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L’arrogance chinoise – Erik Izraelewicz

Erik Izraelewicz est un expert reconnu de la Chine ; il n’en est pas à son premier essai sur le sujet. Avec un style limpide, concret et accessible, il propose ici une actualisation de son point de vue sur la stratégie de leadership de l’Empire du milieu.

Un raisonnement en trois temps

Premier point : « le dragon a la grosse tête ». Autrement dit, les décideurs politiques et économiques chinois sont devenus « arrogants ». Constatant leur réussite avec d’autant plus d’évidence que l’Occident s’est à nouveau enlisé dans une crise systémique (l’auteur l’appelle « la Grande Récession »), ils n’hésiteraient plus à exprimer ouvertement leur sentiment de supériorité face à leurs partenaires occidentaux. La nouvelle génération au pouvoir s’est affranchie de la consigne de Deng Xiaoping, père de la Chine moderne : garder la tête froide et le triomphe modeste. Concrètement, cette arrogance prend par exemple la forme de comportements ouvertement non coopératifs : nombre d’entreprises occidentales, désireuses de s’implanter sur le marché chinois, se sont vues imposer la formation de joint-ventures avec des firmes locales avant d’être remerciées sitôt leur technologie acquise par leur récent partenaire.

Deuxième temps du raisonnement : « le dragon a tout bon ». En clair, la réussite chinoise est époustouflante, inédite dans l’histoire. Quel que soit l’angle sous lequel on l’observe (scientifique, technologique, industriel, commercial, éducatif, monétaire, sportif, géopolitique…), l’Empire s’affirme à une vitesse record, vole de succès en succès et n’a désormais plus de leçon à recevoir des vieilles puissances occidentales.

Troisième moment enfin : « le dragon a peur ». La thèse d’Erik Izraelewicz est que les dirigeants chinois sont, en dépit de leur succès, tétanisés à l’idée que cette magnifique embellie puisse prendre fin. Les exemples sont nombreux autour d’eux de pays dont la croissance mirifique a fini par cesser, à commencer par le Japon et les autres « miracles » asiatiques. Surtout, les raisons de craindre la fin de l’hyper-croissance sont réelles et sérieuses : déclin de la natalité et vieillissement annoncé de la population, saturation écologique, tension intenable entre la pauvreté persistante de la population et les gigantesques réserves de change accumulées par les acteurs économiques…

Selon l’auteur, l’arrogance des dirigeants chinois ne serait que la face visible de cette sourde angoisse. Pour la conjurer, il les enjoint à ne pas se crisper sur ce que furent les ingrédients du miracle chinois et qui pourraient devenir les instruments de sa perte s’ils étaient maintenus trop longtemps : la captation de l’épargne de la population au profit de l’investissement, l’hyper-frugalité des consommateurs chinois (« pauvres dans un pays riche »), l’absence de liberté syndicale et démocratique… L’alliance d’un étatisme puissant sur le plan politique et d’un libéralisme achevé sur le plan économique, que l’auteur nomme « illibéralisme », a prouvé son efficacité redoutable. Elle mérite de figurer dans les manuels d’histoire, aux côtés du taylorisme ou du toyotisme, comme épine dorsale d’un nouveau paradigme industriel capable de conférer un véritable leadership au pays qui l’a inventée. Pour autant, Erik Izraeewicz s’en dit convaincu, elle doit aujourd’hui céder la place à un libéralisme mieux assumé, proche de son acception occidentale, inévitable pour qu’un pays désormais développé puisse se maintenir comme tel.

Le point de vue de La Fabrique

Cet essai, remarquablement construit, se lit facilement et se comprend d’autant mieux. De multiples exemples tirés de la politique et de l’économie, menées au plus haut niveau, illustrent le propos et facilitent son appropriation. Ce n’est pas une surprise si l’ouvrage a reçu le prix lycéen « Lire l’économie » en 2011.

Parfois, on aimerait toutefois que le propos ait plus de densité, que l’argumentation repose sur autre chose que des exemples, certes évocateurs mais pas nécessairement significatifs. C’est surtout vrai dans les deux premières parties, où l’on finit par souffrir d’entendre parler de « la Chine » et « des Chinois » sans que ne soit même évoquée l’idée qu’il puisse y avoir dans un si grand pays, aussi fermement dirigé fût-il, des jeux d’acteurs aux intérêts non concertés, voire divergents. Par ailleurs, l’exposé de la thèse de l’arrogance des Chinois finit, faute d’autre justification que des récits anecdotiques, par éveiller un soupçon de banalité.
Autrement plus captivante est la troisième partie, dans laquelle l’auteur propose un regard éclairant et convaincant sur le dilemme auquel font face les dirigeants chinois, tiraillés entre le souci de ne pas casser trop tôt le formidable moteur économique qu’ils ont conçu et celui de ne pas persister dans un modèle qui viendra nécessairement à s’épuiser.

La Fabrique

La Fabrique de l’industrie est une plateforme de réflexion, créé en 2011, consacrée aux perspectives de l’industrie en France et à l’international. Nous travaillons sur les...

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