Enfin une étude accomplie sur la nouvelle dynamique économique et sociale de la Suède !

Enfin une étude accomplie sur la nouvelle dynamique économique et sociale de la Suède !

Dans le grand débat pour relancer l’industrie et la croissance économique, tout en restaurant les équilibres économiques majeurs, cette étude sur la Suède était attendue avec impatience ! Comment ce pays, plongé en 1990-1992 dans une crise extrêmement grave qui semblait sonner le glas du « modèle suédois » des années 1960-1970, a-t-il pu redresser la barre pour engager une trajectoire de reprise à peine affectée par la crise mondiale de 2008 ?

Le mérite de l’étude de La Fabrique de l’industrie, solidement documentée, est de retracer ce parcours en profondeur du milieu du XXe siècle à nos jours, selon trois périodes fortement contrastées. Dès les années 1938-1940, débute l’édification d’un modèle socio-économique original et ambitieux, conjugué avec une économie prospère. Puis, dans les années 1980, on remarque un tassement significatif des performances, une fonctionnarisation considérable pour compenser les pertes d’emplois privés et des bousculements divers, jusqu’à la crise immobilière et financière de 1991. Enfin, à partir de 1993 et jusqu’à nos jours, un redressement s’accomplit sur la base de réformes structurelles, longuement préparées et négociées dans les années 1985-1995.

De cette revue attentive, il ressort que les réformes accomplies ont su préserver et même renforcer trois principes majeurs, distincts mais complémentaires, qui fondent la dynamique engagée depuis deux décennies.

– Le respect de la logique économique d’une industrie fortement exportatrice qui, pour préserver ses positions sur le marché mondial, bénéficie d’une fiscalité très modérée et n’est pas handicapée par des charges sociales élevées.

L’investissement industriel est une caractéristique forte, historique, de l’économie suédoise qui est animée par des structures capitalistiques concentrées, souvent familiales, protégées, bénéficiant d’une fiscalité avantageuse. La présente étude s’interroge aussi sur le niveau élevé de la R&D par rapport aux standards européens. Au-delà des aspects « structurels », liés aux particularités des secteurs concernés, il faut y voir le positionnement sur des sous-segments à forte valeur ajoutée et à fort investissement, sélectionnés par l’industrie suédoise dans les années 1980-1990. On peut citer à titre illustratif le désengagement de la production automobile par Volvo et Saab à la fin des années 1990 mais le maintien de la production de poids-lourds. Enfin, de tradition, la Suède dispose de représentations syndicales fortes et très représentatives. Les négociations sociales ont été décentralisées au niveau des branches, puis des entreprises, selon des procédures très codifiées. Selon l’accord Industriavtalet de 1997, le principe de compétitivité des entreprises n’est pas considéré comme un objectif, mais comme un principe de base, qui est vital dans un pays où la plupart des entreprises exportent plus de 50 % de leur chiffre d’affaires.

– Le respect des missions et des accomplissements des services publics et des institutions de protection sociale, selon un modèle totalement transformé c’est-à-dire décentralisé, libéralisé, dont le coût est assumé, pour l’essentiel, par la fiscalité des ménages et la TVA.

La transformation du modèle de gestion des dépenses publiques est impressionnante : de 1991 à 2005, la proportion de ces dépenses dans le PIB est passée de 71 % à 56 %[1]. Une étude critique détaillée serait sans doute nécessaire pour apprécier davantage l’impact des nombreuses mesures de libéralisation et de décentralisation prises à cette époque, mais les progrès de productivité très élevés enregistrés soulignent la contribution majeure de l’espace public au rétablissement des équilibres globaux. La gestion des personnels concernés dans le cadre de conventions collectives, qui s’est substituée au statut des fonctionnaires, illustre aussi cette volonté d’homogénéiser les pratiques dans l’espace public comme dans l’espace privé. D’un point de vue technique, l’utilisation intensive des technologies numériques a permis d’exploiter, beaucoup plus tôt et plus largement qu’ailleurs, un gisement avéré de productivité des économies contemporaines.

– Le strict respect de l’équilibre budgétaire au niveau de l’Etat, des institutions de retraite et de santé ainsi que des agences d’exécution des différents services publics.

Dès les années 1986-1990, pourtant marquées par un tassement général des performances économiques du pays, la Suède avait su enregistrer des budgets en excédent. Aujourd’hui, alors que de nombreux pays européens sont en quête, laborieusement, d’un retour aux déficits inférieurs à 3 %, la Suède a seulement concédé, durant la crise récente, de ramener sa « règle d’or » d’un excédent budgétaire de 2 % du PIB à 1 %. Forte d’un excédent budgétaire et commercial structurel, la Suède ne souffre pas du souci si répandu en Europe d’un endettement excessif et dispose des marges de manœuvre pour corriger les zones d’ombre, et il y en a, dans le domaine économique (par exemple, le soutien insuffisant aux PME innovantes) et dans le domaine social (par exemple, le chômage élevé des jeunes ou l’encombrement des services de santé). Pour les régimes de retraite, qui combinent répartition et capitalisation, le principe appliqué est le même : le montant des retraites versées est ajusté aux ressources disponibles et les évolutions sont négociées en conséquence, sans révolution politique.

En conclusion, il apparaît que les réformes nombreuses, profondes, souvent radicales, qui ont été mises en œuvre ne relèvent pas, comme souvent ailleurs, du compromis entre les pouvoirs des institutions impliquées (syndicats, patronat, partis politiques, chapelles des professions diverses…) au terme de batailles qui souvent s’enlisent pour des raisons tactiques ou idéologiques. Ces réformes sont le résultat du partage de trois éléments essentiels, qui forment comme le triptyque fondateur de la société suédoise. D’abord, une analyse lucide, commune, des défis et des enjeux de l’économie internationale, qui s’impose de l’extérieur. Ensuite, les valeurs et les acquis internes, hautement appréciés, hérités de la culture et de l’histoire du pays. Enfin, le sens de la solidarité et de la responsabilité des citoyens, sur lesquels repose, finalement, la volonté d’aboutir. Une belle leçon de démocratie, au sens fort de ce terme !

L’auteur de ces lignes a eu la chance de rencontrer, fin 1970, Olof Palme, alors chef du Gouvernement suédois, avec un petit groupe de jeunes fonctionnaires français dans une cafeteria proche de son ministère, ainsi qu’il aimait recevoir. « Le système suédois est vieillissant ; un jour, il faudra le transformer de fond en comble ! » dit-il alors, laissant stupéfaits ses visiteurs. Bien au-delà de sa fin tragique en 1986, ces paroles apparaissent prémonitoires…


[1] Même si le point de référence de 1991 est bien singulier de par le montant exceptionnel de dépenses en cette année de crise et de par la dévaluation significative de la couronne qui a précédé la reprise.

 

Jean-Loup Picard

Jean-Loup Picard est consultant en stratégie et administrateur de sociétés. Ingénieur des Mines, il a débuté sa carrière dans le service public (ministère de l’Industrie à...

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