Les principaux mécanismes déterminant les effets d’une baisse du coût du travail

Nous présentons ici les principaux mécanismes économiques à l’œuvre lors de la mise en place d’un allégement du coût du travail, abstraction faite de la hausse des prélèvements ou de la baisse des dépenses publiques qui servent à financer la mesure.

L’effet de substitution

La baisse du coût du travail rend le travail moins onéreux relativement aux autres facteurs, notamment au capital, dont les prix n’ont pas évolué. La combinaison productive, c’est-à-dire la façon dont les différents facteurs de production sont mobilisés par l’entreprise, évolue donc, suite à ce changement des coûts relatifs. C’est l’effet de substitution : le facteur dont le coût a baissé voit sa demande augmenter, en termes relatifs.

La demande de travail va donc s’accroître. L’effet sur l’emploi sera plus ou moins important, selon la sensibilité de la demande d’emploi à son coût et des possibilités concrètes de réaliser cette substitution.

On remarquera que, si la baisse du coût du travail est ciblée sur les travailleurs faiblement qualifiés, un effet de substitution devrait également jouer en faveur du travail non qualifié et au détriment du travail qualifié.

Le comportement de marge

Pour produire leurs biens et services, les entreprises mobilisent du travail, du capital et des consommations intermédiaires en provenance d’autres entreprises. La baisse du coût du travail entraîne une baisse directe du coût de production de l’entreprise, d’autant plus forte que le facteur travail est important dans le processus de production de l’entreprise.

Elle entraîne également une baisse de coût indirecte, puisque les consommations intermédiaires achetées à d’autres entreprises peuvent voir leur prix baisser : les entreprises nationales qui les fournissent ont également bénéficié de la baisse du coût du travail.

Une question cruciale, qui conditionne les conséquences économiques de la baisse du coût du travail, est la façon dont les entreprises vont répercuter cette baisse des coûts dans les prix des biens et services qu’elles vendent. Elles peuvent la répercuter intégralement ou bien choisir d’augmenter leurs marges. Se pose alors la question de l’utilisation faite par les entreprises du supplément de marge ainsi créé.

Le gain de compétitivité

La baisse de prix, autrement dit la baisse des coûts déduite de l’accroissement des marges, améliore la compétitivité des entreprises qui exportent. L’ampleur de l’effet sur les exportations dépend de la sensibilité de la demande au prix de ces exportations. Les études économétriques relèvent des élasticités prix des exportations de l’ordre de -0,6 voire -0,8 ; en d’autres termes, une baisse de prix des exportations de 10 % va se traduire par une augmentation des exportations de 6 à 8 %.

La baisse de prix va également accroître la demande intérieure, cette fois encore en fonction de la sensibilité de la demande au prix. Par ailleurs, les entreprises nationales vont améliorer leur compétitivité face aux importations puisque les entreprises étrangères ne bénéficient pas des allégements de coût du travail (elles peuvent naturellement décider d’abaisser leurs marges pour maintenir leur position concurrentielle).1

Dans les secteurs où la concurrence est faible (certains secteurs abrités ou faiblement concurrentiels2) et où la demande est faiblement sensible au prix, l’entreprise sera plus encline à augmenter ses marges car les variations de prix ne débouchent pas sur des évolutions sensibles de demande. Au contraire, dans les secteurs où la concurrence est forte, que celle-ci provienne d’autres entreprises nationales ou bien de l’extérieur, l’entreprise reportera davantage la baisse des coûts dans les prix pour tirer parti de l’accroissement de la demande qui en résultera.

Figure 1. Principaux mécanismes suite à une baisse du coût du travail

 

L’accroissement de la production, grâce notamment aux gains de compétitivité qui améliorent la pénétration des produits nationaux face aux productions étrangères, va renforcer l’effet sur l’emploi amorcé par la substitution. Les études économétriques estiment que l’élasticité de l’emploi à son coût est de l’ordre de -0,5 lorsqu’on tient compte des effets du bouclage macroéconomique, c’est-à-dire en prenant en compte l’augmentation de l’emploi qui résulte de l’accroissement du volume de production3.

Du supplément de marge à l’investissement

Lorsque les entreprises ne reportent pas la totalité de la baisse des coûts dans leurs prix, un supplément de marge apparaît. Ce supplément de marge peut être utilisé par les entreprises pour investir, pour renforcer leur trésorerie ou bien être distribué sous forme de dividendes aux actionnaires ou d’accroissement de rémunération aux salariés.

En plus des effets immédiats sur l’emploi, les mesures d’allégement du coût du travail peuvent donc induire un supplément d’investissement en capital physique et en recherche et développement, qui viendrait renforcer à terme la compétitivité prix et hors prix.

Il convient cependant de rappeler que la variation du coût relatif des facteurs de production, favorable au travail et non au capital, n’incite pas vraiment les entreprises à investir. Au contraire, la baisse du coût du travail rend les combinaisons productives intensives en travail davantage profitables.

L’augmentation conjointe de l’investissement et de l’emploi ne peut advenir que si le supplément de demande adressé aux entreprises nécessite un accroissement des capacités de production. Or, la demande n’augmente sensiblement que si les prix ont baissé de manière forte, donc si une part très importante de la baisse de coût a été reportée dans les prix, aboutissant à un faible supplément de marge et donc peu de capacités financières supplémentaires pour investir…

Toutefois, une augmentation des marges peut hâter la réalisation d’investissements prévus pour plus tard en desserrant la contrainte financière de l’entreprise. C’est donc la chronique des investissements qui s’accélèrerait et non leur volume. Si le profit n’est pas un déterminant du niveau optimal de capital, il peut néanmoins influencer la décision d’investissement à court terme.

Figure 2. Mécanismes à l’œuvre en cas d’investissement du supplément de marge

 

En résumé, l’effet de substitution qui joue en faveur d’une augmentation du recours au travail aurait plutôt tendance à ralentir l’investissement. Si on souhaite promouvoir l’investissement, il y a un certain antagonisme à court terme avec la mesure de baisse du coût du travail, du fait de cet effet de substitution. Il est difficile de poursuivre les deux objectifs, l’investissement et l’emploi, avec la même mesure sauf à espérer que l’augmentation de la production soit d’une ampleur suffisante pour justifier ces investissements malgré l’augmentation du coût relatif du capital.

 


[1]  Certains économistes pointent le risque que les partenaires européens de la France adoptent des mesures analogues, en réponse à l’initiative française, ce qui annulerait rapidement les effets attendus. Cette mesure est ainsi qualifiée de « non-coopérative », au sens où les gains pour le pays qui la met en place se font au détriment de ses partenaires commerciaux, ce qui peut apparaître comme un problème au sein de l’Union économique et monétaire européenne. Voir par exemple « Compétitivité et développement industriel : un défi européen », Jean-Luc Gaffard, note de l’OFCE, n°19, 3 mai 2012 et « Compétitivité, le choc illusoire… Faut-il réformer le financement de la protection sociale ? », Henri Sterdyniak, note de l’OFCE n°24, 30 octobre 2012. Il faut néanmoins rappeler que la France est l’un des pays européens dans lesquels le financement de la protection sociale repose le plus sur les cotisations sociales et donc sur le travail, ce qui justifie qu’on souhaite se rapprocher de la moyenne européenne.

[2] Voir « Niveau et évolution de la concurrence sectorielle en France », Romain Bouis, TRESOR-ECO n°27 de janvier 2008 dans lequel l’auteur estime les taux de mark-up et donc le degré de concurrence dans les différents secteurs de l’économie française.

[3] Voir par exemple P. Cahuc et A. Zylberberg (2004) Labor Economics, MIT Press ou P. Cahuc et S. Carcillo (2014) pour des éléments sur la valeur de l’élasticité de l’emploi à son coût. L’ouvrage de référence en la matière est celui de Daniel Hamermesh (1993) Labor Demand. Les ordres de grandeur retenus pour la sensibilité de la demande de travail à son coût proviennent le plus souvent des résultats recensés dans cet ouvrage. L’élasticité de la demande de travail à son coût est comprise entre -0,15 et -0,75 avec une valeur moyenne de -0,3 (à niveau de production donné). Dans une récente « méta-analyse » (moyenne de résultats de 105 études dont les deux tiers réalisés à partir de 2000, A. Lichter, A. Peichl et S. Siegloch (2014) trouvent une élasticité se situant entre -0,07 et -0,45 avec une moyenne de -0,25 (à production donnée). L’élasticité « inconditionnelle » de la demande de travail, tenant compte de l’effet volume est supérieure, de l’ordre -0,5.


La Fabrique

La Fabrique de l’industrie est une plateforme de réflexion, créé en 2011, consacrée aux perspectives de l’industrie en France et à l’international. Nous travaillons sur les...

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