Vers des organisations du travail responsabilisantes

Vers des organisations du travail responsabilisantes

 

Libérer le travail

Les enquêtes récentes sur les conditions de travail révèlent que l’autonomie des salariés régresse dans notre pays tandis que le travail s’intensifie et que la monotonie des tâches augmente. L’autonomie au travail est pourtant un levier essentiel d’amélioration conjointe de la qualité de vie au travail (QVT), de l’engagement des collaborateurs et de la performance. C’est ce qu’ont compris certaines entreprises industrielles qui expérimentent des démarches de responsabilisation. Redonner du pouvoir d’agir et d’expression à ses collaborateurs est ainsi une voie de compétitivité à explorer. Et si finalement ce n’était pas l’entreprise qu’il fallait libérer, mais le travail ?

Emilie Bourdu (La Fabrique de l’industrie), Marie-Madeleine Pérétié (Aract Ile-de-France), Martin Richer (Terra Nova)

Résumé

De multiples études montrent que l’autonomie accordée aux salariés est un facteur d’engagement et de performance. Pourtant, les entreprises françaises offrent moins de possibilités d’implication et d’expression au travail que la plupart de leurs homologues européennes. La France se caractérise par des relations au travail encore imprégnées du taylorisme, avec une distance hiérarchique entre actifs plus forte que chez bon nombre de nos voisins. À rebours de ce modèle, les entreprises dites « libérées » font l’objet de toutes les attentions dans les médias et rencontrent un vif intérêt de la part de nos concitoyens1. Leur intention est bonne – donner plus de marges de manœuvre aux opérateurs et aux collaborateurs – mais l’interprétation qui en est faite tombe souvent dans la caricature (vision angélique de la responsabilisation, prééminence du « bonheur au travail »…). Et, comme souvent, on est en quête DU modèle idéal alors même qu’une variété de formes organisationnelles coexistent, et que d’autres entreprises expérimentent des démarches intéressantes d’autonomie au travail.

L’autonomie au travail : la France mal placée

Exploitant les résultats de l’enquête « Conditions de travail » de la DARES, Algava et Vinck2 ont montré en 2015 que l’autonomie au travail régressait en France et ce, toutes catégories socioprofessionnelles confondues. La proportion de salariés déclarant que leurs supérieurs leur disent comment faire leur travail a crû entre les trois dernières vagues de l’enquête : 19,3 % en 2013 contre 18,4 % en 2005 et 14,2 % en 1998. A contrario, en 2013, 80,7 % des salariés déclarent que leurs supérieurs hiérarchiques leur indiquent seulement l’objectif, contre 85,8 % en 1998. De plus, la proportion de ceux dont le travail implique des tâches monotones est passée de 15 % en 2005 à 21 % en 2013 et, pour les ouvriers, de 23 % à 33 %.

Qu’est-ce que l’autonomie ?

L’autonomie dans le travail, selon Christophe Everaere (2007)3, « renvoie communément à l’idée de capacité d’initiative, de discernement, d’auto-organisation, voire de ‘liberté’ dans le travail. Elle suppose intelligence et réflexion pour réagir rapidement à des situations plus ou moins imprévisibles, quel que soit le niveau hiérarchique des individus, même si le niveau d’autonomie tend à augmenter avec celui des classifications. » Cécile Roche4, Lean & Agile Director du groupe Thales, ajoute : « l’autonomie d’une équipe n’est pas son indépendance. Une équipe autonome n’agit pas à sa guise, et n’est pas non plus abandonnée à elle-même. Elle est capable de piloter sa journée de travail, de savoir si la journée est un succès et de faire face aux problèmes. »

Le rapport d’Eurofound Work organization and employee involvement in Europe (2013) montre l’intérêt de construire des « organisations de travail participatives » (OTP ou High involvement working organisations), qui procurent aux salariés un espace d’implication, de participation directe, de capacité d’influence et de décision sur leur travail et leur organisation, et qui sont favorables à la performance (réduction des risques psychosociaux, de l’absentéisme, amélioration des conditions de travail, etc.). Le rapport pointe également le mauvais classement de la France en matière d’OTP, en dessous de la moyenne des pays de l’Union européenne, nordiques et anglo-saxons. Dans un autre rapport5 publié en 2015, Eurofound examine les modalités de participation des salariés en Europe. Elles sont d’une grande diversité, soit indirectes (au travers du dialogue social), soit directes : participation à des réunions, envoi de newsletters, mise en place de boîtes à idées… Un peu plus de 30 % des établissements européens combinent un haut niveau de dialogue social et une forte implication directe des salariés.

Le défi français tient au fait que notre pays se caractérise à la fois par une piètre qualité du dialogue social (participation indirecte) et du dialogue professionnel (participation directe des salariés). Or, l’étude démontre que l’implication du personnel est favorable à la performance économique et financière des établissements.

  • 1 – « Le bonheur au travail » diffusé sur Arte en février 2015 serait le webdocumentaire le plus diffusé dans l’histoire de la chaîne selon Alexandre Jost, délégué de La Fabrique Spinoza, dans l’émission « La tête au carré » diffusée le 02https://www.la-fabrique.fr/wp-content/uploads/pdf-images/12009/09https://www.la-fabrique.fr/wp-content/uploads/pdf-images/12009/2015 (France inter).
  • 2 – Alvaga E., Vinck L., 2015, « Autonomie dans le travail – Enquêtes conditions de travail », Synthèse Stat’ de la DARES, n°16, octobre.
  • 3 – Everaere C., 2007, « Proposition d’un outil d’évaluation de l’autonomie dans le travail », Revue française de gestion, 2007/11 (n° 180), pp. 45-59.
  • 4 – Compte-rendu de l’audition du 15 septembre 2015, téléchargeable sur le site de La Fabrique : www.la-fabrique.fr/uploads/telechargement/ CR_QVT_150915_final.pdf
  • 5 – Akkerman A., Sluiter R., Jansen G., 2015, « Third european company survey – direct and indirect employee participation », Eurofound report, 14 décembre.

L’autonomie au travail, facteur d’engagement et de performance

Les rapports d’Eurofound font écho à un vaste ensemble de travaux scientifiques ayant démontré les effets positifs de l’autonomie sur la performance individuelle et collective, et en particulier sur l’engagement des collaborateurs. Ainsi par exemple, des travaux empiriques ont montré que les managers privilégiant l’autonomie stimulent davantage la ténacité et le bien-être que les managers dans une position de contrôle vis-à-vis de leurs collaborateurs6.

Dans la théorie de l’autodétermination, le besoin d’autonomie est l’un des trois leviers fondamentaux (aux côtés des besoins de compétence et de relation à autrui) pour développer la motivation autodéterminée au travail, c’est-à-dire le fait d’accomplir une ou plusieurs tâches par intérêt, par plaisir ou encore par satisfaction inhérente. À l’opposé, la motivation contrôlée correspond au fait d’agir par conformité ou encore pour la recherche de récompenses externes et l’évitement de sanctions. Dans les travaux de recherche, plus la motivation est autodéterminée, plus les performances au travail sont fortes.

À l’inverse, le manque d’autonomie joue un rôle dans le développement des risques psychosociaux et du stress. Nombreux travaux à l’appui, Philippe Davezies montre que la situation dans laquelle les salariés se voient imposer les décisions sans pouvoir les discuter constitue un facteur de dégradation de la santé au travail et de la performance7. Ces résultats rejoignent les travaux d’Yves Clot sur le sens et la qualité du travail. Celui-ci explique que savoir réaliser un bon travail mais en être empêché est coûteux pour la santé, cette dernière étant exposée à la « performance gâchée ». Pour éviter ces situations, qui découlent de divergences naturelles entre les parties prenantes de l’entreprise sur les critères de qualité du travail, le chercheur préconise l’organisation de débats autour du « travail réel ». Précisons que ces débats nécessitent une ingénierie de la discussion assez lourde, quoiqu’utile dans la recherche de nouveaux leviers de compétitivité.

  • 6 – Moreau E., Mageau G.A., 2013, « Conséquences et corrélats associés au soutien de l’autonomie dans divers domaines de vie », Psychologie française, 58(3), pp.195-227.
  • 7 – Philippe Davezies, 2012, « Enjeux, difficultés et modalités de l’expression sur le travail : point de vue de la clinique médicale du travail », Pistes (Perspectives interdisciplinaires sur le travail et la santé), novembre.

La problématique de la confiance et de la relation managériale en France

L’autonomie suppose la délégation, le dessaisissement d’une partie des prérogatives exercées par le management. Ceci nécessite de la confiance entre acteurs. Or on sait, notamment depuis les travaux d’Algan, Cahuc et Zylberberg (2012) que la France est particulièrement mal placée sur ce plan8.

Le développement de l’autonomie se heurte à un autre point faible de la relation de travail en France, qui fait le pendant du manque de confiance : sa très forte imprégnation de distance hiérarchique. Le psychologue et sociologue néerlandais Geert Hofstede s’est intéressé aux différences culturelles entre les habitants de différents pays, et a tenté de classifier les différences comportementales9. Il a construit un indice synthétique de la distance hiérarchique, qu’il définit comme « la perception du degré d’inégalité du pouvoir entre celui qui détient le pouvoir hiérarchique et celui qui est soumis ».

Geert Hofstede attribue à chaque pays un indice synthétique de distance hiérarchique, qui s’étage de 0 (IDH faible) à 100 (IDH fort). L’IDH calculé pour la France (68) est largement supérieur à la moyenne mondiale (57) mais aussi à celui de la plupart des pays qui sont nos compétiteurs sur les marchés internationaux : Italie (50), États-Unis (40), Canada (39), Pays-Bas (38), Australie (36), Grande-Bretagne (35), Allemagne (35).

Il constate que les pays d’origine latine en général ont une forte distance hiérarchique, qui s’exprime :
• dans l’organisation de l’entreprise, par une structure pyramidale lourde,
• par un intérêt disproportionné envers les signes extérieurs de pouvoir (secrétaire, bureau, voitures et smartphones de fonction, etc.),
• et par un schisme entre les cols blancs et les cols bleus.

Relevons enfin que donner de l’autonomie suppose que le management exerce une fonction d’appui, de soutien des collaborateurs. Or, les managers n’auraient plus que 10 % de leur temps disponible à y consacrer (communiqué du cabinet Syntec, 2010). Pour Mathieu Detchessahar, le manager de proximité est littéralement « empêché » aujourd’hui d’occuper la scène du travail, « happé par d’autres exigences que celles du travail et de son animation » telles que « l’entretien et l’alimentation de ‘machines de gestion’ et la participation à tout un ensemble de lieux d’échange (commissions, groupes projets, comités de pilotage, réunions d’information…) ». Le chercheur relève ainsi une situation paradoxale en entreprise : « Jamais, probablement, autant d’information n’a circulé dans les organisations et jamais on n’a eu moins de temps pour parler du travail. »10.

  • 8 – Algan Y., Cahuc P., Zylberberg A., 2012, La fabrique de la défiance… et comment s’en sortir, Albin Michel.
  • 9 – Dans le cadre du projet Hermès, il a pour cela interrogé 90 000 salariés d’IBM situés dans différents pays.
  • 10 – Les « machines de gestion » désignent l’utilisation des systèmes d’information pour mettre à jour des procédures, renseigner des plannings, transmettre des indicateurs, écrire des comptes rendus, répondre à des enquêtes… Detchessahar M., 2013, « Management empêché, santé dégradée », Santé & Travail, n° 082, avril.

L’entreprise libérée : remède miracle à tous nos maux ?

Vu la position de la France en matière d’autonomie au travail, rien d’étonnant à ce que le modèle de « l’entreprise libérée » (EL) ait un tel écho dans notre pays. Il est d’ailleurs efficacement promu, à tel point que l’expression « entreprise libérée » a été déposée auprès de l’INPI11. Pourtant, le concept d’EL est difficile à appréhender clairement : des entreprises de cultures et de formes organisationnelles très différentes s’y réfèrent, tout en poursuivant des objectifs eux aussi différents… C’est pourquoi il faut revenir à la source, au livre écrit en 2009 par Isaac Getz et Brian M. Carney, Freedom Inc (Liberté & Cie pour la traduction française). On y trouve les ingrédients de la « libération » :
• le rôle déterminant de l’écoute, notamment de la part des dirigeants,
• le renoncement par ces mêmes dirigeants aux symboles, marques distinctives et autres privilèges,
• le travail sur la vision et le projet de l’entreprise, qui doivent être appropriés par les collaborateurs,
• l’allégement des contrôles, des normes de comportement, du prescrit, au profit de l’autonomie et de la responsabilisation des opérateurs,
• l’arrêt des stratégies de motivation (primes variables par exemple) au profit de la mise à disposition d’un environnement de travail favorable.

Si l’on s’arrête à ces ingrédients, le concept n’a rien de nouveau puisqu’on les trouve déjà chez Mary Parker Follett (1868-1933), Douglas McGregor (1906-1964) ou encore dans L’entreprise libérée : libération, management (1993) de Tom Peters.

Dans bien des cas, les effets de l’EL sur la qualité de vie au travail et sur la performance sont positifs. Mais bon nombre de démarches de « libération » ont conduit à des excès et reposent sur des approches de responsabilisation caricaturales : il s’agit avant tout de réduire de façon drastique le management intermédiaire et les fonctions support. Les résultats peuvent alors être à l’opposé de ceux escomptés car la diminution des moyens de régulation et d’assistance à la disposition des collaborateurs n’est pas neutre. Ainsi par exemple, il est rare que l’autonomie puisse s’acquérir par les opérateurs… en toute autonomie. Elle est le fruit d’un apprentissage et le rôle du management de proximité est essentiel. La démarche d’« empowerment » (responsabilisation et autonomie) des opérateurs suppose une forte maturité professionnelle et une polyvalence développée. Ceci requiert une ingénierie conséquente (organisation de la rotation des postes, plan de formation, etc.), souvent sous-estimée.

Une autre limite de l’EL est de préconiser une relation directe entre le dirigeant – leader charismatique et libérateur – et les salariés, en court-circuitant les « corps intermédiaires » qui sont aussi des facteurs de régulation : syndicats, managers de proximité, DRH et autres fonctions support. Un tel schéma peut se révéler dramatique en termes de QVT, avec à la fois un surinvestissement des collaborateurs responsabilisés, un phénomène d’isolement des autres et une diminution pour chacun des possibilités de trouver du soutien.

La forte déstabilisation de la chaîne managériale et des fonctions support peut provoquer des pertes de repères (savoir qui est responsable de quoi, à qui s’adresser pour résoudre tel problème, etc.), une multiplication des injonctions paradoxales et une montée des risques psychosociaux. Les collaborateurs peuvent être fortement perturbés, ce qui se traduit par un turnover important et non souhaité. Bon nombre de collaborateurs, parfois parmi les plus engagés dans l’entreprise, peuvent ne pas y trouver leur place et décider de quitter l’entreprise.

Enfin, certains se demandent si l’entreprise libérée n’est pas dans certains cas une fiction entretenue par son dirigeant. En effet, certaines entreprises libérées reviennent à des formes plus classiques d’organisation dès lors que le leader charismatique la quitte (cas de Harley-Davidson). Étaient-elles alors vraiment libres ? Des observateurs critiques12 évoquent par ailleurs le fait que la pression du groupe dont les membres partagent certaines valeurs (soit par une conviction pouvant résulter d’un endoctrinement ou d’une cooptation, soit par intérêt si la rémunération est liée à la performance du groupe) peut être pire que celle de la hiérarchie.

  • 11 – « Entreprise libérée » a été déposée par Lablib, société présidée par Isaac Getz. « Campus des entreprises libérées » a également été déposé, directement par Isaac Getz, bien que l’expression figure dans le titre de l’ouvrage largement diffusé de Tom Peters (1993).
  • 12 – Pour une analyse détaillée des EL voir le livre blanc « Entreprise libérée, la fin de l’illusion » du collectif des Mécréants (Mettre l’entreprise face au changement avec réalisme, par l’échange et l’analyse des nouvelles tendances sans storytelling), Tome 1, 2016.

D’autres expériences d’autonomie au travail

De nombreux projets pilotes en matière d’autonomie au travail voient le jour en France. Le modèle de l’EL a d’ailleurs été inspirant pour nombre d’entreprises. C’est ce dont témoigne par exemple le site Airbus de Saint-Nazaire, qui a lancé la démarche « libérer les énergies » en 2014 et expérimente un fonctionnement en mini-usines sur son secteur A380 depuis la rentrée 2015. Ces démarches, nous les regroupons sous le vocable « organisations du travail responsabilisantes », popularisé par le groupe Michelin.

En effet, chez Michelin, après l’adoption dans les années 2000 du « Michelin Manufacturing Way » (MMW, système de production inspiré du Toyota Production System), il a été décidé en 2007 de renforcer l’autonomie des équipes pour plus d’efficacité. Des « organisations responsabilisantes » ont été imaginées, reposant sur une configuration en « îlots de production ». Dominique Foucard, directeur de la performance industrielle, explique : « Un îlot, c’est un groupe de machines, de personnes, avec des produits entrants et sortants, qui produisent 24/24h et 7j/7j. Le responsable d’îlot manage trente à quarante personnes au maximum, réparties entre quatre ou cinq équipes qui se succèdent par rotation. Aujourd’hui, 80 % des ouvriers Michelin travaillent en îlot et ne voient leurs chefs qu’un tiers de leur temps passé en usine. »

Démarche comparable chez Airbus Saint-Nazaire, même si l’établissement s’y prend autrement. Cinq cents personnes travaillent sur l’A380 (sur les 136 000 salariés que compte le groupe dans le monde), dans le cadre de mini-usines, ce qui revient à repenser la façon dont est organisé le travail et dont il est managé. Giovanni Loiacono, ancien responsable de production, est aujourd’hui responsable d’un service support opérationnel aux mini-usines. Il témoigne : « Nous avons supprimé un niveau hiérarchique, le mien. La nouvelle organisation repose sur des responsables de lignes qui sont devenus leaders des mini-usines, et qui sont maintenant en journée normale. Les anciens responsables d’unités sont devenus responsables d’un service axé sur le support opérationnel aux mini-usines et la préparation du futur : innovation, projets, etc. »

Autre grand groupe, autre expérimentation : le site de Renault Flins organise un dialogue sur la qualité du travail depuis quelques années accompagné par le Cnam. Une des étapes essentielles de ce projet a consisté à observer les pratiques professionnelles des opérateurs puis à animer la controverse autour de la qualité du travail. Jean-Yves Bonnefond, chercheur au Cnam, explique : « nous avons passé du temps à observer le travail des opérateurs à l’échelle de l’atelier, sur la chaîne, et à échanger avec eux. Une fois qu’ils ont accepté d’entrer dans l’exercice, nous leur avons proposé des outils permettant de mener une analyse de leur travail, en particulier des captations vidéo de leurs opérations servant de support aux échanges. »

On pourrait multiplier les exemples d’expérimentations, qui ne sont d’ailleurs pas circonscrites au monde des grandes entreprises13. Toutefois, l’engagement ne surgit pas automatiquement d’une nouvelle organisation, de conditions de travail favorisant l’autonomie ni même d’un management plus responsabilisant. Dominique Foucard, de Michelin, observe que « dans les îlots, on peut encore faire le constat que certaines personnes sont plus engagées que d’autres. » Que ce soit au niveau des ouvriers ou des responsables, le groupe a observé par enquête que tous ses salariés n’avaient pas compris le sens des outils et procédures du MMW : « Ils appliquaient les consignes sans savoir toujours pourquoi. » C’est pour cette raison, après avoir sondé les opérateurs, que Michelin a décidé d’aller plus loin en 2013 en lançant le programme « Management autonome du progrès et de la performance » (MAPP). « Ce qui est réellement nouveau dans le MAPP, c’est le A de autonome (être en charge des sujets prioritaires et déterminer comment les traiter avec les outils du groupe) et le P de progrès (ne pas travailler seulement pour obtenir la performance attendue mais également pour réaliser un progrès en tant qu’équipe). » Le groupe expérimente le MAPP actuellement dans six usines volontaires et sélectionnées à travers le monde, sans qu’aucune marche à suivre ne leur soit imposée.

Enfin, l’autonomie va souvent de pair avec la maturité organisationnelle. Martin Virot, PDG de DuPont de Nemours France, explique : « Au stade avancé de maturité organisationnelle, le niveau d’autonomie des individus est très élevé, ce qui permet de libérer les énergies. Mais atteindre ce stade est ardu, il faut trois ans à un site pour y parvenir et cela implique que les individus quittent des facteurs de motivation exclusivement externes (conformité, sanctions), pour intégrer des facteurs internes d’engagement (compréhension, implication). » Ariane Malbat, DRH du site Airbus de Saint-Nazaire a la même analyse : « Il n’y a pas quelque chose de brutal dans notre démarche de libération des énergies. Il y a des prérequis. Dans certains services ou secteurs, on est arrivé à un tel niveau de maturité industrielle, de confiance entre les managers et leurs équipes, de responsabilité des salariés sans qu’on ne décrète rien, que la démarche a pu être lancée. »

L’autonomie au travail est donc le résultat d’un processus progressif et pragmatique.

  • 13 – Dans une étude à paraître à l’automne 2016, l’Aract Ile-de-France, Terra Nova et La Fabrique de l’industrie reviendront sur les intiatives d’une dizaine d’entreprises de toutes tailles.

Les organisations responsabilisantes : une voie prometteuse

Les entreprises ont beaucoup à gagner, en termes d’engagement et de performance, à responsabiliser leurs collaborateurs. Globalement, la France est assez mal classée en la matière. Malgré tout, des entreprises renouvellent leur organisation du travail, en laissant plus de marges de manœuvre aux collaborateurs. Le modèle de l’entreprise libérée est sous le feu des projecteurs, et pourrait passer à première vue pour le modèle idéal. Or, il n’y a pas de recette unique et de nombreuses autres initiatives en cours encouragent, comme lui, l’autonomie au travail.

La voie des organisations responsabilisantes semble prometteuse. Les formes les plus abouties, comme les expérimentations de Renault et Michelin, abordent la notion d’autonomie de la façon la plus large. Elles semblent en effet favoriser l’autonomie au travail dans ses trois dimensions : la tâche elle-même, la coopération dans l’activité de travail et la gouvernance. Elles se démarquent ainsi d’autres modèles qui ont trouvé leurs limites tels que le lean management, l’entreprise libérée ou l’entreprise responsable. C’est en cela que ces approches globales libèrent effectivement le travail et la performance, sous réserve qu’elles soient le fruit d’un compromis sincère entre la recherche d’une meilleure compétitivité et la volonté de donner aux travailleurs la possibilité d’effectuer un travail de qualité.

En savoir plus

Anact, 2015 « QVT : négocier le travail pour le transformer, enjeux et perspectives d’une innovation sociale », Revue des Conditions de travail, n°3, décembre.

Bidet-Mayer T., Toubal L., 2016, « Mutations industrielles et évolution des compétences », Les Synthèses de La Fabrique, n°5, avril.

Richer M., 2015, « L’entreprise libérée est-elle socialement responsable ? », 23/11/2015, management-rse.com

Pour réagir à cette note, vous pouvez contacter : Emilie Bourdu (emilie.bourdu@la-fabrique.fr), Marie-Madeleine Pérétié (mm.peretie@aractidf.org) ou Martin Richer (mricher@management-rse.com).