Réindustrialiser plutôt que relocaliser

Réindustrialiser plutôt que relocaliser

 

RÉSUMÉ

La crise liée à la pandémie Covid-19 a mis notre économie à rude épreuve et a souligné le rôle clé du tissu industriel. Le plan de relance consacre 35 milliards d’euros pour rebâtir l’industrie française en soutenant le développement d’une offre compétitive et innovante.
Produire les biens stratégiques pour répondre aux besoins de la population est nécessaire au maintien d’une certaine indépendance économique vis-à-vis de nos partenaires extérieurs. De ce point de vue, la relocalisation constitue un moyen de sécuriser l’accès à certains biens et services essentiels.
Les débats en cours évoquent également les relocalisations industrielles comme remède à la désindustrialisation. Les chiffres sont pourtant clairs : la relocalisation d’emplois industriels a du sens mais ne suffira pas à recréer massivement des emplois. Le défi de la réindustrialisation offre, lui, des perspectives plus prometteuses.

LES DÉLOCALISATIONS ET RELOCALISATIONS EN CHIFFRES

Il s’agit d’abord de s’accorder sur ce que l’on entend par « délocalisation » avant d’en fournir une estimation. La définition la plus restrictive – mais aussi la plus commune – des délocalisations est celle du transfert d’une unité de production initialement installée en France vers l’étranger. La version plus large inclut tout arbitrage défavorable à l’implantation d’une activité en France (qu’elle soit sous-traitée ou non). Les délocalisations représentent entre 9 000 et 27 000 destructions brutes d’emplois industriels par an en France selon les définitions et les périodes étudiées1.

En sens contraire, il existe peu de chiffres sur les relocalisations. La Direction générale des entreprises (DGE) a recensé 98 cas de relocalisations entre mai 2014 et septembre 2018 (Assemblée nationale, 2020). De même, Trendeo a identifié 112 relocalisations de sites entre 2009 et 2020 dans l’industrie manufacturière (Trendeo, 2020). Au regard du nombre de sites relocalisés, on comprend que les délocalisations sont peu réversibles et ce pour plusieurs raisons.

D’abord, il sera difficile de faire revenir les sites de production qui ont été installés à l’étranger pour se rapprocher des marchés de destination, surtout si la présence d’un site est une condition d’accès à ce marché. Ensuite, il en va de même pour ceux dont la main-d’œuvre demeure une part élevée des coûts de production. Les quelques relocalisations plausibles concernent des activités qui sont automatisables et créent donc peu d’emplois directs.

  • 1. Les périodes étudiées pour calculer les moyennes annuelles ainsi que les études dont sont issus les chiffres sont : 1995-2001 (Aubert et Sillard, 2001) ; 2009-2011 (Fontagné et D’Isanto, 2013) ; 1980-2007 (Demmou, 2010). Voir le Document de travail publié par la Fabrique de l’industrie dans « En savoir plus ».

RÉINDUSTRIALISER AUTREMENT

Au-delà des relocalisations, plusieurs leviers renforçant la compétitivité hors coût et l’attractivité des territoires peuvent être mobilisés pour industrialiser durablement le pays. Par exemple, la recherche d’une réduction des coûts peut amener à innover et monter en gamme sans avoir recours à la délocalisation. C’est le cas de l’entreprise Machette, PME internationale, qui conçoit, assemble et propose la maintenance de machines d’usage spécifique. Pour diminuer ses coûts de production, l’entreprise a entrepris une reconception des machines qui a conduit à proposer des biens de meilleure qualité et à se différencier de son principal concurrent (Carrincazeaux et al., 2014).

Plus généralement, la montée en gamme de l’industrie est un objectif, sinon une nécessité, pour les pays développés. Le positionnement sur des secteurs à haute valeur ajoutée confère, en effet, une place de premier plan sur la scène internationale. Plus encore, la montée en gamme protège de la concurrence des pays à bas coût : plus un produit est complexe, moins nombreux sont les pays capables de le produire. De la même façon, la qualité, le savoir-faire ou encore l’image de marque participent indéniablement à la résilience d’un tissu productif.

Une façon de déterminer le niveau de gamme de l’offre d’un pays consiste à mesurer la sensibilité de ses exportations à une variation de prix. Alors que la France compte des industries très haut de gamme parmi lesquelles l’aéronautique et le luxe, ses exportations sont, en moyenne, davantage sensibles à la variation de prix que l’Allemagne, le Royaume-Uni ou le Japon (Direction générale du Trésor, 2014). Ceci met en lumière le problème de positionnement de gamme de l’industrie française: en se repositionnant sur des activités à haute valeur ajoutée et en développant une offre différenciée, plus flexible et plus fiable, nos entreprises seraient plus à même de s’imposer sur les marchés mondiaux. Les stratégies de production des entreprises sont ainsi un déterminant essentiel des décisions de localisation : les stratégies qui ne reposent pas exclusivement sur la recherche de faibles coûts favorisent le maintien ou le retour des sites de production sur le territoire. La décision très récente de l’entreprise Chamatex de relocaliser la production de chaussures haut de gamme dans une usine ultramoderne en Ardèche en offre une bonne illustration (Usine Nouvelle, 2020).

L’industrie doit également s’appuyer sur une main-d’œuvre compétente si elle veut relever les défis liés à la modernisation et à la transformation de son outil de production. Or, les entreprises industrielles sont, depuis longtemps, confrontées à un déficit de compétences et à une pénurie de candidatures sur certains métiers qualifiés. En 2020, 55 % des projets de recrutement dans l’industrie sont anticipés comme difficiles (Pôle emploi, 2020). Les difficultés de recrutement des industriels s’expliquent avant tout par le déficit d’attractivité dont souffre le secteur auprès des jeunes, de leurs parents, des enseignants ou des personnels de l’orientation (Bidet-Mayer et Toubal, 2014). Les métiers industriels souffrent en effet d’une image dégradée qui reste associée à des conditions de travail difficiles et à des faibles niveaux de qualification. Pourtant, une kyrielle de technologies en développement (des imprimantes 3D à la cobotique en passant par l’internet des objets) associées à une nouvelle organisation du travail (lean, autonomie) recomposeront les métiers de l’industrie et modifieront le contenu du travail. S’il est prématuré d’affirmer que l’industrie du futur impliquera nécessairement une élévation des compétences de tous les salariés, il est déjà établi que les opérateurs dans les usines devront de plus en plus être polyvalents, multitâches et à l’aise avec les terminaux numériques (Alsif et Cahier, 2018). Dès lors, la formation continue constitue un enjeu central de la réindustrialisation. Elle offre une vraie souplesse pour permettre aux salariés de s’adapter tout au long de leur vie aux transformations du tissu productif et, par là même, démultiplie le rendement de l’innovation.

Enfin, un autre moyen de soutenir la réindustrialisation est de renforcer l’attractivité économique des territoires, c’est-à-dire «leur capacité à attirer des ressources productives spécifiques (activités nouvelles et facteurs de production) provenant de l’extérieur» (Insee, 2012)2. Le maillage du territoire en infrastructures de transports et numériques est autant un facteur d’attractivité que la fiscalité ou le coût du foncier. La construction d’écosystèmes contribue aussi à rendre les territoires attractifs, quand ils s’appuient sur des entreprises «pépites» et plus généralement sur des PME et ETI comme on en trouve dans l’ensemble du territoire français. D’autres facteurs jouent, tels que la levée des contraintes réglementaires et administratives ou la facilitation de l’accès au financement.

S’il est nécessaire pour les territoires de faire venir les activités productives et les emplois, il l’est tout autant de les maintenir et de retenir les populations. Si l’offre de moyens de transport et la taxation locale participent à la décision de localisation des ménages, d’autres aspects de la qualité de vie tels que l’habitat, les espaces verts, les aménités (services, équipements, loisirs) sont importants pour les populations.

Au-delà de ces considérations matérielles et financières, la mobilisation des acteurs sur un projet commun ainsi que la qualité de la gouvernance d’un territoire sont également des facteurs déterminants de l’attractivité (Veltz, 2019)3. Il ne s’agit donc pas de créer des conditions uniformes, les facteurs cités plus haut pouvant jouer de manière différente d’un territoire à l’autre.

  • 2. Mesurée par le nombre d’emplois créés par des centres de décision extérieurs aux territoires.
  • 3. Voir Business France (2018) pour une identification des facteurs d’attractivité à l’échelle du territoire français.

CONCLUSION

Si le débat public entourant le plan de relance met l’accent sur les relocalisations pour créer de l’activité industrielle, c’est bien d’industrialisation et de réindustrialisation qu’il s’agit de parler. Les relocalisations ne constituent qu’un moyen parmi d’autres pour développer des activités productives sur le territoire français; et jusqu’à présent elles n’ont pas contribué de manière importante à la création d’emplois industriels.

L’accent doit être mis sur le maintien de l’activité industrielle existante et sur l’implantation de nouvelles activités, favorisant la modernisation du tissu industriel français, sa transition vers la neutralité carbone et la création d’emplois pérennes. Pour cela, il s’agit de créer des conditions favorables: montée en gamme par l’innovation, renforcement de l’attractivité de l’industrie et des territoires et simplification administrative. Ces quatre dimensions constituent les enjeux du dispositif Territoires d’industrie lancé en 2018.

Chiffre-clé

En savoir plus

Sonia Bellit, Caroline Granier, Caroline Mini (2020). De la souveraineté industrielle aux relocalisations : de quoi parle-t-on ? Document de travail, La Fabrique de l’industrie.

Bibliographie :

Alsif A., Cahier M.L. (2018). Ce que l’Italie nous apprend sur l’industrie du futur. Les synthèses de La Fabrique, n°21.

Assemblée Nationale (2020). Rapport d’information n°3173 sur les propositions du groupe de travail sur les entreprises concernant la reprise et le plan de relance après l’épidémie de covid-19. Commission des affaires économiques.

Aubert P., Sillard P. (2005). Délocalisations et réductions d’effectifs dans l’industrie française. Document de travail de l’Insee, n°2005/03.

Barlet, M., Blanchet, D., Crusson, L., Givord, P., Picart, C., Rathelot, R. et Sillard, P. (2007). Flux de main-d’œuvre, flux d’emplois et internationalisation. L’économie française, édition 2007.

Bidet-Mayer T., Toubal L. (2014). Formation professionnelle et industrie. Le regard des acteurs de terrain. Paris, Presses des Mines.

Business France (2018). Tableau de bord de l’attractivité de la France. Édition 2017. Disponible sur https://www.businessfrance.fr/Media/Default/ PROCOM/M%C3%A9diath%C3%A8que/BF_ Tableau_de_bord_2017.PDF.

Carrincazeaux C., Coris M., Frigant, V., Piveteau A. (2014). Délocalisations : les enseignements d’une analyse régionale. Revue d’Économie Régionale & Urbaine, p. 443-469.

Demmou L. (2010). La désindustrialisation en France. Documents de travail de la DG Trésor.

Fontagné L., D’Isanto A. (2013). Chaînes d’activité mondiales : Des délocalisations d’abord vers l’Union européenne. Insee Première, n°1451.

Pôle emploi (2020). Enquête « Besoins en maind’œuvre » : Les employeurs anticipent une progression de leurs perspectives d’embauche pour 2020. Pôle emploi, Éclairages et Synthèse, n°57.

Insee (2012). L’attractivité économique des territoires. Insee Première, n°1416, octobre.

Sautard R., Tazi A., Thubin C. (2014). Quel positionnement « hors-prix » de la France parmi les économies avancées ? Trésor-Éco n°122.

Trendeo (2020). Relocalisations, l’année zéro? http ://www.trendeo.net/relocalisations-lannee-zero/. Consulté le 24 septembre 2020.

Usine Nouvelle (2020). L’usine Advanced Shoe Factory 4.0 de Chamatex s’implante à Ardoix. https ://www.usinenouvelle.com/article/l-usine-advanced-shoe-factory-4-0-de-chamatex-s-implante-a-ardoix.N1006049. Consulté le 25 septembre 2020.

Veltz, P. (2019). La France des territoires, défis et promesses. Éditions de l’Aube.

Weil, T. (2020). Relocalisation, souveraineté, réindustrialisation, résilience : ne confondons pas tout ! The Conversation. https ://theconversation.com/ relocalisation-souverainete-reindustrialisation-resilience-ne-confondons-pas-tout-145890

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Sonia Bellit (sonia.bellit@la-fabrique.fr), Caroline Granier (caroline.granier@ la-fabrique.fr) et Caroline Mini (caroline.mini@la-fabrique.fr).