La transition écologique des territoires industriels

La transition écologique des territoires industriels

 

ÉDITO

L’idée que l’industrie est un moteur de la transition écologique s’installe lentement dans les esprits. Dans le même temps, les collectivités territoriales engagent de plus en plus d’initiatives en faveur de la transition : projets de renaturation des espaces publics, soutien à la méthanisation agricole ou encore développement de la mobilité douce.

Comment construire un territoire industriel qui réponde aux grands enjeux environnementaux et dont le modèle de développement serait durable et résilient ? Nos observations de terrain conduites en divers Territoires d’industrie mettent au jour plusieurs dispositifs dont d’autres peuvent s’inspirer pour entamer leur propre démarche de transition écologique, en particulier dans le domaine énergétique.

On appelle « industriels et durables » ces territoires présentant une forte spécificité industrielle et ayant entrepris de transformer leurs activités1 ou d’en implanter de nouvelles, en vue de décarboner leur économie. Dans tous les cas, un tel projet de territoire industriel doit combiner différents ingrédients.

FÉDÉRER LES ACTEURS ET RENDRE LES DISPOSITIFS ACCEPTABLES

Intégrer la transition écologique dans le projet d’un territoire industriel suppose notamment de rassembler, autour d’une représentation d’un futur commun, un collectif d’acteurs composé d’industriels, d’élus, d’associations, de riverains et des représentants de l’État. Cette représentation, ainsi que les actions à mettre en place, doivent faire l’objet d’un consensus malgré des intérêts parfois divergents des acteurs. À Dunkerque par exemple, la réflexion autour de l’économie circulaire dans l’industrie fait partie des documents de planification territoriale depuis les années 1990 (Beaurain et Varlet, 2015).

Une concertation publique, à travers la vcréation d’une structure dédiée, peut être utile pour construire un horizon commun. C’est le cas du Laboratoire territorial industriel créé en octobre 2022 sur la zone industrialoportuaire de Fos-sur-Mer (historiquement organisée autour des activités de raffinage) et de l’étang de Berre (caractérisé par la prédominance des activités chimiques et métallurgiques). Ce laboratoire organise des ateliers pour que les acteurs locaux réfléchissent ensemble au développement industriel qu’ils souhaitent, et qui soit compatible avec la préservation de l’environnement et la qualité de vie.

Parfois, la représentation commune n’est pas suffisante et il peut s’avérer compliqué de recueillir l’assentiment des citoyens sur un projet d’implantation. Pour éviter cet écueil et impliquer les citoyens, la future plateforme éolienne en mer à Dunkerque entend s’appuyer sur du financement participatif, à l’instar de ce qu’a fait le territoire dieppois pour son propre projet d’éoliennes en 2019.

CRÉER UN ÉCOSYSTÈME

Autre ingrédient d’un projet de territoire industriel, la création d’un écosystème propice à l’innovation. Le Nord Franche-Comté en est un bon exemple. Depuis le début des travaux de recherche sur les piles à combustibles en 1999 à Belfort, ce territoire et plus globalement la Bourgogne-Franche-Comté ont axé une partie de leur développement économique sur la création d’une filière hydrogène. Pour accompagner cette stratégie, une fédération de recherche, spécialisée dans l’intégration des systèmes hydrogène énergie et piles à combustible, pour les transports notamment, a vu le jour en 2012. Un centre de recherche sur les réservoirs à hydrogène et une entreprise dédiée au développement des piles à combustibles pour les véhicules ont été créés par les industriels du secteur automobile.

Le territoire industrialo-portuaire de Marseille-Fos se transforme lui aussi pour accueillir des activités innovantes en matière de production d’énergie (éolien, solaire, hydrogène) et d’économie circulaire. Différents démonstrateurs industriels y ont été implantés grâce à la création d’une pépinière, Innovex, et de la plateforme PIICTO (Plateforme industrielle & innovation de Caban Tonkin) désignant à la fois un espace de 1 200 hectares, une association et une structure d’accompagnement de l’innovation.

Se spécialiser sur les métiers de la transition écologique, pour un territoire, c’est encore se doter d’un écosystème de formation capable de répondre aux besoins de main-d’œuvre des entreprises. L’écosystème autour de l’hydrogène comprend donc aussi l’UTBM (université de technologie de Belfort-Montbéliard) et l’université de Franche-Comté, qui forment aux métiers de l’ensemble de la chaîne de valeur. À Dunkerque et à Marseille, des formations se développent également autour des métiers de gestion de l’énergie pour le bâtiment et l’industrie. Une école de production a récemment ouvert à Marseille pour délivrer des diplômes d’installateur de panneaux photovoltaïques et d’électricien des énergies renouvelables, métiers indispensables au bon fonctionnement de l’écosystème.

La mise en réseaux des acteurs est elle aussi primordiale dans la formation de ces écosystèmes. À Dunkerque, les firmes les plus importantes du territoire et certaines PME ont d’abord commencé entre elles à optimiser les flux de matière et d’énergie, avant que ne soit mise en place une structure en charge de la promotion de l’écologie industrielle, l’association Ecopal (Économie et écologie, partenaires dans l’action locale) (Beaurain et Varlet, 2015). Ce réseau permet de partager les bonnes pratiques, concernant par exemple le traitement et la réutilisation des déchets. En Nord Franche-Comté, le cluster Vallée de l’énergie a vu le jour en 2013 pour favoriser de nouvelles collaborations.

Ces écosystèmes favorisent en retour l’implantation d’entreprises qui produisent des installations énergétiques. Deux projets d’investissement sont prévus à Marseille, une gigafactory de photovoltaïque et une usine de production d’hydrogène vert.

AU SEIN DE CET ÉCOSYSTÈME, PENSER LES CONDITIONS DE VIE

La qualité de vie, et notamment l’amélioration de la mobilité entre le lieu de travail et le domicile, doit elle aussi faire partie intégrante des projets des territoires industriels. Ainsi, dans le Territoire de Belfort, le développement des bus à hydrogène permet non seulement de répondre aux besoins de mobilité des habitants, mais aussi de réduire son empreinte carbone et de créer des emplois locaux dans la filière hydrogène.

Autre ingrédient essentiel : un environnement doté de foncier. Sur ce point, les territoires doivent limiter l’artificialisation des sols pour atteindre l’objectif de «zéro artificialisation nette» en 2050 fixé par la loi Climat et Résilience. Ils doivent également favoriser la construction ou la rénovation de bâtiments peu émetteurs de carbone. Ces contraintes s’ajoutent aux tensions qui existaient déjà dans certains territoires quant à la disponibilité du foncier pour les activités industrielles. Une solution à ces problèmes peut être la verticalisation des usines mais cela n’est pas compatible avec toutes les activités. À Dunkerque, le cimentier Hoffmann Green va reproduire son usine verticale de Bournezeau en Vendée, utilisant au passage son ciment bas carbone (sans clinker). La réhabilitation des friches constitue une seconde solution, à condition que le territoire en soit pourvu et qu’elles soient adaptées aux besoins des industriels. Le Territoire de Belfort est doté depuis 1988 d’une société d’économie mixte patrimoniale qui a rapidement intégré dans son cœur d’activité la réhabilitation des friches. Elle a notamment permis la reconversion de l’ancien site de Bull et transformé la zone en un parc dédié à l’énergie ; ce sont les firmes qui y sont localisées qui ont créé la Vallée de l’énergie.

Enfin, l’approvisionnement en énergie, également primordial, est déjà pensé dans certains territoires sur la base d’un modèle circulaire : les projets de réseau de vapeur, sur les territoires de Dunkerque ou de Marseille-Fos, visent à connecter les entreprises qui produisent de la chaleur fatale avec d’autres qui utiliseraient cette source d’énergie pour leur activité. Le fret ferroviaire est aussi repensé à Marseille pour limiter les émissions liées au transport routier.

CONCLUSION

Si beaucoup de Territoires d’industrie partagent l’ambition de contribuer à limiter le réchauffement climatique, chacun dispose de ressources, fait face à des enjeux qui lui sont propres, et doit compter avec les intérêts différenciés des acteurs. Certains territoires ont déjà mis en place des actions en faveur d’un mode de développement plus durable. Ces initiatives pionnières ne demandent qu’à être généralisées.

  • 1. Afin de modifier leur consommation de matières premières et d’énergie, de diminuer leurs émissions de CO2 et d’autres composés organiques, de mieux gérer leurs déchets et l’impact de leur activité sur l’eau, les sols et la biodiversité.

En savoir plus

Beaurain, C & Varlet, D. (2015). « Régulation des interactions au sein d’un réseau territorialisé
d’entreprises dans le cadre de l’écologie industrielle », Revue d’économie industrielle, 152, 173-206.
Granier, C. (2023). Refaire de l’industrie un projet de territoire. Les Notes de La Fabrique. Presses des Mines.
Hoffmann Green Cement. (2022). Hoffmann Green annonce l’implantation de son troisième site de production (H3) sur le Grand Port Maritime de Dunkerque. Communiqué de presse, mai. http://www.dunkerque-port.fr/fr/presse/actualites/2022-05-22-hoffmann-green-annonce-l-implan- tation-de-son-troisieme-site-de-production-h3-fr-74544.html
La Voix du Nord. (2023). Dunkerquois: les questions qu’on se pose encore sur le projet d’éoliennes en mer. https://www.lavoixdunord.fr/1284394/article/2023-01-28/dunkerquois-les-questions- qu-se-pose-encore-sur-le-projet-d-eoliennes-en-mer

Ce travail s’appuie sur les comptes rendus des séminaires de l’observatoire des Territoires d’industrie, disponibles sur https://www.la-fabrique.fr/fr/seminaire/observatoire-des-territoires-dindustrie/ L’observatoire des Territoires d’industrie associe la Banque des territoires et l’Institut pour la recherche de la Caisse des Dépôts, l’Agence nationale de la cohésion des territoires, la Fondation Mines Paris, La Fabrique de l’industrie, Intercommunalités de France, Régions de France. Centre de ressources, il produit des études et organise un cycle de séminaires mensuels afin de mieux connaître les territoires labellisés « Territoires d’industrie », leurs problèmes, leurs atouts, leurs projets et plus généralement les ressorts de leur développement industriel.
Pour réagir à ce Cube, n’hésitez pas à nous contacter : info@la-fabrique.fr