LE NUCLÉAIRE, CLÉ D’UN MIX ÉLECTRIQUE ÉCONOMIQUEMENT SUPPORTABLE

LE NUCLÉAIRE, CLÉ D’UN MIX ÉLECTRIQUE ÉCONOMIQUEMENT SUPPORTABLE

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RÉSUMÉ

Pour augmenter la production d’électricité décarbonée en France et atteindre ainsi l’objectif « net zéro » en 2050, Emmanuel Macron a annoncé à Belfort, en février 2022, sa volonté de développer massivement les énergies renouvelables (EnR) tout en modernisant le parc nucléaire. Plus précisément, l’exécutif a esquissé deux scénarios dont un prévoit la construction de 6 EPR2 d’ici 2050 et l’autre en ambitionne 14. Si les coûts de construction de ces installations nucléaires sont, à première vue, un frein à la mise en œuvre du deuxième scénario, le coût complet du mix électrique plaide pourtant en sa faveur. C’est en tout cas le résultat de l’analyse effectuée par Pierrick Dartois et Marie Suderie, les auteurs du nouvel ouvrage1 publié par La Fabrique de l’industrie. Leurs travaux montrent en effet que le développement résolu du nucléaire permet de réduire les coûts de distribution et de préserver le solde exportateur de la France. De cette première conclusion découle une deuxième : le développement du nucléaire en France permettrait de produire l’hydrogène le moins cher d’Europe à l’horizon 2050.

Sortir de notre dépendance aux combustibles fossiles, principalement au profit d’une électricité bas carbone, est une condition sine qua non à l’atteinte de l’objectif de neutralité carbone en 2050. Les États signataires de l’accord de Paris anticipent donc une très forte électrification de leurs usages et doivent transformer leur mix énergétique en conséquence. Pour la France, Emmanuel Macron a annoncé2 vouloir, d’ici 2050, multiplier par 10 la production actuelle d’énergie solaire (pour atteindre 100 GW), déployer 50 parcs éoliens en mer (pour atteindre environ 40 GW) et doubler la production d’éoliennes terrestres (à 40 GW également). En parallèle, un nouveau programme nucléaire permettrait de bénéficier de 10 à 25 GW de nouvelles capacités, selon que 6 ou 14 EPR2 seront construits d’ici 2050.

UN ATOUT ÉCONOMIQUE

Les questions de la place du nucléaire dans le futur mix électrique et du nombre de nouvelles centrales à construire seront débattues dans le cadre de la révision de la programmation pluriannuelle de l’énergie (PPE), début 2023. La Commission des affaires économiques du Sénat s’est néanmoins prononcée dès juillet dernier en faveur de la construction de 14 EPR2 et de quelques petits réacteurs modulaires pour « maintenir au moins 50 % d’énergie nucléaire à l’horizon 2050 (dans le mix électrique, contre 70 % actuellement, N.D.L.R.) ». Les débats à venir tiendront compte des préoccupations sociales et environnementales de la population3, mais aussi de deux autres facteurs. Le premier est le maintien de l’équilibre entre offre et demande d’électricité. En effet, si nos efforts croissants de sobriété nous permettront de réduire de 40 % notre consommation totale d’énergie, le renoncement quasi complet aux énergies fossiles aura aussi pour effet d’augmenter de 65 % entre 2019 et 2050 nos besoins en électricité (voir encadré). Or, les EnR, dont la production est intermittente, ne permettront pas de les couvrir à elles seules. Le second facteur est l’équation économique du mix énergétique, puisqu’il s’agit bien sûr de développer des capacités permettant de fournir une électricité à un prix compétitif.

Consommation d’électricité en TWh par usage dans le scénario de référence des auteurs

Pierrick Dartois et Marie Suderie ont développé un outil de modélisation visant à étudier, à l’horizon 2050, différents scénarios de production et de consommation d’électricité. Leur scénario de consommation de référence tient compte des ambitions gouvernementales de réindustrialisation de la France, de l’amélioration de la performance énergétique des bâtiments et d’une forte électrification des transports. Il table ainsi sur une hausse de la consommation de 65 % par rapport à 2019, à 779 TWh en 2050.

UN COÛT COMPLET FAVORABLE AU SCÉNARIO LE PLUS NUCLÉARISÉ

D’après les travaux de Pierrick Dartois et Marie Suderie, la France aurait intérêt à mettre en œuvre le mix électrique le plus nucléarisé. Cela permettrait en effet de minimiser le coût complet du système électrique4 à l’horizon 2050-2060. Entre les deux scénarios esquissés par Emmanuel Macron, l’écart de coût, en 2050, serait de près de 3 milliards d’euros par an, en faveur de celui prévoyant 14 EPR2 (puis de 4,3 milliards d’euros en 2060). Un scénario encore plus volontariste en matière de prolongement du parc nucléaire existant permettrait même d’économiser jusqu’à 7 milliards d’euros par an, par rapport à un scénario sans nouveau nucléaire (voir graphique en page 4). Les investissements restent certes plus importants pour le nucléaire, mais ils sont compensés par une production d’électricité plus importante. Cela améliore donc le bilan des échanges extérieurs : avec 6 EPR2, la France devrait importer de l’énergie en 2050 tandis que le solde exportateur se situerait autour de 20 TWh/an dans le scénario avec 14 EPR2. En outre, le coût de distribution de l’électricité qui pèse pour, au moins, un tiers du coût complet et peut s’avérer décisif. En effet, dans le mix électrique le plus nucléarisé, les réseaux représenteraient un coût annuel de 23 milliards d’euros contre 24,7 milliards d’euros pour celui contenant davantage d’EnR. Cela provient du fait que le développement des énergies renouvelables s’accompagne d’une adaptation importante des réseaux de transport et de distribution, la production d’énergie étant plus diffuse (elle est décentralisée et plus variable).

UN HYDROGÈNE COMPÉTITIF

Les simulations de Pierrick Dartois et Marie Suderie montrent par ailleurs qu’un parc nucléaire a aussi pour avantage d’améliorer la compétitivité de l’hydrogène produit en France. Le coût de production de l’hydrogène est en effet d’autant plus faible que la part du nucléaire est importante, non seulement parce que le coût de l’électricité5 est inférieur, mais également parce que l’optimisation économique conduit à augmenter la durée d’utilisation des électrolyseurs dans les scénarios les plus nucléarisés. En 2050, dans le scénario avec 14 EPR2, l’hydrogène français serait l’un des moins chers d’Europe de l’Ouest, avec la Suisse, dont l’électricité hydraulique est abondante, et l’Espagne, qui bénéficie d’une importante ressource solaire. L’hydrogène produit en France serait toutefois plus cher que celui de ces deux concurrents dans un scénario moins nucléarisé.

Conclusion

Les travaux de Pierrick Dartois et Marie Suderie confirment l’intérêt économique d’une relance du nucléaire, déjà souligné par RTE6. Ils montrent aussi que, même si le programme de l’exécutif est très ambitieux, il sera nécessaire de déployer encore un supplément d’effort pour couvrir réellement tous nos besoins en électricité. En effet, les nouvelles capacités nucléaires ne remplaceront pas en totalité celles du parc nucléaire historique. Même avec le renfort des capacités renouvelables souhaitées par le président Macron, considérables et indispensables, la France parviendra à peine à couvrir la totalité de ses besoins en électricité si elle n’a pas abandonné en cours de route son objectif de réindustrialisation. C’est donc sur ce supplément d’effort que devraient se concentrer dès à présent les débats. D’autant plus que l’actualité rappelle avec force le besoin de garantir la souveraineté et la sécurité d’approvisionnement du pays en matière énergétique.

  • 1. Couvrir nos besoins énergétiques : 2050 se prépare aujourd’hui, dans la collection Les Notes de La Fabrique de l’industrie.
  • 2. Dans son discours du 10 février 2022 à Belfort.
  • 3. Une consultation publique sur le programme des 6 EPR2 a été lancée le 26 octobre dernier et s’achèvera le 27 février 2023.
  • 4. Le coût complet du système électrique est annualisé et amorti et calculé ici selon les recommandations de la Cour des comptes, « comme la somme des coûts des moyens de production, des moyens de stockage et de flexibilité de la demande, du réseau de transport et de distribution, des interconnexions et du bilan des échanges extérieurs d’électricité (imports et exports) ».
  • 5. L’électricité représente environ 65 % du coût de production de l’hydrogène, l’amortissement et l’entretien des électrolyseurs représentant la quasi-totalité du reste.
  • 6. Dans son rapport « Futurs énergétiques 2050 ».

En savoir plus
Dartois P. & Suderie M. (2022), Couvrir nos besoins énergétiques : 2050 se prépare aujourd’hui,
Gremillet, D., Moga, J.-P., & Michau, J.-J. (2022). Nucléaire et hydrogène : l’urgence d’agir [Rapport d’information]. Commission des Affaires économiques du Sénat.
RTE (2021). Futurs énergétiques 2050. Octobre 2021.
Cabinet du Premier ministre (2022). Travaux relatifs au nouveau nucléaire – PPE 2019-2028.
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