETI et l’emploi en France – encore non exploitées par l’Insee, provenant de l’analyse des DADS (Déclaration annuelles de données sociales). Le champ des données recueillies est les entreprises en France des secteurs principalement marchands non agricoles et non financiers. Il faut noter que les données produites par l’Insee (Insee, 2022) peuvent légèrement différer de celles produites par l’etilab, pour des raisons de différence de périmètre.

L’accès à certaines données utilisées dans le cadre de ce travail a été réalisé au sein d’environnements sécurisés du Centre d’accès sécurisé aux données – CASD (Réf. 10.34724/CASD).

Données, entretiens et cadrage temporel

Notre étude nécessite ainsi de reconstituer deux dimensions temporelles : sauf mention contraire, les données chiffrées datent de 2019, avant la crise Covid. C’est un choix, qui permet de s’éviter les perturbations macroéconomiques liées à la crise Covid ; dans le même temps, les informations plus qualitatives de cette étude et nos déductions proviennent d’entretiens réalisés en 2022-2023, et qui sont, de fait, teintés du contexte post-Covid qui a bouleversé le monde du travail. Nous avons donc travaillé avec l’hypothèse de travail que les données observées avant la crise Covid restent valables et analysables à l’aune des observations d’aujourd’hui.

Données et nomenclatures utilisées

Professions et catégories socioprofessionnelles en France (Insee)71 :

1. Agriculteurs exploitants

2. Artisans, commerçants et chefs d’entreprise

3. Cadres et professions intellectuelles supérieures

4. Professions Intermédiaires

5. Employés

6. Ouvriers

Figure A.1 — Hypothèses sur la compartimentation des secteurs, à partir de la nomenclature agrégée des secteurs économiques72

Source : La nomenclature agrégée — NA (2008) | Insee.

Annexe II – Liste des personnes auditionnées

Cette liste regroupe les personnes rencontrées par les auteurs de cet ouvrage ainsi que par les élèves de l’INSP.

Annexe III – Salaire horaire brut moyen en euros par PCS, secteur agrégé et catégorie d’entreprise

Source : Insee, FARE, DADS, 2019. Traitement : etilab.

Annexe IV – Pyramides des âges des salariés par secteur, catégorie et PCS

Légende : ETI = barres pleines, GE = barres aux contours noirs ; gauche = homme ; droite = femme.
Source : Insee, FARE, DADS, 2019. Traitement : etilab.
Note : Parts en pourcentage dans l’emploi total d’une catégorie donnée pour chaque classe d’âge.

Annexe V – Évolution du salaire horaire brut des salariés par secteur, par catégorie d’entreprise, par classe d’âge et par PCS, en euros

Légende : ETI = barres pleines, GE = barres aux contours noirs ; gauche = homme ; droite = femme.
Source : Insee, FARE, DADS, 2019. Données traitées par l’etilab.

Louis Gaget et Manon Nguyen Van Mai, ETI et talents : les clés pour que ça matche, Les Docs de La Fabrique, Paris, Presses des Mines, 2024. ISBN : 978-2-38542-489-3

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