Les territoires industriels : un potentiel à construire

Les territoires industriels : un potentiel à construire

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RÉSUMÉ

Un territoire ne se résume pas à un espace géographiquement délimité. Il se définit aussi comme un ensemble de ressources (naturelles, matérielles, immatérielles, humaines, etc.), d’interactions répétées et de projets partagés. Plus précisément, c’est la construction, l’activation et la combinaison de ces ressources qui permettent le développement d’un territoire dynamique. Ainsi, ce n’est pas parce que l’on dispose localement de ressources naturelles ou de compétences que l’on fait vivre un territoire industriel sur le long terme ; encore faut-il les pérenniser. Parallèlement, il ne suffit pas qu’un élu décide de mettre en place un modèle de récupération de chaleur ou de production d’hydrogène pour que le projet aboutisse : il faut savoir mobiliser les industriels et les citoyens tout en obtenant les financements nécessaires. Revenons ici sur quelques enseignements des territoires labellisés « Territoires d’industrie ».

LES TERRITOIRES INDUSTRIELS : PAR-DELÀ LES FRONTIÈRES ADMINISTRATIVES ET PRODUCTIVES

La définition usuelle d’un territoire industriel autour d’une activité tend à le « verrouiller » sur une spécialisation. Pourtant, Carré et al. (2019) ont montré qu’une telle spécialisation sectorielle ne pouvait expliquer à elle seule les performances des territoires en matière d’emploi: c’est donc que d’autres facteurs sont à considérer pour comprendre les sources de croissance de l’industrie.

Parmi eux, la mobilisation des acteurs locaux autour d’un objectif commun et d’une identité partagée est primordiale pour réussir un projet de territoire. Il ne s’agit pas seulement de considérer les dirigeants d’entreprise mais aussi d’inclure l’ensemble des fournisseurs, les élus, les financeurs, voire les citoyens dans ce projet. La capacité des acteurs mobilisés à se coordonner peut être favorisée par l’appartenance à un même réseau, les relations de face-à-face permises par le regroupement sur une même zone géographique d’activités économiques et de formation ou encore l’organisation régulière de rencontres informelles telles que des petits déjeuners d’entrepreneurs. Dans cette coordination des acteurs, leur capacité à produire un bien final (un avion, un vin…) est naturellement un atout, mais les compétences dont ils disposent sont plus primordiales encore, parce qu’elles conditionnent leur aptitude à rebondir en cas de crise conjoncturelle. Bien sûr, la réalisation d’un tel projet territorial ne peut se faire non plus sans ressources naturelles, matérielles et foncières. L’accès aux infrastructures numériques et de transport ainsi qu’à des bâtiments industriels ou à des terrains constructibles apparaissent comme des éléments indispensables au succès.

Le territoire est construit par les acteurs autour de ces différents éléments qu’ils combinent et recombinent au fil du temps. Leur vision ne peut être bornée par les frontières administratives: «il faut toujours se demander avec quel territoire voisin il pourrait être intéressant de travailler pour améliorer la compétitivité des entreprises de son propre territoire », rappelle Olivier Bouba-Olga, professeur à l’université de Poitiers.

LACQ-PAU-TARBES ET SAINT-NAZAIRE-CORDEMAIS : DEUX EXEMPLES DE COMBINAISON

Les activités industrielles ont historiquement prospéré à proximité des gisements de matières premières. C’est le cas à Lacq où la découverte de gaz en 1951 a contribué à l’émergence d’un bassin industriel et au développement de compétences en exploitation et en distribution de gaz. Les villes voisines, Pau et Tarbes, ont quant à elles bénéficié de leur proximité géographique avec Toulouse pour développer des activités de sous-traitance en aéronautique.

La fin de l’exploitation de gaz au début des années 2010 n’a pas pour autant signifié la fin des activités énergétiques sur le territoire de Lacq, de la même manière que la crise traversée par le secteur aéronautique suite à la pandémie de la Covid-19 ne marque pas la disparition de l’industrie sur Tarbes. Désormais, les acteurs locaux se tournent vers la distribution de gaz connectée et mettent leurs compétences au service de la transition énergétique en s’appuyant sur le Campus des métiers et des qualifications. De même, la crise est l’occasion de favoriser le redéploiement des salariés – par exemple les chaudronniers – de l’aéronautique vers le ferroviaire afin de conserver et de valoriser les compétences sur le territoire.
Une telle agilité est rendue possible par la création de nouveaux espaces de coordination, d’autant plus nécessaires que le Territoire d’industrie Lacq-Pau-Tarbes se situe sur deux régions. Différents comités et équipes se sont structurés, mêlant les responsables économiques des EPCI, les industriels, les représentants de l’État et des Régions, ainsi que les opérateurs.

Un autre exemple de combinaison est donné par le Territoire d’industrie Saint-Nazaire – Cordemais. L’histoire industrielle de ce territoire est liée à sa position géographique : territoire portuaire, il a offert un lieu de production privilégié pour les objets de grande dimension, tels les paquebots, qui ne peuvent être livrés par la route, depuis le milieu du xixe siècle. Les Chantiers de l’Atlantique constituent encore aujourd’hui un lieu emblématique de l’économie locale et l’industrie fait toujours intensément partie de l’identité nazairienne. Ce fort attachement facilite la mobilisation des acteurs sur un projet de territoire comme en témoigne Patrick Pirrat, ancien expert industriel aux Chantiers de l’Atlantique: «Que représente l’industrie du futur sur votre territoire ? Une des particularités des industriels de Saint-Nazaire est que, lorsqu’on nous pose ce genre de question, tout le monde saute sur son vélo pour venir à la réunion, quand d’autres territoires peinent à mobiliser.»

Bien sûr, cette mobilisation seule ne suffit pas au maintien des activités industrielles ; il faut aussi penser à la conservation et au renouvellement des activités sur place. Une école de production propose ainsi des formations de soudeurs et de charpentiers-métaux pour faire face à la pénurie de main d’œuvre et pérenniser les compétences acquises jusqu’alors sur les Chantiers de l’Atlantique. Un projet de maison des entrepreneurs est en cours, afin de rassembler en un seul lieu l’ensemble des partenaires dont ceux-ci ont besoin pour commencer leur activité. Compétences juridiques, parrainage d’industriels, formation et accompagnement aux outils numériques et à l’innovation, dispositifs d’emploi: tels sont les outils mis à disposition des industriels de demain. Ces services s’accompagnent d’une politique d’attractivité centrée autour de la proximité de la mer : ainsi, le réaménagement du front de mer crée un lieu convivial qui participe à la qualité de vie du territoire, recherchée par les futurs travailleurs et leur famille.

CONCLUSION : QUELLES RECOMMANDATIONS POUR L’ACTION PUBLIQUE ?

De la même manière qu’un territoire ne peut exister du fait de ses seules frontières administratives, la revitalisation du tissu industriel ne peut résulter de la seule décision de l’État. Un territoire industriel est à la fois l’héritage et le fruit d’un travail concerté d’acteurs, de la construction et du maintien de ressources locales, de la capacité des acteurs à agir ensemble. Il est ainsi logique que le programme Territoires d’industrie constitue avant tout un moyen de consolider ou d’accélérer la mise en place d’actions ou de projets préexistants plutôt qu’un outil supposé engendrer des implantations industrielles à partir de rien. L’action publique, pour un territoire donné, doit non seulement favoriser la création de ressources nouvelles, mais aussi lever les freins et contribuer à identifier et à dépasser des blocages. Dans tous les cas, un territoire industriel ne peut émerger sans acteurs locaux mobilisés.

LE PROGRAMME TERRITOIRES D’INDUSTRIE EN QUELQUES MOTS

Le programme Territoires d’industrie a été lancé en novembre 2018 pour donner une dimension territoriale à la politique industrielle. Composé depuis avril 2019 de 148 territoires, le programme s’articule autour de quatre enjeux majeurs : attirer, recruter, innover, simplifier. Il est basé sur une approche fondée sur des projets construits par les territoires et s’appuyant sur un pilotage local, à la fois par un binôme industriel/élu et par les régions. L’État et ses opérateurs (ADEME, Banque des Territoires, Bpifrance, Business France, Pôle emploi, APEC, Action Logement) mettent à disposition « un panier de services » d’1,4 milliard d’euros pour mettre en place les projets élaborés par les territoires, auquel s’ajoutent des subventions d’un montant de 200 millions d’euros d’ici 2022 dans le cadre du plan France Relance.

Point-clé

En savoir plus

Caroline Granier et Pierre Ellie (2021). Ces territoires qui cherchent à se réindustrialiser, Les Notes de la Fabrique, Presses des Mines.
Ce travail s’appuie sur les comptes rendus des séminaires de l’observatoire des Territoires d’industrie, disponibles sur https://www.la-fabrique.fr/fr/projet/observatoire-des-territoires-dindustrie/.
L’observatoire des Territoires d’industrie associe la Banque des territoires et l’Institut pour la recherche de la Caisse des Dépôts, l’Agence nationale de la cohésion des territoires, Mines ParisTech, La Fabrique de l’industrie, l’Assemblée des Communautés de France, Régions de France. Centre de ressources, il produit des études et organise un cycle de séminaires mensuels afin de mieux connaître les territoires labellisés « Territoires d’industrie », leurs problèmes, leurs atouts, leurs projets et plus généralement les ressorts de leur développement industriel.

Pour aller plus loin :
Bourdu E., Dubois C., Mériaux O. (2014), L’industrie jardinière du territoire, Les Notes de La Fabrique, no5, Presses des Mines.
Carré D., Levratto N., Frocrain P. (2019), L’étonnante disparité des territoires industriels. Comprendre la performance et le déclin, Les Notes de La Fabrique, no30, Presses des Mines.
Grossetti M., Zuliani J-M. & Guillaume R. (2006), La spécialisation cognitive : les systèmes locaux de compétences, Les Annales de la recherche urbaine, 101, p 23-31.
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