Industrie ou Industries ? Evitons les visions monolithiques

Réflexions d’un directeur industriel à la lecture du livre de Patrick Artus, La France sans ses usines.

J’ai lu le livre de Patrick Artus et Marie-Paule Virard, La France sans ses usines (voir publication), et assisté au débat organisé par La Fabrique de l’Industrie qui a eu lieu le 25 janvier 2012 (voir événement). Si je partage globalement le constat et les pistes préconisées par les auteurs, j’aimerais cependant introduire quelques nuances susceptibles d’alimenter la réflexion.

Toute l’industrie à la même enseigne ?

Selon le Petit Larousse, « l’industrie regroupe l’ensemble des activités économiques qui produisent des biens matériels par la transformation et la mise en œuvre de matières premières ». Si l’on veut bien considérer le spectre extrêmement large des activités couvertes par cette définition (mécanique, métallurgie, électronique, plasturgie, mais aussi agro, bio, nano technologies, médical, …) et pour peu que l’on se contraigne à un maillage sectoriel suffisamment fin, il y a des secteurs qui ont été créateurs d’emploi –en France- sur les dix dernières années, qui ont mieux résisté que d’autres au déclin. Il me semble qu’une première piste de réflexion serait d’analyser et de comprendre les différences de stratégie et de contexte des différentes filières, afin d’identifier les leviers qui sous-tendent croissance ou déclin.

Industrie française ou emploi industriel en France ?

Le livre n’insiste pas assez à mon sens sur une confusion persistante dans les débats et les esprits entre industrie française et emploi industriel en France. Les sociétés industrielles françaises (y compris PME et ETI) n’ont pas toutes leurs emplois manufacturiers en France ; symétriquement, beaucoup d’emplois manufacturiers français sont le fait de sociétés étrangères. D’une certaine façon, nous pouvons même dire que le succès de certains groupes industriels français dans le monde induit nécessairement une diminution des emplois manufacturiers en France. En effet, de telles entreprises, comme Schneider Electric ou Seb, initialement implantées en France, ont commencé à livrer l’international à partir de leurs sites français, puis, quand les tailles des marchés l’ont justifié, ont implanté des sites dans ces pays (Europe de l’Est, Asie, Amérique du Sud…), créant alors une contraction des sites français. Pour reprendre le mot de Carlos Ghosn, ce n’est pas « de la délocalisation, mais de la multi-localisation ». La baisse de l’emploi industriel en France sur ces dernières années n’est donc pas uniquement lié à un manque de compétitivité de notre industrie, aux délocalisations massives, ou à un manque d’attractivité de notre territoire (la France était encore il y a peu un des pays privilégiés pour l’investissement étranger), mais plutôt à une difficulté à régénérer le tissu en croissance.

Haro sur les 35 heures ?

La mise en place des 35 heures a conduit la plupart des entreprises industrielles, parfois sous la contrainte de mouvements sociaux, à mettre en place des accords régissant l’organisation du temps de travail avec des dispositifs de flexibilité que, le plus souvent, elles n’utilisent pas ou peu, ou pire, qui les rendent plus rigides, car ceux-ci sont devenus inadaptés et leur renégociation très compliquée. Là où il faudrait des dispositifs souples et permettant de s’adapter rapidement aux conditions économiques, la loi sur les 35 heures a « rigidifié » les situations. En revanche, je suis beaucoup plus réservé sur les attaques qui portent sur les surcoûts engendrés par les 35 heures. Les salariés non productifs (au sens manufacturier) d’une entreprise industrielle, c’est-à-dire ceux dont le coût est considéré comme fixe par rapport à l’activité, n’ont pas vu leurs tâches et leurs responsabilités diminuer et, soit s’acquittent du même travail en quatre heures de moins par semaine, soit font plus que les 35 heures hebdomadaires sans heures supplémentaires. Restent donc les salariés productifs (ceux qui touchent les produits), dont le coût global représente rarement plus de 10 à 15% du coût de vente. Le passage de 39 à 35 heures sans baisse de salaire aurait donc coûté aux entreprises environ 1 point de marge… que celles-ci ont généralement compensé en bloquant les salaires sur plusieurs années. S’il convient de faire évoluer les « 35 heures », il s’agit plus de porter la réflexion sur la flexibilité de l’organisation du travail que sur la durée elle-même.

Le sourcing en Chine vraiment favorable ?

On nous présente souvent la Chine comme la source de tous les maux, vilain et déloyal concurrent, destructeur des emplois français. Comme je l’ai expliqué plus haut, beaucoup d’entreprises françaises sont en Chine avec comme première ambition de vendre en Chine, plus largement en Asie, car c’est là que se trouve la croissance. Pour reprendre l’exemple de Schneider Electric, le déménagement récent de leur état-major à Hong Kong en dit long sur la place de l’Europe dans les plans de croissance des années futures. Oui, il est possible de produire ou de trouver des fournisseurs très compétitifs en Asie pour servir le marché européen. Cela se fait au prix d’une logistique complexe, de stocks et de coûts de suivi et de transport très élevés. A chacun de faire ses comptes. Mais gardons à l’esprit que la survie des entreprises industrielles en Europe passe par une proximité client qui nécessite, a minima, des unités d’assemblage ou de finition en Europe. A elles d’organiser leur sourcing de la manière la plus performante. Il est clair que le terrain de jeu est devenu mondial et induit donc une concurrence mondiale à tous les niveaux, même pour le petit ferronnier des Ardennes qui devra donc revoir sa réflexion sur ses gammes et son service, s’il veut survivre.

Haut de gamme ou différenciation ?

La question de la montée en gamme a fait l’objet d’une grande attention lors des débats de la soirée du 25 janvier. La thèse de la nécessaire montée en gamme de l’industrie française a été nuancée, en particulier par le journaliste des Echos, Philippe Escande.  Je m’associe tout à fait à son idée que la solution pour maintenir les emplois industriels en France n’est pas (uniquement) dans le haut de gamme, mais vers la différenciation dans les produits et les services. Ikea n’a pas construit son succès sur le haut de gamme. Il existe aujourd’hui des entreprises industrielles qui ont des résultats brillants dans des secteurs qui sont pourtant sinistrés ou fortement concurrencés par les pays asiatiques. Regardons les processus d’innovation qu’elles ont mis en place, regardons comment elles servent leurs clients.

Où agir en premier ?
L’environnement de la création d’entreprise a été fortement amélioré en France, ces dernières années, et la proportion de jeunes diplômés ayant la volonté de créer leur propre entreprise semble devenir chaque année plus importante. A cet égard, le crédit impôt recherche et les pôles de compétitivité ont été de vrais boosters. C’est bien et il faut maintenir l’effort, mais ces sociétés sont finalement relativement peu contributrices en termes d’emploi manufacturiers. A l’autre bout de l’échelle, nous avons des grands groupes très performants qui restent présents en Europe, mais qui n’y trouvent plus d’opportunités de croissance suffisamment fortes. Leurs effectifs manufacturiers continueront d’augmenter dans les pays émergents, mais plus en Europe. La messe des emplois industriels en France est-elle dite ? Non, mais elle est effectivement révélatrice de la difficulté du tissu PME/ETI à renouveler les emplois perdus par le départ des productions vers les marchés où les entreprises se développent. Certes l’Etat doit régler des problèmes structurels (moins de taxes, moins de contraintes réglementaires…), mais il appartient aussi et surtout aux chefs d’entreprises de s’atteler à différencier leurs produits et leurs services de façon plus marquée.

La Fabrique

La Fabrique de l’industrie est une plateforme de réflexion, créé en 2011, consacrée aux perspectives de l’industrie en France et à l’international. Nous travaillons sur les...

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