Etats-Unis : la grande illusion de la productivité ?

Le think tank américain ITIF tire le signal d’alarme : « Les pertes d’emplois industriels américains ne sont pas le fait de formidables gains de productivité, ils traduisent la perte de compétitivité de l’industrie. »

« Qu’importe si l’emploi est en chute libre dans l’industrie manufacturière, puisque cela découle de formidables gains de productivité ! ». La plupart des américains, y compris l’administration Obama, en sont convaincus.

L’Information Technology & Innovation Foundation (ITIF), un think tank étatsunien, tire pourtant le signal d’alarme dans un récent rapport qu’il intitule à dessein de façon dramatique : « Worse Than the Great Depression: What the Experts Are Missing About American Manufacturing Decline ».

Pire que lors de la grande dépression des années 30 ? Disons au moins que l’emploi manufacturier américain aura davantage chuté lors de la dernière décennie (-33,1 % entre 2000 et 2010) qu’entre 1929 et 1933 (-30,9 %), ce qui représentait certes une période plus courte. L’ITIF ajoute qu’en 2010, 13 des 19 secteurs manufacturiers (employant 55 % de la main d’œuvre industrielle) produisaient moins en 2010 qu’en 2000.

Mais l’essentiel n’est pas là. Comme l’avait déjà fait récemment remarquer The Brookings Institute (voir article sur ce site) le rapport relève que les gains de productivité de l’industrie américaine, réputés formidables, ne sont qu’une illusion statistique. Il n’est pas possible de se rassurer en affirmant que les emplois perdus sont liés à la productivité croissante. Ils ne font en réalité que traduire la perte de compétitivité de l’industrie américaine. Selon l’ITIF, cette erreur de jugement a deux causes majeures.

La première est la forte surestimation des gains de productivité liés à l’industrie informatique et électronique. La croissance phénoménale de la production de ces secteurs, mise au crédit de gains de productivité dans les statistiques, reflète surtout les baisses de prix et les augmentations de performances des ordinateurs.

La seconde est liée à ce que l’ITIF appelle l’import substitution bias, autrement dit le fait que l’importation de produits dont la fabrication a été délocalisée apparaît dans les statistiques comme un gain de productivité (parce qu’on obtient autant de produits avec moins d’heures travaillées) alors même que la productivité des entreprises américaines à l’origine de ces produits peut n’avoir pas progressé d’un iota.

En réalité, dit l’ITIF, « sur la décennie 2000-2010 la productivité des industries manufacturières n’a cru que de 32 % et non pas de 72 % comme l’affirme le Bureau of economic analysis data. »

L’ITIF conclut : « bien que l’augmentation de productivité joue un rôle dans la baisse des emplois industriels, le facteur le plus important est le déclin de la production industrielle qui a baissée de 11 % au cours de la décennie alors que la PIB a crû de 17 %. Si la production industrielle avait progressé au même rythme que les autres secteurs économiques, il y aurait 3,8 millions d’emplois manufacturiers de plus aux US et même 6 millions compte tenu de l’effet démultiplicateur de ces emplois. »

Franck Barnu

Après des études de physique, Franck Barnu s’est dirigée vers la presse industrielle et technologique. Comme journaliste, il a en particulier suivi le domaine des technologies...

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