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Préparer l’avenir de l’industrie : une question de méthode

Comment faire de l’industrie allemande le leader mondial des « technologies vertes », en gérant la sortie du nucléaire ?

Comment faire de l’industrie allemande du futur le leader mondial des « technologies vertes », en gérant une sortie complète du nucléaire ? Tel est le défi en forme de projet sociétal que veulent relever les Allemands. Y a-t-il là une source d’inspiration  pour la France ? Un « objectif Lune » peut-il produire un puissant effet de levier ?

Le 15 mars 2011, quatre jours après le tsunami qui endommagea la centrale de Fukushima, la Chancelière allemande a engagé une révision brutale de son calendrier de sortie du nucléaire. Deux commissions furent constituées : l’une de sûreté des réacteurs fut chargée d’examiner la résistance des centrales allemandes à des événements exceptionnels et l’autre, dite commission d’éthique1, d’étudier la possibilité de remplacer l’énergie nucléaire par des technologies présentant moins de risques pour la société.  Dans l’attente des résultats de ces deux commissions, respectivement mi et fin mai 2011, un moratoire fut décrété sur la loi prolongeant la durée de vie des centrales nucléaires.

La rapidité et la vigueur de la réaction de la Chancelière lui ont été dictées par l’extrême sensibilité de la population allemande aux questions nucléaires et sa volonté de ne pas laisser les Verts captés cette inquiétude, risque que confirma fin mars la perte au profit des Verts du puissant Land industriel de Baden-Württemberg, gouverné depuis 58 ans par la CDU. Mais au-delà des enjeux purement électoraux, la décision de la chancelière a une portée économique et industrielle qu’on ne saurait ignorer et que la commission d’éthique a d’ailleurs pleinement prise en compte. Elle se résume en un objectif qui fait consensus en Allemagne : faire de l’industrie allemande d’ici 2025 le leader mondial des technologies vertes et « prendre la main » sur la rupture technologique que cela représente.

En quoi cette démarche intéresse-t-elle la réflexion française sur l’avenir de l’industrie ? Elle se résume en trois idées force.

Définir un projet commun : pour la commission, « la réévaluation des risques liés à l’énergie nucléaire ne doit pas compromettre la sécurité de l’approvisionnement énergétique de l’Allemagne ». Il s’agit donc d’établir « un projet commun entre la société, l’économie et la politique qui doit rendre l’énergie sûre, compétitive et acceptable pour la société comme pour l’environnement » et qui « garantisse un niveau de production électrique suffisant pour faire face à un pic de demande ».

Ce projet doit prendre en compte la fin d’un cycle d’énergie et de matières premières abondantes et bon marché : pour la commission, « la transition énergétique se traduira par une hausse des prix de l’électricité… mais elle s’inscrit dans une tendance mondiale à la hausse du coût des matières premières, de l’électricité et des émissions de CO2, qui aura d’importantes conséquences pour l’industrie » : en tout état de cause, l’industrie devra passer d’un modèle de haute intensité d’énergie et de matières premières à un modèle à basse intensité de carbone.

Enfin, ce « projet commun » est une « chance de créer de nouveaux emplois et donc de nouveaux besoins de formation ». Comme l’a expliqué le sociologue Ulrich Beck, membre de la commission d’éthique, « en Allemagne, le tournant énergétique se résume à un mot à quatre lettres : jobs » (Le Monde du 10-11 juillet 2011).

Pour le dire autrement, le futur de l’industrie allemande repose sur un choix sociétal qui doit être porté par la société allemande dans son ensemble parce que ses implications concernent tous les Allemands aussi bien en tant que consommateurs que producteurs, citoyens et agents économiques. Le gouvernement allemand a choisi un geste politique répondant à une angoisse réelle et légitime pour mettre en marche une rupture technologique qui apparaît de toute façon inévitable, du fait à la fois de la pression à la hausse des prix de l’énergie et des matières premières exercée par la demande des pays émergents,  du coût croissant d’accès à ces ressources et de la problématique climat qui pousse à une réduction des émissions de CO2.

Indépendamment de l’avenir du nucléaire, le fait d’entrer dans un cycle long haussier du prix de l’énergie et des matières premières modifie le contexte de la croissance future. Même dans l’hypothèse où les politiques monétaires et budgétaires parviendraient à contenir un redémarrage de l’inflation au niveau mondial, ce cycle haussier devra in fine se répercuter dans le prix des biens de consommation comme dans ceux des biens intermédiaires. Le pouvoir d’achat des ménages comme la compétitivité des entreprises s’en trouveront affectés. Vouloir prévenir la dégradation de l’un et de l’autre conduit à exclure une solution qui consisterait, dans une vision court-termiste, à faire porter tout le poids de l’ajustement sur les salaires et l’emploi, ajustement qui, de plus, risque de ne pas être à la hauteur des hausses des consommations intermédiaires des entreprises (elles représentent aujourd’hui en France 60 % de la valeur de la production contre 27 % pour les coûts salariaux).

Pour faire face à cette situation, l’industrie doit engager des changements plus profonds pour réduire le coût des intrants et optimiser la consommation énergétique. Dans un certain nombre de cas, ces changements viendront approfondir et sans doute accélérer des évolutions technologiques en cours. Dans d’autres cas, ils appelleront une véritable rupture technologique. La démarche allemande vise à faire de nécessité vertu, ou, plus exactement, à saisir l’opportunité d’une nécessité potentielle (les conséquences de la crise de Fukushima) pour la transformer en nécessité effective et obliger industriels et ménages à changer leurs modes de production et de consommation. La sortie du nucléaire joue dans le cas allemand comme un effet de levier. Mais elle n’est pas obligatoire. La prise au sérieux de la question du climat avec comme objectif de faire advenir une économie décarbonée ou bas carbone, qui maintiendrait le nucléaire comme source d’énergie, est porteur du même effet. Ce qui compte, c’est la création d’un effet catalyseur qui rassemble l’ensemble de la société sur un projet commun2.

Le choix allemand peut s’analyser comme la création d’une obligation de résultat que la société se donne, résultat auquel chacun, ménages et industriels, est appelé à apporter sa contribution. Il y a en quelque sorte une mise en responsabilité de tous autour d’un objectif commun. Si la rupture technologique en est la condition, les technologies qui seront mobilisées relèvent du choix des industriels. Le gouvernement allemand ne prévoit pas d’action particulière pour les promouvoir à quatre exceptions : la recherche sur les énergies renouvelables dont la commission d’éthique veut faire de l’Allemagne le leader mondial ; les technologies du charbon propre (compte tenu du rôle que le charbon continuer de jouer dans la production électrique allemande) ; l’efficacité énergétique (notamment dans le bâtiment) et la recherche dans les domaines nucléaires de la sûreté et du traitement de la radioactivité que la commission considère comme un impératif moral de poursuivre à l’égard du reste du monde (« ne pas s’isoler du reste du monde »).

Cette démarche est très différente de celle adoptée par le gouvernement français avec le Grenelle de l’environnement. La très large consultation de la société civile était prometteuse mais faute de l’affirmation d’un objectif clairement énoncé, elle s’est dissoute dans un très grand nombre d’engagements (268) supposés répondre aux préoccupations des participants qui étaient autant de lobbies cherchant à faire valoir, et si possible prévaloir, leurs intérêts. Elle est aussi très différente de celle qui sous-tend l’inventaire quinquennal des technologies clés que publie le ministère français de l’Industrie (cf Technologies clés 2015), inventaire qui par nature échappe à toute hiérarchisation des priorités. La conséquence est un saupoudrage des efforts publics qui ne peut conduire qu’à une moindre efficacité des ressources mobilisées.

Il serait dommage que la nature du débat en France sur le nucléaire occulte l’originalité de la démarche allemande et nous empêche de voir au-delà de cette question somme toute contingente. D’autres objectifs que la sortie du nucléaire peuvent d’ailleurs être mis en avant comme une économie bas carbone ou une plus grande efficacité énergétique. La question est de savoir si la rupture technologique peut se faire au fil de l’eau ou si elle doit s’anticiper en prenant appui sur des objectifs à long terme. C’est le sens du processus engagé par le gouvernement allemand et dont nous ne devrions pas nous interdire de tirer des enseignements pour l’avenir de l’industrie française. L’enjeu n’est qu’accessoirement national et européen. La force de l’industrie allemande est de penser marché international à partir de sa base nationale. Pour le dire autrement, la sortie du nucléaire en Allemagne est aussi pour les Allemands un enjeu international que la commission d’éthique a résumé ainsi dans un chapitre entier consacré à « la dimension internationale du Made in Germany » : « faire rayonner l’expérience allemande d’un choix énergétique différent ».

1. La commission était composée de 17 personnalités et de 28 experts issus du monde intellectuel, religieux, politique, scientifique et industriel et a remis son rapport le 31 mai (il et en ligne sur le site du gouvernement allemand et l’Ambassade de France en a fait un résumé publié dans son bulletin Info-Berlin n° 11).
2. Cette démarche n’est pas vraiment nouvelle. A la fin du XIXe siècle, la politique coloniale de la troisième république a joué le même rôle.

André Gauron

Ingénieur (ECP) et économiste de formation, André Gauron est conseiller maître honoraire à la Cour des comptes. Il a travaillé à l’INSEE et au Commissariat général au plan...

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