Politique industrielle en réponse à la crise : le retour de l’État pilote

Politique industrielle en réponse à la crise : le retour de l’État pilote

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RÉSUMÉ

La crise économique provoquée par la pandémie du Covid-19 est inédite à plusieurs titres. Inédite par sa nature d’abord. Elle procède en effet d’un double choc d’offre et de demande qui a mis à mal des pans entiers de l’économie de nombreux pays. Inédite ensuite par son ampleur, ayant révélé avec force les risques de dépendance inhérents à la désindustrialisation et à la fragmentation des processus de production. Cette crise a confirmé que les pays les moins industrialisés et les plus dépendants des approvisionnements étrangers ne sont pas en mesure de sécuriser tous les besoins primaires de leur population, notamment dans le domaine de la santé. La France, où la pandémie est venue rappeler le handicap laissé par cinquante années de désindustrialisation, n’a pas échappé aux pénuries de masques et de respirateurs, par exemple, mais aussi de composants électroniques.

Mais la crise a aussi mis en lumière le rôle de « socle » joué par l’industrie locale, pendant que se désorganisent les flux internationaux, et l’importance de sa résilience, autrement dit de sa capacité d’absorption. La réponse gouvernementale a donc tout naturellement accordé une place de tout premier ordre aux politiques industrielles.

UNE CRISE D’UNE NATURE ET D’UNE AMPLEUR INÉDITE

La crise du Covid-19 a très rapidement mis en évidence notre forte dépendance vis-à-vis de la Chine. Les conséquences du choc d’offre chinois sur l’économie française ont été plus visibles sur les intrants, où les tensions ont été très fortes, que sur les produits finis. La filière électronique, qui irrigue de très nombreux secteurs en produits intermédiaires, a particulièrement été mise à mal. Dès le début de l’année 2020, 30 % des entreprises du secteur déclaraient envisager un arrêt de production. La pénurie de semi-conducteurs survenue un an plus tard a directement pénalisé les constructeurs automobiles français par effet de cascade, entraînant des interruptions totales dans certains sites de production. Le ralentissement de l’économie chinoise a également généré un premier choc négatif de demande en France, la Chine représentant tout de même 4,2 % de ses exportations1, en particulier dans les secteurs de l’aéronautique (40 % des ventes françaises vers la Chine), le matériel électronique (17 %), la chimie (11 %) ou l’agroalimentaire (11 %).

Le premier confinement, décrété en France le 17 mars 2020, est venu donner le coup de grâce en mettant à l’arrêt de nombreuses entreprises industrielles, dont certaines étaient déjà fragilisées par ce double choc d’offre et de demande. Selon une étude de l’Insee (Duc et Souquet, 2020), 26 % des entreprises industrielles (hors construction) ont suspendu leur activité dans cette première phase de la crise. Lors du deuxième confinement (octobre 2020), les entreprises étaient mieux armées, notamment grâce à l’assouplissement des règles sanitaires et à l’expérience acquise en matière d’organisation du travail. Au total, entre 2019 et 2020, près de 57 500 emplois industriels ont été détruits, soit près de 2 % des emplois du secteur (Insee). Si l’industrie a été moins violemment affectée que certains secteurs des services, des pans entiers de l’activité manufacturière ont été confrontés à un arrêt brutal de leur activité et ont connu des contraintes de production totalement inédites.

  • 1. Douanes françaises.

GÉRER L’URGENCE ET PRÉPARER LA REPRISE

Face à l’ampleur de la crise, l’intervention publique s’est révélée plus que jamais nécessaire pour, tout à la fois, sauver l’économie et créer les conditions d’une reprise rapide, solide et pérenne. À cet égard, les pouvoirs publics semblent avoir tiré les leçons de la crise des Subprimes de 2008. C’est en effet un plan exceptionnel qui a été élaboré, combinant des mesures de sauvegarde pour soutenir une économie à l’arrêt puis un plan de relance pour accompagner la reprise. Parmi les instruments mobilisés en urgence (300 milliards d’euros de garantie de prêts bancaires, reports d’échéances fiscales et sociales, accords d’entreprises pour adapter le niveau de production, etc.), le chômage partiel a été, et de loin, le plus plébiscité tant par les entreprises que par les syndicats de salariés. Il a permis d’éviter transitoirement des destructions d’emploi – selon l’OFCE, elles auraient pu atteindre 25 à 36 % de l’emploi salarié total au cours du mois d’avril 2020 – et de maintenir l’activité du tissu productif tout en préservant le pouvoir d’achat des salariés.

Les mesures structurelles de plus long terme sont ensuite venues accompagner et sécuriser le redémarrage. Dans un contexte de mondialisation, les gouvernements doivent en effet éviter à tout prix que leur économie ne redémarre en retard par rapport aux autres, au risque de se retrouver dans un état de « choc d’offre asymétrique » qui bénéficierait aux économies étrangères à l’issue de la crise.
Le plan de relance français proposé en septembre 2020 a constitué une réponse à ce double enjeu. Par la place qu’il a accordée à l’industrie (un tiers du budget de 100 milliards d’euros sur 2 ans), il a affirmé son rôle central dans toute économie souhaitant se prémunir de futures crises. Le plan français, tout comme le débat public qui l’a entouré, a ainsi réaffirmé le rôle de la politique industrielle comme moteur de croissance et de résilience.

Majoritairement orienté vers un soutien à l’offre, le plan France Relance reprend une partie des mesures d’urgence de court terme (accès des entreprises au financement, prêts participatifs et obligations garanties par l’État), auxquelles s’ajoute notamment la baisse des impôts de production à hauteur de 20 milliards d’euros (dont 7 milliards orientés vers l’industrie). Le volet de modernisation, qui poursuit des objectifs de plus long terme, est soutenu par deux axes : la numérisation et l’innovation pour préparer l’industrie de demain (batterie, technologies hydrogène, cloud…).

GAGNER EN AUTONOMIE

Le plan français prévoit enfin des mesures spécifiques soutenant les relocalisations industrielles. D’un montant de 1 milliard d’euros, ces aides sont un emblème d’une stratégie parfois appelée de « reconquête ». Pour autant, les relocalisations (considérées au sens strict comme un retour d’unités de production dans leur pays d’origine) restent un phénomène très marginal. Il est en effet difficile de faire revenir des sites de production dont la main-d’œuvre représente une part élevée des coûts de production ou dont l’activité est à faible valeur ajoutée. Ensuite, la relocalisation d’activités industrielles suppose la reconstitution d’écosystèmes de production sur le territoire d’origine : le rapatriement d’une entreprise a peu d’intérêt si ses fournisseurs ne sont pas à proximité. Enfin, les quelques relocalisations plausibles concernent des activités automatisables et qui créent donc peu d’emplois directs. En dépit des subventions proposées par le gouvernement, le retour d’activités autrefois délocalisées ne pourra donc être qu’une solution très partielle à notre dépendance étrangère pour produire certains biens indispensables.

Par ailleurs, les risques pesant sur les approvisionnements proviennent avant tout de l’organisation très concentrée des chaînes de valeur mondiales. Une politique de relocalisation doit donc être combinée à d’autres stratégies de résilience, notamment une diversification des fournisseurs et la constitution de stocks stratégiques.

Plus généralement, la priorité doit être donnée au renforcement des bases industrielles existantes de notre pays. Cela passe par des mesures de soutien au financement des entreprises – avances remboursables, investissements en fonds propres pour soutenir et renforcer les PME de secteurs stratégiques – ou des politiques plus verticales en faveur de l’innovation comme le Programme d’investissement d’avenir (PIA) doté de 20 milliards d’euros sur 5 ans. Proposant différentes formes d’aide (fonds propres, subventions, prêts, fonds de garantie ou avances remboursables), le PIA 4e génération oriente en outre une partie de ses investissements sur des secteurs et technologies prioritaires comme l’hydrogène décarboné ou la cybersécurité.

CONCLUSION

S’il est trop tôt pour apprécier les effets de ces politiques, on peut d’ores et déjà établir que la crise du Covid-19 aura marqué un retour sans précédent de l’industrie dans les préoccupations des pouvoirs publics. Levier essentiel de résilience, l’industrie a occupé une place particulière dans le plan de relance français. Les mesures mises en œuvre ne se contentent pas de soutenir l’activité à court-terme. Elles posent les jalons d’une nouvelle stratégie volontariste visant à réindustrialiser la France et, par là même, relever les défis de la transition énergétique et numérique.

Les principales mesures d’urgence et de relance déployées pendant la crise.

En savoir plus
Bonneau C., Nakaa M. (2020), « Vulnérabilité des approvisionnements français et européens », Duc C., Souquet C. (2020), « L’impact de la crise sanitaire sur l’organisation et l’activité des socié- tés », Insee Première, no 1830, décembre.
OFCE (2020), « Évaluation de l’impact économique de la pandémie de Covid-19 et des mesures de confinement sur l’économie mondiale en avril 2020 », Policy Brief, no 69, juin.
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