Quel chemin pour une réindustrialisation de la France ?

A l’occasion de la récente publication de son ouvrage « La France doit choisir », Jean-Louis Beffa a débattu avec Patrick Pélata et Jean-Noël de Galzain autour des orientations prioritaires de l’action de l’Etat.

Les troisièmes Entretiens de La Fabrique de l’industrie réunissaient, ce lundi 19 mars au collège des Bernardins, Jean-Louis Beffa, Président d’honneur de Saint Gobain et président de Lazard Asie, Patrick Pélata, conseiller du président de Renault-Nissan, et Jean Noël de Galzain, vice-président du pôle de compétitivité Sytematic et patron de Wallix.

Jean-Louis Beffa s’alarme, comme d’autres observateurs, de la situation défavorable de l’industrie française et pense qu’il faut lui « redonner l’avantage, même si cela se fait en étant défavorable aux services » (accès direct à la vdéo). Il juge excellentes les politiques menées en direction des PME et des ETI, mais ses préoccupations restent vives au sujet des grands groupes. « Les grands groupes français se sont remarquablement restructurés depuis 1981 » constate-t-il (vidéo). Beaucoup sont devenus des leaders dans des « métiers régionaux », comme il les appelle, c’est-à-dire des métiers où « les concurrents sont comme vous ». Mais, ajoute-t-il, « Air Liquide, Saint-Gobain, Lafarge… ne servent plus la nation française. Ils n’exportent pas. Il faut, via la fiscalité, remettre les grands groupes au service de l’État ; il faut renouer le dialogue pour qu’ils prennent des risques sur des métiers nouveaux et redeviennent exportateurs. »

Le remède passe selon lui par la politique industrielle (mais en établissant des priorités et en mettant en place des mesures ciblées), par l’innovation et par l’association « donnant-donnant » avec les syndicats. Il fait là référence à ce qui a cours en Allemagne, où les salariés siègent aux conseils d’administration des grands groupes et participent activement à la stratégie de l’entreprise (vidéo). Il juge que cela peut se faire en France, moyennant une loi qui rendrait obligatoire la présence des salariés pour un tiers des membres du conseil, du moins dans les entreprises cotées (vidéo).

On pouvait s’attendre à une opposition entre Jean-Louis Beffa, essentiellement préoccupé par le soutien aux grands groupes, et Jean-Noël de Galzain, beaucoup plus concerné par le sort des PME. Il n’en fut rien. Au contraire, ce dernier fait remarquer que, d’après son expérience au sein du pôle de compétitivité Systematic, « les PME sont unanimes à vouloir travailler davantage avec les grandes entreprises » (vidéo). Parce que ce sont leurs clients, parce que ces références peuvent les aider lors de leurs demandes de financement et enfin parce qu’elles peuvent les aider à conquérir des marchés à l’export (le « chasser en meute »). Il plaide ainsi pour des efforts fiscaux « fléchés dans le sens de projets associant PME et grandes entreprises ».

Le crédit impôt recherche, justement a été l’occasion d’un affrontement à fleuret moucheté entre Jean-Louis Beffa et Patrick Pélata. Le premier ne l’estime guère. Plus précisément, il admet qu’il convient aux PME et ETI mais juge qu’il n’est pas adapté aux grands groupes (vidéo). « On ne leur demande pas suffisamment de contreparties. Pour les grandes entreprises, il faudrait que le crédit d’impôt soit lié à l’augmentation de la dépense de R&D et qu’il soit ciblé sur des programmes bien définis. » Et d’ajouter : « Le CIR n’a aucune composante de recherche coopérative et ne bénéficie pas à la seule industrie, les services et les banques en profitant également. […] Je ne crois pas que les laboratoires de R&D soient à roulettes. » Autrement dit, il serait inutile de financer les R&D des grands groupes dans l’optique de la maintenir en France. Patrick Pélata ne partage pas du tout ce point de vue : « nous avons besoin du CIR » dit le conseiller de Carlos Ghosn (vidéo). Il souligne que Renault « possède en Corée et en Roumaine d’importantes équipes de R&D et que les salaires y sont respectivement deux et quatre fois moins élevés qu’en France. » Même dans les pays comme l’Espagne où le CIR n’existe pas, les pouvoirs publics peuvent contribuer substanciellement aux investissements industriels. Il affirme donc que la R&D est bel et bien délocalisable et, ce faisant, que les délocalisations pourraient être plus nombreuses sans le CIR.

Au cours de ces Entretiens, l’Union européenne a eu droit à une double volée de bois vert de la part de Jean-Louis Beffa. C’est d’abord la politique de la concurrence de la Commission qui en a fait les frais : « La DG Concurrence est le principal fossoyeur de l’industrie. Sa politique est criminelle » s’emporte-t-il, déplorant que la Commission se polarise sur la concurrence intra européenne au nom d’une certaine perception du bien-être du consommateur, et bloque ainsi des rapprochements justifiés par la concurrence mondiale (vidéo).

Plus tard, Jean-Louis Beffa affirme : « L’Europe à 27 demeure un projet politique et un marché intérieur, mais elle n’a plus de sens dans le domaine économique » (vidéo). Il milite ainsi pour une Europe à deux vitesses, seul issue pour sauver l’Euro et, partant, l’économie. « Il faut casser le dispositif européen contraignant tel qu’il est et s’affranchir de la règle de l’unanimité. Nous n’avons plus le choix, nous n’avons plus le temps. L’Europe doit se réorganiser autour du noyau dur franco-allemand, avec des pays tels que l’Espagne, l’Italie, la Pologne ou la République Tchèque. »  L’Allemagne nous suivrait-elle ? « Je fais confiance aux producteurs allemands, qui sont conscients de ces enjeux, pour convaincre en ce sens les défenseurs à tous crins des intérêts des consommateurs » affirme-t-il.

Interrogé sur la récente installation d’une usine au Maroc, Patrick Pelata revendique le choix par Renault d’une stratégie où les véhicules low cost sont produits dans des pays à faible coût de main d’œuvre (Roumaine, Turquie, Maroc…) quand le haut-de-gamme reste fabriqué en France et en Espagne (vidéo). « Les Dacia, pour lesquelles il y a un réel marché, n’existeraient tout simplement pas si elles n’étaient pas produites dans ces pays. » Et il ajoute : « si nous ne fabriquons pas aujourd’hui ces voitures aux portes de l’Europe, le marché sera pris en quelques années par des entreprises indiennes ou chinoises. » Il va plus loin : « J’ai fait le compte : si l’on fait le bilan des 110 000 Dacia et Sandero importées pour être vendues en France, de l’exportation des pièces, des dépenses de R&D etc., la production de ces voitures aura rapporté en 2010 quelque 500 millions d’euros à l’économie française. »

La soirée est sur le point de se terminer lorsque Jean-Louis Beffa s’emporte contre « les patrons qui ne parlent que de création de valeur », ce qui selon lui donne une idée fausse de l’industrie et est en totale contradiction avec ses missions (vidéo). Il estime que les américains eux-mêmes finiront par découvrir les limites du pilotage de l’économie par la finance et qu’ils se montreront, comme toujours, capables de prendre des mesures drastiques pour restaurer la compétitivité de leur industrie. Voilà) pourquoi, même si le déclin industriel est inquiétant dans tous les pays occidentaux, il confie qu’il « n’enterrera jamais les État-Unis ».

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