Sécurisation des approvisionnements : un partenariat nécessaire entre État et entreprises

Sécurisation des approvisionnements : un partenariat nécessaire entre État et entreprises

© iStock / Olivier Le Moal

 

RÉSUMÉ

La crise du Covid-19 a dramatiquement mis en lumière le niveau de dépendance de certaines filières industrielles aux intrants étrangers. Les ruptures en matières premières, en composants électroniques ou en médicaments, visibles dès les premiers mois de 2020, ont persisté et se sont même aggravées pour certaines en 2021. Renault, par exemple, estime que la pénurie de semi-conducteurs amputera la production du groupe de 500 000 véhicules cette année. Ces vulnérabilités, qui ont aussi privé temporairement la population de produits de première nécessité (masques, paracétamol), émeuvent l’opinion et constituent une menace réelle pour notre souveraineté économique.

La sécurisation de nos approvisionnements stratégiques est ainsi remontée en tête des préoccupations gouvernementales. Emmanuel Macron en a fait l’une des conditions de réussite du plan d’investissement « France 2030 », en évoquant la nécessité d’entreprendre une « cartographie de nos dépendances ». Le président de la République a même désigné les matériaux qu’il considère comme stratégiques – les composants électroniques, le plastique, les métaux et terres rares ou encore le bois – révélant la première étape de ce travail : distinguer ce qui est stratégique de ce qui ne l’est pas. Reste ensuite pour l’État à orchestrer l’action des entreprises et des administrations pour identifier les maillons les plus critiques des chaînes de valeur, à la façon d’un architecte.

SÉCURISATION DES APPROVISIONNEMENTS : UNE QUESTION RÉCURRENTE

Si la pandémie de Covid-19 a rappelé avec force le risque de dépendance inhérent à la désindustrialisation et à la fragmentation mondiale des chaînes de valeur, la question de la sécurisation des approvisionnements stratégiques n’est pas nouvelle. L’industrie automobile, par exemple, a connu en quinze ans quatre crises majeures. La dernière en date est celle des semi-conducteurs, dont le défaut d’approvisionnement pénalise durement, aujourd’hui encore, les grands constructeurs européens dépendant fortement du fondeur taïwanais TSMC. En 2007 déjà, les tensions sur les platinoïdes nécessaires aux pots catalytiques avaient mis la filière en difficulté, tout comme en 2011 lorsque Pékin, à la suite d’un différend diplomatique avec le Japon, provoquait une pénurie de terres rares en stoppant ses exportations. En 2018 enfin, les sanctions américaines contre Moscou ont mis en lumière la forte dépendance des chaînes européennes d’approvisionnement en aluminium à la production d’une seule raffinerie d’alumine basée en Irlande et contrôlée par des capitaux russes.

Pourtant, et en dépit de ces alertes, les actions de sécurisation sont jusqu’à présent restées limitées. Chaque crise semble en effet perçue a posteriori par les industriels comme exceptionnelle, pas de nature à remettre en question leur stratégie d’approvisionnement. La crise de l’aluminium de 2018 n’a par exemple pas donné lieu à des modifications substantielles de la chaîne d’approvisionnement de la filière, qui reste fortement dépendante du groupe Rusal.

ANTICIPER LA RUPTURE, DÉFINIR LES PRODUITS STRATÉGIQUES

L’absence d’action coordonnée (que ce soit de la part de l’État ou des grands donneurs d’ordre) tient en partie à la difficulté de définir et d’anticiper le risque de rupture. Doit-on par exemple se prémunir contre des risques à très faible probabilité d’occurrence mais qui engendreraient des dégâts très importants ? En d’autres termes, sommes-nous prêts à sécuriser un approvisionnement pour une crise qui, très probablement, ne se concrétisera pas ? Cela a été fait plusieurs fois par le passé, et les instigateurs en ont rarement été complimentés…

Il est également difficile d’anticiper, dans un monde qui change rapidement, les innovations de rupture et l’évolution des marchés. Le cobalt, dont la demande explose avec le développement des véhicules électriques, restera-t-il le maillon critique de la production de batteries ? Les technologies alternatives permettant de réduire ou d’éviter son utilisation pourraient le rendre moins stratégique. La souveraineté industrielle peut aussi, parfois, être obtenue plus efficacement moyennant une diversification des fournisseurs et des sources.

La seconde difficulté vient de la définition même du terme « stratégique ». Élaborer une stratégie de sécurisation des approvisionnements stratégiques suppose en effet de définir en amont ce que cette notion recouvre et à qui il appartient de déterminer ce qui est stratégique et ce qui ne l’est pas.

On voit bien que les produits et services n’ont pas un caractère stratégique intrinsèque, celui-ci relevant d’une décision politique, forcément subjective. Les définitions existantes ont en commun de faire appel aux concepts de « fonctions vitales » et de « souveraineté économique »1. Les produits et services qui relèvent de « fonctions vitales », telles que l’alimentation, la santé ou l’approvisionnement en pétrole, touchent directement le quotidien des citoyens d’un pays et menacent sa pérennité, au sens où toute rupture entraîne une perturbation immédiate de la vie de la Nation. Le concept de souveraineté recouvre plutôt les produits ou services constituant des technologies critiques ou d’avenir.

Mais les entreprises privées doivent s’interroger elles aussi, à leur échelle, sur les activités et les intrants qui sont stratégiques pour leur pérennité à court terme (fonctions vitales) et pour leur innovation et leur croissance (souveraineté stratégique). Un dialogue renforcé entre le politique, l’administration et les entreprises permettrait de constituer sur cette base une première liste, forcément évolutive, de produits et services stratégiques et de fixer des priorités à l’action et aux financements publics. Si la définition des actifs stratégiques relève in fine de choix politiques, ceux-ci devront s’appuyer sur l’expertise et les travaux d’analyse de l’administration, eux-mêmes alimentés par des échanges avec les entreprises.

Cette définition doit nécessairement être couplée à une analyse fine des vulnérabilités des chaînes de valeur. Ce travail exige, là encore, une coopération entre l’État, qui n’a qu’une vision incomplète de ces chaînes, et les entreprises. Elle permet ainsi d’affiner la liste des produits dits « stratégiques ».

L’évaluation du niveau de vulnérabilité doit s’appuyer sur des critères quantitatifs, tels que le taux de dépendance aux importations ou la concentration de l’offre, ou sur une analyse qualitative, par exemple pour les risques environnementaux et sociaux liés à l’activité productive.

  • 1. C’est notamment le cas des définitions données par la Commission européenne dans sa stratégie industrielle de 2020 et par le Haut-Commissariat au Plan.

 

CONCLUSION

Si tout le monde s’accorde sur la nécessité de mettre en œuvre une politique efficace de sécurisation des approvisionnements stratégiques, la feuille de route commune entre les différents acteurs – État, administration, entreprises – est encore à écrire. Toutes les entreprises ne disposant pas des capacités d’analyse et du pouvoir de négociation des grands groupes, le soutien de l’État reste nécessaire. Architecte de ce chantier, il doit établir des relations bilatérales de confiance avec les entreprises pour compléter les informations fournies par les comités stratégiques de filière (CSF), améliorer l’accès aux données nécessaires à une stratégie de sécurisation, en proposant par exemple la consolidation des données douanières entre pays européens, et enfin définir des enjeux et des objectifs communs de sécurisation. Il est primordial de clarifier la relation partenariale État-entreprises si l’on veut améliorer la résilience de notre économie face aux crises à venir.

En savoir plus

Bellit, S. (2021) À la recherche de la résilience industrielle – Les pouvoirs publics face à la crise, Les Notes de La Fabrique, Presse des Mines.

Boudinet, L., et Khater, N. (2021) Comment sécuriser nos approvisionnements stratégiques ?, Les Docs de La Fabrique, Presses des Mines.

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