Patrick Bertrand : Des ETI du numérique, c’est possible !

Le directeur général de Cegid, ETI française du logiciel, explique quels ont été les ressorts de sa croissance et analyse ce qui favorise ou handicape le développement des start-up françaises.

Cegid est une ETI française du logiciel. Forte de plus de 2 000 personnes, l’entreprise est un des six éditeurs français à franchir la barre des 200 millions d’euros de chiffres d’affaires (258 M€ en 2012). L’entreprise a été fondée il y a tout juste 30 ans par Jean-Michel Aulas. Patrick Bertrand, son directeur général, fait le point sur les ressorts de croissance de l’entreprise et, plus généralement, sur le développement des start-up du numérique. Patrick Bertrand a notamment été à la tête de l’Association française des éditeurs de logiciel puis à celle du conseil national du numérique.

La Fabrique. Comment a débuté l’histoire de Cegid ?

Patrick Bertrand. Lorsqu’il a créé Cegid en 1983, Jean-Michel Aulas a exploité deux ruptures. La première était l’arrivée de la micro-informatique, la seconde celle d’un nouveau plan comptable. Il s’est lancé sur les progiciels de comptabilité sur micro à destination des cabinets comptables. L’entreprise a pu se développer rapidement en surfant sur ces deux vagues dans un contexte où les entreprises établies sur ce marché n’ont pas cru suffisamment rapidement aux solutions sur PC.

D’autres éléments ont contribué au succès de ce démarrage : l’existence d’un dispositif fiscal favorable (3 ans d’exonération d’IS puis 2 ans à la moitié) et le choix de doter largement la holding en fonds propres de façon à avoir les coudées franches pour soutenir une forte croissance prévisible. Le capital de proximité a permis cette levée de fonds, notamment en associant des futurs clients au capital et en intégrant dans l’actionnariat un fonds d’investissement avec une vision de long terme (une société de développement régional, à l’époque).

En résumé : ruptures technologique et fonctionnelle, dotation en fonds propres suffisante, capital de proximité et contexte fiscal favorable.


LF. Quelle a été ensuite la stratégie de développement ?

PB. Une date clé a été celle l’entrée en bourse, trois ans seulement après la création. A l’époque, la bourse française valorisait les entreprises moyennes à leur juste valeur – ce n’est plus le cas aujourd’hui – et nous avons levé suffisamment d’argent pour nous lancer dans une politique d’acquisition. Au-delà de la croissance organique, Cegid a en effet développé une stratégie d’acquisition ciblée. Nous avons acquis au total une bonne trentaine d’entreprises. Certains rachats d’ailleurs ont été de gros paris, comme celui de CCMX en 2004 qui était d’une taille presque comparable à celle de Cegid…

Ensuite un facteur clé de notre croissance a été la gouvernance de l’entreprise avec un actionnariat principal d’origine entrepreneuriale et familiale, qui favorise le long terme et donc le temps nécessaire à la mise en œuvre et à la réussite d’une stratégie.

LF. Selon vous, pourquoi voit-on en France si peu de start-up du numérique atteindre le statut d’ETI.

PB. Il est vrai que beaucoup de start-up disparaissent prématurément. Mais je ne crois pas que ce soit une fatalité. Il faut simplement débloquer les freins à la croissance car nous avons énormément de talents en France, notamment dans les régions.

Je n’égrainerai pas les traditionnels griefs, légitimes, sur la fiscalité, les charges, l’absence d’un vrai marché unique européen, etc… Il me semble en revanche important de mettre l’accent sur deux points. Il n’y a toujours pas en France suffisamment de soutien de la commande publique alors qu’elle représente une part importante du marché. Ensuite, les grands groupes ne font pas suffisamment confiance aux jeunes pousses et, souvent, ne jouent pas le jeu, même si la situation a évolué, notamment sous l’impulsion de Pacte PME.

C’est pourtant très important. Ainsi nous avons eu la chance de bénéficier du soutien de grandes entreprises comme Lacoste ou l’Occitane pour le développement du volet international de notre activité retail. Ce sont eux qui nous ont demandé de les accompagner sur des grands marchés comme les Etats-Unis ou l’Asie-Océanie. Grâce à cela l’export représente désormais près d’un tiers cette activité.

LF. Vous avez aussi mentionné la bourse française qui ne joue pas son rôle.

PB. Les entreprises moyennes, et notamment dans le domaine du logiciel y sont considérablement sous-valorisées ce qui peut conduire à préférer la revente de l’entreprise à la mise sur le marché lorsqu’un offre attrayante se présente. Cela d’autant que les entreprises françaises du numérique sont très appréciées, outre-Atlantique. L’alternative, à condition d’avoir une activité significative sur ces marchés, est de faire coter son entreprise aux Etats-Unis ou maintenant en Asie.

La Fabrique

La Fabrique de l’industrie est une plateforme de réflexion, créé en 2011, consacrée aux perspectives de l’industrie en France et à l’international. Nous travaillons sur les...

Lire la bio de l'auteur
Devenez contributeurs !

Vous avez des choses à dire sur l’industrie d’aujourd’hui (ou de demain) ? Pour réagir à nos travaux ou nous proposer les vôtres, écrivez-nous !

Devenir contributeur
Partager
Imprimer
Pour réagir